Language of document : ECLI:EU:T:2023:570

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

20 septembre 2023 (*)

« Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par la Belgique – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché intérieur et illégal et ordonnant la récupération de l’aide versée – Décision fiscale anticipée (tax ruling) – Bénéfices imposables – Exonération des bénéfices excédentaires – Avantage – Caractère sélectif – Récupération »

Dans les affaires T‑858/16 et T‑867/16,

Dow Silicones Corp., anciennement Dow Corning Corp., établie à Midland, Michigan (États-Unis),

Dow Silicones Belgium, anciennement Dow Corning Europe, établie à Seneffe (Belgique),

parties requérantes dans l’affaire T‑858/16,

Vinventions, anciennement Nomacorc, établie à Thimister-Clermont (Belgique),

partie requérante dans l’affaire T‑867/16,

représentées par Mes H. Gilliams et L. Goossens, avocats,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P.-J. Loewenthal, B. Stromsky et Mme F. Tomat, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, M. S. Frimodt Nielsen, Mme V. Tomljenović (rapporteure), MM. R. Norkus et W. Valasidis, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la décision du 16 février 2018 de suspendre la procédure dans l’attente des décisions mettant fin à l’instance dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, EU:T:2019:91), et à l’arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International (C‑337/19 P, EU:C:2021:741),

–        la décision du 26 avril 2022 de reprendre la procédure,

–        les questions écrites du Tribunal aux parties et leurs réponses à ces questions,

vu l’ordonnance de la présidente de la deuxième chambre élargie du 21 décembre 2022, portant jonction des affaires T‑278/16, T‑370/16, T‑373/16, T‑420/16, T‑467/16, T‑637/16, T‑681/16, T‑858/16, et T‑867/16, aux fins de la phase orale de la procédure,

à la suite de l’audience du 13 février 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs recours fondés sur l’article 263 TFUE, les requérantes, dans l’affaire T‑858/16, Dow Silicones Corp., anciennement Dow Corning Corp., et Dow Silicones Belgium, anciennement Dow Corning Europe, et, dans l’affaire T‑867/16, Vinventions, anciennement Nomacorc, demandent l’annulation de la décision (UE) 2016/1699 de la Commission, du 11 janvier 2016, relative au régime d’aides d’État concernant l’exonération des bénéfices excédentaires SA.37667 (2015/C) (ex 2015/NN) mis en œuvre par la Belgique (JO 2016, L 260, p. 61, ci-après la « décision attaquée »).

I.      Antécédents du litige

2        Les faits à l’origine du litige ainsi que le cadre juridique qui y est afférent ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 28 de l’arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, EU:T:2019:91), ainsi que par la Cour aux points 1 à 24 de l’arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International (C‑337/19 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2021:741). Pour les besoins de la présente procédure, ils peuvent être résumés de la manière suivante.

3        Moyennant une décision anticipée adoptée par le « service des décisions anticipées » du service public fédéral des finances belge, sur le fondement de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après le « CIR 92 »), lu conjointement avec l’article 20 de la loi du 24 décembre 2002 modifiant le régime des sociétés en matière d’impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale (Moniteur belge du 31 décembre 2002, p. 58817, ci-après la « loi du 24 décembre 2002 »), les sociétés résidentes belges faisant partie d’un groupe multinational et les établissements stables belges de sociétés résidentes étrangères faisant partie d’un groupe multinational pouvaient réduire leur base imposable en Belgique en déduisant les bénéfices, considérés comme étant « excédentaires », des bénéfices qu’ils avaient enregistrés. Par ce système, une partie des bénéfices réalisés par les entités belges bénéficiant d’une décision anticipée n’était pas imposée en Belgique. Selon les autorités fiscales belges, ces bénéfices excédentaires découlaient des synergies, des économies d’échelle ou d’autres avantages résultant de l’appartenance à un groupe multinational et, partant, n’étaient pas imputables aux entités belges en question.

4        Dow Silicones Belgium et Vinventions sont des sociétés établies en Belgique et intégrées à des groupes multinationaux d’entreprises. Ces sociétés effectuent des transactions avec d’autres sociétés au sein de leurs groupes respectifs.

5        Il ressort de l’annexe de la décision attaquée ainsi que des pièces qui figurent dans les dossiers dans les affaires T-858/16 et T-867/16 que, le 15 février 2011, s’agissant de Dow Silicones Belgium, et, le 26 février 2013, s’agissant de Vinventions, le service des décisions anticipées a adopté des décisions anticipées relatives à l’exonération des bénéfices excédentaires à l’égard de ces dernières, qui en avaient fait la demande à la suite de restructurations au sein de leurs groupes d’entreprises visant à centraliser un certain nombre de fonctions et de services auprès des sociétés établies en Belgique. Ces décisions anticipées avaient une validité de cinq ans.

6        À la suite d’une procédure administrative qui a commencé le 19 décembre 2013, par une lettre par laquelle la Commission européenne a demandé au Royaume de Belgique de lui fournir des renseignements concernant le système des décisions fiscales anticipées, relatives aux bénéfices excédentaires, qui se fondaient sur l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, la Commission a adopté la décision attaquée le 11 janvier 2016.

7        Par la décision attaquée, la Commission a constaté que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires, qui se fondait sur l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, en vertu duquel le Royaume de Belgique avait émis des décisions anticipées en faveur d’entités belges de groupes multinationaux d’entreprises, accordant auxdites entités une exonération pour une partie des bénéfices qu’elles réalisaient, constituait un régime d’aides d’État (ci-après « le régime en cause »), accordant un avantage sélectif à ses bénéficiaires, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui était incompatible avec le marché intérieur.

8        Ainsi, la Commission a soutenu, à titre principal, que le régime en cause octroyait un avantage sélectif aux bénéficiaires des décisions anticipées, dans la mesure où l’exonération de leurs bénéfices excédentaires appliquée par les autorités fiscales belges dérogeait au système commun de l’impôt sur les sociétés en Belgique. À titre subsidiaire, la Commission a considéré que l’exonération des bénéfices excédentaires pouvait procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires des décisions anticipées, dans la mesure où une telle exonération s’écartait du principe de pleine concurrence.

9        Ayant constaté que le régime en cause avait été mis à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a ordonné la récupération des aides ainsi octroyées auprès de leurs bénéficiaires, dont la liste définitive devait être ultérieurement établie par le Royaume de Belgique.

II.    Conclusions des parties

10      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les articles 1er à 4 de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

11      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

12      Il convient de joindre les présentes affaires aux fins de la décision mettant fin à l’instance, conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, les parties ayant été entendues.

13      À l’appui de leurs recours, les requérantes soulèvent, en substance, trois moyens identiques, alors qu’un quatrième moyen est soulevé uniquement dans l’affaire T‑858/16, tirés, le premier, d’une violation de l’article 1er, sous d), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), en raison de la qualification de « régime » des décisions anticipées relatives aux bénéfices excédentaires, le deuxième, d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en raison de l’interprétation et de l’application du système de référence pour établir l’existence d’un avantage sélectif et, le troisième, du fait que la Commission a violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE en considérant que les décisions anticipées conféraient un avantage sélectif, sur la base d’une compréhension erronée de la notion de bénéfice excédentaire. Le quatrième moyen, soulevé uniquement dans l’affaire T‑858/16, est tiré d’une violation de l’article 16 du règlement 2015/1589 et des principes du droit de l’Union en matière d’aides d’État en raison du fait que la Commission n’a pas tenu compte des impôts déjà acquittés sur les bénéfices excédentaires en dehors de la Belgique pour quantifier le montant de l’aide à récupérer.

14      Le Tribunal examinera, d’abord, le premier moyen, relatif à l’existence d’un régime d’aides, et, ensuite, ensemble, les deuxième et troisième moyens, relatifs à l’existence d’un avantage sélectif, par lesquels les requérantes contestent, en substance, d’une part, la détermination du système de référence et, d’autre part, le caractère sélectif du régime en cause au titre du raisonnement subsidiaire de la Commission, le raisonnement principal n’ayant pas été contesté. Enfin, le Tribunal examinera le quatrième moyen, concernant la récupération.

A.      Sur l’existence d’un régime d’aides

15      Par le premier moyen, les requérantes estiment, en substance, que la Commission a violé l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 en qualifiant à tort les décisions anticipées relatives aux bénéfices excédentaires de « régime », commettant alors plusieurs erreurs de droit, erreurs de fait et erreurs manifestes d’appréciation, et également en développant une motivation inadéquate.

16      Ce moyen s’appuie sur quatre branches. La première branche est tirée du fait que les quatre « actes » identifiés par la Commission comme constituant un régime ne seraient en réalité qu’un seul acte, à savoir l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92. La deuxième branche est tirée du fait que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 n’accorderait, en tant que tel, aucune exonération des bénéfices excédentaires. Par la troisième branche, les requérantes font valoir que les décisions anticipées relatives aux bénéfices excédentaires constituent des « mesures d’application », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, ce qui écarterait l’existence d’un régime. La quatrième branche est tirée du fait qu’une pratique administrative constante ne saurait constituer un régime, au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589.

17      La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation des requérantes.

18      À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt sur pourvoi, la Cour a indiqué que la décision attaquée avait établi l’existence d’un régime d’aides, au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, ressortant d’une ligne systématique de conduite des autorités fiscales belges et a ainsi rejeté comme étant non fondé le moyen, invoqué par le Royaume de Belgique et par Magnetrol International, qui était tiré de la conclusion erronée relative à l’existence d’un régime d’aides.

19      Dans ces circonstances, il y a lieu d’écarter le premier moyen des requérantes, tiré de la prétendue erreur commise par la Commission dans la constatation de l’existence d’un régime d’aides, celui-ci étant en substance analogue à ceux du Royaume de Belgique et de Magnetrol International, écartés par la Cour dans l’arrêt sur pourvoi.

B.      Sur l’existence d’un avantage sélectif, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

20      Par leurs deuxième et troisième moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, les requérantes font valoir, en substance, que la Commission n’a pas établi l’existence d’un avantage sélectif qui aurait été accordé par le régime en cause. À cet égard, elles contestent, en particulier, d’une part, l’interprétation et l’application du système de référence dans la décision attaquée et, d’autre part, la conclusion relative au caractère sélectif du régime en cause au titre du raisonnement subsidiaire. Avant de répondre aux allégations des requérantes, il convient de préciser les conclusions de la Commission dans la décision attaquée quant à l’existence d’un avantage sélectif et de rappeler les exigences jurisprudentielles à ce sujet.

21      D’emblée, il y a lieu de relever que, dans l’analyse des conditions énumérées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE pour qu’une mesure constitue une aide d’État, dont celle afférente à l’existence d’un avantage sélectif, la notion d’avantage et celle de sa sélectivité constituent deux critères distincts. Pour ce qui est de l’avantage, la Commission doit démontrer que la mesure améliore la situation financière du bénéficiaire (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 33). En revanche, pour ce qui est de la sélectivité, la Commission doit démontrer que l’avantage ne bénéficie pas à d’autres entreprises dans une situation juridique et factuelle comparable à celle du bénéficiaire au regard de l’objectif du système de référence (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49).

22      À cet égard, selon la jurisprudence, l’exigence de sélectivité découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être clairement distinguée de la détection concomitante d’un avantage économique, en ce que, lorsque la Commission a décelé la présence d’un avantage, pris au sens large, découlant directement ou indirectement d’une mesure donnée, elle est tenue d’établir, en outre, que cet avantage profite spécifiquement à une ou à plusieurs entreprises (arrêt du 4 juin 2015, Commission/MOL, C‑15/14 P, EU:C:2015:362, point 59).

23      Il importe néanmoins de préciser qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que ces deux notions peuvent être examinées conjointement, en tant que « troisième condition » prévue par l’article 107, paragraphe 1, TFUE, portant sur l’existence d’un « avantage sélectif » (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C‑270/15 P, EU:C:2016:489, point 32).

24      Dans la décision attaquée, le raisonnement de la Commission concernant l’avantage figure dans le cadre de l’analyse sur l’existence d’un avantage sélectif, à savoir le point 6.3, intitulé « Existence d’un avantage sélectif », qui inclut tant l’examen de la sélectivité que celui de l’avantage.

25      À titre préalable, au considérant 125 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que l’exonération des bénéfices excédentaires appliquée par les autorités fiscales belges n’était pas prévue par le système de l’impôt sur les sociétés en Belgique. En outre, au considérant 126 de la décision attaquée, la Commission a mis en exergue le fait que cette exonération aboutissait à une imposition sur la base d’un bénéfice hypothétique, et non sur la base des bénéfices totaux réellement enregistrés par l’entité belge. Au considérant 127 de la décision attaquée, elle a souligné que, bien que le système belge ait prévu des dispositions particulières applicables aux groupes, celles-ci visaient plutôt à mettre sur un pied d’égalité les entités intégrées à des groupes multinationaux et les entités autonomes.

26      Dans ce cadre, au considérant 133 de la décision attaquée, la Commission a signalé que, en vertu du système de l’impôt sur les sociétés en Belgique, les entités des sociétés résidentes ou actives par l’intermédiaire d’un établissement stable en Belgique étaient imposées sur la base de leurs bénéfices réellement enregistrés, et non sur la base d’un niveau hypothétique de bénéfices, raison pour laquelle l’exonération des bénéfices excédentaires conférait un avantage aux entités belges d’un groupe bénéficiant du régime en cause.

27      Au considérant 135 de la décision attaquée, la Commission a rappelé la jurisprudence selon laquelle un avantage économique pouvait être conféré en réduisant la charge fiscale d’une entreprise et, en particulier, en réduisant la base imposable ou le montant de l’impôt dû. Ainsi, la Commission a considéré que, en l’espèce, le régime en cause permettait aux sociétés bénéficiaires des décisions anticipées de réduire l’impôt dû en déduisant de leur bénéfice réellement enregistré un bénéfice dit « excédentaire ». Ce dernier était calculé en estimant le bénéfice moyen hypothétique d’entreprises autonomes comparables, de sorte que la différence entre le bénéfice réellement enregistré et ce bénéfice moyen hypothétique se traduisait en un pourcentage d’exonération qui fondait le calcul de la base imposable accordée pour les cinq années pendant lesquelles la décision anticipée était d’application. Dans la mesure où cette base imposable, ainsi calculée au titre des décisions anticipées accordées en vertu du régime en cause, était inférieure à la base imposable en l’absence desdites décisions anticipées, un avantage en aurait découlé.

28      Partant, il ressort des considérants de la décision attaquée, mis en exergue aux points 23 à 25 ci-dessus, que l’avantage retenu par la Commission consistait en la non-imposition des bénéfices excédentaires des sociétés bénéficiaires et en l’imposition des bénéfices de ces dernières calculés à partir d’un bénéfice moyen hypothétique faisant abstraction du bénéfice total réalisé par ces sociétés et des ajustements légalement prévus, en vertu des décisions anticipées, au titre du régime en cause. Selon la Commission, une telle imposition représentait un allégement de la charge fiscale supportée par les bénéficiaires du régime, par rapport à celle qui aurait découlé d’une imposition normale, au titre du système de l’impôt sur les sociétés en Belgique, laquelle aurait visé la totalité des bénéfices réellement enregistrés, après application des ajustements légalement prévus.

29      Ensuite, l’analyse proprement dite de la sélectivité de cet avantage se trouve, d’une part, aux considérants 136 à 141 de la décision attaquée, au sein du point 6.3.2.1 de ladite décision, en ce qui concerne le raisonnement à titre principal de la Commission sur la sélectivité, fondé sur l’existence d’une dérogation au système commun de l’impôt sur les sociétés en Belgique. D’autre part, la sélectivité de l’avantage, représenté par l’exonération des bénéfices excédentaires, est analysée également aux considérants 152 à 170 de la décision attaquée, au sein du point 6.3.2.2 de ladite décision, en ce qui concerne le raisonnement sur la sélectivité, avancé par la Commission à titre subsidiaire, fondé sur l’existence d’une dérogation au principe de pleine concurrence.

30      À cet égard, il importe de préciser, d’une part, que les deux raisonnements sur la sélectivité du régime en cause sont distincts et substituables et, d’autre part, que ce n’est que dans le cadre de l’analyse de la sélectivité du régime en cause que la Commission a examiné, à titre subsidiaire, la question de savoir dans quelle mesure ce régime dérogeait au principe de pleine concurrence.

31      Par ailleurs, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, la qualification d’une mesure fiscale nationale de « sélective » suppose, tout d’abord, l’identification et l’examen préalables du régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, c’est-à-dire la détermination du « système de référence » (voir arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 68 et jurisprudence citée).

1.      Sur l’identification du système de référence

32      Les requérantes font valoir, en substance, que la Commission a violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE en commettant une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation dans le cadre de l’interprétation et de l’application du système de référence aux fins d’évaluer si les décisions anticipées relatives aux bénéfices excédentaires conféraient un avantage sélectif. Dans les requêtes, les requérantes précisent explicitement qu’elles ne contestent pas l’identification du système de référence par la Commission, à savoir le système belge de l’impôt sur les sociétés. En revanche, elles considèrent que la Commission a mal interprété ledit système dans la décision attaquée, notamment, en considérant, à titre principal, que les bénéfices imposables devaient toujours correspondre aux bénéfices comptables et, à titre subsidiaire, que le régime en cause n’aurait pas été compatible avec le principe de pleine concurrence.

33      La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation des requérantes.

a)      Observations liminaires

34      Il importe de rappeler que la détermination du système de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale ». Ainsi, la détermination de l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l’objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas (voir arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 69 et jurisprudence citée).

35      Dans ce contexte, il a été jugé que la détermination du système de référence, qui doit être effectuée à l’issue d’un débat contradictoire avec l’État membre concerné, doit découler d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national de cet État (voir arrêt du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission, C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793, point 62 et jurisprudence citée).

36      En outre, il ressort d’une jurisprudence constante que, si les États membres doivent ainsi s’abstenir d’adopter toute mesure fiscale susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur, il n’en demeure pas moins que, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe et dans le respect de son autonomie fiscale, les caractéristiques constitutives de l’impôt, lesquelles définissent, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal », à partir duquel il convient d’analyser la condition relative à la sélectivité. Il en va notamment ainsi de la détermination de l’assiette de l’impôt et de son fait générateur (voir arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 65 et 73 et jurisprudence citée).

37      Il s’ensuit que seul le droit national applicable dans l’État membre concerné doit être pris en compte en vue d’identifier le système de référence en matière de fiscalité directe, cette identification étant elle-même un préalable indispensable, en vue d’apprécier non seulement l’existence d’un avantage, mais aussi la question de savoir si celui-ci revêt un caractère sélectif.

38      Par ailleurs, afin de déterminer si une mesure fiscale a fait bénéficier une entreprise d’un avantage sélectif, il incombe à la Commission de procéder à une comparaison avec le système d’imposition normalement applicable dans l’État membre concerné, au terme d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national de cet État. Ne sauraient donc être pris en compte, dans l’examen de l’existence d’un avantage fiscal sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et aux fins d’établir la charge fiscale devant normalement peser sur une entreprise, des paramètres et des règles externes au système fiscal national en cause, à moins que ce dernier ne s’y réfère explicitement (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 92 et 96).

39      En l’espèce, aux considérants 121 à 129 de la décision attaquée, la Commission a exposé sa position concernant le système de référence.

40      Ainsi, aux considérants 121 et 122 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le système de référence était le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés, prévu par le régime de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, dont l’objectif était l’imposition des bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt en Belgique. La Commission a relevé que le système de l’impôt sur les sociétés en Belgique s’appliquait aux sociétés résidentes en Belgique ainsi qu’aux succursales belges de sociétés non résidentes. En vertu de l’article 185, paragraphe 1, du CIR 92, les sociétés résidentes en Belgique étaient tenues de payer l’impôt sur le revenu des sociétés sur le montant total des bénéfices qu’elles réalisaient, sauf lorsqu’une convention contre les doubles impositions s’appliquait. En outre, en vertu des articles 227 et 229 du CIR 92, les sociétés non résidentes n’étaient soumises à l’impôt sur le revenu des sociétés que pour certains types de revenus spécifiques de source belge. Par ailleurs, la Commission a souligné que, dans les deux cas, l’impôt belge sur les sociétés était dû sur le bénéfice total, lequel était fixé selon les règles relatives au calcul des bénéfices tels qu’ils étaient définis à l’article 24 du CIR 92. En vertu de l’article 185, paragraphe 1, du CIR 92, lu en liaison avec les articles 1er, 24, 183, 227 et 229 du CIR 92, le bénéfice total correspondait aux revenus des sociétés, dont étaient soustraites les dépenses déductibles qui étaient généralement enregistrées dans la comptabilité, de sorte que le bénéfice réellement enregistré constituait le point de départ du calcul du bénéfice total imposable, sans préjudice de l’application dans un second temps des ajustements positifs et négatifs prévus par le système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique.

41      Aux considérants 123 à 128 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires, appliqué par les autorités fiscales belges, ne faisait pas partie intégrante du système de référence.

42      Plus précisément, au considérant 125 de la décision attaquée, la Commission a considéré qu’une telle exonération n’était prescrite par aucune disposition du CIR 92. En effet, l’article 185, paragraphe 2, sous a), du CIR 92 permettait à l’administration fiscale belge de procéder à un ajustement unilatéral primaire des bénéfices d’une société, pour le cas où des transactions ou des arrangements avec des sociétés liées étaient effectués dans des conditions qui s’écartaient de celles de pleine concurrence. En revanche, l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 prévoyait la possibilité d’effectuer des ajustements négatifs des bénéfices d’une société, générés par une transaction ou un arrangement intragroupe, à la condition supplémentaire que le bénéfice à ajuster eût été inclus dans le bénéfice de la contrepartie étrangère à cette transaction ou à cet arrangement.

43      En outre, au considérant 126 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que le système de l’impôt sur les sociétés en Belgique visait à imposer les entreprises soumises à l’impôt, sur leurs bénéfices réels, indépendamment de leur forme juridique, de leur taille ou de leur appartenance ou non à un groupe multinational d’entreprises.

44      Par ailleurs, au considérant 127 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, aux fins du calcul des bénéfices imposables, les sociétés intégrées d’un groupe multinational étaient tenues de fixer les prix à appliquer à leurs transactions intragroupes au lieu d’utiliser des prix dictés directement par le marché, raison pour laquelle la législation fiscale belge prévoyait des dispositions particulières applicables aux groupes, qui visaient généralement à mettre sur un pied d’égalité les sociétés non intégrées et les entités économiques structurées sous la forme de groupes.

45      Au considérant 129 de la décision attaquée, la Commission a conclu que le système de référence à prendre en considération était le système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, dont l’objectif était d’imposer de la même manière les bénéfices de toutes les sociétés résidentes ou actives par l’intermédiaire d’un établissement stable en Belgique. Ce système comprenait les ajustements applicables, conformément au système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique, qui déterminaient le bénéfice imposable de la société aux fins de la perception de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique.

46      D’emblée, il convient de relever que les parties s’accordent sur le point de départ selon lequel le système de droit commun de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique constitue le système de référence. Cependant, les requérantes considèrent que la Commission a mal interprété ledit système.

b)      Sur l’exigence d’identification d’une règle de référence particulière au sein du système d’imposition général

47      S’agissant de l’allégation des requérantes selon laquelle la jurisprudence exigerait l’identification d’une règle de référence précise au sein du système de référence global, il importe de rappeler, au contraire, que la sélectivité d’une mesure fiscale ne peut être appréciée à l’aune d’un cadre de référence constitué de quelques dispositions du droit national de l’État membre concerné qui ont été artificiellement sorties d’un cadre législatif plus large (voir arrêt du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission, C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793, point 62 et jurisprudence citée).

48      En effet, la détermination du système de référence, qui doit être effectuée à l’issue d’un débat contradictoire avec l’État membre concerné, doit découler d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national de cet État (voir arrêt du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission, C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793, point 62 et jurisprudence citée).

49      Par conséquent, la Commission n’était pas tenue d’identifier des règles particulières au sein du « système de référence plus général ». En revanche, ainsi qu’il ressort des points 40 à 46 ci-dessus, la Commission a examiné, sur la base des informations présentées par le Royaume de Belgique, le contenu, l’articulation et les effets concrets des normes relatives à l’imposition des bénéfices des sociétés en Belgique. Elle en a ainsi tiré la conclusion selon laquelle les entreprises établies en Belgique étaient imposées sur leurs bénéfices réels, indépendamment de leur forme juridique, de leur taille ou de leur appartenance ou non à un groupe multinational d’entreprises.

c)      Sur la non-inclusion du régime des bénéfices excédentaires dans le système de référence

50      Les requérantes contestent l’interprétation et l’application par la Commission du système de référence.

51      En premier lieu, il convient de souligner que la Commission n’a pas exclu l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 du système de référence. En revanche, elle a considéré que le régime des bénéfices excédentaires appliqué par les autorités fiscales belges n’était pas prévu par cette disposition et, partant, ne faisait pas partie du système de référence.

52      En second lieu, afin de déterminer si la Commission a correctement conclu que le régime des bénéfices excédentaires n’était pas prévu par l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, il convient d’examiner, d’une part, la portée de cette disposition et, d’autre part, le régime des bénéfices excédentaires tel qu’il est appliqué par les autorités fiscales belges.

1)      Sur la portée de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92

53      Il y a lieu de relever que la Commission a fondé son analyse de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92 sur la base du libellé de cette disposition et des textes accompagnant son entrée en vigueur. En effet, aux considérants 29 à 38 de la décision attaquée, la Commission a décrit de manière détaillée, premièrement le texte de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92, introduit par la loi du 21 juin 2004, modifiant le CIR 92 et la loi du 24 décembre 2002 (Moniteur belge du 9 juillet 2004, p. 54623, ci-après la « loi du 21 juin 2004 »), deuxièmement, l’exposé des motifs figurant dans le projet de ladite loi, présenté le 30 avril 2004 par le gouvernement belge à la Chambre des représentants de Belgique (ci-après l’« exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004 »), et, troisièmement, la circulaire du 4 juillet 2006 concernant l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92 (ci-après la « circulaire administrative du 4 juillet 2006 »).

54      Tout d’abord, dans sa version applicable en l’espèce, l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, auquel fait référence le considérant 29 de la décision attaquée, est libellé comme suit :

« Sans préjudice de l’alinéa 2, pour deux sociétés faisant partie d’un groupe multinational de sociétés liées et en ce qui concerne leurs relations transfrontalières réciproques :

[…]

b)      lorsque, dans les bénéfices d’une société sont repris des bénéfices qui sont également repris dans les bénéfices d’une autre société, et que les bénéfices ainsi inclus sont des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre les deux sociétés avaient été celles qui auraient été convenues entre des sociétés indépendantes, les bénéfices de la première société sont ajustés d’une manière appropriée.

L’alinéa 1er s’applique par décision anticipée sans préjudice de l’application de la Convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de corrections des bénéfices des entreprises associées (90/436) du 23 juillet 1990 et des conventions internationales préventives de la double imposition. »

55      Ensuite, l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004, auquel fait référence le considérant 34 de la décision attaquée, indique que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 prévoit un ajustement corrélatif approprié afin d’éviter ou de supprimer une double imposition (possible) et qu’il ne faut procéder à un ajustement corrélatif que si l’administration fiscale ou le service des décisions anticipées estime que l’ajustement primaire est justifié en ce qui concerne son principe et son montant.

56      Par ailleurs, l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004 précise que cette disposition ne s’applique pas si le bénéfice réalisé dans l’État partenaire est majoré de telle façon qu’il est supérieur à celui qui serait obtenu en cas d’application du principe de pleine concurrence, les autorités fiscales belges n’étant pas contraintes d’accepter les conséquences d’un ajustement arbitraire ou unilatéral dans l’État partenaire.

57      Enfin, la circulaire administrative du 4 juillet 2006, à laquelle fait référence le considérant 38 de la décision attaquée, réitère le constat suivant lequel un tel ajustement négatif ne s’applique pas lorsque l’ajustement positif primaire opéré par une autre juridiction est excessif. Par ailleurs, ladite circulaire reprend largement le texte de l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004, en ce qu’elle rappelle que l’ajustement négatif corrélatif trouve son sens dans le principe de pleine concurrence, qu’il a pour objectif d’éviter ou de supprimer une double imposition (possible) et qu’il doit s’effectuer de manière appropriée, à savoir que les autorités fiscales belges ne peuvent procéder à cet ajustement que si ce dernier est justifié en son principe et en son montant.

58      Partant, il ressort du libellé de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 que l’ajustement négatif est prévu dans le cadre des relations transfrontalières entre deux sociétés liées et qu’il doit être corrélatif, en ce sens qu’il n’est applicable qu’à la condition que les bénéfices faisant l’objet de l’ajustement soient également repris dans les bénéfices de l’autre société et que ces bénéfices ainsi inclus soient des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre les deux sociétés avaient été celles qui auraient été convenues entre sociétés indépendantes.

59      Cette constatation est confirmée tant par l’exposé de motifs de la loi du 21 juin 2004 que par la circulaire administrative du 4 juillet 2006, qui soulignent que l’ajustement corrélatif doit être approprié en son principe et en son montant et qu’il n’est pas procédé à cet ajustement si les bénéfices réalisés dans un autre État sont majorés de façon à ce qu’ils deviennent supérieurs à ceux qui auraient été obtenus en application du principe de pleine concurrence. En effet, ces textes indiquent que l’ajustement négatif, prévu par l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, requiert une corrélation entre les bénéfices ajustés à la baisse en Belgique et des bénéfices repris dans une autre société du groupe établie dans un autre État.

2)      Sur le régime des bénéfices excédentaires

60      Le régime des bénéfices excédentaires, tel qu’il est appliqué par les autorités fiscales belges, est décrit par la Commission, aux considérants 13 à 22 de la décision attaquée. En outre, aux considérants 39 à 42 de la décision attaquée, la Commission a pris en compte les réponses du ministre des Finances belge à des questions parlementaires sur l’application de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 du 13 avril 2005, du 11 avril 2007 et du 6 janvier 2015. Ces réponses expliquent la pratique administrative desdites autorités fiscales belges relative aux bénéfices excédentaires.

61      Il ressort de ces réponses que, dans le cadre du régime des bénéfices excédentaires appliqué par les autorités fiscales belges, l’ajustement négatif des bénéfices permettant de déduire de la base imposable lesdits bénéfices excédentaires n’était pas conditionné par le fait que les bénéfices exonérés aient été repris dans les bénéfices d’une autre société et que ces bénéfices soient des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre elles avaient été celles qui auraient été convenues entre sociétés indépendantes.

62      En outre, il ressort des explications fournies par le Royaume de Belgique, telles qu’elles sont reprises notamment aux considérants 15 à 20 de la décision attaquée, que l’exonération appliquée par les autorités fiscales belges, au titre du régime en cause, était fondée sur un pourcentage d’exonération, calculé sur la base d’un bénéfice moyen hypothétique pour l’entité belge, obtenu à partir d’un indicateur du niveau de bénéfice résultant d’une comparaison avec les bénéfices des entreprises autonomes comparables et fixé comme une valeur située dans la fourchette interquartile dudit indicateur du niveau de bénéfice choisi pour un ensemble d’entreprises autonomes comparables. Ce pourcentage d’exonération aurait été applicable pendant plusieurs années, à savoir pendant la durée de validité de la décision anticipée. Ainsi, l’imposition des entités belges qui en résultait ne prenait pas comme point de départ la totalité des bénéfices réellement enregistrés, au sens des articles 1er, 24, 183 et de l’article 185, paragraphe 1, du CIR 92, auxquels auraient été appliqués les ajustements légalement prévus dans le cas des groupes d’entreprises, au titre de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92, mais plutôt un bénéfice hypothétique faisant abstraction du bénéfice total réalisé par l’entité belge en question et des ajustements légalement prévus.

63      Par ailleurs, le fait que l’objectif de cette disposition soit d’éviter une double imposition possible, ainsi qu’il a été souligné par le Royaume de Belgique, ne saurait éliminer la condition explicitement prévue, relative au fait que les bénéfices à ajuster doivent avoir également été repris dans les bénéfices d’une autre société, et que ces bénéfices soient des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre elles avaient été celles qui auraient été convenues entre sociétés indépendantes. En effet, c’est précisément lorsque les bénéfices d’une entité belge sont également repris dans les bénéfices d’une autre société, établie dans un autre État, que la possibilité d’une double imposition peut exister.

3)      Conclusion sur la non-inclusion du régime des bénéfices excédentaires dans le système de référence

64      Il ressort de ce qui précède que, alors que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 requiert, aux fins d’un ajustement négatif, que les bénéfices à ajuster aient été également repris dans les bénéfices d’une autre société et qu’ils soient des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre les deux sociétés avaient été celles qui auraient été convenues entre des sociétés indépendantes, le régime des bénéfices excédentaires était appliqué par les autorités belges sans prendre en considération ces conditions.

d)      Sur la détermination des bénéfices imposables des sociétés et la possibilité d’effectuer des ajustements sur les bénéfices enregistrés

65      À l’égard des arguments des requérantes contestant les constatations de la Commission relatives à la détermination des bénéfices imposables des sociétés en Belgique et la possibilité d’effectuer des ajustements, il y a lieu de rappeler que, au considérant 122 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le bénéfice total était fixé selon les règles relatives aux bénéfices énoncées dans les dispositions relatives au calcul des bénéfices imposables, tels qu’ils sont définis à l’article 24 du CIR 92.

66      L’article 24 du CIR 92 prévoit que les revenus imposables des entreprises industrielles, commerciales et agricoles englobent tous les revenus découlant d’activités entrepreneuriales, tels que les bénéfices provenant de « toutes les opérations traitées par les établissements de ces entreprises ou par l’intermédiaire de ceux-ci », et de « tout accroissement de la valeur des éléments d’actif […] et de tout amoindrissement de la valeur des éléments de passif […] lorsque ces plus-values ou moins-values ont été réalisées ou exprimées dans la comptabilité ou les comptes annuels ».

67      Il en découle que les bénéfices imposables, aux fins de l’application du CIR 92, sont constitués, à la base, par tous les bénéfices enregistrés par les entreprises assujetties à l’impôt en Belgique, dans la mesure où ils constituent le point de départ du calcul dudit l’impôt.

68      Par ailleurs, il ressort des précisions apportées par la Commission, au considérant 123 de la décision attaquée, qu’elle a pris en considération le fait que la base pour le calcul du bénéfice imposable était constituée par le bénéfice total enregistré de l’entité en question, sur lequel étaient effectués les ajustements, négatifs et positifs, prévus par le système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique.

69      Plus spécifiquement, la Commission a relevé, au considérant 125 de la décision attaquée, que les ajustements positifs et négatifs, prévus à l’article 185, paragraphe 2, sous a) et b), du CIR 92, constituaient des dispositions fiscales particulières applicables à des situations dans lesquelles les conditions fixées pour une transaction ou un arrangement s’écartaient de celles qui auraient été convenues entre des sociétés indépendantes.

70      Partant, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission a pris en compte le fait que, dans le régime fiscal applicable en Belgique, spécifiquement en ce qui concerne la base imposable pour l’impôt sur les bénéfices des sociétés, la possibilité existait d’effectuer des ajustements positifs et négatifs sur les bénéfices enregistrés. Pour ces mêmes raisons, les griefs des requérantes tirés d’une prétendue méconnaissance par la Commission de l’existence, dans le régime fiscal belge, d’une différence entre le bénéfice comptable et le bénéfice imposable ne sauraient prospérer.

71      Cette constatation ne saurait être remise en cause par l’argument des requérantes selon lequel le raisonnement de la Commission implique que tout ajustement négatif des prix de transfert engendre un avantage, indépendamment de la question de savoir si cet ajustement correspond ou non au principe de pleine concurrence. Non seulement une telle affirmation ne ressort ni de la décision attaquée ni des écritures de la Commission, mais, de plus, il convient de rappeler que la Commission a examiné l’application du principe de pleine concurrence par les autorités fiscales belges dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire sur la sélectivité. En revanche, dans le cadre de l’examen de l’existence d’un avantage, la Commission a relevé que les entités bénéficiaires étaient imposées sur des bénéfices calculés à partir d’un bénéfice moyen hypothétique faisant abstraction du bénéfice total réalisé par ces entités et des ajustements prévus, en vertu des décisions anticipées au titre du régime en cause. Selon la Commission, une telle imposition représentait un allégement de la charge fiscale supportée par les bénéficiaires du régime, par rapport à celle qui aurait découlé d’une imposition normale, au titre du système de l’impôt sur les sociétés en Belgique, laquelle aurait visé la totalité des bénéfices réellement enregistrés, après application des ajustements légalement prévus.

72      Par conséquent, à la différence des autres entreprises assujetties à l’impôt en Belgique, les entités belges intégrées ayant obtenu une décision anticipée en vertu du régime en cause n’étaient pas imposées sur des bénéfices calculés à partir de leur bénéfice réellement enregistré.

73      Dans les répliques, les requérantes ajoutent que l’interprétation erronée du système de référence compromet les conclusions de la Commission relatives tant à la sélectivité qu’à l’avantage.

74      D’une part, concernant les conclusions sur la sélectivité, les requérantes font valoir que la qualification erronée des décisions anticipées en cause de régime obligerait la Commission à démontrer que lesdites décisions créent indument une discrimination entre différentes sociétés relevant de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, c’est-à-dire entre groupes multinationaux d’entreprises.

75      D’autre part, les requérantes font valoir que l’interprétation erronée du système de référence compromet les conclusions de la Commission relatives à l’avantage.

76      La Commission fait valoir que les griefs avancés par les requérantes dans les répliques devraient être rejetés conformément à l’article 83 du règlement de procédure.

77      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 83 du règlement de procédure prévoit que la requête peut être complétée par une réplique. De plus, le point 130 des dispositions pratiques d’exécution dudit règlement précise que le cadre et les moyens ou griefs au cœur du litige ayant été exposés (ou contestés) de manière approfondie dans la requête et le mémoire en défense, la réplique et la duplique ont pour finalité de permettre au requérant et au défendeur de préciser leur position ou d’affiner leur argumentation sur une question importante et de répondre aux éléments nouveaux apparus dans le mémoire en défense et dans la réplique.

78      En l’espèce, il convient de constater que les répliques précisent, pour partie, des arguments présents dans les requêtes sur la définition du système de référence, en réponse à la défense de la Commission.

79      Cependant, les nouveaux griefs dépourvus de lien avec le deuxième moyen, tel qu’il est développé dans les requêtes, doivent pour cette raison être écartés comme étant irrecevables (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2017, Voigt/Parlement, T‑618/15, EU:T:2017:821, point 32).

80      En effet, d’une part, en ce qui concerne les griefs soulevés au stade des répliques, relatifs au raisonnement à titre principal de la Commission, il y a lieu de relever qu’ils ne visent pas à contester l’interprétation et l’application du système de référence en tant que tel, mais plutôt la conclusion de la Commission au titre de son raisonnement principal sur la sélectivité.

81      Or, dans la mesure où les requérantes ne contestent pas dans les requêtes les appréciations de la Commission au titre de son raisonnement principal quant au caractère sélectif du régime en cause, ces arguments, présentés au stade des répliques, doivent être écartés comme étant irrecevables.

82      D’autre part, il en est de même s’agissant des arguments relatifs aux conclusions de la Commission sur l’avantage économique accordé en vertu du régime en cause à ses bénéficiaires, dans la mesure où lesdites conclusions n’ont pas été contestées par les requérantes dans les requêtes introductives d’instance.

83      Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen invoqué par les requérantes dans son ensemble.

2.      Sur le caractère sélectif du régime en cause au titre du raisonnement subsidiaire

84      Les requérantes font valoir, à titre subsidiaire, que, même si la Commission avait, d’une part, correctement établi que les décisions anticipées relatives aux bénéfices excédentaires constituaient un régime d’aides et, d’autre part, correctement évalué le régime en cause en vertu des règles applicables du droit fiscal belge, elle aurait cependant commis plusieurs erreurs de fait et erreurs manifestes d’appréciation en considérant que ledit régime n’était pas compatible avec le principe de pleine concurrence. Ainsi, en premier lieu, la Commission aurait mal compris la notion de bénéfice excédentaire et le lien intrinsèque existant entre l’exonération des bénéfices excédentaires et la réorganisation de l’entreprise précédant ladite exonération. En deuxième lieu, elle aurait mal compris le calcul en deux étapes des bénéfices excédentaires. En troisième lieu, la Commission soutiendrait à tort que les autres pays n’auraient pas la possibilité de prélever des impôts sur les bénéfices excédentaires enregistrés dans les comptes financiers de l’entité belge du groupe.

85      La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation des requérantes.

86      À titre liminaire, il convient d’observer que, par leurs arguments exposés au point 84 ci-dessus, les requérantes ne contestent que le raisonnement subsidiaire de la Commission sur le caractère sélectif du régime en cause.

87      Or, la décision attaquée repose sur deux raisonnements distincts et substituables sur la sélectivité, le premier présenté par la Commission à titre principal et le second à titre subsidiaire.

88      Dans ces circonstances, quand bien même la Commission aurait mal apprécié la pratique des autorités fiscales belges dans son raisonnement subsidiaire sur la sélectivité, une telle erreur ne serait pas susceptible de remettre en cause le raisonnement principal de la Commission sur la sélectivité. Dès lors, les arguments des requérantes dans le cadre des deuxième et troisième moyens ayant trait au raisonnement subsidiaire de la Commission doivent être écartés comme étant inopérants.

C.      Sur le montant de la récupération

89      Par le quatrième moyen, soulevé à titre subsidiaire dans l’affaire T‑858/16, les requérantes soutiennent que la récupération ordonnée par la Commission dans la décision attaquée est illégale et disproportionnée, en violation de l’article 16 du règlement 2015/1589. En effet, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que le groupe auquel appartenaient les requérantes et potentiellement d’autres bénéficiaires auraient déjà acquitté leurs impôts sur une partie des bénéfices excédentaires en cause, en dehors de la Belgique. Cela aurait pour conséquence d’imposer les bénéfices de l’entité belge à un taux supérieur au taux prévu par la loi belge, à savoir un taux de 35 %, auquel cette entité aurait été assujettie si elle n’avait pas obtenu de décision anticipée.

90      En premier lieu, les requérantes estiment que l’ordre de récupération est illégal, parce qu’il entraîne une double imposition. En effet, une partie des bénéfices excédentaires aurait été imposée aux États-Unis au titre de la sous-partie F du code fédéral des impôts américains (Internal revenue code). Sans la décision anticipée relative aux bénéfices excédentaires de l’entité belge, ce montant aurait été imposé en Belgique, tandis que l’entité américaine du groupe aurait bénéficié aux États-Unis de crédits d’impôt qui auraient compensé les impôts payés en Belgique sur ce montant. Or, l’entité des États-Unis ne pourrait plus prétendre à des crédits d’impôt aux États-Unis pour ces impôts supplémentaires en Belgique que l’entité belge serait désormais tenue de verser.

91      En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que la récupération porte atteinte au principe de prévention de la double imposition qui ferait partie intégrante du droit de l’Union, afin d’éviter les distorsions au sein du marché intérieur. En matière d’aides d’État en particulier, la Commission aurait reconnu que même les mesures fiscales sélectives ne constitueraient pas des aides d’État lorsqu’elles seraient nécessaires pour éviter la double imposition.

92      En troisième lieu, les requérantes font valoir que la récupération aurait pour but de retirer l’avantage et qu’elle ne devrait pas être punitive. La restitution devrait alors se limiter au montant de l’aide reçue, en soustrayant les impôts versés à la suite de l’octroi de l’aide. L’ordre de récupération, par conséquent, violerait l’article 16 du règlement 2015/1589 et le principe de proportionnalité.

93      En quatrième lieu, l’ordre de récupération serait incohérent, puisqu’il serait adressé au groupe dans son ensemble, alors que la méthodologie de calcul du montant de la récupération ne tiendrait pas compte des impôts déjà versés par d’autres sociétés du groupe relatifs aux bénéfices excédentaires. Partant, l’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée, qui prévoirait que le Royaume de Belgique doit d’abord récupérer l’aide alléguée auprès des entités belges ayant obtenu une décision anticipée relative aux bénéfices excédentaires, serait contradictoire et illégal.

94      La Commission considère qu’il convient d’écarter l’argumentation des requérantes.

1.      Sur le risque d’une double imposition du fait de la récupération ordonnée

95      S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel l’ordre de récupération entraîne le risque d’une double imposition des bénéfices exonérés en vertu du régime en cause, il convient de rappeler, premièrement, que, dans le cadre d’une mesure fiscale, l’existence d’un avantage se détermine par rapport aux règles d’imposition normale, de sorte que les règles fiscales d’un autre État membre ne sont pas pertinentes (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2004, Espagne/Commission, C‑73/03, non publié, EU:C:2004:711, point 28). Par conséquent, il convient de limiter l’analyse aux règles fiscales applicables dans l’État membre où est établie l’entreprise bénéficiaire en question, à savoir la Belgique. Ainsi, s’il est établi que l’entité belge du groupe a bénéficié d’une aide illégale, la récupération de ladite aide doit être ordonnée, indépendamment de la charge fiscale des autres entreprises du groupe auquel elle appartient.

96      Deuxièmement, il y a lieu de rappeler que, au considérant 203 de la décision attaquée, la Commission a rejeté l’argument du Royaume de Belgique selon lequel la récupération pourrait mener à une double imposition du fait que l’exonération des bénéfices excédentaires concernait un ajustement unilatéral qui n’était pas accordé en contrepartie à une imposition antérieure du même bénéfice par un autre territoire fiscal. En effet, ainsi qu’il résulte du point 64 ci-dessus, l’exonération des bénéfices excédentaires résultait d’un ajustement unilatéral qui n’était pas corrélatif et, dès lors, en l’absence d’ajustement primaire corrélatif, il ne pouvait pas y avoir de double imposition. Or, les arguments des requérantes ne remettent nullement en cause de tels constats.

97      Dès lors, l’argument des requérantes selon lequel la décision attaquée ne laisserait pas de place à la réduction du montant à récupérer lorsqu’un ajustement des prix de transfert aurait été effectué dans un autre pays ne saurait prospérer. En particulier, si les bénéfices de Dow Silicones Belgium, qui ont été exonérés d’impôt en Belgique, en vertu de la décision anticipée qu’elle a sollicitée auprès des autorités belges, ont été doublement imposés du fait de la récupération ordonnée par la décision attaquée, ce que Dow Silicones Belgium n’a par ailleurs pas démontré, cela résulterait de sa situation particulière et ne serait pas une caractéristique générale du régime en cause, susceptible de remettre en cause la constatation de l’existence d’un régime d’aides.

2.      Sur la prévention des doubles impositions

98      En vertu de l’article 16 du règlement 2015/1589, lorsque la Commission constate l’existence d’une aide d’État incompatible avec le marché intérieur et illégale, elle décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire, à moins que, ce faisant, elle aille à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union.

99      D’emblée, il convient de rappeler, ainsi qu’il vient d’être constaté aux points 96 et 97 ci-dessus, que la récupération ordonnée par la décision attaquée ne concerne pas des situations où un ajustement corrélatif aurait été appliqué dans un autre État.

100    Par ailleurs, s’agissant de l’allégation des requérantes quant à l’existence d’un principe général du droit de l’Union de prévention des doubles impositions, il y a lieu de constater que, dans l’arrêt du 12 mai 1998, Gilly (C‑336/96, EU:C:1998:221), invoqué par les requérantes, la Cour avait constaté que, si l’élimination de la double imposition à l’intérieur de l’Union figurait parmi les objectifs du traité, il y avait lieu néanmoins de constater que, à ce jour, abstraction faite de la convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées (JO 1990, L 225, p. 10), aucune mesure d’unification ou d’harmonisation visant à éliminer les doubles impositions n’avait été adoptée dans le cadre de l’Union et que les États membres n’avaient conclu, au titre du traité, aucune convention multilatérale à cet effet (arrêt du 12 mai 1998, Gilly, C‑336/96, EU:C:1998:221, point 23).

101    De plus, les arrêts du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN (C‑307/97, EU:C:1999:438), et du 19 janvier 2006, Bouanich (C‑265/04, EU:C:2006:51), invoqués par les requérantes, concernaient de potentiels conflits d’imposition entre deux États membres de l’Union dans le cadre desquels la Cour a précisé que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation de l’Union visant à éliminer les doubles impositions, les États membres demeuraient compétents pour déterminer les critères d’imposition des revenus et de la fortune en vue d’éliminer, le cas échéant par la voie conventionnelle, les doubles impositions. Dans ce contexte, les États membres étaient libres, dans le cadre des conventions bilatérales, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale (arrêts du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, C‑307/97, EU:C:1999:438, point 57, et du 19 janvier 2006, Bouanich, C‑265/04, EU:C:2006:51, point 49).

102    Dès lors, il convient d’écarter le grief tiré de la violation du principe général du droit de l’Union de prévention de la double imposition du fait de l’ordre de récupération de la décision attaquée.

3.      Sur le caractère prétendument punitif de la récupération ordonnée par la décision attaquée

103    Il convient de rappeler que, au considérant 202 de la décision attaquée, la Commission a retenu que, dans la mesure où l’exonération des bénéfices excédentaires correspondait à un pourcentage du bénéfice avant impôt appliqué au bénéfice réellement enregistré de l’entité belge d’un groupe, il suffisait, pour faire disparaître l’avantage sélectif induit par la mesure en cause, de rembourser la différence entre l’impôt dû, sur la base du bénéfice réellement enregistré, et l’impôt effectivement payé du fait du régime en cause, majorée des intérêts cumulés sur ce montant à compter de la date d’octroi de l’aide.

104    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité, de sorte que la récupération de cette aide, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État (voir arrêt du 11 mars 2010, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C‑1/09, EU:C:2010:136, point 54 et jurisprudence citée).

105    Dès lors, ainsi que l’admettent les requérantes, la récupération ordonnée par la décision attaquée a pour but de supprimer l’avantage sélectif accordé par les autorités fiscales belges et est proportionnée à l’objectif poursuivi par le contrôle des aides d’État, à savoir préserver la concurrence entre les entreprises.

106    Par ailleurs, il convient de constater que la comparaison effectuée par les requérantes entre leur situation et celle d’une entreprise tierce qui aurait obtenu une décision anticipée dans un autre État membre de l’Union, et à laquelle la Commission aurait ordonné de rembourser uniquement l’impôt net reçu, ne saurait être utilisée pour remettre en cause la légalité de l’ordre de récupération en ce qui concerne le régime en cause. Dès lors, cet argument est inopérant dans le cadre du présent recours.

107    En tout état de cause, dans le cadre d’un régime d’aides, la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime, cette vérification étant du ressort des obligations incombant à l’État membre concerné (voir, en sens, arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 63).

108    S’agissant de la violation du principe de proportionnalité, il convient de rappeler que ledit principe, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige, selon une jurisprudence constante, que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante (arrêt du 9 septembre 2004, Espagne et Finlande/Parlement et Conseil, C‑184/02 et C‑223/02, EU:C:2004:497, point 57 ; voir également, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2002, Käserei Champignon Hofmeister, C‑210/00, EU:C:2002:440, point 59, et du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a., C‑558/07, EU:C:2009:430, point 41).

109    Or, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 104 ci-dessus, la récupération d’une aide illégale est proportionnée à l’objectif poursuivi dans le cadre du contrôle des aides d’État. Dans la mesure où la Commission a pu constater à bon droit, en l’espèce, que le régime en cause avait accordé à ses bénéficiaires des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur et illégales, la récupération des aides, ordonnée par la décision attaquée, ne saurait constituer une violation du principe de proportionnalité.

110    Partant, il y a lieu d’écarter le grief tiré du caractère punitif de la récupération ordonnée par la décision attaquée et de la violation du principe de proportionnalité.

4.      Sur la détermination du montant de récupération au niveau du groupe auquel appartient l’entité belge

111    En l’espèce, la Commission a indiqué, au considérant 183 de la décision attaquée, que les entités belges ayant obtenu une décision anticipée leur permettant de déduire les bénéfices considérés comme excédentaires, aux fins de la détermination de leur bénéfice imposable, étaient les bénéficiaires des aides d’État en cause.

112    En outre, au considérant 184 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que, en matière d’aides d’État, des entités juridiques distinctes pouvaient être considérées comme constituant une seule unité économique, laquelle était susceptible d’être considérée comme étant bénéficiaire de l’aide. Elle a ainsi considéré que, en l’espèce, les entités belges bénéficiant des aides en cause avaient opéré en tant qu’entrepreneurs centraux au bénéfice d’autres entités au sein de leurs groupes d’entreprises qu’elles contrôlaient souvent. Elle a également relevé que les entités belges étaient, à leur tour, contrôlées par l’entité gérant le groupe d’entreprises dans son ensemble. Ainsi, la Commission en a déduit que le groupe multinational dans son ensemble pouvait être considéré comme étant le bénéficiaire de la mesure d’aide.

113    Par ailleurs, au considérant 185 de la décision attaquée, la Commission a souligné que c’était le groupe dans son ensemble, indépendamment du fait qu’il soit organisé en différentes entités juridiques, qui aurait décidé de centraliser certaines activités en Belgique et d’y effectuer les investissements nécessaires pour bénéficier des décisions anticipées.

114    C’est ainsi que, au considérant 186 de la décision attaquée, elle en a conclu que, en plus des entités belges ayant été admises à bénéficier du régime en cause, les groupes multinationaux auxquels appartenaient ces entités devaient être considérés comme étant bénéficiaires du régime d’aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

115    Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que, dans une décision qui porte sur un régime d’aides, la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, EU:C:2002:143, points 89 et 91 ; du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 63, et du 13 juin 2019, Copebi, C‑505/18, EU:C:2019:500, points 28 à 33).

116    Ainsi, il a été jugé que la Commission pouvait considérer, aux fins de l’appréciation des bénéficiaires d’une aide d’État et des conséquences à tirer d’une décision ordonnant la récupération de celle-ci, qu’il existait une unité économique entre plusieurs entités juridiques distinctes, notamment lorsque celles-ci étaient liées par des relations de contrôle (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, EU:C:1984:345, point 11, et du 16 décembre 2010, AceaElectrabel Produzione/Commission, C‑480/09 P, EU:C:2010:787, point 64).

117    Aux considérants 184 à 186 de la décision attaquée, la Commission a mis en exergue le fait que, dans le cadre du régime en cause, il existait des liens de contrôle entre l’entité belge et les autres entités du groupe auquel elles appartenaient. Ainsi, d’une part, la Commission a relevé le fait que l’entité belge exerçait des fonctions centrales pour d’autres entités du groupe, lesquelles étaient souvent contrôlées par ladite entité. D’autre part, la Commission a souligné le fait que les décisions au sein des groupes multinationaux d’entreprises quant aux structures qui ont donné lieu aux exonérations en question, à savoir la centralisation d’activités en Belgique ou les investissements effectués en Belgique, ont été prises par des entités au sein du groupe, nécessairement par des entités qui en exerçaient le contrôle. Par ailleurs, il ressort de la description du régime des bénéfices excédentaires effectuée par le Royaume de Belgique, telle qu’elle est reprise notamment au considérant 14 de la décision attaquée, que les bénéfices excédentaires exonérés étaient censés être générés par des synergies et des économies d’échelle du fait de l’appartenance des entités belges en question à un groupe multinational d’entreprises.

118    Il s’ensuit que, dans la décision attaquée, la Commission a mis en exergue des éléments lui permettant de conclure à l’existence, en principe, de liens de contrôle au sein des groupes multinationaux d’entreprises auxquels appartenaient les entités belges ayant obtenu des décisions anticipées. Compte tenu de ces éléments du régime en cause, il ne saurait être conclu que la Commission a outrepassé sa marge d’appréciation lorsque, à l’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée, elle a ordonné la récupération de toute somme non récupérée auprès des bénéficiaires ainsi décrite à l’article 2, paragraphe 1, de la même décision, auprès des groupes auxquels ces bénéficiaires appartenaient.

119    Partant, il y a lieu de conclure que le quatrième moyen dans l’affaire T‑858/16, tiré du caractère disproportionné de la récupération ordonnée par la décision attaquée, doit être écarté dans son intégralité.

120    Tous les moyens soulevés par les requérantes ayant été écartés, il y a donc lieu de rejeter les recours dans leur ensemble.

 Sur les dépens

121    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes dans les présentes affaires ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T858/16 et T867/16 sont jointes aux fins du présent arrêt.

2)      Les recours sont rejetés.

3)      Dow Silicones Corp. et Dow Silicones Belgium sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne dans l’affaire T858/16.

4)      Vinventions est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission dans l’affaire T867/16.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Tomljenović

Norkus

 

      Valasidis

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 septembre 2023.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Conclusions des parties

III. En droit

A. Sur l’existence d’un régime d’aides

B. Sur l’existence d’un avantage sélectif, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

1. Sur l’identification du système de référence

a) Observations liminaires

b) Sur l’exigence d’identification d’une règle de référence particulière au sein du système d’imposition général

c) Sur la non-inclusion du régime des bénéfices excédentaires dans le système de référence

1) Sur la portée de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92

2) Sur le régime des bénéfices excédentaires

3) Conclusion sur la non-inclusion du régime des bénéfices excédentaires dans le système de référence

d) Sur la détermination des bénéfices imposables des sociétés et la possibilité d’effectuer des ajustements sur les bénéfices enregistrés

2. Sur le caractère sélectif du régime en cause au titre du raisonnement subsidiaire

C. Sur le montant de la récupération

1. Sur le risque d’une double imposition du fait de la récupération ordonnée

2. Sur la prévention des doubles impositions

3. Sur le caractère prétendument punitif de la récupération ordonnée par la décision attaquée

4. Sur la détermination du montant de récupération au niveau du groupe auquel appartient l’entité belge

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.