Language of document : ECLI:EU:C:2019:504

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

18 juin 2019 (*)

« Manquement d’État – Articles 18, 34, 56 et 92 TFUE – Réglementation d’un État membre prévoyant une redevance d’utilisation des infrastructures pour les véhicules automobiles particuliers – Situation dans laquelle les propriétaires des véhicules immatriculés dans cet État membre bénéficient d’une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant correspondant à cette redevance »

Dans l’affaire C‑591/17,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 259 TFUE, introduit le 12 octobre 2017,

République d’Autriche, représentée par M. G. Hesse ainsi que par Mmes J. Schmoll et C. Drexel, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

Royaume des Pays-Bas, représenté par MM. J. Langer et J. M. Hoogveld ainsi que par Mme M. K. Bulterman, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme S. Eisenberg, en qualité d’agents, assistés de Me C. Hillgruber, Rechtsanwalt,

partie défenderesse,

soutenue par :

Royaume de Danemark, représenté par M. J. Nymann-Lindegren et Mme M. Wolff, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice–présidente, MM. J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev, E. Regan et C. Lycourgos, présidents de chambre, MM. E. Juhász, M. Ilešič, J. Malenovský, C. G. Fernlund, P. G. Xuereb, N. Piçarra et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 décembre 2018,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 février 2019,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la République d’Autriche demande à la Cour de constater que, en introduisant la redevance d’utilisation des infrastructures pour les véhicules automobiles particuliers par le biais de l’Infrastrukturabgabegesetz (loi relative aux redevances d’utilisation des infrastructures), du 8 juin 2015 (BGBl. I, p. 904), dans sa version issue de l’article 1er de la loi du 18 mai 2017 (BGBl. I, p. 1218) (ci-après l’« InfrAG »), et en prévoyant une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles correspondant, à tout le moins, au montant de ladite redevance pour les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, introduite dans le Kraftfahrzeugsteuergesetz (loi relative à la taxe sur les véhicules automobiles), du 26 septembre 2002 (BGBl. I, p. 3818, ci-après la « KraftStG »), par le Zweites Verkehrsteueränderungsgesetz (deuxième loi de modification de la taxe de circulation), du 8 juin 2015 (BGBl. I, p. 901), et modifiée en dernier lieu par le Gesetz zur Änderung des Zweiten Verkehrsteueränderungsgesetzes (loi modifiant la deuxième loi de modification de la taxe de circulation), du 6 juin 2017 (BGBl. I, p. 1493) (ci-après, ensemble, les « mesures nationales litigieuses »), la République fédérale d’Allemagne a violé les articles 18, 34, 56 et 92 TFUE.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        Aux termes de l’article 1er, premier alinéa, de la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1999, relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures (JO 1999, L 187, p. 42), telle que modifiée par la directive 2011/76/CE du Parlement et du Conseil, du 27 septembre 2011 (JO 2011, L 269, p. 1) (ci-après la « directive Eurovignettes »), celle-ci s’applique aux taxes sur les véhicules, aux péages et aux droits d’usage imposés aux véhicules tels que définis à son article 2. Ledit article 2, sous d), définit le terme « véhicule » au sens de la directive Eurovignettes comme « un véhicule à moteur ou un ensemble de véhicules articulés prévu ou utilisé pour le transport par route de marchandises, et d’un poids total en charge autorisé de plus de 3,5 tonnes ».

3        L’article 7 de la directive Eurovignettes dispose :

« 1.      Sans préjudice de l’article 9, paragraphe 1 bis, les États membres peuvent maintenir ou introduire des péages et/ou des droits d’usage sur le réseau routier transeuropéen ou sur certains tronçons dudit réseau, ainsi que sur tout autre tronçon de leur réseau d’autoroutes qui ne fait pas partie du réseau routier transeuropéen, selon les conditions énoncées aux paragraphes 2, 3, 4 et 5 du présent article et aux articles 7 bisà 7 duodecies. Cela ne porte pas atteinte au droit des États membres, conformément au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, d’appliquer des péages et/ou des droits d’usage sur d’autres axes routiers, pour autant que la perception de péages et/ou de droits d’usage sur ces autres axes ne présente pas de caractère discriminatoire à l’égard du trafic international et n’entraîne pas de distorsion de concurrence entre les opérateurs.

[...]

3.      Les péages et droits d’usage sont appliqués sans discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité du transporteur, de l’État membre ou du pays tiers d’établissement du transporteur ou d’immatriculation du véhicule, ou de l’origine ou de la destination du transport.

[...] »

4        L’article 7 duodecies de ladite directive prévoit :

« Sans préjudice des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la présente directive ne porte pas atteinte à la liberté qu’ont les États membres qui mettent en place un système de péage et/ou des droits d’usage pour les infrastructures d’accorder une compensation adéquate pour cette taxation. »

 Le droit allemand

 L’InfrAG

5        L’article 1er de l’InfrAG prévoit le paiement d’une redevance pour l’utilisation par les véhicules automobiles particuliers des routes fédérales (ci-après la « redevance d’utilisation des infrastructures »), au sens de l’article 1er du Bundesfernstraßengesetz (loi relative aux routes fédérales), dans sa version publiée le 28 juin 2007 (BGBl. I, p. 1206), y compris les autoroutes.

6        Conformément aux articles 3 et 7 de l’InfrAG, pour les véhicules immatriculés en Allemagne, la redevance d’utilisation des infrastructures doit être versée, sous forme de vignette annuelle, par le propriétaire du véhicule. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de l’InfrAG, le montant de la redevance est fixé par décision de l’autorité chargée de ladite redevance. La vignette est considérée comme ayant été acquise au moment de l’immatriculation.

7        Pour les véhicules immatriculés à l’étranger, l’obligation de verser la redevance, qui n’est due qu’en cas d’utilisation des autoroutes, pèse soit sur le propriétaire soit sur le conducteur pendant ladite utilisation et naît, conformément à l’article 5, paragraphe 4, de l’InfrAG, lors de la première utilisation d’une route soumise à redevance après le franchissement d’une frontière. La redevance doit être versée sous forme d’achat d’une vignette. À cet égard, il peut être opté pour une vignette de dix jours, une vignette de deux mois ou une vignette annuelle.

8        Le montant de la redevance à verser, qui fait l’objet du paragraphe 1 de l’annexe à l’article 8 de l’InfrAG, est calculé d’après la cylindrée, le moyen de propulsion (allumage commandé/allumage par compression) et la classe d’émission. Ce paragraphe est libellé comme suit :

« La redevance d’utilisation des infrastructures s’élève pour

1.      la vignette de dix jours pour les véhicules, pour lesquels, pour une vignette annuelle au titre du point 3, une redevance d’utilisation des infrastructures de

a)      moins de 20 euros doit être versée, à 2,50 euros

b)      moins de 40 euros doit être versée, à 4 euros

c)      moins de 70 euros doit être versée, à 8 euros

d)      moins de 100 euros doit être versée, à 14 euros

e)      moins de 130 euros doit être versée, à 20 euros et

f)      130 euros doit être versée, à 25 euros.

2.      la vignette de deux mois pour les véhicules, pour lesquels, pour une vignette annuelle au titre du point 3, une redevance d’utilisation des infrastructures de

a)      moins de 20 euros doit être versée, à 7 euros

b)      moins de 40 euros doit être versée, à 11 euros

c)      moins de 70 euros doit être versée, à 18 euros

d)      moins de 100 euros doit être versée, à 30 euros

e)      moins de 130 euros doit être versée, à 40 euros et

f)      130 euros doit être versée, à 50 euros.

3.      la vignette annuelle pour

a)      les véhicules au sens de l’article 1er, paragraphe 1, points 1 et 3 avec moteurs à pistons alternatifs et pistons rotatifs pour 100 cm3 de cylindrée ou une partie de ce volume lorsqu’ils

aa)      sont propulsés par des moteurs à allumage commandé et

aaa)      ne remplissent pas les exigences des classes d’émission citées aux points bbb) et ccc) ou dont le respect n’est pas correctement démontré, à 6,50 euros

bbb)      remplissent les exigences de la classe d’émission Euro 4 ou Euro 5, à 2 euros

ccc)      remplissent les exigences de la classe d’émission Euro 6, à 1,80 euros

bb)      sont propulsés par un moteur à allumage par compression et

aaa)      ne remplissent pas les exigences des classes d’émission citées aux points bbb) et ccc) ou dont le respect n’est pas correctement démontré, à 9,50 euros

bbb)      remplissent les exigences de la classe d’émission Euro 4 ou Euro 5, à 5 euros

ccc)      remplissent les exigences de la classe d’émission Euro 6, à 4,80 euros

b)      les véhicules au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 2, pour 200 kg du poids total admissible ou une partie de ce poids, à 16 euros

dans l’ensemble cependant pas plus de 130 euros. »

9        Si les routes soumises à redevance sont utilisées sans vignette valable ou si la vignette a été calculée à un niveau trop bas, la redevance est collectée a posteriori par décision, conformément à l’article 12 de l’InfrAG. Il y a alors lieu de verser la redevance à concurrence du montant de la vignette annuelle ou de la différence entre le montant déjà versé et le montant de la vignette annuelle.

10      L’article 11 de l’InfrAG prévoit un contrôle aléatoire du respect de l’obligation de payer la redevance. Conformément à l’article 11, paragraphe 7, de l’InfrAG, les autorités peuvent prélever sur le lieu du contrôle la redevance à hauteur du montant de la vignette annuelle ainsi qu’une caution d’un montant équivalent à l’amende à prévoir en vertu de l’article 14 de l’InfrAG en plus des frais de procédure. En outre, le conducteur peut se voir interdire de poursuivre sa route lorsque la redevance n’est pas payée sur le lieu du contrôle en dépit de l’invitation à le faire et qu’il existe des doutes raisonnables qu’elle sera payée plus tard ou lorsque les documents nécessaires au contrôle ne sont pas présentés, que les informations demandées ne sont pas fournies ou qu’une caution imposée n’est pas versée en tout ou en partie.

11      Selon l’article 14 de l’InfrAG, l’absence de paiement ou le paiement incomplet de la redevance, l’absence de fourniture ou la fourniture incorrecte de renseignements ainsi que le non-respect d’un ordre d’arrêter le véhicule dans le cadre du contrôle du respect de l’obligation de verser la redevance constituent des infractions administratives passibles d’amende.

 La KraftStG

12      L’article 9, paragraphe 6, de la KraftStG énonce ce qui suit :

« En ce qui concerne les véhicules nationaux, la taxe annuelle [sur les véhicules automobiles] est réduite (exonération) pour

1)      les véhicules particuliers pour 100 cm3 de cylindrée ou une partie de ce volume

a)      lorsqu’ils respectent les valeurs limites obligatoires du tableau 2 de l’annexe I du règlement (CE) no 715/2007 [du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules (JO 2007, L 171, p. 1),] et sont propulsés par

aa)      des moteurs à allumage commandé, de 2,32 euros,

bb)      des moteurs à allumage par compression, de 5,32 euros,

b)      lorsqu’ils respectent les valeurs limites obligatoires du tableau 1 de l’annexe I du règlement [no 715/2007] ou de la ligne B de la classe de véhicule M des tableaux au point 5.3.1.4 de l’annexe I de la directive 70/220/CEE [du Conseil, du 20 mars 1970, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux mesures à prendre contre la pollution de l’air par les gaz provenant des moteurs à allumage commandé équipant les véhicules à moteur (JO 1970, L 76, p. 1),] dans la version valable jusqu’au 1er janvier 2013 et sont propulsés par

aa)      des moteurs à allumage commandé, de 2 euros,

bb)      des moteurs à allumage par compression, de 5 euros,

c)      lorsqu’ils ne respectent pas les exigences au titre des points a) et b) et sont propulsés par

aa)      des moteurs à allumage commandé, de 6,50 euros,

bb)      des moteurs à allumage par compression, de 9,50 euros

dans l’ensemble cependant de pas plus de 130 euros ;

2)      les camping-cars pour 200 kg de poids total admissible ou une partie de ce poids, de 16 euros, dans l’ensemble cependant de pas plus de 130 euros ;

3)      les véhicules particuliers et les camping-cars avec

a)      un numéro d’immatriculation accordé pour les véhicules de collection, de 130 euros,

b)      un numéro d’immatriculation saisonnier accordé pour chaque jour de la période d’exploitation, de la portion du montant annuel correspondant d’après les points 1 à 3 a).

Le montant de l’exonération au titre de la première phrase est limité à la taxe annuelle au titre du paragraphe 1, points 2 et 2a, ainsi que du paragraphe 4, point 2, dans le cas des immatriculations saisonnières à la portion du montant annuel d’après la période d’exploitation. »

13      Conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la deuxième loi de modification de la taxe de circulation, l’entrée en vigueur de cette réglementation dépend du début de la collecte de la redevance d’utilisation des infrastructures, conformément à l’InfrAG.

 La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

14      Par lettre de mise en demeure du 18 juin 2015, la Commission européenne a engagé une procédure en manquement contre la République fédérale d’Allemagne, en mettant en cause, d’une part, les effets combinés des mesures nationales litigieuses et, d’autre part, les prix des vignettes de courte durée. La lettre de mise en demeure, complétée par une seconde lettre de mise en demeure du 10 décembre 2015, attirait l’attention des autorités allemandes sur une éventuelle violation par ces mesures des articles 18, 34, 45, 56 et 92 TFUE. À la suite d’un échange de vues avec les autorités allemandes et après avoir émis un avis motivé le 28 avril 2016, la Commission a décidé, le 29 septembre 2016, de saisir la Cour en vertu de l’article 258 TFUE.

15      Toutefois, à la suite de modifications apportées aux dispositions de la législation allemande critiquées par la Commission, celle-ci a décidé, le 17 mai 2017, de mettre fin à la procédure en manquement.

16      Par une lettre du 7 juillet 2017, la République d’Autriche a saisi pour avis la Commission en application de l’article 259 TFUE, au sujet d’une éventuelle violation par la République fédérale d’Allemagne des articles 18, 34, 56 et 92 TFUE résultant des effets combinés de la redevance d’utilisation des infrastructures et de l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles pour les titulaires de véhicules immatriculés en Allemagne.

17      Par lettre du 14 juillet 2017, la Commission a accusé réception de la lettre de la République d’Autriche.

18      Par lettre du 11 août 2017, la République fédérale d’Allemagne a rejeté l’argumentation de la République d’Autriche et a justifié les mesures nationales litigieuses essentiellement par le changement de système, qui est passé du financement par l’impôt au financement par les utilisateurs, ainsi que la légalité des mesures compensatoires sur la base de la directive Eurovignettes.

19      Le 31 août 2017, une audition s’est tenue au siège de la Commission, au cours de laquelle la République d’Autriche et la République fédérale d’Allemagne ont présenté chacune leurs arguments.

20      La Commission n’a pas émis d’avis motivé dans le délai de trois mois prévu à l’article 259 TFUE.

21      Le 12 octobre 2017, la République d’Autriche a alors introduit le présent recours.

22      Par décisions du président de la Cour des 15 janvier et 14 février 2018, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume de Danemark ont été admis à intervenir au soutien, respectivement, des conclusions de la République d’Autriche et de celles de la République fédérale d’Allemagne.

 Sur le recours

23      À l’appui de son recours, la République d’Autriche soulève quatre griefs à l’égard de la législation nationale en cause, étant précisé que celle-ci, quoique adoptée, n’est pas encore entrée en vigueur. Les premier et deuxième griefs sont tirés de la violation de l’article 18 TFUE résultant, d’une part, de l’effet combiné de la redevance d’utilisation des infrastructures et de l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles pour les véhicules immatriculés en Allemagne, ainsi que, d’autre part, de l’aménagement et de l’application de la redevance d’utilisation des infrastructures. Le troisième grief est tiré d’une violation des articles 34 et 56 TFUE par l’ensemble des mesures critiquées au titre des premier et deuxième griefs. Le quatrième grief est tiré d’une violation de l’article 92 TFUE par l’effet combiné de la redevance d’utilisation des infrastructures et de l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles pour les véhicules immatriculés en Allemagne.

 Sur le premier grief, tiré de la violation de l’article 18 TFUE résultant de l’effet combiné des mesures nationales litigieuses

 Argumentation des parties

24      La République d’Autriche soutient que l’effet combiné de la redevance d’utilisation des infrastructures et de l’exonération concomitante de la taxe sur les véhicules automobiles, à hauteur d’un montant au moins équivalent à celui de cette redevance, dont bénéficient les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, conduit à ce que, de facto, ladite redevance ne pèse que sur les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne, qui sont très majoritairement des ressortissants de ces États. Cette circonstance comporterait ainsi une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, contraire à l’article 18 TFUE.

25      Une telle discrimination découlerait du lien absolu et indissoluble du point de vue tant matériel que temporel existant entre la redevance d’utilisation des infrastructures et l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles pour les véhicules immatriculés en Allemagne, lien qui impliquerait que les mesures nationales litigieuses doivent être considérées et appréciées ensemble sous l’angle du droit de l’Union.

26      La République d’Autriche relève, en outre, que les mesures nationales litigieuses ont pour objet de mettre en œuvre une promesse électorale formulée lors de la campagne pour les élections au Bundestag au cours de l’année 2013 en Allemagne, visant à faire participer les conducteurs étrangers de véhicules automobiles aux coûts du financement des infrastructures allemandes sans créer de charge supplémentaire pour les propriétaires allemands de véhicules.

27      Enfin, la République d’Autriche renvoie au point 23 de l’arrêt du 19 mai 1992, Commission/Allemagne (C‑195/90, EU:C:1992:219), pour étayer l’existence de la discrimination indirecte invoquée.

28      La République fédérale d’Allemagne, après avoir reconnu que les mesures nationales litigieuses forment une unité tant d’après leur but subjectif que d’après leur contenu objectif, conteste l’existence d’une discrimination résultant de l’introduction de la redevance d’utilisation des infrastructures, même considérée en combinaison avec l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles.

29      À cet égard, la République fédérale d’Allemagne fait remarquer, premièrement, que, si l’introduction de la redevance d’utilisation des infrastructures modifie le statu quo au détriment des propriétaires et des conducteurs de véhicules immatriculés à l’étranger, elle ne comporte pas de traitement défavorable pénalisant ces propriétaires et ces conducteurs par rapport aux propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne. Au contraire, les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne seraient placés, pour ce qui est de la contribution au financement des infrastructures de transport fédérales, dans une situation plus favorable que celle des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, dès lors que les premiers ne doivent payer la redevance d’utilisation des infrastructures que lorsqu’ils utilisent les autoroutes allemandes alors que les seconds sont, en tout état de cause, soumis à cette redevance et doivent, en outre, supporter la taxe sur les véhicules automobiles, même si cette dernière peut faire l’objet d’une réduction. Par ailleurs, la charge pesant sur les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne, au titre de la redevance d’utilisation des infrastructures, correspondrait au maximum à celle pesant à ce titre, en tout état de cause, sur les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne.

30      Deuxièmement, la République fédérale d’Allemagne relève que le fait que l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles ne profite qu’aux propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne repose sur le droit de l’Union, notamment sur la directive 83/182/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, relative aux franchises fiscales applicables à l’intérieur de la Communauté en matière d’importation temporaire de certains moyens de transport (JO 1983, L 105, p. 59), laquelle fixe elle-même la répartition des droits d’imposition des véhicules d’après le lieu de l’immatriculation et, ainsi, d’après le lieu de la résidence habituelle. La délimitation des pouvoirs nationaux de taxation des véhicules automobiles opérée par cette directive, qui vise à exclure une double imposition des opérateurs du marché et des citoyens de l’Union, eu égard à l’absence d’harmonisation dans ce domaine, signifierait que, pour chaque véhicule, seule est déterminante la taxe sur les véhicules de l’État membre où ledit véhicule est immatriculé. Le montant de la taxe allemande sur les véhicules automobiles, qui ne frappe que les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, serait ainsi, pour les propriétaires de véhicules immatriculés dans les autres États membres, sans pertinence.

31      Troisièmement, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que l’introduction d’une redevance d’utilisation des infrastructures dont le produit est versé au budget des transports et est entièrement utilisé conformément à son affectation, pour l’amélioration des infrastructures de transport fédérales, répond à l’objectif de renforcer le financement par les usagers de ces infrastructures. Ledit objectif aurait conduit cet État membre à un changement de système, celui-ci devant passer d’un financement par l’impôt à un financement par les utilisateurs. Dans ce contexte, la République fédérale d’Allemagne, en faisant usage de sa compétence pour régler les impôts directs, aurait décidé d’adapter la taxe sur les véhicules automobiles, par l’introduction d’une exonération d’une partie de cette taxe, afin de maintenir la pression financière globale pesant sur les propriétaires de véhicules immatriculés dans cet État membre au niveau antérieur et de prévenir une double imposition disproportionnée.

32      Quatrièmement, la possibilité d’une compensation de la redevance d’utilisation des infrastructures par une baisse de la taxe sur les véhicules automobiles résulterait de la genèse de l’article 7, paragraphe 3, ainsi que de l’article 7 duodecies de la directive Eurovignettes, laquelle servirait de modèle en ce qui concerne les règles sur les redevances d’utilisation du réseau routier pour les véhicules automobiles particuliers. La pratique récente de certains États membres, tels que le Royaume-Uni ou le Royaume de Belgique, qui, en ce qui concerne les poids lourds, feraient usage de cette possibilité, étayerait la conformité des mesures nationales litigieuses au droit de l’Union.

33      Enfin, cinquièmement, la République fédérale d’Allemagne souligne que des déclarations effectuées lors d’une campagne électorale sont dépourvues de toute incidence sur le constat d’une éventuelle différence de traitement constitutive d’une discrimination.

34      À titre subsidiaire, la République fédérale d’Allemagne invoque, en tant que motifs justifiant l’éventuelle discrimination indirecte qui résulterait de la combinaison des mesures nationales litigieuses, des considérations liées à la protection de l’environnement, à la répartition de la charge entre les usagers des infrastructures nationaux et étrangers ainsi qu’au changement du système de financement des infrastructures de transport fédérales.

35      Le Royaume des Pays-Bas partage pour l’essentiel l’argumentation avancée par la République d’Autriche et souligne le caractère comparable, en l’occurrence, de la situation des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne et de celle des propriétaires et des conducteurs de véhicules immatriculés dans un État membre autre que l’Allemagne, qui font usage des autoroutes allemandes.

36      Le Royaume de Danemark partage, en revanche, le point de vue de la République fédérale d’Allemagne selon lequel les mesures nationales litigieuses ne sont pas discriminatoires et souligne, notamment, la compétence des États membres pour instaurer, modifier et supprimer des impôts directs et des redevances nationales non harmonisées au niveau de l’Union.

 Appréciation de la Cour

37      La République d’Autriche soutient en substance, dans le cadre de son premier grief, que la redevance d’utilisation des infrastructures et l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles pour les véhicules immatriculés en Allemagne, bien que ne reposant pas formellement sur une distinction selon la nationalité, aboutissent, par leur effet combiné, à réserver aux ressortissants allemands un traitement plus favorable que celui réservé aux ressortissants d’autres États membres et méconnaissent ainsi l’article 18, premier alinéa, TFUE.

38      Cette disposition prévoit que, dans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.

39      À cet égard, tout d’abord, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, l’article 18 TFUE, qui consacre le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité FUE ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (arrêt du 18 juillet 2017, Erzberger, C‑566/15, EU:C:2017:562, point 25 et jurisprudence citée).

40      Or, le principe de non-discrimination en raison de la nationalité est mis en œuvre, notamment, dans le domaine de la libre circulation des marchandises, à l’article 34 TFUE, lu en combinaison avec l’article 36 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2017, Medisanus, C‑296/15, EU:C:2017:431, point 65), dans celui de la libre circulation des travailleurs, à l’article 45 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2017, Bechtel, C‑20/16, EU:C:2017:488, point 32 et jurisprudence citée) et, dans celui de la libre prestation des services, aux articles 56 à 62 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2014, Strojírny Prostějov et ACO Industries Tábor, C‑53/13 et C‑80/13, EU:C:2014:2011, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

41      Il s’ensuit que, dans la présente affaire, les mesures nationales litigieuses ne sauraient être examinées au regard de l’article 18, premier alinéa, TFUE que dans la mesure où elles s’appliquent à des situations ne relevant pas de telles règles spécifiques de non-discrimination prévues par le traité FUE.

42      Ensuite, il importe de rappeler que le principe général de non‑discrimination en raison de la nationalité, que consacre l’article 18, premier alinéa, TFUE, prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a., C‑73/08, EU:C:2010:181, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

43      Afin d’apprécier le bien-fondé du premier grief de la République d’Autriche, il convient, en premier lieu, de vérifier si les mesures nationales litigieuses présentent entre elles un lien justifiant qu’elles fassent l’objet d’une appréciation conjointe au regard du droit de l’Union.

44      À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de faire observer que, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, la redevance d’utilisation des infrastructures et l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles ont été introduites le même jour, soit le 8 juin 2015, puis modifiées à des dates proches, soit, respectivement, les 18 mai 2017 et 6 juin 2017, et que l’application de cette exonération a été subordonnée au début de la collecte de ladite redevance. Par ailleurs, le montant de l’exonération dont profitent les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne correspond au montant de la redevance d’utilisation des infrastructures que ces propriétaires ont dû préalablement verser, sauf en ce qui concerne les véhicules de la classe d’émission Euro 6, dont les propriétaires bénéficient d’une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant supérieur à celui de la redevance qu’ils ont dû payer. Il en résulte que l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles a dans tous les cas pour effet, à tout le moins, de compenser, pour les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, la nouvelle charge que constitue la redevance d’utilisation des infrastructures.

45      Ensuite, s’agissant de la perception de la redevance d’utilisation des infrastructures auprès des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, la République fédérale d’Allemagne a prévu que cette redevance soit due, tout comme la taxe sur les véhicules automobiles, en raison de l’immatriculation du véhicule.

46      Force est donc de constater que, tant du point de vue temporel que du point de vue matériel, il existe un lien à ce point étroit entre les mesures nationales litigieuses qu’il est justifié de les apprécier de façon conjointe au regard du droit de l’Union, en particulier de l’article 18 TFUE. L’existence d’un tel lien est, par ailleurs, reconnue par la République fédérale d’Allemagne, ainsi qu’il ressort du point 28 du présent arrêt.

47      Il convient, en deuxième lieu, de vérifier si les mesures nationales litigieuses, appréciées conjointement, instituent une différence de traitement en raison de la nationalité.

48      À cet égard, il est constant que, en application de ces mesures, tous les usagers des autoroutes allemandes sont soumis à la redevance d’utilisation des infrastructures, indépendamment du lieu d’immatriculation de leurs véhicules. Toutefois, les propriétaires des véhicules immatriculés en Allemagne bénéficient d’une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance qu’ils ont dû verser, si bien que la charge économique de cette redevance ne repose, de facto, que sur les propriétaires et les conducteurs des véhicules immatriculés dans un État membre autre que l’Allemagne.

49      Il apparaît ainsi que, du fait de la combinaison des mesures nationales litigieuses, les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans un État membre autre que l’Allemagne, qui font usage des autoroutes allemandes, se voient traités de manière moins favorable que les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, en ce qui concerne l’utilisation de ces autoroutes, et ce alors même qu’ils se trouvent dans des situations comparables au regard de cette utilisation.

50      Une telle inégalité de traitement est particulièrement manifeste s’agissant des véhicules de la classe d’émission Euro 6. En effet, alors que les propriétaires de ce type de véhicules immatriculés en Allemagne bénéficient d’une surcompensation de la redevance d’utilisation des infrastructures, les propriétaires et les conducteurs de véhicules de la classe d’émission Euro 6 immatriculés dans un État membre autre que l’Allemagne, qui font usage des autoroutes allemandes, doivent, en tout état de cause, supporter ladite redevance. Ainsi, ces derniers sont traités moins favorablement non seulement par rapport aux propriétaires de véhicules de la classe d’émission Euro 6 immatriculés en Allemagne mais encore par rapport aux propriétaires de véhicules plus polluants immatriculés dans cet État membre.

51      Enfin, si la différence de traitement constatée n’est pas directement fondée sur la nationalité, il reste que la grande majorité des propriétaires et des conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne ne sont pas des ressortissants allemands, alors que la grande majorité des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne le sont, de telle sorte qu’une telle différence aboutit en fait au même résultat qu’une différence de traitement fondée sur la nationalité.

52      La circonstance que, d’une part, les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne sont assujettis à la redevance d’utilisation des infrastructures et sont, en outre, soumis à la taxe sur les véhicules automobiles, et que, d’autre part, le montant devant être versé par les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne, au titre de cette redevance, correspond, au maximum, à celui devant être versé par les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, au titre de la même redevance, ne modifie en rien, contrairement à ce que la République fédérale d’Allemagne prétend, la constatation figurant au point 49 du présent arrêt. Ainsi, l’inégalité de traitement constatée au détriment des propriétaires et des conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne résulte du fait que, en raison de l’exonération dont bénéficient les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, ces derniers ne sont pas, de facto, soumis à la charge économique que représente la redevance d’utilisation des infrastructures.

53      Cette constatation ne saurait non plus être infirmée par les arguments avancés par la République fédérale d’Allemagne, résumés aux points 30 à 32 du présent arrêt.

54      Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel il est conforme au droit de l’Union que l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles ne profite qu’aux propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, la Cour a certes jugé que, en l’absence d’harmonisation de la taxation des véhicules automobiles, les États membres sont libres d’exercer leur compétence fiscale en ce domaine, l’immatriculation apparaissant comme étant le corollaire naturel de l’exercice de cette compétence (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2002, Cura Anlagen, C‑451/99, EU:C:2002:195, points 40 et 41). Une telle circonstance explique que la taxe sur les véhicules automobiles ne frappe que les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, si bien que seuls ces derniers peuvent bénéficier de l’exonération de cette taxe.

55      Toutefois, cette circonstance ne signifie pas pour autant que le montant de ladite taxe ne soit pas pertinent en vue d’apprécier l’existence d’une discrimination affectant les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne.

56      En effet, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les États membres doivent exercer leur compétence en matière de fiscalité directe dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE (arrêts du 21 mars 2002, Cura Anlagen, C‑451/99, EU:C:2002:195, point 40, ainsi que du 25 juillet 2018, TTL, C‑553/16, EU:C:2018:604, point 44 et jurisprudence citée).

57      Il s’ensuit que, en instituant des taxes sur les véhicules automobiles, les États membres doivent respecter, notamment, le principe d’égalité de traitement, de telle sorte que les modalités d’application de ces taxes ne constituent pas un moyen de discrimination.

58      Or, en l’occurrence, l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles au profit des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne a pour effet de compenser intégralement la redevance d’utilisation des infrastructures acquittée par ces derniers, si bien que, ainsi qu’il a été relevé au point 48 du présent arrêt, la charge économique de ladite redevance pèse, de facto, sur les seuls propriétaires et conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne, ce qui constitue une mesure discriminatoire au détriment de ces derniers.

59      Ainsi, le montant de la taxe sur les véhicules automobiles est pertinent au regard des propriétaires et des conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne dans la mesure où les règles applicables pour sa fixation aboutissent en réalité à une différence de traitement à leur détriment.

60      Deuxièmement, comme le soutient la République fédérale d’Allemagne, il est loisible aux États membres de modifier le système de financement de leurs infrastructures routières en substituant à un système de financement par l’impôt un système de financement par l’ensemble des utilisateurs, y inclus les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans d’autres États membres faisant usage de ces infrastructures, afin que tous ces utilisateurs contribuent de manière équitable et proportionnée audit financement, pour autant que cette modification respecte le droit de l’Union, y compris le principe de non-discrimination consacré à l’article 18, premier alinéa, TFUE. Une telle modification procède du libre choix de tout État membre de définir les modalités de financement de ses infrastructures publiques, dans le respect du droit de l’Union.

61      En l’occurrence, il ressort des écritures de la République fédérale d’Allemagne que cet État membre a décidé, s’agissant de ses infrastructures de transport fédérales, de passer partiellement d’un système de financement par l’impôt à un système de financement fondé sur les principes de l’« utilisateur-payeur » et du « pollueur-payeur ».

62      Ce changement de système repose sur l’introduction de la redevance d’utilisation des infrastructures à laquelle sont soumis tous les usagers des autoroutes allemandes, que leur véhicule soit ou non immatriculé en Allemagne, et dont les recettes sont entièrement affectées au financement des infrastructures routières, la République fédérale d’Allemagne ayant aménagé les tarifs de cette redevance en fonction de la classe d’émission des véhicules concernés.

63      Force est toutefois de constater que les mesures nationales litigieuses n’apparaissent pas cohérentes au regard de l’objectif poursuivi par la République fédérale d’Allemagne lorsque celle-ci a introduit la redevance d’utilisation des infrastructures, rappelé au point 61 du présent arrêt.

64      À cet égard, la République fédérale d’Allemagne a, parallèlement à l’introduction de cette redevance, conçu un mécanisme de compensation individuelle de celle-ci, en faveur des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, par le biais d’une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles à hauteur d’un montant au moins équivalent à celui payé au titre de cette redevance.

65      Or, cet État membre ne saurait être suivi lorsqu’il soutient que cette exonération reflète le passage à un système de financement des infrastructures routières par l’ensemble des utilisateurs, en application des principes de l’« utilisateur-payeur » et du « pollueur-payeur ».

66      En effet, la République fédérale d’Allemagne a elle-même admis dans ses écritures que, du fait de l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles dont ils bénéficient, les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, en dépit de la circonstance qu’ils sont soumis au paiement de la redevance d’utilisation des infrastructures, ne subissent en réalité aucune charge supplémentaire depuis l’introduction de ladite redevance.

67      Certes, cet État membre avance que lesdits propriétaires contribuaient déjà au financement des infrastructures routières avant l’introduction de cette redevance, par le biais de la taxe sur les véhicules automobiles, et que le mécanisme de compensation vise ainsi à éviter une charge fiscale disproportionnée. Toutefois, outre le fait que la République fédérale d’Allemagne souligne elle-même, en des termes généraux, que les infrastructures fédérales sont financées par l’impôt, elle n’a apporté aucune précision quant à l’étendue de cette contribution et n’a donc aucunement établi que la compensation accordée à ces propriétaires, sous la forme d’une exonération de ladite taxe à hauteur d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance d’utilisation des infrastructures, n’excède pas ladite contribution et présente ainsi un caractère adéquat.

68      Au demeurant, s’agissant des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, il y a lieu de faire observer que la redevance d’utilisation des infrastructures est conçue de telle manière qu’elle ne dépend nullement de l’utilisation effective par ceux-ci des routes fédérales. Ainsi, d’une part, cette redevance est due même par un tel propriétaire qui n’emprunte jamais ces routes. D’autre part, le propriétaire d’un véhicule immatriculé en Allemagne est automatiquement soumis à la redevance annuelle et n’a donc pas la possibilité d’opter pour une vignette de plus courte durée si celle-ci répond mieux à sa fréquence d’utilisation desdites routes. De tels éléments, couplés à la circonstance que lesdits propriétaires bénéficient par ailleurs d’une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles à hauteur d’un montant au moins équivalent à celui payé au titre de cette redevance, démontrent que le passage à un système de financement fondé sur les principes de l’« utilisateur-payeur » et du « pollueur-payeur » vise en réalité exclusivement les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne, tandis que le principe d’un financement par l’impôt demeure d’application pour les propriétaires de véhicules immatriculés dans cet État membre.

69      Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que le mécanisme de compensation en cause en l’espèce est discriminatoire à l’égard des propriétaires et des conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne dès lors que la République fédérale d’Allemagne n’a pas été en mesure d’établir que ledit mécanisme répond à l’objectif annoncé par cet État membre de passer d’un système de financement des infrastructures par l’impôt à un système de financement par l’ensemble des utilisateurs, la réduction de la taxe sur les véhicules automobiles introduite par cet État membre ayant en fait pour conséquence l’exonération de la redevance d’utilisation des infrastructures en faveur des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne.

70      Troisièmement, la combinaison des mesures nationales litigieuses ne saurait en tout état de cause trouver de fondement, même par analogie, dans la directive Eurovignettes.

71      Il suffit de relever à cet égard qu’aucune disposition de cette directive n’autorise, dans le cadre de la taxation des poids lourds pour l’utilisation des infrastructures, un mécanisme de compensation de la redevance d’utilisation des infrastructures tel que celui en cause en l’espèce. En effet, outre que l’article 7 duodecies de ladite directive vise seulement une « compensation adéquate », cette compensation doit, en tout état de cause, respecter le droit de l’Union.

72      Par ailleurs, l’existence supposée, dans le cadre de la directive Eurovignettes, de modèles de compensation de la taxe sur les véhicules automobiles semblables au modèle en cause en l’espèce dans d’autres États membres ne saurait non plus fonder la conformité de la combinaison des mesures nationales litigieuses à l’article 18 TFUE.

73      Enfin, en troisième lieu, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une discrimination indirecte sur la base de la nationalité ne peut être justifiée que si elle se fonde sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (arrêt du 4 octobre 2012, Commission/Autriche, C‑75/11, EU:C:2012:605, point 52 et jurisprudence citée).

74      Dans ce contexte, la République fédérale d’Allemagne invoque, aux fins de justifier la discrimination indirecte résultant de la combinaison des mesures nationales litigieuses, des considérations liées à la protection de l’environnement, à la répartition de la charge entre les utilisateurs allemands et les utilisateurs étrangers afin de préserver la cohérence du régime fiscal, ainsi qu’au changement du système de financement des infrastructures.

75      S’agissant, tout d’abord, des considérations environnementales, si, conformément à la jurisprudence de la Cour, la protection de l’environnement constitue un objectif légitime aux fins de justifier une différence de traitement en raison de la nationalité (voir, par analogie, s’agissant de la justification de restrictions aux libertés fondamentales, arrêt du 3 avril 2014, Commission/Espagne, C‑428/12, non publié, EU:C:2014:218, point 36 et jurisprudence citée), la République fédérale d’Allemagne n’établit toutefois pas en quoi l’instauration d’une redevance d’utilisation des infrastructures ne frappant, de facto, que les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne serait propre à garantir cet objectif.

76      S’agissant, ensuite, de l’objectif consistant à passer d’un système de financement des infrastructures par l’impôt à un système de financement par les utilisateurs, à supposer même que cet objectif puisse justifier une différence de traitement, il ressort des points 64 à 69 du présent arrêt que la combinaison des mesures nationales litigieuses ne serait toutefois pas appropriée pour atteindre ledit objectif.

77      S’agissant, enfin, de l’argument de la République fédérale d’Allemagne tiré de l’exigence de garantir la cohérence du régime fiscal par la répartition équitable de la charge que représente la redevance d’utilisation des infrastructures, celui-ci ne saurait être retenu. En effet, comme il a été constaté au point 69 du présent arrêt, la combinaison des mesures nationales litigieuses aboutit, de facto, à exonérer de ladite redevance les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne et, partant, à limiter la charge que représente cette redevance aux seuls propriétaires et conducteurs de véhicules qui ne sont pas immatriculés dans cet État membre.

78      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le premier grief et de constater que, en introduisant la redevance d’utilisation des infrastructures et en prévoyant, simultanément, une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance versée, en faveur des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 18 TFUE.

 Sur le deuxième grief, tiré de la violation de l’article 18 TFUE résultant de l’aménagement et de l’application de la redevance d’utilisation des infrastructures

 Argumentation des parties

79      La République d’Autriche soutient que l’aménagement de la redevance d’utilisation des infrastructures est en lui-même discriminatoire et, partant, contraire à l’article 18, premier alinéa, TFUE. À cet égard, la République d’Autriche souligne que l’InfrAG opère à de nombreux égards une distinction entre les véhicules immatriculés en Allemagne et ceux immatriculés à l’étranger.

80      En particulier, les pouvoirs d’intervention prévus aux articles 11, 12 et 14 de l’InfrAG, à savoir les contrôles aléatoires, la perception d’une caution et l’interdiction de poursuivre la route, ainsi que le recouvrement a posteriori de la redevance d’utilisation des infrastructures à hauteur du montant de la vignette annuelle ou de la différence entre le montant déjà versé et celui de la vignette annuelle, en vertu de l’article 12 de l’InfrAG, ne seraient applicables qu’aux véhicules immatriculés à l’étranger.

81      L’imposition d’amendes conformément à l’article 14 de l’InfrAG viserait également très majoritairement les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne. Le fait que les éléments constitutifs de certaines infractions, telles que le « paiement incomplet de la redevance », ne peuvent être constatés que dans le chef de ces propriétaires et ces conducteurs étayerait cette affirmation.

82      L’arrêt du 19 mars 2002, Commission/Italie (C‑224/00, EU:C:2002:185, points 16 à 19), confirmerait l’existence de la différence de traitement reprochée à la République fédérale d’Allemagne.

83      La République d’Autriche reconnaît que l’objectif tenant à garantir le paiement de la redevance d’utilisation des infrastructures due par les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne pourrait éventuellement justifier la différence de traitement invoquée, en ce qui concerne les pouvoirs d’intervention et l’imposition d’amendes. Un tel objectif ne pourrait, en revanche, justifier une telle différence en ce qui concerne le recouvrement a posteriori de la redevance d’utilisation des infrastructures, au sens de l’article 12 de l’InfrAG. À ce dernier égard, la République d’Autriche renvoie également à l’arrêt du 19 mars 2002, Commission/Italie (C‑224/00, EU:C:2002:185, point 26).

84      En tout état de cause, les modalités concrètes du paiement de la redevance d’utilisation des infrastructures seraient disproportionnées.

85      En effet, s’agissant, notamment, du versement d’une caution, la République d’Autriche rappelle que, ainsi que l’a jugé la Cour au point 43 de l’arrêt du 26 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑514/03, EU:C:2006:63), dès lors qu’existe la possibilité de faire exécuter les amendes sur le fondement de dispositions du droit de l’Union ou de traités internationaux, le dépôt d’une consignation va au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir le paiement de l’amende. À cet égard, la République d’Autriche se réfère au traité de coopération judiciaire en matière administrative entre la République d’Autriche et la République fédérale d’Allemagne.

86      La République fédérale d’Allemagne précise que les règles relatives à l’exécution et au contrôle du paiement de la redevance d’utilisation des infrastructures s’appliquent sans distinction aux propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne et aux propriétaires et conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne.

87      S’il est vrai que le prélèvement d’une caution, prévue à l’article 11, paragraphe 7, de l’InfrAG, ne concerne que les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne, un tel prélèvement serait justifié dès lors que le débiteur étranger de la redevance d’utilisation des infrastructures échappe à l’emprise tant de l’autorité administrative compétente pour ladite redevance que de l’autorité administrative de contrôle, lorsqu’il quitte le territoire allemand. Par ailleurs, le prélèvement d’une caution ne serait pas obligatoire et son montant ne serait pas, en outre, disproportionné.

88      En ce qui concerne l’arrêt du 26 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑514/03, EU:C:2006:63), évoqué par la République d’Autriche, la République fédérale d’Allemagne souligne que, dans celui-ci, la Cour n’a pas considéré de manière générale que l’exigence d’un cautionnement serait disproportionnée eu égard à l’état actuel de développement de la coopération transfrontalière dans le domaine de la justice, mais a plutôt exigé, pour des motifs de proportionnalité, qu’il soit tenu compte de la constitution d’un cautionnement d’ores et déjà versé dans l’État membre d’origine, ce qui n’a pas eu lieu en l’occurrence.

89      La République fédérale d’Allemagne soutient que le recouvrement a posteriori de la redevance d’utilisation des infrastructures à hauteur du montant de la vignette annuelle ou de la différence entre le montant déjà versé et celui de la vignette annuelle vise à garantir que la redevance due sera effectivement payée, et est proportionné au regard de cet objectif. Dans ce contexte, la République fédérale d’Allemagne fait remarquer que les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne ne sont pas traités différemment que les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne qui, en tout état de cause, doivent payer le prix d’une vignette annuelle.

90      Enfin, s’agissant de l’amende prévue en cas de non-respect des obligations concernant la redevance d’utilisation des infrastructures, une telle amende ne serait ni discriminatoire ni disproportionnée. À cet égard, la République fédérale d’Allemagne relève que l’infliction d’une telle amende ne présente pas un caractère automatique et reste soumise au principe de l’interdiction de prendre des mesures excessives.

 Appréciation de la Cour

91      Il convient de vérifier si les dispositions de l’InfrAG concernant les contrôles aléatoires, l’interdiction de la poursuite de la route au moyen du véhicule concerné, le recouvrement a posteriori de la redevance d’utilisation des infrastructures, l’imposition éventuelle d’une amende ainsi que le versement d’une caution instituent une discrimination au détriment des propriétaires et des conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne et, dans l’affirmative, si celle-ci peut être justifiée.

92      À cet égard, s’agissant, en premier lieu, des dispositions de l’InfrAG concernant les contrôles aléatoires, l’interdiction de la poursuite de la route et l’éventuelle imposition d’une amende en cas de violation de l’obligation de payer la redevance d’utilisation des infrastructures due, il importe de constater, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 80 et 81 de ses conclusions, que rien dans le dossier soumis à la Cour ne permet de déduire que ces dispositions seraient applicables uniquement aux propriétaires et aux conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne.

93      Au contraire, il ressort du libellé desdites dispositions que tant les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne que les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne sont susceptibles de faire l’objet de contrôles aléatoires, aux fins de vérifier s’ils ont respecté l’obligation de payer la redevance d’utilisation des infrastructures due et, si tel n’est pas le cas, de se voir interdire de poursuivre leur route au moyen du véhicule concerné et infliger une amende, ainsi que la République fédérale d’Allemagne l’a fait valoir dans ses observations.

94      Par ailleurs, la République d’Autriche n’a pas établi que les dispositions de l’InfrAG sur ce point, quoique rédigées de façon neutre, désavantageraient particulièrement les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne.

95      À ce dernier égard, en ce qui concerne les dispositions relatives à l’imposition d’amendes, il convient de relever, d’une part, que, contrairement à ce que soutient la République d’Autriche, la circonstance que les éléments constitutifs de certaines infractions, tels que le paiement incomplet de la redevance ou la fourniture incorrecte de renseignements, ne peuvent être constatés que dans le chef des propriétaires et des conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne, n’étaye pas l’affirmation selon laquelle ces dispositions viseraient majoritairement ces derniers.

96      En effet, une telle circonstance est une conséquence inévitable des différences objectives existant entre les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne et les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne en ce qui concerne tant la fixation du montant de la redevance d’utilisation des infrastructures que le paiement de celle-ci. À cet égard, alors que les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne sont tenus de payer d’avance la redevance, sous la forme d’une vignette annuelle acquise lors de l’immatriculation des véhicules, à hauteur d’un montant fixé d’office par l’autorité compétente, les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne ne doivent s’acquitter de cette redevance que lorsqu’ils utilisent les autoroutes allemandes, après le franchissement d’une frontière, sous la forme d’une vignette d’une durée variable, selon le choix de l’usager concerné, et à hauteur d’un montant fixé d’après les informations fournies par celui-ci même.

97      D’autre part, la République d’Autriche n’a fourni aucune indication concernant le montant des éventuelles amendes susceptibles d’être infligées pour des infractions ne pouvant être commises que par les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne, de telle sorte qu’aucun élément du dossier soumis à la Cour ne permet de constater qu’un tel montant serait disproportionné par rapport à la gravité des infractions.

98      S’agissant, en deuxième lieu, du recouvrement a posteriori, prévu à l’article 12 de l’InfrAG, de la redevance d’utilisation des infrastructures non payée, à concurrence du montant de la vignette annuelle, en cas d’utilisation des autoroutes allemandes sans vignette valable, ou de la différence entre le montant déjà versé et celui de la vignette annuelle, en cas d’utilisation des autoroutes allemandes avec une vignette d’une durée de validité trop courte, une telle disposition n’apparaît pas discriminatoire, dès lors que les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne doivent également payer le montant correspondant à une vignette annuelle.

99      Par ailleurs, à supposer même que cette disposition institue une différence de traitement au détriment des propriétaires et des conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne, elle serait justifiée par l’objectif de garantir le paiement effectif de la redevance d’utilisation des infrastructures due. En effet, outre qu’une telle disposition permet d’atteindre cet objectif, l’obligation faite aux propriétaires et aux conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne de payer, en cas d’infraction, la redevance d’utilisation des infrastructures à hauteur du montant de la vignette annuelle ou de la différence entre le montant de la vignette annuelle et le montant déjà versé n’apparaît pas disproportionnée, compte tenu du fait que les autorités allemandes qui constatent, lors d’un contrôle aléatoire, une violation de l’obligation de faire l’acquisition d’une vignette pour utiliser les autoroutes allemandes ne peuvent généralement pas savoir depuis combien de temps le contrevenant circule sur ces routes sans disposer de la vignette exigible.

100    S’agissant, en troisième lieu, de la possibilité, prévue à l’article 11, paragraphe 7, de l’InfrAG, pour les autorités qui constatent, lors d’un contrôle aléatoire, la violation de l’obligation de payer la redevance d’utilisation des infrastructures due, de prélever une somme à titre de caution d’un montant équivalent à l’amende infligée et aux frais de la procédure administrative, il est vrai, ainsi que la République fédérale d’Allemagne l’a confirmé dans ses observations, que cette possibilité n’est ouverte qu’envers les contrevenants utilisant un véhicule immatriculé dans un État membre autre que l’Allemagne. Par conséquent, ladite disposition institue une différence de traitement au détriment de ces derniers.

101    La République fédérale d’Allemagne fait toutefois valoir qu’une telle différence est justifiée par la nécessité de garantir le paiement des amendes infligées aux contrevenants utilisant un véhicule immatriculé dans un État membre autre que l’Allemagne, compte tenu de la difficulté de recouvrer ces créances lorsque ces contrevenants ont quitté le territoire allemand.

102    À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que l’absence d’instruments conventionnels permettant d’assurer l’exécution d’une condamnation dans un État membre autre que celui où elle a été prononcée justifie objectivement une différence de traitement entre contrevenants résidents et non-résidents et que l’obligation de versement d’une somme à titre de caution, imposée aux seuls contrevenants non-résidents, est apte à empêcher qu’ils puissent se soustraire à une sanction effective en déclarant simplement qu’ils ne souhaitent pas consentir à la perception immédiate de l’amende (arrêt du 19 mars 2002, Commission/Italie, C‑224/00, EU:C:2002:185, point 21).

103    Eu égard à cette jurisprudence, il y a lieu de constater que l’objectif de garantir le paiement des amendes infligées aux contrevenants utilisant un véhicule immatriculé dans un État membre autre que l’Allemagne, que poursuit la possibilité d’exiger de ceux-ci le versement d’une caution, justifie la différence de traitement qui en résulte entre ces contrevenants et les contrevenants utilisant un véhicule immatriculé en Allemagne.

104    L’existence d’un accord bilatéral concernant la coopération judiciaire et administrative entre la République d’Autriche et la République fédérale d’Allemagne n’a aucune incidence à cet égard, dès lors que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 97 de ses conclusions, cette dernière n’a pas conclu d’accords similaires avec l’ensemble des autres États membres.

105    La possibilité d’exiger le versement d’une somme à titre de caution permettant d’atteindre l’objectif poursuivi, il reste à vérifier si une telle exigence va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

106    À cet égard, il convient de relever que, d’une part, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 11, paragraphe 7, de l’InfrAG, et comme la République fédérale d’Allemagne l’a fait remarquer dans ses observations, en cas de constatation, lors d’un contrôle aléatoire, d’une infraction aux dispositions nationales concernant la redevance d’utilisation des infrastructures, les autorités allemandes peuvent, et non doivent, exiger des contrevenants utilisant un véhicule immatriculé dans un État membre autre que l’Allemagne et refusant de payer immédiatement l’amende infligée de verser une caution pour garantir le paiement de cette amende.

107    Dans la mesure où le versement d’une caution n’est pas exigé d’une manière automatique de tous les contrevenants, il est raisonnable de présumer que les autorités compétentes n’imposeront cette exigence que lorsque, au vu des circonstances individuelles, il existera un risque que l’amende infligée ne puisse être perçue ou ne puisse l’être que très difficilement. En tout état de cause, la République d’Autriche n’a fourni aucun élément de nature à remettre en cause cette présomption.

108    D’autre part, il convient de relever que le montant fixé pour cette caution est limité à l’amende infligée et aux frais de la procédure administrative.

109    Dans ces conditions, il n’apparaît pas que la différence de traitement résultant de la possibilité d’exiger des contrevenants utilisant un véhicule immatriculé dans un État membre autre que l’Allemagne le versement d’une caution en vue d’assurer le paiement de l’amende infligée soit disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

110    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le deuxième grief.

 Sur le troisième grief, tiré de la violation des articles 34 et 56 TFUE

 Argumentation des parties

111    La République d’Autriche fait valoir que les mesures nationales litigieuses sont susceptibles d’avoir des effets sur les livraisons transfrontalières de marchandises effectuées par des véhicules automobiles particuliers jusqu’à 3,5 tonnes de poids total soumis à la redevance d’utilisation des infrastructures ainsi que sur les prestations de services assurées par des non–résidents voire sur les prestations de services assurées à des non-résidents, de telle sorte que lesdites mesures portent atteinte aux principes de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services.

112    Renvoyant à son argumentation développée dans le cadre des premier et deuxième griefs, la République d’Autriche souligne que les mesures nationales litigeuses sont discriminatoires et constituent également des restrictions illicites aux libertés fondamentales mentionnées au point précédent.

113    La République fédérale d’Allemagne soutient que la redevance d’utilisation des infrastructures affecte le canal de distribution des produits à vendre et constitue, dès lors, une modalité de vente, au sens de l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905), qui ne relève pas du champ d’application de l’article 34 TFUE, dès lors qu’elle n’est pas ouvertement ou de manière dissimulée discriminatoire.

114    L’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles n’aurait en outre pas de caractéristique transfrontalière puisqu’elle ne concernerait que les ressortissants nationaux et ne serait donc pas une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation.

115    En tout état de cause, le lien entre l’introduction d’une redevance d’utilisation des infrastructures pour les véhicules automobiles particuliers et d’éventuelles entraves à l’accès au marché des marchandises transportées dans ces véhicules serait, conformément à la jurisprudence de la Cour, notamment à l’arrêt du 13 octobre 1993, CMC Motorradcenter (C‑93/92, EU:C:1993:838), trop aléatoire et indirect pour que soit retenue l’existence d’une entrave à la libre circulation des marchandises, au sens de l’article 34 TFUE.

116    Par ailleurs, la République fédérale d’Allemagne soutient que la redevance d’utilisation des infrastructures ne porte pas non plus atteinte à la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE. En effet, il n’y aurait aucune restriction effective de l’accès des prestataires et des destinataires de services provenant d’autres États membres de l’Union au marché allemand puisque l’impact des mesures litigieuses sur le coût des services concernés serait marginal.

117    La République fédérale d’Allemagne rappelle que les mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent de la même manière la prestation de services entre États membres et celle interne à un État membre ne sont pas couvertes par l’article 56 TFUE (arrêt du 8 septembre 2005, Mobistar et Belgacom Mobile, C‑544/03 et C‑545/03, EU:C:2005:518, point 31). À cet égard, la République fédérale d’Allemagne souligne que les prestataires et les destinataires de services provenant d’autres États membres ne subissent, du fait de l’introduction de la redevance d’utilisation des infrastructures et de l’exonération simultanée de la taxe sur les véhicules automobiles, aucune discrimination indirecte par rapport aux prestataires et aux destinataires allemands des mêmes services.

118    Enfin, le Royaume de Danemark fait remarquer que l’article 7 duodecies de la directive Eurovignettes suppose nécessairement que l’instauration de droits d’usage frappant les poids lourds, avec une compensation concomitante pour les entreprises de transport nationales susceptible d’affecter indirectement la libre circulation des biens et la libre prestation des services, ne méconnaît pas les articles 34 et 56 TFUE. Or, il serait fondamentalement contraire aux principes qui fondent ledit article 7 duodecies qu’aucun régime de compensation de cette nature ne puisse être institué en dehors de son champ d’application.

 Appréciation de la Cour

–       Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des marchandises

119    Il convient de rappeler que la libre circulation des marchandises entre les États membres est un principe fondamental du traité FUE qui trouve son expression dans l’interdiction, énoncée à l’article 34 TFUE, des restrictions quantitatives à l’importation entre les États membres ainsi que de toutes mesures d’effet équivalent (arrêt du 27 avril 2017, Noria Distribution, C‑672/15, EU:C:2017:310, point 17 et jurisprudence citée).

120    Selon une jurisprudence constante, l’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation édictée à l’article 34 TFUE vise toute mesure des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce à l’intérieur de l’Union (arrêt du 3 avril 2014, Commission/Espagne, C‑428/12, non publié, EU:C:2014:218, point 26 et jurisprudence citée).

121    Par ailleurs, une mesure, même si elle n’a ni pour objet ni pour effet de traiter moins favorablement des produits en provenance d’autres États membres, relève également de la notion de « mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives », au sens de l’article 34 TFUE, si elle entrave l’accès au marché d’un État membre des produits originaires d’autres États membres (arrêt du 3 avril 2014, Commission/Espagne, C‑428/12, non publié, EU:C:2014:218, point 29 et jurisprudence citée).

122    Enfin, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une réglementation nationale qui constitue une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives peut être justifiée par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 36 TFUE ou par des exigences impératives. Dans l’un et l’autre cas, la disposition nationale doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (arrêts du 6 septembre 2012, Commission/Belgique, C‑150/11, EU:C:2012:539, point 53 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 novembre 2015, Visnapuu, C‑198/14, EU:C:2015:751, point 110).

123    C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient de vérifier si les mesures nationales litigieuses portent atteinte à la libre circulation des marchandises.

124    Aux fins de cette vérification, il importe de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 46 du présent arrêt, le lien existant entre ces mesures justifie leur appréciation conjointe au regard du droit de l’Union et, dès lors, de l’article 34 TFUE.

125    À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de relever que, même si la redevance d’utilisation des infrastructures n’est pas perçue sur les produits transportés en tant que tels, elle est néanmoins susceptible d’affecter les marchandises livrées au moyen de véhicules automobiles particuliers jusqu’à 3,5 tonnes immatriculés dans un État membre autre que l’Allemagne, lors du franchissement de la frontière, et doit dès lors être examinée, en combinaison avec l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles, au regard des dispositions applicables en matière de libre circulation des marchandises.

126    Ensuite, les considérations évoquées aux points 48 et 49 du présent arrêt permettent de constater que, bien que la redevance d’utilisation des infrastructures s’applique formellement tant au regard des marchandises livrées au moyen de véhicules immatriculés en Allemagne qu’au regard des marchandises livrées au moyen de véhicules immatriculés dans un État membre autre que l’Allemagne, il s’avère que, du fait de l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles, applicable au regard de la première catégorie de marchandises, ladite redevance n’est susceptible d’affecter, en fait, que la seconde catégorie de marchandises. Par conséquent, en vertu de l’application combinée des mesures nationales litigieuses, ces dernières marchandises sont traitées moins favorablement que les marchandises livrées au moyen de véhicules immatriculés en Allemagne.

127    Il résulte de ce qui précède que les mesures nationales litigieuses sont susceptibles d’entraver l’accès au marché allemand des produits en provenance d’autres États membres. En effet, la redevance d’utilisation des infrastructures à laquelle sont, en fait, seulement soumis les véhicules qui transportent ces produits est susceptible d’augmenter les coûts de transport et, par voie de conséquence, le prix desdits produits, affectant ainsi leur compétitivité.

128    L’argument de la République fédérale d’Allemagne selon lequel la redevance d’utilisation des infrastructures constitue seulement une modalité de vente, au sens de l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905), ne saurait être retenu.

129    En effet, dès lors que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 118 de ses conclusions, la notion de « modalités de vente » ne couvre que les dispositions nationales qui réglementent la manière selon laquelle les produits peuvent être commercialisés, les règles concernant la manière dont les marchandises sont susceptibles d’être transportées ne relèvent pas de cette notion.

130    Ne saurait davantage être retenu l’argument de la République fédérale d’Allemagne selon lequel les éventuels effets restrictifs de la redevance d’utilisation des infrastructures sont trop aléatoires et indirects pour porter atteinte à l’article 34 TFUE, conformément à la jurisprudence de la Cour, notamment à l’arrêt du 13 octobre 1993, CMC Motorradcenter (C‑93/92, EU:C:1993:838).

131    À cet égard, il suffit de constater que, au regard des conséquences des mesures nationales litigieuses décrites au point 127 du présent arrêt, il ne peut pas raisonnablement être soutenu que les effets restrictifs de ces mesures soient trop aléatoires et indirects pour porter atteinte à l’article 34 TFUE.

132    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les mesures nationales litigieuses constituent une restriction à la libre circulation des marchandises, contraire à l’article 34 TFUE, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée.

133    Or, à cet égard, la République fédérale d’Allemagne n’a invoqué aucun motif de nature à justifier une telle restriction. En tout état de cause, les considérations invoquées par cet État membre, en réponse au premier grief, pour justifier la différence de traitement entre les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne et les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne ne sauraient être pertinentes aux fins de justifier ladite restriction, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 75 à 77 du présent arrêt.

134    Par conséquent, les mesures nationales litigieuses constituent une restriction à la libre circulation des marchandises, contraire à l’article 34 TFUE.

–       Sur l’existence d’une restriction à la libre prestation des services

135    Il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 56 TFUE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêt du 28 avril 1998, Kohll, C‑158/96, EU:C:1998:171, point 33 et jurisprudence citée).

136    Constituent des restrictions à la libre prestation des services les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (arrêt du 25 juillet 2018, TTL, C‑553/16, EU:C:2018:604, point 46 et jurisprudence citée).

137    En revanche, ne sont pas visées à l’article 56 TFUE des mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent de la même manière la prestation de services entre États membres et celle interne à un État membre (arrêt du 8 septembre 2005, Mobistar et Belgacom Mobile, C‑544/03 et C‑545/03, EU:C:2005:518, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

138    Il convient également de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence bien établie, la libre prestation des services inclut non seulement la libre prestation des services active dans le cadre de laquelle le prestataire se déplace vers le bénéficiaire des services, mais également la libre prestation des services passive, à savoir la liberté des destinataires de services de se rendre dans un autre État membre dans lequel se trouve le prestataire pour y bénéficier de ces services (voir, en ce sens, arrêts du 2 février 1989, Cowan, 186/87, EU:C:1989:47, point 15, ainsi que du 11 septembre 2007, Schwarz et Gootjes-Schwarz, C‑76/05, EU:C:2007:492, point 36 et jurisprudence citée).

139    Enfin, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une restriction à la libre prestation des services ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité FUE et se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général, pour autant, en pareil cas, qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 25 juillet 2018, TTL, C‑553/16, EU:C:2018:604, point 52 et jurisprudence citée).

140    C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient de vérifier si les mesures nationales litigieuses, appréciées conjointement, portent atteinte à la libre prestation des services.

141    À cet égard, il n’est pas contesté que les prestataires de services qui se rendent en Allemagne pour y fournir leurs services, au moyen d’un véhicule jusqu’à 3,5 tonnes immatriculé dans un État membre autre que l’Allemagne, sont soumis à la redevance d’utilisation des infrastructures, et que ces prestataires sont majoritairement établis dans un État membre autre que l’Allemagne, tandis que les prestataires de services en Allemagne qui, aux fins de cette prestation, se déplacent au moyen d’un véhicule immatriculé dans cet État membre sont majoritairement établis en Allemagne.

142    Il n’est pas non plus contesté que les destinataires de services qui, au moyen d’un véhicule immatriculé dans un État membre autre que l’Allemagne, se rendent en Allemagne pour y bénéficier des services concernés sont soumis à ladite redevance et que ces destinataires proviennent majoritairement d’un État membre autre que l’Allemagne, alors que les destinataires de services fournis en Allemagne qui, afin de bénéficier desdits services, se déplacent dans un véhicule immatriculé en Allemagne proviennent normalement de cet État membre.

143    Par ailleurs, les considérations évoquées aux points 48 et 49 du présent arrêt permettent de constater que, du fait de l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles dont bénéficient les prestataires et les destinataires de services établis en Allemagne, la redevance d’utilisation des infrastructures ne frappe, en fait, que les prestataires et les destinataires de services provenant d’un autre État membre.

144    Il résulte de ce qui précède que les mesures nationales litigieuses sont susceptibles d’entraver l’accès des prestataires et des destinataires de services provenant d’un État membre autre que l’Allemagne au marché allemand. En effet, la redevance d’utilisation d’infrastructures est susceptible, du fait de l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles faisant partie des mesures nationales litigieuses, soit d’augmenter le coût de services fournis en Allemagne par ces prestataires, soit d’augmenter le coût que représente pour ces destinataires le fait de se rendre dans cet État membre pour y bénéficier d’un service.

145    La République fédérale d’Allemagne ne saurait se fonder valablement sur la jurisprudence énoncée au point 117 du présent arrêt pour écarter l’existence d’une entrave dans le cas d’espèce.

146    En effet, une telle jurisprudence n’est applicable que lorsque les mesures nationales en cause affectent de la même manière la prestation de services entre États membres et celle interne à un État membre, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

147    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les mesures nationales litigieuses constituent une restriction à la libre prestation des services, contraire à l’article 56 TFUE, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée.

148    Or, à cet égard, la République fédérale d’Allemagne n’a invoqué aucun motif de nature à justifier une telle restriction. En tout état de cause, les considérations invoquées par cet État membre, en réponse au premier grief, pour justifier la différence de traitement entre les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne et les propriétaires et les conducteurs de véhicules immatriculés dans des États membres autres que l’Allemagne ne sauraient être pertinentes aux fins de justifier ladite restriction, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 75 à 77 du présent arrêt.

149    Par conséquent, les mesures nationales litigieuses constituent une restriction à la libre prestation des services, contraire à l’article 56 TFUE.

150    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le troisième grief et de constater que, en introduisant la redevance d’utilisation des infrastructures et en prévoyant, simultanément, une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance versée en faveur des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 34 et 56 TFUE.

 Sur le quatrième grief, tiré de la violation de l’article 92 TFUE

 Argumentation des parties

151    La République d’Autriche soutient que la réglementation allemande viole l’article 92 TFUE, qui interdit toute discrimination dans le domaine des transports, qui exclut toute possibilité de justification et dont le champ d’application recouvre les transports commerciaux par bus ou les transports de marchandises par véhicules automobiles particuliers jusqu’à 3,5 tonnes.

152    La République d’Autriche relève que la condition nécessaire pour l’absence d’applicabilité de l’article 92 TFUE est l’adoption de dispositions de droit dérivé. Or, il n’existerait pas de régime de droit dérivé contraignant pour les véhicules automobiles particuliers jusqu’à 3,5 tonnes.

153    La République d’Autriche estime, dès lors, que le principe juridique qui ressort du point 23 de l’arrêt du 19 mai 1992, Commission/Allemagne (C‑195/90, EU:C:1992:219), peut être transposé à la présente affaire.

154    La République fédérale d’Allemagne fait valoir, en premier lieu, que le champ d’application de l’article 92 TFUE ne couvre pas la redevance d’utilisation des infrastructures, même considérée en combinaison avec l’exonération de la taxe sur les véhicules automobiles, dès lors que, eu égard à la limitation de la redevance à certaines catégories de véhicules, le transport commercial est en grande partie soustrait à l’obligation de payer la redevance.

155    En deuxième lieu, contrairement à l’interprétation de l’article 92 TFUE comme étant une clause de standstill, qui aurait été retenue par la Cour dans l’arrêt du 19 mai 1992, Commission/Allemagne (C‑195/90, EU:C:1992:219), la République fédérale d’Allemagne considère que l’interdiction de régression énoncée à l’article 92 TFUE ne prescrit pas la protection du statu quo en ce qui concerne la situation concurrentielle, mais interdit uniquement une discrimination directe ou indirecte des entreprises de transport étrangères, interdiction qui n’a pas été violée en l’occurrence.

156    En troisième lieu, à supposer même que l’article 92 TFUE doive être interprété comme étant une garantie du statu quo, la République fédérale d’Allemagne estime que cette disposition n’est plus applicable dès lors que la directive Eurovignettes contient des critères pour les réglementations nationales qui peuvent également trouver à s’appliquer aux véhicules jusqu’à 3,5 tonnes lors de la collecte de droits d’utilisation de la route. En particulier, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 7 duodecies de cette directive autoriseraient des mesures nationales telles que celles en cause en l’espèce.

157    Le Royaume de Danemark précise que l’arrêt du 19 mai 1992, Commission/Allemagne (C‑195/90, EU:C:1992:219), sur lequel se fonde la République d’Autriche, avait exclusivement et spécifiquement pour objet la clause de standstill qui figure aujourd’hui à l’article 92 TFUE, compte tenu de l’état du droit antérieur à l’adoption de la réglementation spécifique de l’Union sur l’imposition de redevances sur les poids lourds, qui figure aujourd’hui dans la directive Eurovignettes, directive dont il ressortirait que les mesures nationales litigieuses, instituées concomitamment, sont conformes à l’article 92 TFUE.

 Appréciation de la Cour

158    Conformément à l’article 92 TFUE, jusqu’à l’établissement des dispositions visées à l’article 91, paragraphe 1, TFUE et sauf adoption à l’unanimité par le Conseil d’une mesure accordant une dérogation, aucun des États membres ne peut rendre moins favorables, dans leur effet direct ou indirect à l’égard des transporteurs des autres États membres par rapport aux transporteurs nationaux, les dispositions diverses régissant la matière au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, à la date de leur adhésion.

159    En l’occurrence, il est, d’une part, constant que l’activité de transport soumise à la redevance d’utilisation des infrastructures peut être effectuée au moyen de véhicules jusqu’à 3,5 tonnes. Dans ce cas, l’activité est communément connue sous la dénomination de « transport léger ».

160    D’autre part, si le secteur du transport routier est largement couvert par la législation de l’Union, il n’en demeure pas moins que le transport léger n’a fait l’objet d’aucune réglementation au niveau du droit de l’Union. En particulier, aucune réglementation relative à la taxation de l’utilisation des routes par les véhicules jusqu’à 3,5 tonnes n’a été établie, conformément à l’article 91 TFUE. Il ressort ainsi de l’article 1er de la directive Eurovignettes, lu conjointement avec l’article 2, sous d), de cette directive, que le rapprochement des législations des États membres que celle-ci opère concerne uniquement les véhicules de plus de 3,5 tonnes.

161    Enfin, compte tenu des considérations évoquées aux points 141 et 143 du présent arrêt, il y a lieu de constater que, du fait de la combinaison des mesures nationales litigieuses, seuls les transporteurs qui utilisent un véhicule jusqu’à 3,5 tonnes immatriculé dans un État membre autre que l’Allemagne (ci-après les « transporteurs étrangers ») sont, en fait, affectés par la redevance d’utilisation des infrastructures, les transporteurs qui utilisent un véhicule de moins de 3,5 tonnes immatriculé en Allemagne (ci-après les « transporteurs allemands ») bénéficiant d’une compensation de cette redevance.

162    Force est donc de constater que, en compensant intégralement la nouvelle charge que constitue la redevance d’utilisation des infrastructures, payable par tous les transporteurs, par une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant au moins équivalent à la redevance versée, ce dont profitent les transporteurs allemands et sont exclus les transporteurs étrangers, les mesures nationales litigieuses ont pour effet de modifier, dans un sens qui leur est défavorable, la situation des transporteurs étrangers par rapport à celle des transporteurs allemands (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 1992, Commission/Allemagne, C‑195/90, EU:C:1992:219, point 23).

163    Il y a lieu, par suite, d’accueillir le quatrième grief et de constater que, en introduisant la redevance d’utilisation des infrastructures et en prévoyant, simultanément, une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance versée, en faveur des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 92 TFUE.

164    Il découle de tout ce qui précède que, en introduisant la redevance d’utilisation des infrastructures pour les véhicules automobiles particuliers et en prévoyant, simultanément, une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance versée, en faveur des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 18, 34, 56 et 92 TFUE.

 Sur les dépens

165    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 138, paragraphe 3, de ce règlement de procédure, lorsque les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens, à moins que, au vu des circonstances de l’espèce, la Cour estime qu’il est justifié qu’une partie supporte, outre ses propres dépens, une fraction des dépens de l’autre partie.

166    En l’espèce, tant la République d’Autriche que la République fédérale d’Allemagne ont conclu à la condamnation de l’autre partie aux dépens. Par ailleurs, la République fédérale d’Allemagne a succombé dans le cadre des premier, troisième et quatrième griefs invoqués par la République d’Autriche, et celle-ci dans le cadre de son deuxième grief.

167    Eu égard à ce qui précède, il convient de condamner la République fédérale d’Allemagne aux trois quarts des dépens exposés par la République d’Autriche et de décider que, pour le surplus, chaque partie supporte ses propres dépens.

168    En application de l’article 140, paragraphe 1, du même règlement de procédure, selon lequel les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume de Danemark supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      En introduisant la redevance d’utilisation des infrastructures pour les véhicules automobiles particuliers et en prévoyant, simultanément, une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles d’un montant au moins équivalent à celui de la redevance versée, en faveur des propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 18, 34, 56 et 92 TFUE.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La République fédérale d’Allemagne est condamnée aux trois quarts des dépens exposés par la République d’Autriche et supporte ses propres dépens.

4)      La République d’Autriche supporte le quart de ses propres dépens.

5)      Le Royaume des Pays-Bas et le Royaume de Danemark supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.