Language of document : ECLI:EU:T:2002:224

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

25 septembre 2002 (1)

«Fonctionnaires - Rémunération - Coefficient correcteur pour l'Irlande - Coût de la vie à Dublin - Articles 64 et 65 du statut»

Dans les affaires jointes T-201/00 et T-384/00,

Agnès Ajour, demeurant à Dublin (Irlande), et les 128 autres fonctionnaires et agents de la Commission des Communautés européennes dont les noms figurent en annexe, représentés par Mes J.-N. Louis et V. Peere, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. A. Pilette et F. Anton, en qualité d'agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation des décisions de la Commission établissant les bulletins de rémunération des requérants entre septembre et décembre 1999 et des décisions de la Commission établissant, en application du règlement (CE, CECA, Euratom) n° 2700/1999 du Conseil, du 17 décembre 1999, adaptant, à compter du 1er juillet 1999, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 327, p. 1), les bulletins de rappel de rémunération des requérants pour la période comprise entre le 15 mai et le 31 décembre 1999 ainsi que les bulletins de rémunération des requérants établis depuis janvier 2000,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. R. M. Moura Ramos, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 16 avril 2002,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    L'article 64 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») prévoit:

«La rémunération du fonctionnaire [...] est affectée d'un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d'affectation.

Ces coefficients sont fixés par le Conseil statuant, sur proposition de la Commission, à la majorité qualifiée [...]»

2.
    L'article 65 du statut dispose:

«1. Le Conseil procède annuellement à un examen du niveau des rémunérations des fonctionnaires et des autres agents des Communautés. Cet examen aura lieu [...] sur base d'un rapport commun présenté par la Commission et fondé sur la situation au 1er juillet et dans chaque pays des Communautés, d'un indice commun établi par l'Office statistique des Communautés européennes en accord avec les services nationaux de statistiques des États membres.

[...]

2. En cas de variation sensible du coût de la vie, le Conseil décide, dans un délai maximal de deux mois, des mesures d'adaptation des coefficients correcteurs, le cas échéant, de leur effet rétroactif.»

3.
    L'article 65 bis du statut dispose:

«Les modalités d'application des articles 64 et 65 sont définies à l'annexe XI.»

4.
    Les mêmes dispositions sont applicables aux agents temporaires et aux agents auxiliaires en vertu des articles 20 et 64 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes.

5.
    Par règlement (CE, CECA, Euratom) n° 2700/1999 du Conseil, du 17 décembre 1999, adaptant, à compter du 1er juillet 1999, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 327, p. 1), le coefficient correcteur pour l'Irlande a été fixé à 112,7 avec effet rétroactif au 16 mai 1999 (article 6, paragraphe 1, du règlement n° 2700/1999) et à 109,7 avec effet rétroactif à partir du 1er juillet 1999 (article 6, paragraphe 2, du même règlement).

Faits à l'origine du litige et procédure

6.
    Par décision du 10 décembre 1996, la Commission a décidé de transférer à Dublin (Irlande) l'Office d'inspection et de contrôle vétérinaire et phytosanitaire qui était à l'époque une direction de la direction générale (DG) «Agriculture» de la Commission. Le 1er avril 1997, cette direction qui entre-temps est devenue partie intégrante de la DG «Santé et protection des consommateurs» de la Commission,a reçu la nouvelle appellation «Office alimentaire et vétérinaire» (ci-après l'«OAV»).

7.
    Depuis 1996, des fonctionnaires, des agents temporaires et des experts nationaux ont été détachés à l'OAV à Dublin. Ils ont été installés de manière provisoire dans le bâtiment de Belsfield, situé à Clonskeag (dans le sud de Dublin), en attendant que la construction du bâtiment d'affectation définitive à Grange soit terminée et que l'OAV soit définitivement transféré à Grange vers 2002.

8.
    Les requérants sont des fonctionnaires et agents qui ont été détachés au siège de l'OAV à Dublin.

9.
    Les requérants dans l'affaire T-201/00 ont introduit, le 13 décembre 1999, une réclamation, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, à l'encontre des décisions établissant leurs bulletins de rémunération de septembre à décembre 1999. Cette réclamation a fait l'objet d'un rejet explicite le 14 avril 2000.

10.
    Les requérants dans l'affaire T-384/00, qui sont, à l'exception de treize d'entre eux, les mêmes que ceux de l'affaire T-201/00, ont introduit, le 17 avril 2000, une réclamation à l'encontre des décisions établissant les bulletins de rappel de rémunération pour la période du 15 mai au 31 décembre 1999 ainsi que les bulletins de rémunération depuis le mois de janvier 2000. Cette réclamation a fait l'objet d'une décision de rejet le 7 septembre 2000.

11.
    C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 juillet 2000, les requérants, Agnès Ajour et 115 autres fonctionnaires et agents, ont déposé un recours enregistré sous le numéro T-201/00.

12.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 décembre 2000, les requérants, Agnès Ajour et 128 autres fonctionnaires et agents, ont déposé un recours enregistré sous le numéro T-384/00.

13.
    Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 7 février 2001, les affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

14.
    Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 29 mai 2001, le Conseil a été admis à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission. Cependant, dans la mesure où cette demande d'intervention a été présentée après l'expiration du délai de six semaines visé à l'article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le Conseil a été autorisé à présenter ses observations uniquement à la procédure orale en application de l'article 116, paragraphe 6, du même règlement de procédure.

15.
    En raison de la modification de la composition des chambres du Tribunal à partir du 20 septembre 2001, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre et les présentes affaires ont été, par conséquent, attribuées à cette chambre.

16.
    Dans le mémoire en réplique, l'avocat des requérants a informé le Tribunal qu'un des requérants dans l'affaire T-201/00, M. Kienersberger, était décédé. Par lettre du 20 février 2002, le Tribunal a invité les ayants droit de M. Kienersberger à lui faire savoir s'ils avaient l'intention de continuer la procédure et il a fixé, à cette fin, un délai jusqu'au 7 mars 2002. Ce délai, sur demande de l'avocat des requérants, a été prorogé jusqu'au 10 avril 2002 sans que, néanmoins, les ayants droit de M. Kienersberger se soient prononcés.

17.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction ou d'organisation de la procédure.

18.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l'audience du 16 avril 2002.

19.
    À l'audience, les requérants se sont désistés des conclusions qu'ils avaient formulées dans l'affaire T-201/00 ayant trait à la disparité des conditions de travail auxquelles ils seraient soumis par rapport aux conditions dont bénéficieraient les fonctionnaires de la Commission affectés à Bruxelles. Le Tribunal en a pris acte.

20.
    À l'audience, la Commission a renoncé à invoquer l'irrecevabilité d'un document, intitulé «Application of the Corrector Coefficient for Ireland» (application du coefficient correcteur pour l'Irlande), qui n'aurait été produit par les requérants qu'au stade de la requête. Les requérants ont, quant à eux, renoncé à invoquer l'irrecevabilité des arguments de la Commission tirés de l'absence de preuves sérieuses à l'appui du recours, qui n'auraient pas été soulevés au stade de la procédure précontentieuse.

21.
    La procédure orale s'est terminée le 30 avril 2002, à la suite de la réception des observations de la défenderesse sur un document que les requérants ont été autorisés par le Tribunal à verser au dossier lors de l'audience.

Conclusions des parties

22.
    Dans l'affaire T-201/00, les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler leurs bulletins de rémunération établis pour les mois de septembre à décembre 1999;

-    condamner la Commission aux dépens.

23.
    Dans l'affaire T-384/00, les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler leurs bulletins de rappel de rémunération du 15 mai au 31 décembre 1999 et leurs bulletins de rémunération établis depuis janvier 2000 en application du règlement n° 2700/1999;

-    en ce qui concerne les requérants qui ne sont pas des requérants dans l'affaire T-201/00, annuler leurs bulletins de rémunération établis depuis janvier 2000;

-    ordonner à la Commission de produire certains documents;

-    condamner la Commission aux dépens.

24.
    La Commission, dans les affaires T-201/00 et T-384/00, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

Observations préliminaires

25.
    À titre liminaire, il y a lieu de constater que M. Kienersberger, requérant dans l'affaire T-201/00, est décédé en cours d'instance et que ses ayants droit n'ont, malgré les sollicitations du Tribunal, jamais manifesté leur intention de continuer la procédure. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de statuer à l'égard de ce requérant et de ses ayants droit.

En droit

26.
    Les requérants invoquent un moyen unique tiré de l'illégalité du coefficient correcteur fixé pour l'Irlande par le règlement n° 2700/99.

Arguments des parties

27.
    Les requérants considèrent que le coefficient correcteur fixé pour l'Irlande par le règlement n° 2700/1999 ne reflète pas le coût de la vie à Dublin et que, par conséquent, son application enfreint le principe fondamental d'équivalence de pouvoir d'achat entre tous les fonctionnaires énoncé à l'article 64 du statut.

28.
    En premier lieu, les requérants font valoir que le coefficient correcteur contesté est calculé par référence au coût de la vie en Irlande et non par référence au coût de la vie à Dublin, qui serait supérieur, contrairement à la jurisprudence du Tribunal selon laquelle les coefficients correcteurs sont fixés pour chaque État membre par rapport au coût de la vie dans sa capitale (arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Chavane de Dalmassy e.a./Commission, T-64/92, RecFP p. I-A-227 et II-723, points 53 et 54).

29.
    En effet, l'Office statistique des Communautés européennes (Eurostat) prendrait pour base les données transmises par le Central Statistics Office (office central statistique irlandais, ci-après le «CSO») et établies pour l'Irlande en général,données qui ne permettraient pas de prendre en compte les spécificités du coût réel de la vie à Dublin, notamment en matière de logement.

30.
    En deuxième lieu, les requérants indiquent que, à la demande de la Commission, le comité du personnel de l'OAV a analysé, dans le document intitulé «Application of the Corrector Coefficient for Ireland» (voir, ci-dessus, point 20), d'une part, les éléments précis sur la base desquels il apparaît que la méthode de calcul du coefficient correcteur a été incorrectement appliquée et, d'autre part, les lacunes de la méthode elle-même, compte tenu de la situation spécifique de Dublin par rapport au reste de l'Irlande.

31.
    Il ressortirait de ce document que la méthode de détermination du coefficient correcteur peut être considérée comme fiable lorsque les conditions suivantes sont réunies: a) l'inflation du pays se maintient dans les limites de certains paramètres; b) l'économie du pays connaît une croissance normale; c) les prix et les données statistiques sont pertinents, actualisés et fiables; d) les fonctionnaires et agents de la Commission résident sur place depuis des périodes de temps plus ou moins longues (distribution homogène de la population).

32.
    Lorsque l'un de ces critères n'est pas rempli, le coefficient correcteur serait invalide. La marge d'erreur serait fonction des conditions non remplies et du degré de non-correspondance.

33.
    En outre, de manière générale, lorsque des données fiables relatives au coût de la vie sont disponibles, une révision de ces données tous les cinq ans pourrait être considérée comme normale. En revanche, lorsque l'index des prix à la consommation n'est pas susceptible de refléter fidèlement les variations du coût de la vie dans un lieu d'affectation, comme en l'espèce, une révision plus fréquente, le cas échéant annuelle, s'imposerait. Par conséquent, dans le cadre d'une économie à évolution rapide avec un taux d'inflation élevé, comme celui de l'Irlande, cet intervalle de temps serait trop long. La Commission ne pourrait dès lors se contenter de prendre pour base de calcul des données ne faisant l'objet que de révisions triennales.

34.
    En troisième lieu, s'agissant particulièrement du montant des loyers, les requérants soutiennent que le système de calcul utilisé n'est pas fiable dans la mesure où il est fondé sur des données statistiques non pertinentes compte tenu de la situation particulière de Dublin.

35.
    En effet, Eurostat procéderait à l'adaptation des loyers de base sur l'index du CSO, qui serait établi sur des données nationales et non sur les données de la capitale. De plus, l'index déterminé par le CSO inclurait également des données relatives aux logements sociaux.

36.
    En outre, la procédure d'estimation des loyers par les agents immobiliers aurait été modifiée avec effet à partir de l'an 2000. Ceux-ci fourniraient désormais une«estimation» de loyer-type par catégorie de logement. Ce changement aurait pour effet d'introduire dans l'estimation un élément subjectif qui n'offrirait pas la garantie d'être fondé sur des principes statistiques sains, tels que le calcul d'un loyer médian. De plus, un certain nombre d'immeubles inclus dans l'enquête des agents immobiliers seraient de taille trop importante et ne seraient pas représentatifs pour Dublin, ainsi qu'il aurait été relevé par certains agents immobiliers au cours de l'enquête.

37.
    Le calcul du coefficient correcteur serait basé sur des données remontant jusqu'à cinq ans, ce qui ne serait pas suffisant.

38.
    Finalement, la Commission ne tiendrait pas compte d'un élément fondamental et spécifique à Dublin, à savoir que le montant des loyers ne serait pas lié à l'index des prix à la consommation, contrairement au système en vigueur à Bruxelles. Le système de calcul utilisé par la Commission serait d'autant moins adapté que les baux à Dublin seraient généralement de courte durée, en général douze mois, et que les fonctionnaires affectés à Dublin signeraient plusieurs contrats de bail au cours de leur affectation. Par conséquent, ces fonctionnaires ne bénéficieraient d'aucune stabilité ni quant à la durée des baux ni quant au montant des loyers. Ceux-ci seraient sujets à des augmentations fréquentes et sans limites. En effet, il serait courant que les propriétaires augmentent le loyer chaque année pour le faire correspondre ou approcher des prix du marché. Le montant des loyers augmenterait également beaucoup plus rapidement qu'à Bruxelles (100 % en cinq ans). Cette augmentation ne serait pas adéquatement prise en compte dans l'index des prix à la consommation.

39.
    En conséquence, la Commission aurait manqué à son obligation de procéder au contrôle de la qualité des données de base et des méthodes statistiques utilisées afin de déterminer les facteurs à prendre en compte pour l'adaptation des rémunérations et, en particulier, de procéder à toutes évaluations ou études nécessaires en vue de ce contrôle.

40.
    Les requérants présentent, à l'appui de leur thèse un document intitulé «Summary of price comparison Dub/Brux» (sommaire de la comparaison des prix Dub/Brux), élaboré à la suite de trois enquêtes menées par le comité du personnel de l'OAV afin de calculer des parités. La méthode utilisée serait celle adoptée par Eurostat en ce qui concerne la classification des produits et l'utilisation des pondérations attribuées aux différents groupes de produits. Le tableau serait représentatif des prix pratiqués pour la période se situant entre décembre 2000 et mars 2001.

41.
    Ce document démontrerait que les chiffres réels sont différents de ceux recueillis par Eurostat et que cette différence aurait eu une conséquence sur le coefficient correcteur déterminé. En effet, l'analyse aurait abouti à un coefficient correcteur total pondéré, hors loyers, de 144,4 et, loyers compris, de 152,6, tandis que le coefficient correcteur établi pour l'Irlande entre le 1er juillet 2000 et le 30 juin 2001 serait de 103 et de 116,5 respectivement.

42.
    À plusieurs reprises, le personnel de l'OAV aurait informé l'autorité investie du pouvoir de nomination de ses inquiétudes à cet égard ainsi que des critiques dont les données officielles du CSO auraient fait l'objet, non seulement dans la presse nationale et internationale, mais aussi de la part de banques d'affaires irlandaises et de la Banque centrale d'Irlande.

43.
    Les requérants concluent que la Commission a fait application, pour l'établissement des bulletins de rémunération, d'un coefficient correcteur ne garantissant pas un niveau de vie et un pouvoir d'achat équivalents entre les fonctionnaires des Communautés européennes affectés à Bruxelles et les fonctionnaires affectés à Dublin. Ce faisant, elle aurait manqué aux obligations découlant des articles 64 et 65 bis du statut et de l'annexe XI du statut. Elle aurait également enfreint les principes de bonne gestion, de bonne administration et d'égalité de traitement.

44.
    La Commission, soutenue par le Conseil, conteste les arguments des requérants.

Appréciation du Tribunal

45.
    Le principe d'équivalence de pouvoir d'achat entre les fonctionnaires implique que les droits pécuniaires des fonctionnaires et agents procurent, à situations professionnelle et familiale équivalentes, un pouvoir d'achat identique quel que soit le lieu d'affectation. Ce principe est mis en oeuvre par l'application de coefficients correcteurs à la rémunération exprimant le rapport entre le coût de la vie à Bruxelles, ville de référence, et celui des différents lieux d'affectation.

46.
    En matière d'établissement ou de révision des coefficients correcteurs, l'annexe XI du statut confie à Eurostat la charge de calculer, en accord avec les services statistiques des États membres, les parités économiques et de vérifier si les rapports entre coefficients correcteurs établissent correctement les équivalences de pouvoir d'achat (arrêt du Tribunal du 7 décembre 1995, Abello e.a./Commission, T-544/93 et T-566/93, RecFP p. I-A-271 et II-815, point 55).

47.
    À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le libellé des dispositions des articles 64 et 65 du statut et de l'annexe XI du statut ainsi que le degré de complexité de la matière impliquent que les institutions disposent d'une large marge d'appréciation quant aux facteurs et éléments à prendre en considération lors de l'adaptation des rémunérations des fonctionnaires communautaires (arrêt Abello e.a./Commission, précité, point 53).

48.
    Dès lors, l'appréciation du juge communautaire, en ce qui concerne la définition et le choix des données de base et des méthodes statistiques utilisées par Eurostat pour l'établissement des propositions de coefficients correcteurs, doit se limiter au contrôle du respect des principes énoncés par les dispositions du statut, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation des faits à la base de la fixation des coefficients correcteurs et de l'absence de détournement de pouvoir (arrêts duTribunal Abello e.a./Commission, précité, point 56, et du 8 novembre 2000, Bareyt e.a./Commission, T-158/98, RecFP p. I-A-235 et II-1085, point 57).

49.
    Il convient de souligner, en outre, qu'il incombe aux parties qui veulent mettre en cause les éléments et la méthode utilisés par la Commission afin de fixer les coefficients correcteurs de fournir des éléments susceptibles de démontrer qu'une erreur manifeste a été commise. De surcroît, à supposer que les requérants démontrent qu'une erreur s'est produite à l'égard du coût réel d'un tel produit ou service, cela ne saurait, en soi, entraîner l'illégalité du coefficient litigieux. En effet, les parités étant établies sur la base de 173 «positions élémentaires» qui regroupent, selon les explications de la Commission non réfutées par les requérants, plus de 3 000 produits et services, il faudrait encore démontrer l'impact d'une telle erreur sur le calcul de la parité globale et, par conséquent, sur le calcul du coefficient correcteur (voir, en ce sens, arrêts Abello e.a./Commission, précité, point 79, et Bareyt e.a./Commission, précité, point 64).

50.
    Les requérants estiment, en substance, que la méthode utilisée par Eurostat pour calculer le coefficient correcteur pour l'Irlande est illégale, parce que, premièrement, cette méthode utiliserait des prix relevés en Irlande et non à Dublin, deuxièmement, elle ne tiendrait pas compte des spécificités du coût de la vie à Dublin, notamment en ce qui concerne les montants des loyers, et, troisièmement, elle ne tiendrait pas non plus compte de l'évolution rapide du coût de la vie en Irlande ni du taux élevé de l'inflation dans ce pays.

51.
    En ce qui concerne la première partie de l'argumentation, tendant à établir que la méthode appliquée utiliserait des prix relevés en Irlande et non à Dublin, il convient d'exposer qu'aux termes de l'article premier, paragraphe 3, sous a), de l'annexe XI du statut «[Eurostat] calcule, en accord avec les instituts nationaux, les parités économiques qui établissent les équivalences de pouvoir d'achat entre les rémunérations payées aux fonctionnaires des Communautés européennes en service à l'intérieur des États membres dans les capitales et certains autres lieux d'affectation [...], par référence à Bruxelles».

52.
    Selon l'article 9 de la même annexe du statut, en cas de «distorsion sensible du pouvoir d'achat dans un lieu déterminé par rapport à celui constaté dans la capitale de l'État membre concerné, le Conseil, sur proposition de la Commission et conformément à l'article 64, deuxième alinéa, du statut, décide la fixation d'un coefficient correcteur pour ce lieu».

53.
    Or, comme il a été déjà jugé par le Tribunal, il ressort de ces dispositions que les coefficients correcteurs sont en principe fixés pour chaque État membre par rapport au coût de la vie dans sa capitale (arrêt Chavane de Dalmassy e.a./Commission, précité, points 53 et 54).

54.
    Sur ce point, la Commission a précisé que les données prises pour le calcul du coefficient correcteur pour l'Irlande sont relevées par Eurostat sur la based'enquêtes continues visant les prix à Dublin et non les prix en Irlande. Les données du CSO serviraient uniquement pour la mise à jour de ces données.

55.
    Afin de contredire cette thèse, le seul élément de preuve que les requérants ont joint au dossier est un document de la Commission du 25 octobre 1999, déposé lors de l'audience, qui reprend les conclusions d'une réunion du groupe de travail mixte «Dublin», qui a eu lieu le 8 octobre 1999. Dans ce document, il est indiqué qu'un fonctionnaire de la Commission aurait, à la suite d'une intervention d'un fonctionnaire de l'OAV, précisé «que le calcul du coefficient correcteur est de la responsabilité exclusive d'Eurostat, qui se base sur les éléments fournis par les offices statistiques nationaux, notamment, pour ce qui concerne Dublin, sur l'index loyer fourni par les autorités irlandaises».

56.
    Or, à considérer même que l'affirmation d'un fonctionnaire de la Commission, fût-ce celle d'un fonctionnaire spécialisé, reprise lors d'une réunion dont le contexte exact n'est pas connu, puisse remettre en cause les affirmations de la Commission, force est de constater que la précision fournie par le fonctionnaire ne soutient pas les prétentions des requérants. En effet, il en ressort que, même si les éléments pris en compte par Eurostat sont ceux fournis par les autorités irlandaises, ils se réfèrent à Dublin et non à l'Irlande en général.

57.
    Il y a donc lieu de rejeter cette partie de l'argumentation des requérants.

58.
    S'agissant de l'argument tendant à établir que la méthode de calcul utilisée par Eurostat est incorrecte en ce qu'elle ne tient pas compte des spécificités du coût de la vie à Dublin, les requérants ont joint au dossier deux documents à l'appui de leurs arguments.

59.
    Le premier est le document intitulé «Application of the Corrector Coefficient for Ireland» (voir, ci-dessus, point 20), qui contient exactement les mêmes critiques que celles formulées par les requérants dans les présents recours. Ces critiques sont formulées de manière générale et sans qu'aucune indication soit avancée ni quant aux sources des éléments repris dans ce document ni quant au raisonnement qui a précédé les conclusions y figurant.

60.
    Le deuxième document, intitulé «Summary of price comparison Dub/Brux» (voir, ci-dessus, point 40), consiste en un tableau relevant les prix de 90 produits à Dublin et à Bruxelles et dans lequel il est conclu que le coefficient correcteur correct pour Dublin, par rapport à Bruxelles, serait de 144,4, hors loyers, et de 152,5, loyers compris.

61.
    Or, il suffit de constater que l'étude contenue dans ce dernier document comporte de nombreuses limitations par rapport à la méthode utilisée par Eurostat, telle qu'elle a été exposée par la Commission et qui n'est pas contestée par les requérants. D'abord, le panier utilisé est constitué de 90 produits tandis que celui d'Eurostat est constitué de plus de 3 000 produits; ensuite, le panier de produitsutilisé comporte uniquement des biens, tandis que celui d'Eurostat comporte des biens mais aussi des services; et, finalement, les prix relevés par Eurostat sont recueillis par des enquêteurs professionnels indépendants, selon un échantillon établi de manière à garantir la représentativité de tous les types de points de vente, tandis que l'enquête présentée par les requérants a été menée par l'association du personnel de l'OAV avec l'objectif de démontrer que le coût de la vie à Dublin était élevé. Par ailleurs, ce document ne comporte aucune référence à une procédure de validation des résultats, contrairement aux données d'Eurostat, qui sont soumises à des vérifications et contre-vérifications. En conséquence, le document en question ne saurait mettre en cause l'application de la méthode utilisée par Eurostat dans le cas d'espèce.

62.
    Dans ces circonstances, force est de constater que les documents fournis par les requérants ne comportent pas d'éléments suffisamment précis et fiables pour susciter des doutes sur la validité de la méthode utilisée par Eurostat, et que, par conséquent, ils ne sont pas de nature à démontrer que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en établissant le coefficient correcteur pour l'Irlande selon cette méthode.

63.
    S'agissant plus particulièrement du coût des loyers, il résulte des explications fournies par la Commission que les données relatives aux loyers sont recueillies par Eurostat, qui procède à des enquêtes annuelles sur le montant des loyers à Dublin. Les résultats de ces enquêtes sont intégrés dans les adaptations annuelles du coefficient correcteur. Pour ce faire, Eurostat interroge un certain nombre d'agences immobilières dans la capitale en question.

64.
    À cet égard, il convient de relever que, dans l'arrêt Abello e.a./Commission, précité (point 64), le Tribunal a déjà jugé la méthode d'enquête auprès des agences immobilières comme étant appropriée. De plus, le fait que les prix relevés soient basés sur un loyer-type indiqué par des agences immobilières n'implique pas, sans aucune autre précision, que cette valeur n'est pas calculée sur la base de données objectives.

65.
    Force est de constater que l'argumentation des requérants est basée sur des affirmations d'ordre général, sans qu'ils aient apporté aucun élément permettant de les fonder ou, à tout le moins, de susciter un doute quant à la fiabilité des prix utilisés par Eurostat. Sur ce point, il convient de souligner que, pour contester les prix des loyers pris en compte par Eurostat, il ne suffit pas de brandir des articles de presse faisant état du coût élevé du logement à Dublin ou du fait que celui-ci suit une évolution rapide. En tout état de cause, à supposer même que les affirmations des requérants correspondent à la réalité, ils n'ont avancé aucun élément tendant à démontrer que l'augmentation du coût de la vie à Dublin n'a pas été correctement intégrée dans le calcul du coefficient correcteur litigieux.

66.
    Il s'ensuit, que cette partie de l'argumentation des requérants ne saurait non plus être accueillie.

67.
    Finalement, concernant l'argumentation relative au fait que la méthode utilisée par la Commission ne reflète pas l'évolution rapide du coût de la vie en Irlande ni le taux élevé de l'inflation vérifié dans ce pays, il y a lieu de considérer que, même si l'Irlande enregistre un taux d'inflation plus élevé que la moyenne de l'Union européenne, les requérants n'ont avancé aucun élément permettant d'établir que cette augmentation n'est pas reflétée par les prix relevés par Eurostat, qui font l'objet d'adaptations intermédiaires, dans la mesure où chaque position est vérifiée par Eurostat par enquête directe une fois tous les trois ans, et même par enquêtes annuelles, en ce qui concerne les loyers, en accord avec les services nationaux de statistiques.

68.
    En revanche, il ressort des différents règlements du Conseil qui ont fixé les coefficients correcteurs depuis 1998 et jusqu'à la date de l'introduction des présents recours que le coefficient correcteur fixé pour l'Irlande a augmenté de 104,2 à 116,5 [voir règlements (CE, CECA, Euratom) n° 2762/98 du Conseil, du 17 décembre 1998 (JO L 346, p.1), n° 2700/1999 et n° 2804/2000 du Conseil, du 18 décembre 2000 (JO L 326, p. 3), adaptant à compter respectivement du 1er juillet 1998, du 1er juillet 1999 et du 1er juillet 2000, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions], ce qui constitue un indice que la Commission et le Conseil tirent des conséquences de l'augmentation du coût de la vie à Dublin pour l'établissement du coefficient correcteur pour l'Irlande.

69.
    Sur ce point, il ne faut pas perdre de vue, comme cela a été relevé par le Conseil à l'audience, que les coefficients correcteurs sont toujours établis par rapport au coût de la vie vérifié à Bruxelles, principal lieu d'affectation des fonctionnaires des Communautés européennes, et que, dans ces circonstances, l'évolution du coût de la vie dans cette ville est nécessairement prise en considération dans la fixation des coefficients correcteurs fixés pour les autres lieux d'affectation. Pour ce qui concerne Dublin, étant donné que l'augmentation du coût de la vie vérifiée dans cette ville est supérieure à celle qui a eu lieu à Bruxelles durant la période concernée, le coefficient correcteur pour l'Irlande ne reflète pas, en termes absolus, l'augmentation vérifiée à Dublin, mais il reflète uniquement la différence d'augmentation du coût de la vie vérifiée dans les deux villes.

70.
    De surcroît, aux termes de l'article 6 du règlement n° 2700/1999, le coefficient correcteur pour l'Irlande, qui est fixé à 109,7 avec effet au 1er juillet 1999, a été relevé à 112,7 entre le 1er mai et le 1er juillet 1999. Selon les explications fournies oralement par l'avocat des requérants à l'audience en réponse à une question du Tribunal, cette augmentation supplémentaire aurait pour objectif de compenser, de manière rétroactive, en application de l'article 65, paragraphe 2, du statut, l'augmentation de l'inflation vérifiée en Irlande.

71.
    Les requérants font valoir que cette augmentation du coefficient correcteur ne serait pas suffisante pour maintenir le principe de l'équivalence du pouvoir d'achatentre les fonctionnaires de la Communauté. Toutefois, ils n'ont fourni aucun élément permettant de soutenir leur thèse.

72.
    Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les requérants n'ont pas fourni le moindre élément susceptible de faire douter de la fiabilité de la méthode et des moyens utilisés par Eurostat pour fixer le coefficient correcteur litigieux et qu'ils n'ont donc pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en établissant ce coefficient correcteur. Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter les recours comme étant non fondés.

Sur la demande de production de documents

73.
    Dans leur mémoire en réplique, les requérants ont reproché à la Commission de s'être abstenue de produire le moindre document permettant d'examiner les chiffres pris pour référence et les enquêtes effectuées par Eurostat en vue de la détermination des parités et de la fixation du coefficient correcteur, de sorte qu'il ne serait pas possible de vérifier les références utilisées par Eurostat. Ils ont indiqué qu'il est contradictoire que la Commission prétende que les requérants doivent démontrer que les chiffres réels sont différents de ceux recueillis par Eurostat, tout en ne permettant pas elle-même au Tribunal de disposer des éléments de comparaison indispensables. En conséquence, les requérants ont demandé au Tribunal d'ordonner à la Commission de produire ces éléments de comparaison.

74.
    Il convient de rappeler qu'il incombe à celui qui fait une allégation devant le juge d'apporter des indices suffisamment précis, objectifs et concordants de nature à soutenir sa véracité ou sa vraisemblance (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C-274/99 P, Rec. p. I-1611, point 113).

75.
    Dans ces conditions, l'implication du Tribunal dans la recherche des éléments de preuve au bénéfice des requérants doit se limiter à des cas exceptionnels dans lesquels, notamment, les requérants ont besoin, pour étayer leur argumentation, de certains éléments détenus par la partie défenderesse et se heurtent à des difficultés dans l'obtention de ces éléments, voire même à un refus de la part de cette partie.

76.
    Or, dans le cas d'espèce, les requérants n'ont jamais fait état, jusqu'à l'audience, d'une quelconque difficulté dans l'obtention des données qu'ils considèrent nécessaires au soutien de leur argumentation. En effet, c'est à l'audience que les requérants ont pour la première fois exposé oralement qu'ils avaient demandé à la Commission de manière informelle, lors des réunions interservices, la production des données d'Eurostat afin de pouvoir les analyser et, le cas échéant, les contester, et que cette demande n'avait pas abouti.

77.
    En outre, en réponse à une question du Tribunal, ils ont affirmé qu'ils n'avaient jamais fait de demande formelle en ce sens. Ce fait est par ailleurs confirmé par la lecture des réclamations introduites par les requérants auprès de la Commissionet dont le rejet a fait l'objet des présents recours, desquelles il ressort qu'aucune demande de production de documents n'a été faite.

78.
    Il résulte de ce qui précède que les requérants non seulement ne se sont pas réellement efforcés d'obtenir eux-mêmes lesdits éléments de la Commission, mais aussi qu'ils n'ont pas fourni au Tribunal en temps utile les informations nécessaires pour que celui-ci puisse, au cas où il l'aurait estimé justifié, ordonner la production de ces éléments sans mettre en cause le bon déroulement de la procédure.

79.
    Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu'il convient de rejeter la présente demande.

Sur les dépens

80.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Chaque partie supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

déclare et arrête:

1)    Il n'y a pas lieu de statuer dans l'affaire T-201/00 à l'égard de M.     Kienersberger et de ses ayants droit.

2)    Les recours sont rejetés.

3)    Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Moura Ramos
Pirrung
Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 septembre 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: le français.