Language of document : ECLI:EU:T:2021:442

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

14 juillet 2021 (*) (1)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative Ø – Marque internationale figurative antérieure ɸ – Motif relatif de refus – Risque de confusion – Similitude des signes – Article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑399/20,

Cole Haan LLC, établie à Greenland, New Hampshire (États-Unis), représentée par Me G. Vos, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. T. Frydendahl et A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Samsøe & Samsøe Holding A/S, établie à Copenhague (Danemark), représentée par Me C. Jardorf, avocate,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 15 avril 2020 (affaire R 1375/2019-4), relative à une procédure d’opposition entre Samsøe & Samsøe Holding et Cole Haan,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, U. Öberg et R. Mastroianni, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 26 juin 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 7 décembre 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 19 novembre 2020,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 1er novembre 2017, la requérante, Cole Haan LLC, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 18 : « Porte-documents, portefeuilles, valises, malles de voyage, fourre-tout, sacs à dos, sacs en cuir, sacs à main, bourses, sacs en peau pour faire les courses, étuis pour clés en cuir, étuis de cartes de visite, étuis pour cartes de crédit (portefeuilles), sacs à bandoulière, bagages, pochettes, sacs d’athlétisme tous usages, sacs de sport, sacs de plage, sacs à bandoulière ; portefeuilles ; parapluies » ;

–        classe 25 : « Vêtements pour femmes, hommes et enfants ; jeans, caleçons, dessous, chemises, tee-shirts, hauts [vêtements], pulls sans manches, jupes, chaussettes, vestes, manteaux, shorts, chemisiers, pull-overs, gilets, robes, foulards, gants [habillement], châles, combinaisons-pantalons, capes et pèlerines, vêtements de pluie, vêtements de ski, costumes de bain [maillots de bain], sous-vêtements, maillot de corps, bonneterie ; cravates ; chaussures ; bottes, souliers, baskets, pompes, sandales, pantoufles ; chapellerie, bonnets, chapeaux ».

4        Le 23 février 2018, l’intervenante, Samsøe & Samsøe Holding A/S, a formé opposition, au titre de l’article 46 du règlement 2017/1001, à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

5        L’opposition était fondée, notamment, sur l’enregistrement international désignant l’Union européenne de la marque figurative enregistrée le 22 novembre 2013 sous le numéro 1193789 et reproduite ci-après :

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6        La marque antérieure avait été enregistrée pour des produits relevant, notamment, des classes 18 et 25 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 18 : « Cuir et imitations de cuir, ainsi que produits en ces matières non compris dans d’autres classes ; peaux d’animaux, pelleteries ; sacs, bourses, malles et sacs de voyage ; parapluies et parasols » ;

–        classe 25 : « Vêtements, articles chaussants et chapellerie ».

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

8        Le 29 avril 2019, la division d’opposition a fait droit à l’opposition et a refusé l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits visés au point 3 ci-dessus, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

9        La requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 15 avril 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. Appréciant l’existence d’un risque de confusion du point de vue du grand public francophone ne maîtrisant ni le danois, ni le bulgare, ni le grec et faisant preuve d’un niveau d’attention moyen, elle a considéré que les produits en cause étaient identiques ou similaires, que les signes en conflit présentaient un degré élevé de similitude sur le plan visuel et qu’aucune comparaison desdits signes sur les plans phonétique et conceptuel n’était possible. Elle a ajouté que la marque antérieure présentait un caractère distinctif faible pour la majorité du public francophone et que, compte tenu du mode de commercialisation des produits en cause, la similitude des signes sur le plan visuel devait avoir un poids plus important aux fins de l’appréciation d’un risque de confusion. Enfin, ayant rejeté les arguments de la requérante tirés de décisions antérieures concernant des signes différents de ceux en conflit, elle a conclu qu’il existait un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, concernant l’ensemble des produits visés par la marque demandée.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens de la procédure devant le Tribunal ;

–        condamner l’intervenante aux dépens de la procédure devant la division d’opposition et devant la chambre de recours.

12      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

13      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 En droit

14      À l’appui du recours, la requérante soulève, en substance, un moyen unique, tiré de la violation l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. En particulier, elle conteste l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent.

15      Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec une marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire sur lequel la marque antérieure est protégée. Le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure. Par ailleurs, en vertu de l’article 8, paragraphe 2, sous a), iv), du règlement 2017/1001, il convient notamment d’entendre par marques antérieures les marques qui ont fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans l’Union, dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande de marque de l’Union européenne.

16      Constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou d’entreprises liées économiquement. Le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou des services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, notamment de l’interdépendance de la similitude des signes et de celle des produits ou des services désignés [voir arrêt du 9 juillet 2003, Laboratorios RTB/OHMI – Giorgio Beverly Hills (GIORGIO BEVERLY HILLS), T‑162/01, EU:T:2003:199, points 30 à 33 et jurisprudence citée].

17      Lorsque la protection de la marque antérieure s’étend à l’ensemble de l’Union, il y a lieu de prendre en compte la perception des marques en conflit par le consommateur des produits en cause sur ce territoire. Toutefois, il convient de rappeler que, pour refuser l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, il suffit qu’un motif relatif de refus au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 existe dans une partie de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Mast-Jägermeister/OHMI – Licorera Zacapaneca (VENADO avec cadre e.a.), T‑81/03, T‑82/03 et T‑103/03, EU:T:2006:397, point 76 et jurisprudence citée].

18      Dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion, il convient de prendre en compte le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Il y a également lieu de prendre en considération le fait que le niveau d’attention du consommateur moyen est susceptible de varier en fonction de la catégorie de produits ou de services en cause [voir arrêt du 13 février 2007, Mundipharma/OHMI – Altana Pharma (RESPICUR), T‑256/04, EU:T:2007:46, point 42 et jurisprudence citée].

19      En l’espèce, la requérante ne conteste pas le bien-fondé de la définition du public dans l’esprit duquel la chambre de recours a apprécié l’existence d’un risque de confusion, à savoir le public francophone ne maîtrisant ni le danois, ni le bulgare, ni le grec et faisant preuve d’un niveau d’attention moyen.

20      Elle ne conteste pas davantage la conclusion de la chambre de recours selon laquelle les produits en cause sont identiques ou similaires.

21      En revanche, elle conteste certaines appréciations portées par la chambre de recours dans le cadre de la comparaison des signes en conflit sur les plans visuel, phonétique et conceptuel.

22      Il convient de rappeler que l’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en conflit, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants. La perception des marques qu’a le consommateur moyen des produits ou des services en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation globale dudit risque. À cet égard, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (voir arrêt du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, point 35 et jurisprudence citée).

23      Il est constant entre les parties que la marque demandée est une représentation de la lettre « Ø », faisant partie de l’alphabet utilisé dans la langue danoise, tandis que la marque antérieure est une représentation de la lettre grecque « ɸ  » ou de la lettre « Φ » issue de l’alphabet cyrillique, utilisé, notamment, dans la langue bulgare.

24      S’agissant de la comparaison sur le plan visuel, la chambre de recours a relevé, au point 20 de la décision attaquée, que les signes en conflit étaient des signes figuratifs dont chacun était composé d’un cercle coupé en deux par une ligne verticale droite et que ces signes ne pouvaient être décomposés en éléments individuels. Au point 21 de ladite décision, elle a ajouté que lesdits signes étaient presque identiques sur le plan visuel, que la bissectrice coupant le cercle de la marque demandée était un peu plus longue que celle coupant le cercle de la marque antérieure et que, dans la marque antérieure, la ligne droite était verticale, alors qu’elle était diagonale dans la marque demandée. Elle a conclu que, dans l’ensemble, compte tenu de leurs différences et de leurs similitudes, les signes en conflit présentaient un degré élevé de similitude sur le plan visuel.

25      La requérante reproche à la chambre de recours d’avoir constaté, à tort, que les signes en conflit étaient composés tous deux d’un cercle coupé par une ligne droite verticale, alors que la ligne coupant le cercle figurant dans la marque demandée serait diagonale. En outre, elle soutient que, dans la marque antérieure, la ligne coupant le cercle s’étend au-delà de ce cercle sur une plus grande longueur que dans la marque demandée, ce dont la chambre de recours n’aurait pas tenu compte.

26      La requérante ajoute que le public pertinent est habitué à distinguer des lettres présentant des similitudes, telles que, respectivement, « b », « p », « d » et « q », « i », « j » et « l », « O » et « Q » majuscules, « m » et « n », « v » et « w », « n » et « u », « m » et « w », ainsi que le chiffre « 8 » et le symbole « ∞ » et les différents accents mis sur une même lettre. De surcroît, les consommateurs germanophones distingueraient sans difficulté la lettre « ß » de la lettre « B » et les consommateurs grecs la lettre « θ » de la lettre « ɸ », sans devoir procéder à une comparaison détaillée. Il résulterait de ces erreurs une appréciation incorrecte de la similitude entre les signes en conflit, lesquels seraient visuellement différents.

27      Il convient de relever que, certes, comme le fait valoir la requérante, seule la marque antérieure comporte une ligne droite verticale, de sorte que c’est à tort que la chambre de recours a affirmé que les deux signes en conflit en comportaient une.

28      Toutefois, force est de constater que, au point 20 de la décision attaquée, dans lequel figure cette affirmation erronée, ainsi qu’aux points 1 et 2 de cette décision, la chambre de recours a correctement reproduit graphiquement les signes en conflit. De plus, au point 21 de cette décision, la chambre de recours a notamment fondé sa conclusion sur la similitude visuelle des signes sur le fait que, dans la marque antérieure, la ligne droite était verticale, alors qu’elle était diagonale dans la marque demandée.

29      Il en résulte que la chambre de recours a tenu compte, aux fins de la comparaison des signes sur le plan visuel, du fait que le cercle de la marque demandée était coupé par une ligne droite diagonale, tandis que celui de la marque antérieure l’était par une ligne droite verticale. Partant, l’erreur dans la description des signes en conflit relevée par la requérante est demeurée sans influence sur ladite comparaison, de sorte que l’argument de celle-ci doit être écarté.

30      Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort du point 23 ci-dessus que la chambre de recours a tenu compte de la différence visuelle résultant du fait que la ligne coupant le cercle de la marque antérieure s’étendait au-delà de ce cercle sur une plus grande longueur que dans la marque demandée.

31      Quant aux affirmations de la requérante relatives à la capacité des consommateurs à distinguer certaines lettres ou certains symboles présentant des ressemblances visuelles, force est de constater qu’elles visent des lettres ou des symboles existant dans la ou les langues maîtrisées par les consommateurs considérés, à savoir, en l’espèce, les consommateurs francophones ne parlant ni le danois, ni le bulgare, ni le grec.

32      Or, aucune des lettres « Ø », « Φ » et « ɸ » n’est utilisée dans la langue française, parlée par le public pertinent.

33      Partant, les affirmations de la requérante sont dénuées de pertinence pour apprécier la perception de similitudes visuelles entre des signes qui, tels les signes en conflit, représentent des lettres n’existant pas dans la langue des consommateurs considérés. Dès lors, ces affirmations doivent être écartées.

34      Enfin, force est également de constater que l’affirmation de la requérante selon laquelle les signes en conflit sont différents sur le plan visuel est la conséquence des arguments écartés respectivement aux points 28 et 29 ci-dessus et qu’elle n’est pas davantage étayée. Dès lors, elle n’est pas de nature à remettre en cause la conclusion de la chambre de recours selon laquelle les signes en conflit sont similaires à un degré élevé sur le plan visuel et doit, partant, être rejetée.

35      En conséquence, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a considéré que les signes en conflit étaient similaires à un degré élevé sur le plan visuel.

36      S’agissant de la comparaison des signes en conflit sur le plan phonétique, la chambre de recours a considéré qu’il n’était pas possible de les comparer sur ce plan, car, aucun de ces signes n’ayant de signification pour la majorité du public francophone, ils ne seraient pas prononcés. Elle a ajouté que, s’ils devaient être prononcés par la description de leur apparence, les signes en conflit seraient prononcés tous deux « cercle bissecté », de sorte qu’ils seraient, dans une telle hypothèse, identiques sur le plan phonétique.

37      La requérante reproche à la chambre de recours d’avoir considéré que l’aspect phonétique des signes en conflit était sans influence sur l’appréciation de la similitude entre ces signes. En particulier, ladite chambre aurait considéré à tort que le public francophone n’avait aucune connaissance du danois, du bulgare et du grec. Or, les consommateurs, même sans comprendre lesdites langues, sauraient que, d’une part, la marque demandée a une signification dans les « langues scandinaves », elle représente une lettre dans l’alphabet danois et elle signifie « île » dans cette langue et, d’autre part, la marque antérieure représente une lettre des alphabets grec et bulgare. À l’appui de ces allégations, la requérante fait valoir que l’intervenante emploie la lettre « ø » dans son nom pour afficher son identité scandinave et qu’elle possède un magasin en France, ce qui montrerait que les consommateurs francophones comprennent l’origine scandinave, voire danoise, de la lettre « ø ». Or, dans leurs langues respectives, les lettres représentées par les signes en conflit se prononceraient de manière différente, de sorte que lesdits signes ne présenteraient pas de similitude sur le plan phonétique.

38      Ainsi qu’il ressort des points 22 et 31 ci-dessus, les lettres « Ø », « Φ » et « ɸ » ne sont pas utilisées dans la langue française, parlée par le public pertinent, de sorte que, du point de vue de ce public, elles appartiennent à des langues étrangères.

39      Or, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la connaissance d’une langue étrangère ne peut pas, en général, être présumée [voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2010, Inditex/OHMI – Marín Díaz de Cerio (OFTEN), T‑292/08, EU:T:2010:399, point 83].

40      À cet égard, il convient de considérer que, en principe, la prononciation correcte des lettres de l’alphabet dans une langue étrangère ainsi que la connaissance de l’existence d’une lettre de l’alphabet propre à une telle langue, relèvent de la connaissance de cette langue et, partant, ne sauraient non plus être présumées.

41      Au sujet de la prononciation par le public pertinent d’un mot appartenant à une langue étrangère, le Tribunal a jugé que la prononciation par le consommateur moyen d’un tel mot dans sa langue maternelle pouvait difficilement être établie avec certitude. Premièrement, il n’est pas certain que ce mot soit reconnu comme étranger. Deuxièmement, même si l’origine étrangère du mot en cause est reconnue, sa prononciation n’est pas obligatoirement celle de la langue d’origine. En effet, une prononciation correcte selon la langue d’origine suppose non seulement de connaître cette prononciation, mais également d’être apte à prononcer le mot en cause avec l’accent correct. Troisièmement, dans le cadre de l’appréciation d’un risque de confusion, il conviendrait encore d’établir qu’une fraction majoritaire du public pertinent a cette aptitude [voir, en ce sens, arrêt du 1er février 2005, SPAG/OHMI – Dann et Backer (HOOLIGAN), T‑57/03, EU:T:2005:29, point 58].

42      Ces considérations sont également pertinentes en ce qui concerne la prononciation de lettres n’existant pas dans les langues comprises par le public pertinent.

43      En l’espèce, la requérante admet qu’il est « probablement vrai » que le public pertinent défini par la chambre de recours ne comprend ni le danois, ni le bulgare, ni le grec. Toutefois, elle n’a produit aucun élément propre à établir que, ni a fortiori de quelle manière, ledit public prononcerait les signes en conflit.

44      Dès lors, l’argument de la requérante relatif à la prononciation différente des signes en conflit par le public pertinent ne connaissant ni le bulgare, ni le danois, ni le grec doit être écarté.

45      Il convient également d’écarter l’argument de la requérante selon lequel le public pertinent identifierait, d’une part, la lettre représentée par la marque demandée comme figurant dans l’alphabet danois, comme signifiant « île » dans cette langue et comme ayant une signification dans les « langues scandinaves » et, d’autre part, la marque antérieure comme représentant une lettre utilisée dans les langues grecque et bulgare. En effet, cet argument vise à établir l’existence d’une différence sur le plan conceptuel entre les signes en conflit, mais est dénué de pertinence en ce qui concerne la comparaison desdits signes sur le plan phonétique.

46      Il en résulte que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a considéré que, eu égard à la perception du public pertinent, il n’était pas possible de procéder à une comparaison phonétique des signes en conflit.

47      S’agissant de la comparaison des signes en conflit sur le plan conceptuel, la requérante conteste la conclusion de la chambre de recours selon laquelle une telle comparaison n’est pas possible. À cet égard, elle déduit de l’argument rappelé au point 44 ci-dessus que le public pertinent reconnaîtra les signes en conflit comme étant deux lettres issues de langues étrangères différentes. Elle ajoute que la lettre « Ø », représentée par la marque demandée, a d’autres significations comprises par l’ensemble des consommateurs de l’Union. En effet, d’une part, cette lettre serait comprise comme désignant en mathématiques le chiffre 0. À cet égard, elle fait valoir qu’elle utilise la lettre « Ø » dans le cadre de sa stratégie commerciale et dans d’autres marques dont elle serait titulaire, telles que ZERØGRAND, ØRIGINALGRAND, GRANDPRØ et GRAND.ØS, pour remplacer tant la lettre « o » que le chiffre 0. Or, elle n’utiliserait pas la lettre « Ø » de cette manière si elle considérait que le public pertinent ne pouvait pas l’identifier comme remplaçant la lettre « o » ou le chiffre 0. D’autre part, cette lettre serait comprise comme un symbole désignant le diamètre d’un objet. À l’appui de cette allégation, la requérante a produit des captures d’écran d’extraits d’un catalogue d’un fabricant de mobilier, qui serait édité à plus de 200 millions d’exemplaires chaque année et qui montrerait de nombreux exemples d’utilisation de la lettre « Ø » pour désigner le diamètre d’un objet. Elle en déduit que les signes en conflit sont différents sur le plan conceptuel.

48      La chambre de recours a relevé que, pour la majorité du public francophone, qui ne comprend ni le bulgare, ni le danois, ni le grec, le signe antérieur n’a pas de signification, ce dont elle a déduit qu’aucune comparaison des signes en conflit sur le plan conceptuel n’était possible. Elle a ajouté que le fait qu’une partie de ce public perçoive les signes en conflit comme étant des lettres issues des alphabets danois, bulgare ou grec était sans importance et que la marque demandée ne serait pas perçue par la majorité du public francophone comme le symbole mathématique « zéro » ou comme le symbole désignant le diamètre d’un objet.

49      Ainsi qu’il a été relevé au point 39 ci-dessus, la connaissance de l’existence d’une lettre de l’alphabet propre à une langue étrangère ne saurait être présumée.

50      Or, force est de constater que la requérante n’a pas produit d’éléments de nature à démontrer que le public francophone ne connaissant ni le danois, ni le bulgare, ni le grec identifierait, d’une part, la marque demandée comme une représentation d’une lettre utilisée dans la langue danoise et, d’autre part, la marque antérieure comme représentant une lettre utilisée dans les langues grecque et bulgare. À cet égard, la seule circonstance tirée de l’orthographe du nom de l’intervenante et de l’usage de ce nom en tant qu’enseigne d’un magasin en France ne permet pas d’établir la compréhension de la lettre « Ø » alléguée par la requérante. Au demeurant, force est de constater que, ainsi que l’EUIPO le relève à juste titre, l’allégation dudit usage est étayée par une capture d’écran d’un site Internet, constituant l’annexe A.5 de la requête, que la requérante a produit pour la première fois devant le Tribunal. Or, un tel élément de preuve doit être rejeté comme irrecevable sans qu’il soit nécessaire de l’examiner [voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2009, Fiorucci/OHMI – Edwin (ELIO FIORUCCI), T‑165/06, EU:T:2009:157, point 22 et jurisprudence citée].

51      En outre, la requérante n’a pas davantage établi que le public pertinent comprendrait la marque demandée comme signifiant « île » en danois.

52      En ce qui concerne la supposée compréhension par ce public de la lettre « Ø » comme désignant le chiffre 0 en mathématiques, force est de constater que cette allégation n’est étayée que par les affirmations de la requérante relatives à l’usage qu’elle ferait de cette lettre dans des marques dont elle est titulaire. Or, puisque ces affirmations ne concernent pas la lettre « Ø » seule, elles sont dénuées de pertinence afin d’établir la signification de cette lettre pour le public, même à supposer un tel usage établi.

53      Quant à la supposée compréhension de la lettre « Ø » par le public pertinent comme désignant le diamètre d’un objet, force est de considérer que cette allégation est, ainsi que le relève l’EUIPO à juste titre, uniquement étayée, dans le cadre du présent recours, par des éléments de preuve produits pour la première fois devant le Tribunal, à savoir les annexes A.7, A.8 et A.9 de la requête. Or, conformément à la jurisprudence rappelée au point 50 ci-dessus, de tels éléments de preuve sont irrecevables.

54      Dès lors, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a considéré qu’une comparaison de ces signes sur ce plan n’était pas possible.

55      S’agissant de l’appréciation globale du risque de confusion, il convient de rappeler qu’une telle appréciation implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte et, notamment, de la similitude des marques et de celle des produits ou des services désignés. Ainsi, un faible degré de similitude entre les produits ou les services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les marques, et inversement (arrêts du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, EU:C:1998:442, point 17, et du 14 décembre 2006, VENADO avec cadre e.a., T‑81/03, T‑82/03 et T‑103/03, EU:T:2006:397, point 74).

56      En outre, le consommateur moyen n’a que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe des différents signes et doit se fier à l’image non parfaite qu’il a gardée en mémoire (voir arrêt du 26 avril 2007, Alcon/OHMI, C‑412/05 P, EU:C:2007:252, point 60 et jurisprudence citée).

57      En l’espèce, la chambre de recours a considéré qu’il existait un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent. Dans le cadre de son appréciation, elle a rappelé que les produits en cause étaient identiques ou similaires et que les signes en conflit présentaient un degré élevé de similitude visuelle. En outre, elle a considéré que la marque antérieure possédait un caractère distinctif faible et que, en raison des conditions de commercialisation particulières des produits en cause et de l’importance de l’aspect visuel desdits produits pour le public pertinent, la similitude visuelle avait un poids plus important dans la perception dudit public. Enfin, elle a rejeté les arguments de la requérante tirés de décisions antérieures concluant à l’absence de similitude entre des signes différents des signes en conflit.

58      La requérante conteste l’existence d’un risque de confusion. Elle admet que la marque antérieure possède un caractère distinctif faible et que l’aspect visuel des signes en conflit dans l’impression d’ensemble produite par ceux-ci est plus important que leurs aspects phonétique et conceptuel. Toutefois, en sus des arguments reproduits au point 25 ci-dessus, elle fait valoir que l’intervenante utilise simultanément la lettre « Ø » et la marque antérieure, en particulier dans un signe faisant l’objet de l’enregistrement international reproduit ci-après, et en déduit que le public pertinent est habitué à distinguer les lettres représentées par les signes en conflit :

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59      Il convient de constater que, pour étayer cette dernière allégation, la requérante se limite à produire un extrait du registre de l’Office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) relatif à l’enregistrement international reproduit au point 58 ci-dessus. Or, d’une part, un tel extrait ne permet pas d’établir l’usage allégué et, d’autre part, même à le supposer avéré, un tel usage ne permet pas d’établir l’absence de risque de confusion dans l’esprit du public pertinent, compte tenu, à la fois, de la circonstance rappelée au point 55 ci-dessus et de l’identité ou de la similitude des produits en cause, du degré élevé de similitude entre les signes en conflit sur le plan visuel, de l’absence de comparaison possible sur les plans phonétique et conceptuel, du caractère distinctif faible de la marque antérieure ainsi que de l’importance accrue de l’aspect visuel des signes en conflit dans la perception desdits signes par le public pertinent.

60      Il s’ensuit que, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 16 ci-dessus, c’est à juste titre que la chambre de recours a constaté l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

61      Dès lors, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

62      S’agissant du chef de conclusions de la requérante tendant à la condamnation de l’EUIPO à supporter les dépens afférents à la procédure devant le Tribunal, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par l’EUIPO, conformément aux conclusions de ce dernier.

63      L’intervenante n’ayant pas conclu à ce que la requérante soit condamnée aux dépens, elle supportera, conformément à l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, ses propres dépens.

64      S’agissant du chef de conclusions de la requérante tendant à la condamnation de l’intervenante à supporter les dépens afférents à la procédure devant la division d’opposition et la chambre de recours, il suffit de constater que, dès lors que le présent arrêt rejette le recours dirigé contre la décision attaquée, c’est le point 2 du dispositif de cette dernière qui continue à régler les dépens exposés dans la procédure d’opposition et dans la procédure de recours devant l’EUIPO [voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2017, Aldi/EUIPO – Sky (SKYLITe), T‑736/15, non publié, EU:T:2017:729, point 131].

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Cole Haan LLC est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).

3)      Samsøe & Samsøe Holding A/S supportera ses propres dépens.

Spielmann

Öberg

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.