Language of document : ECLI:EU:T:2019:456

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

28 juin 2019 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents détenus par l’EMA contenant des informations soumises par les requérantes dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché du médicament Ocaliva – Décision d’accorder à un tiers l’accès à un document – Exception relative à la protection des procédures juridictionnelles »

Dans l’affaire T‑377/18,

Intercept Pharma Ltd, établie à Bristol (Royaume-Uni),

Intercept Pharmaceuticals, Inc., établie à New York, New York (États-Unis),

représentées par M. L. Tsang, Mmes J. Mulryne, E. Amos, H. Kerr-Peterson, solicitors, et M. F. Campbell, barrister,

parties requérantes,

contre

Agence européenne des médicaments (EMA), représentée initialement par MM. S. Marino, S. Drosos, A. Rusanov et T. Jabłoński, puis par MM. Marino, Drosos, Jabłoński, R. Pita et Mme G. Gavriilidou, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision ASK-40399 de l’EMA, du 15 mai 2018, accordant à un tiers, en vertu du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), l’accès à un document contenant des informations soumises dans le cadre d’une demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament Ocaliva,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. M. Prek, président, F. Schalin (rapporteur) et Mme M. J. Costeira, juges,

greffier : Mme E. Artemiou, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 février 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Intercept Pharmaceuticals, Inc. est une société biopharmaceutique et la société mère d’Intercept Pharma Ltd (ci-après, prises ensemble, les « requérantes »). Les requérantes sont spécialisées dans le développement et la commercialisation de thérapies innovantes pour traiter les maladies hépatiques non virales évolutives, dont la cholangite biliaire primitive, la stéatohépatite non alcoolique, la cholangite sclérosante primitive et l’atrésie des voies biliaires.

2        Les requérantes commercialisent le médicament Ocaliva, un médicament orphelin qui a été autorisé le 27 mai 2016 aux États-Unis et le 12 décembre 2016 dans l’Union européenne, dans chaque cas pour le traitement de la cholangite biliaire primitive en combinaison avec l’acide ursodésoxycholique (ci-après l’« AUDC ») chez les adultes présentant une réponse insuffisante à l’AUDC ou en monothérapie chez les adultes qui ne tolèrent pas l’AUDC.

3        L’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’Union est conditionnelle, conformément au règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1).

4        Le 3 avril 2018, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a informé Intercept Pharma qu’un cabinet d’avocats avait adressé une demande fondée sur le règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), et visant à obtenir l’accès à plusieurs documents relatifs au médicament Ocaliva. Ces documents avaient été divisés en deux lots aux fins de recueillir les observations d’Intercept Pharma.

5        Le 11 avril 2018, Intercept Pharma a présenté ses observations sur le lot 1, à savoir le rapport périodique d’évaluation du bénéfice-risque pour la période comprise entre le 12 décembre 2016 et le 11 juin 2017 (ci-après le « rapport litigieux ») au sujet du médicament Ocaliva, et, le 26 avril 2018, sur le lot 2, à savoir le rapport du comité pour l’évaluation relative au médicament Ocaliva pour la période comprise entre le 12 décembre 2016 et le 11 juin 2017 et le plan de gestion des risques concernant le médicament Ocaliva.

6        S’agissant du rapport litigieux, Intercept Pharma a proposé l’occultation de certaines parties spécifiques concernant des informations ayant trait à la sécurité du médicament Ocaliva. À cet égard, elle a indiqué avoir des raisons de croire que la demande d’accès avait été faite au nom des parties engagées dans un litige avec sa société mère aux États-Unis d’Amérique et que, au stade actuel de ce litige, ces parties ne disposaient pas des informations demandées, ce qui serait le cas dans le futur, conformément aux règles procédurales régissant la phase de découverte du litige. Elle a fait valoir que, si le rapport litigieux était divulgué, il aiderait lesdites parties à contourner les règles de procédure des États-Unis relatives à l’enquête préalable et nuirait gravement à l’intérêt économique d’Intercept Pharmaceuticals en augmentant à la fois les coûts de sa défense et la possibilité qu’elle soit contrainte à un règlement in terrorem. Enfin, selon elle, la divulgation du rapport litigieux ne serait pas justifiée étant donné qu’il n’y aurait pas un intérêt public supérieur ou un intérêt de santé publique à fournir les informations en cause aux parties auxquelles elle est opposée dans le cadre du procès aux États-Unis.

7        De même, Intercept Pharma a proposé un certain nombre d’occultations concernant des données à caractère personnel.

8        Le 15 mai 2018, l’EMA a communiqué aux requérantes la décision ASK-40399 de divulguer le rapport litigieux (ci-après la « décision attaquée »). L’EMA a expliqué que la justification avancée par Intercept Pharma pour certaines occultations proposées portant sur la sécurité du médicament Ocaliva ne constituait pas une base légale suffisante pour refuser l’accès à ces éléments d’information. À cet égard, elle a indiqué que, dans le cas de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, il s’agissait de documents préparés à des fins de procédures judiciaires et non de documents détenus par les institutions qui, selon le titulaire d’une AMM, pourraient faire partie d’une procédure judiciaire future. Quant à l’occultation des données personnelles, l’EMA en a accepté quelques-unes et refusé d’autres, étant donné qu’il a été considéré que les informations associées n’étaient pas de nature à conduire à l’identification de personnes physiques.

9        En réponse à la demande des requérantes, l’EMA a accepté de ne pas divulguer le rapport litigieux tant que le Tribunal n’aurait pas statué sur le présent recours et d’interrompre le traitement de la demande d’accès visant le lot 2.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 juin 2018, les requérantes ont introduit le présent recours.

11      Le 12 septembre 2018, l’EMA a produit le mémoire en défense.

12      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 12 février 2019.

13      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EMA aux dépens.

14      L’EMA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

15      À l’appui du recours, les requérantes invoquent deux moyens, tirés, respectivement, le premier, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, visant la protection des procédures juridictionnelles, et le second, du fait que la seule conclusion admissible d’une mise en balance convenable au titre des dispositions relatives aux « intérêts commerciaux » de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, de ce même règlement aurait été une décision de non-divulgation du rapport litigieux.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, visant la protection des procédures juridictionnelles

16      Les requérantes estiment que l’ensemble du rapport litigieux relève de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 et qu’il ne devrait donc pas être divulgué, car sa divulgation porterait atteinte aux procédures juridictionnelles en cours aux États-Unis.

17      À cet égard, les requérantes font état du fait que, le 27 septembre 2017, un recours collectif d’actionnaires aurait été formé contre Intercept Pharmaceuticals, son directeur général et son directeur financier, devant une juridiction des États-Unis (ci-après le « recours DeSmet »). Ce procès aurait été formé par un actionnaire qui prétendait attaquer la partie défenderesse au nom de toute personne ayant acheté ou acquis d’une manière ou d’une autre des titres d’Intercept Pharmaceuticals entre le 31 mai 2016 et le 20 septembre 2017 et viserait à obtenir des dommages-intérêts pécuniaires.]

18      Dans ce contexte, les requérantes expliquent que le recours DeSmet est typiquement un stock drop lawsuit Ce type de recours serait souvent intenté aux États-Unis contre des sociétés cotées en bourse, à la suite d’une baisse du cours de leurs actions. En l’espèce, le recours DeSmet aurait été déclenché par la chute du cours des actions d’Intercept Pharmaceuticals à la suite de la publication d’une communication de la Food and Drug Administration (FDA, agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, États-Unis) relative à la sécurité du médicament Ocaliva et dans laquelle elle soulignait l’importance de respecter le dosage recommandé tel que décrit sur l’étiquette dudit médicament.

19      Dans ce cadre, les requérantes estiment que la divulgation demandée à l’EMA concerne le type d’informations qui pourraient être utiles aux plaignants dans le cadre de leur recours aux États-Unis et font valoir que la législation des États-Unis interdit aux plaignants dans ce type de recours d’obtenir le document en question de la partie adverse tant qu’il n’est pas établi, le cas échéant, que la plainte est recevable. Partant, il serait contraire à la politique spécifique poursuivie par la législation des États-Unis que l’EMA contourne cette interdiction concernant l’accès aux documents et fausse ainsi l’« équilibre indispensable » entre les parties dans ce type de recours. En outre, les requérantes font valoir qu’elles seraient obligées de consacrer d’importantes ressources financières pour se défendre dans le cadre d’un tel recours.

20      Les requérantes font valoir que leurs préoccupations concernant la divulgation du rapport litigieux (ainsi que celle du rapport du comité pour l’évaluation relative au médicament Ocaliva pour la période comprise entre le 12 décembre 2016 et le 11 juin 2017 désigné par le lot 2) se fondent sur le fait que ce rapport contient des données scientifiques détaillées, ne contient aucun matériel qui viendrait compléter les informations déjà rendues publiques par l’EMA et la FDA, serait incompréhensible pour le grand public et que sa divulgation viendrait créer un grave risque que les informations qu’il renferme puissent être utilisées à mauvais escient pour donner une image trompeuse de la sécurité clinique et de l’efficacité du médicament Ocaliva.

21      Les requérantes rappellent que le Tribunal a admis que la dérogation relative aux procédures juridictionnelles ne devait pas être interprétée de manière stricte de façon à n’inclure que les documents tels que les mémoires. En outre, d’après la jurisprudence, la protection des procédures juridictionnelles impliquerait également, en particulier, que soient assurés le respect du principe de l’égalité des armes ainsi que celui de bonne administration de la justice.

22      Les requérantes rappellent également la jurisprudence issue de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 octobre 2012, Jurašinović/Conseil (T‑63/10, EU:T:2012:516), selon laquelle la protection des procédures juridictionnelles visée par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 ne se limite pas aux juridictions de l’Union ou de ses États membres.

23      De plus, l’EMA aurait dû mettre en balance l’intérêt particulier devant être protégé par la non-divulgation et l’intérêt public à rendre le rapport litigieux accessible. En outre, ledit rapport n’ajouterait aucun élément, au profit des patients, aux informations relevant du domaine public.

24      L’EMA conclut au rejet du premier moyen comme étant non fondé.

25      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à son considérant 1, le règlement no 1049/2001 s’inscrit dans la volonté, exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE, de « marque[r] une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens ». Ainsi que le rappelle le considérant 2 dudit règlement, le droit d’accès du public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 34, et du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 27).

26      À cette fin, le règlement no 1049/2001 vise, comme l’indiquent son considérant 4 et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible (arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 61 ; du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 69, et du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 28).

27      Ce droit n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêts publics ou privés (arrêt du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 62). Plus spécifiquement, et en conformité avec son considérant 11, le règlement no 1049/2001 prévoit, à son article 4, un régime d’exceptions autorisant les institutions à refuser l’accès à un document dans le cas où la divulgation de ce dernier porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par cet article (arrêts du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 71, et du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 29).

28      Dès lors que de telles exceptions dérogent au principe d’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 63 ; du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 36, et du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 30), de sorte que la seule circonstance qu’un document concerne un intérêt protégé par une exception ne saurait suffire à justifier l’application de cette dernière (arrêts du 27 février 2014, Commission/EnBW, C‑365/12 P, EU:C:2014:112, point 64 ; du 13 avril 2005, Verein für Konsumenteninformation/Commission, T‑2/03, EU:T:2005:125, point 69, et du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 29).

29      En effet, lorsque l’institution concernée décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant à la question de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001 que cette institution invoque. En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (voir arrêt du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 31 et jurisprudence citée ; arrêt du 3 juillet 2014, Conseil/in’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 52).

30      S’agissant de l’exception relative à la protection des « procédures juridictionnelles », visée à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, il ressort de la jurisprudence que l’expression « procédures juridictionnelles » est à interpréter en ce sens que la protection de l’intérêt public s’oppose à la divulgation du contenu des documents rédigés aux seules fins d’une procédure juridictionnelle particulière (voir arrêts du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, points 88 et 89 et jurisprudence citée, et du 3 octobre 2012, Jurašinović/Conseil, T‑63/10, EU:T:2012:516, point 66 et jurisprudence citée).

31      Dans ce contexte, a été reconnue l’existence d’une présomption générale de non-divulgation pour les mémoires relevant d’une procédure juridictionnelle, prévue par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, tant que ladite procédure était pendante (arrêts du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 94 ; du 15 septembre 2016, Philip Morris/Commission, T‑796/14, EU:T:2016:483, point 77, et du 15 septembre 2016, Philip Morris/Commission, T‑18/15, non publié, EU:T:2016:487, point 53), même si cette présomption était uniquement applicable en présence d’une procédure spécifique pendante et ne pouvait en principe plus être invoquée par l’institution concernée lorsque la procédure en question avait été close par une décision juridictionnelle (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 130).

32      Par ailleurs, la Cour a considéré que l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles impliquait que soient assurés le respect du principe de l’égalité des armes ainsi que celui de bonne administration de la justice. En effet, l’accès aux documents par une partie serait susceptible de fausser l’équilibre indispensable entre les parties à un litige, équilibre qui est à la base du principe de l’égalité des armes, dans la mesure où seule l’institution concernée par une demande d’accès à des documents, et non l’ensemble des parties à la procédure, serait soumise à l’obligation de divulgation (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, points 85 à 87).

33      C’est notamment pour cette raison que, dans le cadre d’affaires portant sur l’accès à des avis préliminaires établis par une institution concernant l’élaboration d’une proposition législative, le Tribunal a estimé que, nonobstant ce qu’il avait jugé dans l’arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission (T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, points 88 à 91), la jurisprudence mentionnée au point 32 ci-dessus n’excluait pas que d’autres documents que ceux constitués par les mémoires et les documents échangés avec le service juridique d’une institution spécifiquement liés à une affaire pendante puissent relever du champ d’application de l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles. À cet égard, soulignant que le principe de l’égalité des armes ainsi que celui de bonne administration de la justice étaient au cœur de la protection prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, le Tribunal a estimé que le besoin d’assurer l’égalité des armes devant le juge justifiait la protection non seulement des documents rédigés pour les seuls besoins d’un litige particulier, tels les mémoires, mais aussi des documents dont la divulgation était susceptible de compromettre, dans le cadre d’un litige particulier, l’égalité en question, laquelle constituait un corollaire de la notion même de procès équitable, du fait que lesdits documents contenaient des positions juridiques internes (arrêts du 15 septembre 2016, Philip Morris/Commission, T‑796/14, EU:T:2016:483, points 88 et 97, et du 15 septembre 2016, Philip Morris/Commission, T‑18/15, non publié, EU:T:2016:487, points 64 et 73).

34      En effet, dans ce cas, bien que lesdits documents n’aient pas été élaborés dans le cadre d’une procédure juridictionnelle particulière, l’intégrité de la procédure juridictionnelle concernée et l’égalité des armes entre les parties auraient pu être sérieusement mises à mal si des parties bénéficiaient d’un accès privilégié à des informations internes d’une autre partie ayant un rapport étroit avec les aspects juridiques d’un litige pendant ou potentiel, mais imminent (arrêts du 15 septembre 2016, Philip Morris/Commission, T‑796/14, EU:T:2016:483, point 90, et du 15 septembre 2016, Philip Morris/Commission, T‑18/15, non publié, EU:T:2016:487, point 65).

35      Toutefois, pour que cette exception puisse s’appliquer, il faut que les documents demandés présentent, au moment de l’adoption de la décision refusant leur accès, un lien pertinent soit avec une procédure juridictionnelle pendante devant le juge de l’Union et pour laquelle l’institution concernée invoque cette exception, soit avec une procédure pendante devant une juridiction nationale, à condition qu’elle soulève une question d’interprétation ou de validité d’un acte de droit de l’Union, de sorte que, eu égard au contexte de l’affaire, un renvoi préjudiciel paraît particulièrement plausible (arrêts du 15 septembre 2016, Philip Morris/Commission, T‑796/14, EU:T:2016:483, points 88 et 89, et du 15 septembre 2016, Philip Morris/Commission, T‑18/15, non publié, EU:T:2016:487, point 64).

36      C’est à l’aune de ces considérations jurisprudentielles qu’il convient de traiter le premier moyen.

37      En l’espèce, les requérantes reprochent à l’EMA d’avoir commis une erreur de droit en concluant que les dispositions relatives aux « procédures juridictionnelles » de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 n’entraient pas en ligne de compte.

38      Elles s’appuient à cet égard sur la jurisprudence selon laquelle l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles peut s’appliquer également aux documents n’étant pas uniquement des mémoires et selon laquelle ladite exception vise également des procédures se déroulant devant des juridictions hors de l’Union.

39      Certes, comme le font valoir les requérantes, les procédures juridictionnelles dont il est question à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 ne visent pas uniquement des procédures devant les juridictions de l’Union ou de ses États membres (arrêt du 3 octobre 2012, Jurašinović/Conseil, T‑63/10, EU:T:2012:516, point 58). Toutefois, les documents qui peuvent relever de cette exception ne concernent que des documents élaborés dans le contexte d’une procédure juridictionnelle spécifique pendante ou, exceptionnellement, des documents qui n’ont pas été élaborés dans le contexte d’une procédure juridictionnelle spécifique, mais qui contiennent des positions juridiques qui ont depuis fait l’objet d’une telle procédure (voir points 30 et 33 à 35 ci-dessus).

40      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le rapport litigieux est un document scientifique présenté à l’EMA aux fins d’une procédure administrative visant à déterminer si le rapport bénéfice-risque du médicament Ocaliva est resté inchangé. En effet, un tel type de rapport doit être actualisé périodiquement dans le cadre de la surveillance continue de la sécurité des médicaments et de l’objectif général de protection des patients et de la santé publique au sein de l’Union.

41      Dès lors, il ne s’agit pas d’un document élaboré dans le cadre d’une procédure juridictionnelle spécifique, ni d’un document contenant des positions internes de nature juridique qui, par sa divulgation, serait susceptible de compromettre la défense de l’auteur dudit document dans le cadre d’une telle procédure éventuelle.

42      Partant, vu la jurisprudence citée ci-dessus, l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 n’est pas applicable.

43      Les autres arguments invoqués par les requérantes ne remettent pas en cause ce constat et sont, en tout état de cause, inopérants.

44      À cet égard est inopérant l’argument des requérantes selon lequel il s’agirait d’un document scientifique spécialisé qui serait incompréhensible pour le grand public et dont la divulgation créerait un grave risque que les informations qu’il renferme puissent être utilisées à mauvais escient pour donner une image trompeuse de la sécurité clinique et de l’efficacité du médicament Ocaliva. En effet, un tel argument ne justifie pas l’invocation de l’exception prévue pour les procédures juridictionnelles par le règlement no 1049/2001.

45      Il en va de même en ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel la divulgation du rapport litigieux impliquerait un contournement des protections conférées par la législation des États-Unis dans le type de recours en cause. Comme le font valoir les requérantes elles-mêmes, l’objet principal de cette législation est caractérisé par le souhait du Congrès des États-Unis d’Amérique de limiter les recours collectifs abusifs, étant donné que de tels recours auraient un impact négatif sur le marché des capitaux américain. Dès lors, cette législation n’a pas en soi pour objet la protection des procédures juridictionnelles telle qu’interprétée par le juge de l’Union et par voie de conséquence, le principe de l’égalité des armes.

46      En outre, il y a lieu de constater que les requérantes mettent surtout l’accent sur le fait qu’elles devraient consacrer d’importantes ressources tant financières que de gestion pour se défendre dans l’éventuelle procédure juridictionnelle à venir aux États-Unis si Intercept Pharmaceuticals n’obtenait pas le non-lieu qu’elle a l’intention d’invoquer en temps opportun dans le cadre de la plainte déposée. Or, cette circonstance ne constitue pas un intérêt protégé par le règlement no 1049/2001.

47      Enfin, l’argument portant sur l’absence d’un intérêt public spécifique à la divulgation doit également être écarté comme inopérant au regard de ce qui a été considéré au point 42 ci-dessus.

48      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le second moyen, tiré de ce que la seule conclusion acceptable d’une mise en balance convenable, en vertu de l’article 4, du règlement no 1049/2001, aurait été une décision de non-divulgation du rapport litigieux

49      Les requérantes affirment que la décision attaquée devrait être annulée dès lors que la divulgation du rapport litigieux porterait atteinte à leurs intérêts commerciaux au sens de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001. Selon elles, le seul résultat acceptable de la mise en balance de leurs intérêts commerciaux, d’une part, avec l’intérêt public à la divulgation de ce rapport, d’autre part, aurait été une décision de non-divulgation.

50      À cet égard, les requérantes font valoir que :

–        elles sont susceptibles de subir un préjudice substantiel si le rapport litigieux est divulgué en dépit des protections conférées à Intercept Pharmaceuticals par la législation des États-Unis, car cela ferait peser une charge injustifiée sur Intercept Pharmaceuticals et porterait atteinte à sa défense dans une instance juridictionnelle dénuée de fondement. Intercept Pharmaceuticals devrait consacrer au litige ses faibles ressources financières au détriment de la commercialisation du médicament Ocaliva ;

–        il n’existe aucun intérêt public, spécifique et impérieux à la divulgation pouvant l’emporter sur l’éventuel préjudice causé à leurs intérêts commerciaux ;

–        la divulgation serait contraire à un intérêt public compris de façon plus large : l’EMA et la FDA ont conclu des accords spécifiques pour faire en sorte que la pharmacovigilance soit partagée entre les agences et sont convenues, dans ce cadre, de ne pas divulguer au public les informations non publiques partagées par l’autre agence ;

–        une grande partie des informations au sujet de la pharmacovigilance en général, et des informations sur le rapport litigieux en particulier, ont déjà été divulguées. Ces divulgations ont été faites en gardant à l’esprit le délicat équilibre entre la nécessité de donner des informations sur la sécurité et le niveau d’information qu’il est approprié de consentir au public à propos de questions scientifiques complexes, la divulgation du lot 1 (et du lot 2) porterait atteinte à ce délicat équilibre ;

–        à la lumière de ces annonces publiques, il n’est nullement dans l’intérêt public ou dans l’intérêt de la santé publique de rendre le rapport litigieux lui-même accessible au public : le rapport litigieux, qui est un document scientifique spécialisé, serait incompréhensible pour le grand public et sa divulgation créerait un grave risque que les informations qu’il renferme puissent être utilisées à mauvais escient pour donner une image trompeuse de la sécurité clinique et de l’efficacité du médicament Ocaliva. Le rapport litigieux ne contiendrait aucun élément matériel qui viendrait compléter les informations déjà rendues publiques par l’EMA et la FDA.

51      L’EMA conteste les arguments des requérantes et conclut au rejet du second moyen.

52      Ainsi qu’il a déjà été rappelé aux points 25 à 29 ci-dessus, le règlement no 1049/2001 vise à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents détenus par une institution de l’Union, ce qui implique que les exceptions à ce droit doivent être interprétées et appliquées strictement. De même, il incombe à l’institution concernée qui applique l’une des exceptions prévues à l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1049/2001, de mettre en balance l’intérêt spécifique devant être protégé par la non-divulgation du document concerné et l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible.

53      Quant au concept d’intérêts commerciaux, il ressort de la jurisprudence que toute information relative à une société et à ses relations d’affaires ne saurait être considérée comme relevant de la protection qui doit être garantie aux intérêts commerciaux conformément à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001, sauf à tenir en échec l’application du principe général consistant à conférer au public le plus large accès possible aux documents détenus par les institutions (arrêts du 15 décembre 2011, CDC Hydrogene Peroxide/Commission, T‑437/08, EU:T:2011:752, point 44, et du 9 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, T‑516/11, non publié, EU:T:2014:759, point 81).

54      Ainsi, afin d’appliquer l’exception prévue par l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001, il est nécessaire de démontrer que le rapport litigieux contient des éléments susceptibles, du fait de leur divulgation, de porter atteinte aux intérêts commerciaux d’une personne morale. Il en est ainsi lorsque, notamment, le document demandé contient des informations commerciales sensibles relatives, notamment, aux stratégies commerciales des entreprises concernées ou à leurs relations commerciales, ou lorsque celui-ci contient des données propres à l’entreprise qui mettent en avant son expertise (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, T‑516/11, non publié, EU:T:2014:759, points 82 à 84).

55      En l’espèce, force est de constater que, à aucun stade de la procédure, les requérantes n’ont avancé le moindre argument pour démontrer quelle partie du rapport litigieux contenait des informations commerciales sensibles. En effet, les requérantes se contentent d’indiquer que la divulgation du rapport litigieux entraînerait un investissement financier plus important lié à la procédure judiciaire pendante aux États-Unis.

56      Or, une telle justification ne concerne pas un intérêt protégé par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.

57      Du fait que l’exception invoquée par les requérantes n’est pas applicable, leur argumentation portant sur l’absence d’un intérêt public spécifique à la divulgation est inopérante.

58      De même, l’argument selon lequel la divulgation du rapport litigieux serait contraire aux accords conclus entre l’EMA et la FDA ne saurait prospérer.

59      En premier lieu, il y a lieu d’observer que les accords de confidentialité conclus entre l’EMA et la FDA afin de faciliter l’échange d’informations non publiques entre ces deux autorités reconnaissent que l’EMA est tenue de divulguer les informations reçues par la FDA à moins que ces informations ne relèvent de l’une des exceptions visées à l’article 4 du règlement no 1049/2001.

60      En second lieu, comme l’a fait valoir l’EMA, le rapport litigieux lui a été présenté par Intercept Pharma et non par la FDA. De ce fait, les accords susmentionnés n’ont aucune pertinence en l’espèce.

61      Enfin, il y a lieu de remarquer que les requérantes elles-mêmes affirment qu’une grande partie des informations au sujet de la pharmacovigilance en général et des informations sur le rapport litigieux en particulier a déjà été divulguée. Le fait que le contenu du rapport litigieux ait un caractère scientifique et qu’il soit, dans une certaine mesure, complexe, détaillé ou spécialisé ne constitue pas un motif de non-divulgation.

62      Il résulte de ce qui précède que le second moyen doit être rejeté et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EMA.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Intercept Pharma Ltd et Intercept Pharmaceuticals, Inc. sont condamnées aux dépens.

Prek

Schalin

Costeira

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 juin 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.