Language of document : ECLI:EU:T:2024:103

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

21 février 2024 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative BI blue pigment – Marque de l’Union européenne figurative antérieure Bi.cell – Motif relatif de refus – Risque de confusion – Article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑180/23,

L’Oréal, établie à Paris (France), représentée par Mes T. de Haan et S. Vandezande, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. M. Eberl, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Samar’t Pharma, SL, établie à Vilamalla (Espagne),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli (rapporteure), présidente, M. R. Norkus et Mme L. Spangsberg Grønfeldt, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, L’Oréal, demande l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 17 janvier 2023 (affaire R 1102/2022-4) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 16 novembre 2020, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne pour le signe figuratif suivant :

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3        La marque demandée désignait les produits relevant de la classe 3 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante : « Préparations et traitements capillaires ; préparations de soin capillaire autres qu’à usage médical ; préparations pour le coiffage des cheveux ; préparations de coloration capillaire ; produits éclaircissants pour les cheveux ».

4        Le 12 février 2021, Samar’t Pharma, SL, a formé opposition à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

5        L’opposition était fondée sur la marque de l’Union européenne figurative, reproduite ci-après, désignant les « produits de parfumerie ; cosmétiques ; huiles essentielles ; lotions capillaires ; préparations de toilette ; préparations nettoyantes à usage personnel ; produits cosmétiques de soins de beauté ; masques cosmétiques ; lotions de beauté ; produits cosmétiques coiffants ; savons ; dentifrices », relevant de la classe 3 :

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6        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

7        Le 27 avril 2022, la division d’opposition a fait droit à l’opposition.

8        Le 23 juin 2022, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’opposition.

9        Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours. En substance, elle a considéré qu’un risque de confusion était établi compte tenu, d’une part, de l’identité des produits en cause et, d’autre part, des similitudes résultant de la présence de l’élément « bi » dans les signes en conflit, considérées comme étant inférieures à la moyenne sur le plan visuel, au moins inférieures à la moyenne sur le plan phonétique et faibles sur le plan conceptuel.

 Conclusions des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris ceux exposés devant la chambre de recours.

11      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens en cas de convocation à une audience.

 En droit

12      À l’appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Ce moyen unique est fondé sur deux griefs, tirés, le premier, de ce que la chambre de recours n’aurait pas procédé à un examen d’ensemble des signes en conflit et, le second, de ce qu’elle n’aurait pas apprécié de manière globale le risque de confusion.

13      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

14      Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec une marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire sur lequel la marque antérieure est protégée. Le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure.

15      Constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou d’entreprises liées économiquement. Le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou des services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, notamment de l’interdépendance de la similitude des signes et de celle des produits ou des services désignés [voir arrêt du 9 juillet 2003, Laboratorios RTB/OHMI – Giorgio Beverly Hills (GIORGIO BEVERLY HILLS), T‑162/01, EU:T:2003:199, points 30 à 33 et jurisprudence citée].

16      Aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, un risque de confusion présuppose à la fois une identité ou une similitude des marques en conflit et une identité ou une similitude des produits ou des services qu’elles désignent. Il s’agit là de conditions cumulatives [voir arrêt du 22 janvier 2009, Commercy/OHMI – easyGroup IP Licensing (easyHotel), T‑316/07, EU:T:2009:14, point 42 et jurisprudence citée].

17      Lorsque la protection de la marque antérieure s’étend à l’ensemble de l’Union européenne, il y a lieu de prendre en compte la perception des marques en conflit par le consommateur des produits en cause sur ce territoire. Toutefois, il convient de rappeler que, pour refuser l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, il suffit qu’un motif relatif de refus au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 existe dans une partie de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Mast-Jägermeister/OHMI – Licorera Zacapaneca (VENADO avec cadre e.a.), T‑81/03, T‑82/03 et T‑103/03, EU:T:2006:397, point 76 et jurisprudence citée].

18      À cet égard, à titre liminaire, il convient de rappeler que la chambre de recours a constaté que les  produits concernés, visés au point 3 ci-dessus, étaient des produits de consommation courante qui s’adressaient au grand public faisant preuve d’un niveau d’attention moyen et qu’il convenait de concentrer l’examen sur la partie anglophone dudit public au sein de l’Union.  Elle a également estimé que les produits en cause étaient identiques. La requérante ne conteste pas ces appréciations de la chambre de recours et, au demeurant, aucun élément du dossier ne permet de les remettre en cause.

19      En revanche, la requérante conteste l’analyse de la chambre de recours portant, premièrement, sur la similitude des signes en conflit et, deuxièmement, sur le risque de confusion.

 Sur la comparaison des signes

20      L’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en conflit, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants. La perception des marques qu’a le consommateur moyen des produits ou des services en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation globale dudit risque. À cet égard, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (voir arrêt du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, point 35 et jurisprudence citée).

21      L’appréciation de la similitude entre deux marques ne peut se limiter à prendre en considération uniquement un composant d’une marque complexe et à le comparer avec une autre marque. Il y a lieu, au contraire, d’opérer la comparaison en examinant les marques en cause, considérées chacune dans son ensemble, ce qui n’exclut pas que l’impression d’ensemble produite dans la mémoire du public pertinent par une marque complexe puisse, dans certaines circonstances, être dominée par un ou plusieurs de ses composants (voir arrêt du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, point 41 et jurisprudence citée). Ce n’est que si tous les autres composants de la marque sont négligeables que l’appréciation de la similitude pourra se faire sur la seule base de l’élément dominant (arrêt du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, point 42). Tel pourrait notamment être le cas lorsque ce composant est susceptible de dominer à lui seul l’image de cette marque que le public pertinent garde en mémoire, de telle sorte que tous les autres composants de la marque sont négligeables dans l’impression d’ensemble produite par celle-ci (arrêt du 20 septembre 2007, Nestlé/OHMI, C‑193/06 P, non publié, EU:C:2007:539, point 43).

22      En l’espèce, la chambre de recours a considéré que les signes en conflit présentaient une similitude visuelle inférieure à la moyenne, une similitude phonétique au moins inférieure à la moyenne et une similitude conceptuelle faible.

23      La requérante fait valoir que les conclusions de la chambre de recours sont erronées, dans la mesure où elles ne sont pas fondées sur l’impression d’ensemble produite par les signes en conflit, mais sur la seule base de l’élément « bi ».

24      Dès lors, avant de traiter la question de la similitude des marques en conflit sur les plans visuel, phonétique et conceptuel, il y a lieu d’examiner l’appréciation des éléments distinctifs et dominants desdites marques effectuée par la chambre de recours.

 Sur les éléments distinctifs ou dominants des marques en conflit

25      S’agissant du caractère distinctif des éléments composant les marques en cause, il doit être observé que le caractère distinctif plus ou moins élevé des éléments communs à une marque demandée et à une marque antérieure est un des éléments pertinents dans le cadre de l’appréciation de la similitude des signes en conflit [arrêts du 26 novembre 2015, Bionecs/OHMI – Fidia farmaceutici (BIONECS), T‑262/14, non publié, EU:T:2015:888, point 37 ; du 8 juin 2017, AWG/EUIPO – Takko (Southern Territory 23°48’25’’S), T‑6/16, non publié, EU:T:2017:383, point 30, et du 7 novembre 2017, Mundipharma/EUIPO – Multipharma (MULTIPHARMA), T‑144/16, non publié, EU:T:2017:783, point 34].

26      À cet égard, pour déterminer le caractère distinctif d’un élément composant une marque, il y a lieu d’apprécier l’aptitude, plus ou moins grande, de cet élément à contribuer à identifier les produits ou les services pour lesquels la marque a été enregistrée comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer ces produits ou ces services de ceux d’autres entreprises. Lors de cette appréciation, il convient de prendre en considération, notamment, les qualités intrinsèques de l’élément en cause au regard de la question de savoir si celui-ci est ou non dénué de tout caractère descriptif des produits ou des services pour lesquels la marque a été enregistrée (voir arrêt du 7 novembre 2017, MULTIPHARMA, T‑144/16, non publié, EU:T:2017:783, point 35 et jurisprudence citée).

27      Par ailleurs, lors de l’appréciation du caractère dominant d’un ou plusieurs composants déterminés d’une marque complexe, il convient de prendre en compte, notamment, les qualités intrinsèques de chacun de ces composants en les comparant à celles des autres composants. En outre et de manière accessoire, peut être prise en compte la position relative des différents composants dans la configuration de la marque complexe [arrêt du 23 octobre 2002, Matratzen Concord/OHMI – Hukla Germany (MATRATZEN), T‑6/01, EU:T:2002:261, point 35].

28      En ce qui concerne la marque antérieure, la chambre de recours a, tout d’abord, considéré qu’elle était composée de deux éléments verbaux anglais, à savoir « bi » et « cell », séparés par un point. Elle a, ensuite, relevé que même si le terme « bicell » ou « bi-cell », considéré dans son ensemble, faisait allusion à deux cellules, uniquement une partie du public pertinent ayant connaissance de l’utilisation de cellules souches dans le domaine des cosmétiques allait le percevoir dans ce sens. Par contre, une partie non négligeable de ce public le percevrait comme un terme distinctif dépourvu de signification concrète en rapport avec les produits concernés, d’autant plus que ce terme n’existe pas en anglais. Enfin, elle a remarqué, en substance, qu’aucun des deux éléments verbaux n’était dominant, mais que le premier d’entre eux, à savoir l’élément « bi », conserverait un rôle indépendant dans l’appréciation globale de ladite marque et attirerait plus l’attention des consommateurs.

29      Quant à la marque demandée, la chambre de recours a examiné deux potentielles interprétations de son premier élément, d’une part, une première interprétation selon laquelle ledit élément serait compris comme étant composé des lettres « b » et « i » en majuscules et, d’autre part, une deuxième interprétation, selon laquelle ledit élément serait compris comme étant composé des lettres « b » en majuscule et « l » en minuscule. Suite à cet examen, elle a constaté que ledit élément allait être compris par une partie non négligeable du public comme étant composé des lettres « b » et « i » en majuscules. Selon elle, l’élément « bl » serait difficile à prononcer et ne serait pas l’abréviation courante du mot « blue ». En outre, même s’il coïncidait avec les deux premières lettres de l’expression « blue pigment », cette expression se verrait accorder moins d’importance en raison de sa taille plus petite, de sa position dans la partie inférieure du signe demandé et de son indication descriptive des produits capillaires en cause, susceptibles de donner un ton bleuté. Compte tenu de ceci, la chambre de recours a aussi conclu que l’élément « bi » serait perçu comme un élément autonome et comme l’élément le plus distinctif et dominant de la marque demandée.

30      De manière générale, la requérante fait valoir que la chambre de recours a fondé son analyse sur le premier élément des signes en conflit, à savoir l’élément « bi ». Cet élément aurait été considéré comme dominant et aurait été isolé des autres éléments, même si ces derniers n’étaient pas négligeables.

31      En particulier, la requérante soutient, premièrement, que la chambre de recours n’aurait pas dû faire ces appréciations lors de l’examen de la marque antérieure, dès lors qu’elle avait préalablement estimé que ses deux éléments étaient visuellement tout aussi dominants et qu’une partie non négligeable du public pertinent percevrait le terme « bicell » dans son ensemble comme un terme fantaisiste. Elle indique aussi que la chambre de recours a conclu, à tort, que l’élément « bi » attirait plus l’attention des consommateurs au seul motif qu’il se trouvait au début des signes en conflit.

32      Deuxièmement, la requérante ne conteste pas le caractère dominant du premier élément de la marque demandée, mais s’oppose à l’appréciation effectuée par la chambre de recours, selon laquelle la lettre « b » en majuscule et la lettre « l » en minuscule seraient reconnues comme les lettres « b » et « i » en majuscules. Elle indique que l’expression « blue pigment », n’étant pas négligeable, influence la manière dont les lettres « b » et « l » sont vues, lues et prononcées. Elle ajoute, en se fondant sur des dictionnaires et des sites Internet, que, contrairement à ce que la chambre de recours a considéré, la combinaison « bl » est l’abréviation la plus courante et standard de bleu.

33      Troisièmement, la requérante soutient que l’élément « bi » commun aux marques en conflit, étant habituellement utilisé dans le secteur des cosmétiques associé aux termes tels que « sérum » ou « phase » pour décrire des produits contenant deux types de composants et figurant dans de nombreuses marques enregistrées, serait dépourvu de caractère distinctif pour les produits concernés ou n’aurait qu’un caractère distinctif extrêmement faible.

34      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

35      D’emblée, il convient de relever que, contrairement à ce que prétend la requérante, la chambre de recours n’a constaté la présence d’éléments négligeables dans aucune des marques en conflit. En effet, d’une part, elle n’a pas identifié des éléments dominants dans la marque antérieure, et, d’autre part, elle s’est limitée à relever le caractère secondaire, mais non négligeable, de l’expression « blue pigment », par rapport à l’élément dominant « bi » dans la marque demandée. Ces appréciations ne sont pas contestées par la requérante.

36      En ce qui concerne la marque antérieure, il convient de constater que le consommateur pourrait être enclin à scinder en syllabes des mots assez courts lorsqu’ils comportent un élément typographique permettant de dissocier leurs éléments verbaux [voir, a contrario, à propos de la perception comme un tout indivisible d’une marque constituée d’un mot assez court composé de deux syllabes non séparées par un espace, trait d’union ou autre élément typographique, arrêt du 12 juillet 2019, MAN Truck & Bus/EUIPO – Halla Holdings (MANDO), T‑698/17, non publié, EU:T:2019:524, point 64]. Rien ne s’oppose donc à ce que les deux éléments verbaux de la marque antérieure, qui sont séparés par un point, soient dissociés par le public pertinent et soient ainsi perçus comme deux éléments verbaux indépendants. Il en découle que c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que l’élément « bi » conserve un rôle indépendant dans la marque antérieure.

37      Cette appréciation n’est pas remise en cause ni par le fait qu’il n’y a pas d’élément dominant dans la marque antérieure ni par le caractère éventuellement fantaisiste du terme « bicell ». En effet, il a déjà été jugé qu’un signe verbal composé de deux éléments verbaux ne saurait être considéré comme étant une unité indivisible au seul motif qu’il est un terme fantaisiste, sans connotation conceptuelle dans son ensemble [voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2011, Dornbracht/OHMI – Metaform Lucchese (META), T‑1/09, non publié, EU:T:2011:495, point 43], et ce d’autant plus que, dans le cas d’espèce, les deux éléments verbaux sont séparés par un point.

38      Quant à la marque demandée, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a estimé qu’une partie non négligeable du public pertinent pourrait percevoir son premier élément comme étant composé des lettres « b » et « i » en majuscules, étant donné que dans la police de caractères utilisée la lettre « l » en minuscule est visuellement très similaire à la lettre « i » en majuscule. Même à supposer que l’élément « bl » soit l’abréviation courante du terme « blue », il n’en demeure pas moins qu’il n’existe aucun indice du fait que le consommateur moyen ait tendance à abréger ledit terme, qui n’est composé que d’une syllabe.

39      La présence des termes « blue pigment » n’altère pas cette appréciation. S’il est vrai que des éléments d’une marque pourraient influencer la manière dont le consommateur perçoit d’autres éléments de cette marque, il n’en va pas nécessairement de même lorsque, comme en l’espèce, les termes « blue pigment » présentent un caractère secondaire et que le public pertinent ne fait preuve que d’un niveau d’attention moyen. Pour établir un lien immédiat entre les éléments de la marque demandée, le consommateur devrait mettre en œuvre un processus intellectuel consistant à remarquer les termes « blue pigment », concentrer son attention sur le premier d’entre eux, retenir ses deux lettres initiales, et puis s’efforcer à établir un lien entre ces deux lettres et le premier élément du signe demandé. Un tel processus nécessite un certain temps de réflexion qui serait difficilement conciliable avec l’approche du consommateur cherchant à identifier facilement et rapidement l’origine commerciale des produits [voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Japan Tobacco/EUIPO – I.J. Tobacco Industry (I.J. TOBACCO INDUSTRY), T‑743/18, non publié, EU:T:2019:872, points 32 et 33], tenant également compte de la similitude entre la lettre « l » en minuscule et la lettre « i » en majuscule en l’espèce (voir point 38 ci-dessus).

40      En outre, contrairement à ce que la requérante soutient, l’élément « bi » conserve un caractère distinctif dans les deux marques en conflit. Certes, la requérante a présenté, dans ses observations devant la division d’opposition, huit exemples dans lesquels cet élément était utilisé dans le secteur des cosmétiques dans l’Union associé aux termes « sérum », « phase » ou « moisture ». Néanmoins, mis à part le fait que ledit élément est utilisé dans des configurations différentes dans ces exemples, il ne saurait être déduit de tels exemples spécifiques, en tenant compte de l’ampleur, de la taille et de la diversité du secteur des cosmétiques, que l’élément « bi » ne présente plus un caractère distinctif dans ce secteur. La requérante se borne ainsi à mentionner l’enregistrement par l’EUIPO de 1094 marques commençant par « bi » et couvrant des produits relevant de la classe 3 sans fournir plus de détails qui y sont relatifs. Outre le fait que la requérante invoque autant d’exemples pour la première fois devant le Tribunal, elle n’a pas démontré que l’un de ces signes était similaire aux signes en conflit ou que l’une desdites marques avait acquis une renommée qui pourrait éventuellement amoindrir le caractère distinctif de l’élément « bi » dans les signes en conflit. Or, le seul fait que des marques relevant de la classe de produits visée en l’espèce contiennent l’élément « bi », à le supposer établi, ne suffit pas à confirmer que cet élément soit devenu en lui-même faiblement distinctif en raison de son usage fréquent dans le domaine concerné [voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2009, Hipp & Co/OHMI – Laboratorios Ordesa (Bebimil), T‑221/06, non publié, EU:T:2009:330, point 59 et jurisprudence citée].

41      C’est à la lumière de ces appréciations qu’il y a lieu d’examiner si les signes en question présentent des similitudes sur les plans visuel, phonétique et conceptuel.

 Sur la comparaison sur le plan visuel

42      En estimant qu’une partie non négligeable du public pertinent percevait dans les deux signes en conflit les lettres « b » et « i » et que les autres éléments verbaux et figuratifs n’étaient pas suffisants pour exclure une similitude, la chambre de recours a conclu à un degré de similitude visuelle inférieur à la moyenne.

43      La requérante conteste cette conclusion. Elle fait valoir que si la chambre de recours avait analysé les marques en conflit dans leur ensemble, elle aurait dû constater l’absence de similitude visuelle en raison des différences concernant leur composition et leur présentation.

44      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

45      Contrairement à ce que la requérante prétend, il ne saurait être reproché à la chambre de recours de ne pas avoir procédé à une comparaison d’ensemble des signes en conflit sur le plan visuel. Certes, ainsi que la chambre de recours l’a relevé, les signes concordent uniquement dans leur premier élément, à savoir l’élément « bi », les autres éléments verbaux composant chacun desdits signes, à savoir « cell » et « blue pigment », étant différents. Toutefois, l’élément « bi » constitue l’élément dominant de la marque demandée et conserve un caractère indépendant dans la marque antérieure, dans la mesure où il peut être perçu comme étant séparé de l’élément « cell » (voir point 36 ci-dessus). À cela s’ajoute que la police de caractères des deux marques en conflit est très similaire, voire identique.

46      Il découle de ce qui précède que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que la concordance de l’élément « bi » était suffisante pour conférer aux signes en conflit un degré de similitude visuelle inférieure à la moyenne.

 Sur la comparaison sur le plan phonétique

47      La chambre de recours a considéré que le consommateur prononcerait de la même façon la première syllabe des deux marques en conflit. Elle a également estimé que cette syllabe était l’élément principal sur lequel le consommateur allait diriger son attention, d’autant plus s’agissant de la marque demandée pour laquelle il est probable qu’il soit le seul élément prononcé en raison de son caractère dominant, de la longueur de la marque et du caractère descriptif de l’expression « blue pigment ». Partant, la chambre de recours a conclu que les signes en conflit présentaient au moins une similitude inférieure à la moyenne sur le plan phonétique.

48      La requérante conteste ces appréciations de la chambre de recours. Elle argue qu’il n’y a pas de raisons de croire que le public ne prononcera que le premier élément de la marque demandée et fait ainsi valoir que cet élément sera prononcé comme les lettres « b » et « l ».

49      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

50      En premier lieu, contrairement à ce que la requérante soutient, il se peut qu’une partie non négligeable du public pertinent ne prononce pas les termes « blue pigment » dans la marque demandée. En effet, les consommateurs pourraient avoir tendance à abréger les signes composés de plusieurs éléments verbaux [voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2006, Camper/OHMI – JC (BROTHERS by CAMPER), T‑43/05, non publié, EU:T:2006:370, point 75], plus particulièrement lorsque, comme en l’espèce, un de ces éléments est doté d’un caractère descriptif et représenté en caractères plus petits [voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2021, Freshly Cosmetics/EUIPO – Misiego Blázquez (IDENTY BEAUTY), T‑688/20, non publié, EU:T:2021:567, point 51]. En ce qui concerne la manière dont le public prononcera le premier élément de la marque demandée, dans la mesure où il a déjà été établi, aux points 38 et 39 ci-dessus, qu’une partie non négligeable du public pertinent pourrait y percevoir les lettres « b » et « i » au lieu de « b » et « l », il peut être considéré que ledit public le prononcera « bi ».

51      En deuxième lieu, il ne peut pas être exclu que le public pertinent prononcera la marque antérieure dans son intégralité. Cela n’est toutefois pas de nature à écarter la similitude phonétique découlant de la concordance du premier élément dans les deux signes en conflit.

52      Compte tenu de ce qui précède, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a considéré, en substance, que les marques en conflit ont une similitude phonétique inférieure à la moyenne.

 Sur la comparaison sur le plan conceptuel

53      En premier lieu, la chambre de recours a relevé que le préfixe « bi », au début des deux marques en conflit, signifiait « deux » ou « double ». En deuxième lieu, elle a estimé que les mots « blue pigment », figurant à la fin de la marque demandée, étaient compris comme une caractéristique des produits et n’avaient donc qu’une incidence modérée sur la comparaison conceptuelle. En outre, associés au terme « bi », ils n’avaient pas de signification connue. En troisième lieu, selon la chambre de recours, le terme « cell », figurant à la fin de la marque antérieure, associée au terme « bi », pouvait être reconnu par une partie du public pertinent comme une allusion à « deux cellules » ou à « doubles cellules ». Néanmoins, la chambre de recours a considéré que, pour une partie non négligeable de ce public, ce terme n’aurait pas de signification connue en rapport avec les produits concernés. Partant, elle a conclu que lesdites marques étaient similaires à un faible degré sur le plan conceptuel.

54      La requérante fait valoir que la comparaison est à nouveau erronée, dès lors que n’ont été prises en compte que les deux premières lettres de chacune des marques en conflit et que le sens très différent des mots « blue pigment » et « cell » a été ignoré, sens qui aurait dû amener la chambre de recours à conclure à une absence complète de similitude sur le plan conceptuel. Selon la requérante, les mots « blue pigment » ont un contenu évocateur élevé, malgré leur caractère descriptif, et seraient mémorisés par le consommateur étant donné que la couleur bleue est manifestement extravagante en matière de coloration des cheveux.

55      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

56      Contrairement à ce que la requérante fait valoir, la chambre de recours a comparé les signes en conflit dans leur ensemble. À cet égard, il y a lieu de relever que l’élément « bi », conservant un rôle indépendant dans la marque antérieure (voir point 36 ci-dessus) et dans la marque demandée dès lors qu’il en constitue l’élément dominant, peut entraîner un certain rapprochement conceptuel entre les deux marques. Compte tenu du caractère descriptif de l’élément « blue pigment » dans la marque demandée, il peut être conclu que le public pertinent n’aura pas tendance à le mémoriser, et ce indépendamment de la question de savoir si la couleur bleue est extravagante en matière de coloration des cheveux. Par conséquent, les différences résultant du sens différent des éléments « cell » et « blue pigment » ne permettent pas d’écarter l’existence d’une similitude conceptuelle faible.

57      C’est donc à juste titre que la chambre de recours a conclu à une similitude faible sur le plan conceptuel.

 Sur l’appréciation globale du risque de confusion

58      L’appréciation globale du risque de confusion implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte et, notamment, de la similitude des marques et de celle des produits ou des services désignés. Ainsi, un faible degré de similitude entre les produits ou les services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les marques, et inversement (arrêts du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, EU:C:1998:442, point 17, et du 14 décembre 2006, VENADO avec cadre e.a., T‑81/03, T‑82/03 et T‑103/03, EU:T:2006:397, point 74).

59      En l’espèce, la chambre de recours a estimé que, compte tenu de l’identité des produits concernés et des similitudes entre les signes en conflit en raison de leur élément commun qui occupait une position distinctive autonome et serait perçu comme visuellement séparé dans les deux marques en conflit, il existait un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent. Plus particulièrement, elle a considéré que ledit public pourrait percevoir que le signe demandé concernait une nouvelle gamme de produits proposée par la titulaire de la marque antérieure ou par une entreprise économiquement liée à celle-ci.

60      La requérante fait valoir, en premier lieu, que les différences conceptuelles des signes en conflit auraient dû amener la chambre de recours à conclure que l’impression globale qu’ils produisent est différente. En deuxième lieu, elle reproche à la chambre de recours d’avoir fait référence à l’arrêt du 6 octobre 2005, Medion (C‑120/04, EU:C:2005:594), malgré le fait que ledit arrêt concerne une situation dans laquelle la marque antérieure est entièrement incluse dans le signe contesté. En troisième lieu, la requérante soutient que pour apprécier un risque de confusion dans le cadre de produits cosmétiques et de soins capillaires identiques, lesquels relèvent d’une catégorie très large de produits, lesdits signes devraient présenter une similitude suffisamment élevée. Néanmoins, selon la requérante, tel n’est pas le cas en l’espèce, les signes, appréciés dans leur ensemble, présentant des différences conceptuelles, visuelles, et phonétiques.

61      L’EUIPO conteste les allégations de la requérante.

62      Premièrement, selon la jurisprudence, l’appréciation globale du risque de confusion implique que les différences conceptuelles entre les signes en conflit peuvent neutraliser des similitudes phonétique et visuelle entre ces deux signes, pour autant qu’au moins l’un de ceux-ci ait, dans la perspective du public pertinent, une signification claire et déterminée, de telle sorte que ce public soit susceptible de la saisir directement (voir arrêt du 4 mars 2020, EUIPO/Equivalenza Manufactory, C‑328/18 P, EU:C:2020:156, point 74 et jurisprudence citée).

63      En l’espèce, il ressort du point 56 ci-dessus que les signes en conflit ne sont pas différents, mais présentent une faible similitude sur le plan conceptuel. Par ailleurs, s’agissant de la signification desdits signes, d’une part, les parties s’accordent sur le fait que la marque antérieure pourrait simplement faire allusion à la notion de « deux cellules » et la requérante ne conteste pas qu’une partie non négligeable du public pertinent pourrait percevoir cette marque comme un terme distinctif dépourvu de signification concrète. Dans ce contexte, la signification de la marque antérieure ne saurait être considérée comme étant immédiatement perceptible. D’autre part, s’agissant de la marque demandée, si, certes, le public pertinent est en mesure d’attribuer une signification à l’expression « blue pigment », une telle notion apparaît dans un élément secondaire d’un signe dont l’élément dominant véhicule une autre signification. Partant, la signification de la marque demandée n’est pas non plus claire et déterminée. Il s’ensuit que, contrairement à ce que la requérante soutient, la jurisprudence citée au point 62 ci-dessus n’est pas applicable en l’espèce.

64      Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante concernant l’arrêt du 6 octobre 2005, Medion (C‑120/04, EU:C:2005:594), il convient de relever que la circonstance qu’un élément du signe demandé ne constitue pas à lui seul le signe antérieur ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse conserver une position distinctive autonome dans le signe demandé [voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2023, Topcart/EUIPO – Carl International (TC CARL), T‑8/22, non publié, EU:T:2023:70, point 69]. En tout état de cause, à supposer même que la chambre de recours ait appliqué, à tort, la jurisprudence issue de l’arrêt du 6 octobre 2005, Medion (C‑120/04, EU:C:2005:594), une telle circonstance n’est pas susceptible de remettre en cause la légalité de la décision attaquée, qui repose, en substance, sur le rôle indépendant de l’élément « bi » dans la marque antérieure (voir point 36 ci-dessus) et dans la marque demandée dès lors qu’il en constitue l’élément dominant.

65      Troisièmement, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le principe d’interdépendance des facteurs à prendre en compte aux fins de l’appréciation du risque de confusion ne devrait pas être appliqué de manière mécanique. En effet, une application mécanique dudit principe ne permet pas d’aboutir à une appréciation globale correcte du risque de confusion [voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2019, Sandrone/EUIPO – J. García Carrión (Luciano Sandrone), T‑268/18, EU:T:2019:452, point 95]. Il ne peut toutefois pas en être déduit, comme le soutient la requérante, que pour exclure un risque de confusion en présence de produits cosmétiques et de soins capillaires identiques, les marques devraient nécessairement présenter une similitude plus élevée que celle présentée par les marques en conflit.

66      En effet, il y a lieu de relever que les produits concernés sont principalement perçus sur le plan visuel et que, dans le secteur des produits cosmétiques et des soins capillaires, l’utilisation de sous-marques, à savoir le recours à des signes dérivant d’une marque principale et partageant avec elle un élément commun, est fréquente  [voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2015, Spa Monopole/OHMI – Olivar Del Desierto (OLEOSPA), T‑377/12, non publié, EU:T:2015:121, point 45 et jurisprudence citée]. Considérant que le consommateur percevrait dans les deux marques en conflit l’élément « bi » comme étant visuellement séparé des autres éléments, il est concevable, comme l’a fait valoir à juste titre la chambre de recours, que le public pertinent considère les produits désignés par ces marques comme appartenant, certes, à deux gammes de produits distinctes, mais provenant toutefois de la même entreprise.

67      Dans ces circonstances, il ne peut pas être conclu que les différences entre les signes en conflit, ressortant des éléments « cell » et « blue pigment », soient suffisantes pour exclure un risque de confusion.

68      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le moyen unique invoqué par la requérante au soutien de ses conclusions n’étant pas fondé, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

69      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

70      Bien que la requérante ait succombé, l’EUIPO n’a conclu à la condamnation de celle-ci aux dépens qu’en cas d’organisation d’une audience. En l’absence d’organisation d’une audience, il convient de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      L’Oréal et l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) supporteront leurs propres dépens.

Marcoulli

Norkus

Spangsberg Grønfeldt

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 février 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.