Language of document : ECLI:EU:T:2006:264

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

26 septembre 2006(*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Plainte – Classement de la plainte – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑94/05,

Athinaïki Techniki AE, établie à Athènes (Grèce), représentée par Me S. Pappas, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. D. Triantafyllou, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

soutenue par

Athens Resort Casino AE Symmetochon, établie à Marrousi (Grèce), représentée par Mme F. Carlin, barrister, Mes N. Niejahr, J. Dryllerakis, F. Spyropoulos et N. Korogiannakis, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la lettre de la Commission du 2 décembre 2004, informant la requérante du classement de sa plainte portant sur une aide d’État prétendument accordée par la République hellénique au consortium Hyatt Regency dans le cadre du marché public Casino Mont Parnès,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, A. W. H. Meij et Mme I. Pelikánová, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        En octobre 2001, les autorités helléniques ont ouvert une procédure de passation de marché public en vue de céder 49 % du capital du casino Mont Parnès. Deux candidats étaient en concurrence, à savoir le consortium Casino Attikis et Hyatt Consortium. À la suite d’une procédure prétendument viciée, le marché a été accordé à Hyatt Consortium.

2        Membre du consortium Casino Attikis, Egnatia SA, à laquelle a succédé, à la suite d’une fusion, Athinaïki Techniki AE (ci-après la « requérante »), a déposé des plaintes respectivement auprès des services de la direction générale (DG) « Marché intérieur » et auprès de la DG « Concurrence » de la Commission. La première était appelée à se prononcer sur la régularité de la procédure litigieuse au regard du droit communautaire des marchés publics, tandis que la seconde était saisie d’une plainte relative à une aide d’État qui aurait été accordée à Hyatt Consortium dans le cadre de cette même procédure.

3        Par lettre du 15 juillet 2003, la DG « Concurrence » a rappelé à la requérante sa pratique décisionnelle selon laquelle la cession d’un bien public dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres ne constituait pas une aide d’État lorsque cette procédure s’était déroulée de manière transparente et non discriminatoire. En conséquence, elle l’a informée qu’elle ne se prononcerait pas avant que la DG « Marché intérieur » ait achevé l’examen de la procédure de passation du marché public en cause.

4        Par courrier électronique du 28 août 2003, le représentant de la requérante a précisé, en substance, que la plainte relative à l’existence d’une aide d’État concernait des éléments distincts de la procédure de passation du marché public et que, par conséquent, les services de la DG « Concurrence » ne devaient pas attendre les conclusions de la DG « Marché intérieur ».

5        Par courrier du 16 septembre 2003, les services de la DG « Concurrence » ont réitéré les termes du courrier du 15 juillet 2003, en invitant toutefois la requérante à leur communiquer des informations additionnelles concernant toute autre aide qui ne serait pas liée à l’adjudication du casino.

6        Par courriers du 22 janvier et du 4 août 2004, les services de la DG « Marché intérieur » ont informé la requérante qu’ils n’entendaient pas continuer l’examen des deux plaintes qui leur avaient été adressées.

7        Par lettre du 2 décembre 2004 (ci-après la « lettre attaquée »), la DG « Concurrence » a indiqué à la requérante que, par lettre du 16 septembre 2003, la Commission l’avait informée que, « sur la base des informations dont elle dispos[ait], il n’y a[vait] pas de raisons suffisantes pour continuer l’examen de cette affaire ». Dans la lettre attaquée, il était également précisé que, « faute d’informations supplémentaires justifiant la poursuite de l’enquête, la Commission a[vait] classé administrativement l’affaire le 2 juin 2004 ».

 Procédure et conclusions des parties

8        Le 11 février 2005, la requérante a fait parvenir au greffe du Tribunal une copie de la requête par télécopieur. Le 18 février 2005, l’original signé de la requête a été déposé au greffe du Tribunal.

9        Par lettre du 1er mars 2005, le greffier du Tribunal a informé la requérante qu’il avait constaté que la version de la requête envoyée par télécopieur le 11 février 2005 n’était pas, ainsi qu’il était apparu lors d’une comparaison des signatures, une copie identique de l’original signé déposé le 18 février 2005, et que la date à prendre en considération pour le dépôt de ce document était par conséquent celle du dépôt de l’original signé.

10      Par lettre du 16 mars 2005, le représentant de la requérante a expliqué au greffier du Tribunal que, lors de l’envoi de l’original de la requête par télécopieur, la dernière page de la requête avait été abîmée, de sorte qu’il avait dû la remplacer, sans toutefois avoir touché au contenu. Le représentant de la requérante a ajouté :

« Comme il s’agit d’une question de délais qui éventuellement pourrait se poser, bien que l’acte attaqué ne soit pas notifié à la requérante, je voudrais vous prier de considérer si vous pouviez accepter comme date de dépôt la date du 11 février 2005. »

11      Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le 21 avril 2005, la Commission a, en vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d’irrecevabilité.

12      Le 3 mars 2005, la requérante a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité.

13      Par requête déposée au greffe le 20 juin 2005, Athens Resort Casino AE Symmetochon a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

14      Par ordonnance du 8 septembre 2005, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis la demande en intervention.

15      Le 21 octobre 2005, l’intervenante a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité.

16      Dans l’exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

17      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        annuler la lettre attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, l’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Arguments des parties

19      Au soutien de l’exception d’irrecevabilité, la Commission avance deux moyens, tirés respectivement, d’une part, du dépôt tardif de la requête introductive d’instance et, d’autre part, de la nature non attaquable de la lettre attaquée ainsi que de l’inexistence d’une décision attaquable. Il convient d’examiner d’abord le second moyen soulevé par la Commission.

20      Dans le cadre de son second moyen, la Commission fait valoir, en substance, que la lettre attaquée, communiquée au requérant en vertu de l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), ne constitue pas un acte susceptible de recours juridictionnel. Par ailleurs, elle soutient qu’il résulte de la formulation de la lettre litigieuse que, si des informations supplémentaires parvenaient à la Commission, ses services seraient prêts à rouvrir le dossier en formalisant la démarche.

21      Elle ajoute que, lorsque la Commission se contente d’émettre des lettres informelles d’information, c’est-à-dire en cas d’absence de décision attaquable, la voie procédurale appropriée est celle du recours en carence introduit en vertu de l’article 232 CE.

22      L’intervenante soutient qu’il ressort des articles 20 et 25 du règlement n° 659/1999 que les lettres envoyées aux parties intéressées ont un caractère informel et ne constituent pas des actes attaquables en vertu de l’article 230 CE.

23      La requérante fait valoir que la Commission ne saurait se fonder sur l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 pour qualifier l’acte attaqué de lettre informative, dès lors que cette disposition ne serait d’application qu’une fois prise la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen. En revanche, seraient applicables l’article 13, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, desquels il ressortirait que le plaignant est informé du rejet de sa plainte par voie de décision et non par voie de lettre informative.

24      La requérante fait observer que l’argumentation de la Commission conduit à priver les administrés de l’accès à la justice communautaire et permet aux services de la Commission d’adopter des décisions produisant des effets juridiques, qui ne seraient pas soumises au contrôle juridictionnel. Elle soutient que le classement de sa plainte constitue un rejet de celle-ci après examen. Il n’y aurait donc pas de carence de la part de la Commission. En outre, le classement administratif de sa plainte serait formulé de façon inconditionnelle et produirait des effets juridiques obligatoires et irréversibles, de nature à affecter les intérêts de la requérante.

25      La requérante ajoute qu’il serait incohérent qu’une lettre de classement émise dans le cadre d’une procédure de concurrence soit pourvue d’un caractère décisionnel tandis qu’une lettre de classement en matière d’aide d’État serait privée de cette qualité. À cet égard, référence est faite à l’arrêt de la Cour du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission (C‑39/93 P, Rec. p. I‑2681, points 27 à 30).

 Appréciation du Tribunal

26      L’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 prévoit :

« Toute partie intéressée peut informer la Commission de toute aide illégale prétendue et de toute application prétendue abusive de l’aide. Lorsque la Commission estime, sur la base des informations dont elle dispose, qu’il n’y a pas de motifs suffisants pour se prononcer sur le cas, elle en informe la partie intéressée […] »

27      Selon une jurisprudence constante, ne constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 230 CE que des mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (voir ordonnance du Tribunal du 30 septembre 1999, UPS Europe/Commission, T‑182/98, Rec. p. II‑2857, point 39, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 10 mai 2000, SIC/Commission, T‑46/97, Rec. p. II‑2125, point 44).

28      Par ailleurs, il résulte de l’article 25 du règlement n° 659/1999 que les décisions adoptées par la Commission dans le domaine des aides d’État ont pour destinataires les États membres. Cela vaut également lorsque ces décisions concernent des mesures étatiques dénoncées dans des plaintes comme étant des aides d’État contraires au traité et qu’il en résulte que la Commission refuse d’ouvrir la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE parce qu’elle estime soit que les mesures dénoncées ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 87 CE, soit qu’elles sont compatibles avec le marché commun. Si la Commission adopte de telles décisions et en informe les plaignants, conformément à l’article 20, paragraphe 2, troisième phrase, du règlement n° 659/1999, ainsi qu’à son devoir de bonne administration, c’est la décision adressée à l’État membre qui doit, le cas échéant, faire l’objet d’un recours en annulation de la part du plaignant et non la lettre adressée à ce dernier (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 45 ; ordonnance UPS Europe/Commission, précitée, point 37, et arrêt SIC/Commission, précité, point 45).

29      En l’espèce, la lettre attaquée, qui était uniquement adressée à la requérante, l’a informée, en vertu de l’article 20 du règlement n° 659/1999, que, sur la base des informations dont elle disposait, la Commission considérait qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour se prononcer sur le cas qui lui était soumis dans la plainte. Dans la lettre attaquée, la Commission a ensuite indiqué que, faute d’avoir reçu des informations supplémentaires justifiant la poursuite de l’enquête, elle avait classé administrativement la plainte de la requérante le 2 juin 2004. La Commission n’a donc pas adopté de position définitive sur la qualification et la compatibilité avec le marché commun de la mesure faisant l’objet de la plainte de la requérante.

30      Il s’ensuit que la lettre attaquée ne constitue pas une décision au sens de l’article 25 du règlement n° 659/1999 et que celle-ci ne produit pas d’effet juridique. Cette lettre n’est donc pas susceptible de recours en vertu de l’article 230 CE.

31      Il convient de relever que la requérante ne saurait soutenir que la nature non attaquable d’une lettre de rejet de plainte conduit à priver les administrés de l’accès à la justice communautaire, dès lors que le plaignant peut fournir des informations supplémentaires afin d’étayer sa plainte. En effet, dans le cas où ces informations seraient suffisantes, la Commission serait alors tenue de prendre position sur la mesure étatique en cause par l’adoption d’une décision au sens de l’article 4 du règlement n° 659/1999, offrant ainsi au plaignant la possibilité de former un recours en annulation en vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE. Par ailleurs, ainsi que le fait observer la Commission, le plaignant a également la possibilité de former un recours en carence en vertu de l’article 232, troisième alinéa, CE.

32      La requérante ne saurait pas davantage avancer que la lettre attaquée devrait se voir reconnaître un caractère décisionnel dès lors qu’une lettre de classement émise dans une procédure relative à l’application des articles 81 CE et 82 CE en est pourvue. En effet, la procédure en matière d’aide d’État est différente de celle qui a été établie pour l’application des articles 81 CE et 82 CE. Il convient notamment de relever que, tandis que, en cas de rejet de plainte, des droits procéduraux ont été conférés aux plaignants dans le cadre de la procédure relative à l’application des articles 81 CE et 82 CE, le règlement n° 659/1999 n’en a conféré aucun aux plaignants avant l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Par ailleurs, la Cour a expressément rejeté toute obligation d’entendre les plaignants pendant la phase préliminaire d’examen des aides instituée par l’article 88, paragraphe 3, CE, afin de ne pas créer de discordances entre le régime procédural prévu par cette disposition et celui prévu par l’article 88, paragraphe 2, CE (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 59).

33      Il y a lieu, enfin, d’observer que, contrairement à ce que la requérante fait valoir, l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n° 659/1999 est d’application avant l’ouverture de la phase formelle d’examen.

34      Il convient donc de constater que le recours est irrecevable, sans qu’il soit nécessaire de statuer ni sur la première fin de non-recevoir, ni sur les autres arguments avancés par la Commission dans le cadre de sa seconde fin de non-recevoir.

 Sur les dépens

35      Selon l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par la Commission et l’intervenante, conformément aux conclusions de ces dernières.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Athinaïki Techniki AE est condamnée à supporter l’ensemble des dépens.

Fait à Luxembourg, le 26 septembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Pirrung


* Langue de procédure : le français.