Language of document : ECLI:EU:C:2019:392

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 8 mai 2019 (1)

Affaire C168/18

Pensions-Sicherungs-Verein VVaG

contre

Günther Bauer

[demande de decision préjudicielle formée par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de leur employeur – Directive 2008/94/CE – Article 8 – Régimes complémentaires de prévoyance – Protection des droits à des prestations de vieillesse – Champ d’application – Compensation par l’ancien employeur d’une réduction antérieure de la retraite – Niveau minimal de protection garanti – Effet direct à l’encontre d’un organisme de prévoyance professionnelle complémentaire »






1.        L’article 8 de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO 2008, L 283, p. 36) impose-t-il à un organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité en charge des retraites professionnelles de reprendre, à sa charge, les versements qu’un employeur, actuellement en état d’insolvabilité, avait l’obligation d’effectuer à un ancien travailleur salarié en vue de se conformer à une obligation légale ? Même s’il s’agit de la question essentielle qui se pose dans le cadre du présent renvoi préjudiciel du Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), ledit renvoi invite également la Cour à se prononcer, une fois encore, sur la portée et l’interprétation de cette disposition.

2.        Cette obligation découle du droit national, en vertu duquel les employeurs doivent compenser toute réduction dans les prestations de retraite servies par une caisse de retraite lorsque ces prestations sont payées sur la base de cotisations versées par l’employeur.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 80/987/CEE

3.        La directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO 1980, L 283, p. 23) disposait, en son article 8, ce qui suit :

« Les États membres s’assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés et des personnes ayant déjà quitté l’entreprise ou l’établissement de l’employeur à la date de la survenance de l’insolvabilité de celui-ci, en ce qui concerne leurs droits acquis, ou leurs droits en cours d’acquisition, à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale. »

4.        La directive 80/987 a été remplacée par la directive 2008/94 qui est entrée en vigueur le 17 novembre 2008.

2.      La directive 2008/94

5.        Les considérants 3, 6, 7 et 9 de la directive 2008/94 stipulent :

« (3)      Des dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur et pour leur assurer un minimum de protection, en particulier pour garantir le paiement de leurs créances impayées, en tenant compte de la nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté. À cet effet, les États membres devraient mettre en place une institution qui garantisse aux travailleurs concernés le paiement des créances impayées des travailleurs.

[…]

(6)      En vue d’assurer la sécurité juridique des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité des entreprises exerçant leurs activités dans plusieurs États membres et de consolider les droits des travailleurs salariés dans le sens de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, il convient de prévoir des dispositions qui déterminent explicitement l’institution compétente pour le paiement des créances impayées de ces travailleurs dans ces cas et qui fixent pour objectif à la coopération entre les administrations compétentes des États membres le règlement, dans les délais les plus brefs, des créances impayées desdits travailleurs. […]

[…]

(7)      Les États membres peuvent fixer des limites à la responsabilité des institutions de garantie, limites qui doivent être compatibles avec l’objectif social de la directive et peuvent prendre en considération les différents niveaux de créances.

[…]

(9)      […] Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, la présente directive n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »

6.        L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2008/94 dispose :

« La présente directive s’applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l’égard d’employeurs qui se trouvent en état d’insolvabilité au sens de l’article 2, paragraphe 1. »

7.        Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/94 :

« La présente directive ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition des termes “travailleur salarié”, “employeur”, “rémunération”, “droit acquis” et “droit en cours d’acquisition”.

Toutefois, les États membres ne peuvent exclure du champ d’application de la présente directive :

a)      les travailleurs à temps partiel au sens de la directive 97/81/CE ;

b)      les travailleurs ayant un contrat à durée déterminée au sens de la directive 1999/70/CE ;

c)      les travailleurs ayant une relation de travail intérimaire au sens de l’article 1er, point 2), de la directive 91/383/CEE ».

8.        L’article 8 de la directive 2008/94 est libellé comme suit :

« Les États membres s’assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés et des personnes ayant déjà quitté l’entreprise ou l’établissement de l’employeur à la date de la survenance de l’insolvabilité de celui-ci, en ce qui concerne leurs droits acquis, ou leurs droits en cours d’acquisition, à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale. »

9.        L’article 11, premier alinéa, de la directive 2008/94 dispose :

« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs salariés. »

B.      Le droit allemand

10.      L’article 1er du Gesetz zur Verbesserung der betrieblichen Altersversorgung (Betriebsrentengesetz-BetrAVG) (loi sur l’amélioration des retraites professionnelles, ci-après la « loi sur les retraites »), intitulé « Octroi d’une retraite professionnelle par l’employeur », tel que modifié, en dernier lieu, par la loi du 17 août 2017, dispose :

« Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux pensions de vieillesse […] octroyées par un employeur à un travailleur salarié sur la base de la relation de travail (retraite profesionnelle). Les prestations de retraite professionnelle peuvent être servies directement par l’employeur ou par l’intermédiaire de l’un des organismes d’assurance mentionnés à l’article 1b, paragraphes 2 à 4. L’employeur reste tenu de garantir l’exécution des prestations qu’il a octroyées même s’il n’en assure pas directement le service. »

11.      L’article 1b de la loi sur les retraites énumère entre autres choses les possibilités ouvertes à un employeur en matière de retraite professionnelle. En substance, il prévoit que l’employeur peut souscrire à une assurance sur la vie du travailleur salarié (paragraphe 2) ou que les prestations de retraite professionnelle peuvent être servies par une Pensionskasse (caisse de retraite) – comme en l’espèce – ou par un Pensionsfonds (fonds de pension) (paragraphe 3) ou par ce qu’on appelle une Unterstützungskasse (caisse de prévoyance) (paragraphe 4).

12.      L’article 7, paragraphe 1, de la loi sur les retraites, intitulé « Niveau de couverture », dispose :

«Les bénéficiaires d’une prestation […] dont les prestations sont servies directement par l’employeur, mais ne peuvent pas être honorées au motif qu’une procédure d’insolvabilité a été ouverte sur le patrimoine ou la succession de celui‑ci, peuvent engager une action à l’encontre de l’organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité, à concurrence du montant de la prestation que l’employeur l’ayant octroyée aurait dû verser si la procédure d’insolvabilité n’avait pas été ouverte. […] »

13.      L’article 10, paragraphe 1, de la loi sur les retraites, intitulé « Obligation de cotiser et calcul des cotisations », prévoit :

« Les ressources nécessaires à la mise en œuvre de la garantie contre le risque d’insolvabilité sont réunies, au titre d’une obligation de droit public, au moyen de cotisations versées par tous les employeurs qui ont octroyé des prestations de retraite professionnelle servies soit directement soit en vertu d’une assurance directe (Direktversicherung) (assurance-vie conclue par l’employeur en faveur du travailleur salarié) […] ou selon le régime d’une caisse de prévoyance ou d’un fonds de pension. »

14.      L’article 14 de la loi sur les retraites, intitulé « Organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité », indique que l’organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité est le Pensions-Sicherungs-Verein Versicherungsverein auf Gegenseitigkeit.

15.      Conformément à l’accord du 22 septembre 2000 entre la République fédérale d’Allemagne et le Grand-Duché de Luxembourg concernant la coopération dans le domaine de la garantie des retraites professionnelles en cas d’insolvabilité, ledit organisme est également l’organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité pour les prestations de retraite professionnelle octroyées par les sociétés établies au Grand-Duché de Luxembourg.

II.    Le litige au principal et les questions préjudicielles

16.      En décembre 2000, le requérant en première instance, M. Günther Bauer, s’est vu octroyer plusieurs prestations de retraite professionnelle par son ancien employeur, à savoir :

–        une retraite, versée par l’intermédiaire d’un organisme de prévoyance professionnelle complémentaire (ci-après le « PKDW ») sur la base des cotisations versées par son ancien employeur ;

–        un supplément mensuel de retraite, payé directement par son ancien employeur ;

–        une prime annuelle de Noël, également payée par son ancien employeur (2).

17.      Mi-2003, le PKDW a connu des difficultés financières et a été autorisé par les autorités nationales à réduire le montant des retraites servies. Une réduction allant de 1,25 % jusqu’à 1,4 % a, dès lors, été progressivement appliquée chaque année. Au total, entre l’année 2003 et l’année 2013, le montant de la retraite complémentaire perçue par M. Bauer a été réduit de 13,8 %, ce qui représente une perte de 82,74 euros par mois. Selon le gouvernement allemand, comparé à la retraite professionnelle totale, le pourcentage de réduction des prestations n’est que de 7,4 % (3).

18.      Étant donné que, en droit allemand, il existe une obligation de compenser tout moins-perçu, l’ancien employeur de M. Bauer était tenu de compenser cette réduction de ses prestations de retraite.

19.      Le 30 janvier 2012, une procédure d’insolvabilité portant sur les actifs de l’ancien employeur de M. Bauer a été ouverte.

20.      Par notification du 12 septembre 2012, la défenderesse en première instance, à savoir Pensions-Sicherungs-Verein (ci-après « PSV »), a informé le requérant en première instance qu’elle prendrait en charge le paiement du supplément mensuel de retraite ainsi que de la prime annuelle de Noël. Toutefois, PSV a refusé de reprendre à sa charge le montant payé par l’ancien employeur de M. Bauer pour compenser la réduction des prestations de retraite.

21.      M. Bauer conteste ce refus au motif que PSV a l’obligation de compenser tout moins-perçu découlant de l’insolvabilité de son ancien employeur. PSV a répondu que, en droit national, il n’a aucune obligation de garantir un quelconque versement fait par un employeur à titre de compensation payée en rapport avec une réduction antérieure des prestations de retraite.

22.      Dans ces circonstances, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de suspendre la procédure et de déférer à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 8 de la directive [2008/94] est‑il applicable lorsqu’un organisme interprofessionnel de prévoyance, soumis au contrôle prudentiel exercé par l’autorité publique de contrôle des services financiers, sert des prestations de retraite professionnelle, que, pour des raisons financières, cet organisme a dûment été autorisé par l’autorité de contrôle à réduire le montant de ses prestations, et que, conformément au droit national, l’employeur doit certes garantir ses anciens salariés des réductions subies, mais que son insolvabilité l’empêche de satisfaire à son obligation de garantie des réductions ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question :

Dans quelles circonstances les pertes subies par un ancien salarié du fait de l’insolvabilité de l’employeur au niveau des prestations de retraite professionnelle peuvent-elles être considérées comme manifestement disproportionnées et entraîner ainsi l’obligation des États membres d’assurer une protection minimale à cet égard, bien que l’ancien salarié perçoive plus de la moitié des prestations découlant de ses droits acquis à pension de retraite ?

3)      En cas de réponse affirmative à la première question :

L’article 8 de la directive 2008/94 est-il d’effet direct et, lorsqu’un État membre s’est abstenu de transposer cette directive ou en a fait une transposition incorrecte, cette disposition confère-t-elle des droits que les particuliers peuvent invoquer contre cet État devant une juridiction nationale ?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question :

Si, en matière de retraite professionnelle, l’État membre désigne (de manière contraignante pour les employeurs) une entité de droit privé comme organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité, que cet organisme est soumis au contrôle prudentiel exercé par l’autorité publique de contrôle des services financiers, que, de plus, elle prélève auprès des employeurs, selon des modalités de droit public, les cotisations obligatoires nécessaires à la garantie contre le risque d’insolvabilité et que, à l’instar d’une autorité publique, elle peut créer les conditions d’une exécution forcée en adoptant un acte administratif, cette entité de droit privé est-elle une autorité publique de l’État membre ? »

III. Analyse

A.      Sur la première question préjudicielle

23.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 8 de la directive 2008/94 doit être interprété comme étant applicable à la perte d’une prestation, telle que celle en cause dans la procédure au principal, en raison de l’insolvabilité d’un ancien employeur. En l’occurrence, la prestation était payée par l’employeur pour compenser, comme requis par le droit national, une réduction antérieure de la retraite professionnelle servie en son nom par l’intermédiaire d’un organisme interprofessionnel de prévoyance, soumis au contrôle prudentiel de l’autorité publique, qui avait dû, pour des raisons financières, avec l’autorisation de l’autorité de contrôle, réduire le montant servi.

24.      Étant donné que la question soulevée porte directement sur l’application de l’article 8 de la directive 2008/94, il convient de commencer la présente analyse en examinant quelles sont les conditions d’application de cette disposition.

25.      Conformémement à l’article 8 de la directive 2008/94, « [l]es États membres s’assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés et des personnes ayant déjà quitté l’entreprise ou l’établissement de l’employeur à la date de la survenance de l’insolvabilité de celui-ci, en ce qui concerne leurs droits acquis, ou leurs droits en cours d’acquisition, à des prestations de vieillesse […] au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale ». Par conséquent, quatre conditions doivent être remplies pour que l’article 8 de cette directive s’applique, à savoir :

–        le demandeur doit être un travailleur salarié ou une personne ayant déjà quitté l’entreprise ou l’établissement de l’employeur à la date de la survenance de l’insolvabilité de celui-ci ;

–        l’employeur doit être en état d’insolvabilité ;

–        une telle insolvabilité doit affecter des droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse ;

–        les prestations de vieillesse en question doivent avoir été octroyées au titre d’un régime de prévoyance professionnel ou interprofessionnel existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale.

26.      La première condition est clairement remplie et n’est pas litigieuse.

27.      La deuxième condition (4) implique que l’employeur soit en état d’insolvabilité. Par conséquent, l’article 8 de la directive 2008/94 ne s’applique, en principe, pas à la situation dans laquelle c’est seulement l’organisme de prévoyance professionnelle qui fait face à des difficultés financières (5). Cela est conforme à l’article 1er de la directive 2008/94, qui exige, pour que la directive s’applique, que la créance soit détenue par un travailleur salarié à l’égard de son employeur ou de son ancien employeur. En effet, il y a lieu de rappeler que la directive 2008/94 ne vise pas à garantir, en toutes circonstances, les droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse de travailleurs salariés ou d’anciens travailleurs salariés, mais qu’elle vise, conformément à son troisième considérant, à les protéger simplement en cas d’insolvabilité de leur employeur. Comme la Cour l’a jugé, en cas de difficultés de l’organisme de prévoyance professionnelle, ce n’est que lorsque l’employeur s’est engagé à garantir le versement des prestations établies dans un plan de pension et qu’il est lui-même en état d’insolvabilité que l’article 8 est susceptible de s’appliquer (6).

28.      En ce qui concerne la troisième condition, qui vise les termes « droit acquis » et « droit en cours d’acquisition », il y a lieu de noter que, conformément à la première phrase de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/94, il est prévu que cette directive ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition de ces termes. Cependant, la formule « ne porte pas atteinte » peut créer une certaine ambiguïté dans la mesure où elle peut être comprise comme signifiant soit que les deux notions de « droit acquis » et de « droit en cours d’acquisition » devraient être interprétées par référence au droit national, soit que la directive 2008/94 ne vise pas à modifier la définition qui est donnée par la législation nationale à ces notions dans d’autres domaines du droit.

29.      La deuxième phrase de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/94 éclaire cependant de quelle manière la première phrase doit être comprise. En effet, tandis que la première phrase mentionne le terme « travailleur salarié » parmi les concepts auxquels la directive 2008/48 ne porte pas atteinte, la deuxième phrase de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive indique que les États membres ne peuvent exclure certains types de travailleurs salariés du champ d’application de ladite directive. Étant donné que la deuxième phrase vise ainsi à limiter l’autonomie des États membres dans la définition d’un des termes visés dans la première phrase, cette première phrase doit être comprise comme reconnaissant aux États membres le pouvoir de définir les termes en question. Par conséquent, les notions de « droit acquis » et de « droit en cours d’acquisition » et, dès lors, par extension, l’application de la troisième condition reposent sur le droit national.

30.      En ce qui concerne la quatrième condition, je pense également que la définition des termes prestations « au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale » dépend également du droit national (7). Cela découle tout simplement de la référence faite à la notion de « régimes légaux nationaux de sécurité sociale » qui ne peut être appréciée autrement que par référence au droit national (8).

31.      Ces quatre conditions doivent être remplies en plus de celles établies à l’article 1er de la directive 2008/94 concernant l’application, en général, de cette directive et à propos desquelles la Cour n’est pas interrogée. Dès lors, le fait que le travailleur salarié ait invoqué une créance résultant d’un contrat de travail, comme requis par l’article 1er de la directive 2008/94, n’est pas, en soi, suffisant pour justifier l’application de l’article 8 de cette directive.

32.      En l’espèce, la juridiction de renvoi demande si cet article 8 de la directive 2008/94 est applicable, ou non, à la perte, due à l’insolvabilité d’un ancien employeur, d’une prestation telle que celle en cause dans la procédure au principal. En l’occurrence, la prestation était servie par l’ancien employeur pour compenser, comme requis par le droit national, une réduction d’une retraite professionnelle qui avait, au départ, été octroyée par cet employeur par l’intermédiaire d’un organisme interprofessionnel de prévoyance soumis au contrôle prudentiel de l’autorité publique de contrôle des services financiers, et dont le montant avait, pour des raisons financières, été réduit, avec l’autorisation de l’autorité de contrôle.

33.      Étant donné la troisième et la quatrième conditions susmentionnées, aux fins d’apprécier si l’article 8 de la directive 2008/94 s’applique, il y a d’abord lieu de déterminer le statut des droits détenus par le demandeur lorsque est survenue l’insolvabilité de son ancien employeur.

34.      Dans la présente affaire, la spécificité de la situation tient à ce que les droits détenus avaient déjà antérieurement fait l’objet d’une réduction. Par conséquent, le statut juridique desdits droits au moment de l’insolvabilité de l’ancien employeur dépend des conséquences produites par cette opération, lesquelles dépendent à leur tour du point de savoir si cette opération était, ou non, déjà couverte par l’article 8 de la directive 2008/94 (ou, précédemment, par l’article 8 de la directive 80/987). En effet, si l’article 8 n’était pas applicable à l’époque, les conséquences produites par cette réduction relevaient du droit national, de telle sorte qu’il ne pourrait être exclu qu’une partie de ces droits aient été perdus ou que les sommes versées pour compenser cette réduction ne l’aient pas été au titre d’« un régime complémentaire de prévoyance professionnel ou interprofessionnel ».

35.      Ici, la difficulté tient à ce que la juridiction de renvoi n’a pas précisé la raison pour laquelle l’organisme de prévoyance professionnelle avait rencontré des difficultés financières depuis 2003. Il ressort toutefois des informations reçues de la juridiction de renvoi, qui ont été confirmées par les parties lors de l’audience, qu’en vertu de l’article 1er de la loi sur les retraites, les employeurs sont responsables de l’exécution des prestations de retraite professionnelle qu’ils ont octroyées dans le cadre d’une relation de travail, même si de tels versements sont opérés par l’intermédiaire d’un organisme de prévoyance professionnelle. Dès lors, l’employeur doit garantir le paiement en question même dans l’hypothèse où la caisse de retraite ne verse pas les prestations octroyées ou ne les verse que partiellement.

36.      En toute hypothèse, lors de l’audience, toutes les parties ont été d’accord pour dire que la réduction n’avait modifié ni la nature ni le quantum des droits de M. Bauer. En effet, il semble, au vu des informations fournies par la juridiction de renvoi, qu’en droit allemand, lorsqu’un employeur établit un régime de prévoyance, il reste néanmoins tenu d’assurer l’octroi ultérieur des prestations.

37.      Dès lors, étant donné que c’est l’insolvabilité de l’ancien employeur du requérant, survenue en 2012, qui a eu pour effet d’affecter les droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse et qu’il n’est pas contesté que ces droits ont été octroyés au titre d’un régime de prévoyance professionnel ou interprofessionnel existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale, je propose de répondre à la première question que l’article 8 de la directive 2008/94 doit être interprété en ce sens qu’il couvre la perte d’un versement, tel que celui en cause dans la procédure au principal, effectué par un ancien employeur pour compenser, comme requis par le droit national, une réduction d’une retraite professionnelle. Même s’il faut reconnaître que les circonstances précises de la présente affaire sont inhabituelles, il reste que le défaut de l’ancien employeur de procéder au versement complémentaire en rapport avec les réductions de retraite autrement imposées au travailleur salarié relève pleinement du champ d’application de l’article 8 de cette directive.

B.      Sur la deuxième question préjudicielle

38.      Par sa deuxième question, la juridiction nationale demande dans quelles circonstances, visées au point 35 de l’arrêt du 24 novembre 2016, Webb-Sämann (C‑454/15, EU:C:2016:891), les pertes subies par le travailleur salarié du fait de l’insolvabilité de son ancien employeur peuvent être considérées comme manifestement disproportionnées à la lumière de l’obligation de protéger les intérêts des travailleurs salariés visée à l’article 8 de la directive 2008/94, même si ces pertes n’équivalent pas à plus de la moitié des prestations de vieillesse découlant des droits acquis à pension de retraite pour lesquels il a versé des cotisations au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel.

39.      Cette question appelle une réappréciation complète de la jurisprudence rendue par la Cour jusqu’à ce jour en tant qu’elle concerne l’article 8 de la directive 2008/94.

40.      Comme la Cour l’a souligné, le degré de protection exigé par la directive 2008/94 doit être déterminé au regard des termes utilisés dans la disposition concernée et, au besoin, à la lumière des objectifs poursuivis par cette directive (9).

41.      Selon le libellé de l’article 8 de la directive 2008/94, les États membres s’assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés et des personnes ayant déjà quitté l’entreprise ou l’établissement de l’employeur à la date de la survenance de l’insolvabilité de celui-ci, en ce qui concerne leurs droits acquis, ou leurs droits en cours d’acquisition, à des prestations de vieillesse au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale.

42.      Dans ses conclusions dans l’affaire Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2006:476, points 70 et 82), l’avocat général Kokott a considéré que l’article 8 de la directive 2008/94 exige une protection complète des droits des travailleurs salariés, même si une telle protection n’implique pas nécessairement que les régimes de retraite soient à tout moment intégralement financés. Elle a toutefois maintenu que cet article exige, dans l’hypothèse d’un financement insuffisant portant atteinte aux intérêts des travailleurs en cas d’insolvabilité de l’employeur, que les États membres prennent les mesures appropriées pour assurer que les travailleurs jouissent de leurs droits à pension.

43.      Aux points 36 et 45 de l’arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56), la Cour a cependant estimé que le libellé de cet article 8 laisse aux États membres une large marge d’appréciation dans la détermination tant du mécanisme employé aux fins de cette protection que du niveau de protection accordé. La Cour a conclu que cette dernière obligation ne comportait pas une obligation de garantie intégrale de ces versements de retraite.

44.      Cette affirmation est quelque peu surprenante. Tandis qu’on peut aisément admettre que ledit article 8 laisse une large marge d’appréciation aux États membres quant au mécanisme aux fins d’assurer cette protection, cette disposition est en revanche assez claire en ce qui concerne le niveau de protection à accorder. En toute hypothèse, la conséquence habituelle du fait qu’un État membre s’est vu doter d’un large pouvoir d’appréciation par une directive donnée est qu’il peut s’exonérer de sa responsabilité en démontrant qu’il a pris toutes les mesures appropriées qui pouvaient raisonnablement être attendues de lui pour s’acquitter de cette obligation particulière (10). Je dois toutefois avouer ne pas avoir connaissance d’autres cas dans lesquels l’existence d’une marge d’appréciation pour décider des moyens à mettre en œuvre pour atteindre un objectif donné aurait abouti à admettre que cet objectif doive n’être atteint que partiellement ou dans lesquels un État membre a été considéré comme s’étant acquitté de son obligation de réaliser un tel objectif par référence à un compromis plutôt vague simplement en raison de l’étendue de la marge d’appréciation dont il est doté par la mesure législative pertinente.

45.      Pour en revenir à présent à l’arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56), la Cour a poursuivi en indiquant que « des dispositions de droit interne susceptibles d’aboutir, dans certaines situations, à une garantie des prestations limitée à 20 ou 49 % des droits auxquels pouvait prétendre un travailleur salarié, c’est‑à-dire à moins de la moitié de ces droits, ne peuvent être considérées comme répondant à la définition du terme “protéger” utilisé à l’article 8 de la directive ». Or la situation en cause dans cette procédure était l’une de ces situations particulières étant donné que, premièrement, « environ 65 000 affiliés à des régimes de retraite ont subi des pertes de plus de 20 % par rapport aux prestations escomptées » et, deuxièmement, « environ 35 000 d’entre eux, soit près de 54 % de l’ensemble, ont subi des pertes dépassant 50 % desdites prestations ».

46.      Il semblerait, donc, que la Cour ait considéré que, indépendamment de son pourcentage, une réduction des prestations auxquelles un travailleur salarié donné a droit n’est pas, en soi, suffisante pour engager la responsabilité de l’État membre concerné : la personne concernée doit aller plus loin et démontrer que, de manière générale, l’État membre n’assure pas une protection suffisante aux travailleurs salariés. Cette approche, qui est conforme à l’idée d’une obligation de moyen, est également reflétée dans les considérations exposées en ce qui concerne l’effet direct de cette disposition au sujet duquel la Cour a jugé que l’engagement de la responsabilité d’un État membre suppose la démonstration d’une « méconnaissance manifeste et grave », par ledit État, des limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation.

47.      Il y a cependant lieu de reconnaître que l’effet de l’arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56), est que non seulement, pour voir une demande au titre de l’article 8 aboutir, les travailleurs salariés doivent démontrer une « méconnaissance manifeste et grave » par l’État concerné aux fins d’obtenir une indemnisation financière en cas de pareille violation des obligations de l’État, mais également que, en toute hypothèse, il n’est pas attendu des États membres qu’ils garantissent l’intégralité des droits des travailleurs salariés. Pour les raisons que j’exposerai à présent, je ne peux m’empêcher de penser que le seuil de 50 % a quelque peu affaibli la portée de la protection accordée aux travailleurs salariés par l’article 8. Pour ma part, je considère que l’interprétation de la portée de l’article 8 prônée par l’avocat général Kokott dans ses conclusions dans l’affaire Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2006:476) était correcte.

48.      Je suis de cet avis pour les raisons suivantes. Premièrement, le libellé de l’article 8 de la directive 2008/94 (« s’assurent ») impose clairement une obligation aux États membres. Deuxièmement, il est clair que cette obligation s’étend à la « prot[ection] [d]es intérêts des travailleurs salariés […] en ce qui concerne leurs droits acquis, ou leurs droits en cours d’acquisition, à des prestations de vieillesse ». Troisièmement, cet article 8 ne prévoit pas lui-même un quelconque seuil ou un quelconque pourcentage en ce qui concerne l’étendue de l’obligation de l’État.

49.      Par conséquent, je vois mal comment l’obligation prévue à l’article 8 pourrait, en principe, porter sur quoi que ce soit de moins que la satisfaction complète des droits du travailleur salarié à des prestations de retraite. Comme l’avocat général Kokott l’a observé dans ses conclusions dans l’affaire Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2006:476), « [i]l n’est pas de l’intérêt du travailleur, en effet, de ne se voir payer qu’une partie des prestations de retraite qui ont été convenues ».

50.      Si – comme c’est certainement le cas – c’est précisément l’intérêt du travailleur salarié que l’État membre est tenu de protéger au titre de l’article 8, il n’y a aucune formule magique dans les 50 % retenus par la Cour dans son arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56), en tant que pourcentage minimum qu’un travailleur salarié devrait recevoir s’agissant de prestations de vieillesse découlant de l’insolvabilité d’un employeur. Si – comme il le fait manifestement – ledit article 8 impose aux États membres une obligation de garantir que ces intérêts des travailleurs salariés soient protégés, j’aurais pensé que cette obligation s’étend à l’intégralité des prestations de vieillesse concernées, et pas seulement à une partie d’entre elles. Il y a lieu de rappeler que, dans de nombreux cas, une diminution de quelque 50 % des prestations de retraite est susceptible d’entraîner des difficultés financières réelles énormes pour les personnes bénéficiaires de telles retraites.

51.      Si le législateur de l’Union avait souhaité diluer, avec une telle ampleur potentielle, l’étendue de l’obligation des États membres de protéger les retraités contre l’impact de l’insolvabilité de l’employeur en ce qui concerne leurs droits à pension de retraite, je considère qu’un langage très clair à cette fin aurait été utilisé. Il en est particulièrement ainsi vu l’importance sociale manifeste de cette obligation particulière.

52.      Par conséquent, si le législateur de l’Union avait considéré que l’étendue de cette obligation était simplement celle énoncée par la Cour dans les quatre affaires commençant avec l’affaire Robins e.a (C‑278/05), l’article 8 aurait vraisemblablement été rédigé différemment, de manière à préciser que l’obligation imposée aux États membres implique simplement de s’assurer que 50 % (ou tout autre pourcentage) de ces prestations soient protégés.

53.      Ici, on peut noter que l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la directive 2008/94 prévoit expressément que les États membres peuvent limiter le nombre de mois pour lesquels les créances de salaire impayé peuvent être exercées à l’encontre du fonds d’insolvabilité. En effet, l’article 4, paragraphe 3, de cette directive permet aux États membres d’assigner des plafonds « aux paiements effectués par l’institution de garantie », sous réserve que ces plafonds ne soient pas être inférieurs à un seuil « socialement compatible avec l’objectif social de la présente directive ».

54.      L’absence de restrictions ou de limitations similaires à l’article 8 de la directive 2008/94 en ce qui concerne l’étendue des obligations des États membres en matière de protection des droits des travailleurs salariés à des prestations de vieillesse en raison de l’insolvabilité de l’employeur est certainement révélatrice. Comme l’avocat général Kokott l’a observé dans ses conclusions dans l’affaire Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2006:476), le fait même que des limitations expresses à l’étendue de l’obligation imposée aux États membres de protéger les travailleurs salariés en cas d’insolvabilité puissent être trouvées ailleurs dans la directive ne fait que renforcer ledit argument en ce qui concerne la nature et l’étendue de l’obligation prévue à l’article 8.

55.      Pour toutes ces raisons, je considère, par conséquent, que l’article 8 de la directive 2008/94 impose aux États membres une obligation de protéger toutes les prestations de vieillesse affectées par l’insolvabilité d’un employeur, et pas seulement une partie ou un pourcentage désigné de ces prestations. À cet égard, je partage pleinement le raisonnement de l’avocat général Kokott dans ses conclusions dans l’affaire Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2006:476). Il en découle, à son tour, que je suis d’avis que le raisonnement de la Cour dans son arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56), au sujet de l’article 8 ne peut être appuyé et ne devrait pas être suivi maintenant par cette Cour.

56.      Rien de cela n’implique toutefois que les États membres n’auraient aucune marge d’appréciation pour déterminer les moyens qui doivent être mis en œuvre aux fins de cette protection. En effet, comme cela résulte du libellé de l’article 8 de la directive 2008/94, l’obligation imposée aux États membres n’est pas de garantir eux-mêmes le paiement des retraites, mais de « s’assure[r] que les mesures nécessaires sont prises » à cette fin. À cet égard, je partage la conclusion à laquelle la Cour est parvenue dans son arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56), en ce sens qu’un particulier ne peut se borner à faire valoir qu’il a subi une réduction de sa retraite et exiger ensuite que l’État membre concerné compense cette réduction. Il y a plutôt lieu, pour le demandeur, d’aller plus loin et de démontrer que ledit État membre n’a pas adopté les mesures qui auraient raisonnablement pu être considérées comme suffisantes pour protéger ces intérêts.

57.      Comme j’espère le démontrer ici, une conséquence de l’interprétation, selon moi et avec tout le respect dû, incorrecte adoptée par la Cour dans son arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56), est que la Cour a eu ultérieurement des difficultés à justifier cette solution au vu du libellé même de l’article 8 lui-même.

58.      Cela est, peut-être, bien illustré par l’arrêt Hogan e.a. (11). Dans cet arrêt, la Cour a, en fait, abandonné la condition relative à l’existence de circonstances particulières. Au lieu de cela, elle a jugé que la transposition correcte de l’article 8 de la directive 2008/94 nécessite qu’un travailleur perçoive, en cas d’insolvabilité de son employeur, au moins la moitié des prestations de vieillesse découlant des droits à pension accumulés pour lesquels il a versé des cotisations dans le cadre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel (12).

59.      Dans son arrêt ultérieur du 24 novembre 2016, Webb-Sämann (C‑454/15, EU:C:2016:891, point 35), la Cour a ajouté que l’obligation pour les États membres de protéger les travailleurs salariés contre toute perte de la moitié ou plus de leurs prestations de vieillesse n’excluait pas que « dans d’autres circonstances, les pertes subies pourraient également, même si leur pourcentage est différent, être regardées comme manifestement disproportionnées à la lumière de l’obligation de protection des intérêts des travailleurs salariés, visée à l’article 8 de […] [la] directive [2008/94] ».

60.      Dans son dernier arrêt rendu à ce jour sur ce sujet, à savoir l’arrêt du 6 septembre 2018, Hampshire (C‑17/17, EU:C:2018:674), la Cour a répété que certaines pertes subies pourraient également, même si leur pourcentage est inférieur à la moitié des prestations escomptées, être regardées comme manifestement disproportionnées à la lumière de l’obligation de protection des intérêts des travailleurs salariés, visée à ladite disposition (13).

61.      Comme ce fut le cas pour le seuil de 50 %, la Cour n’a donné aucune justification ou indication quant au point de savoir quelle diminution dans les prestations pourrait autrement constituer une atteinte manifestement disproportionnée aux droits des travailleurs salariés concernés.

62.      On peut toutefois noter que, dans ses arrêts Webb-Sämann (14) et Hampshire (15), la Cour a jugé que cette obligation pour les États membres de garantir au moins la moitié des prestations de vieillesse découlant des droits à pension accumulés pour lesquels un travailleur salarié a versé des cotisations dans le cadre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel constitue une garantie minimale individuelle pour chaque travailleur salarié. Il semble, dès lors, que, dans ces deux arrêts, la Cour ait considéré que l’application de la règle des 50 % n’épuise pas pleinement les effets de cette disposition. En d’autres termes, les États membres auraient ainsi une obligation de s’assurer qu’il soit garanti à chaque travailleur salarié au moins 50 % des prestations auxquelles il a droit dans le cadre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel, en cas d’insolvabilité de son employeur (16), mais cette obligation ne les exempterait pas de prendre les mesures nécessaires (financières, prudentielles ou autres) pour protéger l’intégralité des intérêts des travailleurs salariés. Lorsque la réduction est inférieure à 50 %, les travailleurs salariés concernés peuvent donc obtenir une indemnisation s’ils démontrent que l’État n’a pas respecté son obligation de moyen en ne s’assurant pas que les mesures nécessaires (financières, prudentielles ou autres) soient prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés. Ainsi, pour reprendre la formulation utilisée dans l’arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56), même si la réduction n’atteint pas un tel seuil, un travailleur salarié peut demander à être indemnisé intégralement par l’État membre concerné en cas de « méconnaissance manifeste et grave », par ledit État, des limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation pour adopter des mesures appropriées.

63.      Ces décisions récentes peuvent donc être comprises comme un encouragement tacite par la Cour de s’écarter de la jurisprudence Robins et d’aller plutôt dans la direction de ce que je considère être l’objectif sous-jacent de l’article 8 de la directive 2008/94, à savoir protéger tous les droits de retraite professionnelle des retraités contre le risque de perte causé par l’insolvabilité de l’employeur.

64.      Dans ce contexte, l’existence d’une perte disproportionnée peut être considérée, en soi, comme une preuve étayant une présomption réfutable que l’État membre n’a pas rempli son obligation de moyen d’assurer une telle protection.

65.      En toute hypothèse, je pense que la Cour devrait prendre davantage en considération la question de la proportionnalité de la perte subie.

66.      Dans toute analyse appropriée de la proportionnalité, le contexte est, évidemment, d’une importance cruciale. Il y a lieu de rappeler ici que l’octroi de pensions à la retraite fait partie de la fabrique du contrat social dans les États européens depuis l’époque de Bismarck. L’investissement dans des retraites privées est pour certains travailleurs salariés une partie essentielle de ce contrat social étant donné que c’est par ce mécanisme que ceux qui sont employés, durant leurs années actives, peuvent faire des économies en vue de la retraite, dans la croyance qu’ils prennent ainsi prudemment des dispositions pour eux‑mêmes et leur famille pour l’époque où leurs années de travail auront pris fin. Prendre des dispositions en vue d’une retraite privée est, par conséquent, pour de nombreux travailleurs salariés travaillant dans le secteur privé une décision financière aussi cruciale que, par exemple, celle d’acheter une maison ou de prendre des dispositions en vue de préparer l’éducation et l’avenir des enfants.

67.      C’est pourquoi, la perte, même partielle, d’un droit à pension de retraite en raison de l’insolvabilité d’un employeur est vraiment un problème grave et sérieux pour le travailleur salarié concerné. Non seulement le travailleur salarié en question doit avoir le sentiment que les plans les mieux élaborés concernant de prudentes économies pour la retraite ont échoué en raison de facteurs externes sur lesquels il n’a aucun contrôle, mais, en plus, la capacité du travailleur salarié de réagir à cette perte sera souvent sérieusement compromise en raison de la vieillesse. Pour l’exprimer simplement, par conséquent, la capacité, par exemple, d’une personne moyenne de 70 ans de compenser cette perte financière sera fortement compromise étant donné qu’en pratique, la perspective de retourner dans la population active n’est simplement pas possible pour la plupart des retraités.

68.      Sauvegarder les intérêts de ces retraités, qui ont investi dans des retraites privées contre la perte engendrée par l’insolvabilité d’un ancien employeur, doit être, par conséquent, un objectif essentiel de politique des États membres. Cela est, à sa manière, aussi vital que fournir un système d’éducation ou de logements ou de protéger les dépôts bancaires.

69.      Dans ce contexte, lorsqu’il leur a été demandé lors de l’audience si, par exemple, une réduction de 25 % des droits à pension de retraite en raison de l’insolvabilité de l’employeur constituerait une perte disproportionnée pour le retraité concerné, les représentants tant de PSV que du gouvernement allemand ont librement admis que cela serait pénible pour le retraité concerné. Je ne peux toutefois m’empêcher de penser qu’une telle perte est un peu plus que cela : elle constituerait une perte inattendue de revenus dont ils avaient toutes raisons de penser bénéficier lorsque leur vie professionnelle prendrait fin. L’État social moderne existe précisément pour protéger ses citoyens contre des pertes potentiellement graves de ce type.

70.      Il s’agit, par conséquent, du contexte dans lequel il y a lieu d’apprécier la proportionnalité de toute perte. D’autres facteurs sont, sans aucun doute, également pertinents, en particulier la question de savoir si le montant de la retraite actuellement disponible au retraité et ses personnes à charge est suffisant pour satisfaire à ses besoins compte tenu du niveau de vie des personnes retraitées prévalant dans l’État membre concerné (17).

71.      Il est vrai que des réductions relativement faibles dans les droits à pension de retraite professionnelle peuvent généralement être considérées soit comme de minimis, soit, à tout le moins, comme d’un niveau qui ne porte pas atteinte à la substance du droit à pension de retraite et à l’attente correspondante que celui-ci a créé chez le retraité concerné.

72.      Toutefois, lorsque la perte affectant la retraite privée en raison de l’insolvabilité de l’employeur ne peut être considérée comme étant de minimis, le spectre de la disproportionnalité apparaîtra à un certain moment, même s’il n’existe pas non plus de chiffre magique qui rendrait automatiquement une telle perte disproportionnée. Contrairement à tout ce que la Cour peut avoir précédemment laissé entendre, je considère que, dans de nombreux cas, une perte de moins de 50 % des droits à pension de retraite en raison de l’insolvabilité de l’employeur sera disproportionnée. Les droits à pension de retraite de la plupart des retraités sont relativement modestes et même une petite réduction dans cette retraite pèsera, de manière générale, trop lourdement sur eux.

73.      Bien qu’il s’agisse, en fin de compte, d’une question qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, le représentant de M. Bauer a fait valoir lors de l’audience que la perte de retraite professionnelle de celui-ci pourrait, au bout du compte, avoisiner les 30 % à 33 % (en fonction de son âge). Si cela est effectivement le cas, en gardant à l’esprit le niveau relativement modeste de revenu auquel correspond même 100 % de ses droits à pension de retraite professionnelle, il est difficile de conclure que la perte en question n’est pas disproportionnée au vu du contexte général que je viens de décrire.

74.      En résumé, je considère que ces éléments sont des facteurs concernant la question de la proportionnalité qui n’ont peut-être pas été suffisamment soulignés dans la jurisprudence jusqu’à ce jour.

75.      Dans cette mesure, j’estime, par conséquent, que la Cour devrait s’écarter de décisions telles que l’arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56), et répondre à la deuxième question en ce sens que les circonstances auxquelles la Cour s’est référée au point 35 de son arrêt du 24 novembre 2016, Webb-Sämann (C‑454/15, EU:C:2016:891), sont celles dans lesquelles le demandeur prouve que l’État membre n’a pas respecté son obligation de s’assurer que les mesures nécessaires soient prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés ou des personnes ayant déjà quitté l’entreprise de l’employeur et dans lesquelles la réduction subie des droits à pension est d’un niveau qui n’est soit pas de minimis, soit qui porte autrement atteinte à la substance des droits à pension de retraite professionnelle que, sauf insolvabilité de l’employeur, le retraité avait toutes les raisons de s’attendre à recevoir.

C.      Sur la troisième question préjudicielle

76.      Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si, lorsqu’un État membre n’a pas transposé la directive 2008/94 correctement en droit national, l’article 8 de cette directive peut, ou non, être invoqué à l’encontre de cet État membre devant une juridiction nationale.

77.      À cet égard, comme je l’ai expliqué précédemment, la Cour a été d’abord prudente, jugeant que, étant donné que ni l’article 8 de ladite directive ni une quelconque autre disposition de celle-ci ne contient d’élément qui rende possible d’établir avec précision le niveau minimal requis en vue de protéger les droits à des prestations, la responsabilité de l’État membre concerné dépend du constat de l’existence d’une méconnaissance manifeste et grave, par ledit État, des limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation (18).

78.      Dans son arrêt Hampshire (19), la Cour a abandonné une partie de sa prudence antérieure et a jugé, en ce qui concerne l’obligation des États membres de garantir au moins la moitié des prestations de vieillesse auxquelles les travailleurs salariés auraient normalement droit, que l’article 8 peut être invoqué contre un État membre devant une juridiction nationale dès qu’un travailleur salarié subit une perte excédant 50 % de ses prestations.

79.      Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a rappelé que, selon la jurisprudence, une disposition d’une directive peut être invoquée par les justiciables à l’encontre d’un État membre si cette disposition est inconditionnelle et suffisamment précise et que cet examen doit porter sur trois aspects : l’identité des bénéficiaires de la protection prévue par cette disposition, le contenu de cette protection et l’identité du débiteur de ladite protection (20).

80.      Je partage pleinement l’analyse de la Cour sur ce point, même si le raisonnement tenu par la Cour en ce qui concerne l’identité du débiteur de la protection accordée à l’article 8 mérite également d’être replacé dans son contexte.

81.      Au sujet de l’identité des bénéficiaires de la protection prévue à l’article 8 de la directive 2008/94, il ressort clairement du libellé de cette disposition que cette directive a vocation à protéger les travailleurs salariés concernés par une insolvabilité de leur employeur (21).

82.      Quant à l’identité du débiteur de la protection prévue à l’article 8 de la directive 2008/94, cette disposition désigne, de manière claire et inconditionnelle, à cette fin les États membres.

83.      Il est vrai que cet article 8 laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation. Cette marge d’appréciation concerne essentiellement le mécanisme à adopter pour garantir que l’article 8 soit respecté (22). Par conséquent, elle ne concerne pas l’identité des débiteurs de la protection accordée par ledit article 8 qui sont les États membres.

84.      Enfin, s’agissant du contenu de la protection prévue à ce même article 8 de la directive 2008/94, malgré le fait que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation pour déterminer la forme et la méthode mise en œuvre pour transposer celui-ci (23), cet article peut être invoqué directement devant les juridictions nationales. En effet, même lorsque les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation pour mettre en œuvre une disposition du droit de l’Union, cette disposition peut être invoquée contre un État membre si celui-ci a excédé cette marge d’appréciation, en particulier parce que sa législation nationale ne garantit pas la protection minimale requise par cette disposition (24).

85.      Il s’ensuit que, pour ce qui est de la protection minimale requise à l’article 8, étant donné que la Cour a jugé que cette protection minimale consiste en l’obligation de protéger les travailleurs salariés contre toute réduction de plus de 50 % de leurs droits acquis, si un État membre ne fournit pas une telle protection, il y a nécessairement lieu d’en déduire que cet État a excédé sa marge de manœuvre. Par conséquent, une telle violation peut être invoquée directement à l’encontre dudit État.

86.      S’agissant de l’obligation, visée au point 35 de l’arrêt Webb‑Sämann (25), pour les États membres de s’assurer que les mesures nécessaires soient prises pour empêcher toute perte disproportionnée, il est vrai que la Cour n’a pas indiqué la situation à laquelle elle se référait. Il y a néanmoins lieu de rappeler qu’une obligation peut être considérée comme claire et précise non seulement lorsqu’elle est expressément prévue dans un texte, mais également lorsqu’elle peut être déduite de ce texte au moyen de méthodes d’interprétation généralement admises, ce qui, selon moi, est le cas en l’espèce, étant donné qu’il peut être déduit du libellé de l’article 8 que ce dernier protège l’intégralité des droits détenus par les travailleurs salariés.

87.      Cependant, étant donné que l’ État membre concerné n’a qu’une obligation de moyen, les demandeurs doivent démontrer que les mesures adoptées par cet État étaient insuffisantes pour assurer une telle protection, étant précisé que l’existence d’une perte disproportionnée doit être considérée comme une preuve étayant une présomption d’une telle insuffisance.

88.      En outre, il y a lieu de noter que la protection conférée par l’ article 8 porte sur les droits acquis ou en cours d’acquisition, une notion dont la définition repose sur le droit national, et non sur les effets financiers attachés à ces droits. En effet, il existe deux types de régimes complémentaires de prévoyance : les « régimes à prestations définies » et les « régimes à cotisations définies » (26). Par conséquent, si, en droit national, les droits acquis par une personne sont seulement des droits à des parts des bénéfices et non, comme cela semble l’être en vertu du droit allemand, des droits à des prestations définies, l’obligation pesant sur l’État membre est de s’assurer que le travailleur salarié bénéficie effectivement de l’intégralité des droits à de telles parts, sans préjudice du montant qui sera finalement payé au travailleur salarié.

89.      En résumé, je propose de répondre à la troisième question par l’affirmative, à savoir en ce sens que l’article 8 de la directive 2008/94 est d’effet direct de telle sorte que, lorsqu’un État membre s’est abstenu de transposer cette directive en droit national ou en a fait une transposition incorrecte, cette disposition confère des droits aux particuliers qui peuvent être invoqués contre l’État membre devant une juridiction nationale.

D.      Sur la quatrième question préjudicielle

90.      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si, en matière de retraite professionnelle, lorsque l’État membre a désigné – de manière contraignante pour les employeurs – une entité de droit privé comme organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité pour les retraites professionnelles et que cette entité est soumise au contrôle prudentiel exercé par l’autorité publique de contrôle des services financiers, que, de plus, elle prélève auprès des employeurs, selon des modalités de droit public, les cotisations obligatoires nécessaires à la garantie contre le risque d’insolvabilité et que, à l’instar d’une autorité publique, elle peut créer les conditions d’une exécution forcée en adoptant un acte administratif, cette entité de droit privé doit être considérée comme une autorité publique de cet État membre de telle sorte qu’une disposition d’une directive peut être directement invoquée contre lui.

91.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que toute disposition inconditionnelle et suffisamment précise d’une directive peut être invoquée par les justiciables non seulement à l’encontre d’un État membre et de l’ensemble des organes de son administration, telles que les autorités décentralisées, mais également à l’encontre d’institutions, d’organismes et d’entités qui sont soumis à l’autorité ou au contrôle de l’État ou qui détiennent des pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (27).

92.      De tels institutions, organismes et entités se distinguent des particuliers et doivent être assimilés à l’État membre, soit parce qu’ils sont des personnes morales de droit public faisant partie de cet État au sens large, soit parce qu’ils ont été chargés, par une autorité publique, d’exercer une mission d’intérêt public et ont été dotés, à cet effet, desdits pouvoirs exorbitants (28).

93.      Étant donné que, dans sa question, la juridiction de renvoi fait référence à un cas dans lequel un État membre a désigné – de manière contraignante pour les employeurs – comme organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité pour les retraites professionnelles, une entité donnée et a accordé à cette dernière le droit de prélever auprès des employeurs, selon des modalités de droit public, les cotisations obligatoires nécessaires à la garantie contre le risque d’insolvabilité, une telle entité doit être considérée comme comparable à cet État, même si elle est organisée selon le droit privé.

94.      Toutefois, pour qu’une obligation résultant d’une directive puisse être directement invoquée à l’encontre d’une telle entité, les missions que celle-ci est tenue d’exercer dans l’intérêt public doivent inclure, explicitement ou implicitement, la mise en œuvre de cette obligation. En effet, le simple fait qu’une entité soit dotée de pouvoirs exorbitants par un État membre ne signifie pas que cette entité peut être tenue responsable de toute obligation imposée audit État membre par le droit de l’Union.

95.      Dans sa question, la juridiction nationale renvoie à une situation dans laquelle un État membre a désigné une entité comme étant chargée de garantir les retraites professionnelles. Cependant, le dossier de l’affaire, en combinaison avec les informations fournies lors de l’audience, semble montrer que les missions transférées par le gouvernement allemand au Pensions-Sicherungs-Verein VVaG ne concernent que les situations dans lesquelles la retraite professionnelle est servie par l’employeur par l’intermédiaire d’une promesse directe ou d’une Direktversicherung (assurance directe) ou au moyen d’une Unterstützungskasse (organisme d’assurances qui est juridiquement indépendant de l’employeur) ou d’un Pensionsfonds (fonds de pension) (29). Ainsi, le cas où la retraite professionnelle est servie par l’employeur par l’intermédiaire d’une Pensionskasse (caisse de retraite), en l’espèce le PKDW, ne relève d’aucune de ces missions.

96.      En toute hypothèse, c’est à la juridiction nationale qu’il appartient d’apprécier, au vu de la nature spécifique de l’obligation invoquée – à savoir la violation de l’obligation d’éviter toute perte disproportionnée mentionnée au point 35 de l’arrêt Webb-Sämann (30), si cette obligation a été, ou non, déléguée par l’État membre concerné à cette entité (31).

97.      Dès lors, je propose de répondre à la quatrième question que si, en matière de retraite professionnelle, l’État membre a désigné – de manière contraignante pour les employeurs – une entité de droit privé comme organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité pour les retraites professionnelles, que cette entité est soumise au contrôle prudentiel exercé par l’autorité publique de contrôle des services financiers, que, de plus, elle prélève auprès des employeurs, selon des modalités de droit public, les cotisations obligatoires nécessaires à la garantie contre le risque d’insolvabilité et que, à l’instar d’une autorité publique, elle peut créer les conditions d’une exécution forcée en adoptant un acte administratif, cette entité doit être considérée comme une autorité publique de cet État membre. Toutefois, le non-respect de l’obligation prévue à l’article 8 de la directive 2008/94 ne peut être invoqué à l’encontre de cette entité que si la mise en œuvre de cette obligation relève des missions lui ayant été déléguées par cet État membre, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de déterminer.

IV.    Conclusion

98.      À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) de la manière suivante :

1)      L’article 8 de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur doit être interprété en ce sens qu’il couvre la perte d’un versement, tel que celui en cause dans la procédure au principal, fait par un ancien employeur pour compenser, comme requis par le droit national, une réduction d’une retraite professionnelle.

2)      Les circonstances auxquelles la Cour s’est référée au point 35 dans son arrêt du 24 novembre 2016, Webb-Sämann (C‑454/15, EU:C:2016:891) sont celles dans lesquelles le demandeur démontre que l’État membre n’a pas respecté son obligation de s’assurer que les mesures nécessaires soient prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés ou des personnes ayant déjà quitté l’entreprise de l’employeur et où la réduction subie des droits à pension est d’un niveau qui soit n’est pas de minimis, soit porte autrement atteinte à la substance des droits à pension de retraite professionnelle que, sauf insolvabilité de l’employeur, le retraité avait toutes les raisons de s’attendre à recevoir.

3)      L’article 8 de la directive 2008/94 est d’effet direct de telle sorte que, si un État membre s’est abstenu de transposer cette directive en droit national ou en a fait une transposition incorrecte, cette disposition confère des droits au particulier que celui-ci peut invoquer contre l’État membre devant une juridiction nationale.

4)      Si, en matière de retraite professionnelle, l’État membre a désigné – de manière contraignante pour les employeurs – une entité de droit privé comme organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité pour les retraites professionnelles, que cette entité est soumise au contrôle prudentiel exercé par l’autorité publique de contrôle des services financiers que, de plus, elle prélève auprès des employeurs, selon des modalités de droit public, les cotisations obligatoires nécessaires à la garantie contre le risque d’insolvabilité et que, à l’instar d’une autorité publique, elle peut créer les conditions d’une exécution forcée en adoptant un acte administratif, cette entité doit être considérée comme une autorité publique de cet État membre. Toutefois, le non-respect de l’obligation prévue à l’article 8 de la directive 2008/94 ne peut être invoqué à l’encontre de cette entité que si la mise en œuvre de cette obligation relève des missions lui ayant été déléguées par cet État, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de déterminer.


1      Langue originale : l’anglais.


2      En outre, le requérant a obtenu, par ses propres cotisations, une augmentation du montant de sa retraite. Ce montant additionnel n’est pas concerné par la présente demande de décision préjudicielle. Par ailleurs, la juridiction de renvoi n’a pas précisé le montant de la pension légale dont le requérant bénéficiait.


3      Depuis 2013, une réduction de 1,25 % continue à être appliquée chaque année.


4      La notion d’« insolvabilité » est définie à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94.


5      L’article 9, paragraphe 1, sous e), de la directive 2003/41/CE du Parlement européen et du Conseil, du 3 juin 2003, concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (JO 2003, L 235, p. 10) dispose que « [c]haque État membre veille à ce que, pour toute institution établie sur son territoire […] l’entreprise d’affiliation se soit engagée à assurer le financement régulier du régime, lorsqu’elle garantit le versement des prestations de retraite » (italique ajouté par mes soins). A contrario, cela signifie que le droit de l’Union n’exige pas que les États membres s’assurent que l’employeur garantisse un tel versement.


6      Voir arrêt du 25 avril 2013, Hogan e.a. (C‑398/11, EU:C:2013:272, points 35 à 40). Dans les affaires dans lesquelles la Cour a déjà statué, soit il résulte de la description des faits donnée par la juridiction de renvoi que l’employeur s’est engagé à garantir le versement, soit la Cour est partie de la prémisse que tel était le cas.


7      Voir, par analogie, concernant la notion d’indemnités utilisée à l’article 3, premier alinéa, de la directive 2008/94, arrêt du 28 juin 2018, Checa Honrado (C‑57/17, EU:C:2018:512, point 30).


8      Lors de l’adoption de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements (JO 1977, L 61, p. 26), qui fait partie du même paquet législatif que la directive 80/987, la Commission a abandonné sa tentative de légiférer en matière de transfert de droits à la retraite complémentaire d’une manière harmonisée. La raison indiquée était que « les conditions, les formes et les types de ces prestations [de retraite] sont si variables et les modalités de leur organisation si diverses qu’elles rendent impossible l’inclusion dans la […] directive de dispositions communautaires casuistiques ». Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Webb-Sämann (C‑454/15, EU:C:2016:653, point 62).


9      Arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56, point 41).


10      Voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien (C‑314/12, EU:C:2014:192, points 52 et 53).


11      Arrêt du 25 avril 2013 (C‑398/11, EU:C:2013:272, point 43).


12      Cependant, en statuant ainsi, la Cour s’est écartée de l’idée d’une obligation de moyen.


13      Point 50 de cet arrêt.


14      Arrêt du 24 novembre 2016 (C‑454/15, EU:C:2016:891).


15      Arrêt du 6 septembre 2018 (C‑17/17, EU:C:2018:674).


16      Comme la Cour le relève, les États membres ont une obligation de résultat uniquement « à cet égard », à savoir garantir un niveau minimum de protection. Voir arrêt du 24 novembre 2016, Webb-Sämann (C‑454/15, EU:C:2016:891, point 35).


17      Certes, dans son arrêt du 25 avril 2013, Hogan e.a. (C‑398/11, EU:C:2013:272, point 33), la Cour a jugé que l’article 8 de la directive 2008/94 doit être interprété comme signifiant qu’afin de déterminer si un État membre a exécuté l’obligation prévue à cet article, les prestations de la pension légale ne peuvent pas être prises en compte. Toutefois, je pense que, lorsque la Cour a fait cette observation, elle avait uniquement à l’esprit le seuil de 50 %. Premièrement, quand cet arrêt a été rendu, la solution retenue dans les arrêts Webb-Sämann et Hampshire n’avait pas encore été dégagée. Deuxièmement, d’un point de vue logique, on ne peut déduire du fait que l’article 8 de cette directive ne couvre que les créances liées à des régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale, que les prestations de la pension légale ne peuvent pas être prises en compte lors de l’appréciation quant au point de savoir si un État membre a rempli l’obligation prévue audit article. En effet, le champ d’application d’une garantie est différent de son montant. Ainsi, en matière de sécurité sociale, il est courant que le paiement d’une indemnisation soit décidé en considération d’une situation particulière (incapacité, invalidité grave, statut d’orphelin), mais que son montant varie en fonction de facteurs externes, tels que tous les revenus perçus. En revanche, l’interprétation faite par la Cour dans son arrêt Hogan e.a. est correcte si on se place dans la perspective de la règle des 50 %, dans la mesure où, par définition, pour évaluer si la réduction survenue est supérieure à ce seuil, seules les prestations versées dans le cadre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel ou interprofessionnel doivent être prises en compte.


18      Arrêt du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56, points 80 et 82).


19      Arrêt du 6 septembre 2018 (C‑17/17, EU:C:2018:674).


20      Arrêt du 6 septembre 2018, Hampshire (C‑17/17, EU:C:2018:674, point 56).


21      Arrêt du 6 septembre 2018, Hampshire (C‑17/17, EU:C:2018:674, point 57).


22      Voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2001, Gharehveran (C‑441/99, EU:C:2001:551, point 44).


23      Voir arrêts du 25 janvier 2007, Robins e.a. (C‑278/05, EU:C:2007:56, points 36 à 45), et du 25 juillet 2018, Guigo (C‑338/17, EU:C:2018:605, points 30 et 31).


24      Voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2013, Hogan e.a. (C‑398/11, EU:C:2013:272, point 46).


25      Arrêt du 24 novembre 2016 (C‑454/15, EU:C:2016:891).


26      Comme leur nom l’implique, dans un plan de pension à prestations définies, l’intéressé perçoit un montant de retraite déterminé – ce qui peut obliger l’employeur à renflouer le plan en cas de mauvaise performance des investissements réalisés –, tandis que le versement reçu dans le cadre d’un plan à cotisations définies dépend de la performance des investissements faits avec une cotisation fixe payée par l’employeur.


27      Voir arrêt du 10 octobre 2017, Farrell (C‑413/15, EU:C:2017:745, point 33).


28      Voir arrêt du 10 octobre 2017, Farrell (C‑413/15, EU:C:2017:745, point 34).


29      Voir article 7, premier alinéa, de la loi sur les retraites.


30      Arrêt du 24 novembre 2016 (C‑454/15, EU:C:2016:891).


31      Dans ses arrêts du 16 décembre 1993, Wagner Miret (C‑334/92, EU:C:1993:945, point 18), et du 18 octobre 2001, Gharehveran (C‑441/99, EU:C:2001:551, point 38), la Cour a ainsi jugé que l’article 3 de la directive 80/987 (actuel article 3 de la directive 2008/94) prévoit que la directive sur l’insolvabilité des employeurs n’oblige pas les États membres à créer une même institution de garantie pour toutes les catégories de travailleurs et, par conséquent, de placer le personnel de direction dans la compétence d’intervention de l’institution de garantie établie pour les autres catégories de travailleurs salariés.