Language of document : ECLI:EU:T:2017:410

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

21 juin 2017 (1)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative représentant des chevrons entre deux lignes parallèles – Caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 207/2009 – Examen de la marque telle qu’enregistrée »

Dans l’affaire T‑20/16,

M/S. Indeutsch International, établie à Noida (Inde), représentée initialement par MM. D. Stone, D. Meale, A. Dykes, solicitors, et S. Malynicz, QC, puis par MM. Stone et Malynicz et enfin par MM. Stone, Malynicz et Mme M. Siddiqui, solicitor,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Crafts Americana Group, Inc., établie à Vancouver, Washington (États-Unis), représentée par M. J. Fish et Mme V. Leitch, solicitors, et M. A. Bryson, barrister,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 5 novembre 2015 (affaire R 1814/2014-1), relative à une procédure de nullité entre Crafts Americana Group et M/S. Indeutsch International,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Gratsias (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. I. Dragan, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 2016,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 4 avril 2016,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 12 avril 2016,

vu la question écrite du Tribunal aux parties,

à la suite de l’audience du 12 janvier 2017,

vu l’ordonnance du 2 février 2017 portant réouverture de la phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 15 février 2010, la requérante, M/S. Indeutsch International, a déposé une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif reproduit ci-après :

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3        Ce signe a été accompagné par la description suivante :

« La marque consiste en un dessin géométrique répétitif. »

4        L’enregistrement de cette marque a été demandé pour des « aiguilles à tricoter » et des « crochets à broder » relevant de la classe 26 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

5        La marque en question a été enregistrée le 10 août 2010.

6        Le 9 janvier 2013, l’intervenante, Crafts Americana Group, Inc., a introduit auprès de l’EUIPO une demande en nullité de la marque contestée au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous a) et b), du même règlement.

7        Par décision du 7 mai 2014, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité. En particulier, la division d’annulation a considéré que la représentation graphique de la marque contestée était claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective, si bien qu’elle satisfaisait aux exigences de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009. En outre, s’agissant de l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, la division d’annulation a considéré que la marque contestée était pourvue de caractère distinctif. À cet égard, la division d’annulation a souligné que la marque en question ne constituait pas une marque tridimensionnelle et ne représentait pas l’apparence des produits couverts par son enregistrement.

8        Le 14 juillet 2014, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’annulation.

9        Par décision du 5 novembre 2015 (ci-après la « décision attaquée »), la chambre de recours a annulé la décision de la division d’annulation au motif que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

10      En particulier, la chambre de recours a considéré que la marque contestée, évoquée par le titulaire de celle-ci comme la « marque à chevrons », représentait un motif placé sur une partie des produits ou couvrant toute leur surface. Sur le fondement de cette constatation, la chambre de recours a tenu compte des photos et des échantillons des produits commercialisés par la requérante au moment du dépôt de la demande de marque, afin d’identifier les caractéristiques essentielles de celle-ci. Dans ce contexte, la chambre de recours a estimé que l’apparence ornementale de la marque contestée conduirait le public pertinent, composé de consommateurs moyens d’aiguilles à tricoter et de crochets à broder, à percevoir ladite marque comme une décoration de ces produits. Selon la chambre de recours, le public pertinent est habitué à la pratique des fabricants qui consiste à décorer les produits couverts par la marque contestée, si bien qu’il percevra cette dernière, telle qu’appliquée à la surface des produits concernés, comme une variante des décorations présentes sur le marché, dont elle ne s’éloigne pas de manière significative. À titre subsidiaire, la chambre de recours a estimé que ledit public percevra cette marque comme ayant l’apparence du grain du bois, qui est le matériau de fabrication des produits concernés, et non comme une indication d’origine commerciale. Il en résulterait que la marque contestée n’a pas le caractère distinctif requis par l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 afin de remplir la fonction de la marque.

11      Dans ce contexte, la chambre de recours a annulé la décision de la division d’annulation sans examiner la question de savoir si la marque contestée tombait sous le coup de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009. En outre, dès lors que la requérante avait fait valoir, devant la division d’annulation, que la marque contestée avait, en toute hypothèse, acquis un caractère distinctif après l’usage qui en avait été fait, conformément à l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement, la chambre de recours a renvoyé l’affaire à la division d’annulation afin que cette dernière se prononce sur cette question.

 Conclusions des parties

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal : 

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

13      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

14      À l’appui de son recours, la requérante soulève cinq moyens, tous tirés, en substance, d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. En particulier, le premier moyen est tiré de ce que la marque contestée s’éloigne de manière substantielle des pratiques qui prévalent dans le secteur dont relèvent les produits couverts par la demande. Le deuxième moyen est tiré d’une violation des règles régissant la charge de la preuve. Le troisième moyen est tiré d’une appréciation erronée relative à la nature décorative de la marque contestée. Le quatrième moyen est tiré d’erreurs concernant l’aspect de la marque contestée et, enfin, le cinquième moyen est tiré d’une erreur concernant la perception de la marque contestée par le public pertinent.

15      Plus précisément, premièrement, la requérante fait valoir que, ainsi qu’il ressort des éléments de preuve à la disposition de la chambre de recours, les produits visés par la demande de marque ne font habituellement pas apparaître de motifs remarquables sur leur surface, si bien que la chambre de recours a commis une erreur en considérant que les motifs représentés par la marque contestée, qui résultaient d’une méthode de fabrication complexe, étaient des variantes des aspects externes habituels desdits produits. Deuxièmement, en considérant, sur le fondement des éléments soumis par la requérante, que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif, la chambre de recours aurait enfreint la règle régissant la charge de la preuve en la matière. Troisièmement, la requérante fait valoir que, en l’absence d’une pratique établie consistant en l’ornementation des produits visés par la marque contestée, les motifs représentés par cette dernière seraient perçus par le public pertinent comme des indications de l’origine commerciale. Quatrièmement, la chambre de recours aurait commis une erreur en considérant que le motif composant la marque contestée représentait le grain du bois, puisque ce dernier aurait un aspect asymétrique et irrégulier, contrairement au motif en question, qui serait perçu comme artificiel. Enfin, cinquièmement, la requérante fait valoir que le consommateur moyen, surtout le non-initié en tricotage, composant le public pertinent, sera impressionné par le motif que représente la marque contestée, si bien qu’il le regardera comme une indication de l’origine commerciale des aiguilles à tricoter et des crochets à broder.

 Observations liminaires

16      Le présent litige porte sur la question de savoir si la marque contestée, reproduite au point 2 ci-dessus, est pourvue d’un caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. Ainsi qu’il sera exposé plus en détail ci-après, il ressort de la décision attaquée que l’appréciation de la chambre de recours sur cette question n’a pas, en réalité, été fondée sur les caractéristiques de cette marque telle qu’enregistrée, mais sur les caractéristiques de l’apparence externe des produits de la requérante, qui, selon la chambre de recours, indiquent la manière dont ladite marque a été utilisée.

17      La requérante, pour sa part, fait valoir que l’appréciation de la chambre de recours est entachée d’erreurs constitutives d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. Il y a donc lieu d’apprécier la légalité de la décision attaquée à l’aune de cette disposition.

 Raisonnement de la chambre de recours

18      Ainsi qu’il ressort des points 21, 22 et 30 à 34 de la décision attaquée, la chambre de recours a estimé que la marque contestée constituait un motif à chevrons appliqué à la surface des aiguilles à tricoter et des crochets à broder et que, dès lors, il y avait lieu d’apprécier son caractère distinctif à l’aune des règles régissant les marques figuratives constituées par une partie de la forme du produit qu’elles désignaient. Or, selon la chambre de recours, décorer ces surfaces moyennant des couleurs intenses constitue une pratique courante dans le secteur dont relèvent les produits en question, de sorte que la décoration représentée par la marque contestée, telle qu’appliquée à la surface des aiguilles à tricoter et des crochets à broder, ne constitue pas un départ significatif de la pratique en cause. Dans ces conditions, compte tenu des règles applicables en présence d’une marque figurative constituée par une partie de la forme du produit qu’elle désigne, exposées aux points 23 à 26 de la décision attaquée, la chambre de recours a conclu que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif.

19      En particulier, au point 21 de la décision attaquée, la chambre de recours expose que, « comme la titulaire de la [marque contestée] l’a elle-même souligné [dans ses observations du 12 juin 2013] et comme il ressort clairement des [photographies et échantillons faisant partie du dossier], la marque [contestée] représente un motif placé sur une partie des produits ou couvrant toute leur surface ».

20      Cette appréciation est notamment fondée sur la représentation suivante des produits de la requérante figurant au point 21 de la décision attaquée :

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21      En outre, au point 21 de la décision attaquée, la chambre de recours se réfère également, sans les reproduire, aux photographies annexées au témoignage d’un collaborateur commercial de la requérante, qui avait été produit par cette dernière devant la division d’annulation.

22      Dans ce contexte, la chambre de recours a observé, au point 22 de la décision attaquée, que, « puisque le motif en cause recouvr[ait] dans une plus ou moins grande mesure [la surface des produits] et correspond[ait], par conséquent, à l’aspect extérieur de ces produits, le caractère distinctif de la marque contestée d[evait] être apprécié sur la base des principes applicables aux marques (bidimensionnelles ou tridimensionnelles) constituées par l’aspect des produits eux-mêmes ou par l’aspect d’une partie de ces produits ».

23      Après avoir rappelé les règles en question, la chambre de recours a souligné, au point 28 de la décision attaquée, que, en application de ces règles, elle pouvait effectuer un examen approfondi dans le cadre duquel étaient pris en compte, outre la représentation graphique et les éventuelles descriptions déposées lors du dépôt de la demande d’enregistrement, des éléments utiles à l’identification convenable des caractéristiques essentielles d’un signe. Ainsi, selon le point 29 de la décision attaquée, la chambre de recours a tenu compte, pour examiner les caractéristiques essentielles de la marque contestée, des photographies et des échantillons des produits concernés que la requérante avait présentés devant la division d’annulation et particulièrement du fait que ces produits étaient effectivement commercialisés par la requérante à la date du dépôt de la demande de marque.

24      Par ailleurs, au point 30 de la décision attaquée, la chambre de recours souligne qu’« il est clair, au vu de la représentation [de la marque contestée] et de sa description […] confirmées par les représentations des produits de la [requérante] que la marque contestée consiste en un motif appliqué sur la surface des produits concernés, à savoir des aiguilles à tricoter et des crochets à broder ». Elle précise que, « [e]n outre, le motif, tel qu’il est enregistré et utilisé par [la requérante] a l’aspect du [grain] du bois lui-même, une matière dans laquelle il est possible que les produits concernés soient fabriqués et [dans laquelle ils] sont effectivement fabriqués ». Par ailleurs, au point 34 de la décision attaquée, la chambre de recours décrit la marque contestée comme étant « un simple dessin appliqué sur la surface des produits concernés ».

25      De surcroît, ainsi qu’il ressort des points 33 et 34 de la décision attaquée, la chambre de recours a pris appui sur la décoration en couleur des crochets à broder reproduits ci-après :

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26      Sur le fondement de cette photo, qui figure parmi les éléments produits par la requérante et qui illustre des crochets à broder produits par d’autres fabricants, la chambre de recours a conclu que la décoration des produits de la requérante par un motif à chevrons colorés n’avait pas de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. La chambre de recours a relevé à cet égard que la marque contestée consistait en une décoration colorée des aiguilles à tricoter et des crochets à broder produits par la requérante et donc ne constituait, en tant que telle, qu’une variation des décorations, sous forme de surfaces colorées, d’aiguilles à tricoter et des crochets à broder disponibles sur le marché, comme il serait démontré par la photo figurant au point 25 ci-dessus. Aucune forme de décoration autre que la surface colorée de ces crochets à broder n’a été invoquée par la chambre de recours afin de justifier cette conclusion, ce qui est confirmé au point 49 du mémoire en réponse de l’EUIPO.

27      La position que l’EUIPO a soutenue lors de l’audience, selon laquelle la chambre de recours a simplement tenu compte de l’aspect des produits de la requérante tout en appréciant, en réalité, le caractère distinctif de la marque contestée telle qu’enregistrée, ne saurait être accueillie. En effet, la question de savoir quel est le signe précis dont le caractère distinctif est apprécié par la chambre de recours doit recevoir une réponse fondée sur des éléments objectifs et vérifiables. Or, ainsi qu’il ressort des points 18 à 26 ci-dessus, la chambre de recours a apprécié le caractère distinctif de la marque contestée en se référant, d’une part, à l’aspect extérieur coloré des produits de la requérante et, d’autre part, à la surface colorée des crochets à broder figurant au point 25 ci-dessus. Dès lors que, dans sa forme enregistrée, la marque contestée figure en noir et blanc et que la description qui l’accompagne ne fait pas référence à des versions multicolores, force est de constater que la chambre de recours a essentiellement fondé son appréciation sur l’aspect des produits de la requérante tels qu’ils faisaient partie du dossier de l’EUIPO sous forme d’échantillons physiques et de photographies en couleur.

28      Pour sa part, l’EUIPO se réfère itérativement à l’« application » ou à l’« utilisation » concrète de la marque contestée sur la surface des produits de la requérante (voir points 21, 51, 52, 55 et 58 du mémoire en réponse de l’EUIPO). C’est précisément cette application concrète qui, selon l’EUIPO, ne constitue qu’une variante de l’application d’une couleur remarquable à la surface des produits concernés (voir point 58 du mémoire en réponse de l’EUIPO).

 Légalité du raisonnement de la chambre de recours

29      Il y a lieu de rappeler que la requérante soulève plusieurs griefs tendant tous à établir que la chambre de recours a enfreint l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 à cause d’erreurs relatives à l’appréciation du caractère distinctif de la marque contestée. Ainsi, dans le cadre des premier et troisième moyens, la requérante conteste l’appréciation de la chambre de recours relative au caractère distinctif de la marque contestée compte tenu des habitudes du secteur concerné et de la perception du public pertinent. En outre, le quatrième moyen concerne la perception « du motif apparaissant sur la marque » en tant que grain du bois. Or, l’examen de ce moyen appelle le Tribunal à aborder la question de savoir si la chambre de recours pouvait valablement se fonder non sur la marque contestée telle qu’enregistrée, mais sur les formes dans lesquelles la chambre de recours estimait que se manifestait l’utilisation effective de cette marque. En effet, s’il est vrai que, dans le cadre du quatrième moyen, cette question est soulevée sous l’angle particulier de l’appréciation de la chambre de recours relative à la perception de la marque contestée comme grain du bois, il n’en demeure pas moins que la possibilité pour la chambre de recours de fonder son raisonnement sur les formes dans lesquelles elle estimait que se manifestait l’utilisation effective de la marque contestée constitue la prémisse nécessaire des appréciations de la décision attaquée sur le caractère distinctif de la marque contestée.

30      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, tout en ne devant statuer que sur la demande des parties, auxquelles il appartient de délimiter le cadre du litige, le juge ne saurait être tenu par les seuls arguments invoqués par celles-ci au soutien de leurs prétentions, sauf à se voir contraint, le cas échéant, de fonder sa décision sur des considérations juridiques erronées [ordonnance du 13 juin 2006, Mancini/Commission, C‑172/05 P, EU:C:2006:393, point 41, et arrêt du 11 décembre 2014, Sherwin-Williams Sweden/OHMI – Akzo Nobel Coatings International (ARTI), T‑12/13, non publié, EU:T:2014:1054, point 34].

31      Dans ce cadre, il importe de souligner que la question de savoir si la marque contestée est constituée par une partie de la forme du produit qu’elle désigne a été discutée tant devant la division d’annulation que devant la chambre de recours (voir points 7 et 10 ci-dessus) et que les parties ont été invitées à commenter cette partie de la décision attaquée lors de l’audience. Ainsi, un examen du bien-fondé en droit de la pierre angulaire du raisonnement de la chambre de recours relatif à l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 s’impose, et ce sous un angle plus large que celui évoqué dans le quatrième moyen. En effet, un arrêt confirmant ou infirmant l’appréciation du caractère distinctif de la marque contestée sous une forme autre que celle dans laquelle elle a été enregistrée impliquera, implicitement, mais nécessairement, que ce caractère pouvait légalement être apprécié en tenant compte de cette autre forme. Or, s’il y a lieu de répondre par la négative à cette question de droit, l’ensemble du raisonnement de la chambre de recours sera constitutif d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

32      Ainsi qu’il ressort du point 1 de la décision attaquée et du certificat d’enregistrement figurant en page 11 du dossier de l’EUIPO, la marque contestée telle qu’enregistrée consiste en le signe figuratif suivant :

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33      À cet égard, il importe de rappeler que l’enregistrement d’une marque dans un registre public a pour objet de rendre celle-ci accessible aux autorités compétentes et au public, en particulier aux opérateurs économiques. Ainsi, c’est à partir de cet enregistrement que les autorités compétentes connaissent avec clarté et précision la nature des signes constitutifs d’une marque, afin d’être en mesure de remplir leurs obligations relatives à l’examen préalable des demandes d’enregistrement, et que les utilisateurs du registre ont accès à sa représentation graphique déterminant sa nature exacte (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann, C‑273/00, EU:C:2002:748, points 49, 50 et 52).

34      En outre, la représentation graphique figurant au registre a pour fonction notamment de définir la marque elle-même afin de déterminer l’objet exact de la protection conférée à son titulaire (arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry, C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129, point 57). Le registre permet ainsi aux opérateurs économiques de s’assurer avec clarté et précision des enregistrements effectués ou des demandes d’enregistrement formulées par leurs concurrents actuels ou potentiels et de bénéficier d’informations pertinentes concernant les droits des tiers (arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys, C‑307/10, EU:C:2012:361, point 48).

35      L’examen du caractère distinctif d’une marque doit donc s’effectuer en tenant compte de la marque telle qu’elle a été enregistrée ou telle qu’elle figure dans la demande d’enregistrement, indépendamment des modalités de son usage [voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2007, AMS/OHMI – American Medical Systems (AMS Advanced Medical Services), T‑425/03, EU:T:2007:311, point 91 ; du 9 avril 2014, Pico Food/OHMI – Sobieraj (MILANÓWEK CREAM FUDGE), T‑623/11, EU:T:2014:199, point 38, et du 7 mai 2015, Cosmowell/OHMI – Haw Par (GELENKGOLD), T‑599/13, EU:T:2015:262, point 35].

36      Cette règle découle des besoins impératifs de sécurité juridique sauvegardés par l’existence du registre des marques de l’Union européenne prévu à l’article 87 du règlement n° 207/2009. En effet, appliquer les articles 7 et 8 du règlement n° 207/2009 en tenant compte non pas des marques de l’Union telles que demandées ou enregistrées, mais telles qu’utilisées, anéantirait la fonction dudit registre en tant que garant de la certitude qui doit entourer la nature exacte des droits qu’il est censé protéger (voir point 33 ci-dessus).

37      Eu égard à ces considérations, lorsque la marque demandée ou enregistrée consiste en une représentation bidimensionnelle ou tridimensionnelle du produit qu’elle désigne, son caractère distinctif dépend de la question de savoir si elle diverge de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’identification de l’origine du produit [arrêt du 23 mai 2007, Procter & Gamble/OHMI (Tablette carrée blanche avec un dessin floral de couleur), T‑241/05, T‑262/05 à T‑264/05, T‑346/05, T‑347/05 et T‑29/06 à T‑31/06, EU:T:2007:151, point 44].

38      Tel est également le cas, comme l’expose la chambre de recours au point 26 de la décision attaquée, lorsque la marque est constituée par une partie de la forme du produit qu’elle désigne, dans la mesure où le public pertinent la percevra, immédiatement et sans réflexion particulière, comme une représentation d’un détail ou d’un aspect du produit en question [arrêt du 19 septembre 2012, Fraas/OHMI (Motif à carreaux gris foncé, gris clair, noir, beige, rouge foncé et rouge clair), T‑50/11, non publié, EU:T:2012:442, point 43]. Dans un tel cas de figure, l’élément déterminant n’est pas la qualification du signe concerné de signe figuratif, tridimensionnel ou autre, mais le fait qu’il se confonde avec l’apparence du produit désigné [arrêt du 9 novembre 2016, Birkenstock Sales/EUIPO (Représentation d’un motif de lignes ondulées entrecroisées), T‑579/14, sous pourvoi EU:T:2016:650, point 28].

39      En effet, si, dans un tel cas de figure, l’appréciation du caractère distinctif de la marque ne s’effectuait pas par référence à la divergence qu’elle représente comparée aux normes ou aux habitudes du secteur des produits désignés, il suffirait de demander l’enregistrement d’un signe immédiatement perceptible comme partie du produit désigné afin d’augmenter la possibilité de le voir enregistré et ainsi conférer quasi-automatiquement une protection à l’apparence ou à la forme du produit lui-même. Or, étant donné que les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur apparence ou forme (arrêt du 6 septembre 2012, Storck/OHMI, C‑96/11 P, non publié, EU:C:2012:537, point 35), cette possibilité présenterait un important risque de contournement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 et donc saboterait l’intérêt public que cette disposition sauvegarde.

40      En outre, s’agissant des marques constituées par la forme du produit qu’elles désignent, il est loisible à l’autorité compétente d’identifier leurs caractéristiques essentielles en examinant le produit lui-même. En effet, un tel examen s’impose lorsque l’identification d’une caractéristique essentielle de la marque est nécessaire afin de déterminer la nature exacte des éléments faisant partie de la représentation graphique et des éventuelles descriptions déposées lors de l’introduction de la demande d’enregistrement, et sauvegarder ainsi l’intérêt public sous-tendant l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 207/2009. Cet intérêt consiste à interdire à un opérateur économique de s’approprier indûment un signe constitué par la forme du produit et incorporant une solution technique (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry, C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129, points 50 et 54 à 56). Cette problématique surgit, par définition, en présence d’une marque constituée par la forme d’un produit concret et non par une forme abstraite (arrêt du 10 novembre 2016, Simba Toys/EUIPO, C‑30/15 P, EU:C:2016:849, point 47).

41      Or, en l’espèce, ainsi que l’a observé la division d’annulation (voir point 7 ci-dessus), il ne peut être valablement soutenu que la marque contestée (voir point 32 ci-dessus) sera immédiatement et sans réflexion particulière perçue comme une représentation d’un détail ou d’un aspect des produits qu’elle désigne et encore moins qu’elle est constituée par la forme des aiguilles à tricoter et des crochets à broder produits par la requérante.

42      Quelques exemples des produits en question issus du dossier de l’EUIPO sont reproduits ci-après :

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43      Il ressort des échantillons de ces produits ainsi que des photographies de ceux-ci, faisant tous partie du dossier de l’EUIPO, que les motifs apposés sur les produits en question diffèrent de cette marque par des éléments non négligeables. En particulier, les motifs en question portent des couleurs, ils sont distribués à intervalles irréguliers, le coloriage à l’intérieur de chaque surface prenant la forme d’un chevron n’est pas homogène, la transition de couleur en couleur ne se fait pas moyennant une ligne de démarcation claire et la succession de couleurs est aléatoire. Ces caractéristiques sont également présentes s’agissant des aiguilles beiges reproduites au point 21 de la décision attaquée, à l’exception de la multitude de couleurs différentes, qui donne sa place à des variations du beige.

44      En revanche, la marque contestée telle qu’enregistrée revêt les caractéristiques d’une forme géométrique abstraite constituée par un dessin répétitif consistant en deux lignes parallèles renfermant des chevrons clairement délimités, le tout en noir et blanc.

45      Par conséquent, contrairement à l’estimation de la chambre de recours, prendre appui, dans les circonstances de l’espèce, sur le fait que les produits de la requérante font apparaître en surface des motifs sous forme de chevrons multicolores afin d’examiner le caractère distinctif de l’apparence de ces produits au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 au lieu de fonder cet examen sur la marque contestée telle qu’enregistrée ne s’inscrit pas dans un exercice d’identification des caractéristiques essentielles de celle-ci, mais est constitutif d’une altération notable desdites caractéristiques. Cette altération a eu pour effet de transformer une marque enregistrée comme une forme abstraite et faisant, ainsi, l’objet d’une protection déterminée par ladite forme (arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry, C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129, point 57), en une marque constituée par la forme spécifique des produits qu’elle désigne. Le degré auquel cette altération s’avère décisive est démontré par le fait que c’est précisément sur la décoration en couleur des crochets à broder illustrés au point 25 ci-dessus que s’est fondée la chambre de recours afin de conclure à l’absence de caractère distinctif des motifs figurant en surface des produits de la requérante et, par là, transposer cette conclusion sur la marque contestée.

46      La déclaration de la requérante, invoquée par la chambre de recours au point 21 de la décision attaquée, selon laquelle elle avait l’intention d’appliquer le motif à chevrons le long des aiguilles à tricoter et des crochets à broder n’est pas apte à modifier ces conclusions. En effet, ainsi qu’il ressort des points 33 et 34 ci-dessus, l’inscription d’une marque au registre vise à permettre à la chambre de recours d’exercer ses compétences et à sauvegarder les intérêts des parties à un litige, mais vise aussi à informer les tiers de la nature exacte des droits enregistrés et donc à définir l’objet de la protection conférée. Par conséquent, à supposer même que la déclaration de la requérante puisse être comprise comme impliquant que cette dernière ne s’oppose pas à ce que la chambre de recours examine le caractère distinctif de la marque contestée en tenant compte de l’apparence des produits figurant au point 21 de la décision attaquée, elle est dénuée d’importance en l’espèce. Tout aussi dénuée d’importance est, en tout état de cause, la circonstance, évoquée par la requérante lors de l’audience, selon laquelle la requérante a probablement apposé la marque contestée, dans sa forme enregistrée, sur l’emballage des produits qu’elle a commercialisés. À cet égard, il suffit de rappeler que la chambre de recours n’a pas apprécié le caractère distinctif de la marque contestée au regard de cette forme. Or, la légalité de la décision attaquée est à apprécier au regard des seuls motifs soutenant son dispositif.

47      Il en résulte que, examiner le caractère distinctif de la marque contestée en tenant compte de caractéristiques substantiellement altérées de celle-ci est constitutif d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. C’est donc en violation de cette dernière disposition que, ainsi que le fait valoir la requérante, la chambre de recours a apprécié le caractère distinctif de la marque contestée en se fondant sur les motifs figurant en surface des aiguilles à tricoter et des crochets à broder produits par la requérante, de sorte que la décision attaquée doit être annulée.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EUIPO ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

49      Conformément à l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 5 novembre 2015 (affaire R 1814/2014-1) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens de M/S. Indeutsch International.

3)      Crafts Americana Group, Inc., supportera ses propres dépens.

Gratsias

Labucka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 juin 2017.

Signatures


1      Langue de procédure : l’anglais.