Language of document : ECLI:EU:T:2007:115

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

26 avril 2007 (*)

« Concurrence – Ententes − Marché du papier autocopiant – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Durée de l’infraction – Gravité de l’infraction – Majoration à des fins dissuasives – Circonstances aggravantes – Circonstances atténuantes – Communication sur la coopération »

Dans les affaires jointes T‑109/02, T‑118/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02, T‑132/02 et T‑136/02,

Bolloré SA, établie à Puteaux (France), représentée par Mes R. Saint‑Esteben et H. Calvet, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑109/02,

Arjo Wiggins Appleton Ltd, établie à Basingstoke (Royaume‑Uni), représentée par Me F. Brunet, avocat, MM. J. Temple Lang, solicitor, et J. Grierson, barrister,

partie requérante dans l’affaire T‑118/02,

soutenue par

Royaume de Belgique, représenté par Mme A. Snoecx et M. M. Wimmer, en qualité d’agents,

partie intervenante dans l’affaire T‑118/02,

Mitsubishi HiTec Paper Bielefeld GmbH, anciennement Stora Carbonless Paper GmbH, établie à Bielefeld (Allemagne), représentée par Me I. van Bael, avocat, et M. A. Kmiecik, solicitor,

partie requérante dans l’affaire T‑122/02,

Papierfabrik August Koehler AG, établie à Oberkirch (Allemagne), représentée par Mes I. Brinker et S. Hirsbrunner, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑125/02,

M‑real Zanders GmbH, anciennement Zanders Feinpapiere AG, établie à Bergisch Gladbach (Allemagne), représentée par Mes J. Burrichter et M. Wirtz, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑126/02,

Papeteries Mougeot SA, établie à Laval‑sur‑Vologne (France), représentée initialement par Mes G. Barsi, J. Baumgartner et J.‑P. Hordies, puis par Mes Barsi et Baumgartner, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑128/02,

Torraspapel, SA, établie à Barcelone (Espagne), représentée par Mes O. Brouwer, F. Cantos et C. Schillemans, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑129/02,

Distribuidora Vizcaína de Papeles, SL, établie à Derio (Espagne), représentée par Mes E. Pérez Medrano et I. Delgado González, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑132/02,

Papelera Guipuzcoana de Zicuñaga, SA, établie à Hernani (Espagne), représentée par Me I. Quintana Aguirre, avocat,

partie requérante dans l’affaire T‑136/02,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée, dans les affaires T‑109/02 et T‑128/02, par MM. W. Mölls et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents, assistés de Me N. Coutrelis, avocat, dans les affaires T‑118/02 et T‑129/02, par MM. Mölls et A. Whelan, en qualité d’agents, assistés de Mes M. van der Woude, avocat, dans l’affaire T‑122/02, initialement par MM. R. Wainwright et Mölls, puis par MM. Wainwright et Whelan, en qualité d’agents, dans les affaires T‑125/02 et T‑126/02, par MM. Mölls et Castillo de la Torre, assistés de Me H.‑J. Freund, avocat, dans les affaires T‑132/02 et T‑136/02, par MM. Mölls et Castillo de la Torre, assistés de Mes J. Rivas Andrés et J. Gutiérrez Gisbert, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet l’annulation de la décision 2004/337/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E-1/36.212 − Papier autocopiant) (JO 2004, L 115, p. 1), ou, subsidiairement, la réduction de l’amende infligée aux requérantes par cette décision,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras, président, F. Dehousse et D. Sváby, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite des audiences des 2 (T‑132/02 et T‑136/02), 7 (T‑109/02 et T‑128/02), 14 (T‑122/02), 16 (T‑118/02 et T‑129/02) et 21 juin 2005 (T‑125/02 et T‑126/02),

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        À l’automne 1996, le groupe papetier Sappi, dont la société mère est Sappi Ltd, a fourni à la Commission des informations et des documents qui ont donné à celle-ci des raisons de soupçonner qu’il existait ou qu’il avait existé une entente occulte portant sur la fixation des prix dans le secteur du papier autocopiant, dans lequel Sappi était présente en tant que producteur.

2        Au vu des éléments communiqués par Sappi, la Commission a effectué des vérifications auprès d’un certain nombre de producteurs de papier autocopiant, au titre de l’article 14, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204). Ainsi, des vérifications prévues à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 ont été effectuées les 18 et 19 février 1997 dans les locaux d’Arjo Wiggins Belgium SA, des Papeteries Mougeot SA (ci-après « Mougeot »), de Torraspapel, SA, de Sarriopapel y Celulosa, SA (ci-après « Sarrió ») et du Grupo Torras, SA. De plus, des vérifications ont été réalisées en application de l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 17 entre juillet et décembre 1997 chez Sappi, Arjo Wiggins Appleton plc (ci-après « AWA »), Arjo Wiggins Europe Holdings Ltd, Arjo Wiggins SA et sa filiale Guérimand SA, Mougeot, Torraspapel, Sarrió, Unipapel, Sociedade Comercial de Celulose e Papel Lda, Stora Carbonless Paper GmbH (ci-après « Stora » ; anciennement Stora‑Feldmühle AG) et Papierfabrik August Koehler AG (ci-après « Koehler »).

3        En 1999, la Commission a également adressé des demandes de renseignements, conformément à l’article 11 du règlement n° 17, à AWA, à Mougeot, à Torraspapel, à Cartiere Sottrici Binda SpA (ci-après « Binda »), à Carrs Paper Ltd (ci-après « Carrs »), à Distribuidora Vizcaína de Papeles, SL (ci-après « Divipa »), à Ekman Iberica, SA (ci-après « Ekman ») à Papelera Guipuzcoana de Zicuñaga, SA (ci-après « Zicuñaga »), à Koehler, à Stora, à Zanders Feinpapier AG (ci-après « Zanders ») et à Copigraph SA. Dans ces demandes, les entreprises concernées ont été invitées à fournir des indications sur leurs annonces de hausses de prix, leurs volumes de vente, leurs clients, leur chiffre d’affaires et leurs rencontres avec des concurrents.

4        Dans leur réponse à la demande de renseignements, AWA, Stora et Copigraph ont reconnu leur participation à des réunions multilatérales d’entente tenues entre les producteurs de papier autocopiant. Elles ont fourni à la Commission différents documents et informations.

5        Mougeot a, quant à elle, pris contact le 14 avril 1999 avec la Commission en déclarant qu’elle était disposée à coopérer à l’enquête en application de la communication de la Commission concernant la non‑imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4 ; ci-après la « communication sur la coopération »). Elle a reconnu l’existence d’une entente ayant pour objet la fixation des prix du papier autocopiant et a fourni à la Commission des renseignements sur la structure du cartel, et notamment sur les différentes réunions auxquelles ses représentants ont assisté.

6        Le 26 juillet 2000, la Commission a engagé la procédure dans la présente affaire et a adopté une communication des griefs (ci-après la « CG ») qu’elle a adressée à 17 entreprises, dont AWA, Bolloré SA, et sa filiale Copigraph, Carrs, Zicuñaga, Divipa, Mitsubishi HiTech Paper Bielefeld GmbH (ci-après « MHTP »), anciennement Stora, Mougeot, Koehler, Sappi, Torraspapel et Zanders. Celles-ci ont eu accès au dossier d’instruction de la Commission sous la forme d’une copie sur CD-ROM, qui leur a été envoyée le 1er août 2000.

7        Toutes les entreprises destinataires de la CG, sauf Binda, International Paper et Mitsubishi Paper Mills Ltd, ont présenté des observations écrites en réponse aux griefs soulevés par la Commission.

8        Une audition s’est tenue les 8 et 9 mars 2001.

9        Après avoir consulté le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes, et au vu du rapport final du conseiller-auditeur, la Commission a adopté, le 20 décembre 2001, la décision 2004/337/CE relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (affaire COMP/E-1/36.212 – Papier autocopiant) (JO 2004, L 115, p. 1, ci-après la « décision »).

10      À l’article 1er, premier alinéa, de la décision, la Commission constate que onze entreprises ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE en participant à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur du papier autocopiant.

11      À l’article 1er, second alinéa, de la décision, la Commission constate qu’AWA, Bolloré, MHTP, Koehler, Sappi, Torraspapel et Zanders ont participé à l’infraction de janvier 1992 à septembre 1995, Carrs de janvier 1993 à septembre 1995, Divipa de mars 1992 à janvier 1995, Zicuñaga d’octobre 1993 à janvier 1995 et Mougeot de mai 1992 à septembre 1995.

12      À l’article 2 de la décision, il est enjoint aux entreprises mentionnées à l’article 1er de mettre fin à l’infraction visée audit article, si elles ne l’ont pas déjà fait, et de s’abstenir, dans le cadre de leurs activités liées au papier autocopiant, de tout accord ou de toute pratique concertée qui pourrait avoir un objet ou un effet identique ou semblable à celui de l’infraction.

13      Selon l’article 3, premier alinéa, de la décision, les amendes suivantes sont infligées aux entreprises concernées :

AWA : 184,27 millions d’euros ;

Bolloré : 22,68 millions d’euros ;

Carrs : 1,57 million d’euros ;

Divipa : 1,75 million d’euros ;

MHTP : 21,24 millions d’euros ;

Zicuñaga : 1,54 million d’euros ;

Mougeot : 3,64 millions d’euros ;

Koehler : 33,07 millions d’euros ;

Sappi Ltd : 0 euro ;

Torraspapel : 14,17 millions d’euros ;

Zanders : 29,76 millions d’euros.

14      Aux termes de l’article 3, deuxième alinéa, de la décision, les amendes sont payables dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision. L’article 3, troisième alinéa, de la décision dispose que, à l’issue de ce délai, des intérêts seront automatiquement dus au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement au 1er décembre 2001, majoré de 3,5 points de pourcentage, soit 6,77 %.

15      Les onze entreprises visées aux articles 1er et 2 de la décision sont destinataires de celle-ci.

16      Il ressort de la décision (considérant 77) que les parties à l’entente ont arrêté d’un commun accord un plan anticoncurrentiel global visant essentiellement à améliorer la rentabilité des participants par des augmentations collectives des prix. Selon la décision, dans le cadre de ce plan global, le principal objectif de l’entente consistait à s’entendre sur des hausses de prix et sur le calendrier de leur mise en œuvre.

17      À cette fin, des réunions auraient été organisées à différents niveaux, général, national ou régional. Selon le considérant 89 de la décision, les réunions générales du cartel étaient suivies d’une série de réunions nationales ou régionales ayant pour objet d’assurer l’application, marché par marché, des hausses de prix convenues lors des réunions générales. Au cours de ces réunions, les participants échangeaient des informations détaillées et individuelles sur leurs prix et leurs volumes de vente (considérant 97). Lors de certaines réunions nationales du cartel, pour assurer l’application des hausses de prix convenues, des quotas de vente étaient attribués à chaque participant et des parts de marché fixées pour chacun d’eux (considérant 81).

18      La Commission a considéré que tous les principaux opérateurs de l’EEE avaient participé aux arrangements constitutifs de l’entente et que ces derniers étaient conçus, dirigés et encouragés à des niveaux élevés de la hiérarchie de chaque entreprise participante. Par sa nature même, la mise en œuvre de ce type d’entente entraînerait automatiquement une grave distorsion de concurrence (considérant 377). Vu la nature du comportement examiné, son impact concret sur le marché du papier autocopiant et le fait qu’il a visé l’ensemble du marché commun et, après sa création, l’ensemble de l’EEE, la Commission a estimé que les entreprises destinataires de la décision avaient commis une infraction très grave à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE (considérant 404).

19      Pour déterminer le montant de départ de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission a classé les entreprises concernées en cinq catégories selon leur importance relative sur le marché en cause (considérants 406 à 409). Afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif, elle a ensuite majoré de 100 % le montant de départ ainsi déterminé pour AWA, Bolloré et Sappi (considérants 410 à 412). La Commission a, ensuite, afin de fixer le montant de base des amendes infligées, pris en compte la durée de l’infraction commise par chaque entreprise (considérants 413 à 417).

20      Au titre des circonstances aggravantes, la Commission a majoré de 50 % le montant de base de l’amende infligée à AWA en raison de son rôle de chef de file (considérants 418 à 424). La Commission n’a retenu aucune circonstance atténuante en l’espèce.

21      La Commission a adapté les montants finals pour tenir compte des dispositions de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (considérant 434), puis elle a appliqué la communication sur la coopération, laquelle justifiait une réduction du montant des amendes de 50 % pour Mougeot, de 35 % pour AWA, de 20 % pour « Bolloré (Copigraph) » et de 10 % pour Carrs, MHTP et Zanders (considérants 435 à 458).

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requêtes séparées déposées au greffe du Tribunal entre le 11 et le 18 avril 2002, Bolloré (T‑109/02), AWA (T‑118/02), MHTP (T‑122/02), Koehler (T‑125/02), Zanders (T‑126/02), Mougeot (T‑128/02), Torraspapel (T‑129/02), Divipa (T‑132/02) et Zicuñaga (T‑136/02) ont introduit les présents recours.

23      Bolloré conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler les articles 1er, 2 et 3 de la décision, en ce que ces articles la visent ;

–        à titre subsidiaire, réduire très substantiellement le montant de l’amende qui lui est infligée à l’article 3 de la décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      AWA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler ou, subsidiairement, réduire substantiellement le montant de l’amende qui lui est infligée en vertu de la décision ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        prendre toutes autres mesures que le Tribunal pourrait juger appropriées.

25      Le Royaume de Belgique, qui est intervenu à l’appui des conclusions d’AWA, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de réduire substantiellement le montant de l’amende infligée à cette dernière.

26      MHTP conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er de la décision, dans la mesure où il en ressort qu’elle a participé à une infraction avant le 1er janvier 1993 ;

–        réduire le niveau de l’amende qui lui est infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

27      Koehler conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision ;

–        subsidiairement, réduire le montant de l’amende qui lui est infligée à l’article 3 de la décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

28      Zanders conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 3 de la décision, en ce que celui-ci lui inflige une amende de 29,76 millions d’euros ;

–        subsidiairement, réduire l’amende qui lui est infligée à l’article 3 de la décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

29      Mougeot conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la décision ;

–        à titre subsidiaire, réduire substantiellement le montant de l’amende infligée par la Commission ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      Torraspapel conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er de la décision en ce que celui-ci retient que la requérante a enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE entre le 1er janvier 1992 et le mois de septembre 1993, et réduire l’amende en conséquence ;

–        réduire de manière substantielle l’amende infligée à la requérante à l’article 3 de la décision ;

–        condamner la Commission aux dépens, en ce compris les frais et intérêts liés au dépôt d’une garantie bancaire ou au paiement de tout ou partie de l’amende.

31      Divipa conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision dans la mesure où celle-ci retient, outre sa participation à une entente relative au marché espagnol, sa participation à un cartel couvrant l’ensemble du marché de l’EEE et, subsidiairement, réduire l’amende qui lui est infligée par cette décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

32      Zicuñaga conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler les articles 1er, 3 et 4 de la décision, en ce que ces articles la concernent ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende infligée par la Commission de la manière suivante :

–        annuler la majoration de l’amende de 10 %, au motif que sa participation à l’infraction n’excède pas un an ;

–        réduire de manière substantielle, au minimum à concurrence de 60 %, le montant de base de l’amende, en raison de l’existence de circonstances atténuantes ;

condamner la Commission aux dépens.

33      Dans chacune de ces affaires, la Commission conclut au rejet du recours et à la condamnation de la requérante aux dépens.

34      Dans les affaires T‑109/02, T‑118/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑128/02, T‑132/02 et T‑136/02, le Tribunal a posé des questions écrites auxquelles les parties concernées ont répondu dans le délai imparti.

35      Par lettre, datée du 14 juin 2005, incluant des observations sur le rapport d’audience, la requérante dans l’affaire T‑126/02 a informé le Tribunal de son changement de dénomination sociale et de statut, Zanders Feinpapiere AG devenant M-real Zanders GmbH (ci-après également « Zanders »).

36      Les parties ont été entendues séparément en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors des audiences qui se sont déroulées les 2, 7, 14, 16 et 21 juin 2005.

37      Les parties ayant été invitées par le Tribunal, lors de l’audience dans chaque affaire, à présenter leurs observations sur la jonction éventuelle de toutes les affaires aux fins de l’arrêt et celles-ci n’ayant pas soulevé d’objections, le Tribunal estime qu’il y a lieu de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 50 de son règlement de procédure.

 En droit

38      Les conclusions des requérantes visent à l’annulation de la décision et/ou à la suppression ou à la réduction de l’amende.

I –  Sur les moyens tendant à l’annulation de la décision

39      Les requérantes poursuivent, selon le cas, l’annulation intégrale de la décision ou de certaines de ses dispositions qui les concernent. Ces conclusions en annulation reposent sur des moyens de forme, ayant trait au déroulement de la procédure administrative et sur des moyens de fond, visant les constatations et appréciations de la Commission relatives à la participation de certaines entreprises à l’infraction.

A –  Sur les moyens relatifs au déroulement de la procédure administrative

1.     Sur le premier moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu découlant de la non‑divulgation, au cours de la procédure administrative, de documents qualifiés de confidentiels par la Commission

a)     Arguments des parties

40      Zicuñaga soutient qu’il découle tant de la doctrine que de l’article 19 du règlement n° 17 que l’accès complet au dossier d’instruction constitue une garantie procédurale destinée à assurer l’exercice effectif des droits de la défense, notamment du droit d’être entendu. Elle souligne que cette garantie vise à permettre à la partie concernée non seulement de contester les documents à charge invoqués par la Commission, mais aussi d’accéder à des documents à décharge susceptibles d’être utiles à sa défense.

41      S’agissant des documents confidentiels, il appartient, à son avis, à la Commission de concilier l’intérêt légitime de l’entreprise concernée au respect de la confidentialité, d’une part, avec les droits de la défense, d’autre part. Toutefois, la Commission ne pourrait se fonder, dans la décision finale, sur des documents sur lesquels l’accusé n’aurait pas été mis en mesure de faire valoir son point de vue. Le refus de la Commission de communiquer un document au cours de la procédure administrative serait en outre constitutif d’une violation des droits de la défense dès lors qu’il existe une chance que la procédure administrative ait pu aboutir à un résultat différent en cas de communication de ce document à l’intéressé. Il s’ensuit, selon Zicuñaga, que la non‑divulgation de documents qualifiés de confidentiels par la Commission a violé les droits de la défense de la requérante.

42      La Commission souligne que l’instruction qu’elle a réalisée respecte toutes les garanties requises et n’enfreint aucun principe de droit. Elle estime, par ailleurs, que, dans la mesure où Zicuñaga ne précise pas quels documents à charge la Commission aurait utilisés, son argument est irrecevable.

b)     Appréciation du Tribunal

43      Il y a lieu de souligner d’emblée le caractère ambigu de l’argumentation de Zicuñaga. L’intitulé du moyen en cause (« Violation du droit d’être entendu. Non‑production des documents à charge ») laisse croire que la requérante conteste uniquement la non‑communication par la Commission, au cours de la procédure administrative, de documents utilisés à charge dans la décision. D’autres passages de sa requête suggèrent qu’elle dénonce également la non‑divulgation, pendant ladite procédure, de documents prétendument susceptibles de contenir des éléments à décharge.

44      Pour autant que Zicuñaga entende dénoncer le fait que la Commission n’aurait pas communiqué, au cours de la procédure administrative, des documents prétendument utilisés à charge dans la décision, il convient de relever, comme le fait la Commission dans ses écritures, que Zicuñaga n’identifie aucun document de cette nature. N’étant aucunement étayée, son allégation doit, dans cette mesure, être écartée.

45      Pour autant que Zicuñaga critique le fait que la Commission lui aurait refusé l’accès, au cours de la procédure administrative, à des documents prétendument utiles à sa défense, car susceptibles de contenir des éléments à décharge, il faut rappeler que, d’après la jurisprudence, la Commission est tenue, afin de permettre aux entreprises en cause de se défendre utilement contre les griefs formulés contre elles dans la CG, de leur rendre accessible l’intégralité du dossier d’instruction, à l’exception des documents contenant des secrets d’affaires d’autres entreprises ou d’autres informations confidentielles et des documents internes de la Commission (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 170, et la jurisprudence citée).

46      En outre, le droit des entreprises et associations d’entreprises à la protection de leurs secrets d’affaires doit être mis en balance avec la garantie du droit d’accéder à la totalité du dossier. Dès lors, si la Commission considère que certains documents de son dossier d’instruction contiennent des secrets d’affaires ou d’autres informations confidentielles, elle doit préparer, ou faire préparer par les entreprises ou associations d’entreprises dont émanent les documents en question, des versions non confidentielles de ceux-ci. Si la préparation de versions non confidentielles de tous les documents s’avère difficile, elle doit transmettre aux parties concernées une liste suffisamment précise des documents posant problème afin de permettre à celles-ci d’évaluer l’opportunité de demander accès à des documents spécifiques (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, points 88 à 94).

47      En l’espèce, il ressort des écritures de Zicuñaga que celle-ci dénonce tout particulièrement le fait que la Commission lui aurait refusé l’accès aux informations détaillées, visées au considérant 288 de la décision, concernant les ventes réalisées par pays sur le territoire de l’EEE pendant la période de référence de l’entente par plusieurs entreprises incriminées, dont Zicuñaga. Selon cette dernière, ces informations contiennent vraisemblablement des éléments qui lui auraient permis de démontrer qu’elle n’a pas appliqué une politique de prix concertée avec les fabricants européens de papier autocopiant.

48      À cet égard, la liste des documents constitutifs du dossier dans l’affaire T‑136/02, produite par la Commission en réponse à une question posée par le Tribunal, fait apparaître que la Commission a mis à la disposition des parties, au cours de la procédure administrative, une version non confidentielle des documents correspondant aux informations visées au considérant 288 lorsque ces documents étaient classés comme non accessibles. Zicuñaga a donc pu évaluer l’opportunité de demander l’accès à des documents spécifiques.

49      Il y a lieu de rappeler à cet égard que, dans une procédure en constatation d’infraction à l’article 81 CE, la Commission n’est pas obligée de rendre accessibles, de sa propre initiative, des documents qui ne figurent pas dans son dossier d’instruction et qu’elle n’a pas l’intention d’utiliser à charge contre les parties concernées dans la décision définitive. Une partie qui apprend au cours de la procédure administrative que la Commission détient des documents qui pourraient être utiles pour sa défense est obligée de présenter à l’institution une demande expresse d’accès à ces documents. L’omission d’agir ainsi au cours de la procédure administrative a un effet de forclusion sur ce point pour ce qui concerne le recours en annulation qui sera éventuellement introduit contre la décision définitive (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, ci-après l’« arrêt Ciment », point 383).

50      Or, Zicuñaga n’a fait, au cours de la procédure administrative, aucune demande formelle d’accès à la version confidentielle des informations susvisées. En effet, si elle fait état, dans sa réponse à une question posée par le Tribunal, d’une demande écrite d’accès à ces informations et produit la lettre de rejet de cette demande par la Commission, force est de constater que cette demande date du 3 avril 2002 et est donc postérieure à la clôture de la procédure administrative et à l’adoption de la décision. L’absence de formulation d’une telle demande par Zicuñaga au cours de la procédure administrative a dès lors un effet de forclusion pour ce qui concerne le recours en annulation.

51      Il y a par conséquent lieu de rejeter ce moyen avancé par Zicuñaga.

2.     Sur le deuxième moyen, fondé sur une violation du droit d’accès au dossier en raison du défaut de communication de documents non compris dans le dossier d’instruction communiqué sur CD-ROM

a)     Arguments des parties

52      Koehler reproche à la Commission de ne pas lui avoir donné accès à certains documents ne faisant pas partie du dossier d’instruction communiqué sur CD-ROM aux destinataires de la CG le 1er août 2000. Elle vise particulièrement les réponses à la CG des autres destinataires de celle-ci, ainsi que les annexes à ces réponses, notamment le rapport d’expertise, mentionné à la note en bas de page n° 365 de la décision, qui aurait été communiqué par AWA à la Commission. Elle soutient que les nombreuses allusions aux réponses à la CG qui figurent dans la décision attestent que la Commission s’est fondée sur ces réponses dans son analyse des faits et lors du calcul des amendes. Koehler ajoute que la réponse de Mougeot à la CG montre que le dossier contenait visiblement aussi des informations qui auraient été utiles à sa défense.

53      La Commission répond que s’il est vrai qu’elle ne peut se fonder que sur des faits sur lesquels les entreprises intéressées ont eu l’occasion de s’expliquer, les réponses à la CG ne font pas partie du dossier d’instruction auquel l’accès doit être accordé. La procédure administrative doit être considérée comme close dès la réception de ces réponses et ne saurait être poursuivie à l’infini, chaque entreprise souhaitant prendre position sur les observations des autres. Koehler n’aurait pas identifié d’élément à charge sur lequel la Commission aurait fondé un grief contre elle sans qu’elle puisse se prononcer à cet égard.

b)     Appréciation du Tribunal

54      L’argumentation de Koehler peut être comprise comme comportant deux aspects. D’une part, certains documents ne figurant pas dans le dossier d’instruction auquel elle a eu accès auraient été utilisés par la Commission comme éléments à charge dans la décision, sans que Koehler ait eu accès à ceux-ci au cours de la procédure administrative et ait pu se prononcer à leur égard. D’autre part, la Commission n’aurait pas communiqué à Koehler des documents ne figurant pas dans le dossier d’instruction auquel elle a eu accès, qui auraient pu contenir des éléments à sa décharge. Ces deux points doivent être analysés séparément.

55      S’agissant, en premier lieu, du défaut de communication de prétendus éléments à charge ne figurant pas dans le dossier d’instruction auquel Koehler a eu accès, il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’un document ne peut être considéré comme un document à charge à l’égard d’une partie requérante que lorsqu’il est utilisé par la Commission à l’appui de la constatation d’une infraction à laquelle cette partie requérante aurait participé (arrêt Ciment, point 284).

56      Étant donné que des documents non communiqués aux parties concernées au cours de la procédure administrative ne constituent pas des moyens de preuve opposables (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 21 ; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T‑11/89, Rec. p. II‑757, points 55 et 56, et ICI/Commission, T‑13/89, Rec. p. II‑1021, points 34 et 35), il y a lieu, s’il s’avère que la Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, sur des documents ne figurant pas dans le dossier d’instruction et n’ayant pas été communiqués aux parties requérantes, de ne pas retenir lesdits documents en tant que moyens de preuve (arrêt Ciment, point 382 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, points 24 à 30 ; arrêts Solvay/Commission, point 46 supra, point 57, et ICI/Commission, précité, point 36).

57      Il s’ensuit que, si la Commission entend se fonder sur un passage d’une réponse à une communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l’existence d’une infraction dans une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, les autres parties impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve (voir, en ce sens, arrêts AKZO/Commission, point 56 supra, point 21, Shell/Commission, point 56 supra, point 55, et ICI/Commission, point 56 supra, point 34).

58      En l’espèce, la requérante affirme, d’une manière générale, dans sa requête que, « [d]u fait des nombreux renvois dans les notes de bas de page, il ne saurait y avoir de doute que la Commission a utilisé les observations des autres parties à la procédure pour étayer tant son exposé des faits que le calcul du montant de l’amende ». Une affirmation aussi générale ne permet cependant pas de déterminer quels documents particuliers auraient prétendument été exploités comme éléments à charge de Koehler dans la décision. À l’audience, Koehler a du reste admis qu’il n’y avait aucun document à charge auquel elle n’avait pas eu accès.

59      S’agissant, en second lieu, du défaut de communication de prétendus éléments à décharge non contenus dans le dossier d’instruction auquel elle a eu accès, Koehler vise les réponses d’autres destinataires de la CG à celle-ci ainsi que des annexes à ces réponses. Toutefois, elle ne démontre pas avoir expressément demandé à la Commission la communication de ces éléments ; elle a même admis à l’audience ne pas avoir introduit de demande d’accès à ces documents. Koehler est donc irrecevable à contester devant le Tribunal le fait qu’elle n’a pas eu accès à ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 383 ; voir également point 49 ci-dessus).

60      À titre surabondant, Koehler n’a pas démontré que, si elle avait eu accès aux réponses d’autres destinataires de la CG à celle-ci et aux annexes à ces réponses, elle aurait pu invoquer des arguments de nature à affecter le résultat auquel est parvenue la décision (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, Distillers/Commission, 30/78, Rec. p. 2229, point 26, et arrêt du Tribunal du 27 novembre 1990, Kobor/Commission, T‑7/90, Rec. p. II‑721, point 30).

61      En effet, s’agissant tout d’abord du rapport d’expertise annexé par AWA à sa réponse à la CG, pour autant que la référence faite par Koehler audit rapport vise à identifier un document, non contenu dans le dossier d’instruction auquel elle a eu accès, qui aurait pu être utile à sa défense, il résulte de la décision (considérants 390, 392 et 396) que la Commission a explicitement rejeté les arguments relatifs à la prétendue absence d’impact concret de l’infraction sur le marché, développés au cours de la procédure administrative par AWA sur la base de ce rapport. L’argument de Koehler tiré du fait que l’absence d’accès à ce rapport au cours de la procédure administrative a nui à sa défense ne saurait dès lors prospérer.

62      S’agissant ensuite de la réponse de Mougeot à la CG, Koehler affirme, dans sa réplique, que ladite réponse montre que le dossier contenait visiblement des informations utiles à sa défense. Elle se réfère, à cet égard, au passage de cette réponse cité au considérant 293 de la décision, dans lequel Mougeot, revenant sur une déclaration faite antérieurement à la Commission, prétend que « la [CG] ne démontre pas que les réunions de l’AEMCP [Association of European Manufacturers of Carbonless Paper] ont servi de cadre à des mécanismes collusoires avant la restructuration de l’association en septembre 1993 ». Toutefois, au considérant 295 de la décision, la Commission rejette explicitement cet argument en faisant valoir que les déclarations combinées de Sappi, de Mougeot et d’AWA établissent que les réunions générales du cartel ont débuté en 1992 au plus tard. Renvoyant aux considérants 112 et 113 de la décision, elle ajoute que les preuves fournies par Sappi confirment qu’il a existé une collusion dans le cadre des réunions de l’Association des producteurs européens de papier autocopiant (AEMCP) ou des réunions tenues à l’occasion de ces dernières avant septembre 1993. Le passage de la réponse de Mougeot à la CG cité par Koehler ne prouve donc pas, contrairement à ce que soutient cette dernière, que les réponses à la CG et les documents annexés à celles-ci auraient permis à cette entreprise de développer des arguments susceptibles de faire aboutir la procédure administrative à un résultat différent.

63      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

3.     Sur le troisième moyen, pris d’une violation des droits de la défense et du principe du contradictoire, résultant d’un défaut de concordance entre la CG et la décision

a)     Arguments des parties

64      Bolloré soutient que, au stade de la CG, la Commission a retenu sa participation à l’infraction uniquement en raison de sa responsabilité de société mère pour les agissements personnels de sa filiale Copigraph. En revanche, la décision contiendrait un grief nouveau à son égard, tiré de son implication personnelle et autonome dans l’entente. Elle prétend que, en ne lui offrant pas la possibilité de prendre position sur ce grief lors de la procédure administrative, la Commission a violé à son égard les droits de la défense.

65      La Commission conteste que, dans la décision, Bolloré soit considérée comme personnellement impliquée dans l’infraction. La requérante se verrait imputer les agissements de sa filiale au motif qu’elle formerait avec cette dernière une seule et même entreprise. Le présent moyen ne pourrait dès lors prospérer que s’il était démontré que l’imputation de l’infraction à la requérante pour ce motif n’apparaissait pas dans la CG ou s’il était établi que la Commission avait, dans la décision, fondé son appréciation sur des faits sur lesquels Bolloré n’aurait pas pu faire valoir son point de vue au cours de la procédure précontentieuse. Or tel ne serait pas le cas.

b)     Appréciation du Tribunal

66      Sur ce point, il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense, qui constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être observé en toutes circonstances, notamment dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, même s’il s’agit d’une procédure administrative, exige que l’entreprise intéressée ait été en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt du Tribunal du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, T‑5/00 et T‑6/00, Rec. p. II‑5761, point 32, et la jurisprudence citée).

67      Selon la jurisprudence, la CG doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, seraient‑ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n’est, en effet, qu’à cette condition que la CG peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et aux associations d’entreprises pour qu’elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission adopte une décision définitive (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307, point 42, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 63).

68      En outre, une violation des droits de la défense au cours de la procédure administrative s’apprécie à la lumière des griefs retenus par la Commission dans la CG et dans la décision (arrêts du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T‑36/91, Rec. p. II‑1847, point 70, et Solvay/Commission, point 46 supra, point 60). Dans ces conditions, la constatation d’une violation des droits de la défense suppose que le grief dont l’entreprise soutient qu’il ne lui était pas reproché dans la CG est retenu par la Commission dans la décision attaquée.

69      Compte tenu de la jurisprudence rappelée aux trois points précédents, il convient, en l’espèce, de vérifier d’abord sur quelle base la Commission a, dans la décision, retenu la responsabilité de Bolloré dans l’infraction. Les indications pertinentes figurent aux considérants 353 à 356 de la décision [partie II (Appréciation juridique), point 2.3 (Responsabilité de l’infraction 2) (Copigraph et Bolloré)].

70      Ces considérants se lisent comme suit :

« (353) Filiale à 100 % de [Bolloré] (anciennement Bolloré Technologies SA) pendant la durée de l’infraction, Copigraph a été rachetée par AWA au mois de novembre 1998. Copigraph a mis fin à ses activités le 2 février 2000, avec effet au 30 décembre 2000. Bolloré estime qu’elle ne saurait être tenue pour responsable du comportement de Copigraph, cette dernière jouissant d’une autonomie économique complète. Selon Bolloré, cette autonomie trouve son origine dans les facteurs suivants : les structures de gestion de Copigraph et de Bolloré étaient totalement distinctes, Copigraph disposait de sa propre infrastructure, et sa politique commerciale était indépendante, puisqu’elle acquérait pratiquement 35 % de ses besoins en matières premières à l’extérieur du groupe Bolloré, notamment auprès d’un concurrent de celui-ci.

(354) Copigraph faisait partie de la division ‘[P]apiers spéciaux’ de Bolloré, et le dirigeant de cette division à l’époque, [M. V.], était simultanément directeur général de Copigraph. En outre, le directeur commercial de Copigraph à l’époque, [M. J. B.] occupait également une fonction de vente à la papeterie de Thonon depuis 1994. [Bolloré] était donc nécessairement informée de la participation de sa filiale à l’entente.

(355) Il existe également des preuves impliquant directement la société mère, [Bolloré], dans les activités du cartel. Bolloré était membre de l’AEMCP, dont les réunions officielles ont également servi de réunions du cartel de janvier 1992 à septembre 1993. Le représentant de Bolloré, [M. V.], chef de sa division ‘[P]apiers spéciaux’, participait à ces réunions du cartel avec le directeur commercial de Copigraph. Il a également participé à la réunion du cartel consacrée au marché français le 1er octobre 1993. À toutes les réunions ultérieures du cartel où des représentants individuels de Copigraph ont été identifiés, le directeur commercial de Copigraph était présent. Toutes ces réunions ont eu lieu en 1994 et, comme il a déjà été indiqué, le directeur commercial de Copigraph occupait simultanément une fonction de vente au sein de Bolloré.

(356) Sur cette base, la Commission estime que Bolloré doit, en rapport avec l’entente, être tenue pour responsable non seulement de son propre comportement, mais également de celui de Copigraph pendant toute la période spécifiée. »

71      Il ressort de l’extrait de la décision reproduit ci-dessus que Bolloré s’est vu imputer la responsabilité de l’infraction au motif, d’une part, qu’elle devait être considérée comme responsable de la participation de sa filiale Copigraph à l’entente et, d’autre part, qu’il existait des preuves de son implication directe dans les activités du cartel.

72      Bolloré ne conteste pas que la CG lui a permis de comprendre et de prendre position sur le fait que, dans ladite CG, la Commission lui imputait l’infraction en raison de sa responsabilité, en tant que société mère à 100 % de Copigraph à l’époque de l’infraction, pour la participation de Copigraph à l’entente. Son objection porte sur l’absence d’indication, dans la CG, de l’intention de la Commission de lui imputer l’infraction également en raison de son implication directe dans les activités de l’entente.

73      Les passages pertinents de la CG figurent aux points 240 à 245 et 248 [partie II (Appréciation juridique), point B (Application des règles de concurrence) 8 (Responsabilité de l’infraction )].

74      Il convient, tout d’abord, de relever que, dans ces points de la CG, la Commission ne faisait aucunement état d’une implication directe de Bolloré dans l’entente, à la différence des indications relatives à d’autres sociétés mères visées dans la CG, telles qu’AWA et Torraspapel, pour lesquelles la Commission mentionne, s’agissant d’AWA, qu’« [elle] a participé de manière directe et autonome à l’entente illicite, par le biais de sa division Arjo Wiggins Carbonless Paper Operation » et, s’agissant de Torraspapel, qu’« [i]l existe également des preuves qui impliquent la société mère directement dans les activités collusoires ».

75      Ensuite, comme le souligne à juste titre Bolloré, il ressort du point 243 de la CG que la Commission a opéré une distinction entre deux types de situations :

« En ce qui concerne les rapports entre les sociétés mères et les filiales, la Commission adresse la présente communication des griefs à la société mère si

deux ou plusieurs de ses filiales ont participé à l’infraction,

la société mère a été impliquée dans l’infraction.

Dans les autres cas de participation d’une filiale, la communication est adressée à celle-ci et à la société mère. »

76      S’agissant du groupe formé de Bolloré et de Copigraph, la CG a été adressée non seulement à Bolloré, mais également à Copigraph, ce qui, compte tenu des critères énoncés au point 243 de la CG, a été de nature à conforter Bolloré dans l’idée que la Commission ne considérait pas, au stade de la CG, que Bolloré, société mère du groupe, ait été impliquée directement dans l’infraction.

77      Force est donc de constater que, aux termes de la CG, la Commission entendait imputer la responsabilité de l’infraction à Bolloré uniquement en raison du fait que celle-ci, en tant que société mère du groupe constitué, à l’époque de l’infraction, de Bolloré et de Copigraph, sa filiale à 100 %, devait être tenue pour responsable de la conduite illicite de Copigraph. À la lecture de la CG, Bolloré ne pouvait pas prévoir que, pour lui imputer la responsabilité de l’infraction, la Commission entendait se fonder également sur une implication directe de sa part dans les activités de l’entente, comme elle le fait dans la décision.

78      Il convient d’ajouter que les faits mentionnés par la Commission, au considérant 355 de la décision, au soutien de sa thèse relative à l’implication directe de Bolloré dans l’infraction, à savoir l’affiliation de Bolloré à l’AEMCP et sa représentation par MM. V. et J. B. à plusieurs réunions du cartel n’étaient pas mentionnés dans la CG. En effet, même en admettant, conformément à la thèse de la Commission, que l’affiliation de Bolloré à l’AEMCP ressortait de documents joints à la CG, force est de constater que, dans celle-ci, la Commission ne citait que Copigraph parmi les membres de l’AEMCP et, à aucun moment, Bolloré. Quant à MM. V. et J. B., ils étaient constamment désignés, dans la CG, comme représentants de Copigraph, et non de Bolloré, aux réunions du cartel. En outre, dans aucun passage de la CG, la Commission ne mentionnait Bolloré parmi les entreprises représentées à de telles réunions.

79      Dès lors, la CG n’a pas permis à Bolloré de prendre connaissance du grief tiré de son implication directe dans l’infraction, ni même des faits retenus par la Commission dans la décision au soutien de ce grief, de sorte que Bolloré n’a, ainsi qu’il ressort de la lecture de sa réponse à la CG, pas pu utilement assurer sa défense, au cours de la procédure administrative, sur ce grief et sur ces faits.

80      Toutefois, il convient de souligner que, même si la décision contient de nouvelles allégations de fait ou de droit au sujet desquelles les entreprises concernées n’ont pas été entendues, le vice constaté n’entraînera l’annulation de la décision sur ce point que si les allégations concernées ne peuvent pas être établies à suffisance de droit sur la base d’autres éléments retenus par la décision et au sujet desquels les entreprises concernées ont eu l’occasion de faire valoir leur point de vue (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 196 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission, T‑86/95, Rec. p. II‑1011, point 447). Par ailleurs, la violation des droits de la défense de Bolloré ne serait susceptible d’affecter la validité de la décision en ce qu’elle concerne Bolloré que si la décision était fondée sur la seule implication directe de Bolloré dans l’infraction (voir, en ce sens, arrêt Mo och Domsjö/Commission, point 67 supra, point 74). Dans ce cas, en effet, le grief nouveau, tiré, dans la décision d’une implication directe de Bolloré dans les activités du cartel, ne pouvant être retenu, cette dernière ne pourrait se voir imputer la responsabilité de l’infraction.

81      En revanche, s’il devait s’avérer, lors de l’examen au fond (voir ci-après points 123 à 150), que la Commission a, à bon droit, tenu Bolloré pour responsable de la participation de sa filiale Copigraph à l’entente, l’illégalité commise par la Commission ne saurait suffire à justifier l’annulation de la décision parce qu’elle n’aurait pas pu avoir une influence déterminante quant au dispositif retenu par l’institution (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, Rec. p. II‑2427, point 49, et du 14 décembre 2005, Honeywell/Commission, T‑209/01, non encore publié au Recueil, point 49). En effet, selon une jurisprudence bien établie, dans la mesure où certains motifs d’une décision sont à eux seuls, de nature à justifier celle-ci à suffisance de droit, les vices dont pourraient être entachés d’autres motifs de l’acte sont, en tout état de cause, sans influence sur son dispositif (arrêt du Tribunal du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T‑87/05, Rec. p. II‑3745, point 144 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Commission et France/TF1, C‑302/99 P et C‑308/99 P, Rec. p. I‑5603, points 26 à 29).

4.     Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense, du droit à une procédure équitable et du principe de la présomption d’innocence

a)     Arguments des parties

82      Zicuñaga soutient, en premier lieu, que la Commission a violé le principe de la présomption d’innocence en retenant sa participation à l’entente sur la base de simples présomptions et de déclarations indirectes. Elle expose que l’absence de sanction suffisamment claire en cas de fourniture d’informations inexactes ou incomplètes peut inciter les entreprises à transmettre à la Commission des renseignements reconstitués ou déformés en vue de mettre en valeur leur coopération. Zicuñaga ajoute que, alors qu’à l’origine une entreprise ne pouvait espérer bénéficier de la clémence de la Commission qu’en cas de fourniture de preuves décisives, la Commission a ensuite assoupli sa position. Elle allègue que, dans ces conditions, les déclarations de Sappi doivent être prises en compte avec prudence et ne sauraient être jugées fiables que si elles sont étayées par d’autres éléments de preuve.

83      En second lieu, Zicuñaga fait valoir que la Commission ne peut fonder ses appréciations sur les témoignages d’une personne dont l’identité n’est pas connue, sous peine de porter atteinte aux droits de la défense en ne permettant pas la réfutation des allégations de ce témoin dans le cadre de son audition. Renvoyant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle prétend qu’il est indispensable de pouvoir confronter le témoin à ses affirmations afin de mesurer le degré de crédibilité du témoignage et de la personne concernée, et d’accorder à l’accusé la possibilité de contester un témoignage à charge et d’en interroger l’auteur, lors de sa déposition ou ultérieurement.

84      La Commission conteste la qualification de simples suppositions ou déclarations indirectes des éléments sur lesquels elle se fonde pour établir la participation de Zicuñaga à l’infraction. Elle souligne que les juridictions communautaires n’ont jamais mis en doute la légalité de la communication sur la coopération ni la valeur probante des déclarations faites à ce titre par les entreprises. Par ailleurs, le règlement n° 17 ne prévoirait pas la possibilité d’interroger des témoins dans le cadre de la procédure administrative et la requérante n’aurait formulé aucune demande en ce sens au Tribunal.

b)     Appréciation du Tribunal

85      Pour autant qu’à travers cette argumentation Zicuñaga entende nier la valeur probante des déclarations de personnes non identifiées, invoquées par la Commission au soutien des griefs formulés contre Zicuñaga dans la décision, ladite argumentation relève de l’examen au fond, auquel il sera procédé ultérieurement, consistant à vérifier le caractère suffisamment établi de ces griefs.

86      Pour autant que l’argumentation examinée vise également à dénoncer une violation des droits de la défense et du droit à une procédure équitable en ce que l’absence de mention, dans la CG, de l’identité du ou des auteur(s) des déclarations soutenant les appréciations de la Commission relatives à Zicuñaga a empêché celle-ci de contester ces appréciations en demandant une audition dudit ou desdits auteur(s) au cours de la procédure administrative, il convient de rappeler que, si, certes, l’article 6, paragraphe 3, sous d), de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) dispose que « [t]out accusé a droit notamment […] à interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge », il ressort cependant d’une jurisprudence constante que la Commission n’est pas un tribunal au sens de l’article 6 de la CEDH (arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 81, et du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 7). Par ailleurs, l’article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 dispose explicitement que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n’ont pas un caractère pénal (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 235).

87      Certes, il n’en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux de droit communautaire au cours de la procédure administrative (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 86 supra, point 8). Il convient toutefois de souligner, d’une part, que, bien que la Commission puisse entendre des personnes physiques ou morales lorsqu’elle l’estime nécessaire, elle ne dispose pas du droit de convoquer des témoins à charge sans avoir obtenu leur accord et, d’autre part, que le fait que les dispositions du droit communautaire de la concurrence ne prévoient pas l’obligation pour la Commission de convoquer les témoins à décharge dont le témoignage serait demandé n’est pas contraire aux principes susvisés (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 392).

88      En l’espèce, il s’avère par ailleurs que Zicuñaga ne fournit aucune indication qui fasse apparaître que, au cours de la procédure administrative, elle ait demandé à la Commission des précisions quant à l’identité des personnes ayant fait les déclarations invoquées par la Commission au soutien des griefs formulés à son égard dans la CG, en vue d’une audition de ces personnes en sa présence. Elle n’établit pas davantage avoir demandé, au cours de la procédure administrative, la convocation et l’interrogation de témoins à décharge.

89      Compte tenu de ce qui précède, le présent moyen, en tant qu’il est pris d’une violation des droits de la défense et du droit à une procédure équitable, doit être rejeté. En tant qu’il a pour objet de contester la valeur probante des éléments invoqués par la Commission au soutien des griefs formulés à l’encontre de Zicuñaga dans la décision, son analyse se confond avec l’examen au fond.

5.     Sur le cinquième moyen, pris d’une violation du principe de bonne administration lors de l’instruction de l’affaire et d’un défaut de motivation de la décision

a)     Arguments des parties

90      Zanders reproche à la Commission d’avoir instruit l’affaire uniquement à charge. Elle soutient que la Commission aurait dû prendre en compte les indications qu’elle lui avait fournies, en décembre 2000 et en mars 2001, au sujet de son rôle déterminant dans la cessation de l’entente ou qu’elle aurait dû procéder à des investigations complémentaires en cas de doute sur la valeur de ces indications. Elle dénonce également le fait que la Commission n’a pas tenu compte d’un rapport d’expertise qu’elle avait présenté, en mars 2001, pour démontrer l’impact dérisoire, voire nul, des tentatives d’ententes sur les prix. La décision ne contiendrait en outre aucune motivation de l’absence de prise en considération de ces deux éléments. Elle ne comporterait de plus aucun passage examinant le rôle individuel de Zanders.

91      La Commission affirme que Zanders n’étaye pas son affirmation selon laquelle elle a joué un rôle particulier dans la cessation de l’infraction. Quant à l’incidence des accords de prix sur le marché, la Commission lui aurait consacré une section entière de la décision (considérants 382 à 402) dans le cadre de l’examen des effets concrets de l’infraction. La décision respecterait pleinement l’obligation de motivation en examinant le comportement de la requérante conjointement avec celui de cinq autres entreprises aux considérants 263 à 271. Par ailleurs, Zanders n’aurait pas fait valoir, dans sa réponse à la CG, qu’elle aurait joué un rôle exclusivement passif.

b)     Appréciation du Tribunal

92      Il y a lieu de rappeler que, dans les cas comme celui de l’espèce, dans lequel les institutions disposent d’un pouvoir d’appréciation afin d’être en mesure de remplir leurs fonctions, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale ; parmi ces garanties figure notamment l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14 ; arrêts du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T‑44/90, Rec. p. II‑1, point 86, et du 11 juillet 1996, Métropole télévision e.a./Commission, T‑528/93, T‑542/93, T‑543/93 et T‑546/93, Rec. p. II‑649, point 93).

93      Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’autorité communautaire, auteur de l’acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et du Tribunal du 20 mars 2002, Lögstör Rör/Commission, T‑16/99, Rec. p. II‑1633, point 368).

94      À cet égard, force est de constater que la décision fait apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de la Commission et permet à Zanders de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle. En effet, aux considérants 263 à 271 de la décision, la Commission examine la participation de Zanders à l’entente, conjointement avec celle d’AWA, de Koehler, de Sappi, de Stora et de Torraspapel.

95      Zanders fait valoir de façon plus spécifique la non‑prise en compte de son rôle dans la cessation de l’infraction et de l’expertise qu’elle a fournie.

96      Concernant le rôle de Zanders dans la cessation de l’infraction, il convient de relever que, dans sa réponse du 12 décembre 2000 à la CG, Zanders a invoqué la lettre du 1er avril 1996 du président‑directeur général d’International Paper à l’ensemble des employés du groupe, attirant leur attention sur le fait que le groupe attachait la plus haute importance au respect des lois et de l’éthique dans le cadre des contacts avec les clients, les partenaires commerciaux, les administrations et les autres instances. Elle a également mentionné la réunion tenue en son sein et destinée à garantir le respect du droit de la concurrence par ses cadres et à arrêter un programme de mise en conformité avec ce droit. Elle a par ailleurs rappelé que le président de son directoire, devenu président de l’AEMCP le 1er janvier 1996, avait déclaré publiquement et sans ambiguïté, après son accession à la présidence de l’association, que l’entreprise avait renoncé aux activités collusoires.

97      Force est de constater que les éléments visés au point précédent ont été présentés par Zanders, dans sa réponse à la CG, au soutien de ses observations visant à réfuter le grief, formulé par la Commission dans la CG, relatif à la poursuite de contacts collusoires après l’automne 1995. Plus précisément, la présentation desdits éléments s’est inscrite dans l’argumentation développée par Zanders pour établir que, à partir de l’automne 1995, elle n’a plus participé à des réunions secrètes du cartel ni à des pratiques concertées sur les prix avec des concurrents, sa politique de prix a revêtu un caractère autonome et, en particulier, la hausse de prix qu’elle a appliquée en septembre 1996 n’a pas procédé d’une réunion collusoire.

98      Or, il est indéniable que l’argumentation de Zanders exposée au point précédent a été prise en compte par la Commission au cours de la procédure administrative. Dans la décision, le terme de la période d’infraction retenue dans le chef de Zanders correspond en effet au mois de septembre 1995, et non, comme dans la CG, au mois de mars 1997.

99      En revanche, ni la réponse du 12 décembre 2000 de Zanders à la CG, ni les observations complémentaires adressées par Zanders à la Commission le 2 mars 2001 ne font apparaître que les éléments mentionnés au point 96 ci-dessus, ou d’autres éléments, aient été avancés par Zanders au cours de la procédure administrative en vue de démontrer, comme Zanders cherche à présent à le faire, qu’elle aurait joué un rôle déterminant dans la cessation de l’entente illicite, de nature à justifier la reconnaissance d’une circonstance atténuante dans le cadre de la fixation de l’amende. Zanders ne saurait, dans ces conditions, reprocher à la Commission une violation du principe de bonne administration au motif que cette dernière aurait omis de prendre en compte les éléments susmentionnés en tant qu’éléments prétendument destinés à établir qu’elle a contribué de manière décisive à la cessation de la collusion avant les premières investigations de la Commission.

100    De même, il y a lieu de relever que, dans sa réponse à la CG, Zanders n’a pas allégué avoir joué un rôle exclusivement passif dans l’entente. Elle ne saurait donc invoquer un défaut de motivation de la décision à cet égard. Par ailleurs, pour la période allant de 1992 jusqu’à l’automne 1995, elle a contesté, dans sa réponse à la CG, avoir joué le rôle de tout premier plan ou primordial que lui imputaient les points 187 et 199 de la CG. C’était donc l’absence de circonstance aggravante qu’elle faisait valoir. Or la Commission n’en a pas retenu à l’égard de Zanders.

101    S’agissant, par ailleurs, du rapport d’expertise commandé par Koehler, MHTP et Zanders à la société PricewaterhouseCoopers, ce rapport, daté du 2 mars 2001 est intitulé « La situation concurrentielle sur le marché européen du papier autocopiant de l’été ou de l’automne 1995 à février ou à mars 1997 » (ci-après le « rapport PricewaterhouseCoopers »).

102    Il ressort de la lettre accompagnant l’envoi du rapport PricewaterhouseCoopers que ce dernier avait pour objet principal de réfuter les allégations formulées par la Commission dans la CG en ce qui concerne le fonctionnement de l’entente sur le marché du papier autocopiant durant la période comprise entre l’été ou l’automne 1995 et février ou mars 1997. Du reste, la conclusion de ce rapport mentionne expressément le fait que l’analyse économique indique que le comportement des trois producteurs en cause entre l’été ou l’automne 1995 et février ou mars 1997 n’était pas concerté.

103    Force est de constater que le rapport PricewaterhouseCoopers porte sur une période qui se situe en dehors de celle retenue comme infractionnelle dans la décision. Dans cette mesure, il ne saurait être considéré comme pertinent.

104    Toutefois, la lecture de la requête fait apparaître que la critique de Zanders porte sur le fait que la Commission aurait omis de prendre en compte les indications, figurant également dans le rapport PricewaterhouseCoopers, tendant à démontrer l’impact dérisoire, voire inexistant, des tentatives d’ententes sur les prix durant la période comprise entre janvier 1992 et l’automne 1995.

105    À cet égard, même en considérant qu’il y a lieu de tenir compte d’indications accessoires fournies à l’appui d’une démonstration dépourvue de pertinence, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte des arguments de Zanders sur l’impact prétendument limité de l’entente.

106    En effet, au considérant 388 de la décision, il est indiqué ce qui suit :

« AWA, Carrs, MHTP (Stora), Koehler, Sappi et Zanders soutiennent que l’incidence réelle de l’entente sur le marché du papier autocopiant dans l’EEE a été très limitée, voire que l’entente n’a eu aucune incidence négative. Ces entreprises invoquent essentiellement, à cet égard, le fait que l’incidence sur les prix a été limitée ou nulle, les prix effectivement obtenus sur le marché ayant été inférieurs aux hausses décidées ou annoncées. Selon ces membres de l’entente, cela démontre que les hausses de prix convenues n’ont pas été mises en œuvre dans la pratique. Ils ont présenté de nombreux arguments au soutien de cette affirmation, notamment les suivants : les prix et les marges des producteurs ont considérablement chuté ; les prix du papier autocopiant reflètent essentiellement les variations des coûts et de la demande de pâte à papier, et, au cours des dernières phases de l’entente, les contraintes de capacité ; la concurrence entre producteurs a continué de s’exercer ; les producteurs ont dû négocier individuellement des hausses de prix avec les clients. »

107    Bien qu’il ne fasse pas explicitement mention du rapport PricewaterhouseCoopers adressé par Zanders à la Commission au cours de la procédure administrative, cet extrait de la décision atteste indéniablement du fait que la Commission a pris en compte, durant ladite procédure, les indications fournies, notamment par Zanders, en vue de démontrer l’impact dérisoire, voire inexistant, des tentatives d’ententes sur les prix durant la période de l’infraction. Le rejet par la Commission des arguments des entreprises soutenus par ces indications signifie que la Commission a considéré que ces arguments n’étaient pas de nature à modifier son point de vue, exposé aux considérants 382 à 387 de la décision, concernant l’impact concret de l’infraction sur le marché. En revanche, cet extrait ne saurait être interprété comme établissant que la Commission aurait omis, dans son appréciation de l’affaire, de prendre dûment en considération les éléments présentés par Zanders pour sa défense (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 118).

108    Au terme de l’analyse qui précède, il y a lieu de rejeter ce cinquième moyen.

6.     Sur le sixième moyen, fondé sur une violation du principe de bonne administration, du droit d’accès au dossier et des droits de la défense, résultant du caractère difficilement localisable de certains documents dans le dossier d’instruction et du caractère inutilisable de la liste des documents constitutifs dudit dossier

a)     Arguments des parties

109    AWA soutient que la liste des documents jointe par la Commission au CD‑ROM qui lui a été remis au cours de la procédure administrative était inutilisable. En effet, affirme-t‑elle, cette liste ne contenait pas d’index ni de description des documents concernés, mais se bornait à indiquer les motifs relatifs au caractère prétendument confidentiel de certains d’entre eux et l’emplacement de l’éventuelle version non confidentielle correspondante.

110    Koehler allègue que, avant l’envoi du CD-ROM aux destinataires de la CG, la Commission a retiré du dossier certains documents confidentiels et les a remplacés par des versions non confidentielles qui ont été insérées à d’autres endroits du dossier. Ni dans la CG ni dans la décision, la Commission n’aurait cependant pris la peine de modifier en conséquence les références aux documents ainsi déplacés. En outre, elle n’aurait pas mentionné l’existence de ces versions non confidentielles ni indiqué comment retrouver celles-ci dans le dossier. S’agissant de la liste des documents établie par la Commission, elle ne permettrait qu’une identification fort approximative des documents visés. Parfois, il serait même impossible de retrouver le document en question.

111    La Commission estime qu’aucune violation des droits de la défense ne peut lui être reprochée. D’une part, elle aurait mis à la disposition des entreprises, en même temps que le CD-ROM, une liste des différentes pièces du dossier en ayant recours à la classification usuelle concernant le degré d’accessibilité des documents. D’autre part, les documents cités dans la CG auraient déjà été joints à celle-ci, avec une liste établissant la correspondance entre les versions confidentielles et les versions non confidentielles.

b)     Appréciation du Tribunal

112    Il ressort des indications fournies par la Commission dans les deux affaires concernées (T‑118/02 et T‑125/02) que celle-ci a, le 26 juillet 2000, adressé aux destinataires de la CG, en même temps que ladite CG et que les documents visés dans celle-ci, une liste des documents annexés à la CG. Cette liste a été produite par la Commission en annexe à son mémoire en défense dans l’affaire T‑125/02. Sur demande du Tribunal, la Commission a également produit ladite liste dans l’affaire T‑118/02.

113    La liste en question comprend pour chaque document visé dans la CG, en suivant l’ordre de citation dans ladite CG, une description sommaire du document, l’identité de l’entreprise chez laquelle le document a été trouvé ou qui a communiqué celui-ci, le numéro du document ainsi que, le cas échéant, le numéro de la version non confidentielle de celui-ci.

114    Le 1er août 2000, les destinataires de la CG ont par ailleurs reçu de la part de la Commission, en même temps que le CD-ROM contenant l’intégralité du dossier d’instruction de la Commission, une liste, intitulée « Liste de documents », précisant pour chaque document, en suivant l’ordre de numérotation du dossier, le code d’accessibilité du document (A pour accessible ; PA pour partiellement accessible ; NA pour non accessible). En ce qui concerne les documents classés comme non accessibles ainsi que pour les parties non accessibles des documents classés comme partiellement accessibles, elle contenait une indication concernant la localisation dans le dossier de la version non confidentielle du document ou de la partie de document concerné et/ou une description sommaire du contenu du document ou de la partie du document concerné. Ce faisant, la Commission a pleinement respecté les dispositions du point II A 1.4 de sa communication relative aux règles de procédure interne pour le traitement des demandes d’accès au dossier dans les cas d’application des articles [81] et [82] du traité CE, des articles 65 et 66 du traité CECA et du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil (JO 1997, C 23, p. 3).

115    Disposant, d’une part, de la liste des documents joints à la CG, et, d’autre part, de la « Liste de documents » mentionnée au point précédent, AWA et Koehler étaient parfaitement en mesure, comme les autres destinataires de la CG, de retrouver dans le dossier d’instruction les documents recherchés, dans leur version originale ou dans leur version non confidentielle en fonction du code d’accessibilité indiqué sur ces listes.

116    Certes, ainsi que la Commission elle-même l’affirme dans ses écritures relatives à l’affaire T‑125/02, s’agissant des documents – notamment de ceux, spécifiquement visés par Koehler, cités dans la CG – qui étaient classés comme non accessibles ou comme partiellement accessibles, les destinataires de la CG n’ont pas trouvé immédiatement, à l’endroit correspondant à leur numéro dans le dossier, leur version non confidentielle ou la description sommaire de leur contenu, et elles ont dû se référer à une liste pour localiser dans le dossier cette version non confidentielle ou cette description sommaire. Toutefois, les désagréments mineurs et la légère perte de temps qu’une telle situation a pu occasionner aux destinataires de la CG ne sauraient à l’évidence être regardés comme pouvant affecter la légalité de la décision.

117    Il s’ensuit que ce sixième moyen doit être rejeté.

7.     Sur le septième moyen, fondé sur une violation du principe de bonne administration et des droits de la défense en raison du caractère tardif de la notification de la décision

a)     Arguments des parties

118    AWA fait valoir que, alors que l’adoption de la décision date apparemment du 20 décembre 2001, celle-ci ne lui a été notifiée que le 8 février 2002. Elle ajoute que, quels que soient les motifs de ce retard, elle a, durant le mois et demi qui a suivi l’adoption de la décision, été dans l’impossibilité d’expliquer, notamment à ses clients, les motifs pour lesquels elle a reçu la plus grosse amende individuelle jamais imposée.

119    La Commission répond qu’elle a adopté, le 5 février 2002, un bref rectificatif de sa décision du 20 décembre 2001 en raison du changement de dénomination sociale de la requérante. La notification le 8 février 2002 de la décision assortie d’un corrigendum expliquant les changements apportés ne saurait dès lors être considérée comme tardive.

b)     Appréciation du Tribunal

120    Il résulte de la lettre du 7 février 2002, par laquelle le membre de la Commission en charge des affaires de concurrence a notifié la décision à ses destinataires, dont AWA, que ladite décision a été adoptée le 20 décembre 2001 et a été rectifiée le 5 février 2002 par la procédure écrite E/177/2002. L’existence de ce rectificatif explique que la notification de la décision à ses destinataires soit survenue un mois et demi après son adoption. Quant au délai entre l’adoption de la décision et sa rectification, il ne saurait être considéré comme excessif.

121    Pour autant que l’argumentation d’AWA doive encore être comprise comme critiquant le fait que la Commission aurait rendu publique la décision avant d’en donner connaissance à ses destinataires, ce qui aurait empêché AWA de s’expliquer à l’égard de tiers sur les motifs de cette décision, il convient de relever qu’AWA ne fournit aucun élément de nature à établir que la Commission ait dévoilé la teneur de la décision avant de la notifier à ses destinataires. En tout état de cause, à supposer même que tel ait été le cas, il y a lieu de souligner que, quelque regrettable que soit un tel procédé, la décision avait déjà été adoptée et que des actes postérieurs à son adoption ne peuvent affecter sa validité (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, point 16).

B –  Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE ainsi que d’erreurs d’appréciation de la Commission relatives à la participation de certaines entreprises à l’infraction

122    Trois entreprises, à savoir Bolloré, Divipa et Zicuñaga, contestent le bien-fondé des appréciations de la Commission relatives à leur participation à l’infraction.

1.     Situation de Bolloré

123    À titre liminaire, il faut rappeler que, dans la décision (considérants 353 à 356), la Commission tient Bolloré pour responsable de l’infraction, d’une part, sur la base de son implication personnelle directe dans les activités du cartel et, d’autre part, en raison de sa responsabilité pour la participation de sa filiale Copigraph à l’entente. Il a toutefois été jugé (voir points 66 à 81 ci-dessus) que la CG n’avait pas permis à Bolloré de prendre connaissance du grief tiré de son implication personnelle dans l’entente, ni des faits allégués par la Commission, dans la décision, au soutien de ce grief. Cette conclusion rend sans objet l’examen de l’argumentation au fond développée par Bolloré pour contester le bien-fondé de son implication personnelle et directe dans l’entente.

124    Il convient donc d’examiner l’argumentation de Bolloré tirée de ce que la Commission lui a imputé à tort le comportement infractionnel de sa filiale Copigraph à l’entente.

a)     Arguments des parties

125    Bolloré souligne que, dans la décision, la Commission s’appuie sur deux éléments pour la rendre responsable du comportement de Copigraph, à savoir, d’une part, le fait que Copigraph était sa filiale à 100 % à l’époque de l’infraction et, d’autre part, le fait qu’elle était nécessairement informée de la participation de Copigraph à l’entente.

126    Elle soutient que le premier élément ne suffit pas pour lui imputer le comportement infractionnel de Copigraph. Un élément supplémentaire serait en effet nécessaire pour permettre à la Commission de présumer l’existence d’une influence déterminante de la société mère sur les comportements de sa filiale. Toutefois, en l’espèce, un tel élément supplémentaire ferait défaut. Bolloré aurait en effet exposé dans sa réponse à la CG que Copigraph jouissait d’une grande autonomie dans la conduite de sa politique commerciale, ce que la Commission ne contesterait d’ailleurs pas. En outre, Copigraph n’aurait représenté qu’un tiers du chiffre d’affaires de la papeterie Bolloré de Thonon‑les-Bains et ces relations d’affaires entre Bolloré et Copigraph n’auraient pas impliqué une limitation de l’autonomie commerciale de Copigraph.

127    S’agissant du second élément, Bolloré relève que la Commission le déduit de trois faits, à savoir l’appartenance de Copigraph à sa division « Papiers spéciaux », le fait que M. V., directeur de cette division, était également le directeur général de Copigraph et le directeur général de la papeterie Bolloré à Thonon‑les-Bains et le fait que M. J. B., directeur commercial de Copigraph à l’époque, occupait également une fonction de vente à la papeterie de Thonon‑les-Bains depuis 1994. Or, ces trois faits ne permettraient pas de considérer que Bolloré ait été nécessairement informée de la participation de Copigraph à l’entente.

128    Selon la Commission, il n’est pas contesté que, entre 1990 et 1998, Copigraph était une filiale à 100 % de Bolloré, ce qui, en vertu de la jurisprudence, suffirait à présumer que cette dernière exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Cette présomption serait, du reste, corroborée par les éléments exposés aux considérants 353 à 355 de la décision.

b)     Appréciation du Tribunal

129    À titre liminaire, il convient de souligner que, tout en contestant la durée de l’infraction, Bolloré ne nie cependant pas la réalité de l’implication de Copigraph dans les activités du cartel.

130    Son argumentation consiste, en substance, à soutenir que les éléments invoqués par la Commission dans la décision ne permettent pas de la tenir pour responsable de la participation de sa filiale Copigraph à l’entente.

131    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère, notamment lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère (arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, points 132 et 133 ; Geigy/Commission, 52/69, Rec. p. 787, point 44, et du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, point 26).

132    À cet égard, l’élément relatif à la détention de la totalité du capital de la filiale, s’il constitue un indice fort de l’existence, dans le chef de la société mère, d’un pouvoir d’influence déterminant sur le comportement de la filiale sur le marché, ne suffit pas, à lui seul, pour permettre d’imputer la responsabilité du comportement de la filiale à la société mère (voir, en ce sens, arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 131 supra, points 27 à 29, et conclusions de l’avocat général M. Mischo sous cet arrêt, Rec. p. I‑9928, points 17 à 62). Un élément supplémentaire par rapport au taux de participation reste nécessaire, mais il peut être constitué par des indices. Cet élément supplémentaire ne doit pas forcément résider dans la preuve d’instructions effectivement données par la société mère à la filiale pour que celle-ci participe à l’entente (voir, en ce sens, conclusions susvisées, points 40, 48 et 51).

133    En l’espèce, il ressort des considérants 353 et 354 de la décision que, pour imputer à Bolloré la responsabilité de la participation de Copigraph à l’entente, la Commission ne s’est pas exclusivement fondée sur la détention non contestée de la totalité du capital de Copigraph par Bolloré à l’époque de l’infraction, mais également sur d’autres éléments de fait, évoqués au point 127 ci-dessus, visant à établir que Copigraph appliquait pour l’essentiel les instructions qui lui étaient données par Bolloré.

134    Reprenant l’argumentation exposée dans sa réponse du 28 novembre 2000 à la CG (considérant 353 de la décision), Bolloré avance différents éléments visant à démontrer que Copigraph jouissait, à l’époque de l’infraction, d’une autonomie commerciale complète. Il convient, dans ces conditions, d’examiner si ces différentes allégations sont fondées ou s’il existe au contraire des indices d’une influence déterminante exercée par Bolloré sur sa filiale.

135    En premier lieu, Bolloré a fait valoir, au cours de la procédure administrative, que son organe de direction et celui de Copigraph étaient totalement distincts.

136    Toutefois, la note en bas de page n° 1 de la réponse de Bolloré à la CG contient l’indication suivante :

« Jusqu’en 1993, Bolloré et Copigraph avaient un administrateur commun, Madame [G.], qui était représentant de Bolloré Participation au Conseil de Bolloré Technologie, et représentant permanent de Copigraph Holding au sein de Copigraph. Elle a cessé ces dernières fonctions le 25 octobre 1993.»

137    Ainsi, sous réserve de l’examen ultérieur du bien-fondé de l’argumentation de Bolloré visant à contester la participation de Copigraph à l’infraction avant septembre ou octobre 1993, l’organe de direction de Copigraph a compris, pendant une partie de la période de l’infraction retenue par la Commission, un membre du conseil d’administration de Bolloré.

138    En outre, il ressort des indications fournies par Bolloré dans sa réponse à la CG, que, quoique n’étant pas membres du conseil d’administration de Bolloré, les quatre personnes ayant composé le conseil d’administration de Copigraph de septembre 1993 à mars 1997 occupaient toutes des fonctions (financières, comptables ou de gestion), pour la plupart de direction, au sein de Bolloré. De plus, comme la Commission le constate, à juste titre, au considérant 354 de la décision, M. V., qui était le président‑directeur général de Copigraph pendant la période de l’infraction, était, aux termes de la réponse de Bolloré à la CG, un salarié de cette dernière, en charge de la direction de son usine de papier de Thonon‑les-Bains. D’après les indications figurant dans ce même considérant de la décision – indications que Bolloré confirme dans ses écritures –, M. V. était par ailleurs le directeur de la division « Papiers spéciaux » de Bolloré. Cette présence massive de membres de la direction de Bolloré à la tête de Copigraph atteste de l’importance de l’implication de Bolloré dans la gestion de sa filiale. Elle a nécessairement placé Bolloré en situation d’influencer de manière déterminante la politique commerciale de Copigraph sur le marché.

139    Cette analyse est encore renforcée, en ce qui concerne la période de l’infraction comprise entre février et septembre 1995, par les indications contenues dans l’attestation délivrée le 2 avril 2002 par M. J. B., jointe en annexe à la requête, selon lesquelles cette personne, qui a été le directeur commercial de Copigraph de fin septembre 1992 à mars 1997, a simultanément occupé une fonction commerciale au sein de Bolloré, à partir de février 1995.

140    Il y a lieu d’ajouter, à cet égard, que le fait que le Tribunal ait jugé, dans l’arrêt du 14 mai 1998, KNP BT/Commission (T‑309/94, Rec. p. II‑1007, points 47 et 48), que la participation d’un membre du directoire de la société mère aux réunions collusoires était un élément de nature à démontrer que la société mère connaissait et approuvait nécessairement la participation de sa filiale à l’infraction ne saurait être interprété comme signifiant que le ou les membres de la société mère assumant des fonctions de direction au sein de la filiale doivent nécessairement avoir la qualité de mandataire social de la société mère pour qu’il puisse être conclu à l’absence d’autonomie commerciale de la filiale par rapport à la société mère (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Mischo, sous l’arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 132 supra, point 58). En effet, le fait pour une personne membre de la société mère de ne pas être un mandataire social de celle-ci ne l’empêche pas de veiller, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions dirigeantes au sein de la filiale, à ce que la ligne d’action de la filiale sur le marché soit conforme aux orientations dégagées par les instances dirigeantes de la société mère.

141    En deuxième lieu, Bolloré a souligné, au cours de la procédure administrative, que Copigraph disposait d’une infrastructure propre.

142    Certes, ainsi que Bolloré l’a fait valoir dans sa réponse à la CG, la circonstance que la filiale ne soit ni le propriétaire des installations de production ni l’employeur de son personnel et que son chiffre d’affaires soit comptabilisé dans les comptes annuels de la société mère peut contribuer à démontrer l’absence d’indépendance de la filiale par rapport à la société mère (voir, en ce sens, arrêt Mo och Domsjö/Commission, point 67 supra, points 89 à 94). Néanmoins, le fait que, en l’espèce, Copigraph ait, ainsi que Bolloré l’a indiqué dans sa réponse à la CG sans que cela ait été mis en doute par la Commission, disposé de ses propres installations de production et de son propre personnel et qu’elle ait comptabilisé son chiffre d’affaires dans ses propres comptes annuels ne prouve pas, en soi, que Copigraph ait défini son comportement sur le marché en totale autonomie par rapport à sa société mère, Bolloré.

143    En dernier lieu, Bolloré a fait état, au cours de la procédure administrative, d’une série d’éléments attestant, selon elle, de l’indépendance de la politique commerciale de Copigraph. D’une part, les activités liées au papier seraient mineures et le chiffre d’affaires de Copigraph représenterait une part infime du chiffre d’affaires du groupe. D’autre part, même après avoir été rachetée par Bolloré, Copigraph aurait continué à acquérir près de 35 % de ses besoins en matières premières à l’extérieur du groupe Bolloré, notamment auprès d’un concurrent direct de Bolloré.

144    Cependant, même à les supposer exactes, les affirmations de Bolloré relatives à l’importance mineure de ses activités dans le secteur du papier, d’une part, et du chiffre d’affaires de Copigraph au sein du groupe Bolloré, d’autre part, ne prouvent aucunement que Bolloré ait laissé à Copigraph une autonomie totale pour définir son comportement sur le marché. Aucune conclusion en ce sens ne peut non plus être tirée de l’approvisionnement partiel de Copigraph, au cours de la période de l’infraction, en matières premières auprès de fournisseurs ne relevant pas du groupe Bolloré. En effet, cette constatation n’exclut nullement que, en participant à l’entente, Copigraph ait appliqué pour l’essentiel les instructions données par sa société mère.

145    À cet égard, il y a d’ailleurs lieu de souligner que, comme l’indique le considérant 354 de la décision sans que cela ait été contesté par Bolloré, Copigraph faisait partie de la division « Papiers spéciaux » de Bolloré.

146    En outre, la réponse de Bolloré à la CG comporte les indications suivantes en ce qui concerne les circonstances de l’acquisition de Copigraph par Bolloré :

« En 1990, l’usine de papier de Bolloré située à Thonon‑les-Bains (Haute-Savoie) se heurtait à une concurrence très dure sur un marché du papier marqué par quatre années consécutives de hausse du prix de la pâte à papier.

[Copigraph] assurait quant à elle des activités de transformation et de distribution de papier autocopiant, et figurait à ce titre parmi les principaux clients de l’usine de Thonon. Copigraph représentait plus [du tiers] du chiffre d’affaires de cet établissement et plus de la moitié des volumes de ce même établissement.

C’est essentiellement pour assurer les débouchés de l’usine de Thonon et garantir la pérennité de cet établissement industriel (qui employait à l’époque 340 personnes) que la société Bolloré a donc fait l’acquisition de l’ensemble des actions de [Copigraph].

Cette intégration verticale apparaissait d’autant plus judicieuse à l’époque que l’usine de Thonon devait faire face à une situation délicate eu égard à l’état de surcapacité affectant le marché. »

147    Ainsi que la Commission le souligne à juste titre dans ses écritures, il ressort de l’extrait reproduit ci-dessus que le rattachement de Copigraph à la division « Papiers spéciaux » s’inscrivait dans un schéma d’intégration verticale dans lequel l’usine de Bolloré située à Thonon‑les-Bains était en charge de la production du papier autocopiant et Copigraph de la transformation et de la distribution du produit. Ce même extrait fait en outre apparaître que l’acquisition de Copigraph par Bolloré a essentiellement visé à assurer les débouchés et la pérennité de l’usine de Bolloré à Thonon‑les-Bains dans un contexte de difficultés économiques liées à l’existence d’une forte concurrence sur le marché. La Commission était fondée à voir dans ces indications un élément contribuant à établir que la participation de Copigraph à l’entente sur les prix avait procédé de l’application d’une politique générale définie par Bolloré en vue, notamment, de chercher à préserver la position de son usine de Thonon‑les-Bains sur le marché.

148    Il découle de ce qui précède que les éléments mis en avant par Bolloré ne permettent pas de soutenir ses affirmations concernant l’autonomie de Copigraph. Au contraire, les éléments relevés aux points 136 à 140 et 145 à 147 ci-dessus, conjugués à celui relatif à la détention par Bolloré de l’intégralité du capital de Copigraph au cours de la période de l’infraction, conduisent à considérer que la participation de Copigraph à l’entente sur les prix a résulté de l’exercice par Bolloré d’une influence déterminante sur le comportement de celle-ci. C’est donc à juste titre que la Commission a tenu Bolloré pour responsable de la participation de Copigraph à l’entente.

149    Par ailleurs, la circonstance que Copigraph a été rachetée par AWA en novembre 1998 n’est pas de nature à décharger Bolloré, qui existe toujours, de sa responsabilité du fait des comportements infractionnels adoptés par Copigraph avant ce rachat (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 145, et du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C‑297/98 P, Rec. p. I‑10101, point 25).

150    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le moyen tiré par Bolloré d’une violation de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission lui impute le comportement infractionnel de sa filiale Copigraph. La responsabilité de Bolloré dans l’infraction est dès lors établie, indépendamment de son implication directe dans celle-ci, qui a été écartée (voir points 66 à 81 ci-dessus).

2.     Situation de Divipa et de Zicuñaga

a)     Arguments des parties

151    Divipa et Zicuñaga soutiennent que la Commission a erronément constaté leur participation respective à des réunions de l’entente sur le marché espagnol. Elles contestent la valeur probante de plusieurs documents sur lesquels la Commission s’appuie. Elles avancent également qu’il ne saurait être considéré qu’elles aient su ou dû savoir que l’entente avait une portée européenne.

152    Toutes deux font en outre valoir que la Commission n’a pas tenu compte de leurs caractéristiques propres. Elles soulignent l’une et l’autre qu’elles ne sont pas membres de l’AEMCP. Divipa ajoute qu’elle est une entreprise familiale de taille modeste opérant exclusivement sur le marché espagnol qui n’est pas producteur, mais transformateur et distributeur de papier autocopiant. Ses prix dépendraient de ceux de son principal fournisseur, Koehler, et de ceux de ses concurrents. Zicuñaga insiste quant à elle sur le fait qu’elle n’a jamais vendu de papier autocopiant.

153    Zicuñaga allègue par ailleurs que la Commission a retenu à tort sa participation à un plan global comportant des pratiques concertées de hausses de prix et des accords de fixation de quotas de vente et de parts de marché.

154    La Commission conteste les critiques des requérantes concernant la valeur probante des pièces qu’elle invoque à l’appui de sa thèse. Elle expose que les preuves doivent être appréciées dans leur ensemble en tenant compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes. Ces preuves établiraient la participation de Divipa et de Zicuñaga à l’entente sur le marché espagnol. Pour pouvoir leur imputer la participation à l’entente européenne, il suffirait que la Commission démontre non pas la connaissance de tous les détails et éléments de cette entente, mais l’existence d’une série de circonstances objectives permettant de considérer qu’elles connaissaient ou pouvaient raisonnablement prévoir la dimension européenne de l’entente. La Commission ajoute que, dans la décision, le statut de membre de l’AEMCP en tant que tel n’a pas été considéré comme un élément constitutif de l’infraction. Par ailleurs, la taille ou le statut de grossiste, de distributeur ou de transformateur ne saurait exonérer l’entreprise en cause de sa responsabilité en cas de violation des règles de concurrence. Le fait que l’entente n’ait pas toujours été couronnée de succès ou que l’entreprise concernée n’ait pas constamment respecté les termes de l’accord n’empêcherait pas de retenir sa participation à celui-ci. Il ne serait pas nécessaire de démontrer la participation de l’entreprise à chacune des manifestations de l’entente.

b)     Appréciation du Tribunal

155    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que les preuves de la participation à une entente doivent être appréciées dans leur ensemble en tenant compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes (voir, en ce sens, conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d’avocat général sous l’arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T‑1/89, Rec. p. II‑867, II‑956 – Conclusions communes aux arrêts dits « polypropylène »). Il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise. Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction, il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering/Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, points 179 et 180, et la jurisprudence citée).

156    Aux termes de l’article 1er, premier et second alinéas, de la décision, la Commission reproche à Divipa et à Zicuñaga d’avoir participé, en violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, à un « ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur du papier autocopiant ». L’infraction aurait débuté pour Divipa en mars 1992 et pour Zicuñaga en octobre 1993 et aurait pris fin pour l’une et l’autre en janvier 1995.

157    D’une lecture combinée des considérants 77 à 81, 252, 253, 327, 328, 333 et 334 de la décision, il ressort que la Commission a constaté que cet ensemble d’accords et de pratiques concertées a constitué un plan anticoncurrentiel global ayant consisté, essentiellement, à s’entendre sur des hausses de prix et sur le calendrier de leur mise en œuvre, et, en certaines occasions, à fixer en commun des quotas de vente et des parts de marché et à s’échanger des informations afin de faciliter la conclusion d’accords de hausses de prix ou d’assurer l’application des hausses de prix convenues.

158    Aux considérants 153 à 176 de la décision, la Commission fait état d’une série d’éléments attestant, selon elle, de la tenue de réunions collusoires sur le marché espagnol entre février 1992 et octobre 1994, et de la participation de Divipa et de Zicuñaga à plusieurs de ces réunions.

159    Ensuite, la Commission affirme, au considérant 286 de la décision, que, bien qu’il ait été constaté que Divipa et Zicuñaga ont assisté uniquement à des réunions du cartel concernant le marché espagnol, elles ne pouvaient ignorer que l’entente portait sur l’ensemble du territoire qui est devenu l’EEE en 1994. À l’appui de cette affirmation, elle invoque au considérant 287, en renvoyant aux considérants 89 à 94 et aux considérants 197, 211, 277 et 280 de la décision, notamment le fait que les deux niveaux de réunions s’imbriquaient l’un dans l’autre et qu’aucun participant aux réunions nationales ne pouvait ignorer que ces réunions complétaient les réunions générales du cartel.

160    Il convient dès lors de vérifier d’abord le bien-fondé des allégations de la Commission relatives à l’existence d’une entente sur le marché espagnol et à la participation de Divipa et de Zicuñaga à celle-ci. Si ces allégations se révèlent fondées, il faudra, ensuite, examiner si la preuve d’une telle participation, conjuguée aux éléments exposés aux considérants 286 à 289 de la décision, permet d’établir que Divipa et Zicuñaga ont également participé à l’entente générale constatée à l’article 1er, premier alinéa, de la décision.

 Sur l’existence de réunions collusoires relatives au marché espagnol

161    Force est de constater que plusieurs éléments concourent à établir l’existence d’une entente sur le marché espagnol du papier autocopiant dès le mois de février 1992 et jusqu’en 1995.

162    En premier lieu, Sappi a admis sa participation aux réunions du cartel concernant le marché espagnol à partir de février 1992 et a fourni différentes informations à cet égard. Dans sa réponse du 18 mai 1999 à la Commission (documents nos 15193 à 15206), Sappi fait référence à différentes réunions collusoires concernant le marché espagnol, qui se seraient tenues les 17 et 27 février 1992, 30 septembre et 19 octobre 1993, ainsi que les 3 mai et 29 juin 1994. En ce qui concerne les années 1993 à 1995, un employé de Sappi a déclaré (documents nos 15179 et 15180) avoir assisté à six ou à sept réunions à Barcelone avec d’autres fournisseurs. Ces réunions avaient lieu environ quatre ou cinq fois par an. Il pensait y avoir assisté pour la première fois le 19 octobre 1993 et pour la dernière fois en 1995. Selon lui, le but de ces réunions était de fixer les prix sur le marché espagnol. Elles duraient environ deux heures et, en principe, se soldaient par une décision de hausse de prix en pourcentage. Les participants étaient Copigraph, Arjo Wiggins, Torraspapel, Zicuñaga, Koehler, Stora‑Feldmühle (devenue MHTP), Zanders et Divipa. Les extraits des déclarations de Sappi figurant dans ces différents documents faisaient partie des documents joints à la CG, de sorte que toutes les requérantes y ont eu accès. La Commission les a également produits devant le Tribunal.

163    En deuxième lieu, AWA a reconnu sa participation à des réunions multilatérales d’entente entre les producteurs de papier autocopiant et remis à la Commission une liste de réunions entre concurrents ayant eu lieu entre 1992 et 1998. Le document n° 7828, qui est extrait d’une réponse du 30 avril 1999 adressée par AWA à la Commission, comporte une affirmation générale d’AWA portant sur l’organisation de plusieurs réunions, notamment, à Lisbonne et à Barcelone entre 1992 et 1994, auxquelles elle pense qu’ont assisté des représentants de Sarrió, de Binda, de Stora‑Feldmühle (devenue MHTP) et de Divipa ou de certaines de ces entreprises, ainsi que, probablement à une réunion seulement, de Zicuñaga. Le caractère collusoire de certaines de ces réunions ressort de la suite des déclarations d’AWA, reproduites dans le document n° 7829, selon lesquelles certaines de ces réunions étaient « déplacées » (improper), en ce qu’elles ont servi de cadre à des discussions sur les prix du papier autocopiant, y compris à des échanges d’intentions concernant des annonces de hausses de prix. Les déclarations d’AWA figurant dans ces deux documents (nos 7828 et 7829), produits devant le Tribunal, faisaient également partie des documents joints à la CG auxquels Divipa et Zicuñaga ont eu accès.

164    AWA a ensuite fourni, dans sa réponse à la CG, une liste des réunions « déplacées » entre concurrents dont AWA dit avoir contribué à établir l’existence. Cette liste inclut, pour le seul marché espagnol, les réunions des 17 février et 5 mars 1992, 30 septembre 1993, 3 mai, 29 juin et 19 octobre 1994. Cette liste, mentionnée au considérant 170 de la décision et dont le Tribunal a demandé la production dans l’affaire T‑132/02, n’indique pas les entreprises présentes à ces réunions. Ni Divipa, ni Zicuñaga, ni aucune autre requérante n’ont identifié cette liste comme un document à charge auquel elles n’auraient pas eu accès ou n’ont fait de demande visant à y avoir accès.

165    En troisième lieu, dans ses déclarations du 14 avril 1999 (documents nos 7647 à 7655), Mougeot, qui a également reconnu sa participation à des réunions multilatérales d’entente entre producteurs de papier autocopiant, énumère plusieurs réunions, en indiquant pour chacune son objet, son contenu et les personnes y ayant participé. Parmi ces réunions, figure, pour le marché espagnol, celle du 19 octobre 1994, à laquelle Copigraph, Stora, Torraspapel, Divipa, Ekman, Zicuñaga, Koehler, AWA et Mougeot avaient, aux dires de cette dernière, un représentant. Selon ces documents, l’objet de cette réunion était l’organisation du marché espagnol et à la rubrique « Contenu de la réunion », il était spécifié : « Fixation des prix du marché espagnol en fonction de la taille des clients […] ». Les déclarations de Mougeot faisaient aussi partie des documents joints à la CG et produits devant le Tribunal.

166    Certes, ces déclarations de Mougeot sont postérieures aux faits et ont été effectuées aux fins de l’application de la communication sur la coopération. Elles ne sauraient pour autant être considérées comme dépourvues de valeur probante. En effet, les déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant doivent, en principe, être considérées comme des éléments de preuve particulièrement fiables (arrêt JFE Engineering/Commission, point 155 supra, point 211).

167    Toutefois, selon la jurisprudence du Tribunal, la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de l’existence d’une infraction commise par ces dernières sans être étayée par d’autres éléments de preuve (arrêt JFE Engineering/Commission, point 155 supra, point 219 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Enso-Gutzeit/Commission, T‑337/94, Rec. p. II‑1571, point 91).

168    À cet égard, il convient de relever, d’une part, que les déclarations de Sappi, d’AWA et de Mougeot se recoupent sur de nombreux points, de sorte que les unes viennent étayer les autres. D’autre part, il s’avère en l’espèce que leurs déclarations sont corroborées par d’autres éléments de preuve contemporains des faits litigieux. Ainsi, l’existence de chacune des réunions collusoires mentionnées par AWA est confirmée par une autre pièce datant de l’époque de l’infraction et émanant d’une autre entreprise y ayant participé.

169    Premièrement, pour ce qui est de la réunion du 17 février 1992, dans une télécopie (document n° 4588, cité au considérant 157 de la décision et au point 61 de la CG), datée du 17 février 1992, M. W. (Sappi) expose à son supérieur hiérarchique M. J. que la situation reste, à tout le moins, incertaine à cause du comportement de Koehler et de Sarrió et qu’une réunion des parties intéressées a eu lieu le jour même.

170    Deuxièmement, concernant la réunion du 5 mars 1992, dans une note du 27 février 1992 (document n° 4589, repris dans le considérant 158 de la décision et au point 60 de la CG), M. W. (Sappi) expose toujours à la même personne qu’il a pris des dispositions pour assister la semaine suivante à Barcelone à une réunion avec d’autres parties intéressées pour parler de ce qui s’est passé dernièrement sur le marché espagnol. Il ajoute que la réunion aura lieu le 5 mars 1992. Ce document ainsi que le précédent étaient joints à la CG.

171    La note du 9 mars 1992 (documents nos 4703 et 4704, repris au considérant 156 de la décision et au point 60 de la CG) de l’agent espagnol de Sappi à Sappi Europe, bien que ne se présentant pas comme un compte rendu de réunion, est très précise sur le comportement des entreprises mentionnées, dont Divipa. Il y est question d’une hausse de prix de 10 pesetas espagnoles (ESP) qui était l’objectif fixé par les distributeurs et qui n’a pas été totalement atteint. L’auteur de cette note affirme que Divipa n’a absolument pas augmenté ses prix. Selon lui, il est évident que Sappi Europe ne peut pas faire augmenter les prix si les autres fournisseurs ne suivent pas. Il mentionne en outre le fait que Zicuñaga a annoncé le lancement d’un projet de fabrication de papier autocopiant à la frontière espagnole, côté français, ce qui devrait renforcer encore la concurrence.

172    Troisièmement, concernant la réunion du 30 septembre 1993 à Barcelone, une note (documents nos 5 et 9972, cités au considérant 163 de la décision) rédigée à cette date par le représentant de Sappi indique les ventes déclarées pour 1992 et 1993 par AWA, Binda, Copigraph, Sappi, Divipa, Stora-Feldmühle, Koehler, Sarrió et Zanders ainsi qu’un quota pour le quatrième trimestre de l’année 1993. Les participants se sont mis d’accord pour annoncer une hausse de prix de 10 % pour les bobines et les feuilles de papier. Ils ont également convenu de se réunir à nouveau pour confirmer le respect des quotas. Cette note était intégralement reproduite au point 80 de la CG.

173    Quatrièmement, s’agissant de la réunion du 19 octobre 1993, selon une note (document n° 4474, évoqué aux considérants 165 et 192 de la décision) rédigée en espagnol par un employé de Sappi et intitulée « Rapport de visite » (informe vista), une réunion s’est tenue le 19 octobre 1993 à laquelle ont participé tous les distributeurs sauf Copigraph. Lors de cette réunion, les participants ont fixé à 8 % la hausse du prix facturé à l’utilisateur final pour les bobines. Ils ont également convenu de signaler au fabricant qu’ils n’accepteraient de lui qu’une hausse de 7,5 %, ce qui aboutirait à une augmentation de 0,5 % de la marge du distributeur. Même si cette note n’est pas datée, il y a lieu de souligner que la référence aux « prix d’aujourd’hui » atteste que cette note est contemporaine des faits relatés. Le fait qu’elle ne soit pas signée ni datée ne saurait surprendre, dès lors qu’il s’agit d’une note relative à une réunion dont l’objet anticoncurrentiel justifiait, pour son auteur, que celui-ci laisse le moins de trace possible (voir, en ce sens, arrêt Shell/Commission, point 56 supra, point 86). D’autre part, la langue de rédaction et les autres indications fournies par Sappi ne permettent pas de douter que le marché concerné par ladite note est le marché espagnol. À l’exception de la dernière phrase, cette note était reprise au point 84 de la CG.

174    Cinquièmement, quant à la réunion du 3 mai 1994, le dossier inclut une note (document n° 14535) portant cette même date, également rédigée par un employé de Sappi et intitulée « Rapport de visite ». Cette note comporte comme sous-titre la mention « Réunion de fabricants pour analyser la situation des prix ». Elle indique, pour chaque entreprise participante, à savoir Copigraph, AWA, Torraspapel, Zicuñaga, Koehler, Stora, Zanders, Sappi et Divipa, le nom de la personne qui l’a représentée. Cette note contient également un tableau indiquant les prix du jour et ceux – plus élevés – prévus pour le 16 mai en précisant que ces prix résultent d’accords entre les distributeurs. Cette note était jointe à la CG et son contenu détaillé aux points 110 à 112 de celle-ci.

175    Sixièmement, pour ce qui est de la réunion du 29 juin 1994, une note (document n° 4476, évoqué aux considérants 164 et 166 de la décision) datée du même jour est intitulée « Réunion de fabricants de papier autocopiant ». Elle précise elle aussi le nom de la personne représentant chaque entreprise participante, à savoir Torraspapel, Reacto, Divipa, Stora, AWA, Sappi, Zicuñaga. Cette note débute par le terme « [b]obines », suivi de la précision « [t]ous pourvus de carnets de commande pleins et de quotas ». Elle fait état, pour les bobines, d’une hausse de prix de 10 % à appliquer au 1er septembre. Des prix indicatifs différents sont mentionnés pour les ventes directes aux imprimeurs en distinguant trois catégories de clients et par type de produits. S’agissant du prix des feuilles, la note signale qu’il est revenu à son niveau antérieur, le prix convenu n’ayant pas été respecté. Il a été décidé d’augmenter ce prix en deux étapes, le 1er juillet et le 1er septembre 1994, de 5 % à chaque fois. Cette note se termine par la mention « Prochaine réunion le 23 septembre à 12 h 30 ». Ce document était joint à la CG et son contenu précisé aux points 121 à 123 de celle-ci.

176    Par ailleurs, une télécopie interne (document n° 4565, cité au considérant 166 de la décision) de Sappi, datée du 4 novembre 1994, mentionne le fait que le leader du marché espagnol, Torraspapel, a annoncé une réduction de prix de 10 ESP, et que tout semble indiquer que les hausses de novembre ne seront pas appliquées, aucun distributeur ne les ayant annoncées jusqu’à présent. Cette télécopie était évoquée au point 130 de la CG et jointe à celle-ci.

177    Septièmement, enfin, s’agissant de la réunion du 19 octobre 1994, il ressort de la note manuscrite (document n° 1839, mentionné aux considérants 167, 222 et 223 de la décision) du 21 octobre 1994, rédigée par Mougeot et concernant le marché espagnol, que les participants se sont mis d’accord sur les prix à appliquer au 3 janvier 1995. Zicuñaga et Mougeot ont été « autorisé[e]s à vendre [moins] 5 [ESP]/kg ». L’auteur de la note expose qu’il lui « paraît utopique de demander à Zicuñaga de vendre 2 % au‑dessous des grands sans parler des volumes ». La prochaine réunion a été fixée au 24 novembre 1994 à la même heure au même endroit. Cette note manuscrite était jointe à la CG.

178    Il s’avère donc que, parmi les réunions mentionnées par Sappi, sans l’avoir été par AWA, à savoir celle du 27 février 1992 et celle du 19 octobre 1993, seule la première n’est corroborée par aucune autre pièce. Toutefois, il n’y a pas lieu de vérifier les constatations de la Commission sur la tenue de cette réunion du 27 février 1992 qui se situerait en tout état de cause en dehors de la période d’infraction reprochée à Divipa et à Zicuñaga.

179    Enfin, en plus de ces réunions des 17 février et 5 mars 1992, des 30 septembre et 19 octobre 1993 ainsi que des 3 mai, 29 juin et 19 octobre 1994, la Commission fait également état, dans le tableau 3 figurant au considérant 129 de la décision et dans l’annexe II de cette dernière, d’une réunion ayant eu lieu à Barcelone le 16 juillet 1992 concernant les marchés espagnol et portugais et d’une réunion le 23 septembre 1994 relative au seul marché espagnol.

180    Quant à la réunion du 16 juillet 1992, il ressort du considérant 159 de la décision que les constatations de la Commission relatives à la tenue et à l’objet anticoncurrentiel de cette réunion reposent sur les indications figurant dans les documents nos 4484, 4501 à 4503 et 4520, cités aux notes en bas de page nos 167 et 168 de la décision et joints à la CG.

181    Dans le cadre de sa déclaration verbale (document n° 4484), M. B. G., d’Unipapel, l’agent de Sappi au Portugal, a affirmé qu’il s’est rendu le 16 juillet 1992 à Barcelone pour une réunion destinée à « discuter de la situation du marché du papier autocopiant au Portugal et en Espagne ».

182    Cette déclaration est corroborée par des copies de notes de frais de voyage (documents nos 4501 à 4503), qui attestent que M. B. G. a fait un aller-retour Lisbonne-Barcelone le 16 juillet 1992.

183    Dans le cadre d’une autre déclaration verbale (document n° 4520), M. B. G. a affirmé que l’objectif de la réunion du 16 juillet 1992 avait consisté à discuter des hausses de prix et des parts de marché. Il a ajouté que les accords avaient porté essentiellement sur les bobines. Il a également admis, sans pouvoir le confirmer, l’existence d’accords du même type pour les feuilles. Il a par ailleurs affirmé qu’il y avait eu, au cours de cette réunion, des échanges d’informations sur les quantités vendues et les prix pratiqués par chaque entreprise.

184    Au vu des indications reproduites aux trois points précédents, la Commission était fondée à constater que s’était tenue le 16 juillet 1992 une réunion à Barcelone au cours de laquelle avaient été conclus des accords de hausses de prix et de répartition de parts de marché relatifs à l’Espagne et au Portugal, à tout le moins en ce qui concerne les bobines. Il y a cependant lieu de souligner que la Commission n’allègue pas que Divipa était présente à cette réunion, M. B. G. ne l’ayant pas mentionnée parmi les participants.

185    S’agissant de la réunion du 23 septembre 1994, la note (document n° 4476) évoquée au point 175 ci-dessus corrobore certes le fait que cette réunion avait été prévue. Toutefois, aucun document ni aucune déclaration ne viennent confirmer la tenue effective de cette réunion à cette date. Il y a donc lieu de considérer que la Commission n’a pas établi qu’une réunion relative au marché espagnol avait eu lieu le 23 septembre 1994.

186    Il n’en reste pas moins que, sur la base de ce faisceau d’indices précis et concordants, la Commission a établi à suffisance de droit l’existence d’une entente sur le marché espagnol, pour le moins du mois de mars 1992 au mois de janvier 1995. En effet, l’entente avait poursuivi ses effets au-delà de la cessation formelle des réunions collusoires au mois d’octobre 1994, puisque les hausses de prix prévues au cours de la réunion du 19 octobre 1994 (voir point 177 ci-dessus) devaient s’appliquer au 3 janvier 1995 (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 3 juillet 1985, Binon, 243/83, Rec. p. 2015, point 17, et du Tribunal du 10 mars 1992, Montedipe/Commission, T‑14/89, Rec. p. II‑1155, point 231).

187    Cette entente a pris la forme de réunions répétées entre entreprises concurrentes au cours desquelles celles-ci s’entendaient principalement sur les hausses de prix et leur calendrier. À une occasion, à savoir la réunion du 30 septembre 1993 (voir point 172 ci-dessus), des quotas ont été fixés.

 Sur la participation de Divipa et de Zicuñaga à l’entente sur le marché espagnol

188    Selon la jurisprudence, il suffit que la Commission démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance la participation de ladite entreprise à l’entente. Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, point 155 ; Commission/Anic Partecipazioni, point 149 supra, point 96, et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 81).

189    En effet, ayant participé à ladite réunion sans se distancer publiquement de son contenu, l’entreprise a donné à penser aux autres participants qu’elle souscrivait à son résultat et qu’elle s’y conformerait (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 188 supra, point 82).

190    En l’espèce, il s’avère, en premier lieu, que le tableau (document n° 15199), reprenant les différentes réunions, leur date, leur objet et leurs participants figurant dans la réponse de Sappi du 18 mai 1999, évoquée au point 162 ci-dessus, mentionne Divipa et Zicuñaga comme ayant participé à la réunion collusoire du 19 octobre 1993. Cette indication est corroborée par la mention, dans la note évoquée au point 173 ci-dessus, du fait que tous les distributeurs y ont participé sauf Copigraph.

191    En deuxième lieu, il ressort des déclarations de l’employé de Sappi, évoquées au point 162 ci-dessus, que Divipa et Zicuñaga étaient présentes aux réunions auxquelles il a assisté entre octobre 1993 et 1995. Pour les réunions des 3 mai et 29 juin 1994, cet employé indique même que Divipa était représentée par M. A. et M. C. et Zicuñaga par M. E. Ces déclarations sont corroborées, pour chacune de ces réunions, par les notes contemporaines des faits litigieux de l’employé de Sappi, mentionnées aux points 174 et 175 ci-dessus.

192    En troisième lieu, selon les déclarations d’AWA évoquées au point 163 ci-dessus, Divipa a participé aux réunions qui se sont tenues sur le marché espagnol entre 1992 et 1994 ou, pour le moins, à certaines d’entre elles. Zicuñaga n’aurait en revanche probablement assisté qu’à une seule de ces réunions. À cet égard, il y a lieu de souligner que cette déclaration formulée sur un ton prudent plusieurs années après les faits litigieux ne saurait entamer la valeur probante des indications précises contenues dans les pièces documentaires rédigées à l’époque de l’infraction par Sappi, faisant explicitement mention de la présence de Zicuñaga aux réunions des 19 octobre 1993, 3 mai et 29 juin 1994.

193    En quatrième lieu, il résulte des déclarations de Mougeot, évoquées au point 165 ci-dessus, que Divipa et Zicuñaga étaient présentes à la réunion du 19 octobre 1994. La participation de Zicuñaga à cette réunion est également attestée par la note manuscrite de Mougeot du 21 octobre 1994, mentionnée au point 177 ci-dessus, qui contient l’indication « Zicuñaga et Mougeot autorisé[e]s à vendre [moins] 5 [ESP]/kg ». Combinées aux déclarations d’AWA visées au point précédent, les déclarations précises de Mougeot sur la présence de M. A. (Divipa) à cette réunion autorisaient la Commission à conclure à la participation de cette entreprise à cette réunion.

194    La circonstance, alléguée par Divipa, que, dans sa réponse du 18 mai 1999, Sappi ne fasse pas mention de la tenue d’une réunion concernant le marché espagnol le 19 octobre 1994 s’explique par le fait que Sappi n’a pas assisté à cette réunion, ainsi que l’atteste la liste des participants à cette réunion établie par Mougeot. En tout état de cause, cette circonstance ne saurait écarter le faisceau d’indications concordantes attestant de la tenue de cette réunion et de la participation de Divipa à celle-ci.

195    Il ressort de l’ensemble des éléments qui précèdent que la Commission a établi à suffisance de droit la participation de Divipa et de Zicuñaga à des réunions collusoires qui se sont tenues de façon continue entre le 19 octobre 1993 et le 19 octobre 1994.

196    Quand bien même, du reste, ces entreprises n’auraient pas participé à l’ensemble des réunions s’inscrivant dans le système de réunions périodiques allégué par la Commission, ni Divipa ni Zicuñaga n’ont invoqué d’éléments relatifs à une éventuelle distanciation publique par rapport au contenu des réunions auxquelles elles ont assisté. L’infraction leur resterait donc imputable. Dès lors qu’il est établi que les requérantes ont pris part à ces réunions et que celles-ci avaient pour objet, notamment, la fixation d’objectifs de prix, les requérantes ont donné à leurs concurrents, à tout le moins, l’impression qu’elles y participaient dans la même optique qu’eux (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 232, et du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T‑12/89, Rec. p. II‑907, point 98). Il faut souligner que ce système de réunions s’inscrivait dans une série d’efforts des entreprises en cause poursuivant un seul but économique, celui de fausser l’évolution normale des prix sur le marché du papier autocopiant. Il serait donc artificiel de subdiviser ce comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes (arrêt Rhône‑Poulenc/Commission, point 155 supra, point 126).

197    S’agissant de la participation de Divipa à l’entente dès le mois de mars 1992, elle ressort d’abord des déclarations d’AWA évoquées aux points 163 et 192 ci-dessus. Celles-ci sont, par ailleurs, corroborées par la mention de Divipa dans la note du 9 mars 1992 visée au point 171 ci-dessus. Dans cette note, l’agent espagnol de Sappi procède visiblement à l’examen de l’application, par différentes entreprises, de la hausse de prix de 10 ESP, objectif fixé précédemment par les distributeurs. Il mentionne expressément le fait que Divipa n’a pas augmenté ses prix. Cependant, le suivi de la politique de prix de Divipa, à côté de celle de Sarrió et d’AWA qui avaient leur propre société de négoce sur le marché espagnol, constitue un indice fort de sa participation à l’entente à cette date.

198    Ces constatations sur la participation à l’entente sur le marché espagnol de Divipa, dès le mois de mars 1992, et de Zicuñaga, à partir du mois d’octobre 1993, l’une et l’autre jusqu’au mois de janvier 1995, ne sauraient être remises en cause par des considérations tenant aux caractéristiques propres de ces entreprises.

199    Il ressort des considérants 17 et 330 de la décision que la Commission a dûment pris en compte le fait que ni Divipa ni Zicuñaga n’étaient membres de l’AEMCP. La Commission n’a du reste pas considéré le statut de membre de l’AEMCP comme un élément constitutif de l’infraction.

200    Quant aux différences de prix mises en exergue par Divipa et par Zicuñaga entre les hausses de prix décidées au cours des réunions auxquelles elles ont assisté et l’évolution des prix durant la période au cours de laquelle ces décisions étaient censées s’appliquer, même en admettant l’exactitude des chiffres produits par ces entreprises pour illustrer leur politique de prix pendant cette période, ces différences sont tout au plus de nature à démontrer que ces entreprises n’ont pas respecté les décisions de hausses de prix arrêtées au cours des réunions visées. En application des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3) (ci-après les « lignes directrices »), la non-application effective des accords pourrait constituer une circonstance atténuante et il conviendra donc d’examiner les arguments des parties à cet égard dans le cadre des moyens visant à l’annulation ou à la réduction de l’amende (voir ci-après points 594 à 635). En revanche, il y a lieu de relever que le fait de ne pas avoir respecté les prix convenus n’est pas de nature à infirmer l’objet anticoncurrentiel de ces réunions et, dès lors, la participation des requérantes aux ententes (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T‑148/89, Rec. p. II‑1063, point 79). Ces différences, même à les supposer établies, ne permettent donc pas d’écarter les preuves de la participation de Divipa et de Zicuñaga à ces réunions collusoires.

201    La circonstance alléguée par Zicuñaga, selon laquelle les activités de production et de distribution du papier autocopiant sont assurées, au sein de son groupe, par les Papeteries de l’Atlantique SA, n’est pas de nature à remettre en cause la participation à l’infraction de Zicuñaga, seule entreprise mentionnée dans les déclarations des autres membres du cartel. Il y a lieu de souligner que, s’il est vrai que Zicuñaga ne détenait que 50 % du capital des Papeteries de l’Atlantique à l’époque des faits litigieux, la Commission impute l’infraction à Zicuñaga pour son comportement propre et non en tant que société mère de cette filiale. En effet, d’une part, les preuves documentaires directes relatives aux réunions des 3 mai et 29 juin 1994 (voir points 174 et 175 ci‑dessus) font explicitement référence à la présence d’un représentant de Zicuñaga à ces deux réunions collusoires concernant le marché espagnol. D’autre part, la note manuscrite du 21 octobre 1994, rédigée par Mougeot (voir point 177 ci-dessus) cite expressément Zicuñaga. Jamais il n’est fait mention des Papeteries de l’Atlantique. En outre, quand bien même la décision ne refléterait pas correctement la nature exacte des activités de Zicuñaga au sein de son groupe, il y a lieu de constater que Zicuñaga n’a pas contesté l’indication, figurant au considérant 365 de la décision, selon laquelle elle était responsable de la politique de fixation des prix pour tous les produits papetiers du groupe.

202    Divipa invoque également des différences entre les données relatives à ses ventes déclarées figurant dans les notes de Sappi et les données jointes à sa requête. Ces différences démontreraient que les données figurant dans les notes de Sappi n’ont pas été fournies par elle. À cet égard, il convient de souligner que les données jointes par Divipa à sa requête ne sont étayées par aucune pièce qui permette de vérifier qu’elles correspondent à la réalité. En tout état de cause, à supposer qu’elles soient exactes, la différence qui peut être observée entre ces données et celles figurant dans les notes de Sappi démontre uniquement que ces dernières ne correspondaient pas à la réalité. Elles ne permettent pas en revanche de considérer que les moyennes de vente mentionnées dans les notes de Sappi n’auraient pas été déclarées par Divipa lors de la réunion du 30 septembre 1993.

203    Divipa fait aussi valoir qu’il serait incompréhensible qu’un petit distributeur comme elle ait assisté à des réunions de producteurs. Il y a lieu de souligner que sa qualité de distributrice n’est pas de nature à écarter le faisceau d’indices attestant la participation de Divipa à l’entente sur le marché espagnol. Cette qualité ne la prive du reste pas de l’intérêt à participer à l’entente, laquelle devait, selon l’analyse de la Commission exposée aux considérants 153 et 165 de la décision et non contestée par Divipa, nécessairement englober les distributeurs pour fonctionner correctement sur le marché espagnol qui était caractérisé par une intégration poussée des réseaux de production et de distribution, de sorte que bon nombre de producteurs étaient également des distributeurs. En outre, aux termes de la note du 29 juin 1994 (document n° 4476, évoqué au point 175 ci-dessus), l’accord intervenu lors de cette réunion a porté sur les prix applicables aux consommateurs, ce qui, compte tenu du statut de distributeur de Divipa, suffit à expliquer la présence de celle-ci à cette réunion.

204    Enfin, le fait que Divipa achète entre 60 et 70 % de ses besoins en papier autocopiant à Koehler et le solde à d’autres fabricants implique certes une certaine dépendance envers ses fournisseurs concernant le prix d’achat. Toutefois, d’une part, cette dépendance ne saurait être considérée comme totale. En effet, le tableau fourni par Divipa en annexe à sa requête fait apparaître que, en 1993, Divipa n’a pas toujours répercuté immédiatement certaines baisses de son prix d’achat, de sorte que sa marge est alors restée substantielle. D’autre part, et en tout état de cause, cette circonstance ne saurait pas davantage enlever tout intérêt à sa participation à l’entente, toute hausse des prix décidée dans ce cadre et appliquée au client pouvant se traduire par une augmentation de sa marge bénéficiaire. Il ressort du reste de ce même tableau que, entre janvier et décembre 1994, les prix d’achat à Koehler sont passés de 159,25 à 195,70 et la marge de Divipa de 20,38 à 43,81. Enfin, il résulte de la note concernant la réunion du 19 octobre 1993, évoquée au point 173 ci-dessus, que la négociation portait, d’une part, sur le prix que le distributeur devait payer au fabricant et, d’autre part, sur la hausse que les distributeurs appliqueraient à leurs clients, en prévoyant une augmentation de la marge du distributeur.

 Sur la participation de Divipa et de Zicuñaga à l’entente sur le marché européen

205    Il ressort du considérant 286 de la décision que la Commission a uniquement constaté la participation de Divipa et de Zicuñaga à des réunions collusoires concernant le marché espagnol. Elle affirme toutefois que « ces entreprises ne pouvaient ignorer que l’entente portait sur l’ensemble du territoire qui est devenu l’EEE en 1994 ».

206    La Commission se fonde, à cet égard, sur l’étroite imbrication qui aurait existé entre les réunions générales européennes de l’entente et les réunions collusoires nationales, notamment espagnoles, le fait que les grands producteurs européens de papier autocopiant auraient pris part aux activités collusoires sur le marché espagnol, ainsi que l’importance des courants d’échanges intracommunautaires dans le secteur du papier autocopiant pendant la période de référence.

207    Selon la jurisprudence, une entreprise ayant participé à une infraction multiforme aux règles de la concurrence par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et qui visent à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble peut être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, lorsqu’il est établi que l’entreprise en question connaît les comportements infractionnels des autres participants, ou qu’elle peut raisonnablement les prévoir et qu’elle est prête à en accepter le risque (arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 158 et la jurisprudence citée).

208    En l’espèce, il ressort notamment du point 187 ci-dessus que les accords relatifs au marché espagnol auxquels Divipa et Zicuñaga ont pris part ont eu pour objet la fixation en commun de hausses de prix. De plus, à une occasion, à savoir la réunion du 30 septembre 1993, à laquelle n’assistait pas Zicuñaga qui ne participait pas encore à l’entente, des quotas de vente sur ce marché ont été attribués sur la base d’un échange d’informations sur les ventes opérées. Ces accords ont par conséquent cadré avec l’entente européenne générale, dont l’objet a principalement consisté à relever les prix du papier autocopiant et, en certaines occasions, à fixer en commun des quotas de vente ou des parts de marché et à s’échanger des informations confidentielles afin de faciliter la conclusion ou l’application des accords de hausses de prix.

209    Cependant, selon la jurisprudence, la seule identité d’objet entre un accord auquel a participé une entreprise et une entente globale ne suffit pas pour imputer à cette entreprise la participation à l’entente globale. En effet, ce n’est que si l’entreprise, lorsqu’elle participe à cet accord, a su ou aurait dû savoir que, ce faisant, elle s’intégrait dans l’entente globale que sa participation à l’accord concerné peut constituer l’expression de son adhésion à cette entente globale (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Sigma Tecnologie/Commission, T‑28/99, Rec. p. II‑1845, point 45).

210    La Commission soutient, dans la décision, que tel était le cas de Divipa et de Zicuñaga, ce que celles-ci contestent.

211    Certes, il est constant que Divipa et Zicuñaga n’étaient pas membres de l’AEMCP et qu’elles n’ont jamais pris part aux réunions officielles de cette association, lesquelles ont, d’après la Commission, servi de cadre à l’entente européenne jusqu’en septembre 1993, ni aux réunions générales du cartel qui auraient été tenues en marge des réunions officielles de l’AEMCP à partir de septembre 1993. Par ailleurs, aucun des éléments de preuve relatifs à la participation de Divipa et de Zicuñaga à des réunions collusoires sur le marché espagnol ne fait ressortir que, au cours de l’une ou l’autre de ces réunions, il ait été fait mention d’une entente sur les prix existant au niveau européen.

212    Toutefois, ni Divipa ni Zicuñaga ne fournissent d’éléments de nature à contredire les constatations opérées par la Commission aux considérants 89 à 94 et 211 de la décision et les déclarations de Mougeot reproduites au considérant 90. Selon ces dernières, « il était considéré par AWA que sans implication des responsables locaux des marchés, il y avait peu de chances d’atteindre les résultats escomptés, expliquant par là même la tenue des réunions marché par marché » et « les responsables locaux informés par leurs dirigeants d’une volonté de hausse de prix étaient chargés de définir entre eux les modalités pratiques pour obtenir cette hausse ». Ces déclarations font clairement ressortir que, pour garantir le succès des décisions de hausses de prix arrêtées dans le cadre des réunions générales du cartel, les participants à ces réunions ont entendu assurer l’application généralisée desdites décisions sur les différents marchés régionaux et nationaux. Eu égard au volume important des échanges entre États membres pour le produit concerné, il aurait été fort peu efficace de prendre des mesures restrictives de la concurrence exclusivement au niveau d’un État membre.

213    La Commission a ainsi produit deux tableaux (tableaux 5 et 6, figurant aux considérants 207 et 217 de la décision et aux points 117 et 127 de la CG) découverts chez Sappi qui présentent les hausses de prix convenues pour différents pays au cours des deux réunions générales des 21 juin et 22 septembre 1994. Pour l’Espagne, ces tableaux ne comportent pas de chiffres, mais la mention « à préciser ». Or le compte rendu de la réunion du 29 juin 1994 (document n° 4476, évoqué au point 175 ci‑dessus) concernant le marché espagnol et la note manuscrite de Mougeot du 21 octobre 1994 (document n° 1839, évoqué au point 177 ci-dessus ; voir aussi point 235 ci-après), faisant suite à la réunion du 19 octobre 1994 portant elle aussi sur le marché espagnol, montrent que chacune de ces réunions générales a été suivie d’une réunion nationale au cours de laquelle les hausses de prix pour le marché espagnol ont effectivement été précisées. De plus, comme le souligne la Commission dans ses écritures, le fait que cette note manuscrite de Mougeot mentionne les termes « au vu des volumes AEMCP annoncés sur l’Espagne » et fasse état d’un débat autour de ces chiffres tend à accréditer la thèse selon laquelle Divipa et Zicuñaga étaient nécessairement conscientes du cadre plus large, de dimension européenne, dans lequel s’inscrivaient les réunions relatives au marché espagnol auxquelles elles prenaient part.

214    En outre, les différentes pièces invoquées par la Commission en relation avec les réunions espagnoles (aux considérants 154 à 171 de la décision, en annexe II à ladite décision et dans les notes en bas de page correspondantes) établissent sans équivoque qu’à ces réunions ont assisté un certain nombre de représentants de producteurs européens de papier autocopiant dont la participation aux réunions générales de l’entente n’est, au vu des éléments cités par la Commission aux considérants 263 à 276 de la décision, pas contestable, ni, dans la plupart des cas, contestée.

215    Il paraît difficilement concevable que, alors que, comme le souligne la Commission au considérant 176 de la décision, il ressort d’indications fournies par un représentant d’Unipapel lors des vérifications (document n° 4525, dont l’extrait pertinent est repris au point 74 de la CG), que les clients portugais se doutaient qu’une entente de dimension européenne sous-tendait le comportement des opérateurs portugais en termes de hausses de prix, Divipa et Zicuñaga, qui côtoyaient, lors des réunions relatives au marché espagnol, des représentants de grands producteurs européens de papier autocopiant impliqués dans les réunions générales du cartel, aient ignoré que, en participant à des accords collusoires sur ledit marché, elles s’intégraient dans une entente de dimension européenne.

216    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que Divipa et Zicuñaga ont nécessairement été informées de l’existence et du contenu de l’entente européenne (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 4097) et que, en participant sur le marché espagnol à des accords ayant un objet anticoncurrentiel identique à celui de cette entente, elles ont nécessairement su que, ce faisant, elles adhéraient à celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 4099).

217    Quant au fait, allégué par Zicuñaga, que le dossier ne contient pas d’élément qui fasse apparaître que les prix relatifs à d’autres marchés que le marché espagnol aient été discutés lors des réunions espagnoles ou portés à sa connaissance par d’autres entreprises, il cadre pleinement avec le schéma général d’organisation de l’entente, selon lequel les discussions tenues, notamment dans le cadre de réunions, au niveau national ou régional avaient pour but de définir les modalités pratiques d’application aux prix pratiqués sur le marché local concerné, des décisions de hausses de prix adoptées au niveau européen. Il n’est, en outre, pas de nature à remettre en cause l’analyse exposée ci‑dessus.

218    Zicuñaga tire un autre argument de son absence de participation aux réunions et aux activités prétendument collusoires qui ont eu lieu sur les marchés français et italien, en dépit de ses intérêts commerciaux sur ces derniers. Il convient de rappeler à cet égard l’affirmation de Zicuñaga lors de l’audition selon laquelle « elle était responsable de la politique de fixation des prix de tous les produits papetiers du groupe et […], par conséquent, elle prenait toutes les décisions en matière de prix, également en ce qui concerne les produits des Papeteries de l’Atlantique » (considérant 365 de la décision). Dès lors, l’indication selon laquelle Zicuñaga détenait des intérêts commerciaux non seulement en Espagne, mais aussi, à travers les activités de sa filiale Papeteries de l’Atlantique, en France et en Italie, peut être lue comme signifiant que Zicuñaga, qui ne pouvait ignorer que certaines entreprises représentées aux réunions espagnoles étaient actives sur les marchés français et italien, s’est nécessairement enquise, pour définir la politique de prix de son groupe, de savoir si les accords auxquels elle prenait part s’inscrivaient dans une entente européenne, et a donc nécessairement été informée de l’existence d’une telle entente.

219    En tout état de cause, la circonstance mentionnée au point précédent n’est pas de nature à remettre en cause l’analyse exposée aux points 205 à 217 ci-dessus. Du reste, cette circonstance pourrait aussi être perçue comme un indice confirmant que Zicuñaga savait que les accords auxquels elle prenait part sur le marché espagnol s’inscrivaient dans une entente européenne et a dès lors jugé superflu de prendre part à des réunions et activités collusoires ailleurs qu’en Espagne.

220    Par ailleurs, il y a lieu de souligner que la situation de Zicuñaga se distingue sur plusieurs points de celle de l’entreprise Sigma Tecnologie di rivestimento dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sigma Tecnologie/Commission, point 209 supra, à laquelle Zicuñaga fait référence dans ses écritures. En effet, à la différence de la requérante dans cette affaire, Zicuñaga opérait, dans le secteur d’activité concerné, sur plusieurs marchés nationaux. En outre, même en suivant la thèse de Zicuñaga selon laquelle elle était perçue par ses concurrents espagnols comme pratiquant une politique de prix agressive, Zicuñaga n’a fourni aucun élément de nature à démontrer qu’elle ait été tenue, comme Sigma Tecnologie di rivestimento, à l’écart de certaines réunions ou activités collusoires en raison de son comportement de « trouble-fête » (arrêt Sigma Tecnologie/Commission, point 209 supra, points 42 et 46). Au contraire, la note de Mougeot relative à la réunion du 19 octobre 1994, évoquée au point 177 ci-dessus, montre que Zicuñaga était considérée comme un membre à part entière de l’entente espagnole, dans le cadre de laquelle il lui est arrivé de recevoir l’autorisation de vendre à des prix légèrement inférieurs aux prix à appliquer par les autres membres de l’entente.

221    Dans le cadre de son argument tendant à démontrer qu’elle n’a pas appliqué les accords de prix litigieux, Zicuñaga critique le fait que, au cours de la procédure administrative, la Commission lui aurait refusé l’accès aux informations détaillées visées au considérant 288 de la décision. À cet égard, il y a lieu de renvoyer aux développements exposés aux points 45 à 51 ci-dessus.

 Sur la participation de Zicuñaga à des accords de fixation de quotas de vente et de parts de marché

222    Enfin, ainsi qu’il a été exposé au point 153 ci-dessus, Zicuñaga conteste sa participation à des accords de fixation de quotas de vente et de parts de marché.

223    À cet égard, il ressort d’une lecture combinée des considérants 77, 81, 252, 253, 326 à 331, 376, 382 et 383 de la décision que la Commission a constaté l’existence d’accords de fixation de quotas de vente et de parts de marché non en tant qu’infractions distinctes, mais en tant qu’éléments constitutifs de l’infraction unique, visée à l’article 1er de la décision et imputée à Zicuñaga, dont l’objectif général a consisté à relever les prix du papier autocopiant sur l’ensemble du territoire devenu l’EEE en 1994 (considérant 327 de la décision), et dont la pierre angulaire a résidé dans la conclusion d’accords de hausses de prix (considérant 383 de la décision).

224    Il convient, dans un premier temps, de vérifier si la Commission a correctement établi l’existence d’accords de fixation de quotas de vente et de parts de marché et si elle était fondée à considérer que ces accords ont relevé du plan anticoncurrentiel global caractérisant l’infraction constatée à l’article 1er, premier alinéa, de la décision. À cet égard, la Commission opère une distinction, aux considérants 241 à 251 de la décision, entre les indications qui, selon elle, attestent de l’existence d’accords d’attribution de quotas de vente et celles qui, à son avis, démontrent l’existence d’accords de partage de marché.

225    S’agissant, d’abord, des allégations de la Commission relatives à l’attribution de quotas de vente, il y a lieu de relever, premièrement, que le document rédigé par Sappi au sujet de la réunion qui s’est tenue le 30 septembre 1993 à Barcelone (document n° 5, évoqué au point 172 ci‑dessus) fait apparaître que les participants à cette réunion ont d’abord déclaré leurs moyennes mensuelles de vente en 1992 et en 1993 et ont procédé à une répartition de quotas de vente pour le quatrième trimestre de l’année 1993, puis sont convenus d’annoncer une hausse de 10 % des prix des bobines et des feuilles le 1er janvier 1994 et, enfin, ont décidé de se réunir à nouveau à une date à fixer ultérieurement pour vérifier le respect des quotas.

226    Deuxièmement, il convient d’observer que Zicuñaga ne met pas en doute les constatations opérées par la Commission, aux considérants 138, 242 et 243 de la décision, selon lesquelles une « note de réunion » (document n° 6, reproduit au point 87 de la CG) rédigée par Sappi lors d’une réunion qui s’est tenue le 1er octobre 1993 au sujet du marché français indique que les participants à cette réunion ont convenu d’une hausse de prix ainsi que d’une attribution de quotas pour le quatrième trimestre de l’année 1993 « pour permettre des hausses de prix ».

227    S’agissant, ensuite, des allégations de la Commission concernant les accords de partage de marché, Zicuñaga n’avance aucun élément visant à écarter les constatations opérées par la Commission, aux considérants 141 et 246 de la décision, selon lesquelles la réunion qui s’est tenue au printemps 1994 à Nogent‑sur-Marne au sujet du marché français a servi de cadre à la fois à un accord de hausse de prix et à un accord de partage de marché (document n° 7651, évoqué aux points 113 à 115 de la CG et joint à celle-ci).

228    Les éléments exposés ci-dessus permettent de considérer que c’est à bon droit que la Commission a constaté, au considérant 241 de la décision, que, « pour assurer l’application des hausses de prix convenues, un quota de vente a été attribué aux différents participants et une part de marché a été fixée pour chacun d’eux lors de certaines réunions nationales du cartel ». La Commission pouvait donc considérer que les accords de hausses de prix et la fixation en commun de quotas de vente et de parts de marché ont constitué les éléments indissociables du plan anticoncurrentiel global constitutif de l’infraction constatée à l’article 1er, premier alinéa, de la décision.

229    Il convient, dans un second temps, d’examiner si la Commission était en droit de reprocher à Zicuñaga les aspects de l’infraction unique relatifs aux accords d’attribution de quotas de vente et de partage de marché.

230    Le terme « [b]obines » suivi de l’indication « [t]ous pourvus de carnets de commande pleins et de quotas », figurant dans la note de Sappi du 29 juin 1994, évoquée au point 175 ci-dessus, ne prouve pas forcément qu’un accord portant sur des quotas de vente a été conclu au cours de la réunion du 29 juin 1994. Cela démontre néanmoins que, au moment où s’est tenue cette réunion, tous les participants à celle-ci, dont Zicuñaga, étaient parties à un accord de répartition de quotas de vente en ce qui concerne le marché des bobines.

231    Il convient de souligner que l’indication, mentionnée au point précédent, relative à la réunion du 29 juin 1994 constitue le seul élément susceptible d’être retenu à la charge de Zicuñaga comme preuve de sa participation directe à un accord d’attribution de quotas de vente. En effet, la Commission n’a pas constaté la participation de Zicuñaga à la réunion du 30 septembre 1993 à Barcelone, au cours de laquelle un accord d’attribution de quotas pour le quatrième trimestre de l’année 1993 a été conclu. Quant aux autres réunions auxquelles la présence de Zicuñaga a été correctement établie par la Commission, cette dernière ne soutient pas, dans la décision, qu’elles aient servi de cadre à des accords de quotas de vente.

232    Dans son mémoire en défense, la Commission avance néanmoins qu’il a également été question de quotas de vente lors de la réunion du 19 octobre 1994.

233    À cet égard, la note manuscrite de Mougeot datée du 21 octobre 1994 et relative à la réunion qui s’est tenue le 19 octobre 1994 au sujet du marché espagnol (voir point 177 ci-dessus) comporte les indications suivantes :

« – J’ai demandé au vu des volumes AEMCP annoncés sur l’Espagne (hors Zicuñaga) à fin août 94, [plus] 4 300 [t], où étaient passés nos volumes 93 ([moins] 50 %) ?

– Réponse de Sarrió : les volumes ça va, ça vient !

– Réponse de Koehler : les chiffres AEMCP sont faux ! »

234    Certes, cela pourrait signifier, comme l’avance la Commission dans son mémoire en défense, que des discussions ont eu lieu, lors de la réunion du 19 octobre 1994, au sujet des quotas ou des volumes de vente. Il s’avère toutefois que, ni dans la partie de la décision consacrée aux réunions relatives au marché espagnol, ni dans celle relative à l’attribution de quotas de vente et au partage du marché, la Commission ne cite ces indications au soutien de ses allégations concernant la conclusion, au cours de la période de référence, d’accords portant sur des quotas de vente ou sur des parts de marché. Dans ces conditions, ces indications ne sauraient entrer en ligne de compte aux fins d’établir la participation de Zicuñaga à des accords de quotas de vente.

235    Cela étant, il reste que l’indication reproduite au point 230 ci-dessus établit que, au cours de la réunion du 29 juin 1994, Zicuñaga a été informée de l’existence d’un accord de quotas de vente.

236    Dans ces conditions, et dès lors qu’il est établi que Zicuñaga a participé à des accords de hausses de prix sur le marché espagnol en sachant ou en devant nécessairement savoir que, ce faisant, elle s’inscrivait dans une entente européenne, la Commission pouvait lui imputer également la responsabilité des accords de quotas de vente conclus durant la période de sa participation aux accords de hausses de prix. En effet, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une entreprise ayant participé à une infraction multiforme aux règles de la concurrence par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et qui visent à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble peut être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, lorsqu’il est établi que l’entreprise en question connaît les comportements infractionnels des autres participants, ou qu’elle peut raisonnablement les prévoir et qu’elle est prête à en accepter le risque (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 149 supra, point 203).

237    Dès lors, Zicuñaga doit être tenue pour responsable de l’accord de répartition de quotas de vente évoqué au cours de la réunion du 29 juin 1994.

238    Quant aux accords de partage de marchés, il ressort des considérants 246 à 251 de la décision que la Commission fonde ses constatations concernant l’existence de tels accords, tout d’abord, sur des indications portant sur deux réunions relatives au marché français organisées au printemps 1994 et le 6 décembre 1994. Cependant, la décision ne comporte pas d’indice qui permette de considérer que Zicuñaga ait eu connaissance du fait, ou ait pu raisonnablement prévoir, que des réunions relatives au marché français servaient de cadre à des accords de partage de marché. À cet égard, contrairement à ses constatations concernant les accords de hausses de prix, la Commission n’a pas estimé dans la décision que les accords de partage de marché observés sur le marché français aient participé de l’application décentralisée d’un prétendu accord européen de répartition des marchés dont les membres auraient informé les responsables locaux des différents marchés concernés. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré qu’une entreprise telle que Zicuñaga, dont il est constant qu’elle n’a pas pris part à des réunions collusoires sur d’autres marchés que sur le marché espagnol, ait connu, voire ait pu raisonnablement prévoir, l’existence des accords de partage de marché susvisés.

239    Selon la Commission, il semblerait ensuite que les parts de marché aient figuré à l’ordre du jour des réunions générales du cartel (considérant 250 de la décision). Toutefois, il y a lieu de rappeler qu’il est constant que Zicuñaga n’a jamais assisté aux réunions générales du cartel. De plus, les éléments mis en avant par la Commission, aux considérants 250 et 251 de la décision, à l’appui de son allégation ont trait à la réunion générale du cartel du 2 février 1995, c’est‑à-dire à une réunion postérieure à la fin de la période d’infraction retenue à l’égard de Zicuñaga à l’article 1er, second alinéa, de la décision.

240    Il s’ensuit que la participation de Zicuñaga à des pratiques de partage de marché n’a pas été établie.

241    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission était fondée à tenir Zicuñaga responsable des pratiques d’attribution de quotas de vente intervenues durant la période de sa participation à l’infraction. En revanche, force est de constater que la Commission a, à tort, reproché à Zicuñaga l’aspect de l’infraction unique relatif à des accords de partage de marché.

242    Cependant, cette erreur d’appréciation n’est pas de nature à écarter les constatations selon lesquelles Zicuñaga a, dans le cadre de réunions consacrées au marché espagnol, participé à des accords de hausses de prix, ni l’analyse selon laquelle, par ces accords, Zicuñaga a pris part à l’entente européenne sur les prix du papier autocopiant, laquelle a constitué le volet essentiel de l’infraction constatée à l’article 1er, premier alinéa, de la décision. Les considérations susvisées relatives au partage de marché ne sont donc pas de nature à remettre en cause la participation de Zicuñaga à cette infraction. Il y a lieu de considérer que Zicuñaga, ayant participé pendant plus d’un an auxdites initiatives de prix, pouvait raisonnablement prévoir que les entreprises participantes essaieraient de favoriser le succès de ces initiatives par différents mécanismes et était prête à accepter cette éventualité. Dans le cadre de l’examen des conclusions subsidiaires formulées par Zicuñaga en vue d’obtenir une réduction de l’amende qui lui est infligée à l’article 3 de la décision, il conviendra toutefois de vérifier si et, le cas échéant, dans quelle mesure l’absence de responsabilité de Zicuñaga pour les pratiques de partage de marché justifie une diminution de l’amende qui lui a été infligée.

243    Sur la base de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de rejeter le moyen tiré, par Divipa, de la violation des articles 81 CE et 53 de l’accord EEE et, par Zicuñaga, d’erreurs d’appréciation.

C –  Sur les moyens relatifs à la durée de l’infraction

244    Un certain nombre de requérantes, à savoir Bolloré, MHTP, Koehler, Mougeot, Torraspapel, Divipa et Zicuñaga, contestent les constatations de la Commission relatives à la durée de leur participation à l’infraction. Certaines de ces requérantes (MHTP, Koehler, Mougeot et Torraspapel) formulent leur argumentation dans le cadre de conclusions tendant à l’annulation partielle de l’article 1er de la décision et à la réduction de l’amende qui leur est infligée à l’article 3 de ladite décision, alors que d’autres (Bolloré, Divipa et Zicuñaga) le font dans le cadre de leurs conclusions subsidiaires tendant à la réduction de l’amende. S’agissant de ces dernières entreprises, il résulte toutefois de leurs écritures qu’elles contestent, en substance, la légalité de la décision attaquée en ce qu’elle constate, dans son article 1er, deuxième alinéa, la durée de l’infraction commise par chacune d’entre elles. Il y a donc lieu de requalifier leur demande comme visant également à obtenir l’annulation partielle de l’article 1er, second alinéa, de la décision, relatif à la durée de l’infraction.

245    Bolloré, MHTP, Koehler, Mougeot et Torraspapel développent une argumentation largement commune, consistant à soutenir que la Commission n’a pas établi leur participation à l’entente au cours de la période antérieure à septembre ou à octobre 1993 ou au cours de la période antérieure à janvier 1993, en ce qui concerne MHTP. Sous réserve de certaines spécificités liées à leur situation respective, leur argumentation revient, en substance, à prétendre, d’une part, que, contrairement aux allégations de la Commission, il n’est pas établi que les réunions qui se sont tenues à l’échelle européenne au sein de l’AEMCP avant septembre ou octobre 1993 aient servi de cadre à des accords collusoires en matière de prix et, d’autre part, qu’il n’est pas établi qu’elles aient participé à des réunions collusoires au niveau national ou régional avant cette époque. Il convient d’abord d’examiner conjointement l’argumentation respective des différentes entreprises susmentionnées, ainsi que l’argumentation additionnelle de Mougeot consistant à soutenir que la Commission n’a pas établi sa participation à l’entente après juillet 1995. Il conviendra d’examiner ensuite les moyens avancés, respectivement, par Divipa et par Zicuñaga.

1.     Sur les moyens soulevés par Bolloré, MHTP, Koehler, Mougeot et Torraspapel

a)     Sur la participation des requérantes à l’infraction avant septembre ou octobre 1993

 Arguments des parties

246    Dans le cadre d’un moyen pris d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, Bolloré allègue que la Commission n’a pas établi sa responsabilité dans l’entente entre janvier 1992 et septembre ou octobre 1993. À l’appui de son allégation, elle affirme, en premier lieu, que Copigraph a nié avoir participé à une quelconque entente avant septembre 1993. En deuxième lieu, elle dénie toute valeur probante aux déclarations d’AWA du 5 mai 1999, à celles de Mougeot du 14 avril 1999 et à celles de Sappi du 6 janvier 1998, sur lesquelles la Commission se fonde pour établir la participation de Copigraph à l’entente avant septembre 1993. Elle souligne également le caractère contradictoire de ces différentes déclarations, en faisant valoir que celles de Mougeot ont trait à de prétendues réunions générales du cartel alors que celles d’AWA concernent une prétendue entente portant sur le marché français. Elle fait aussi valoir que la première hausse de prix pratiquée par Copigraph date de décembre 1993, ce qui exclut qu’elle ait été impliquée dans une entente avant septembre ou octobre 1993.

247    Dans le cadre d’un moyen pris d’une absence de preuves, MHTP allègue que la Commission n’a pas établi sa participation à une infraction avant janvier 1993. À l’appui de cette allégation, elle soutient, en premier lieu, que les déclarations d’AWA, de Sappi et de Mougeot citées aux considérants 107 et 108 de la décision ne démontrent pas que les réunions de l’AEMCP organisées en 1992 aient servi de cadre à une entente. En second lieu, elle fait valoir que, contrairement aux constatations de la Commission, il n’est pas établi qu’elle ait participé à la réunion du 5 mars 1992 relative au marché espagnol, à la réunion du printemps 1992 relative au marché français et à celle du 16 juillet 1992 relative aux marchés espagnol et portugais.

248    Dans le cadre d’un moyen pris d’une absence de preuves, Koehler allègue que la Commission n’a pas établi sa participation à une entente anticoncurrentielle avant octobre 1993. À l’appui de cette allégation, elle avance, en premier lieu, que les déclarations de Mougeot et de Sappi invoquées par la Commission ne prouvent pas que des accords collusoires aient été conclus au sein de l’AEMCP avant octobre 1993. Elle ajoute que le fait que des réunions collusoires aient eu lieu sur un certain nombre de marchés nationaux ou régionaux avant octobre 1993 ne démontre pas l’existence d’une coordination à l’échelle européenne à cette époque. En second lieu, Koehler fait valoir que, contrairement aux constatations de la Commission, il n’est pas établi qu’elle ait participé aux réunions des 17 février et 5 mars 1992 relatives au marché espagnol, à la réunion du printemps 1992 concernant le marché français, à la réunion du 16 juillet 1992 concernant les marchés espagnol et portugais, à la réunion du 14 janvier 1993 concernant les marchés du Royaume‑Uni et d’Irlande, à la réunion du printemps 1993 concernant le marché français et à la réunion du 30 septembre 1993 concernant le marché espagnol.

249    Dans le cadre d’un moyen pris d’une erreur manifeste d’appréciation, Mougeot soutient que la Commission n’a pas établi qu’elle ait participé à une entente avant octobre 1993. Elle souligne que les déclarations de Sappi invoquées par la Commission ne la mentionnent pas parmi les participants aux réunions collusoires organisées en 1992 et en 1993. Elle ajoute que, n’étant pas membre de l’AEMCP en 1992, elle a assisté aux réunions tenues par cette association le 26 mai et le 10 septembre 1992 uniquement en qualité de membre observateur et qu’il y a tout lieu de considérer que les participants à la réunion de l’AEMCP du 9 février 1993, qui est la première réunion de cette association à laquelle elle a participé en qualité de membre de celle-ci, n’ont pas évoqué l’existence ou l’opportunité d’une entente en sa présence.

250    Mougeot soutient encore que, au considérant 111 de la décision, la Commission dénature le contenu de ses déclarations du 14 avril 1999. Elle dénie, par ailleurs, toute valeur probante à la déclaration de Sappi citée par la Commission au considérant 112 de la décision au soutien de sa thèse selon laquelle les réunions officielles de l’AEMCP ont servi de cadre à des réunions collusoires sur les prix avant la restructuration de l’association opérée en septembre 1993.

251    Dans le cadre d’un moyen pris d’une application erronée de l’article 81, paragraphe 1, CE et de violations du principe de la présomption d’innocence et d’une règle de procédure essentielle, Torraspapel allègue qu’il n’existe aucune preuve de sa prétendue participation à une infraction pendant la période comprise entre janvier 1992 et septembre 1993. Torraspapel fait quelques commentaires préliminaires sur les risques de délation stratégique liés à la nouvelle politique de clémence de la Commission et sur l’absence de valeur probante des déclarations d’AWA, de Sappi et de Mougeot invoquées par la Commission au soutien de sa thèse. Elle conteste ensuite, en premier lieu, que les réunions officielles de l’AEMCP aient servi de cadre à des collusions sur les prix jusqu’en septembre 1993. En second lieu, elle fait valoir que, contrairement aux constatations de la Commission, elle n’a pas participé aux réunions des 17 février et 5 mars 1992 relatives au marché espagnol, aux réunions du printemps 1992 et du printemps 1993 concernant le marché français et à la réunion du 16 juillet 1992 concernant les marchés espagnol et portugais.

252    La Commission conteste les critiques concernant la valeur probante des déclarations d’AWA, de Sappi et de Mougeot. Ces déclarations permettraient de comprendre l’organisation du cartel, y compris en 1992. La Commission répond par ailleurs point par point aux arguments des requérantes relatifs à leur absence de participation aux différentes réunions nationales ou régionales en cause.

 Décision

253    Aux termes de l’article 1er, second alinéa, de la décision, Bolloré, MHTP, Koehler et Torraspapel ont participé à l’infraction de janvier 1992 à septembre 1995, tandis que, d’après cette même disposition, Mougeot a participé à celle-ci de mai 1992 à septembre 1995.

254    Les passages pertinents de la décision en ce qui concerne la participation des cinq requérantes concernées à l’infraction durant la période comprise entre janvier ou mai 1992, selon le cas, et septembre ou octobre 1993, sont les suivants :

« (83) L’organisation et la coordination de l’entente à l’échelle de l’EEE se faisaient lors des réunions générales du cartel convoquées sous couvert de réunions officielles de l’organisation professionnelle, l’AEMCP.

(84)      À ces réunions générales, les participants prenaient des décisions de principe sur le calendrier et l’importance (en pourcentage) des hausses de prix pour chaque pays de l’EEE. Ils s’entendaient sur plusieurs hausses de prix consécutives, pour plusieurs mois à l’avance.

(85)      Les réunions de l’AEMCP ont servi de cadre aux réunions du cartel au moins depuis le mois de janvier 1992 jusqu’au mois de septembre 1993 […]

(87)      Le taux de participation aux réunions de l’AEMCP était généralement élevé et, à l’époque de l’infraction, tous les producteurs qui étaient alors membres de l’AEMCP y participaient : AWA, Binda, Copigraph, Koehler, Mougeot, Stora, Torraspapel/Sarrió et Zanders. »

255    Par ailleurs, il ressort des considérants 107 à 113 que Sappi a admis l’existence d’une collusion entre fabricants concurrents lors des réunions régulières qui ont eu lieu au moins à partir du début de l’année 1992. Un salarié de Sappi a déclaré que ces réunions se sont tenues « à l’échelle communautaire » à partir de 1991. AWA a également admis que de telles réunions se sont tenues à compter du début de l’année 1992. Mougeot, qui a adhéré à l’AEMCP à la fin de l’année 1992, a remis des déclarations (document n° 7647, évoqué au point 165 ci-dessus) concernant la teneur d’une réunion officielle de l’AEMCP tenue en 1993, dont la Commission déduit que la reconstitution de l’association impliquait la restructuration du cartel. Mougeot a déclaré :

« Sans doute à l’occasion de la réunion officielle de l’AEMCP du 14 septembre 1993 à Francfort ou à celle d’avant, en tout cas lors de l’entrée en fonction de [M. B.] à la tête de la Direction générale de la branche ‘autocopiant’ d’AWA, M. B. a clairement décidé de convoquer à des réunions ‘non officielles’ les principaux producteurs de l’autocopiant marché par marché et de modifier l’organisation des réunions officielles de l’AEMCP. Désormais, [M. B.] a décidé qu’un avocat assisterait à chaque réunion de l’AEMCP pour donner à celles-ci un caractère officiel et insusceptible de critique. En revanche, il décida que tout ce qui concernerait les prix n’y serait plus abordé mais uniquement traité lors de réunions ‘non officielles’. »

 Appréciation du Tribunal

256    À titre liminaire, il convient de rappeler que, en ce qui concerne l’administration de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58, et Commission/Anic Partecipazioni, point 149 supra, point 86).

257    Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise (voir arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 43, et la jurisprudence citée).

258    Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir en ce sens, arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 513 à 520). Par ailleurs, ainsi que le Tribunal l’a déjà exposé aux points 155 et 166 ci-dessus, les preuves doivent être appréciées dans leur ensemble et des déclarations effectuées dans le cadre de la communication sur la coopération ne sauraient être considérées de ce seul fait comme dépourvues de valeur probante.

259    Il ressort de la décision que la Commission fonde la responsabilité des cinq requérantes concernées durant la période comprise entre janvier 1992, ou mai 1992 s’agissant de Mougeot, et septembre ou octobre 1993, sur leur participation à des contacts collusoires et à un système de réunions collusoires comportant l’imbrication, d’une part, de réunions officielles de l’AEMCP, dont elle soutient qu’elles ont servi de cadre à des collusions sur les prix, et, d’autre part, de réunions nationales ou régionales du cartel.

260    Il convient d’analyser, dans un premier temps, le système allégué de réunions collusoires, composé de réunions officielles de l’AEMCP et de réunions nationales ou régionales du cartel et, dans un second temps, la participation des requérantes concernées à ces réunions avant septembre ou octobre 1993.

–       Sur le système allégué de réunions collusoires

Réunions officielles de l’AEMCP avant septembre ou octobre 1993

261    La lecture des considérants 107 à 113, 254 à 256 et 295 de la décision indique que, au soutien de ses allégations concernant la tenue, avant septembre ou octobre 1993, de réunions générales (européennes) du cartel dans le cadre des réunions officielles de l’AEMCP, la Commission invoque, en premier lieu, les déclarations de Mougeot contenues dans le document n° 7647 (voir point 255 ci-dessus), en deuxième lieu, le témoignage d’un employé de Sappi ainsi que les aveux de Sappi et d’AWA, et, en troisième lieu, l’existence de nombreux éléments de preuve attestant l’organisation de réunions nationales ou régionales du cartel à partir de janvier 1992, dont il sera question aux points 281 et suivants.

262    En premier lieu, à lire les considérants 113 et 254 de la décision, il s’avère que les déclarations de Mougeot (document n° 7647) reproduites au considérant 108 de ladite décision et citées au point 255 ci-dessus, constituent l’élément central de la démonstration de la Commission sur ce point.

263    À cet égard, il convient, à titre liminaire, d’écarter les allégations de Mougeot relatives à une prétendue dénaturation par la Commission du contenu de ses déclarations. La lecture comparée du considérant 108 de la décision et du document n° 7647, dans lequel figurent les déclarations concernées, montre que la Commission a procédé, dans la décision, à une reproduction littérale et fidèle des déclarations de Mougeot contenues dans le document susmentionné.

264    De plus, en réponse à un argument soulevé par Koehler, il y a lieu de considérer que le sens particulièrement clair des déclarations de Mougeot justifie que, ainsi qu’il ressort du considérant 295 de la décision, la Commission n’ait accordé aucun crédit au démenti ultérieur de Mougeot contenu dans sa réponse à la CG.

265    Il faut également écarter l’argument de Torraspapel selon lequel les allégations figurant dans la note en bas de page n° 97 de la décision démontrent que la Commission elle-même doute de la valeur probante des déclarations de Mougeot. En effet, le fait que, dans cette note en bas de page, la Commission, au vu du contenu de pièces documentaires figurant dans le dossier, a écarté l’affirmation de Mougeot selon laquelle celle-ci a assisté pour la première fois à une réunion de l’AEMCP le 9 février 1993, ne saurait être interprété comme l’expression d’un doute général de la Commission quant à la valeur probante des affirmations de Mougeot. En outre, à la différence de l’affirmation de Mougeot visée dans la note en bas de page n° 97 de la décision, les déclarations reproduites au considérant 108 de ladite décision ne sont contredites par aucun élément qui soit susceptible de jeter le doute sur la valeur probante de ces déclarations.

266    Il ressort de ces déclarations de Mougeot que, au cours d’une réunion officielle de l’AEMCP, il a été décidé par M. B., lors de son entrée en fonction à la tête de la direction générale de la branche « Papier autocopiant » d’AWA, de réorganiser les activités de l’AEMCP en tenant dorénavant les réunions officielles de l’association en présence d’un avocat, afin de leur conférer un caractère « insusceptible de critique », en n’abordant plus, au cours desdites réunions, « tout ce qui concern[e] les prix » et en convoquant désormais des réunions « non officielles » pour traiter de ceux-ci. Les déclarations de Mougeot signifient clairement que, avant la réorganisation des activités de l’AEMCP décidée par M. B. (AWA), les réunions officielles de l’AEMCP servaient de cadre à des discussions concernant les prix. Ces discussions constituaient précisément l’élément critiquable de ces réunions.

267    Aucune des requérantes concernées ne conteste l’indication, figurant au considérant 110 de la décision, selon laquelle la première réunion officielle de l’AEMCP tenue en présence d’un avocat a eu lieu le 18 novembre 1993. Dans ces conditions, la Commission était fondée à situer la décision de M. B. de restructurer les activités et les réunions de l’AEMCP à la réunion officielle de cette association ayant immédiatement précédé la réunion du 18 novembre 1993, à savoir la réunion du 14 septembre 1993. C’est donc à juste titre que la Commission a estimé que des discussions sur les prix ont eu lieu dans le cadre des réunions officielles de l’AEMCP jusqu’à celle du 14 septembre 1993.

268    Cette considération est confortée par les considérants 115 à 121 de la décision dont il ressort que, après cette décision de restructuration, se sont tenues, en marge de réunions officielles de l’AEMCP, des réunions officieuses dont l’objet a été de convenir de hausses de prix dans l’EEE.

269    En second lieu, la Commission invoque l’extrait, reproduit au considérant 112 de la décision, du témoignage (document n° 5407, joint en annexe à la CG) d’une personne engagée par Sappi en février 1993 se souvenant que ses collègues « revenaient de réunions, y compris de réunions de l’AEMCP, avec une idée bien précise des hausses de prix qui allaient être appliquées et que les réactions de la concurrence les laissaient relativement indifférents ».

270     Contrairement aux allégations de certaines requérantes, les souvenirs de cet employé de Sappi ne sont aucunement exprimés sur un ton dubitatif ou prudent. À défaut d’indication en sens contraire, ils doivent être compris comme couvrant indistinctement tant la période antérieure que la période postérieure à septembre 1993. Ils confirment, pour la période comprise entre février et septembre 1993, que des rencontres collusoires portant sur des hausses de prix à l’échelle européenne ont eu lieu dans le cadre de réunions officielles de l’AEMCP, ce que, du reste, n’ont pas contesté les entreprises qui ont admis leur participation à l’entente dès 1992.

271    À ce stade de l’analyse, il s’avère donc que la Commission a, à bon droit, considéré que, avant septembre 1993, des accords sur les prix ont été conclus dans le cadre de réunions officielles de l’AEMCP. Il convient à présent de vérifier si la Commission était fondée à constater que le recours aux réunions officielles de l’AEMCP comme cadre de tels accords avait commencé au plus tard en janvier 1992 et s’était poursuivi de manière continue jusqu’en septembre 1993.

272    À cet égard, il ressort des considérants 86 et 113 de la décision, que, au soutien de ses constatations, la Commission avance que la première réunion officielle de l’AEMCP pour laquelle elle dispose de traces écrites est celle du 23 janvier 1992. Rapprochant cette indication, d’une part, des prétendues déclarations concordantes d’AWA et de Sappi, citées au considérant 107 de la décision, qui attesteraient que des réunions collusoires se sont tenues à l’échelle européenne à compter du début de l’année 1992, et, d’autre part, d’éléments de preuve attestant du fait que l’organisation de réunions régulières et de contacts au niveau national ou régional a commencé en janvier 1992 (même considérant), elle estime que l’entente européenne sur les prix a débuté, au plus tard, au mois de janvier 1992. La Commission ajoute, au considérant 113 de la décision, que les documents en sa possession indiquent que, entre janvier 1992 et la réunion du 14 septembre 1993, huit réunions de l’AEMCP ont eu lieu, toutes à Zurich.

273    Il y a d’abord lieu de constater qu’aucune requérante ne met en doute l’exactitude des indications de la décision concernant la tenue d’une réunion officielle de l’AEMCP le 23 janvier 1992.

274    Ensuite, il convient de relever, premièrement, que, dans sa déclaration (documents nos 7828 et 7829, voir point 163 ci-dessus) visée par la Commission au considérant 107 de la décision, AWA reconnaît que, à partir du début de l’année 1992, elle a participé avec des concurrents à certaines réunions « déplacées » (improper) ayant servi de cadre à des échanges d’intentions concernant des annonces de hausses de prix. Cet aveu d’AWA a trait, d’après sa réponse à la demande d’informations de la Commission (document n° 7829), à des réunions auxquelles auraient participé Sarrió, Mougeot, Stora-Feldmühle, Copigraph, Koehler et Zanders, et qui auraient eu lieu entre 1992 et 1995, à Paris, à Zurich et à Genève. Or, Zurich est la ville dans laquelle, ainsi qu’il ressort du tableau A de l’annexe I de la décision, se sont tenues toutes les réunions officielles de l’AEMCP organisées entre janvier 1992 et septembre 1993.

275    Toutefois, d’après la réponse d’AWA (document n° 7827), l’extrait visé aux considérants 61 et 107 de la décision concerne le détail des réunions qui ont eu lieu du 1er janvier 1992 jusqu’à la date de formulation de cette réponse, à l’exclusion des réunions officielles de l’AEMCP, de sorte que l’on pourrait en déduire qu’elle a exclu toutes les réunions de l’AEMCP comme dénuées de caractère collusoire. L’existence d’un doute raisonnable devant bénéficier aux requérantes, conformément au principe du bénéfice du doute, il y a lieu de considérer que, à elles seules, les déclarations d’AWA ne permettent pas de considérer que la réunion officielle de l’AEMCP du 23 janvier 1992 a servi de cadre à une collusion sur les prix. Elles constituent néanmoins un indice substantiel de l’existence d’une entente au niveau européen dès le début de l’année 1992.

276    Deuxièmement, s’agissant des déclarations de Sappi visées au considérant 107 de la décision, il ressort du considérant 73 de ladite décision que la Commission se réfère aux « déclarations de Sappi [suggérant] qu’il y aurait eu des contacts de nature collusoire entre les fabricants européens d’autocopiant dès la création de leur organisation professionnelle, l’AEMCP, en 1981, et surtout à partir du milieu des années quatre-vingt ».

277    Dans la note en bas de page n° 64 de la décision (document n° 4656), la Commission précise :

« Sappi a remis à la Commission une déclaration de l’un de ses salariés qui s’occupait de la vente de papier autocopiant depuis les années [70], selon laquelle ‘[i]l avait commencé à soupçonner l’existence d’une collusion dans le papier autocopiant vers le milieu des années 80 en raison de remarques faites par la direction […] [il] pensait que cette collusion impliquait Arjo Wiggins, Koehler et Stora‑Feldmühle, entre autres [et il] était au courant d’échanges bilatéraux d’informations à partir du milieu ou de la fin des années 80’. »

278    Une déclaration d’un autre salarié de Sappi indique qu’il y a eu des contacts et des réunions collusoires entre concurrents de 1991 à 1993 à l’échelle de la Communauté. Ce salarié de Sappi déclare qu’il pensait que ces contacts créaient une collusion et que les fournisseurs discutaient entre eux des prix à l’échelle de la Communauté.

279    Les déclarations des employés de Sappi mentionnées aux points précédents sont de nature à établir qu’une entente sur les prix impliquant quelques producteurs a existé à l’échelle européenne dès la fin des années 80 ou le début des années 90. Par ailleurs, elles corroborent celles d’AWA sur l’existence d’une entente au niveau européen dès le début de l’année 1992. En revanche, elles ne permettent pas d’affirmer que la réunion officielle de l’AEMCP du 23 janvier 1992 a servi de cadre à des contacts collusoires. Pas plus que les déclarations d’AWA, elles n’autorisent donc, à elles seules, à considérer que la Commission a correctement établi que des accords collusoires sur les prix ont été conclus à compter de janvier 1992 dans le cadre des réunions officielles de l’AEMCP.

280    Il convient dès lors d’examiner le troisième élément mis en avant par la Commission, à savoir l’organisation, à partir du début de l’année 1992, de réunions et de contacts collusoires au niveau national ou régional à proximité des réunions officielles de l’AEMCP.

Réunions au niveau national ou régional avant septembre ou octobre 1993

281    Il ressort du tableau 3 intitulé « Réunions nationales et régionales du cartel de février 1992 au printemps 1995 » et reproduit au considérant 129 de la décision que la Commission constate la tenue de sept réunions nationales ou régionales entre février 1992 et le 30 septembre 1993. Selon le détail de ces réunions fourni à l’annexe II de la décision :

le 17 février 1992 se serait tenue une réunion concernant le marché espagnol à laquelle auraient notamment assisté Koehler et Torraspapel ;

le 5 mars 1992 se serait tenue une réunion concernant le marché espagnol à laquelle auraient notamment assisté Stora (MHTP), Koehler et Torraspapel ;

au printemps 1992, probablement en avril, se serait tenue une réunion concernant le marché français à laquelle auraient notamment assisté Copigraph (filiale de Bolloré), Stora (MHTP), Koehler, Mougeot et Torraspapel ;

le 16 juillet 1992 se serait tenue une réunion concernant le marché espagnol à laquelle auraient notamment assisté Stora (MHTP), Koehler et Torraspapel ;

le 14 janvier 1993 se serait tenue une réunion concernant les marchés du Royaume‑Uni et d’Irlande à laquelle auraient notamment assisté Stora (MHTP) et Koehler ;

au printemps 1993, probablement en avril, se serait tenue une réunion concernant le marché français à laquelle auraient notamment assisté Copigraph (filiale de Bolloré), Stora (MHTP), Koehler, Mougeot et Torraspapel ;

le 30 septembre 1993, se serait tenue une réunion concernant le marché espagnol à laquelle auraient notamment assisté Copigraph (filiale de Bolloré), Stora (MHTP), Koehler, Mougeot et Torraspapel.

282    Il y a lieu de vérifier le bien-fondé des constatations de la Commission relatives à la tenue de ces réunions et à leur objet anticoncurrentiel.

283    S’agissant, en premier lieu, de la réunion du 17 février 1992 relative au marché espagnol, le Tribunal a déjà constaté aux points 161 à 169 ci‑dessus que cette réunion, destinée à garantir le respect d’un accord de hausse de prix sur le marché espagnol, avait eu un objectif collusoire cadrant avec l’objet général de l’infraction.

284    S’agissant, en deuxième lieu, de la réunion du 5 mars 1992, il résulte également des constatations du Tribunal aux points 161 à 170 ci-dessus que tant la tenue que l’objet collusoire de cette réunion sont établis.

285    S’agissant, en troisième lieu, des réunions du printemps 1992 et du printemps 1993 concernant le marché français, leur tenue et leur objet concurrentiel ressortent des déclarations d’employés de Sappi contenues dans les documents nos 15026, 15027 et 15272, cités au considérant 137 de la décision et joints à la CG.

286    L’extrait de la déclaration de Sappi contenu dans le document n° 15272 est rédigé en ces termes :

« Le directeur (à l’époque) du service des ventes de Sappi (UK) Ltd en France a déclaré qu’il a assisté avec son chef, [M. W.], à deux réunions avec des concurrents en France. La première a eu lieu au printemps 1992 et la seconde un an après. L’une s’est tenue dans un hôtel à l’aéroport Charles-de-Gaulle et l’autre dans le centre de Paris. Ce sont les seules réunions de ce type auxquelles il a participé et il ignore s’il y en a eu d’autres en France.

Au cours de ces réunions, la discussion a principalement porté sur les feuilles, que Sappi ne vendait pas en France à l’époque. Les réunions n’ont pas abouti à un consensus ou à un accord quelconque sur les feuilles. S’agissant des bobines, la discussion a porté sur les niveaux de prix passés et actuels, et non sur ceux des prix futurs. »

287    Par ailleurs, dans le tableau (document n° 15200, joint à la CG) figurant dans sa réponse du 18 mai 1999 à une demande de renseignements de la Commission, Sappi indique que des réunions se sont tenues à différentes dates au printemps 1992 et au printemps 1993, probablement en avril, à Paris, à l’aéroport Charles‑de‑Gaulle et dans un hôtel proche de la place de l’Étoile. Selon ce tableau, l’objectif de ces réunions était d’échanger des informations et de discuter des clients et des prix qui leur étaient appliqués. Sappi indique qu’ont participé à ces réunions des représentants de Sappi, d’AWA, de Sarrió, de Zanders, de l’agent en France de Zanders, d’Europapier et de Feldmühle. Elle affirme ne pas se souvenir si un représentant de Koehler a assisté à celles-ci.

288    Les indications reproduites aux points précédents font ressortir que l’employé de Sappi à l’origine de ces indications, qui a personnellement assisté aux événements relatés, se souvient avec précision de la tenue, au printemps 1992 et au printemps 1993, de deux réunions entre concurrents à Paris, dont l’objet a été, notamment, de discuter des clients et des prix qui leur étaient appliqués. L’absence de précision quant au moment exact de la tenue de ces réunions s’explique vraisemblablement par le grand laps de temps qui s’est écoulé entre les faits litigieux et le moment où il a été fait appel aux souvenirs de cet employé et n’est pas de nature à occulter le caractère précis de son témoignage en ce qui concerne la période à laquelle se sont tenues les réunions concernées, la localisation et l’objet de celles-ci. Elle n’est dès lors pas susceptible d’ôter aux déclarations de l’employé de Sappi leur valeur probante en ce qui concerne ces différents aspects.

289    S’agissant de la réunion du printemps 1993, il convient d’ajouter que les documents nos 4798, 4799 et 5034, cités par la Commission à la note en bas de page n° 135 de la décision, correspondent à des notes de frais de voyage et font ressortir que M. F. (Koehler) et M. W. (Stora-Feldmühle) se sont tous deux rendus le 14 avril 1993 à Paris. Une telle indication accrédite la thèse de la Commission selon laquelle la réunion du printemps 1993 a eu lieu au mois d’avril.

290    Certes, il ressort des déclarations de l’employé de Sappi, citées au point 286 ci-dessus que, d’après ses souvenirs, aucun accord sur les prix n’a été conclu au cours des réunions du printemps 1992 et du printemps 1993. Toutefois, l’indication selon laquelle les participants à ces réunions ne sont pas parvenus à un consensus ou à un accord de quelque nature que ce soit en ce qui concerne les feuilles doit être interprétée comme signifiant que des tentatives en ce sens ont été faites durant ces réunions en ce qui concerne les feuilles, ce qui confère à ces réunions un caractère illicite.

291    En effet, dans le cadre de ces tentatives, les participants ont nécessairement été amenés à échanger des informations individuelles sur leurs prix et/ou sur leurs volumes de vente en ce qui concerne les feuilles. Or, en vertu de la jurisprudence (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 149 supra, points 117 et 121), l’exigence d’autonomie de la politique de tout opérateur économique, qui est inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, s’oppose rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs de nature soit à influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à, ou que l’on envisage de, tenir soi-même sur le marché, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d’aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause. À cet égard, il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. Au vu de cette jurisprudence, il faut admettre que les réunions du printemps 1992 et du printemps 1993 ont, s’agissant du marché des feuilles, servi de cadre à des concertations contraires à l’article 81, paragraphe 1, CE.

292    En outre, les déclarations de l’employé de Sappi évoquées au point 286 ci-dessus font état, s’agissant des bobines, d’échanges d’informations ainsi que de discussions, lors des réunions, sur les clients et sur les prix qui étaient appliqués à ces derniers, ce qui, au vu de la jurisprudence mentionnée au point précédent, traduit l’existence de concertations interdites par l’article 81, paragraphe 1, CE.

293    La tenue de réunions entre concurrents au printemps 1992 et au printemps 1993 à Paris ainsi que l’objet anticoncurrentiel de ces deux réunions sont donc établis.

294    À titre surabondant, s’il fallait considérer que ces réunions ont donné lieu uniquement à des échanges d’informations qui ne sont infractionnels que pour autant qu’ils aient visé à faciliter la conclusion des accords sur les hausses de prix et les quotas de vente et à contrôler le respect des accords (considérant 97 de la décision), la solution resterait inchangée.

295    En effet, compte tenu, premièrement de l’extrait de la déclaration de Sappi faisant apparaître que des tentatives visant à aboutir à un accord sur le marché des feuilles sont intervenues lors des réunions concernées, deuxièmement, des éléments attestant que, à tout le moins depuis janvier 1992, des accords de hausses de prix étaient conclus au niveau européen dans le cadre des réunions officielles de l’AEMCP et, troisièmement, de la présence, tant à la réunion du printemps 1992 qu’à celle du printemps 1993, d’un certain nombre d’entreprises qui étaient représentées auxdites réunions officielles (Sappi, AWA, Zanders, notamment), la Commission serait fondée à considérer que l’objet des échanges d’informations commerciales survenus lors des réunions françaises était nécessairement lié à un accord de hausse de prix du papier autocopiant.

296    S’agissant, en quatrième lieu, de la réunion du 16 juillet 1992, il résulte des constatations du Tribunal aux points 180 à 184 ci-dessus que la tenue et l’objet collusoire de cette réunion sont établis.

297    S’agissant, en cinquième lieu, de la réunion du 14 janvier 1993, pour établir la tenue et l’objet anticoncurrentiel de cette réunion, la Commission s’appuie sur les documents non confidentiels nos 15026, 15175 et 15176, 15271 et 15272 ainsi que 4752 joints à la CG.

298    Le document n° 15026 comporte notamment les indications suivantes :

« Le premier employé nous a déclaré qu’[…] il pensait que deux réunions avaient eu lieu au Heathrow Business Centre et une à l’hôtel Intercontinental à Londres, mais il ne se rappelait pas lesquelles […]. Le second employé nous a declaré que [...] son agenda comportait, à la date du 14 janvier 1993, la mention d’une réunion au Heathrow Business Centre au terminal 2 à 10 heures. Il ne voyait pas quelle autre raison il aurait pu avoir d’être là en dehors de sa participation à une réunion avec des concurrents [...] »

299    Les documents nos 15175 et 15176 contiennent les précisions qui suivent :

« Les éléments de preuve que […] a été en mesure de fournir sont les suivants. […] Comme exposé dans les déclarations du 11 novembre et du 20 décembre 1996, il a assisté à une réunion avec des concurrents au Royaume-Uni, probablement le jeudi 14 janvier 1993 au Heathrow Business Centre au terminal 2 à 10 heures. Une copie de la page concernée de son agenda est jointe en annexe 5. [M. I.], le directeur des ventes et du marketing de Sappi (UK) Ltd, lui avait demandé d’y participer. La réunion a essentiellement porté sur l’échange d’informations indiquant quel fournisseur approvisionnait quels clients, les tendances et les attentes des marchés. On n’est pas parvenu à un accord […] Arjo Wiggins a dirigé la réunion. Des informations ont été échangées plutôt que des accords conclus sur la conduite à tenir dans le futur. »

300    Les documents nos 15271 et 15272 incluent les déclarations suivantes :

« Le premier employé a dit que […]. Parfois, cependant, des réunions informelles ad hoc avaient lieu au Royaume-Uni entre concurrents, dont le but était de connaître le marché, en particulier concernant l’activité passée, et de recueillir l’avis des concurrents plutôt que d’atteindre un consensus ou de s’engager dans une pratique concertée pour tenter de parvenir à une augmentation de prix. En ce qui concerne Sappi, son objectif en participant à ces réunions était d’obtenir des informations, même s’il se peut que d’autres aient utilisé ces réunions pour transmettre des données ou tenter de détourner le marché ; les discussions à ces réunions ne visaient pas à se partager le marché ou à se répartir les clients ; […] il a confirmé qu’il a participé à de telles réunions, une par an en 1992, en 1993 et en 1994. Il se peut aussi qu’il ait assisté à une ou deux autres réunions (mais pas plus). Il n’a assisté à aucune réunion en 1995 ou en 1996. La pratique d’organiser de telles réunions était déjà établie par cette industrie lorsqu’il a commencé à s’occuper des ventes de papier autocopiant […] Les réunions avaient généralement lieu à l’aéroport d’Heathrow ou dans un hôtel de Londres […] »

301    Quant au document n° 4752, il correspond à l’extrait de l’agenda d’un employé de Sappi et comporte, à la date du 14 janvier 1993, la mention suivante : « T2 Heathrow 10 heures Bus. Centre ».

302    Au vu des différents éléments mentionnés aux points 298 à 301 ci‑dessus, la Commission était fondée à constater qu’une réunion entre concurrents s’est tenue à l’aéroport d’Heathrow le 14 janvier 1993 à 10 heures du matin. Certes, l’extrait reproduit au point 299 ci-dessus fait ressortir que les participants à cette réunion ne sont pas parvenus à un accord. Toutefois, outre le fait que cet extrait peut être interprété comme démontrant l’existence d’une tentative visant à aboutir à un accord contraire à l’article 81, paragraphe 1, CE, ce qui, pour les motifs exposés au point 291 ci-dessus, est de nature à conférer un caractère illicite à la réunion en question, l’extrait de la déclaration de Sappi reproduit au point 299 ci-dessus atteste que la réunion a servi de cadre à des échanges d’informations sur les clients respectifs des différents participants à celle-ci.

303    S’agissant des échanges d’informations, il y a lieu de rappeler que ceux‑ci sont considérés par la Commission comme étant de nature infractionnelle au motif qu’ils auraient aidé à la conclusion ou au respect d’un accord de hausse de prix.

304    Plusieurs indices corroborent la thèse selon laquelle l’objet des échanges d’informations survenus au cours de la réunion britannique a été lié à un accord de hausse de prix. Premièrement, l’extrait de la déclaration de Sappi fait apparaître qu’une tentative d’aboutir à un accord est intervenue lors de la réunion concernée. Deuxièmement, des éléments attestent que, à tout le moins depuis janvier 1992, des accords de hausses de prix étaient conclus au niveau européen dans le cadre des réunions officielles de l’AEMCP. Troisièmement, la réunion du 14 janvier 1993 a rassemblé un certain nombre d’entreprises qui étaient représentées aux réunions officielles de l’AEMCP dans le cadre desquelles se déroulaient des réunions générales du cartel portant sur des accords de hausses de prix.

305    Il convient de souligner en outre que, selon le considérant 183 de la décision, AWA a confirmé dans sa réponse à la CG que cette réunion du 14 janvier 1993 faisait partie des réunions « déplacées » entre concurrents (voir aussi point 164 ci-dessus).

306    S’agissant, sixièmement, de la réunion du 30 septembre 1993 à Barcelone, mentionnée au considérant 163 de la décision, le Tribunal a déjà considéré au point 172 ci-dessus que la Commission a correctement établi la tenue de cette réunion ainsi que le fait que celle-ci a servi de cadre à des échanges d’informations commerciales concernant les ventes individuelles de 1992 et de 1993 et à des accords portant sur l’attribution de quotas de vente pour le quatrième trimestre de l’année 1993 et sur une hausse de prix à appliquer le 1er janvier 1994. En outre, la circonstance que, lors de cette réunion du 30 septembre 1993, les participants ont, successivement, échangé des informations commerciales concernant leurs moyennes de vente respectives, convenu d’une répartition des quotas de vente, décidé d’une hausse collective de prix et convenu de se revoir pour vérifier le respect des quotas de vente, accrédite la thèse de la Commission selon laquelle des échanges d’informations sur les ventes et des accords de quotas de vente sont intervenus en certaines occasions pour faciliter la conclusion des accords de hausse de prix et en assurer l’application.

307    Dès lors, la Commission a établi à suffisance de droit la tenue de réunions collusoires, portant sur le marché espagnol les 17 février, 5 mars et 16 juillet 1992 ainsi que le 30 septembre 1993, sur le marché français au printemps 1992 et au printemps 1993, ainsi que sur les marchés du Royaume‑Uni et d’Irlande le 14 janvier 1993. La tenue de ces réunions collusoires au plan national ou régional, eu égard à la déclaration de Mougeot figurant au considérant 90 de la décision, selon laquelle la justification de ces réunions tenait au souci d’assurer l’application généralisée des hausses de prix décidées au niveau européen, conforte la description de l’infraction faite par la Commission au considérant 77 de la décision, en particulier le fait que le moyen utilisé pour réaliser l’objectif de l’entente consistait dans la tenue de réunions à différents niveaux (général, national ou régional).

308    Quant au début de l’infraction, la Commission était par conséquent fondée à constater la tenue, à une époque contemporaine de la réunion officielle de l’AEMCP du 23 janvier 1992, de contacts collusoires en Espagne ayant eu un objet identique à ceux des réunions générales du cartel qui ont été organisées, jusqu’en septembre 1993, dans le cadre de réunions officielles de l’AEMCP. Cette constatation, conjuguée aux aveux de plusieurs entreprises concernant leur participation à une entente européenne à compter du mois de janvier 1992 ainsi qu’à l’affirmation d’AWA relative à sa participation, à compter du mois de janvier 1992, à des réunions « déplacées », sur différents marchés nationaux ou régionaux, portant sur des échanges d’intentions concernant des annonces de hausses de prix (document n° 7828), amène le Tribunal à conclure que la Commission était en droit de considérer que la réunion officielle de l’AEMCP du 23 janvier 1992 a servi de cadre à une réunion générale du cartel et à fixer, pour les entreprises y ayant participé, le point de départ de l’infraction au mois de janvier 1992.

309    Ainsi qu’il a été relevé au point 272 ci-dessus, selon le considérant 113 de la décision, les documents en la possession de la Commission montrent que, entre janvier 1992 et la réunion du 14 septembre 1993, huit réunions de l’AEMCP, dont les dates exactes sont mentionnées dans le tableau A de l’annexe I de la décision, ont eu lieu, toutes à Zurich. Compte tenu de cette indication non contestée par les requérantes, et au vu des aveux de Sappi et d’AWA ainsi que de la déclaration de Mougeot, figurant au considérant 108 de la décision, dont il ressort que, jusqu’en septembre 1993, les réunions générales du cartel se sont tenues dans le cadre de réunions officielles de l’AEMCP, déclaration corroborée, pour la période comprise entre février et septembre 1993, par celles d’un employé de Sappi (voir point 269 ci-dessus), la Commission était fondée à constater le caractère continu de l’entente européenne sur les prix entre janvier 1992 et septembre 1993, et ce même en admettant que seules certaines des huit réunions officielles susvisées aient servi de cadre à des accords collusoires sur les prix au niveau européen.

310    Il y a dès lors lieu de considérer comme étant suffisamment établies les constatations de la Commission selon lesquelles, à compter de janvier 1992 et jusqu’à septembre 1993, des accords collusoires de hausses de prix à l’échelle européenne ont été conclus dans le cadre de réunions officielles de l’AEMCP, lesquelles ont été suivies d’une série de réunions nationales ou régionales ayant pour objet d’en assurer l’application marché par marché.

311    Il convient encore de vérifier si la Commission a correctement établi, pour la période antérieure à septembre ou à octobre 1993, la participation des cinq requérantes au plan anticoncurrentiel global dont le principal objectif visait à s’entendre sur des hausses de prix et sur le calendrier de leur mise en œuvre, à travers la tenue de réunions à différents niveaux.

–       Participation des requérantes aux réunions avant septembre ou octobre 1993

312    Il y a lieu de rappeler à titre liminaire qu’il suffit que la Commission démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance la participation de ladite entreprise à l’entente. Lorsque ce système de réunions s’inscrit dans une série d’efforts des entreprises en cause poursuivant un seul but économique, à savoir fausser l’évolution normale des prix sur le marché concerné, il serait artificiel de subdiviser ce comportement, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes (voir la jurisprudence citée aux points 188 et 196 ci-dessus).

313    Le Tribunal constate que ni Koehler ni Torraspapel ne contestent les indications, figurant dans le tableau B de l’annexe I de la décision, selon lesquelles elles ont toutes deux assisté à l’ensemble des réunions officielles de l’AEMCP qui se sont tenues durant la période comprise entre janvier 1992 et septembre 1993. Même en admettant que seules certaines des réunions susvisées aient servi de cadre à des accords collusoires sur les prix, une telle constatation suffit pour considérer que la Commission a, à bon droit, retenu leur participation continue à des accords collusoires sur les prix et, partant, à l’infraction constatée à l’article 1er, premier alinéa, de la décision, durant la période comprise entre janvier 1992 et septembre 1993.

314    MHTP, pour sa part, ne conteste pas les indications, figurant dans le tableau visé au point précédent, selon lesquelles des entreprises du groupe Stora ont pris part aux différentes réunions officielles de l’AEMCP qui se sont tenues durant la période comprise entre janvier 1992 et septembre 1993. MHTP ne contestant par ailleurs pas les considérations exprimées par la Commission, aux considérants 360 à 362 de la décision, selon lesquelles elle doit être tenue pour responsable des comportements illicites commis par les entreprises du groupe Stora, la Commission a, à bon droit, retenu la participation de MHTP à des accords collusoires sur les prix et, partant, à l’infraction constatée à l’article 1er, premier alinéa, de la décision, durant la période comprise entre janvier 1992 et septembre 1993.

315    En outre, MHTP ne conteste pas sa responsabilité dans l’infraction à partir de janvier 1993. En ne contestant pas les faits qui fondent la constatation de l’infraction pour la période comprise entre janvier 1993 et le milieu de l’année 1995 – ce qui lui a valu d’obtenir une réduction de 10 % de l’amende qui lui a été infligée – (considérants 456 et 458 de la décision), MHTP admet la tenue de réunions collusoires au niveau européen entre janvier 1993 et septembre ou octobre 1993. À l’audience, elle a par ailleurs déclaré que l’existence de ces réunions européennes de l’entente à cette époque était tout à fait plausible. Elle a en outre reconnu à l’audience qu’il était tout à fait crédible, si l’on prenait la déclaration de Mougeot à la lettre, que la réunion de l’AEMCP constituait le forum de l’entente à cette même époque. Or, ni MHTP ni les autres entreprises contestant le caractère collusoire des réunions de l’AEMCP avant sa restructuration en septembre ou en octobre 1993 n’ont fourni d’éléments de nature à établir un quelconque changement d’organisation ou de structure de l’AEMCP en janvier 1993. MHTP n’a, par ailleurs, pas donné d’explication alternative à celle de la Commission sur le lieu et la tenue des réunions collusoires de l’entente européenne avant la restructuration de l’AEMCP en septembre/octobre 1993.

316    Quant à Bolloré, elle ne conteste pas les indications, figurant dans le tableau B de l’annexe I de la décision, selon lesquelles Copigraph a assisté à la réunion officielle de l’AEMCP du 23 janvier 1992, puis à quatre des sept réunions ultérieures qui se sont tenues avant celle du 14 septembre 1993. L’indication relative à la présence de Copigraph à la réunion officielle de l’AEMCP du 23 janvier 1992 permet de considérer que, à cette date, Copigraph a pris part à un accord collusoire sur les prix à l’échelle européenne.

317    Même s’il n’est pas certain que l’ensemble des réunions officielles de l’AEMCP qui se sont tenues entre janvier 1992 et septembre 1993 aient servi de cadre à la conclusion d’un accord collusoire sur les prix, la constatation selon laquelle Copigraph a pris part à cinq des huit réunions officielles permet de conclure à la participation continue de cette entreprise, entre janvier 1992 et septembre 1993, à des accords collusoires sur les prix à l’échelle européenne. Copigraph ne s’est en effet pas distanciée publiquement des réunions auxquelles elle a assisté (voir la jurisprudence citée aux points 188 et 196 ci-dessus).

318    Enfin, s’agissant de Mougeot, il est constant qu’elle n’a pas assisté à la réunion du 23 janvier 1992 et que la première réunion de l’AEMCP à laquelle elle a participé est celle du 26 mai 1992. Mougeot a ensuite pris part à toutes les réunions de l’AEMCP jusqu’en septembre 1993, soit à six des huit réunions ayant précédé celle du 14 septembre 1993. Pas plus que Copigraph, Mougeot ne s’est distanciée publiquement des réunions auxquelles elle a assisté (voir la jurisprudence citée aux points 188 et 196 ci-dessus). Même lorsqu’elle y a pris part en qualité d’observateur, Mougeot n’a pas démontré qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle y participait dans une optique différente de la leur (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 188 supra, point 81). Il ne ressort d’aucune pièce produite que Mougeot ait été difficilement acceptée ou marginalisée au sein de l’AEMCP. Au contraire, selon le procès-verbal de la réunion de l’AEMCP du 26 mai 1992, il avait été décidé à la réunion précédente d’inviter Mougeot à rejoindre l’AEMCP. De plus, à cette réunion, le président de l’AEMCP a demandé au représentant de Mougeot de présenter sa société comme un nouvel arrivant et non comme un invité de passage. Les procès‑verbaux des réunions de l’AEMCP des 10 septembre et 25 novembre 1992 font quant à eux état de la présence, parmi les participants, du représentant de Mougeot sans distinguer cette entreprise des autres. Le procès-verbal de la réunion du 25 novembre 1992 souligne que le représentant de Mougeot a informé les participants que sa société devrait être en mesure d’ajouter ses chiffres à ceux de l’association en décembre, chiffres qui couvriront le second semestre de 1992. Même si Mougeot n’a acquis le statut de membre de l’AEMCP qu’à partir de 1993, sa présence aux réunions collusoires de l’AEMCP au même titre que les autres membres dès le mois de mai 1992 et la fourniture d’informations couvrant le second semestre de l’année 1992 démontrent, en l’absence d’éléments contraires, sa participation à l’entente dès le 26 mai 1992.

319    Ces constatations sur la participation des requérantes concernées à l’entente à l’échelle européenne avant septembre ou octobre 1993 suffisent à leur imputer l’infraction pour cette période.

320    Force est de constater à titre surabondant que des éléments attestant de la participation de plusieurs de ces entreprises à des réunions au niveau national ou régional viennent renforcer le caractère continu de leur participation à l’infraction.

321    Ainsi, la Commission constate la participation de Koehler et de Torraspapel à la réunion du 17 février 1992. Elle se fonde à cette fin sur la note interne de Sappi datée du même jour (document n° 4588), qui fait état d’une réunion des « parties intéressées ». Cette indication, lue en combinaison avec celles, figurant dans cette même note, relatives aux incertitudes suscitées par le comportement de Koehler et de Sarrió sur le marché espagnol, autorisait la Commission à constater que Koehler et Sarrió ont figuré parmi les « parties intéressées » ayant assisté à cette réunion, destinée à examiner les problèmes liés au non‑respect par ces deux entreprises de l’accord susvisé, auquel, en tant que distributeur ou fournisseur de papier autocopiant sur le marché espagnol, elles étaient parties, ainsi qu’il ressort de la note du 9 mars 1992 (documents nos 4703 et 4704, évoqués au point 171 ci-dessus).

322    Torraspapel ne réfutant pas l’indication, contenue au considérant 363 de la décision, selon laquelle Sarrió était et est toujours sa filiale à 100 %, ni l’affirmation de la Commission, figurant dans ce même considérant, selon laquelle elle n’a pas contesté, au cours de la procédure administrative, sa responsabilité concernant le comportement de Sarrió, la Commission était fondée à lui imputer la responsabilité de la participation de Sarrió à la réunion collusoire du 17 février 1992.

323    S’agissant de la réunion du 5 mars 1992, il ressort des notes en bas de page nos 7 et 10 à l’annexe II de la décision que, pour constater la participation de Koehler et de Torraspapel à cette réunion, la Commission se fonde sur la note interne de Sappi du 9 mars 1992, visée au considérant 156 de la décision (documents nos 4703 et 4704, évoqués au point 171 ci-dessus). Toutefois, si cette note permet, certes, de soutenir que ces deux entreprises ont été parties à un accord portant sur une hausse de prix de 10 ESP par kilo au début du mois de février 1992 sur le marché espagnol, elle ne comporte, en revanche, aucune indication qui fasse apparaître que celles-ci ont pris part à une réunion collusoire le 5 mars 1992.

324    Cependant, il ressort de la réponse d’AWA du 30 avril 1999 à une demande de renseignements de la Commission (document n° 7828, évoqué au point 163 ci-dessus) que des représentants de Sarrió (Torraspapel), Koehler et Stora (MHTP) étaient présents aux réunions « déplacées », dont faisait partie cette réunion du 5 mars 1992 ainsi que l’a confirmé AWA dans sa réponse à la CG (considérant 170 de la décision).

325    La Commission constate par ailleurs que les cinq requérantes concernées ont assisté aux deux réunions relatives au marché français.

326    Les déclarations de Sappi visées aux points 276 à 279 et 285 à 293 ci-dessus, conjuguées à l’affirmation d’AWA, contenue dans le document n° 7828, selon laquelle des représentants de cette entreprise ont participé, entre 1992 et 1995, à des réunions « déplacées », notamment à Paris, impliquant des représentants de Sarrió, autorisent à conclure que la Commission a, à bon droit, constaté la participation de Sarrió (Torraspapel) aux deux réunions concernées. Le doute exprimé par l’employé de Sappi (document n° 15027, joint en annexe 1 à la CG) quant à la question de savoir si le représentant de Sarrió ayant assisté à ces réunions était ou non le responsable des ventes de cette entreprise en France n’est pas de nature à occulter le fait que, contrairement au ton prudent adopté par celui-ci en ce qui concerne la présence d’un représentant de Koehler auxdites réunions, il n’exprime pas de réserve quant à la représentation de Sarrió à celles‑ci.

327    S’agissant de Stora (MHTP), l’indication, contenue dans la déclaration visée au point 287 ci-dessus, selon laquelle Feldmühle était représentée à la réunion du printemps 1992, conjuguée à l’affirmation d’AWA, figurant dans le document n° 7828, concernant la participation de représentants de cette entreprise à des réunions « déplacées », notamment à Paris, entre 1992 et 1995 aux côtés de représentants de Stora-Feldmühle, appuie la thèse de la Commission selon laquelle Stora-Feldmühle a assisté à la réunion du printemps 1992 et, donc, l’imputation à MHTP de la responsabilité de cette participation.

328    Dans ses écritures, MHTP souligne que l’employé de Sappi dont provient l’indication visée au point précédent affirme également que Stora-Feldmühle n’a pas assisté à la réunion du printemps 1993 à Paris alors que la Commission prétend disposer d’éléments attestant de la participation de cette entreprise à ladite réunion. Elle soutient que, dans ces conditions, il n’est pas exclu que l’employé de Sappi se soit trompé dans l’identification de la réunion française à laquelle Stora-Feldmühle a assisté. Toutefois, le ton ferme de l’affirmation de l’employé de Sappi relative à la présence de Stora-Feldmühle à la première des deux réunions françaises décrites dans son témoignage ôte toute vraisemblance à l’hypothèse suggérée par MHTP.

329    Quant à la réunion du printemps 1993, MHTP ne conteste pas sa participation à l’infraction à partir de janvier 1993 et ne formule aucune critique à l’égard des constatations de la Commission concernant la réunion du printemps 1993 à Paris et sa participation à cette réunion. Il n’y a pas lieu, dans ces conditions, de vérifier le bien-fondé de la constatation de la Commission relative à la participation de Stora‑Feldmühle à la réunion du printemps 1993 à Paris.

330    S’agissant de Mougeot et de Copigraph (filiale de Bolloré), l’employé de Sappi ne fait aucune allusion à leur présence à ces deux réunions. Toutefois, l’affirmation générale, figurant dans la déclaration d’AWA contenue dans le document n° 7828, relative à l’organisation, durant la période comprise entre 1992 et 1995, de réunions « déplacées » à Paris, à Zurich et à Genève entre des représentants d’AWA, de Sarrió, de Mougeot, de Stora-Feldmühle, de Copigraph, de Koehler et de Zanders, constitue un indice de la participation de Mougeot et de Copigraph aux réunions du printemps 1992 et du printemps 1993 en France.

331    Certes, cet indice ne saurait, à lui seul, établir leur participation à ces deux réunions. Cependant, Mougeot et Copigraph étant deux des principaux acteurs sur le marché français du papier autocopiant, la référence à ces deux entreprises dans l’affirmation générale d’AWA portant sur la tenue de réunions entre concurrents, entre 1992 et 1995, notamment à Paris, signifie nécessairement qu’elles ont été perçues, au moins par le leader du marché européen, comme étant parties aux agissements illicites sur le marché français durant toute cette période, indépendamment de leur présence ou de leur absence aux deux réunions susvisées. Cet indice de participation à l’entente sur le marché français à cette époque est renforcé par les déclarations de Mougeot selon lesquelles elle « recevai[t] des uns ou des autres, le plus souvent d’AWA, des coups de téléphone annonçant les modalités des hausses de prix par marché » et cela essentiellement « jusqu’à mi-1995 » (document n° 11598, considérant 95 de la décision et point 41 de la CG).

332    Quant à la réunion du 16 juillet 1992, M. B. G. a affirmé (voir document n° 4484, évoqué au point 180 ci-dessus) qu’étaient présents à cette réunion Sarrió (Torraspapel), AWA (MM. F. et B.) et Koehler (M. F.). Cette indication, que corrobore l’affirmation générale d’AWA, contenue dans le document n° 7828, relative à sa participation, entre 1992 et 1994, à des réunions « déplacées » à Barcelone aux côtés de représentants, notamment, de Sarrió (Torraspapel) et de Koehler, établit la participation de ces deux entreprises à la réunion collusoire du 16 juillet 1992 concernant les marchés espagnol et portugais.

333    En ce qui concerne Stora (MHTP), pour établir la participation de cette entreprise à la réunion du 16 juillet 1992, la Commission se fonde sur les déclarations d’AWA (document n° 7828), selon lesquelles cette dernière a participé, entre 1992 et 1994, à plusieurs réunions à Lisbonne et à Barcelone aux côtés de représentants des entreprises Sarrió, Unipapel, Koehler, Ekman et Stora-Feldmühle ou de certaines de ces entreprises.

334    Il convient d’observer que M. B. G., dans ses déclarations détaillées concernant la réunion du 16 juillet 1992, ne mentionne pas Stora parmi les participants à celle-ci. Dans ce contexte, l’affirmation générale d’AWA pourrait paraître insuffisante pour établir la participation de Stora (MHTP) à la réunion du 16 juillet 1992.

335    Toutefois, il y a lieu de relever que, ainsi que la Commission le fait observer dans ses écritures dans l’affaire T‑122/02, il ressort des déclarations de M. B. G. que la tenue de la réunion du 16 juillet 1992 a visiblement été justifiée par le fait que Sarrió et Stora-Feldmühle pratiquaient au Portugal des prix très bas, inférieurs au coût du papier. Ainsi que le souligne avec pertinence la Commission, cette allusion à la politique de prix très bas pratiquée, notamment par Stora-Feldmühle, peut être interprétée comme signifiant que cette entreprise ne se tenait pas à la discipline qu’elle était censée respecter, en termes de prix, en vertu d’un accord de marché. En d’autres termes, une telle indication, conjuguée à l’affirmation d’AWA contenue dans le document n° 7828, peut être regardée comme établissant que, nonobstant le fait qu’elle n’a pas assisté à la réunion du 16 juillet 1992, Stora‑Feldmühle était à cette époque partie à un accord de prix sur les marchés ibériques.

336    La Commission constate la participation de Stora (MHTP) et de Koehler à la réunion du 14 janvier 1993. MHTP ne conteste pas sa participation à l’infraction à partir du début du mois de janvier 1993. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’interroger sur le bien-fondé de la constatation de la Commission relative à la participation de cette entreprise à la réunion du 14 janvier 1993.

337    S’agissant de la participation de Koehler à cette réunion, il ressort de l’extrait de la déclaration de Sappi figurant dans le document n° 15026 que, d’après le premier employé dont le témoignage fait l’objet de cette déclaration, « [M. D.] (Koehler) » a été présent à tout ou partie des réunions qui se sont tenues au Royaume-Uni à l’aéroport d’Heathrow ou dans un hôtel londonien. Le second employé dont le témoignage fait également l’objet de la déclaration susvisée a, quant à lui, indiqué qu’il pensait que « [M. D.] (Koehler) » avait assisté à la réunion du 14 janvier 1993. Dans les documents nos 15176 et 15178, qui correspondent à une autre déclaration de Sappi, figure également l’indication susvisée, ainsi que celle selon laquelle, « en plus des noms de concurrents fournis à la Commission en décembre 1996, [l’employé concerné] a pu identifier parmi les participants […] [M. K.], de Koehler ». Enfin, AWA a déclaré (document n° 7828) que, entre 1992 et 1994, ses représentants au Royaume-Uni ont participé à des réunions « déplacées » impliquant, notamment, des représentants de Koehler.

338    Au vu de ce faisceau d’indications, la Commission était fondée à constater que Koehler a été représentée à la réunion du 14 janvier 1993.

339    S’agissant de la participation de Copigraph, de Koehler, de Stora‑Feldmühle et de Torraspapel à la réunion du 30 septembre 1993, il ressort des notes en bas de page nos 40, 42, 44 et 45 de l’annexe II de la décision que la Commission appuie ses constatations sur les documents nos 5 et 7828. La mention, figurant dans les « notes au dossier » (notes for file) de Sappi sur cette réunion, relative à des ventes « déclarées », ainsi que l’indication, découlant de ces mêmes notes, se rapportant à l’attribution de quotas de vente bien précis pour le quatrième trimestre de l’année 1993 (voir point 172 ci-dessus), constituent des indices forts de la présence à la réunion concernée des différentes entreprises citées au point 1 de ces notes, à savoir Copigraph, Stora-Feldmühle, Koehler et Sarrió.

340    De plus, s’agissant de Sarrió, de Koehler et de Stora-Feldmühle, ces indices forts sont corroborés par l’affirmation générale, contenue dans la déclaration d’AWA figurant dans le document n° 7828, selon laquelle des responsables d’AWA en Espagne ont assisté, entre 1992 et 1994, à plusieurs réunions « déplacées », notamment à Barcelone, auxquelles AWA pense que des représentants de Sarrió, de Koehler et de son agent Ekman, et de Stora-Feldmühle étaient également présents.

341    S’agissant de Koehler, il y a encore lieu de relever que, aux termes de la note en bas de page n° 186 de la décision, la Commission dispose d’une note de frais, d’un billet d’avion et d’une note d’hôtel de M. F. (Koehler), qui démontrent que cette personne se trouvait à Barcelone le 30 septembre 1993. À la demande du Tribunal, la Commission a produit ces documents dans l’affaire T‑125/02.

342    Par ailleurs, même à supposer que certaines des requérantes concernées n’aient effectivement pas assisté à la réunion du 30 septembre 1993, les indications selon lesquelles des quotas de vente leur ont été attribués pour le dernier trimestre de l’année 1993 à la lumière de leurs ventes déclarées pour 1992 et 1993 prouvent que, à cette date, elles faisaient partie de l’entente relative au marché espagnol dans le cadre de laquelle se sont inscrits les comportements anticoncurrentiels attestés par les « notes au dossier » de Sappi.

343    Enfin, ainsi que le fait observer à juste titre Koehler dans ses écritures, il ressort de l’annexe II de la décision que, pour retenir la participation de cette entreprise à la réunion susvisée, la Commission se fonde sur la constatation de la présence d’Ekman à cette réunion. Cette constatation de la Commission paraît reposer sur la lecture de l’extrait de la déclaration d’AWA contenu dans le document n° 7828, selon lequel figurait parmi les participants aux réunions espagnoles auxquelles AWA a assisté entre 1992 et 1994, « Ekman (agent de Koehler) ».

344    Dans ses écritures, Koehler soutient qu’Ekman était un distributeur indépendant, de sorte qu’il n’est pas permis de considérer qu’Ekman et elle forment une entité économique et, partant, de lui imputer le comportement d’Ekman. Cependant, il ressort de la déclaration d’AWA visée au point précédent qu’Ekman a été perçu par les autres participants comme assistant à la réunion en tant qu’agent de Koehler, et non comme distributeur indépendant. Ensuite, les « notes au dossier » de Sappi relatives à la réunion du 30 septembre 1993 (document n° 5, évoqué au point 172 ci-dessus) font état de « ventes déclarées » de « Koehler ». Cela démontre qu’Ekman a été accompagné à cette réunion par un employé de Koehler ainsi que semble l’indiquer la déclaration d’AWA susvisée, conjuguée aux pièces documentaires attestant de la présence de M. F. (Koehler) à Barcelone le 30 septembre 1993, ou qu’Ekman a assisté à la réunion en tant que représentant de Koehler agissant selon les instructions de celle-ci, ainsi que l’atteste la perception qu’a eue AWA de la qualité en laquelle Ekman a pris part à cette réunion. Dans tous les cas, la Commission était fondée à constater la participation de Koehler à la réunion du 30 septembre 1993.

345    En conclusion, la Commission a établi à suffisance de droit la participation de Bolloré (par l’intermédiaire de Copigraph), de Koehler, de Mougeot et de Torraspapel à l’infraction avant septembre ou octobre 1993 ainsi que celle de MHTP avant janvier 1993.

b)     Sur la participation de Mougeot à l’infraction après le 1er juillet 1995

346    Dans le cadre d’un moyen pris d’une erreur manifeste d’appréciation, Mougeot soutient qu’il n’est pas établi qu’elle ait participé à l’entente après le 1er juillet 1995. Elle nie sa participation à la réunion officieuse de l’AEMCP du 2 février 1995, mentionnée au considérant 273 de la décision. Elle fait également valoir que les éléments invoqués par la Commission ne prouvent pas son adhésion à l’accord de hausse de prix prétendument conclu à cette réunion. Elle ajoute que l’allégation de la Commission, figurant au considérant 273 de la décision, concernant son adhésion à des hausses de prix sur le marché italien en septembre 1995 n’est étayée par aucun élément mentionné dans la décision.

347    La Commission constate que Mougeot a participé à l’infraction jusqu’en septembre 1995. Il ressort des considérants 126, 237, 250, 251 et 273 de la décision que cette constatation repose, d’une part, sur l’examen, lors de la réunion générale du cartel du 2 février 1995, des besoins en volume de Mougeot et, d’autre part, sur son adhésion aux accords conclus lors de cette réunion.

348    Force est de constater, en premier lieu, quant à la tenue et à l’objet collusoire de cette réunion, que la Commission a produit le procès‑verbal de celle-ci (document n° 7, joint à la CG et points 144 à 146 de celle-ci). Il en résulte que le 2 février 1995 s’est tenue à Francfort une réunion générale du cartel, au cours de laquelle a été convenue une série de hausses de prix pour différents marchés de l’EEE (France, Allemagne, Autriche, Espagne, Portugal, Royaume-Uni, Italie, Finlande, Danemark, Norvège, Suède, Grèce, Belgique, Pays-Bas et Islande) en ce qui concerne les bobines et les feuilles, ainsi que les dates de prise d’effet de ces différentes hausses de prix. Ces dates étaient comprises entre le 1er février 1995 (hausses de 10 % du prix des bobines et de 5 % du prix des feuilles sur le marché espagnol) et le 1er septembre 1995 (hausses de 8 % du prix des bobines et de 5 % du prix des feuilles sur le marché du Royaume‑Uni ; hausse de 10 % du prix des bobines et des feuilles sur le marché italien).

349    Il s’avère, en second lieu, s’agissant de la participation de Mougeot à cette réunion, que la liste des participants à cette réunion, telle qu’elle figure dans ce procès-verbal et est reproduite en partie au considérant 124 de la décision, inclut M. P. B. (Mougeot). Cette personne est également citée comme participante à ladite réunion par Sappi dans ses déclarations du 18 mai 1999 (document n° 15200 dans sa version non confidentielle, évoqué au point 162 ci-dessus).

350    Toutefois, Mougeot a produit la carte d’embarquement de M. P. B. à 15 h 30 qui atteste, selon elle, que son représentant a quitté Francfort immédiatement après la réunion officielle de l’AEMCP qui s’y est tenue le même jour.

351    Il convient d’observer à cet égard qu’il résulte du considérant 123 de la décision que, comme le fait remarquer la Commission, cela n’exclut pas que le représentant de Mougeot ait participé au début de la réunion qui se tenait à 14 heures à l’aéroport.

352    Cependant, quand bien même Mougeot n’aurait pas été présente à cette réunion générale du cartel du 2 février 1995, de nombreux éléments établissent, pris dans leur ensemble, qu’elle a été associée aux décisions adoptées et y a adhéré.

353    Premièrement, même si la mention du représentant de Mougeot sur la liste des participants à cette réunion devait être considérée comme une erreur, elle n’en attesterait pas moins que Mougeot a été perçue comme y ayant assisté ou faisant partie du groupe restreint participant au cartel.

354    Deuxièmement, il s’avère que les besoins en volume de Mougeot ont été discutés lors de cette réunion, ainsi que l’établit son procès-verbal. Aux termes de ce dernier, en effet, « Mougeot a besoin d’une part de marché » et « AWA proposera de lui accorder un certain tonnage ». L’examen, en réunion générale, des besoins de Mougeot et la solution proposée portent à croire que Mougeot participait encore à l’entente. Ils n’accréditent pas la thèse d’une discussion uniquement bilatérale entre Mougeot et AWA.

355    Troisièmement, comme le Tribunal l’a déjà relevé au point 331 ci‑dessus, Mougeot a elle-même déclaré (document n° 11598) qu’elle « recevai[t] des uns et des autres, le plus souvent d’AWA, des coups de téléphone annonçant les modalités de hausses de prix par marché [...] jusqu’à mi-1995 ». Cela était donc le cas en février 1995.

356    Quatrièmement, dans une télécopie datée du 2 février 1995 (document n° 1378, considérant 237 de la décision) et envoyée le lendemain à un distributeur britannique, J & H Paper, Mougeot indique que « [c]omme il va y avoir une hausse de 8 % sur le marché [du Royaume-Uni] le 6 mars, nous vous proposons notre meilleure offre ». Cette indication, lue en corrélation avec celle, figurant dans le procès-verbal de la réunion du 2 février 1995, relative à un accord de hausse de 8 % du prix des bobines sur le marché du Royaume‑Uni à compter du 1er mars 1995, amène à considérer que cette entreprise a nécessairement été informée le jour même de cette réunion de l’adoption, au cours de celle-ci, d’un accord de hausse de 8 % du prix des bobines sur le marché du Royaume‑Uni à compter de début mars 1995, et a immédiatement répercuté cette hausse sur les prix proposés au distributeur destinataire de la télécopie susvisée.

357    Ainsi que le soutient à juste titre la Commission dans ses écritures, il convient de rejeter l’argument de Mougeot selon lequel cette télécopie ne traduit pas l’application d’un accord de hausse de prix, mais une décision unilatérale adoptée par Mougeot antérieurement à la réunion du 2 février 1995.

358    Certes, ladite télécopie commence par indiquer que : « [a]insi que je vous l’ai dit la semaine passée, nous devons augmenter nos prix en raison d’une hausse [du prix] de la pâte en janvier ». Toutefois, ainsi que la Commission le relève à bon droit, il ressort de cet extrait de la télécopie que l’annonce faite par Mougeot à J & H Paper au cours de la semaine ayant précédé l’envoi de cette télécopie a uniquement porté sur la nécessité d’une hausse de prix. Le fait que Mougeot a communiqué le montant exact de cette hausse (8 %) uniquement le 3 février 1995 incite à penser que Mougeot a, dans un premier temps, entendu avertir J & H Paper de l’imminence d’une hausse de prix du papier et, dans un second temps, lui a indiqué ledit montant sur la base des informations reçues au sujet de la hausse de prix convenue, lors de la réunion générale du cartel du 2 février 1995, pour le marché du Royaume‑Uni à compter du 1er mars 1995. De plus, la télécopie en cause fait état d’une hausse de 8 % des prix appliquée à partir du 6 mars 1995 sur le « marché britannique », et non par la seule entreprise Mougeot, ce qui confirme l’origine collusoire de cette décision de hausse de prix.

359    Sixièmement, enfin, force est de constater que Mougeot ne s’est nullement distanciée de l’entente et donc des décisions prises au cours de cette réunion générale du cartel du 2 février 1995. Au contraire, Mougeot ne nie pas avoir participé à l’entente jusqu’en juillet 1995. Elle admet sa présence à une réunion au printemps 1995 ayant eu pour objet de fixer les prix de juillet.

360    Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la Commission a considéré à bon droit que Mougeot avait adhéré aux accords conclus à la réunion générale du 2 février 1995, y compris à la décision d’augmenter les prix au Royaume-Uni et en Italie. Il convient d’ajouter que le fait que Mougeot ait ou non appliqué ces hausses de prix ne saurait avoir d’incidence sur l’imputabilité de l’infraction. La circonstance qu’une entreprise ne donne pas suite aux résultats d’une réunion ayant un objet anticoncurrentiel n’est en effet pas de nature à écarter sa responsabilité du fait de sa participation à une entente, à moins qu’elle ne se soit distanciée publiquement de son contenu (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, point 50, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 188 supra, point 85).

361    Dès lors, en application de la jurisprudence constante évoquée au point 186 ci-dessus, selon laquelle l’article 81 CE est également applicable aux accords qui poursuivent leurs effets au-delà de leur cessation formelle, la Commission a correctement établi que Mougeot a participé à l’entente jusqu’en septembre 1995, date de la dernière hausse de prix prévue à la réunion du 2 février 1995.

362    Il convient par conséquent de rejeter le moyen de Mougeot tiré de sa non‑participation à l’entente après le 1er juillet 1995.

2.     Sur le moyen soulevé par Divipa

363    Dans le cadre de moyens pris d’une application erronée de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE, ainsi que d’une erreur d’appréciation, Divipa soutient que la Commission lui a, à tort, imposé une amende sur la base de la période comprise entre mars 1992 et janvier 1995. Elle allègue qu’elle n’a pris part à aucune des réunions auxquelles la Commission lui reproche d’avoir participé entre mars 1992 et octobre 1994. Elle ajoute que les prix qu’elle a appliqués en janvier 1995 ne coïncident pas avec ceux qui auraient été convenus lors de la réunion du 19 octobre 1994, de sorte qu’il n’est pas permis de considérer qu’elle ait adhéré à l’entente au-delà de cette réunion.

364    À cet égard, il résulte du point 185 ci-dessus que les constatations de la Commission relatives à une prétendue réunion collusoire du 23 septembre 1994 relative au marché espagnol, pas plus, dès lors, que la participation de Divipa à celle-ci, ne sont établies. En revanche, à l’issue de l’examen effectué aux points 170 à 195 ci-dessus, il y a lieu de considérer comme établies les constatations de la Commission relatives à la participation de Divipa aux réunions collusoires qui se sont tenues à propos du marché espagnol les 30 septembre et 19 octobre 1993, ainsi que les 3 mai, 29 juin et 19 octobre 1994.

365    Quand bien même la participation de Divipa à la réunion collusoire du 5 mars 1992 ne serait pas directement établie, il résulte d’un faisceau d’indices concordants (voir notamment points 170 à 195 et 205 à 215 ci-dessus) que Divipa était membre de l’entente depuis mars 1992, de sorte que la Commission était fondée à retenir la participation de Divipa à l’infraction à partir de cette date.

366    S’agissant de la fin de la période de participation de Divipa à l’infraction, il ressort des points 162 et 177 ci-dessus que la Commission a correctement établi que Divipa a participé, le 19 octobre 1994, à une réunion concernant le marché espagnol au cours de laquelle ont été fixés les prix à appliquer le 3 janvier 1995. Dans ces conditions, même en accordant à Divipa le bénéfice de ses allégations selon lesquelles les prix qu’elle a appliqués en janvier 1995 n’ont pas coïncidé avec ceux qui avaient été convenus à la réunion susvisée, de telles allégations sont tout au plus de nature à démontrer que, en janvier 1995, Divipa ne s’est pas conformée à l’accord conclu le 19 octobre 1994, ce qui, conjugué à l’absence de preuve concernant la participation de Divipa à un accord collusoire après le mois de janvier 1995, amène à considérer que la participation de Divipa à l’infraction a, ainsi que la Commission le constate dans la décision, cessé en janvier 1995. En revanche, elles n’écartent pas la constatation selon laquelle Divipa a, lors de la réunion du 19 octobre 1994, participé à un accord de fixation des prix et convenu avec les autres participants d’appliquer celui-ci le 3 janvier 1995, ce qui traduit son adhésion à l’entente jusqu’à cette date. La Commission était donc en droit de constater que Divipa a participé à l’infraction jusqu’en janvier 1995.

367    Il convient de considérer que la participation de Divipa à des réunions collusoires concernant le marché espagnol traduit son adhésion à l’entente européenne générale (voir points 205 à 215 ci-dessus) et, donc, sa participation à l’infraction constatée à l’article 1er, premier alinéa, de la décision.

3.     Sur le moyen soulevé par Zicuñaga

368    Dans le cadre d’un moyen pris d’erreurs d’appréciation, Zicuñaga soutient que les allégations de la Commission concernent uniquement sa prétendue participation à des réunions organisées entre octobre 1993 et octobre 1994. Elle ajoute qu’aucun élément n’établit sa participation à la réunion d’octobre 1993, de sorte que sa participation à l’infraction a duré, tout au plus, cinq mois.

369    À cet égard, il ressort des constatations du Tribunal aux points 161 à 201 ci-dessus que la Commission a correctement établi que Zicuñaga a participé aux réunions collusoires relatives au marché espagnol qui se sont tenues les 19 octobre 1993, 3 mai, 29 juin et 19 octobre 1994. Il convient de considérer que la participation de Zicuñaga à ces différentes réunions traduit sa participation à l’infraction constatée à l’article 1er, premier alinéa, de la décision.

370    S’agissant de la réunion du 19 octobre 1994, il a été relevé au point 193 ci-dessus que Zicuñaga a, lors de celle-ci, participé à un accord de fixation des prix et convenu avec les autres participants d’appliquer cet accord le 3 janvier 1995, ce qui traduit son adhésion à l’entente jusqu’à cette date, conformément à la jurisprudence citée au point 188 ci-dessus.

371    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission était fondée à constater, à l’article 1er, second alinéa, de la décision, que Zicuñaga a participé à l’infraction pour la période comprise entre octobre 1993 et janvier 1995. Le moyen examiné doit, en conséquence, être rejeté.

II –   Sur les moyens tendant à la suppression ou à la réduction des amendes fixées à l’article 3, premier alinéa, de la décision

372    Toutes les requérantes présentent des conclusions tendant à la réduction de l’amende infligée. AWA conclut, pour sa part, à titre principal, à l’annulation de l’amende à laquelle elle a été condamnée. Leur argumentation se décompose, en substance, en huit moyens ou séries de moyens. 

A –  Sur le moyen tiré d’une violation des droits de la défense et du principe de protection de la confiance légitime en raison du caractère incomplet et imprécis de la CG à propos des amendes

1.     Arguments des parties

373    Ce moyen se divise en trois branches. En premier lieu, AWA soutient que la Commission a fixé l’amende qui lui a été infligée sur la base d’une série d’éléments qui n’ont pas été annoncés dans la CG et sur lesquels elle n’a, dès lors, pas eu l’occasion de s’exprimer au cours de la procédure administrative. En deuxième lieu, elle reproche à la Commission de lui avoir infligé une amende supérieure aux amendes imposées dans sa pratique décisionnelle antérieure. En troisième lieu, elle soutient que la Commission a fixé l’amende en méconnaissance des lignes directrices, et sans annoncer dans la CG son intention de s’en écarter.

374    La Commission estime que la CG a permis à AWA de connaître les éléments jugés pertinents pour la détermination de l’amende qui lui a été infligée. Elle affirme, par ailleurs, s’être pleinement conformée aux lignes directrices. Enfin, le fait que la Commission ait appliqué dans le passé des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites prévues par le règlement n° 17.

2.     Appréciation du Tribunal

375    Il convient d’aborder ce moyen en examinant d’abord les deuxième et troisième branches, dans lesquelles AWA soutient que la Commission a, en s’écartant de sa pratique antérieure et des lignes directrices, porté atteinte à son droit d’être entendue ainsi qu’à sa confiance légitime.

a)     Sur la violation du droit d’être entendu et le non-respect de la confiance légitime dans la mesure où la Commission se serait écartée de sa pratique antérieure

376    S’agissant de la pratique décisionnelle antérieure, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 86 supra, point 109 ; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, point 196 supra, point 309, et du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T‑304/94, Rec. p. II‑869, point 89). L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige, en effet, que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 86 supra, point 109, et LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 237).

377    De plus, selon une jurisprudence constante, les opérateurs économiques ne sont pas fondés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions communautaires (arrêts de la Cour du 15 juillet 1982, Edeka, 245/81, Rec. p. 2745, point 27, et du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C‑350/88, Rec. p. I‑395, point 33). Par conséquent, les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne peuvent acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement (arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, point 146, et LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 243).

378    En conséquence, AWA ne saurait tirer argument du fait que la Commission aurait dépassé le niveau d’amende appliqué dans sa pratique antérieure. D’ailleurs, AWA semble admettre, dans sa réplique, que la pratique antérieure de la Commission ne pouvait pas créer chez elle des attentes légitimes.

b)     Sur la violation du droit d’être entendu et du principe de protection de la confiance légitime dans la mesure où la Commission se serait écartée des lignes directrices

379    AWA soutient que la Commission s’est écartée des lignes directrices sans annoncer son intention de le faire, en portant ainsi atteinte à la confiance légitime qu’elle avait placée dans ces dispositions. La Commission se serait écartée des lignes directrices, tout d’abord, en ignorant le fait que l’infraction en cause n’a eu aucun effet ou, tout au plus, a eu un effet limité. Ensuite, son appréciation de la gravité de l’infraction l’aurait conduite à fixer le montant de départ de l’amende à 70 millions d’euros, c’est‑à-dire un montant 3,5 fois supérieur au point de départ mentionné dans les lignes directrices pour les « infractions très graves », à savoir 20 millions d’euros. Enfin, AWA affirme que la Commission aurait dû annoncer son intention d’infliger une amende dont le montant, avant la réduction opérée en application de la communication sur la coopération, était 2,5 fois supérieur à l’amende maximale jamais infligée par la Commission à une seule entreprise.

380    Il convient de rappeler que les lignes directrices ont été publiées en janvier 1998, soit postérieurement à l’infraction, mais avant l’envoi de la CG, le 26 juillet 2000.

381    Selon AWA, la Commission aurait été libre de s’écarter des lignes directrices et d’infliger des amendes plus élevées si elle avait modifié les lignes directrices ou, à tout le moins, si elle avait annoncé une telle intention dans la CG, ce qu’elle n’aurait pas fait.

382    Toutefois, force est de constater qu’AWA n’a pas démontré en quoi la Commission, lors de la fixation de l’amende, se serait écartée des lignes directrices. En effet, AWA, en développant son moyen, fait une lecture erronée tant des lignes directrices que de la décision.

383    Premièrement, en ce qui concerne l’impact de l’infraction, la Commission a expliqué, aux considérants 382 à 409 de la décision, la manière dont elle a tenu compte, dans l’appréciation de la gravité de l’infraction, de l’impact concret de l’infraction sur le marché ainsi que de l’effet réel du comportement illicite de chaque participant sur la concurrence. La Commission a évoqué la thèse de l’incidence réelle très limitée de l’entente sur le marché, qui a été développée par certaines entreprises, dont AWA, au cours de la procédure administrative. Ensuite, la Commission a expliqué pourquoi il fallait rejeter une telle thèse. Dans sa décision, la Commission a donc estimé que l’infraction avait effectivement eu un impact et a fixé l’amende corrélative sur cette base. AWA ne peut donc soutenir que la Commission n’a pas tenu compte de l’impact de l’infraction. Cette prise en compte implique qu’il ne peut pas non plus être reproché à la Commission de ne pas avoir annoncé son intention de ne pas tenir compte de l’impact inexistant ou limité de l’infraction.

384    À supposer qu’AWA conteste, en réalité, l’appréciation portée par la Commission sur l’impact de l’infraction sur le marché, sa critique se confond en cela avec celle sous-tendant son moyen concernant la gravité de l’infraction et sera examinée dans ce cadre.

385    De plus, force est de constater que la Commission avait annoncé son intention de tenir compte de l’impact de l’infraction. En effet, elle avait indiqué, dans la CG, qu’elle prendrait en considération, dans son appréciation de la gravité de l’infraction, son « incidence effective sur le marché » (point 262).

386    Deuxièmement, dans la mesure où AWA affirme que la Commission a dépassé le montant de départ mentionné dans les lignes directrices, il convient de rappeler que celles-ci prévoient, pour les « [i]nfractions très graves », telles que les « restrictions horizontales de type ‘cartels de prix’ et de quotas de répartition des marchés », des « [m]ontants envisageables » pouvant aller « au-delà de 20 millions d’écus ». Au vu de la possibilité laissée par la Commission d’opter pour un montant de départ qui dépasse les 20 millions d’euros, on ne saurait affirmer que la Commission s’est, sur ce point, écartée des lignes directrices.

387    Il y a lieu d’ajouter que la Commission s’est fondée, pour la fixation du montant de départ de 70 millions d’euros retenu pour AWA, sur le poids spécifique de l’entreprise et sur l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence, tels que reflétés par le chiffre d’affaires de la requérante relatif au produit concerné dans l’EEE. Or, il convient de rappeler, à cet égard, que la Commission a annoncé, au point 266 de la CG, qu’elle allait tenir compte de l’importance de chaque entreprise participante sur le marché en cause ainsi que de l’incidence de son comportement répréhensible sur la concurrence.

388    Troisièmement, en ce qui concerne le niveau de l’amende retenu avant la réduction opérée en application de la communication sur la coopération, AWA ne démontre pas en quoi les lignes directrices s’opposeraient à l’imposition d’une amende d’un tel niveau. En outre, il faut rappeler la jurisprudence évoquée au point 377 ci-dessus, selon laquelle AWA n’a pu tirer aucune confiance légitime quant au fait que la Commission ne dépasserait pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement.

389    AWA soulève également un argument plus général, selon lequel la Commission aurait dû annoncer son intention d’appliquer sa « nouvelle politique en matière d’amendes ».

390    Il est difficile de discerner en quoi la méthode de calcul utilisée dans la décision serait nouvelle par rapport à la pratique antérieure, si ce n’est à travers l’application des lignes directrices qui, elles-mêmes, reflètent une méthode de calcul qui constitue un changement par rapport à la pratique antérieure en matière de calcul du montant des amendes. Il convient de souligner que, contrairement aux requérantes dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts dits « Conduites précalorifugées » (notamment arrêt Sigma Tecnologie/Commission, point 209 supra), AWA ne met pas en question les changements que les lignes directrices ont apportés par rapport à la pratique antérieure. Elle semble s’opposer uniquement à l’application, dans son cas, d’une méthode de calcul des amendes qui contredit, à son avis, tant la pratique administrative que les lignes directrices de la Commission.

391    Selon la jurisprudence, la Commission n’était pas obligée, dès lors qu’elle avait indiqué les éléments de fait et de droit sur lesquels elle fonderait son calcul du montant des amendes, de préciser la manière dont elle se servirait de chacun de ces éléments pour la détermination du niveau de l’amende (arrêts de la Cour Musique diffusion française e.a./Commission, point 86 supra, point 21, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 19).

392    Même si la méthode suivie par la Commission dans cette affaire devait être considérée comme innovatrice par rapport à la pratique administrative existante, la Commission n’était donc pas tenue, au cours de la procédure administrative, de communiquer aux entreprises concernées son intention d’appliquer une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes (arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 207).

393    En outre, il y a lieu de rappeler que, compte tenu de la marge d’appréciation de la Commission lors de l’imposition des amendes, la requérante n’a pu acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépasserait pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement (arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 243).

394    Enfin, il convient encore de relever que la référence que fait AWA, dans ce contexte, à l’arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Sarrió/Commission (T‑334/94, Rec. p. II‑1439), en invoquant l’absence d’annonce dans la CG d’une politique de fixation des amendes radicalement nouvelle et plus sévère, est dénuée de toute pertinence, étant donné que cet arrêt ne traite pas du contenu d’une communication de griefs, mais de la motivation de la décision.

395    En conséquence, aucune violation du droit d’être entendu ou du principe de protection de la confiance légitime ne peut être constatée en ce qui concerne la manière dont la Commission a fait application des lignes directrices.

c)     Sur la violation du droit d’être entendu dans la mesure où la Commission aurait fixé l’amende en se fondant sur des éléments non annoncés dans la CG

396    Il reste encore à traiter l’argumentation selon laquelle la Commission a fixé l’amende infligée à AWA sur la base d’une série d’éléments qui n’ont pas été annoncés dans la CG et sur lesquels AWA n’aurait, dès lors, pas eu l’occasion de s’exprimer au cours de la procédure administrative. AWA reproche à la Commission de ne pas avoir annoncé son intention d’augmenter le montant de départ de l’amende au titre de la dissuasion et de ne pas avoir précisé comment elle prendrait en considération la dissuasion, notamment sur la base de la dimension d’AWA. La Commission n’aurait pas non plus annoncé comment elle tiendrait compte du leadership des entreprises impliquées.

397    Il y a lieu de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci de propos délibéré ou par négligence, elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises à être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 86 supra, point 21, et LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 199).

398    Il s’ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire des observations sur la durée, la gravité et le caractère anticoncurrentiel des faits reprochés. Par ailleurs, les entreprises bénéficient d’une garantie supplémentaire, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, dans la mesure où le Tribunal statue avec une compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l’amende, en vertu de l’article 17 du règlement n° 17 (arrêts Tetra Pak/Commission, point 86 supra, point 235, et LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 200).

399    En l’espèce, il convient d’examiner les deux points sur lesquels la Commission aurait, selon AWA, violé son droit d’être entendue.

400    En ce qui concerne le rôle principal d’AWA dans l’entente, force est de constater que la CG a bien annoncé qu’un tel élément allait être pris en compte. En effet, la Commission a détaillé, au point 198 de la CG, le « rôle d’animateur de l’entente assumé par AWA » tandis qu’elle a indiqué, dans la partie de la CG consacrée à l’amende, que l’amende individuelle à infliger à chacune des entreprises participantes refléterait notamment le rôle joué par chacune dans les ententes collusoires « décrites plus haut ». De plus, il ressort de la décision qu’AWA a, au cours de la procédure administrative, contesté avoir joué un rôle principal dans l’entente, ce qui démontre qu’elle a bien perçu le grief qui lui était fait à ce sujet dans la CG, et qu’elle s’est prononcée sur ce point.

401    S’agissant de l’élément tiré de la dissuasion, la Commission a expressément annoncé, au point 264 de la CG, son intention « de fixer les amendes à un niveau suffisant pour les rendre dissuasives ». Par ailleurs, conformément à la jurisprudence, la Commission a indiqué, aux points 262 à 266 de la CG, les principaux éléments de fait et de droit sur lesquels elle allait fonder le calcul du montant de l’amende à infliger à la requérante, de sorte que, à cet égard, le droit de cette dernière à être entendue a été dûment respecté.

402    Dans un tel contexte, AWA ne saurait raisonnablement soutenir que la Commission aurait dû annoncer, de manière plus détaillée, les facteurs qu’elle allait prendre en considération afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif. En effet, comme la Commission ne pouvait fixer le montant de l’amende qu’après avoir entendu les entreprises et finalisé la procédure administrative, il lui était impossible au cours de la procédure administrative de prévoir les montants des amendes à imposer aux entreprises concernées, voire d’évaluer l’effet dissuasif de ces montants et de s’exprimer sur la nécessité éventuelle d’ajustements afin d’assurer aux amendes un tel effet.

403    À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence selon laquelle la Commission n’était pas obligée, dès lors qu’elle avait indiqué les éléments de fait et de droit sur lesquels elle fonderait son calcul du montant des amendes, de préciser la manière dont elle se servirait de chacun de ces éléments pour la détermination du niveau de l’amende. En effet, donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n’ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 86 supra, point 21, et Michelin/Commission, point 391 supra, point 19).

404    Pour toutes ces raisons, le moyen tiré par AWA d’une violation des droits de la défense et du principe de protection de la confiance légitime doit être rejeté dans son intégralité.

B –  Sur le moyen tiré d’une violation du principe de non‑rétroactivité

1.     Arguments des parties

405    L’affirmation selon laquelle la Commission aurait appliqué, dans le présent cas, une nouvelle politique en matière d’amendes constitue également la base du moyen qu’AWA tire d’une violation du principe de non‑rétroactivité. La violation du principe de non‑rétroactivité résulterait du fait que l’amende qui a été infligée à AWA était beaucoup plus élevée que les amendes qui avaient été imposées au moment de l’infraction. Selon AWA, la Commission ne pouvait appliquer une nouvelle politique en matière d’amendes sans avoir averti les entreprises d’un tel changement dans sa politique.

406    La Commission affirme s’être pleinement conformée aux lignes directrices, de sorte qu’il ne saurait lui être fait grief, dans cette affaire, d’avoir appliqué de manière rétroactive une nouvelle politique en matière d’amendes.

2.     Appréciation du Tribunal

407    Il y a lieu de rappeler que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement ni dans une méthode de calcul de ces dernières. Par conséquent, lesdites entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. Cela vaut non seulement lorsque la Commission procède à un relèvement du niveau du montant des amendes en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, mais également si ce relèvement s’opère par l’application, à des cas d’espèce, de règles de conduite ayant une portée générale telles que les lignes directrices.

408    Il doit en être conclu que les lignes directrices et, en particulier, la nouvelle méthode de calcul des amendes qu’elles comportent, à supposer qu’elle ait eu un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées, étaient raisonnablement prévisibles pour des entreprises telles que les requérantes à l’époque où les infractions concernées ont été commises.

409    Partant, en appliquant les lignes directrices dans la décision litigieuse à des infractions commises avant leur adoption, la Commission n’a pas violé le principe de non‑rétroactivité (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 228 à 232).

410    Dans la mesure où AWA soutient, en réalité, que la Commission a violé le principe de non‑rétroactivité non pas en ce qu’elle aurait fait application des lignes directrices, mais se serait écartée de celles-ci lors de l’imposition de l’amende à la requérante, il convient de renvoyer aux points 379 à 395 dont il résulte qu’il y a lieu de rejeter ce moyen.

411    Enfin, dans la mesure où le moyen tiré d’une violation du principe de non‑rétroactivité doit être entendu comme dénonçant également le fait qu’elle s’est écartée de sa pratique décisionnelle antérieure, il convient de renvoyer à cet égard aux points 376 à 378 ci-dessus dans lesquels le Tribunal a conclu au rejet de ce moyen.

412    Pour toutes ces raisons, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la violation du principe de non‑rétroactivité.

C –  Sur les moyens tirés d’une insuffisance de preuves, de la violation des principes de la présomption d’innocence, de proportionnalité et d’égalité de traitement, ainsi que d’erreurs d’appréciation, en ce qui concerne les constatations de la Commission relatives à la participation de certaines entreprises à l’entente européenne

413    Divipa et Zicuñaga concluent à une réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée en alléguant que la Commission s’est fondée sur leur participation à une entente européenne alors que, en réalité, elles n’ont participé qu’à une entente au niveau national. Ces entreprises réitèrent, à cet égard, l’argumentation qu’elles ont également développée en tant que moyen de fond dans le cadre de leurs conclusions en annulation de la décision. Sous couvert du même moyen, Divipa reproche encore à la Commission de ne pas avoir considéré, lors de la fixation de l’amende qui lui a été infligée, qu’elle n’a pas participé à une entente illicite et n’a pas directement participé aux prises de décision sur les prix.

414    En ce qui concerne la participation à l’entente européenne, il y a lieu de renvoyer aux points 205 à 215 ci-dessus dont il résulte que ni Divipa ni Zicuñaga n’ont pu ignorer que leur participation à l’entente au niveau national s’inscrivait dans le cadre plus large d’une entente européenne. Elles ne sauraient donc prétendre à une réduction de leur amende à ce titre.

415    S’agissant de la participation de Divipa à l’entente, il ressort des points 155 à 204 ci-dessus, que la Commission a suffisamment prouvé, en ce qui concerne le marché espagnol, la participation de Divipa à l’entente pour la période comprise entre mars 1992 et janvier 1995, résultant notamment de sa participation à une série de réunions au cours desquelles les entreprises actives sur le marché espagnol se sont accordées sur des hausses de prix ainsi que, lors de la réunion du 30 septembre 1993, sur une attribution de quotas de vente. Divipa ne saurait donc prétendre à une réduction de l’amende qui lui a été infligée pour non‑participation à une entente illicite.

416    Concernant l’argument de Divipa, selon lequel elle n’aurait pas directement participé aux prises de décision sur les prix, il y a lieu de souligner que Divipa ne démontre pas s’être distanciée publiquement du contenu des réunions auxquelles elle a assisté. L’entreprise a donc donné à penser aux autres participants qu’elle souscrivait à leur résultat et s’y conformerait (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 188 supra, point 82). Dans la mesure où cet argument revient à faire valoir un rôle passif, il sera examiné dans le cadre de l’appréciation des circonstances atténuantes (voir points 596 à 635 ci-après).

417    Quant à Zicuñaga, il reste à déterminer si et, le cas échéant, dans quelle mesure, le caractère non établi de sa participation aux pratiques de partage de marché (voir points 238 à 240 ci-dessus) justifie une réduction de l’amende qui lui a été infligée.

418    À cet égard, il y a lieu de relever que le résumé de l’infraction dans la partie introductive de la décision mentionne « une entente et/ou une pratique concertée […] par laquelle [les producteurs et distributeurs concernés] se sont entendus sur des hausses de prix, ont attribué des quotas de vente et fixé de parts de marché, et ont mis en place un mécanisme leur permettant de surveiller la mise en œuvre des accords restrictifs » (considérant 2 de la décision). Dans la description de la nature de l’infraction, la Commission fait état, au considérant 376 de la décision, d’une infraction qui « a pris la forme d’une fixation des prix et d’une répartition des marchés, qui constituent par leur nature même les violations les plus graves de l’article 81, paragraphe 1, [CE] et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE ».

419    Toutefois, le dispositif de la décision ne décrit l’infraction reprochée à la requérante qu’en termes généraux, comme un « ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur du papier autocopiant » (article 1er, premier alinéa, de la décision).

420    Par ailleurs, il ressort de la décision que l’accord sur les hausses de prix est le « principal objectif » (considérant 77) et la « pierre angulaire » (considérant 383) de l’entente. Dans la description des objectifs de l’entente, aux considérants 77 à 81 de la décision, la Commission évoque « un plan anticoncurrentiel global visant essentiellement à améliorer la rentabilité des participants par des augmentations collectives des prix » et précise que, « [d]ans le cadre de ce plan global, le principal objectif de l’entente consistait à s’entendre sur des hausses de prix et sur le calendrier de leur mise en œuvre ». Selon le considérant 81 de la décision, l’attribution de quotas de vente et de parts de marché, lors de certaines réunions nationales du cartel, vise à « assurer l’application des hausses de prix convenues », à « éviter les dérogations au système commun » et à « interdire toute concurrence sur d’autres aspects commerciaux ».

421    Il convient de relever, à cet égard, que les accords et les pratiques concertées visés à l’article 81, paragraphe 1, CE résultent nécessairement du concours de plusieurs entreprises, qui sont toutes coauteurs de l’infraction, mais dont la participation peut revêtir des formes différentes, en fonction notamment des caractéristiques du marché concerné et de la position de chaque entreprise sur ce marché, des buts poursuivis et des modalités d’exécution choisies ou envisagées.

422    Toutefois, la simple circonstance que chaque entreprise participe à l’infraction dans des formes qui lui sont propres ne suffit pas pour exclure sa responsabilité pour l’ensemble de l’infraction, y compris pour les comportements qui sont matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes, mais qui partagent le même objet ou le même effet anticoncurrentiel.

423    Il y a lieu de rappeler en outre que l’article 81 CE interdit les accords entre entreprises et les décisions d’associations d’entreprises, y compris les comportements qui constituent la mise en œuvre de ces accords ou décisions, ainsi que les pratiques concertées, lorsqu’ils sont susceptibles d’affecter le commerce intracommunautaire et qu’ils ont un objet ou un effet anticoncurrentiel. Il s’ensuit qu’une violation de cet article peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu. Cette interprétation ne saurait être contestée au motif qu’un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes une violation dudit article 81 CE (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 149 supra, points 79 à 81).

424    En l’espèce, le Tribunal considère que, dans les cironstances de l’espèce, les accords et les pratiques concertées constatés s’inscrivaient, en raison de leur objet identique et de leurs étroites synergies, dans un plan global qui s’inscrivait à son tour dans une série d’efforts des entreprises en cause poursuivant un seul but économique, à savoir fausser l’évolution des prix. Ainsi que l’affirme à juste titre la Commission au considérant 253 de la décision, il serait artificiel de subdiviser ce comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes, alors qu’il s’agit au contraire d’une infraction unique qui s’est progressivement concrétisée tant par des accords que par des pratiques concertées. Le caractère unique de l’infraction résulte, en effet, de l’unicité de l’objectif poursuivi par chaque participant à l’accord et non des modalités d’application de cet accord (arrêt Ciment, point 4127).

425    Dans de telles circonstances, une entreprise ayant participé à une telle infraction par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, était également responsable, pour toute la période de sa participation à ladite infraction, des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction. Tel est, en effet, le cas lorsqu’il est établi que l’entreprise en question connaissait les comportements infractionnels des autres participants, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque.

426    Il y a lieu de considérer que la Commission a établi à suffisance de droit la participation de Zicuñaga au système de réunions de l’entente, aux hausses de prix ainsi qu’à certaines mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des hausses de prix pour toute la durée de sa participation à l’infraction (voir points 155 à 243 ci-dessus).

427    La circonstance que Zicuñaga ait ainsi entendu contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble est de nature à entraîner sa responsabilité pour les comportements envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises et relevant des divers éléments constitutifs de l’infraction. En effet, elle avait connaissance de tous ces éléments ou pouvait raisonnablement les prévoir en vertu de sa participation aux réunions périodiques de producteurs et de distributeurs de papier autocopiant pendant plus d’un an.

428    Pour ce qui concerne les mesures destinées à faciliter la mise en œuvre des hausses de prix, il suffit de constater que les différentes formes de comportement mentionnées au considérant 2 de la décision ont toutes un caractère accessoire par rapport aux hausses de prix en ce qu’elles visent à créer des conditions favorables à la réalisation des objectifs de prix fixés par les producteurs et les distributeurs de papier autocopiant. Il y a lieu de considérer que Zicuñaga, ayant participé pendant plus d’un an auxdites initiatives de prix, pouvait raisonnablement prévoir que les entreprises participantes essaieraient de favoriser le succès de ces initiatives par différents mécanismes et était prête à accepter cette éventualité. Dès lors, même s’il n’est pas prouvé que Zicuñaga a matériellement participé à l’adoption ou à la mise en œuvre de toutes ces mesures, elle n’en est pas moins responsable des comportements matériels mis en œuvre, dans ce contexte, par d’autres entreprises dans le cadre de l’infraction unique à laquelle elle a participé et contribué (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 149 supra, points 205 à 207).

429    Toutefois, il convient de rappeler que la Commission n’a pas établi la participation de Zicuñaga aux pratiques de partage de marché (voir ci-dessus points 238 à 240). Or, si le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente n’est pas pertinent pour établir l’existence de l’infraction, un tel élément doit être pris en considération lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination de l’amende (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Aalborg Portland e.a./Commission, point 188 supra, point 292). La Commission n’ayant pas démontré qu’elle n’a pas tenu compte de cet élément de non-participation aux pratiques de partage de marché dans tous les paramètres ayant conduit à la détermination du montant final de l’amende imposée à Zicuñaga, le Tribunal considère, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, qu’il y a lieu de réduire l’amende finale de Zicuñaga de 15 %.

D –  Sur les moyens pris d’une insuffisance de preuves, de la violation de l’article 253 CE, de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement, de l’absence de détermination individuelle des amendes, de constatations factuelles erronées, d’erreurs d’appréciation et d’erreurs de droit, dans l’évaluation de la gravité de l’infraction

430    Plusieurs entreprises contestent l’appréciation de la gravité de l’infraction que la Commission a opérée sur la base des éléments invoqués dans sa décision, à savoir la nature de l’infraction et son impact concret, ainsi que la classification des participants à l’entente en fonction de la gravité de l’infraction et la majoration de l’amende à des fins dissuasives.

1.     Nature de l’infraction

431    La Commission a considéré que l’infraction a pris la forme d’une fixation des prix et d’une répartition des marchés qui constituent par leur nature même les violations les plus graves de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE.

432    AWA conteste la gravité des accords litigieux en affirmant qu’ils se sont essentiellement limités à des discussions sur le calendrier et le montant d’annonces de hausses de prix et n’ont pas porté sur des répartitions de parts de marché ni sur l’attribution de quotas de vente ou alors de façon insignifiante et largement inefficace. Selon elle, certaines déclarations de Sappi confirment que les réunions n’ont pas servi de cadre à des arrangements relatifs aux parts de marché. AWA ajoute que l’entente sur le marché du papier n’était pas pleinement institutionnalisée et ne comportait pas de mécanisme de surveillance effective des accords. L’ensemble de ces éléments rendraient l’infraction moins grave que celles constatées dans d’autres affaires.

433    Torraspapel allègue que la Commission a considéré à tort que l’entente a porté sur des pratiques de fixation des prix et de répartition des marchés et a, par conséquent, erronément qualifié cette entente d’infraction très grave.

434    Il convient de rappeler d’abord que, selon une jurisprudence constante, l’appréciation de la gravité de l’infraction doit être effectuée en tenant compte, notamment, de la nature des restrictions apportées à la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T‑213/95 et T‑18/96, Rec. p. II‑1739, point 246, et la jurisprudence citée).

435    Par ailleurs, « les infractions consistant à fixer des prix et à répartir des marchés […] doivent être considérées comme particulièrement graves dès lors qu’elles comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné » (arrêt Thyssen Stahl/Commission, point 107 supra, point 675).

436    Le Tribunal a précisé la notion d’infraction très grave notamment dans son arrêt du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland Company et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (T‑224/00, Rec. p. II‑2597, ci-après l’« arrêt ADM/Commission », points 117 à 131). Il en résulte que la qualification d’infraction très grave n’est pas subordonnée à l’existence d’un cloisonnement des marchés. Au contraire, les ententes horizontales relatives à des cartels de prix ou à des quotas de répartition des marchés sont présumées porter atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur et une telle qualification peut, en outre, être retenue à l’égard d’autres pratiques de nature à produire un tel effet.

437    Il ne ressort pas de cette jurisprudence ni des lignes directrices que la qualification d’infraction très grave suppose le cumul de plusieurs de ces pratiques. Une entente horizontale sur les prix peut à elle seule constituer une telle infraction si elle compromet le bon fonctionnement du marché. Or, il est établi qu’en l’espèce les entreprises concernées se sont entendues sur les prix avec pour effet de compromettre le bon fonctionnement du marché. Cela suffit à justifier en l’espèce la qualification d’infraction très grave, quand bien même les accords litigieux n’auraient porté que sur des pratiques de fixation de prix.

438    À titre surabondant, il y a lieu de relever qu’AWA ne conteste pas vraiment l’existence d’accords de partage de marché ou d’attribution de quotas, mais avance plutôt que ces activités étaient relativement insignifiantes et qu’elles ont été largement inefficaces.

439    Enfin, quant au caractère prétendument non institutionnalisé de l’entente et à l’absence de mécanisme de contrôle, il convient de relever que la structure mise en place s’est avérée suffisante pour que l’entente fonctionne pendant plusieurs années. Il ressort de plusieurs passages de la décision que les participants aux réunions du cartel échangeaient des données détaillées et individuelles sur leurs prix et leurs volumes de ventes et que l’application des accords était surveillée, notamment par AWA. Ainsi, le compte rendu de la réunion du 1er octobre 1993 établi par Mougeot (document n° 7648, cité au considérant 104 de la décision et joint à la CG) indique que des sanctions étaient appliquées en cas de non‑respect des accords (« [M. B.] a très explicitement indiqué qu’il ne tolérerait pas que cette hausse de prix ne soit pas suivie et qu’il s’occuperait personnellement de tous ceux qui ne joueraient pas le jeu »). Invitée à décrire le mécanisme de contrôle et à expliquer les raisons de l’autorité exercée par M. B. et par AWA, Mougeot a répondu (document n° 11494, cité au considérant 104 de la décision et joint à la CG) :

« Il n’y avait pas à notre connaissance de contrats, documents ou situations juridiques permettant à AWA de revendiquer une quelconque autorité. En revanche, ces derniers avaient une position de leader moral et économique sur le marché […] La présence financière et industrielle d[’]AWA lui permettait de déclarer que pour le cas où ces hausses ne seraient pas répercutées, AWA faisait son affaire de complètement écraser le marché en appliquant une politique de prix qui laisserait le plus grand nombre ‘sur le carreau’. Il fit d’ailleurs une parfaite démonstration de sa capacité en écrasant [Binda] en Italie. »

440    Mougeot se serait également fait reprocher par AWA de ne pas s’être conformée à ses instructions (considérant 143 de la décision). Par ailleurs, le fait que Sappi suivait elle aussi attentivement l’évolution des prix et quotas des membres de l’entente par rapport aux objectifs fixés ressort de la note du 9 mars 1992 et de la note concernant la réunion du 30 septembre 1992, évoquées, respectivement, aux points 171 et 172 ci-dessus.

441    En tout état de cause, il ne résulte ni des lignes directrices ni de la jurisprudence que, pour être qualifiée d’infraction très grave, l’entente doit comporter des structures institutionnelles particulières.

442    Au vu des éléments qui précèdent, c’est à bon droit que la Commission a qualifié l’entente en cause d’infraction très grave de par sa nature.

2.     Impact concret de l’infraction

443    Plusieurs requérantes (AWA, MHTP, Zanders et Torraspapel) soutiennent que l’incidence réelle de l’entente sur le marché du papier autocopiant a été très limitée. La Commission n’aurait pas examiné correctement l’évolution des prix de ce produit et n’aurait tenu compte que des augmentations et non des baisses. Selon les requérantes, les prix effectivement obtenus sur le marché ont été inférieurs aux hausses décidées ou annoncées. Cela démontrerait que ces dernières n’ont pas été mises en œuvre dans la pratique. Par ailleurs, certaines requérantes invoquent l’évolution défavorable des prix du papier autocopiant et la réduction de leurs marges bénéficiaires ou des bénéfices dérisoires. Les prix du papier autocopiant refléteraient essentiellement les variations des coûts et de la demande de pâte à papier.

444    AWA a produit deux rapports d’experts réalisés par la société National Economic Research Associates (ci-après les « rapports Nera »). Le premier, daté de décembre 2000, avait été présenté dans le cadre de la procédure administrative. Le second, daté d’avril 2002, a été rédigé aux fins de la procédure juridictionnelle. Ils visent l’un et l’autre à démontrer que les prix issus des accords infractionnels n’ont pas pu être relevés au-delà de ce qui aurait été observé dans des conditions normales de concurrence. Koehler et Zanders ont présenté au cours de la procédure administrative et produit devant le Tribunal le rapport PricewaterhouseCoopers, qui décrit la situation du marché européen du papier autocopiant de l’été ou de l’automne 1995 à février ou à mars 1997 (voir points 101 à 103 ci-dessus).

445    Dans la décision, aux considérants 382 à 402, la Commission rejette l’argumentation des entreprises concernées en faisant valoir essentiellement que le fait même que les augmentations de prix et leurs dates aient été annoncées à la suite de concertations suffit à établir une incidence sur le marché. Tout en admettant le déclin du marché du papier autocopiant, elle considère que cela n’exclut pas que l’entente ait réussi à contrôler ou à limiter la diminution des prix. Selon la Commission, les exemples de divergences d’opinion n’établissent aucunement un échec total de la mise en œuvre des accords. Certaines augmentations décidées ont été reportées et parfois des hausses moins élevées que prévues ont été appliquées.

446    Il convient d’abord de rappeler que, lors de la détermination de la gravité de l’infraction, il y a lieu de tenir compte, notamment, du contexte réglementaire et économique du comportement incriminé (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 612, et du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 38). À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, pour apprécier l’impact concret d’une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction (voir, en ce sens, arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 619 et 620 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr‑Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 235, et Thyssen Stahl/Commission, point 107 supra, point 645).

447    Quant aux lignes directrices, elles disposent à cet égard que l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Sous l’intitulé « Infractions très graves », elles donnent des exemples de types d’infractions et de leur objet, sans évoquer leur impact concret, sinon par la mention très générale de l’atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur. Elles ne lient pas directement la gravité de l’infraction à son impact. L’impact concret constitue un élément parmi d’autres, dont il y a même lieu de faire abstraction lorsqu’il n’est pas mesurable.

448    Dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction, la Commission s’est néanmoins fondée sur le fait que l’infraction avait eu, selon elle, un impact concret sur le marché du papier autocopiant dans l’EEE (considérants 382 à 402 de la décision), ainsi qu’elle doit désormais le faire, conformément au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, lorsqu’il apparaît que cet impact est mesurable.

449    Or, force est de constater que les indices concrets mis en avant par la Commission indiquent avec une probabilité raisonnable que l’entente a eu un impact non négligeable sur le marché en cause.

450    En premier lieu, il ressort notamment des considérants 203, 204, 213, 214, 215, 225, 227, 235, 236, 237 ainsi que de l’annexe V de la décision que les accords en matière de prix ont souvent été mis en œuvre à travers l’annonce aux clients des hausses de prix décidées lors des réunions. Selon les déclarations de Mougeot du 14 avril 1999 (document n° 7649, joint à la CG), M. B. aurait précisé, au cours de la réunion du 1er octobre 1993, que les « hausses de prix devaient faire l’objet de lettres circulaires envoyées aux clients afin de rendre efficaces ces hausses ». Comme l’indique le considérant 384 de la décision, les hausses convenues ont donc nécessairement servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels.

451    Or, le fait que les entreprises ont effectivement annoncé les augmentations de prix convenues et que les prix ainsi annoncés ont servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels suffit, en soi, pour constater que la collusion sur les prix a eu tant pour objet que pour effet une grave restriction de la concurrence (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T‑308/94, Rec. p. II‑925, point 194). La Commission n’était donc pas tenue d’examiner le détail de l’argumentation des parties visant à établir que les accords en cause n’ont pas eu pour effet d’augmenter les prix au‑delà de ce qui aurait été observé dans des conditions normales de concurrence et d’y répondre point par point. Elle n’avait en particulier pas l’obligation de réfuter l’analyse en ce sens contenue dans le premier rapport Nera produit par AWA, ainsi qu’elle l’explique dans les considérants 390 à 401 de la décision. Contrairement à ce que semble prétendre AWA, aucun défaut de motivation à cet égard ne saurait être reproché à la Commission.

452    Par ailleurs, le fait que les instructions de prix de certaines requérantes n’ont pas toujours rigoureusement correspondu aux objectifs de prix définis au cours des réunions n’est pas de nature à infirmer la constatation d’un impact sur le marché à travers la prise en compte des annonces de prix convenues dans la fixation des prix individuels, puisque les effets pris en considération par la Commission pour fixer le niveau général des amendes ne sont pas ceux résultant du comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise déterminée, mais bien ceux résultant de l’ensemble de l’infraction à laquelle l’entreprise a participé avec d’autres (voir, en ce sens, arrêt Hercules Chemicals/Commission, point 196 supra, point 342).

453    Cette constatation d’un impact sur le marché à travers l’annonce des prix convenus et leur prise en compte au niveau des clients ne saurait être remise en cause par le fait que les preuves documentaires recueillies par la Commission en la matière ne couvrent pas la totalité de la période visée. D’une part, il ressort clairement des considérants 383 et 384 de la décision que la Commission a expressément pris en considération cet élément dans la mesure de l’impact sur le marché. D’autre part, elle a tenu compte d’autres éléments dans son analyse de l’impact sur le marché et, au-delà, de la gravité de l’infraction.

454    En effet, en deuxième lieu, la Commission invoque des accords occasionnels de fixation de quotas et de répartition de marchés qui auraient été respectés au moins dans une certaine mesure.

455    Or, il ressort du dossier que des quotas de vente ont été attribués lors de la réunion de Barcelone du 30 septembre 1993 (document n° 5 évoqué au point 172 ci-dessus) et lors de la réunion de Paris du 1er octobre 1993 (document n° 6). Les renseignements fournis par certaines entreprises sur leurs ventes réelles pour 1992 et 1993 démontrent l’existence d’une corrélation étroite entre les quotas convenus et les chiffres de vente échangés lors de ces réunions (voir annexe III de la décision). Le compte rendu de la réunion du 29 juin 1994 (voir point 175 ci-dessus) fait également état de quotas. Par ailleurs, il résulte des déclarations de Mougeot du 14 avril 1999 (documents nos 7651 à 7653, évoqués au point 165 ci-dessus) et de leurs annexes (documents nos 7657 et 7658, joints à la CG) que des accords sur les parts de marché ont été conclus lors de la réunion du 31 mai 1994 à Nogent‑sur‑Marne et lors de celle du 6 décembre 1994 à Genève. C’est donc à bon droit que la Commission considère que ces attributions de quotas et répartitions de marchés constituent un indice supplémentaire de l’impact de l’infraction sur le marché.

456    En troisième lieu, la Commission avance que la conclusion relative à l’impact concret de l’entente se trouve renforcée par le fait que l’application des hausses de prix a fait l’objet d’un suivi et d’un contrôle.

457    Or, force est de constater que les éléments avancés par la Commission aux considérants 97 à 106 démontrent effectivement l’existence d’un tel contrôle, notamment exercé par AWA. Cela résulte en particulier des déclarations de Mougeot du 14 avril 1999, figurant au considérant 104 de la décision et déjà évoquées au point 439 ci-dessus, selon lesquelles « [M. B.] a très explicitement indiqué qu’il ne tolérerait pas que cette hausse de prix ne soit pas suivie et qu’il s’occuperait personnellement de tous ceux qui ne joueraient pas le jeu ». Plusieurs notes de Sappi (voir points 169, 171, 175 et 176 ci-dessus) mettent également en évidence l’existence d’un suivi du comportement des membres de l’entente, notamment quant à l’application des hausses de prix convenues.

458    Il y a lieu de souligner que, aux fins de l’appréciation de la gravité de l’infraction, seule l’existence de ce contrôle ou suivi est pertinente, sans qu’il importe que telle ou telle entreprise ait joué un rôle prédominant dans son exercice. Le contrôle de la mise en œuvre des prix convenus faisait partie du plan auquel les membres de l’entente ont souscrit. Torraspapel ne saurait donc reprocher à la Commission d’avoir tenu compte de l’existence de ces mécanismes de contrôle au stade de l’appréciation de la nature de l’infraction, la responsabilité individuelle de chaque participant étant ensuite examinée à un stade ultérieur.

459    Quant au dernier indice d’impact de l’entente mis en avant par la Commission et relatif à la longue durée de l’infraction malgré les risques encourus, il y a lieu de relever que, les pratiques reprochées ayant duré trois ans dans la plupart des cas, il était peu probable que les producteurs aient, à l’époque, considéré qu’elles étaient totalement dépourvues d’efficacité et d’utilité (arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 748).

460    L’ensemble de ces éléments amènent le Tribunal à conclure que c’est à bon droit que la Commission a considéré que l’infraction en cause a eu un impact concret sur le marché.

461    Il convient d’ajouter qu’il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir pris en considération à ce stade la situation de déclin du marché du papier autocopiant. En effet, la Commission évoque cette circonstance au considérant 392 de la décision, précisément dans le cadre de l’examen de l’impact concret de l’infraction, en expliquant clairement les raisons pour lesquelles ce déclin n’exclut pas que l’entente ait eu un impact sur le marché. Tout en admettant que dans une telle situation on peut s’attendre à ce que les prix baissent, la Commission considère que « cela n’exclut pas que l’entente a réussi à contrôler ou à limiter la diminution des prix ». Par conséquent, selon elle, « l’entente peut avoir eu pour effet d’empêcher une adaptation naturelle de la capacité de production à la demande en maintenant des concurrents inefficaces sur le marché plus longtemps qu’ils n’y seraient restés dans des conditions de concurrence normales ».

462    Il y a lieu de souligner à cet égard que le seul fait que le marché en cause soit en déclin et que certaines entreprises subissent des pertes ne saurait faire obstacle à la mise en place d’une entente ni à l’application de l’article 81 CE. Au contraire, de leur propre aveu, certaines entreprises ont affirmé que cette situation les a incitées à rejoindre le cartel. Il convient d’ajouter que, même à la supposer avérée, la mauvaise situation du marché ne saurait impliquer l’absence d’impact de l’entente. Ainsi que l’affirme la Commission, les hausses de prix convenues ont pu permettre de contrôler ou de limiter la baisse des prix, faussant en cela le jeu de la concurrence. Le fait qu’il y ait pu y avoir des baisses de prix dues aux conditions du marché n’enlève rien au grief de hausses des prix concertées. Quant au fait que l’augmentation du prix de la pâte à papier ait pu inciter les entreprises à relever le prix du papier autocopiant, il laisse entier le grief de ne pas l’avoir fait de manière autonome, mais en se concertant et en concluant des accords. Du reste, le fait que, dans un marché en déclin caractérisé par de fortes surcapacités structurelles, où l’on s’attendrait plutôt à voir les prix baisser, le prix du papier autocopiant ait pu suivre les augmentations du prix de la pâte à papier pourrait précisément être considéré comme l’indice d’une entente.

463    En guise de conclusion quant à la gravité de l’infraction, le Tribunal considère que c’est à bon droit que la Commission a qualifié les accords litigieux d’infraction très grave. Il s’agit en effet d’une infraction qui par sa nature est très grave, a eu un impact sur le marché et a couvert l’intégralité du marché commun et, après sa création, l’intégralité de l’EEE.

3.     Classification des participants à l’entente aux fins de la fixation des montants des amendes

464    Selon les lignes directrices, à l’intérieur de chacune des catégories d’infraction prévues, et notamment pour les catégories dites graves et très graves, « l’échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises ».

465    Prenant pour base le chiffre d’affaires tiré de la vente du produit dans l’EEE en 1995, la Commission a divisé les entreprises concernées en cinq catégories selon leur importance relative sur le marché en cause dans l’EEE. AWA, qui est le plus gros producteur de papier autocopiant, compose à elle seule la première catégorie. La deuxième comprend MHTP, Zanders et Koehler, la troisième, Torraspapel et Bolloré, la quatrième, Sappi et Mougeot, et enfin, la cinquième, Divipa, Zicuñaga et Carrs.

466    Les arguments avancés par les requérantes dans ce cadre portent sur plusieurs éléments, à savoir le choix de l’année de référence, la prise en compte d’un chiffre d’affaires erroné et le résultat disproportionné auquel aboutit la méthode de la Commission.

467    Avant d’analyser ces éléments, il convient de rappeler la jurisprudence citée au point 376 ci-dessus dont il résulte que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. L’application efficace desdites règles exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de la politique communautaire de concurrence, le cas échéant, en élevant ce niveau.

468    Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que, parmi les éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction, la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. D’une part, il s’ensuit qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût‑elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle‑ci. D’autre part, il en résulte qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation, de sorte que la fixation du montant d’une amende approprié ne peut être le résultat d’un simple calcul fondé sur le chiffre d’affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 86 supra, points 120 et 121 ; arrêts du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T‑77/92, Rec. p. II‑549, point 94, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 176, et ADM/Commission, point 188).

a)     Choix de l’année de référence

469    Le choix de l’année de référence est critiqué par Torraspapel et Divipa. Cette dernière estime que la Commission aurait dû se fonder sur les chiffres d’affaires pour 1994. En effet, plusieurs entreprises, dont elle, n’étaient plus impliquées dans l’entente en 1995. Torraspapel fait, pour sa part, valoir que son chiffre d’affaires pour 1995 était exceptionnellement élevé par rapport à celui des années précédentes et ne reflétait donc pas fidèlement l’importance réelle de la requérante sur le marché au cours de la période de l’infraction.

470    Il convient de rappeler que, ainsi que l’admet Divipa elle-même, selon la jurisprudence constante du Tribunal, la Commission n’est pas tenue de calculer le montant des amendes en fonction de la gravité sur la base de montants fondés sur le chiffre d’affaires des entreprises impliquées, puisque la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, Rec. p. I‑1611, point 54, et arrêt Ferriere Nord/Commission, point 446 supra, point 33 ; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T‑295/94, Rec. p. II‑813, point 163).

471    Il ressort du considérant 407 de la décision que la Commission a utilisé le chiffre d’affaires tiré en 1995 – dernière année de la période d’infraction retenue – de la vente du produit dans l’EEE pour comparer l’importance relative des entreprises sur le marché concerné et les classer en différentes catégories par rapport à la capacité de chacune d’entre elles de fausser la concurrence.

472    Force est de constater à cet égard que, quel que soit le bien-fondé de leurs allégations, le résultat, pour Torraspapel et Divipa, n’aurait pas été différent si la Commission s’était fondée sur leur chiffre d’affaires pour 1994. Il résulte, en effet, du tableau 1 b) reproduit au considérant 18 de la décision que, avec un chiffre d’affaires et une part de marché comparables à ceux de Bolloré (Copigraph), Torraspapel resterait dans la troisième catégorie et Divipa serait toujours dans la dernière catégorie. La décision ne saurait donc être remise en cause sur ce point. Il y a dès lors lieu de conclure au caractère inopérant de ce grief.

b)     Prise en compte d’un chiffre d’affaires global erroné

473    AWA et Koehler estiment que la Commission a pris en compte le chiffre d’affaires de l’ensemble de chacun de leur groupe respectif, alors que pour MHTP et Zanders elle n’aurait tenu compte que du chiffre d’affaires propre à l’entreprise concernée.

474    AWA fait valoir que si la Commission n’avait pris en compte que son chiffre d’affaires propre, elle n’aurait pas conclu à une différence de taille très substantielle entre elle et les autres entreprises concernées, le montant de départ de l’amende aurait donc été moins élevé et l’amende finale aurait été inférieure de 141,75 millions d’euros. Koehler allègue que, en ne tenant pas compte des différences de poids économique des groupes dont font partie MHTP, Zanders et elle, la Commission l’a à tort rangée dans la même catégorie que ces deux entreprises.

475    Dans la mesure où AWA et Koehler critiquent la classification des participants à l’entente sur la base d’un chiffre d’affaires global erroné, leur moyen ne saurait prospérer.

476    En effet, il ressort clairement des considérants 406 à 409 de la décision que la Commission a divisé les entreprises en cause « selon leur importance relative sur le marché en cause » en prenant pour base le « chiffre d’affaires tiré de la vente du produit dans l’EEE ». Le chiffre d’affaires total des sociétés ou des groupes de sociétés n’est donc pas entré en ligne de compte à ce stade.

477    À titre surabondant, il y a lieu d’observer que la contestation d’AWA et de Koehler ne porte pas tant sur leur propre chiffre d’affaires que sur l’absence de prise en compte de celui du groupe pour MHTP et Zanders. Or, quand bien même la Commission se serait trompée dans le cas de ces dernières, nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, point 468 supra, point 160). L’argument selon lequel MHTP et Zanders se seraient vu infliger une amende trop faible ne saurait conduire à une réduction de l’amende d’AWA ou de Koehler. Dans cette mesure, il y a lieu de rejeter le moyen qu’elles invoquent.

478    À titre encore plus surabondant, à défaut de preuves d’une implication dans l’infraction des groupes auxquels appartiennent Zanders et MHTP, la Commission était fondée à ne pas retenir le chiffre d’affaires total de ces groupes. Dès lors que la Commission n’a pas trouvé d’indices suffisants pour imputer l’infraction auxdits groupes, il incombait aux requérantes, dans la mesure où elles estimaient que l’implication de ces groupes ressortait du dossier, d’en apporter la preuve (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T‑31/99, Rec. p. II‑1881, ci-après l’« arrêt ABB/Commission », point 181). Or, en l’espèce, ni AWA ni Koehler ne rapportent cette preuve. Leur moyen doit donc être rejeté.

c)     Résultat disproportionné de l’application de la méthode de la Commission

479    Plusieurs entreprises soutiennent que le montant de l’amende fixé par la Commission en fonction de la gravité est disproportionné par rapport, selon le cas, à leur propre chiffre d’affaires, aux autres participants à l’entente ou par rapport aux montants infligés dans d’autres décisions, ou à plusieurs de ces éléments réunis. La méthode de calcul du montant de base de l’amende violerait ainsi le principe de proportionnalité et le principe d’égalité de traitement.

 Violation du principe de proportionnalité

480    MHTP fait valoir qu’il n’apparaît pas que la Commission ait tenu compte de son chiffre d’affaires sur le marché en cause. En effet, la Commission aurait classé les entreprises concernées dans différentes catégories selon leurs parts sur le marché visé. Or le recours aux parts de marché pour opérer une distinction entre les entreprises impliquées dans une infraction n’emporterait pas automatiquement le respect du principe de proportionnalité. En se fondant exclusivement sur les parts de marché, la Commission ne tiendrait compte que des différences relatives du chiffre d’affaires et non du niveau absolu du chiffre d’affaires sur le marché du produit concerné.

481    Il y a lieu de rappeler d’abord que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant être pris en compte (voir arrêt HFB e.a./Commission, point 87 supra, point 443, et la jurisprudence citée).

482    Par ailleurs, le seul fait que la Commission, dans ce contexte, ne s’est pas exclusivement fondée sur le chiffre d’affaires sur le marché pertinent de chacune des entreprises, mais a pris en considération d’autres facteurs relatifs à l’importance des entreprises sur ce marché, ne saurait conduire à la conclusion que la Commission aurait imposé une amende disproportionnée. En effet, il ressort de la jurisprudence qu’il ne faut attribuer ni au chiffre d’affaires global d’une entreprise ni au chiffre qui provient des produits faisant l’objet de l’infraction une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation (arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 303).

483    Les facteurs pris en compte par la Commission en l’espèce sont clairement énoncés dans la décision aux considérants 372 à 408. Ils incluent le chiffre d’affaires sur le marché en cause. En outre, le fait que les montants de départ fixés par la Commission ne soient pas fondés sur un pourcentage donné du chiffre d’affaires, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (T‑354/94, Rec. p. II‑2111), ne saurait leur conférer en soi un caractère disproportionné.

484    Enfin, la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en question, d’effectuer son calcul de l’amende à partir de montants fondés sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées, ni d’assurer, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différenciation entre celles-ci quant à leur chiffre d’affaires global ou leur chiffre d’affaires sur le marché du produit en cause (arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 278).

485    Il y a donc lieu de rejeter le grief de MHTP.

486    Koehler soutient quant à elle que la Commission a violé le principe de proportionnalité en lui infligeant une amende totalement disproportionnée au regard de sa puissance économique et du bénéfice résultant de l’entente. Elle souligne que la Cour et le Tribunal ont confirmé à maintes reprises le rôle essentiel que joue le critère de la puissance économique de l’entreprise concernée pour apprécier la gravité de l’infraction. Les lignes directrices accorderaient elles aussi une grande importance à la taille de l’entreprise en cause.

487    Il convient de rappeler à cet égard que, pour tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise, et donc de l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence, la Commission a divisé les entreprises concernées en cinq catégories selon leur importance relative sur le marché en cause (considérant 406 de la décision). La Commission a donc bien procédé à une différenciation en fonction de la taille des entreprises.

488    Koehler le reconnaît d’ailleurs tout en affirmant que la Commission énonce correctement qu’un calcul différencié de l’amende s’impose, mais ne parvient pas à appliquer de façon convaincante au cas concret les directives qu’elle s’est ainsi elle-même fixées. Elle ajoute dans sa réplique que la Commission n’a pas procédé aux différenciations nécessaires, qui se seraient imposées du fait de sa propre méthode de fixation de l’amende.

489    L’argument principal de Koehler paraît résider dans le fait qu’elle est une entreprise familiale qui n’a pas d’accès au marché des capitaux et qui, tant du point de vue de sa taille que de celui de ses ressources, fait partie, comparée aux autres participants sanctionnés, des petites entreprises.

490    Afin d’établir la violation du principe de proportionnalité, Koehler procède à des comparaisons de l’amende qui lui a été imposée avec celles infligées à MHTP, à Zanders et à AWA.

491    Toutefois, force est de constater que, pour faire sa démonstration, Koehler inclut dans le chiffre d’affaires global de MHTP et de Zanders celui du groupe dont ces entreprises font à son avis partie. Or, le Tribunal a considéré au point 478 ci-dessus que c’est à bon droit que la Commission n’a pas pris en compte le chiffre d’affaires total du groupe auquel appartiennent ces deux dernières entreprises.

492    En ce qui concerne la comparaison de l’amende de Koehler avec celle d’AWA, il y a lieu de rappeler que le montant de départ fixé au considérant 409 de la décision prend expressément en compte l’importance relative des entreprises sur le marché en cause en prenant pour base le chiffre d’affaires tiré de la vente du produit en cause dans l’EEE. Ainsi, à ce stade, le montant de départ de l’amende de chacune de ces deux entreprises reflète globalement le rapport qui sépare leur chiffre d’affaires sur le marché du papier autocopiant.

493    La Commission double ensuite à des fins dissuasives le montant de départ d’AWA, de Sappi et de Bolloré pour tenir compte de leur taille et de leurs ressources globales. En doublant à ce titre l’amende d’AWA et non celle de Koehler, la Commission prend donc en considération la différence de taille et de ressources globales qui sépare ces deux entreprises.

494    Il convient d’ajouter que la simple comparaison du pourcentage que représentent les amendes par rapport au chiffre d’affaires global des entreprises concernées ne saurait suffire à établir le caractère disproportionné de l’amende de Koehler. En effet, la fixation du montant d’une amende approprié ne peut être le résultat d’un simple calcul fondé sur le chiffre d’affaires global (voir la jurisprudence citée au point 468 ci-dessus).

495    Par ailleurs, ces comparaisons n’établissent pas que le montant de base de l’amende infligée à Koehler est disproportionné, compte tenu de la taille de l’entreprise et de ses ressources globales. La requérante ne fournit aucun élément de nature à prouver que le montant de base de l’amende est excessif par rapport à son poids spécifique. S’il est vrai que Koehler est une entreprise familiale, son chiffre d’affaires afférent au papier autocopiant, notamment, ne permet pas de la situer parmi les petites entreprises du secteur.

496    Enfin, la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes, d’assurer, au cas où des amendes sont infligées à plusieurs entreprises impliquées dans la même infraction, que les montants finaux des amendes traduisent toute différenciation entre les entreprises concernées quant à leur chiffre d’affaires global (arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 217).

497    Il convient dès lors de rejeter le grief de Koehler tiré de la violation du principe de proportionnalité.

 Violation du principe d’égalité de traitement

498    AWA allègue que le montant de l’amende fixé dans son cas en fonction de la gravité est excessif par rapport à celui fixé pour les autres participants à l’entente. La Commission se serait conformée aux lignes directrices en ce qui concerne MHTP, Zanders et Koehler, alors qu’elle lui aurait appliqué l’ancien système, fondé sur l’importance respective des entreprises concernées sur le marché.

499    Zanders fait valoir que la classification opérée par la Commission l’a discriminée par rapport à ses concurrents nettement plus actifs dans l’entente, tels que Koehler, MHTP et Torraspapel.

500    Quant à Koehler, elle soutient que le principe général d’égalité de traitement se trouve violé lorsque, au vu de la puissance économique de l’entreprise en cause, une amende frappe cette entreprise beaucoup plus fortement que les autres entreprises concernées. En tant qu’entreprise familiale, elle conteste son classement dans la même catégorie que MHTP et Zanders. Ses arguments rejoignent en grande partie ceux déjà examinés dans le cadre de la violation du principe de proportionnalité. Dans cette mesure, il y a lieu de renvoyer aux points 486 à 497 ci‑dessus.

501    Selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309, et la jurisprudence citée).

502    Les lignes directrices prévoient que, dans le cas d’infractions impliquant plusieurs entreprises (type « cartel »), il pourra convenir de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l’intérieur de la catégorie retenue afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature.

503    Dans ce cas, les lignes directrices ajoutent que « le principe d’égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l’exigent, à l’application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différenciation [...] obéisse à un calcul arithmétique ».

504    Selon la jurisprudence, lorsque la Commission répartit les entreprises concernées en catégories aux fins de la fixation du montant des amendes, la détermination des seuils pour chacune des catégories ainsi identifiées doit être cohérente et objectivement justifiée (arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 496 supra, point 220).

505    Sur cette base, il convient de vérifier si la classification opérée par la Commission respecte le principe d’égalité de traitement.

506    Il y a lieu de rappeler que, pour « tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise, et donc de l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence », la Commission a, dans la décision (considérants 406 et 407), divisé les entreprises concernées en catégories « selon leur importance relative sur le marché en cause ». À cette fin, elle a pris « pour base le chiffre d’affaires tiré de la vente du produit dans l’EEE pour comparer l’importance relative des entreprises sur le marché concerné ». Le considérant 408 fait également référence à leurs parts de marché. La motivation de la classification opérée est dès lors claire.

507    Dans la mesure où ils sont de nature à donner une indication de l’importance de l’entreprise, ces éléments, à savoir son chiffre d’affaires tiré de la vente du produit dans l’EEE ainsi que ses parts de marché, peuvent être pris en compte par la Commission dans ce cadre, conformément à la jurisprudence citée au point 468 ci-dessus.

508    Comme l’indique le considérant 407 de la décision, la Commission s’est servie, pour établir les différentes catégories, des chiffres figurant dans le tableau 1 b) reproduit au considérant 18 de la décision.

509    À cet égard, il y a lieu de souligner que les chiffres d’affaires indiqués dans ce tableau se fondent sur les renseignements fournis par les entreprises dans leurs réponses aux demandes de renseignements. AWA ne saurait dès lors tirer argument, dans la présente procédure, du fait qu’elle a elle-même fourni des données inexactes. En tout état de cause, il s’avère que les nouveaux chiffres qu’elle avance dans sa requête restent du même ordre de grandeur et n’auraient donc pas abouti à un résultat différent.

510    Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme AWA, il ne ressort pas de la comparaison des chiffres fournis dans le tableau en cause et des catégories définies par la Commission que cette dernière aurait appliqué à AWA un système différent de celui appliqué pour les autres entreprises.

511    Certes, le recours aux parts de marché parmi d’autres éléments pour procéder à une différenciation entre les entreprises serait contraire au principe d’égalité de traitement s’il ne s’appliquait pas à l’ensemble des entreprises visées. Toutefois, AWA fournit elle-même dans sa requête un tableau dont il ressort, selon ses propres affirmations, que « les montants déterminés pour la gravité sont, en termes généraux, en corrélation avec les parts de marché des participants au sein du marché affecté ». Contrairement à ce qu’allègue AWA, le principe d’égalité de traitement a donc été respecté.

512    Zanders estime, pour sa part, avoir fait l’objet d’une discrimination en étant classée dans la même catégorie que MHTP et Koehler alors que leur implication dans l’entente était nettement plus active que la sienne, ou en n’étant pas classée dans la même catégorie que Torraspapel alors qu’il n’existait aucune raison objective de la traiter différemment.

513    Il convient de relever que, selon les chiffres pris en compte par la Commission, la part de marché de Zanders était en 1994 et en 1995 d’environ 12 %, celle de MHTP d’environ 14 % et celle de Koehler d’environ 10 %, tandis que celle de Torraspapel s’élevait à 5,4 % en 1994 et à 6,9 % en 1995. Par rapport à ce critère, les catégories établies par la Commission ne sont donc pas discriminatoires à l’égard de Zanders, pas plus, du reste, qu’elles ne le sont vis-à-vis de Koehler, malgré le caractère d’entreprise familiale que cette dernière revendique (voir aussi points 487 et suivants ci-dessus).

514    Zanders tente cependant d’établir que sa part de marché était moins importante que celle de Torraspapel sur certains marchés, notamment en France, en Espagne et au Royaume-Uni.

515    Il convient de souligner à cet égard que la Commission s’est fondée, pour tous les participants à l’entente, sur leur chiffre d’affaires tiré de la vente du produit et leurs parts de marché dans l’EEE. Elle a, en effet, considéré que l’entente a couvert l’intégralité du marché commun et, après sa création, l’intégralité de l’EEE (considérant 403 de la décision). La démonstration de Zanders est donc dénuée de pertinence dans la mesure où elle ne s’applique qu’à certains marchés.

516    Quant à la moindre implication prétendue de Zanders dans l’entente, du reste contestée par la Commission, elle pourrait éventuellement être prise en compte comme circonstance atténuante aux termes des lignes directrices. Elle n’entre toutefois pas en ligne de compte au stade de la fixation du montant de départ en fonction de la gravité où la pondération se fait sur la base d’éléments objectifs visant à « tenir compte du poids spécifique [...] de chaque entreprise sur la concurrence ».

517    Il convient, enfin, d’examiner l’argument d’AWA, selon lequel le niveau général des montants fixés en fonction de la gravité pour la présente entente serait trop élevé par comparaison avec ceux fixés dans d’autres affaires récentes.

518    AWA affirme que, à l’exception très notable du montant fixé dans son cas, les montants de départ en l’espèce et ceux fixés pour chaque infraction dans d’autres affaires impliquant des infractions très graves sont largement similaires. Or, selon AWA, ils auraient dû être considérablement inférieurs parce que les accords n’ont pas eu pour effet d’augmenter les prix par rapport aux conditions normales de concurrence, n’ont pas empêché les participants de réaliser des bénéfices minimes, étaient limités à des discussions sur les prix et ne comportaient pas de mécanisme de contrôle.

519    Force est de constater que l’argumentation d’AWA revient à contester la qualification d’infraction très grave en l’espèce et non les montants fixés par rapport à cette qualification d’infraction très grave, pour lesquels AWA fait état d’une large similitude avec ceux fixés dans d’autres affaires pour le même type d’infraction.

520    La Commission ayant à bon droit qualifié l’infraction de très grave (voir points 431 à 442 ci-dessus), le grief d’inégalité de traitement par rapport aux affaires récentes ne saurait prospérer, puisque AWA admet que le montant est celui appliqué dans d’autres affaires pour ce type d’infraction.

521    S’agissant, par ailleurs, du montant fixé dans le cas d’AWA, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela s’avère nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence.

522    Il y a donc lieu de rejeter les moyens visant à contester la classification des participants à l’entente et les montants de départ fixés sur cette base.

4.     Majoration de l’amende à des fins dissuasives

523    AWA et Bolloré contestent le doublement du montant de départ des amendes à des fins dissuasives. Cette majoration aboutirait à une amende largement disproportionnée par rapport au volume des ventes concernées par l’entente et ne tiendrait pas compte de la gravité de l’infraction imputable aux différentes entreprises et de leur rôle spécifique. AWA fait aussi valoir que cette majoration à des fins dissuasives n’est aucunement motivée ni dans la communication des griefs ni dans la décision et qu’elle est incompatible avec l’application de la communication sur la coopération.

524    La Commission a exposé, aux considérants 410 à 412 de la décision, que, afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif, elle estimait, dans le cas d’AWA, de Sappi et de Bolloré, « qu’il y a[vait] lieu de majorer le montant de départ de l’amende calculé en fonction de l’importance relative du marché en cause pour tenir compte de leur taille et de leurs ressources globales ». La Commission avait déjà annoncé dans la CG son intention de fixer les amendes à un niveau suffisant pour les rendre dissuasives.

525    Les lignes directrices prévoient qu’il est nécessaire « de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif ». Par ailleurs, il pourra être tenu compte du fait que « les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps de connaissances et des infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence ».

526    Il convient de rappeler qu’il est loisible à la Commission d’élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif (arrêt du 10 mars 1992, Solvay/Commission, point 196 supra, point 309). Par ailleurs, la Commission peut imposer des amendes plus lourdes à une entreprise dont les actes sur le marché, eu égard au fait qu’elle occupe une place déterminante au sein du marché, ont eu un impact plus important que ceux d’autres entreprises ayant commis la même infraction, sans pour autant violer le principe d’égalité de traitement. Une telle manière de calculer le montant de l’amende répond également aux besoins que celle-ci soit suffisamment dissuasive (arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Minoan Lines/Commission, T‑66/99, Rec. p. II‑5515, point 284 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T‑24/93 à T‑26/93 et T‑28/93, Rec. p. II‑1201, point 235).

527    La dissuasion, ainsi qu’il résulte de l’arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 86 supra (point 106), doit être à la fois spécifique et générale. Tout en réprimant une infraction individuelle, l’amende s’inscrit aussi dans le cadre d’une politique générale de respect par les entreprises des règles de concurrence. Même vis-à-vis de l’entreprise concernée, la dissuasion ne saurait s’arrêter au seul marché en cause, mais doit s’appliquer à l’ensemble de ses activités. Bolloré ne saurait donc prétendre à une réduction de l’amende qui lui a été infligée en raison de la vente de sa branche « Papier autocopiant » et de l’absence de récidive possible dans ce secteur.

528    En réponse à la contestation, par AWA, de l’effet dissuasif erga omnes de l’amende, il convient de relever que, s’il est vrai que l’amende vise à avoir un effet dissuasif à la fois à l’égard de l’entreprise condamnée et des autres entreprises qui seraient tentées de violer les règles de la concurrence, elle a été calculée en l’espèce en tenant compte de la situation propre de l’entreprise concernée et de toutes les circonstances de l’espèce. Dans cette mesure, si elle n’est pas disproportionnée par rapport à l’entreprise visée, elle ne saurait le devenir du seul fait qu’elle produit en même temps un effet dissuasif erga omnes.

529    Toutefois, en l’espèce, les requérantes contestent surtout l’importance de la majoration à des fins dissuasives dans leur cas, qu’elles estiment disproportionnée et inexpliquée.

530    Quant au caractère prétendument disproportionné du multiplicateur appliqué en l’espèce à des fins dissuasives, le Tribunal a, dans son arrêt ABB/Commission (point 162), approuvé le doublement de l’amende par la Commission à des fins dissuasives afin de refléter l’importance de la requérante dans le secteur des conduites précalorifugées pour tenir compte de sa position en tant qu’un des principaux groupes européens.

531    Or, si l’on se réfère au tableau 1 b) figurant au considérant 18 de la décision, AWA, Bolloré et Sappi sont les principaux groupes européens. Leur chiffre d’affaires total, qui se situe dans une même fourchette, est très nettement supérieur à celui des autres entreprises concernées. Il en résulte que le doublement de l’amende d’AWA et de Bolloré ne saurait être considéré comme disproportionné par rapport à la position de leur groupe.

532    Il convient de souligner à cet égard que, contrairement à l’idée dont semblent partir AWA et Bolloré, selon laquelle la Commission se serait fondée, pour cette majoration à des fins dissuasives, sur le chiffre d’affaires mondial de leur groupe, le taux multiplicateur n’a pas été calculé selon une formule mathématique et est sans lien proportionnel avec le chiffre d’affaires global de la requérante (voir, en ce sens, arrêt ABB/Commission, point 180). En effet, si l’on compare, par ordre d’importance, dans le tableau 1 b), le chiffre d’affaires global d’AWA, de Sappi, de Bolloré et de Torraspapel, il s’avère que celui de Bolloré et d’AWA est entre cinq et sept fois plus élevé que celui de Torraspapel, alors que la Commission n’a appliqué qu’un taux multiplicateur de 2, et cela sans distinction entre AWA et Bolloré.

533    S’agissant de l’argument selon lequel cette majoration serait largement disproportionnée par rapport au chiffre d’affaires concerné par l’infraction, il convient de remarquer que le montant de départ de l’amende en fonction de la gravité a été calculé sur la base du chiffre d’affaires tiré de la vente du produit sur le marché concerné. Cet élément a donc bien été pris en considération par la Commission dans un premier temps. La majoration à des fins dissuasives vise, quant à elle, à tenir compte, à un stade ultérieur, de la taille et des ressources globales de l’entreprise.

534    Il convient de rappeler à cet égard qu’il est loisible à la Commission de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise qui constitue une indication, fût‑elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l’objet de l’infraction (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 86 supra, point 121).

535    AWA reproche néanmoins à la Commission d’avoir, déjà au stade de la fixation du montant de départ, appliqué un coefficient multiplicateur de 3,5 en raison de l’importance de la requérante sur le marché du papier autocopiant, puis, dans un second temps, un coefficient multiplicateur de 2 au titre de la dissuasion.

536    Or, comme il a été exposé ci-dessus, les deux majorations ne prennent pas en compte les mêmes éléments. La première se rapporte à l’importance de l’entreprise sur le marché du produit en cause et la seconde à l’ensemble de l’activité de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient, afin de tenir compte de ses ressources globales.

537    Concernant le caractère inexpliqué de la majoration à des fins dissuasives, force est de constater que, dans la décision, la Commission expose que, dans le cas d’AWA, de Sappi et de Bolloré, « il y a lieu de majorer le montant de départ de l’amende calculé en fonction de l’importance relative du marché en cause pour tenir compte de leur taille et de leurs ressources globales ». Contrairement à ce qu’affirme AWA, la majoration en cause est donc bien motivée.

538    Cependant, AWA conteste la prise en considération à des fins dissuasives de la dimension de l’entreprise et de ses ressources globales. Elle affirme que, selon une théorie économique raisonnable de la dissuasion, les amendes devraient être fixées par rapport aux bénéfices attendus de l’infraction sur le marché en cause et à la probabilité de détection de celle-ci. La question de la dissuasion n’est, à son avis, pas rationnellement liée au chiffre d’affaires du groupe au niveau mondial d’une entreprise.

539    En ce qui concerne la prise en compte de la taille et des ressources globales des entreprises concernées, le Tribunal considère que la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation dans la mesure où elle estime que les entreprises de grande dimension disposent, généralement, de ressources supérieures, afin d’avoir connaissance des exigences et des conséquences du droit de la concurrence, à celles dont disposent les entreprises d’une taille inférieure (arrêt ABB/Commission, point 169).

540    En outre, étant donné que la prise en considération de l’effet dissuasif d’une amende constitue un des facteurs qui, selon la jurisprudence, entrent en ligne de compte pour déterminer la gravité de l’infraction, AWA ne saurait reprocher à la Commission d’avoir pris en compte l’effet dissuasif des amendes dans la fixation du montant de départ correspondant à la gravité de son infraction. En effet, la prise en compte de l’effet dissuasif des amendes fait partie intégrante de la pondération des amendes en fonction de la gravité de l’infraction (arrêt ABB/Commission, point 167). AWA n’est donc pas fondée à prétendre que la Commission avait l’obligation de n’appliquer une majoration à des fins dissuasives qu’au dernier stade du calcul de l’amende.

541    S’agissant de la prétendue incompatibilité de la majoration à des fins dissuasives avec l’application de la communication sur la coopération, il y a lieu de souligner que ces deux étapes sont manifestement différentes et l’application simultanée de ces deux éléments ne saurait être jugée contradictoire. En effet, la majoration de l’amende à des fins dissuasives s’inscrit dans la phase de calcul de l’amende sanctionnant l’infraction commise. Une fois ce montant déterminé, l’application de la communication sur la coopération vise ensuite à récompenser les entreprises ayant décidé de coopérer avec la Commission. Contrairement à ce qu’affirme AWA, le fait qu’une entreprise se décide à coopérer à une enquête pour obtenir une réduction de l’amende qui lui a été infligée dans ce cadre ne garantit aucunement qu’elle s’abstiendra de commettre à l’avenir une infraction similaire.

542    Quant aux éléments qui pourraient conduire à modérer l’amende d’une entreprise en fonction des circonstances atténuantes qui lui sont propres, ils doivent, le cas échéant, être pris en compte dans le cadre de l’examen des circonstances atténuantes et n’entrent pas en ligne de compte au stade de la majoration à des fins dissuasives. Ainsi en va-t‑il, par exemple, du rôle de suiveur prétendument joué par Copigraph (Bolloré) et de la cessation de l’infraction par cette même entreprise avant le début de l’enquête.

543    Enfin, avant de terminer cet examen des arguments des requérantes sur la majoration de l’amende à des fins dissuasives, il y a lieu de revenir à ce sujet sur l’inégalité de traitement qui résulterait selon certaines entreprises de la prise en considération dans leur cas du chiffre d’affaires du groupe auquel elles appartiennent alors que, pour d’autres participants à l’entente, la Commission n’en a pas tenu compte. En effet, dès lors que la Commission affirme vouloir tenir compte de la taille et des ressources globales des entreprises concernées (considérant 411 de la décision) dans le cadre de la majoration des amendes à des fins dissuasives, l’appartenance ou non à un groupe peut être déterminante.

544    Pour ce qui est d’AWA, il convient de rappeler que la société mère du groupe ayant participé de manière directe et autonome à l’entente, sans que cela soit du reste contesté, c’est à juste titre le chiffre d’affaires du groupe qui est pris en compte.

545    En ce qui concerne Bolloré, le Tribunal a considéré, aux points 66 à 81 ci‑dessus, qu’il y avait lieu d’écarter le grief tiré de l’implication directe de Bolloré, puisque la CG ne lui avait pas permis de prendre connaissance de ce grief et d’assurer sa défense sur ce point. Toutefois, au terme de l’examen de la situation de Bolloré (voir points 129 à 150 ci-dessus), le Tribunal a jugé que c’était à juste titre que la Commission avait considéré que cette entreprise devait répondre de la participation de sa filiale Copigraph à l’entente.

546    Il s’ensuit que les deux sociétés pouvaient être considérées comme solidairement responsables du comportement qui leur a été reproché, les actes commis par l’une étant imputables à l’autre (voir, en ce sens, arrêt HFB e.a./Commission, point 87 supra, points 54, 524 et 525). Il convient de souligner qu’il ressort du tableau 1 b) figurant au considérant 18 de la décision que le chiffre d’affaires afférent au papier autocopiant pris en compte dans le cas de Bolloré est celui de Copigraph, puisque seule cette dernière disposait d’un tel chiffre d’affaires. La Commission a donc correctement fixé le montant de départ de l’amende de Bolloré en tenant compte du chiffre d’affaires de Copigraph. Copigraph et Bolloré formant une seule et même entreprise au sens de l’article 81 CE, la prise en considération des ressources globales du groupe afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif était donc justifiée.

547    Au terme de cette analyse, il y a lieu de conclure que la Commission était fondée à majorer, dans le cas d’AWA et de Bolloré, le montant de départ de l’amende afin d’assurer à cette dernière un effet suffisamment dissuasif.

548    De plus, c’est à juste titre que la Commission a appliqué au chiffre d’affaires mondial de Bolloré le plafond de 10 % du chiffre d’affaires, prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. En effet, ce plafond doit être calculé sur la base du chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés constituant l’entité économique agissant en tant qu’« entreprise » au sens de l’article 81 CE (voir, en ce sens, arrêt HFB e.a./Commission, point 87 supra, point 528).

549    Il convient dès lors de rejeter l’ensemble des moyens pris d’une insuffisance de preuves, de la violation de l’article 253 CE, de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement, de l’absence de détermination individuelle des amendes, de constatations factuelles erronées, d’erreurs d’appréciation et d’erreurs de droit, dans l’évaluation de la gravité de l’infraction.

E –  Sur les moyens relatifs à la durée de l’infraction

550     Il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la durée de l’infraction constitue l’un des éléments à prendre en considération pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de concurrence.

551    En ce qui concerne le facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu au titre de la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tiret).

552    Aux considérants 414 à 416 de la décision, la Commission expose que :

« (414) [...] l’infraction a été de moyenne durée (un à cinq ans) pour chacune des entreprises concernées.

(415) AWA, Copigraph (Bolloré), Koehler, Sappi, MHTP (Stora), Torraspapel et Zanders ont commis une infraction d’une durée de trois ans et neuf mois. Les montants de départ déterminés sur la base de la gravité [...] sont donc majorés au total de 35 % pour chacune d’elles.

(416) Dans les cas de Mougeot, Carrs, Divipa et Zicuñaga, la durée de l’infraction a varié entre un an et quatre mois et trois ans et cinq mois. Les montants de départ déterminés sur la base de la gravité sont donc majorés de 30 % pour Mougeot, de 25 % pour Carrs, de 25 % pour Divipa et de 10 % pour Zicuñaga. »

553    Plusieurs requérantes ont contesté les constatations de la Commission relatives à la durée de l’infraction commise par celles-ci. Il y a lieu de renvoyer à cet égard aux points 256 à 371 ci-dessus dont il ressort que les majorations opérées par la Commission en raison de la durée de l’infraction sont fondées.

554    Par ailleurs, toujours en ce qui concerne la majoration liée à la durée de l’infraction, AWA fait valoir que la Commission a appliqué la majoration d’amende liée à la durée de l’infraction, non pas, comme il a été indiqué au considérant 415 de la décision, au montant de départ de l’amende, mais à un montant équivalant au double de celui-ci.

555    Il est exact que le considérant 415 de la décision renvoie aux « montants de départ déterminés sur la base de la gravité » et ajoute entre parenthèses un renvoi au considérant 409 qui contient les montants de départ des amendes établis en fonction de la gravité hors majoration à des fins dissuasives.

556    La Commission admet qu’il s’agit là d’une coquille et qu’elle aurait dû renvoyer au considérant 412, qui indique le montant incluant la majoration à des fins dissuasives.

557    En tout état de cause, le résultat final ne change pas. Certes, pour rester dans la logique de la décision, il aurait été préférable de renvoyer au montant de départ déjà majoré à des fins dissuasives. Cependant, le résultat n’aurait pas été différent en faisant le calcul dans l’ordre inverse, c’est‑à-dire en augmentant de 35 %, en raison de la durée de l’infraction, le montant de départ de 70 millions d’euros, puis en le doublant à des fins dissuasives. Le montant de base de l’amende d’AWA serait resté celui énoncé au considérant 417.

558    Il y a dès lors lieu de rejeter les moyens relatifs à la durée de l’infraction.

F –  Sur le moyen pris de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que d’une erreur d’appréciation factuelle

559    En raison du facteur aggravant que constitue le rôle de chef de file dans l’infraction, la Commission a majoré de 50 % le montant de base de l’amende infligée à AWA (considérant 424 de la décision).

560    Il convient de relever à titre liminaire que la prise en considération du rôle de chef de file est conforme à la jurisprudence et aux lignes directrices.

561    Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, point 446 supra, point 623), ce qui implique, en particulier, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 149 supra, point 150, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T‑6/89, Rec. p. II‑1623, point 264). Il en résulte, notamment, que le rôle de « chef de file » joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d’une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l’amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (arrêts de la Cour IAZ e.a./Commission, point 121 supra, points 57 et 58, et du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C‑298/98 P, Rec. p. I‑10157, point 45 ; arrêt Mayr‑Melnhof/Commission, point 446 supra, point 291). Conformément à ces principes, le point 2 des lignes directrices établit, sous le titre de circonstances aggravantes, une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base de l’amende comprenant, notamment, le « rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction (arrêt ADM/Commission, points 238 à 240).

562    Toutefois, AWA allègue qu’il n’existe pas, ou peu, de preuves de son leadership dans l’infraction et que, en tout état de cause, une majoration de 50 % est disproportionnée et contraire au principe d’égalité de traitement par rapport à d’autres entreprises ayant assumé un rôle de leader dans l’infraction.

1.     Erreur d’appréciation factuelle

563    Selon les considérants 418 et 419 de la décision, un ensemble d’éléments montrent qu’AWA a assumé le rôle de chef de file dans l’infraction, dont notamment la convocation et l’animation de certaines réunions, son rôle d’instigatrice de la restructuration de l’entente, le lancement de hausses de prix, la surveillance de la mise en application de l’entente.

564    AWA répond point par point à chacune de ces allégations. La prise en charge de l’organisation matérielle de certaines réunions ne ferait pas d’elle le leader de l’entente, d’autant moins que d’autres entreprises se seraient occupées de réserver des salles pour des réunions générales ou locales du cartel. Tout en supposant, faute d’indications plus précises, que son prétendu rôle d’instigatrice est à mettre en relation avec la fonction de l’AEMCP assumée à l’époque par M. B., AWA affirme que cette fonction ne saurait constituer la preuve d’un quelconque leadership de sa part. Les prétendues hausses de prix dont elle serait à l’origine ne seraient corroborées par aucune preuve et reposeraient sur des déclarations de Mougeot qui ne seraient pas fiables. AWA n’aurait pas été la seule à annoncer des hausses de prix et le fait qu’elle ait été la première s’expliquerait par sa position de leader du marché, position qui ne serait pas critiquable et ne ferait pas d’elle le leader de l’infraction. AWA conteste avoir exercé des pressions sur quelque producteur que ce soit et il n’existerait pas de preuve d’un usage effectif de sa position de leader sur le marché pour faire respecter les accords ou du moins de preuve de menaces en ce sens. Même en admettant l’exactitude des déclarations de Mougeot, celles-ci démontreraient tout au plus qu’AWA a parfois utilisé un langage ferme à l’égard d’autres producteurs.

565    Il convient de relever que certains éléments ne sont pas contestés en eux-mêmes par AWA mais plutôt dans l’interprétation qu’en fait la Commission. Ainsi AWA ne conteste pas qu’elle a pris en charge l’organisation matérielle de certaines réunions ni que M. B. dirigeait l’AEMCP lors de la restructuration de celle-ci ni même qu’elle a annoncé des hausses de prix et qu’elle a été la première à le faire ni, enfin, qu’elle a demandé et reçu l’autorisation de vérifier les informations sur les volumes de vente de Sarrió dans les locaux de cette entreprise.

566    Or il ressort du considérant 423 que c’est l’ensemble de ces éléments qui ont conduit la Commission à conclure au rôle de chef de file d’AWA :

« Un ensemble cohérent de preuves montrent qu’AWA, qui détenait un leadership économique sur le marché du papier autocopiant et était en mesure d’exercer une pression sur ses concurrents du fait qu’elle achetait ou distribuait une grande partie de la production de certains petits fournisseurs, a également joué un rôle clé dans la surveillance et dans la mise en application des accords. »

567    Dès la CG, la Commission affirmait :

« Il est hors de doute qu’AWA, qui est le premier producteur de papier autocopiant d’Europe, était l’animateur principal de l’entente dans tout l’EEE, exception faite de l’Espagne. Les preuves factuelles […] au sujet des réunions collusoires montrent que nombre d’entre elles ont été convoquées et animées par des représentants d’AWA. […] En outre, certains éléments portent à croire que les hausses de prix convenues à deux réunions générales, au moins, et à plusieurs réunions nationales émanaient d’AWA et que [celle]-ci a exigé des autres participants qu’ils appliquassent les mêmes hausses. Le rôle d’animateur de l’entente assumé par AWA est, en outre, corroboré par certains documents qui montrent qu’AWA était le premier à annoncer les hausses de prix du marché et que d’autres concurrents suivaient ces annonces. Dans le procès-verbal de la réunion générale du cartel du 2 février 1995, il est explicitement indiqué qu’AWA serait le premier à annoncer les hausses de prix convenues à la réunion. »

568    Force est de constater, en premier lieu, que, même si, comme le fait valoir AWA, d’autres entreprises ont pu à telle ou telle occasion réserver des salles, convoquer certaines réunions ou annoncer des hausses de prix, aucune ne réunit en elle autant d’éléments concourant à établir un rôle de leader qu’AWA. À cet égard, par exemple, s’il est vrai que Koehler a également présidé l’AEMCP à partir de janvier 1995, le rôle de M. F. (Koehler) ne saurait être comparé à celui de M. B. (AWA) qui a modifié le fonctionnement de l’entente.

569    Il s’avère, en second lieu, que les membres de l’entente n’ont mis en avant aucun élément venant infirmer le rôle de leader assuré par AWA. Au contraire, les déclarations de Mougeot évoquées aux considérants 95, 97, 104, 108, 120, 141, 143, 193, 194, 210, 234 et 246 de la décision, et notamment celles mentionnées au point 439 ci-dessus, tendent à corroborer le rôle de leader d’AWA.

570    AWA conteste toutefois la valeur probante des déclarations de Mougeot qui auraient été motivées par l’intérêt de cette entreprise à apparaître comme la victime de pressions exercées par AWA et à bénéficier de la clémence de la Commission en échange de tels renseignements.

571    À cet égard, force est de constater que, même s’il existe certains différends entre Mougeot et AWA, les déclarations de Mougeot concordent, de façon générale, sur de nombreux points, notamment sur la structure et l’historique de l’entente, avec celles d’AWA, du reste également destinées à bénéficier des dispositions de la communication sur la coopération (voir, notamment, points 163 à 168 et 261 ci-dessus). La crédibilité des déclarations de Mougeot ne saurait dès lors être remise en cause uniquement en ce qui concerne le rôle de leader joué par AWA, et ce d’autant moins lorsque ce rôle de chef de file est corroboré par un faisceau de preuves cohérentes et convergentes.

572    Par ailleurs, il convient de souligner que, outre les déclarations de Mougeot, ce faisceau de preuves inclut des documents trouvés par la Commission chez Sappi (considérant 103 de la décision) et des déclarations et communications de cette dernière entreprise (voir considérant 181 ainsi que le renvoi, aux considérants 228 et 233, à la page 7 du dossier de la Commission contenant des déclarations de Sappi). Il ne saurait donc être prétendu que la thèse de la Commission n’est étayée que par les déclarations de Mougeot.

573    Enfin, s’agissant des pressions exercées par AWA sur d’autres entreprises, la Commission précise, dans son mémoire en défense, qu’elle n’a pas accusé AWA d’avoir poussé d’autres entreprises à participer à l’entente, bien que certaines, comme Carrs et Torraspapel aient affirmé dans leurs réponses à la CG qu’elles avaient agi sous la pression d’AWA.

574    Or, certes, au considérant 425 de la décision, dans le cadre de l’examen des circonstances atténuantes liées au rôle exclusivement passif, la Commission mentionne le fait que « Carrs, Copigraph et Torraspapel affirment avoir joué un rôle exclusivement passif dans l’infraction et avoir été forcées à participer à l’entente en raison de pressions exercées sur elles par le chef de file du cartel, AWA » et que « Koehler soutient également que les menaces proférées par AWA ont été un facteur qui l’a déterminée à prendre part à la collusion ». Toutefois, il s’agit là de l’exposé des arguments avancés par ces parties en réponse à la CG pour obtenir des circonstances atténuantes à ce titre, arguments que la Commission rejette ensuite aux considérants 426 et 427 de la décision.

575    Force est par ailleurs de constater que les éléments mis en avant par la Commission aux considérants 418 à 423 de la décision pour établir le rôle de chef de file d’AWA ne font pas référence à de telles incitations ou menaces de sa part visant à faire participer des entreprises à l’entente. AWA ne saurait donc faire valoir qu’elle a été accusée à tort de telles menaces ni qu’elle n’a pas eu accès aux déclarations des entreprises en faisant état. Il résulte des considérants 420 à 422 de la décision et des écritures d’AWA qu’elle a saisi le grief de meneur sous tous ses aspects et exercé les droits de la défense en le contestant. Elle ne saurait invoquer de violation des droits de la défense à cet égard.

576    L’ensemble des considérations qui précèdent amènent le Tribunal à considérer que la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en concluant, sur la base d’un faisceau d’indices cohérents et convergents, qu’AWA a assumé le rôle de chef de file dans l’infraction.

577    Il convient de vérifier à présent si ce rôle justifiait une majoration de 50 % de l’amende d’AWA.

2.     Violation du principe de proportionnalité

578    AWA fait valoir que, quand bien même elle aurait été le leader de l’infraction, une telle circonstance ne justifiait pas une majoration de l’amende de 50 %. Pour établir le caractère disproportionné de cette majoration, elle se fonde sur la pratique décisionnelle de la Commission et elle compare sa situation avec celle des autres entreprises dont l’amende a été augmentée au même titre.

579    Toutefois, l’argument selon lequel une majoration de 50 % serait supérieure à la majoration généralement appliquée dans les autres décisions de la Commission n’est pas de nature à révéler une violation du principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt ADM/Commission, point 248).

580    À cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lors de la détermination du montant de chaque amende, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation et n’est pas tenue d’appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59, et Mo och Domsjö/Commission, point 67 supra, point 268, confirmé, sur pourvoi, par arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C‑283/98 P, Rec. p. I‑9855, point 47). 

581    À titre surabondant, et en réponse à l’argument selon lequel le taux de 50 % représente, en termes de pourcentage, la majoration la plus élevée jamais imposée en raison du rôle de chef de file et, en termes absolus, la deuxième majoration fondée sur un tel motif, il convient d’observer que ce taux ne saurait être considéré comme exceptionnel.

582    En effet, dans sa décision 2002/271/CE, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E‑1/36.490 – Électrodes de graphite) (JO 2002, L 100, p. 1), la Commission a imposé à SGL Carbon AG une majoration de 85 % au titre des circonstances aggravantes. Il est cependant exact que le rôle de chef de file n’était pas la seule circonstance aggravante, SGL Carbon s’étant également vu reprocher son obstruction à l’enquête de la Commission et son refus de mettre fin aux infractions. Dans le cas d’UCAR International Inc., la majoration s’est élevée à 60 % pour son rôle de chef de file et d’instigateur ainsi que pour la poursuite de l’infraction après les vérifications. Dans la décision 1999/210/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (affaire IV/F‑3/33.708 − British Sugar plc, affaire IV/F‑3/33.709 − Tate & Lyle plc, affaire IV/F-3/33.710 − Napier Brown & Company Ltd, affaire IV/F-3/33.711 − James Budgett Sugars Ltd) (JO L 76, p. 1), la majoration a été de 75 %. British Sugar plc a été sanctionnée pour son rôle d’instigateur et de « force agissante derrière l’infraction », mais aussi parce qu’elle avait violé ses engagements de respect du droit communautaire et avait commis deux infractions aux règles de concurrence sur le même marché.

583    Par ailleurs, un taux de majoration de 50 % a été appliqué à d’autres entreprises pour leur rôle de chef de file, par exemple à F. Hoffmann-La Roche AG par la décision 2003/2/CE de la Commission, du 21 novembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E-1/37.512 – Vitamines) (JO L 6, p. 1), ainsi qu’à Archer Daniels Midland et à Ajinomoto par la décision 2001/418/CE de la Commission, du 7 juin 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/36.545/F3 – Acides aminés) (JO L 152, p. 24).

584    Toutefois, AWA estime que, d’après la pratique décisionnelle de la Commission, l’application de ce taux de 50 % nécessite un élément d’instigation ou de coercition.

585    Quant à l’élément d’instigation, il convient d’observer que, dans la décision 2001/418, une majoration de 50 % a été imposée à ADM alors que le rôle d’instigatrice a clairement été imputé à Ajinomoto. Cet exemple milite par conséquent contre la thèse d’AWA sur la nécessité d’un élément d’instigation pour l’application d’un taux de 50 %.

586    Toutefois, quand bien même il y aurait lieu de souscrire à la thèse d’AWA selon laquelle l’application d’un taux de majoration de 50 % nécessite un élément d’instigation, celui-ci ne ferait pas défaut en l’espèce. En effet, AWA a convoqué et animé plusieurs réunions du cartel, a été l’« instigateur de la restructuration de l’entente » (considérant 418 de la décision), a pris l’initiative de plusieurs hausses de prix et était souvent la première à annoncer les hausses de prix sur le marché. La majoration de 50 % ne saurait donc être considérée comme disproportionnée (voir points 568 à 576 ci-dessus).

587    À titre surabondant, en ce qui concerne l’élément de coercition, il y a lieu de relever que les lignes directrices mentionnent également parmi les circonstances aggravantes les mesures de rétorsion sur d’autres entreprises en vue de faire respecter les décisions ou pratiques infractionnelles. Ces mesures sont donc en elles-mêmes une circonstance aggravante différente de celle du rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction.

588    Par ailleurs, en l’espèce, selon le considérant 104 de la décision, les déclarations de Mougeot font état de menaces, puisque « [M. B.] a très explicitement indiqué qu’il ne tolérerait pas que cette hausse de prix ne soit pas suivie et qu’il s’occuperait personnellement de tous ceux qui ne joueraient pas le jeu ».

589    De plus, il ne saurait être exclu que le leadership économique incontestable que détenait AWA sur le marché du papier autocopiant lui procurait un certain pouvoir coercitif. Les déclarations de Mougeot évoquées au point 439 ci-dessus vont en ce sens.

590    Dès lors, la majoration de 50 % de l’amende d’AWA en raison de son rôle de chef de file ne viole pas le principe de proportionnalité.

3.     Violation du principe d’égalité de traitement

591    Selon AWA, la majoration de 50 % de l’amende en raison de son rôle de chef de file viole aussi le principe d’égalité de traitement dans la mesure où plusieurs entreprises ont joué un rôle identique au sien. Koehler aurait organisé plusieurs réunions. Torraspapel, Mougeot et MHTP auraient joué un rôle moteur dans les accords nationaux, en prenant en charge l’organisation matérielle de réunions. La décision décrirait Torraspapel comme le leader du cartel sur le marché espagnol. Ne pas majorer également l’amende de ces entreprises constituerait donc une discrimination injustifiée.

592    Il convient d’observer qu’il n’existe à l’égard d’aucune de ces entreprises un faisceau d’éléments cohérents et convergents de même nature et importance que celui qui désigne AWA comme chef de file de l’infraction visée. Le fait que l’une ou l’autre de ces entreprises ait pu avoir telle ou telle fonction dans l’entente n’en fait pas un chef de file. C’est l’addition d’un certain nombre d’éléments, corroborés par les déclarations de plusieurs entreprises, qui confère cette qualité à AWA (voir points 568 à 576 ci-dessus).

593    C’est donc à bon droit que la Commission a majoré de 50 % l’amende d’AWA au titre des circonstances aggravantes.

G –  Sur les moyens tirés de la violation de l’article 253 CE, de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, de l’absence de détermination individuelle des amendes, d’une interprétation trop restrictive des lignes directrices en matière d’amendes, ainsi que d’erreurs manifestes d’appréciation, résultant du défaut de prise en compte de certaines circonstances atténuantes

1.     Rôle exclusivement passif ou suiviste dans l’entente

594    Plusieurs requérantes (Bolloré, Zanders, Mougeot, Divipa et Zicuñaga) font valoir qu’elles n’ont joué qu’un rôle passif, suiviste ou marginal dans l’entente. La Commission aurait donc dû réduire leur amende au titre des circonstances atténuantes.

595    La Commission rejette leurs arguments au motif que tous les participants à l’entente en étaient des membres actifs.

596    Il convient de rappeler que, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d’examiner la gravité relative de la participation à l’infraction de chacune d’entre elles (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 446 supra, point 623, et Commission/Anic Partecipazioni, point 149 supra, point 150), afin de déterminer s’il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

597    Les points 2 et 3 des lignes directrices prévoient une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances aggravantes et atténuantes. En particulier, le « rôle exclusivement passif ou suiviste » d’une entreprise dans la réalisation de l’infraction constitue, s’il est établi, une circonstance atténuante, conformément au point 3, premier tiret, des lignes directrices, étant précisé que ce rôle passif implique l’adoption par l’entreprise concernée d’un « profil bas », c’est‑à‑dire une absence de participation active à l’élaboration du ou des accords anticoncurrentiels (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, points 165 à 167).

598    Par ailleurs, les requérantes ne sauraient soutenir que le fait qu’elles n’étaient pas un des chefs de file de l’entente aurait dû conduire à une réduction du montant de leur amende. En effet, en alléguant qu’elles n’ont pas joué un rôle actif, elles ne font valoir que l’absence d’une circonstance aggravante (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Lögstör Rör/Commission, point 93 supra, point 322, et du 20 mars 2002, Dansk Rørindustri/Commission, T‑21/99, Rec. p. II‑1681, point 230).

599    Selon Bolloré, la Commission a déduit de la participation régulière de Copigraph aux réunions de l’entente et aux initiatives de hausses de prix qu’elle n’avait pas joué un rôle exclusivement passif. Or, à son avis, une participation régulière aux réunions et aux mesures de hausses de prix ne permet pas d’exclure que l’entreprise concernée ait uniquement joué un rôle de suiveur dans l’entente. La Commission serait tenue de vérifier concrètement le degré de participation de l’entreprise concernée à l’entente, sous l’angle quantitatif et qualitatif. Or Bolloré aurait été le membre de l’AEMCP le moins assidu aux réunions.

600    Il y a lieu de relever à cet égard que le taux de participation de Copigraph, tel que reconnu par Bolloré dans sa requête, à savoir 15 sur les 21 réunions de l’AEMCP, 8 des 11 réunions tenues entre le 14 septembre 1993 et septembre 1995 et 3 des 4 réunions générales, sans compter sa participation aux réunions nationales sur le marché français et à 4 des 6 réunions concernant le marché espagnol, n’est pas négligeable. Il n’établit en tout cas pas un caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l’entente au sens de l’arrêt BPB de Eendracht/Commission, point 501 supra (point 343). Sa participation à ces réunions et à des initiatives de hausses de prix ainsi que l’aveu de sa participation à l’entente ne témoignent donc pas d’un rôle exclusivement passif ou suiviste.

601    Toutefois, Bolloré semble affirmer que dès lors qu’une entreprise invoque un rôle passif, la Commission doit lui accorder des circonstances atténuantes et réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée, sauf à démontrer que l’entreprise a effectivement eu un rôle actif. Cette thèse ne saurait prospérer.

602    En effet, il n’est pas indiqué dans les lignes directrices que la Commission doit toujours prendre en compte séparément chacune des circonstances atténuantes énumérées au point 3. Il convient de considérer que si les circonstances énumérées dans la liste figurant au point 3 des lignes directrices sont certainement parmi celles qui peuvent être prises en compte par la Commission dans un cas donné, celle-ci n’est pas obligée d’accorder une réduction supplémentaire à ce titre de manière automatique, dès lors qu’une entreprise avance des éléments de nature à indiquer la présence d’une de ces circonstances. En effet, le caractère adéquat d’une éventuelle réduction de l’amende au titre des circonstances atténuantes doit être apprécié d’un point de vue global en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes. En l’absence d’une indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes.

603    En tout état de cause, les lignes directrices citent, parmi les exemples de circonstances atténuantes, un rôle « exclusivement » passif ou suiviste dans la réalisation de l’infraction. Or, la participation à la majorité des réunions collusoires est déjà suffisamment active pour ne pas être « exclusivement » passive ou suiviste.

604    Mougeot dénonce le caractère disproportionné de l’amende qui lui a été infligée au regard de son degré de responsabilité dans l’entente. Toutefois, les arguments qu’elle fait valoir ne sauraient établir qu’elle a joué un rôle exclusivement passif ou suiviste, ce qu’elle n’allègue d’ailleurs pas. Le fait qu’elle n’ait pas joué un rôle de meneur ne saurait pas davantage conduire à une diminution de l’amende, pour la raison indiquée au point 598 ci-dessus.

605    Divipa avance que la Commission n’a pas tenu compte de son rôle exclusivement passif et subordonné dans l’entente. Elle affirme n’avoir participé à aucune réunion ni prise de décision des producteurs de papier autocopiant et n’avoir entretenu avec eux que des relations purement verticales en sa qualité de simple distributeur. Cependant, le Tribunal a jugé qu’il y avait lieu de rejeter le moyen de Divipa visant à contester sa participation à l’infraction (voir points 155 à 221 ci-dessus). Sa participation à des réunions collusoires sur le marché espagnol étant établie, son rôle ne saurait être qualifié d’exclusivement passif. Qu’elle ait participé à ces réunions en qualité de distributeur ne saurait modifier cette conclusion.

606    Zicuñaga cite, parmi les circonstances atténuantes dont la Commission aurait dû tenir compte pour le calcul de l’amende qui lui a été infligée, son rôle exclusivement passif ou suiviste dans l’infraction. À l’appui de cette affirmation, elle invoque uniquement des décisions de la Commission dans lesquelles celle-ci a traité différemment les chefs de file et les membres ordinaires.

607    Toutefois, la Commission ayant établi la participation de Zicuñaga à des réunions collusoires concernant le marché espagnol (voir points 155 à 243 ci-dessus), Zicuñaga ne saurait être fondée à bénéficier d’une diminution de l’amende qui lui a été infligée en arguant simplement de son rôle exclusivement passif ou suiviste sans apporter aucun élément de nature à le prouver.

608    Quant à Zanders, elle ne conteste pas avoir été membre de l’entente pour la période comprise entre janvier 1992 et septembre 1995, ce qui lui a d’ailleurs permis d’obtenir une réduction de l’amende au titre de la communication sur la coopération, mais elle nie le rôle actif, voire de premier plan, que la Commission lui reproche d’avoir joué dans l’entente. Elle conteste sa présence à certaines réunions et ajoute que les preuves directes à la disposition de la Commission établissent qu’elle n’a pas participé à d’importants volets de l’entente ou, du moins, qu’elle y a participé dans une mesure moindre que d’autres entreprises en se cantonnant à un rôle de suiviste. Zanders nie en particulier sa participation aux réunions non officielles de l’AEMCP après sa restructuration à l’automne 1993.

609    Il convient de relever que le fait que la participation de Zanders à certaines réunions puisse ne pas être établie et qu’elle ait été plus active dans les accords collusoires au niveau national qu’au niveau européen ne prouve pas qu’elle ait eu un rôle exclusivement passif ou suiviste. Zanders dit du reste elle-même ne pas nier dans le principe que des concertations ont eu lieu avec elle après certaines réunions auxquelles elle n’était pas présente. Par ailleurs, malgré sa décision de ne plus participer aux réunions non officielles de l’AEMCP à partir de sa restructuration, Zanders a reconnu à l’audience avoir omis de signaler aux autres membres qu’elle se distanciait de l’entente ou n’y participait plus. Elle a donc continué à être perçue comme un membre à part entière par les autres participants et à être informée du résultat des réunions collusoires. Enfin, il ressort des déclarations de Zanders à l’audience qu’elle a appliqué les décisions prises aux réunions auxquelles elle n’était pas représentée, sauf dans quelques cas où elle ne les a pas suivies. Ces éléments infirment donc la thèse d’une attitude exclusivement passive de Zanders.

610    Zanders paraît surtout tenter d’établir qu’elle n’a pas joué un « rôle de premier plan ». Or, selon la jurisprudence citée au point 598 ci‑dessus, par cette allégation, elle ne fait qu’invoquer l’absence de circonstance aggravante.

611    Quant à la discrimination dont Zanders aurait fait l’objet par rapport à d’autres entreprises nettement plus actives dans l’entente selon elle, l’appréciation du rôle exclusivement passif ou suiviste dans l’entente doit se faire pour chaque entreprise individuellement. Le fait que d’autres entreprises aient pu être plus actives n’implique pas automatiquement que Zanders ait eu un rôle exclusivement passif ou suiviste. Seule sa passivité totale pourrait entrer en ligne de compte, or elle n’est pas établie.

612    En conclusion, c’est à bon droit que la Commission fait valoir que toutes les entreprises participant à l’entente en ont été des membres actifs dans la mesure où elles ont participé à des réunions au cours desquelles elles ont échangé des informations et décidé des hausses de prix qui ont ensuite été annoncées aux clients. S’il est vrai qu’elles n’ont pas forcément été toutes aussi actives sur tous les aspects de l’infraction et sur tout le marché, aucune n’a joué, à proprement parler, un rôle exclusivement passif ou suiviste. La Commission a donc correctement appliqué les lignes directrices qui ne prévoient pas de gradation entre le rôle de meneur et le rôle exclusivement passif ou suiviste.

2.     Taille et influence sur le marché de l’entreprise contrevenante

613    Divipa estime qu’elle n’aurait pas dû être classée dans la même catégorie que Carrs et Zicuñaga parce qu’elle constitue une entreprise familiale de petite taille qui exerce ses activités de transformation et de distribution uniquement à un niveau local. L’infraction retenue contre elle n’aurait eu aucun effet restrictif sur la concurrence.

614    La Commission affirme qu’elle a tenu compte de l’influence limitée de Divipa en la classant dans la cinquième catégorie. Toutes les entreprises membres de l’entente ayant enfreint les règles de concurrence, l’argumentation de Divipa ne saurait conduire à la classer dans une catégorie inférieure à celle de Carrs et de Zicuñaga.

615    À cet égard, force est de constater, d’une part, que la petite taille de Divipa a été dûment prise en compte, puisqu’elle a été classée dans la dernière catégorie avec une amende dont le montant de départ a été fixé à 1,4 million d’euros alors que pour une infraction qualifiée de très grave ce montant aurait pu être supérieur à 20 millions d’euros. D’autre part, le Tribunal a déjà jugé que la circonstance selon laquelle la requérante constitue une entreprise familiale de taille moyenne ne peut aucunement constituer une circonstance atténuante (arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 338).

616    Quant à l’argument selon lequel l’infraction retenue contre Divipa n’aurait eu aucun effet restrictif sur la concurrence, l’appréciation des effets de l’entente ne saurait se limiter au seul marché sur lequel Divipa prétend opérer alors que l’entente a couvert l’ensemble du marché commun puis de l’EEE. Le commerce entre États membres a donc été affecté, de sorte que l’article 81 CE est applicable. S’il y avait lieu d’interpréter cet argument comme invoquant l’absence d’impact concret sur la concurrence de l’infraction retenue contre elle, il conviendrait de renvoyer aux points 445 à 459 ci-dessus.

617    Il n’y avait dès lors pas lieu d’accorder à Divipa une circonstance atténuante en raison de sa taille et de son influence limitée.

3.     Comportement sur le marché pendant la période de l’infraction

618    Divipa prétend qu’elle n’a jamais appliqué les accords prétendument conclus lors de réunions auxquelles elle n’a pas participé. Son comportement commercial aurait été à l’opposé du contenu desdits accords. L’incidence de son comportement sur le marché aurait donc été dérisoire, voire nulle.

619    Torraspapel fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’elle n’a pas respecté les accords de prix en dépit des pressions qu’elle a subies. L’évolution de sa politique de prix ne correspondrait aucunement aux prétendus accords de prix. Son comportement en matière de prix aurait régulièrement fait échec aux effets anticoncurrentiels de l’entente, ce qui suffirait pour que la Commission doive lui reconnaître une circonstance atténuante.

620    Zicuñaga allègue que, en vertu des lignes directrices et de la pratique de la Commission, il y a lieu de tenir compte, comme circonstance atténuante, du fait que l’accord prohibé n’a pas été appliqué ou ne l’a été que partiellement.

621    La Commission affirme qu’elle n’est pas tenue de retenir comme circonstance atténuante le non-respect d’un accord illicite. Elle invoque à cet égard, notamment, l’arrêt du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, point 468 supra (point 142).

622    Ainsi qu’il a déjà été rappelé, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d’examiner la gravité relative de la participation à l’infraction de chacune d’entre elles (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 446 supra, point 623, et Commission/Anic Partecipazioni, point 149 supra, point 150), afin de déterminer s’il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

623    Sous le point 3 « Circonstances atténuantes » des lignes directrices figure une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent amener à une diminution du montant de base de l’amende, parmi lesquelles la non-application effective des accords (point 3, deuxième tiret).

624    Il y a lieu de constater que ce texte n’énumère pas de manière impérative les circonstances atténuantes que la Commission serait tenue de prendre en compte. Par conséquent, la Commission conserve une certaine marge pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes.

625    Il importe de vérifier, à cet égard, si les circonstances avancées par les requérantes sont de nature à établir que, pendant la période au cours de laquelle elles ont adhéré aux accords infractionnels, elles se sont effectivement soustraites à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché (arrêt ADM/Commission, point 268 ; voir également, en ce sens, arrêt Ciment, point 49 supra, points 4872 à 4874).

626    En l’espèce, les éléments fournis par les requérantes ne permettent pas de considérer qu’elles se sont effectivement soustraites à l’application des accords infractionnels en cause en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché.

627    En ce qui concerne Torraspapel, s’il est vrai que l’on peut déduire des considérants 157, 166 et 216 de la décision que cette entreprise n’a pas toujours suivi les hausses de prix convenues ou les a suivies avec retard, de nombreux autres éléments (voir, notamment, considérants 204, 206, 215, 225 à 227, 236 à 238 de la décision) permettent d’établir qu’elle a, dans une large mesure, mis en œuvre ces accords. Il ressort, par exemple, des considérants 204 et 206 qu’AWA, Koehler, Sappi, Stora et Torraspapel ont annoncé, au cours de la période comprise entre janvier et mai 1994, des hausses de prix identiques à celles décidées à la réunion générale du 19 janvier 1994. De même, pour les mois de septembre et d’octobre 1994, AWA, Sappi, Stora, Torraspapel et Zanders ont annoncé des hausses de prix identiques à celles convenues à la réunion du 21 juin 1994 (considérant 215). En ce qui concerne la période allant de décembre 1994 à février 1995, la Commission affirme au considérant 225 avoir découvert que tous les participants à la réunion générale du 22 septembre 1994 – AWA, Koehler, Sappi, Stora, Torraspapel et Zanders – avaient annoncé des hausses de prix identiques à celles décidées lors de cette réunion. Enfin, dans un document daté du 16 février 1995 transmis par Sappi et cité au considérant 238, on peut lire que « la hausse de 6 % [bobines] au 1er mars 1995 est annoncée par les leaders du marché Sarrió/Stora/AWA ». Il ressort également de documents produits par la Commission que Torraspapel a parfois conclu des accords distincts pour certains gros clients en différant la hausse de prix convenue. Or, dans les chiffres qu’elle présente à l’appui de son argument tiré de l’inapplication des hausses de prix convenues, la requérante compare des prix mensuels moyens, sans mettre en lumière ces retards ou reports d’application.

628    Quant à Divipa, sa prétention de se présenter comme un simple distributeur qui ne serait pas en concurrence avec les autres entreprises impliquées n’est pas fondée. Même si elle achetait des grosses bobines aux fabricants, elle fabriquait elle-même des feuilles et des petites bobines qu’elle fournissait, comme d’autres entreprises impliquées, à des tiers. Sur les marchés espagnols et portugais, certains fabricants distribuaient eux-mêmes leurs produits et d’autres passaient par des distributeurs indépendants (considérant 153 de la décision). Les producteurs intégrés contrôlaient tout le processus et fixaient leur prix aux imprimeurs, alors que les producteurs non intégrés verticalement devaient discuter le prix de vente au distributeur. Il fallait dans ce cas fixer deux niveaux de prix : celui demandé par le producteur au distributeur et celui demandé par le distributeur aux tiers. Or, la note relative à la réunion de Barcelone du 19 octobre 1993 (document n° 4474, cité au considérant 192 et évoqué au point 173 ci-dessus) démontre que l’entente couvrait également ce dernier prix. En participant à l’entente, Divipa avait dès lors la possibilité d’agir sur sa marge bénéficiaire.

629    En outre, la Commission a établi que Divipa avait participé à des réunions collusoires sur le marché espagnol au cours desquelles des hausses de prix ont été décidées. Divipa fait toutefois valoir qu’elle n’a pas appliqué ces accords. En l’espèce, les éléments fournis par la requérante ne permettent cependant pas de considérer qu’elle n’a pas appliqué les accords litigieux, en ayant à cet égard un comportement sur le marché susceptible de contrarier les effets anticoncurrentiels de l’infraction constatée. En effet, les tableaux fournis par Divipa en annexe à sa requête montrent, par exemple, qu’en 1994 ses marges et prix de vente ont nettement augmenté malgré des surcapacités structurelles et un marché en déclin. Du reste, le seul fait qu’elle ait pu ne pas avoir un comportement pleinement conforme aux accords convenus, s’il était avéré, ne suffirait pas à obliger la Commission à lui accorder des circonstances atténuantes. En effet, la requérante pourrait, à travers sa politique plus ou moins indépendante sur le marché, simplement tenter d’utiliser l’entente à son profit (arrêts du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, point 468 supra, point 142, et Cascades/Commission, point 451 supra, point 230).

630    Les mêmes considérations que celles développées au point précédent dans le cas de Divipa sont applicables à Zicuñaga. La Commission a établi la participation de Zicuñaga à des réunions collusoires sur le marché espagnol au cours desquelles des hausses de prix ont été décidées. Or, s’il est vrai que Zicuñaga invoque comme circonstance atténuante l’inapplication de celles-ci, elle ne l’établit pas. Dans le cadre de son argumentation relative aux circonstances atténuantes, elle se contente de renvoyer à plusieurs décisions de la Commission, dont la plupart sont du reste antérieures à l’application des lignes directrices. Elle invoque le fait que, dans ces décisions, la Commission ait tenu compte, dans l’appréciation de la gravité de l’infraction, de l’inapplication ou de l’application limitée des accords en cause. Or, aux fins de l’évaluation des circonstances atténuantes, il y a lieu, conformément au principe d’individualité des peines et des sanctions, d’examiner la gravité relative de la participation de l’entreprise à l’infraction (arrêt ADM/Commission, point 265).

631    En tout état de cause, les données fournies par Zicuñaga dans d’autres passages de sa requête, non relatifs à la question des circonstances atténuantes, confirment que les prix de Zicuñaga et de Divipa ont connu une évolution parallèle. Il ressort, par ailleurs, également de la requête que les prix de Zicuñaga sont passés de 174,99 ESP en novembre 1993 à 210,99 ESP en décembre 1994. Le fait que les prix pratiqués par Zicuñaga ne correspondent pas exactement aux prix décidés lors des différentes réunions collusoires ne saurait à lui seul prouver que Zicuñaga n’a pas mis en œuvre les accords en cause.

632    À cet égard, il y a lieu de souligner que, la Commission affirme, au considérant 397 de la décision, que « [l]es éléments de preuve relatifs aux réunions et aux augmentations de prix […] montrent que, parfois, les augmentations décidées ont été reportées à des dates ultérieures, que des hausses un peu moins élevées que prévu ont été mises en œuvre […] ou que d’autres réunions ont été organisées pour réviser l’accord ». La Commission en déduit que l’entente a eu « une incidence sur la politique de fixation des prix des membres du cartel, même si les hausses mises en œuvre ont parfois été inférieures au niveau convenu ou retardées ».

633    La Commission n’a par conséquent pas prétendu que toutes les hausses de prix décidées avaient été mises en œuvre selon le montant fixé lors de la réunion en cause. L’inapplication du montant exact de la hausse décidée au cours de telle ou telle réunion ne saurait prouver que l’entente n’a pas eu d’incidence sur la politique de fixation des prix des membres du cartel, dont Zicuñaga faisait partie. Il ne saurait du reste être exclu que, en pratiquant des prix ne correspondant pas à ceux censés découler de l’application des accords tout en continuant à participer aux réunions collusoires sur le marché espagnol, Zicuñaga ait cherché à obtenir des autres membres de l’entente l’autorisation de vendre à des prix inférieurs à ceux visés par la décision générale (voir, en ce sens, arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 342, confirmé, sur pourvoi, par l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 409 supra). La note manuscrite de Mougeot du 21 octobre 1994, évoquée au point 177 ci‑dessus, atteste en tout cas que Zicuñaga a obtenu cette autorisation, ce qui peut constituer une autre manière de profiter de l’entente.

634    Dans ces conditions, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les éléments fournis dans la décision et les données apportées par Zicuñaga pour confirmer, sans demander d’informations complémentaires à la Commission, qu’il n’y a pas lieu d’accorder de circonstance atténuante à Zicuñaga au titre de la non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles.

635    C’est dès lors à bon droit que la Commission a décidé de ne pas accorder de circonstances atténuantes aux requérantes pour non‑application effective des accords ou pratiques infractionnelles.

4.     Existence de menaces et de pressions

636    Plusieurs requérantes (Koehler, Bolloré pour Copigraph et Torraspapel) font valoir que la Commission n’a pas pris en compte les menaces ou pressions dont elles ont fait l’objet, essentiellement de la part d’AWA.

637    S’il est vrai que, dans les considérants 104, 106 et 425 de la décision, la Commission rend compte de menaces proférées par AWA, elle affirme, au considérant 427 :

« [L]es menaces (du chef de file de l’entente en l’espèce) ne sauraient justifier des infractions aux règles de concurrence communautaires et de l’EEE. Au lieu de rejoindre le cartel, les entreprises auraient dû informer les autorités compétentes, notamment de la Commission, du comportement illégal de leurs concurrents, en vue d’y mettre fin. »

638    Force est de constater que l’existence de menaces et de pressions ne fait pas partie des circonstances atténuantes énumérées, de façon non exhaustive il est vrai, dans les lignes directrices.

639    En effet, ces pressions, quel que soit leur degré, ne sauraient constituer une circonstance atténuante. L’existence de telles pressions ne change rien à la réalité et à la gravité de l’infraction commise (arrêt du 28 juin 2005, Dansk Røhrindustri e.a./Commission, point 409 supra, point 370). Les requérantes auraient pu dénoncer les pressions dont elles faisaient l’objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l’article 3 du règlement n° 17 plutôt que de participer à l’entente (voir, en ce sens, arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 339). Cette considération vaut à l’égard de toutes les entreprises concernées en l’espèce, sans qu’il y ait lieu d’opérer une distinction entre elles en fonction du degré prétendu de l’intensité des pressions alléguées.

640    La Commission n’était par conséquent pas tenue de prendre en compte les menaces alléguées par certaines requérantes comme circonstance atténuante.

5.     Cessation de l’infraction

641    Bolloré, MHTP et Zanders font valoir que la Commission n’a pas tenu compte, comme circonstance atténuante dans leur cas, de la cessation de l’infraction dès les premières interventions de la Commission. Zicuñaga allègue, pour sa part, que dans plusieurs décisions antérieures la Commission a réduit l’amende au motif que l’infraction avait cessé avant l’adoption de la décision finale.

642    La Commission répond à MHTP, au considérant 429 de la décision, qu’elle n’a pris en considération, aux fins de l’appréciation de l’infraction, que la période limitée pour laquelle elle estimait disposer de preuves suffisantes. Elle ajoute que la matérialité de l’infraction ne faisant pas de doute, il convient de rejeter la prétention de MHTP selon laquelle la cessation précoce de l’infraction doit être considérée comme une circonstance atténuante.

643    Force est de constater que la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission figure au nombre des circonstances atténuantes énumérées expressément au point 3 des lignes directrices.

644    Néanmoins, il y a lieu de souligner que la Commission ne peut être tenue, en règle générale, ni de retenir une poursuite de l’infraction en tant que circonstance aggravante, ni de considérer la cessation d’une infraction comme circonstance atténuante (arrêt ABB/Commission, point 213).

645    Il s’avère en l’espèce que la date de la fin de l’infraction qui est reprochée aux requérantes concernées, à savoir septembre 1995 au plus tard, est antérieure aux premières interventions ou vérifications de la Commission qui remontent à janvier 1997.

646    Or, dans ce cas, l’application d’une réduction ferait double emploi avec la prise en compte, conformément aux lignes directrices, de la durée des infractions dans le calcul des amendes. Cette prise en compte a précisément pour objectif de sanctionner plus sévèrement les entreprises qui enfreignent les règles en matière de concurrence pendant une période prolongée que celles dont les infractions sont de courte durée. Ainsi, la réduction du montant d’une amende au motif qu’une entreprise a cessé ses comportements infractionnels avant les premières vérifications de la part de la Commission aurait pour effet d’avantager les responsables des infractions de courte durée une deuxième fois.

647    Toutefois, il ressort du considérant 348 de la décision que la Commission n’a pas pu établir la date à laquelle le cartel avait cessé. Elle a situé la fin de l’infraction en septembre 1995 parce qu’elle n’était en possession de preuves documentaires que jusqu’à cette date. La Commission n’exclut cependant pas que la collusion ait continué par la suite. Il n’en reste pas moins que les évènements postérieurs à septembre 1995 n’ont pas été pris en compte dans le calcul du montant des amendes en cause, de sorte qu’il convient de rejeter toute demande de réduction des amendes à ce titre.

648    À titre surabondant, s’il y avait lieu d’examiner les arguments des parties visant à une réduction de l’amende en raison de la cessation de l’infraction avant l’intervention de la Commission, la solution ne serait pas différente.

649    En effet, pour étayer sa demande de réduction de l’amende qui lui a été infligée en raison de la cessation de l’infraction avant l’intervention de la Commission, Zicuñaga se contente de citer des décisions de la Commission en ce sens.

650    Il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, la Commission n’est pas tenue par ses décisions antérieures, et ce d’autant moins que les décisions invoquées sont toutes antérieures à l’application des lignes directrices. Zicuñaga n’a, par ailleurs, invoqué aucun élément propre à sa situation qui justifierait la réduction de l’amende qui lui a été infligée en raison de la cessation précoce de l’infraction. Le fait que la durée de l’infraction qui lui est reprochée soit inférieure à celle imputée aux autres entreprises a déjà été pris en compte dans la mesure où la majoration qui lui a été appliquée au titre de la durée est inférieure à celle des autres entreprises.

651    Bolloré et MHTP ne fournissent pas davantage d’éléments de nature à établir qu’elles se trouvent, par rapport à la cessation de l’infraction, dans une situation particulière qui justifierait une réduction de leur amende.

652    Zanders, en revanche, n’invoque pas seulement la cessation de l’infraction mais aussi le rôle actif qu’elle a joué à cet égard. Elle met en avant plusieurs faits. Son directoire aurait exigé une stricte observation des règles du droit de la concurrence lors d’une réunion à l’automne 1995 avec les cadres concernés de l’entreprise. Cette réunion aurait marqué le début d’un important programme de mise en conformité dans le cadre duquel les employés de l’entreprise ont reçu une formation en droit de la concurrence. Le président d’International Paper aurait adressé, au printemps 1996, une lettre (annexe 8 à la requête) à tous les collaborateurs de la société les appelant au respect des règles de concurrence, lettre à laquelle étaient jointes des directives sur le respect du droit européen de la concurrence. Par ailleurs, vis-à-vis de l’extérieur, le président du directoire de Zanders, devenu président de l’AEMCP le 1er janvier 1996, aurait dans ce cadre indiqué aux concurrents, sans la moindre possibilité de malentendu, que Zanders avait « tiré un trait » sur l’entente. Le nombre de réunions de l’AEMCP aurait baissé en 1996 et Zanders n’aurait plus été représentée aux réunions secrètes.

653    Toutefois, s’il est certes important que la requérante ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, ce fait ne change rien à la réalité de l’infraction qui a été constatée en l’espèce. Cette circonstance n’obligeait pas la Commission à réduire, à titre de circonstance atténuante, le montant de l’amende de la requérante (arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 409 supra, point 373, confirmant, sur pourvoi, l’arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 345). Cette conclusion vaut d’autant plus en l’espèce que la Commission n’a pas pris en compte, dans son calcul de l’amende, la période au cours de laquelle Zanders allègue avoir pris des mesures pour mettre fin à l’infraction.

654    À titre surabondant, il y a lieu de relever que le rôle actif qu’aurait joué Zanders dans la cessation de l’entente, notamment en sa qualité de présidente de l’AEMCP, paraît difficilement conciliable avec le rôle exclusivement passif ou suiviste qu’elle prétend avoir eu dans l’infraction.

655    Enfin, et en tout état de cause, à l’égard de toutes les entreprises invoquant ce moyen, la Commission ne saurait aucunement être obligée d’accorder, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, une réduction d’amende pour la cessation d’une infraction manifeste, que cette cessation ait eu lieu avant ou après ses interventions.

656    En l’espèce, la fixation des prix dans le secteur du papier autocopiant ayant indubitablement été une infraction manifeste, qualifiée par la Commission à juste titre de « très grave » (voir points 434 à 442 ci-dessus), c’est à tort que les requérantes reprochent à la Commission de ne pas leur avoir concédé une réduction d’amende en raison de la cessation de leur participation à cette infraction avant l’ouverture de l’enquête.

6.     Situation économique du secteur du papier autocopiant

657    De nombreuses requérantes (Bolloré, Zanders, Mougeot, AWA soutenue par le Royaume de Belgique, Koehler) font grief à la Commission de ne pas avoir, contrairement à une pratique décisionnelle établie, tenu compte de la crise traversée à l’époque litigieuse par le secteur du papier autocopiant.

658    Au point 5, intitulé « Remarques générales », les lignes directrices prévoient qu’il convient, selon les circonstances, de prendre en considération « certaines données objectives telles qu’un contexte économique spécifique ».

659    Il ressort des considérants 24, 25 et 392 de la décision que le marché du papier autocopiant se caractérisait par une surcapacité structurelle et une demande décroissante en raison de l’utilisation de supports électroniques. Plusieurs entreprises ont affirmé avoir subi des pertes importantes au cours de la période litigieuse.

660    La Commission admet elle-même, au considérant 392 de la décision, que, au cours de la période couverte par la décision, « le marché du papier autocopiant était en déclin ». Elle considère, toutefois, au considérant 431, que les informations reçues en réponse à la CG et le rapport de la société Mikulski Hall Associates (ci‑après le « rapport MHA ») commandé par l’AEMCP ne permettent pas de conclure que le secteur du papier autocopiant était, pendant la durée de l’infraction, entre 1992 et 1995, dans une situation de crise comparable à celle des secteurs concernés dans les affaires de concurrence antérieures mentionnées par les entreprises.

661    La Commission fait valoir que les ententes trouvent souvent leur origine dans une situation de crise économique, de sorte que la possibilité de tenir compte des difficultés économiques du secteur concerné n’est envisageable que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Or la période de l’infraction ne pourrait être qualifiée de période de crise particulièrement grave. En effet, malgré le début d’une phase de déclin, les ventes se seraient maintenues à un niveau élevé.

662    La Commission prétend que la question de l’existence et de l’ampleur éventuelle d’une crise dans le secteur concerné implique de sa part l’appréciation de données économiques complexes, à l’égard de laquelle le contrôle du juge communautaire est limité à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir.

663    À l’égard de la situation du secteur du papier autocopiant, il suffit de rappeler que, dans son arrêt Lögstör Rör/Commission, point 93 supra (points 319 et 320), le Tribunal a jugé que la Commission n’était pas tenue de considérer comme circonstance atténuante la mauvaise santé financière du secteur en cause. Le Tribunal a également confirmé que ce n’était pas parce que la Commission avait tenu compte, dans de précédentes affaires, de la situation économique du secteur comme circonstance atténuante qu’elle devait nécessairement continuer à observer cette pratique (arrêt du 10 mars 1992, ICI/Commission, point 56 supra, point 372). En effet, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, en règle générale, les cartels naissent au moment où un secteur connaît des difficultés. Si l’on suivait le raisonnement des requérantes, l’amende devrait régulièrement être réduite dans la quasi-totalité des cas. Il est donc inutile de vérifier davantage si les faits de l’espèce et ceux à l’origine d’autres décisions, dans lesquelles des crises structurelles ont été considérées comme des circonstances atténuantes, étaient vraiment comparables (arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 496 supra, point 345).

664    À titre surabondant, il y a lieu de constater que la Commission a tenu compte de la situation du secteur du papier autocopiant et que les requérantes n’ont pas démontré que l’analyse de la situation du marché réalisée par la Commission était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation ni d’un détournement de pouvoir. À ce propos, il y a lieu de rappeler la jurisprudence de la Cour (arrêts du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 34, et du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 62) selon laquelle, si le juge communautaire exerce de manière générale un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE se trouvent ou non réunies, le contrôle qu’il exerce sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission se limite nécessairement à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (arrêt de la Cour du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, Rec. p. I‑3111, point 34).

665    À titre encore plus surabondant, il ressort du rapport MHA (considérants 25 à 28 de la décision) que, si la progression de la demande s’est ralentie à partir de 1990/1991, la véritable baisse a eu lieu dans le courant de l’année 1995, c’est-à-dire vers la fin de l’infraction constatée dans la décision. Les parties n’ont fourni aucun élément de nature à infirmer ces données. Or, celles-ci donnent à penser que, s’il est vrai que le marché était en déclin, le début de la crise coïncide avec la fin de l’infraction.

666    C’est dès lors à bon droit que la Commission a considéré que la situation du marché du papier autocopiant ne constituait pas une circonstance atténuante.

7.     Absence de profit tiré de l’infraction et situation financière du contrevenant

667    Plusieurs requérantes font valoir que, pendant la durée de l’infraction, elles ont réalisé des profits minimes, voire subi des pertes.

668    Mougeot et Bolloré font état de leurs pertes dans le cadre d’un moyen tiré de l’absence de prise en compte du contexte économique difficile et il y a donc lieu de renvoyer à cet égard aux points 657 à 666 ci-dessus.

669    Pour Koehler, la prise en considération des profits tirés de l’entente a pour corollaire la prise en compte des pertes subies. Il en résulte, selon elle, que, pour des raisons d’équité, la Commission aurait dû réduire l’amende qui lui a été infligée, puisqu’elle a subi des pertes considérables pendant pratiquement toute la durée de l’infraction et n’a donc retiré qu’un profit très limité, voir nul, de sa participation à l’entente.

670    Ce moyen ne saurait être accueilli.

671    En effet, le Tribunal a jugé dans l’arrêt Ciment (point 4881), que le fait qu’une entreprise n’ait retiré aucun bénéfice de l’infraction ne saurait faire obstacle à l’imposition d’une amende, sous peine de faire perdre à celle-ci son caractère dissuasif. Il s’ensuit que la Commission n’est pas tenue, en vue de fixer les amendes, d’établir que l’infraction a procuré un avantage illicite aux entreprises concernées, ni de prendre en considération, le cas échéant, l’absence de bénéfice tiré de l’infraction en cause.

672    Il y a lieu d’ajouter que, comme l’affirme la Commission à juste titre, le fait que les chiffres avancés par la requérante indiquent des pertes dans le secteur du papier autocopiant au cours de la période d’infraction n’exclut cependant pas que sa situation aurait été pire en l’absence d’entente et qu’elle ait donc malgré tout tiré un certain profit de celle-ci. Selon les chiffres fournis par Koehler dans sa requête, ses pertes étaient importantes en 1992, mais elles ont nettement baissé en 1993. La requérante a ensuite réalisé un bénéfice en 1994, puis elle a à nouveau subi des pertes en 1995, d’un montant toutefois inférieur à celles de 1993. Il ne saurait donc être exclu que l’entente ait permis à Koehler de limiter ses pertes.

673    Il s’ensuit que la Commission n’a commis aucune erreur en concluant qu’il n’y avait pas de circonstances atténuantes en l’espèce.

H –  Sur les moyens pris de la violation des principes de protection de la confiance légitime, de proportionnalité et d’égalité de traitement, lors de l’application de la communication sur la coopération, ainsi que d’une application erronée de cette communication

674    Plusieurs requérantes (Zicuñaga, MHTP, Mougeot, AWA et Koehler) critiquent l’application que fait la Commission de la communication sur la coopération en invoquant une violation du principe d’égalité de traitement.

1.     Zicuñaga

675    Zicuñaga fait valoir que l’utilisation de ce régime de réduction ou d’annulation de l’amende sur la base d’une collaboration avec la Commission constitue en fait une atteinte au principe d’égalité de traitement qui exige une égalité de sanction pour un même comportement.

676    Il convient de remarquer d’abord que, si Zicuñaga entend par là contester la légalité de la communication sur la coopération, elle n’a pas invoqué son inapplicabilité sur la base de l’article 241 CE.

677    Il y a lieu de souligner ensuite qu’une réduction de l’amende au titre d’une coopération lors de la procédure administrative n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise en cause a permis à la Commission de constater l’existence d’une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin (arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, point 149 supra, point 36). Il s’ensuit qu’il ne saurait y avoir de discrimination entre l’entreprise qui choisit librement de coopérer et celle qui s’y refuse, puisque le comportement de la première est différent de celui de la seconde, justifiant ainsi que la sanction diffère.

678    Il convient de relever à cet égard que la voie de la coopération était également ouverte à Zicuñaga (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 409 supra, point 419). Or, elle n’en a pas fait usage. Elle ne saurait dès lors invoquer en la matière une discrimination à son égard.

679    Le moyen invoqué par Zicuñaga à cet égard doit donc être rejeté.

2.     MHTP

680    MHTP fait valoir que la Commission a violé les principes de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement en ne réduisant l’amende qui lui a été infligée que de 10 % alors qu’elle a reconnu les faits et l’infraction. Elle affirme qu’à l’époque où elle a coopéré avec la Commission, les décisions faisant application de la communication sur la coopération accordaient une réduction de l’amende d’au moins 20 %, la réduction de 10 % étant réservée aux entreprises n’ayant pas reconnu l’infraction. Elle s’attendait donc légitimement à bénéficier d’une réduction de 20 %, puisqu’elle avait renoncé à l’exercice des droits de la défense et qu’elle avait reconnu sa participation à l’infraction avant l’envoi de la CG.

681    Il y a lieu d’observer que le cas de MHTP relève du point D de la communication sur la coopération, aux termes duquel « [l]orsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération ». Cette communication précise :

« Tel peut notamment être le cas si :

avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,

après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. »

682    En l’espèce, la Commission a, au titre du point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération, accordé à MHTP une réduction de 10 % pour ne pas avoir contesté la matérialité des faits (considérant 458 de la décision). Elle ne lui a pas accordé de réduction au titre du point D, paragraphe 2, premier tiret, de cette même communication. En effet, si la Commission admet, au considérant 446 de la décision, que MHTP lui a communiqué des informations avant la communication des griefs, elle souligne au considérant 450 :

« La réponse de MHTP (Stora) était la plus obscure : elle reconnaît l’existence de discussions sur les prix entre concurrents, mais affirme qu’aucun accord portant sur une hausse n’a été conclu. Cette indication vague et gratuite ne saurait être qualifiée d’information ou de document ayant contribué à confirmer l’existence de l’infraction commise et ne justifie donc aucune réduction du montant de l’amende. »

683    Il y a lieu de relever que MHTP n’a avancé aucun élément de nature à établir que les informations qu’elle avait fournies à la Commission avant la CG contribuaient à confirmer l’existence de l’infraction commise.

684    Quant à la comparaison du cas d’espèce avec la pratique antérieure de la Commission, il convient de souligner que le seul fait que la Commission ait accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n’implique pas qu’elle est tenue d’accorder la même réduction proportionnelle lors de l’appréciation d’un comportement similaire dans le cadre d’une procédure administrative ultérieure (arrêts Mayr‑Melnhof/Commission, point 446 supra, point 368, et ABB/Commission, point 239).

685    Dans l’arrêt ABB/Commission, le Tribunal s’en tient à cette constatation pour écarter la violation du principe d’égalité de traitement par rapport aux décisions antérieures de la Commission, sans examiner celles-ci. En effet, l’examen détaillé, aux points 240 à 245 de ce même arrêt, du respect du principe d’égalité de traitement ne porte que sur la comparaison de la situation des différents participants à l’entente.

686    MHTP cite l’arrêt du Tribunal Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 459 supra (point 1232), pour établir que le Tribunal a déjà examiné des demandes fondées sur des inégalités de traitement par rapport à d’autres affaires. Or, s’il est exact que cet arrêt traite cette question, c’est pour rejeter l’argument tiré de la méconnaissance par la Commission du principe d’égalité de traitement par rapport à sa pratique antérieure. Selon le Tribunal, la détermination du montant des amendes repose sur une variété de critères, qui doivent être appréciés cas par cas, en fonction des circonstances de l’espèce et l’application par la Commission, dans le passé, d’amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence. Cet arrêt ne vient dès lors pas au soutien des allégations de MHTP.

687    En tout état de cause, force est de constater que la fourchette prévue par le point D de la communication sur la coopération s’étend de 10 à 50 % sans fixer de critères particuliers pour la modulation de la réduction à l’intérieur de cette fourchette. Elle ne crée donc pas d’attente légitime de bénéficier d’un pourcentage particulier de réduction.

688    L’ensemble de ces considérations amènent le Tribunal à rejeter ce moyen.

3.     Mougeot

689    Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’il est de jurisprudence constante que la Commission ne saurait, dans le cadre de son appréciation de la coopération fournie par les membres d’une entente, méconnaître le principe d’égalité de traitement (voir arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 496 supra, point 394, et la jurisprudence citée). Toutefois, il convient de reconnaître à la Commission une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par les différents membres d’une entente, seul un excès manifeste de cette marge étant susceptible d’être censuré.

690    Mougeot allègue qu’elle est discriminée par rapport à Sappi, qui a obtenu une réduction de 100 % de l’amende, et que la Commission aurait dû lui accorder le bénéfice de la partie B de la communication sur la coopération impliquant une réduction de 75 %.

691    Force est de constater, ainsi qu’il résulte des considérants 436 à 445 de la décision, que Sappi, qui a dénoncé le cartel, était la seule entreprise à remplir les conditions cumulatives du point B de la communication sur la coopération. N’ayant fourni des preuves de l’existence de l’entente seulement après que la Commission a effectué des vérifications sur décision, Mougeot ne pouvait bénéficier des dispositions de ce point B. Pour relever des dispositions du point C, Mougeot devait remplir les conditions énoncées au point B, sous b) à e). Or Mougeot reconnaît elle-même, dans sa requête, qu’elle n’a pas été la première entreprise à communiquer à la Commission des éléments relatifs à l’entente. Par ailleurs, contrairement à Sappi qui a pris elle-même l’initiative de dénoncer l’entente à la Commission à l’automne 1996, Mougeot n’a coopéré qu’en réponse à la demande de renseignements que lui avait adressée la Commission en mars 1999.

692    À cet égard, il convient de souligner qu’il ressort du texte même du point B, sous b), de la communication sur la coopération que la « première » entreprise ne doit pas avoir fourni l’ensemble des éléments prouvant tous les détails du fonctionnement de l’entente, mais qu’il lui suffit d’apporter « des » éléments déterminants. En particulier, ce texte n’exige pas que les éléments fournis soient, à eux seuls, « suffisants » pour l’élaboration d’une communication des griefs, voire pour l’adoption d’une décision finale constatant l’existence d’une infraction. Dès lors, le seul fait que Mougeot ait pu fournir, à son tour, des éléments apparus déterminants pour permettre à la Commission de rapporter la preuve de l’infraction ne saurait enlever à Sappi sa qualité de première entreprise à avoir dénoncé l’entente et valoir à Mougeot l’application d’une disposition réservée à cette première entreprise dénonçant le cartel avant les vérifications de la Commission.

693    C’est donc à bon droit que la Commission a appliqué à Mougeot le point D de la communication sur la coopération. En lui accordant à ce titre une réduction de 50 %, c’est‑à-dire la réduction maximale prévue, la Commission a dûment tenu compte de l’importance des éléments que Mougeot avait communiqués et de sa collaboration lors des vérifications sur place et au cours de l’instruction.

4.     AWA

694    AWA soutient, quant à elle, qu’elle aurait dû bénéficier d’une réduction aussi importante que celle de Mougeot parce qu’elle a contacté la Commission avant cette dernière et que les éléments de preuve qu’elle a fournis ont été plus utiles que ceux produits par Mougeot.

695    Il convient donc de vérifier, à la lumière de la jurisprudence citée au point 689 ci-dessus, si, en accordant une réduction de 35 % à AWA contre 50 % à Mougeot, la Commission a commis un excès manifeste dans l’exercice de la large marge d’appréciation qui lui est reconnue en la matière.

696    S’agissant de la chronologie de la fourniture d’informations à la Commission, force est de constater qu’AWA a certes devancé Mougeot dans l’annonce de son intention de coopérer avec la Commission, mais que Mougeot a été la première des deux à envoyer effectivement des informations à la Commission, le 14 avril 1999. La contribution effective d’AWA date en effet du 30 avril 1999.

697    À cet égard, il convient de souligner que la Commission n’était pas tenue de considérer comme décisif le fait que l’une des entreprises se soit manifestée un peu plus rapidement que les autres. En effet, il ressort clairement de la communication sur la coopération que le fait d’être la première entreprise à fournir des éléments déterminants importe pour l’application des points B et C. Or, en l’espèce, cette condition était remplie par Sappi (voir points 691 et 692 ci-dessus). AWA et Mougeot relevaient donc toutes deux du point D qui ne fait aucune référence et n’accorde aucune prime à une antériorité de la coopération d’une entreprise par rapport à une autre.

698    Par ailleurs, le fait qu’AWA ait pu souhaiter informer les autres membres de l’entente de son intention de coopérer avant de contacter la Commission est étranger à sa coopération avec la Commission.

699    En revanche, les contributions d’AWA et de Mougeot ayant été envoyées à la Commission après celles de Sappi et après les vérifications effectuées par la Commission, il convient de vérifier si elles sont « de qualité semblable ».

700    Il y a lieu de se reporter à cet égard aux considérants 447 et 448 de la décision :

« Mougeot a volontairement fait des déclarations et fourni des documents contenant des informations détaillées sur les réunions du cartel (concernant essentiellement son marché domestique en France), notamment sur les dates des réunions, l’identité des participants, l’ordre du jour et les accords conclus.

AWA a volontairement fourni à la Commission des informations sur les réunions du cartel précisant les périodes pendant lesquelles les réunions ont eu lieu dans divers États membres de la Communauté et les noms des entreprises participantes. Concernant l’ordre du jour des réunions, AWA a déclaré qu’‘à certaines de ces réunions, […] les prix du papier autocopiant ont été discutés, […] jusqu’à l’échange d’intentions concernant l’annonce des hausses de prix’ ».

701    En outre, au considérant 252 de la décision, la Commission énumère les éléments probants relatifs à l’entente dans son ensemble. Parmi ceux-ci figurent les déclarations de Mougeot et de Sappi et les preuves fournies par AWA au sujet de réunions « déplacées » dans sa réponse à la demande de renseignements de la Commission, ainsi que les comptes rendus et déclarations détaillés sur les réunions nationales ou régionales communiqués par Mougeot et Sappi.

702    La comparaison de ces considérants fait apparaître que les informations de Mougeot auraient un caractère détaillé que n’auraient pas celles d’AWA. Mougeot aurait notamment précisé les dates des réunions alors qu’AWA n’aurait indiqué que des périodes. Toutefois, même si la déclaration d’origine d’AWA n’était pas aussi précise que celle de Mougeot, selon le considérant 61 de la décision, AWA a, dans sa réponse à la demande de renseignements, remis à la Commission « une liste de réunions ou de groupes de réunions ‘déplacées’ (improper) ayant eu lieu entre concurrents de 1992 à 1998 ». Or, cette liste énumère des réunions s’étant tenues à des dates précises dont AWA aurait contribué à établir l’existence. Par ailleurs, la période couverte par les déclarations d’AWA est plus longue que celle concernée par celles de Mougeot. Les réunions dont cette dernière fait état dans sa déclaration du 14 avril 1999 (documents nos 7647 à 7655, évoqués au point 165 ci-dessus) vont en effet du 1er octobre 1993 à l’été 1995. Il n’y a donc pas, sur le plan des informations obtenues sur la tenue des réunions collusoires, de nette différence entre Mougeot et AWA.

703    Quant aux participants aux réunions collusoires, la fourniture par Mougeot de l’« identité des participants » ne diffère guère de l’indication par AWA des « noms des entreprises participantes ». En tout état de cause, il ressort de l’annexe II de la décision que les déclarations d’AWA (document n° 7828) ont été d’une très grande utilité à la Commission pour établir la participation de chaque entreprise aux réunions. Le fait que ce document s’avère être de loin le document le plus cité dans les notes en bas de page à l’appui de la liste des réunions et de leurs participants le confirme.

704    Enfin, les considérants 447 et 448 mettent en lumière une limitation des déclarations de Mougeot essentiellement au « marché domestique en France », alors que les informations d’AWA portent sur des réunions « dans divers États membres de la Communauté ». Or, le fait que plusieurs entreprises ont contesté l’entente au niveau européen accentue l’importance des informations fournies par AWA à cet égard.

705    Dès lors, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en accordant une réduction de 50 % à Mougeot et de 35 % à AWA. En effet, même si, contrairement à AWA, Mougeot a fourni des documents remontant à l’époque litigieuse et si sur certains points ses déclarations sont plus détaillées, les informations données par AWA portent sur une période plus longue et couvrent une étendue géographique plus élevée. Il y a donc lieu de considérer que les coopérations d’AWA et de Mougeot sont de qualité semblable. Il ne saurait pas davantage être affirmé que leurs coopérations se distinguent sous l’aspect de leur utilité pour la Commission. Il ressort du reste de l’examen effectué ci-dessus par le Tribunal concernant le marché espagnol (voir points 161 à 168 ci‑dessus) ou sur le caractère collusoire des réunions officielles de l’AEMCP avant septembre ou octobre 1993 (voir points 256 à 310 ci‑dessus) que les informations fournies par AWA et par Mougeot se recoupent en grande partie et forment, avec celles de Sappi, un ensemble d’indices indispensables pour comprendre le fonctionnement de l’entente et établir son existence.

706    Il s’ensuit que le moyen tiré par AWA du caractère insuffisant et discriminatoire de la réduction qui lui a été accordée au titre de sa coopération doit être accueilli.

707    Dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, le Tribunal considère que, les éléments de preuve fournis par Mougeot et AWA étant de qualité semblable, il convient d’accorder à AWA, au titre de sa coopération, la même réduction qu’à Mougeot, soit 50 %. L’amende imposée à AWA devra donc être réduite en conséquence.

5.     Koehler

708    Koehler, enfin, considère que la Commission n’a pas tenu compte de sa coopération sans réserve tant avant qu’après l’envoi de la CG. Il est, à son avis, contraire au principe d’égalité de traitement que Carrs, MHTP et Zanders bénéficient de la clémence et pas elle.

709    Selon les considérants 457 et 458 de la décision :

« (457) Koehler déclare ne pas contester ‘certains faits’ exposés dans la communication des griefs. Elle conteste cependant des parts importantes de la description factuelle de sa participation à l’entente sur l’ensemble de sa période. En particulier, Koehler conteste la description faite par la Commission des accords d’attribution de quotas et de partage de marché et l’existence d’un système de contrôle. La Commission conclut donc que Koehler n’a pas fait preuve d’une coopération effective.

(458) La Commission accorde à Carrs, MHTP et Zanders une réduction de 10 % pour ne pas avoir contesté la matérialité des faits. »

710    Quant à la période ayant précédé l’envoi de la CG, Koehler affirme avoir coopéré sans réserve avec la Commission. Elle ajoute que « c’est ainsi que la vérification menée chez Koehler les 9 et 10 décembre 1997 l’a été sans recours à la contrainte puisque [M. F.], membre du directoire, avait donné son accord par avance ».

711    À cet égard, il ne saurait être considéré que le seul fait de donner son accord à une vérification établit une coopération sans réserve. La communication sur la coopération prévoit une réduction significative de l’amende lorsque, avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise. Koehler n’a rien fourni de tel et ne l’affirme d’ailleurs pas. La thèse de Koehler ne saurait donc prospérer.

712    En ce qui concerne la période postérieure à la réception de la CG, la communication sur la coopération prévoit une réduction significative de l’amende lorsqu’une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. Il convient de vérifier si, comme elle le prétend, Koehler est dans ce cas, et ce également par comparaison aux autres entreprises ayant bénéficié de cette disposition.

713    Dans ses observations sur la CG, Koehler a déclaré qu’elle reconnaissait les « faits et griefs dûment instruits et prouvés par la Commission ». Elle ajoute dans sa requête que « [p]our autant qu[’elle] ait assorti ces aveux d’une réserve, elle l’a fait parce qu’elle jugeait inacceptable de devoir déclarer exact ce qui était inexact à la seule fin d’obtenir une réduction de l’amende ».

714    Toutefois, force est de constater que, même si Koehler tente ensuite de justifier certaines de ses réserves par un changement de position de la Commission intervenu par la suite, elle admet avoir formulé des réserves et avoir « relativisé les constatations de la Commission quant aux accords d’attribution de quotas et de partage de marché ». En outre, lorsque Koehler admet l’existence d’échanges d’informations sur les quantités vendues au niveau régional – tout en les niant au niveau européen –, elle ajoute qu’il s’agit d’exceptions portant sur des périodes révolues.

715    Par ailleurs, il est vrai qu’à l’audience Koehler a fait valoir que la contestation ne concernait que la période antérieure au mois d’octobre 1993 et que, pour la période postérieure, malgré quelques formulations peut‑être peu claires ou vagues, elle avait coopéré avec la Commission. Cependant, il ne ressort pas de ses observations sur la CG que Koehler a expressément limité sa contestation à la première période. Au contraire, dans ses remarques introductives, elle expose qu’elle ne contestera pas certains faits, à savoir ceux que la Commission a constaté et apprécié correctement dans la CG. Puis, la partie III, relative à la contestation des faits reprochés, contient un point 3 intitulé « Pas d’accords d’attribution de quotas ou de répartition de marchés au niveau européen » et un point 4 intitulé « Pas de système de contrôle ». Ces contestations non limitées dans le temps ne sauraient être considérées comme étant vagues ou imprécises.

716    Or, il y a lieu de rappeler qu’une réduction du montant de l’amende n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise concernée a permis à la Commission de constater l’infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin (voir arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, point 270, et la jurisprudence citée). La Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation à cet égard, comme il ressort du libellé du point D 2 de la communication sur la coopération et en particulier, des mots introductifs « Tel peut notamment être le cas […] » De plus et surtout, une réduction sur le fondement de la communication sur la coopération ne saurait être justifiée que lorsque les informations fournies et, plus généralement, le comportement de l’entreprise concernée pourraient à cet égard être considérés comme démontrant une véritable coopération de sa part (arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 409 supra, points 394 et 395).

717    Des aveux assortis de réserves ou des déclarations équivoques ne traduisent cependant pas une véritable coopération et ne sont pas de nature à faciliter la tâche de la Commission, puisqu’ils nécessitent des vérifications. Cela est d’autant plus vrai lorsque ces réserves portent sur des points comme, en l’espèce, la durée de l’infraction, les quotas de vente, les parts de marché ou l’échange d’informations.

718    Dans la mesure où, à travers ces réserves, Koehler a contesté de nombreux éléments de l’entente, ou du moins n’a pas aidé la Commission dans sa tâche d’investigation et de sanction de l’entente, elle ne saurait prétendre à une réduction significative du montant de l’amende qui lui a été infligée au titre de l’absence de contestation de la matérialité des faits.

719    Il y a lieu de vérifier enfin si, comme l’allègue Koehler, le refus de lui accorder une réduction d’amende à ce titre viole le principe d’égalité de traitement, Carrs, MHTP et Zanders ayant pour leur part obtenu une réduction de 10 % de l’amende.

720    Pour autant que Koehler critique en cela le taux de réduction accordé à ces autres entreprises pour ne pas avoir contesté les faits qui leur étaient reprochés, même à supposer que la Commission ait accordé une réduction trop élevée de l’amende infligée à ces autres entreprises, il doit être rappelé que le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêts du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, point 468 supra, point 160, Mayr‑Melnhof/Commission, point 446 supra, point 334, et LR AF 1998/Commission, point 45 supra, point 367). 

721    Par ailleurs, dans la mesure où la contestation de Koehler vise le fait qu’elle n’ait pas obtenu de réduction de l’amende au titre de la communication sur la coopération, il y a lieu de renvoyer aux points 708 à 718 ci-dessus, dont il ressort que, dans les circonstances de l’espèce, elle ne saurait y prétendre.

722    À titre surabondant, concernant la contestation de la matérialité des faits par les autres entreprises ayant obtenu une réduction de leur amende de 10 %, il convient de relever que Carrs reconnaît l’existence de l’entente et sa participation à celle-ci pour toute la durée de l’infraction spécifiée dans la décision. Elle dit toutefois n’avoir participé qu’aux réunions relatives aux marchés du Royaume‑Uni et d’Irlande et ne pas avoir eu connaissance de l’entente au niveau européen. Ce faisant, elle ne conteste pas la matérialité des faits. Par ailleurs, le fait que Carrs allègue les effets limités de l’entente n’est pas davantage contradictoire avec la reconnaissance de la matérialité des faits.

723    S’agissant de Zanders et de MHTP, Koehler affirme que les considérants 455 et 456 selon lesquels elles n’auraient pas contesté les faits, ne sont pas compatibles avec le constat, au considérant 395, que MHTP et Zanders auraient nié l’application des accords destinés à mettre en œuvre la fixation des prix et la répartition des quotas.

724    Il y a lieu d’observer que les arguments de MHTP et Zanders reproduits au considérant 395 visent à contester l’efficacité des accords en vue de leur faire reconnaître une moindre gravité. Ils ne remettent pas en cause l’existence de l’entente et ne sont dès lors pas incompatibles avec une absence de contestation des faits.

725    Quant au fait que MHTP n’ait reconnu avoir participé à l’entente qu’à partir de la fin de 1992 (considérants 270 et 271), il convient de relever que la Commission en a tenu compte. Selon le considérant 456 de la décision, en effet, « MHTP dit ne pas contester les faits qui fondent la constatation d’une infraction entre 1992 et la mi‑1995 ».

726    Par ailleurs, l’attitude de MHTP qui n’a contesté que la date de début de l’infraction ne saurait être jugée comparable à celle de Koehler dont les réserves ont porté sur plusieurs éléments de l’entente.

727    Dans ces conditions, Koehler n’a pas établi avoir fait l’objet d’une inégalité de traitement. Il résulte de l’ensemble de ces considérations que c’est à bon droit que la Commission n’a pas réduit l’amende qui lui a été infligée au titre de la communication sur la coopération.

III –   Sur la demande de production de documents formulée par AWA

728    AWA invite le Tribunal à demander à la Commission la production des documents internes ayant trait au calcul de l’amende qui lui a été infligée et de tous les documents mentionnés dans la décision à l’exception de ceux qui lui ont été communiqués le 1er août 2000.

729    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon l’article 49 du règlement de procédure, le Tribunal peut, à tout stade de la procédure, décider de toute mesure d’organisation de la procédure ou d’instruction visée aux articles 64 et 65 du règlement de procédure. La demande de production de documents en fait partie.

730    Pour permettre au Tribunal de déterminer s’il était utile au bon déroulement de la procédure d’ordonner la production de certains documents, la partie qui en fait la demande doit identifier les documents sollicités et fournir au Tribunal au moins un minimum d’éléments accréditant l’utilité de ces documents pour les besoins de l’instance (arrêt Baustahlgewerbe/Commission, point 256 supra, point 93).

731    Or, force est de constater que, telles que formulées dans la requête, ni la demande de production de documents internes ayant trait au calcul de l’amende ni celle visant tous les documents invoqués dans la décision, autres que ceux adressés à AWA le 1er août 2000 n’identifient les documents sollicités avec suffisamment de précision pour permettre au Tribunal d’apprécier leur utilité aux fins de l’instance.

732    Il y a donc lieu de rejeter l’une et l’autre demande.

733    À titre surabondant, AWA n’a pas démontré l’utilité de ces documents aux fins de l’instance.

734    En effet, quant à sa demande de production de documents internes de la Commission ayant trait au calcul de l’amende qui lui a été infligée, le seul fait, invoqué par AWA, que, notamment dans plusieurs affaires ayant donné lieu aux arrêts dits « Carton » (notamment arrêt du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 483 supra), le Tribunal ait demandé à la Commission de produire de tels documents ne saurait prouver leur utilité dans le cas d’espèce et obliger le Tribunal à ordonner les mêmes mesures.

735    Par ailleurs, comme le souligne la Commission, les arrêts dits « Carton » sont antérieurs à l’application des lignes directrices. Or, ces dernières visent précisément à assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission en exposant le schéma de la nouvelle méthode applicable au calcul du montant de l’amende. En l’espèce, la décision, qui fait clairement application de ces lignes directrices, explicite de façon détaillée le calcul de l’amende.

736    Enfin, il résulte d’une jurisprudence constante que les documents internes de la Commission ne sont pas portés à la connaissance des parties, sauf si les circonstances exceptionnelles de l’espèce l’exigent, sur la base d’indices sérieux qu’il leur appartient de fournir (ordonnance de la Cour du 18 juin 1986, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 1899, point 11 ; arrêt du Tribunal Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 716 supra, point 34 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Deere/Commission, T‑35/92, Rec. p. II‑957, point 31). Or AWA n’a pas fourni d’indices sérieux en ce sens.

737    S’agissant de la demande de produire tous les documents invoqués dans la décision autres que ceux adressés à AWA le 1er août 2000, cette dernière affirme qu’elle a pour but de lui permettre de voir et d’examiner les éléments de preuve que la Commission a invoqués dans la décision.

738    À cet égard, même si elle critique le caractère inutilisable de l’index (voir points 109 à 117 ci-dessus), AWA n’a pas contesté avoir eu accès au dossier de la Commission au cours de la procédure administrative. Pour autant qu’elle ne se sert pas, pour incriminer une entreprise dans la décision, de documents autres que ceux auxquels l’entreprise a eu accès au cours de la procédure administrative, la Commission ne saurait être tenue de lui donner un accès à tous les documents cités dans la décision (voir, en ce sens, arrêt LR AF 1998/Commission, point 45 supra, et la jurisprudence citée).

739    La demande adressée au Tribunal porte sur tous les documents invoqués dans la décision autres que ceux adressés à AWA le 1er août 2000. Contrairement à la lettre qu’AWA avait adressée à la Commission le 22 février 2002, cette demande ne précise pas qu’elle vise notamment les réponses des autres destinataires à la CG et le rapport PricewaterhouseCoopers.

740    Toutefois, même en admettant qu’il faille tenir compte de ces précisions par rapport à la demande générale adressée au Tribunal, et qu’une demande visant globalement les réponses des autres destinataires de la CG puisse être considérée comme identifiant avec suffisamment de précision les documents sollicités, AWA n’a en tout état de cause pas établi l’utilité de ces documents aux fins de l’instance.

741    Il convient donc de rejeter la demande de mesure d’organisation de la procédure adressée au Tribunal par AWA.

742    Sur la base de l’ensemble de ces considérations, les recours introduits dans les affaires T‑109/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02 et T‑132/02 doivent être rejetés. Dans l’affaire T‑118/02, l’amende infligée à AWA sera réduite à 141, 75 millions d’euros. Dans l’affaire T‑136/02, l’amende infligée à Zicuñaga sera réduite à 1,309 million d’euros.

 Sur les dépens

743    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En application du paragraphe 3, premier alinéa, de la même disposition, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

744    Dans les affaires T‑109/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02 et T‑132/02, les requérantes ont succombé en leurs conclusions. Elles supporteront par conséquent l’ensemble des dépens, conformément aux conclusions de la défenderesse.

745    Dans l’affaire T‑118/02, le recours ayant été partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission et que cette dernière supportera un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par AWA. Le Royaume de Belgique étant intervenu à l’appui des conclusions de la requérante visant à obtenir une réduction de l’amende au titre des circonstances atténuantes liées aux difficultés traversées par le secteur du papier autocopiant, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission liés à son intervention, conformément aux conclusions de celle-ci.

746    Dans l’affaire T‑136/02, le recours ayant été partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par la partie requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Dans l’affaire T‑109/02, Bolloré/Commission :

–        le recours est rejeté ;

–        la partie requérante est condamnée aux dépens.

2)      Dans l’affaire T‑118/02, Arjo Wiggins Appleton/Commission :

–        le montant de l’amende infligée à la partie requérante par l’article 3 de la décision 2004/337/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E‑1/36.212 − Papier autocopiant), est fixé à 141,75 millions d’euros ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        la partie requérante supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par la partie requérante ;

–        la partie intervenante est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission liés à l’intervention.

3)      Dans l’affaire T‑122/02, Mitsubishi HiTec Paper Bielefeld/Commission :

–        le recours est rejeté ;

–        la partie requérante est condamnée aux dépens.

4)      Dans l’affaire T‑125/02, Papierfabrik August Koehler/Commission :

–        le recours est rejeté ;

–        la requérante est condamnée aux dépens.

5)      Dans l’affaire T‑126/02, M‑real Zanders/Commission :

–        le recours est rejeté ;

–        la requérante est condamnée aux dépens.

6)      Dans l’affaire T‑128/02, Papeteries Mougeot/Commission :

–        le recours est rejeté ;

–        la requérante est condamnée aux dépens.

7)      Dans l’affaire T‑129/02, Torraspapel/Commission :

–        le recours est rejeté ;

–        la requérante est condamnée aux dépens.

8)      Dans l’affaire T‑132/02, Distribuidora Vizcaína de Papeles/Commission :

–        le recours est rejeté ;

–        la requérante est condamnée aux dépens.

9)      Dans l’affaire T‑136/02, Papelera Guipuzcoana de Zicuñaga/Commission :

–        le montant de l’amende infligée à la partie requérante par l’article 3 de la décision 2004/337/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E‑1/36.212 – Papier autocopiant), est fixé à 1,309 million d’euros ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        la partie requérante supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par la partie requérante.


      

Vilaras

Dehousse

Šváby

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 avril 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Vilaras

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

I –  Sur les moyens tendant à l’annulation de la décision

A –  Sur les moyens relatifs au déroulement de la procédure administrative

1.  Sur le premier moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu découlant de la non‑divulgation, au cours de la procédure administrative, de documents qualifiés de confidentiels par la Commission

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur le deuxième moyen, fondé sur une violation du droit d’accès au dossier en raison du défaut de communication de documents non compris dans le dossier d’instruction communiqué sur CD-ROM

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur le troisième moyen, pris d’une violation des droits de la défense et du principe du contradictoire, résultant d’un défaut de concordance entre la CG et la décision

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

4.  Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense, du droit à une procédure équitable et du principe de la présomption d’innocence

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

5.  Sur le cinquième moyen, pris d’une violation du principe de bonne administration lors de l’instruction de l’affaire et d’un défaut de motivation de la décision

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

6.  Sur le sixième moyen, fondé sur une violation du principe de bonne administration, du droit d’accès au dossier et des droits de la défense, résultant du caractère difficilement localisable de certains documents dans le dossier d’instruction et du caractère inutilisable de la liste des documents constitutifs dudit dossier

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

7.  Sur le septième moyen, fondé sur une violation du principe de bonne administration et des droits de la défense en raison du caractère tardif de la notification de la décision

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

B –  Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE ainsi que d’erreurs d’appréciation de la Commission relatives à la participation de certaines entreprises à l’infraction

1.  Situation de Bolloré

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Situation de Divipa et de Zicuñaga

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Sur l’existence de réunions collusoires relatives au marché espagnol

Sur la participation de Divipa et de Zicuñaga à l’entente sur le marché espagnol

Sur la participation de Divipa et de Zicuñaga à l’entente sur le marché européen

Sur la participation de Zicuñaga à des accords de fixation de quotas de vente et de parts de marché

C –  Sur les moyens relatifs à la durée de l’infraction

1.  Sur les moyens soulevés par Bolloré, MHTP, Koehler, Mougeot et Torraspapel

a)  Sur la participation des requérantes à l’infraction avant septembre ou octobre 1993

Arguments des parties

Décision

Appréciation du Tribunal

–  Sur le système allégué de réunions collusoires

–  Participation des requérantes aux réunions avant septembre ou octobre 1993

b)  Sur la participation de Mougeot à l’infraction après le 1er juillet 1995

2.  Sur le moyen soulevé par Divipa

3.  Sur le moyen soulevé par Zicuñaga

II –  Sur les moyens tendant à la suppression ou à la réduction des amendes fixées à l’article 3, premier alinéa, de la décision

A –  Sur le moyen tiré d’une violation des droits de la défense et du principe de protection de la confiance légitime en raison du caractère incomplet et imprécis de la CG à propos des amendes

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Sur la violation du droit d’être entendu et le non-respect de la confiance légitime dans la mesure où la Commission se serait écartée de sa pratique antérieure

b)  Sur la violation du droit d’être entendu et du principe de protection de la confiance légitime dans la mesure où la Commission se serait écartée des lignes directrices

c)  Sur la violation du droit d’être entendu dans la mesure où la Commission aurait fixé l’amende en se fondant sur des éléments non annoncés dans la CG

B –  Sur le moyen tiré d’une violation du principe de non‑rétroactivité

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

C –  Sur les moyens tirés d’une insuffisance de preuves, de la violation des principes de la présomption d’innocence, de proportionnalité et d’égalité de traitement, ainsi que d’erreurs d’appréciation, en ce qui concerne les constatations de la Commission relatives à la participation de certaines entreprises à l’entente européenne

D –  Sur les moyens pris d’une insuffisance de preuves, de la violation de l’article 253 CE, de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement, de l’absence de détermination individuelle des amendes, de constatations factuelles erronées, d’erreurs d’appréciation et d’erreurs de droit, dans l’évaluation de la gravité de l’infraction

1.  Nature de l’infraction

2.  Impact concret de l’infraction

3.  Classification des participants à l’entente aux fins de la fixation des montants des amendes

a)  Choix de l’année de référence

b)  Prise en compte d’un chiffre d’affaires global erroné

c)  Résultat disproportionné de l’application de la méthode de la Commission

Violation du principe de proportionnalité

Violation du principe d’égalité de traitement

4.  Majoration de l’amende à des fins dissuasives

E –  Sur les moyens relatifs à la durée de l’infraction

F –  Sur le moyen pris de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que d’une erreur d’appréciation factuelle

1.  Erreur d’appréciation factuelle

2.  Violation du principe de proportionnalité

3.  Violation du principe d’égalité de traitement

G –  Sur les moyens tirés de la violation de l’article 253 CE, de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, de l’absence de détermination individuelle des amendes, d’une interprétation trop restrictive des lignes directrices en matière d’amendes, ainsi que d’erreurs manifestes d’appréciation, résultant du défaut de prise en compte de certaines circonstances atténuantes

1.  Rôle exclusivement passif ou suiviste dans l’entente

2.  Taille et influence sur le marché de l’entreprise contrevenante

3.  Comportement sur le marché pendant la période de l’infraction

4.  Existence de menaces et de pressions

5.  Cessation de l’infraction

6.  Situation économique du secteur du papier autocopiant

7.  Absence de profit tiré de l’infraction et situation financière du contrevenant

H –  Sur les moyens pris de la violation des principes de protection de la confiance légitime, de proportionnalité et d’égalité de traitement, lors de l’application de la communication sur la coopération, ainsi que d’une application erronée de cette communication

1.  Zicuñaga

2.  MHTP

3.  Mougeot

4.  AWA

5.  Koehler

III –  Sur la demande de production de documents formulée par AWA

Sur les dépens


* Langues de procédure : l’espagnol, l’allemand, l’anglais et le français.