Language of document : ECLI:EU:T:2004:209

Ordonnance du Tribunal

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)
6 juillet 2004 (1)

« Règlement (CE) n° 1829/2002 – Enregistrement d'une appellation d'origine –  ‘ Feta’ – Recours en annulation – Qualité pour agir – Irrecevabilité »

Dans l'affaire T-370/02,

Alpenhain-Camembert-Werk, établie à Lehen/Pfaffing (Allemagne),

Bergpracht Milchwerk GmbH & Co. KG, établie à Tettnang (Allemagne),

Käserei Champignon Hofmeister GmbH & Co. KG, établie à Lauben (Allemagne),

Bayerland eG, établie à Nuremberg (Allemagne),

Hochland AG, établie à Heimenkirch (Allemagne),

Milchwerk Crailsheim-Dinkelsbühl eG, établie à Crailsheim (Allemagne),

Rücker GmbH, établie à Aurich (Allemagne),

parties requérantes,

représentées par Mes J. Salzwedel et M. J. Werner, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

soutenues par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par Mme P. Ormond, en qualité d'agent,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. L. Iglesias Buhigues, S. Grünheid et Mme A.-M. Rouchaud-Joët, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République hellénique, représentée par MM. V. Kontolaimos, I. Chalkias et Mme M. Tassopoulou, en qualité d'agents,

République hellénique, représentée par MM. V. Kontolaimos, I. Chalkias et Mme M. Tassopoulou, en qualité d'agents,

et par

et par

Association des industries grecques de produits laitiers (Sevgap), représentée par Me N. Korogiannakis, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d'annulation du règlement (CE) n° 1829/2002 de la Commission, du 14 octobre 2002, modifiant l'annexe du règlement (CE) n° 1107/96, en ce qui concerne la dénomination « Feta » (JO L 277, p. 10), en tant qu'appellation d'origine protégée,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),



composé de MM. J. Azizi, président, M. Jaeger et F. Dehousse, juges,

greffier : M. H. Jung,

rend la présente



Ordonnance




Cadre juridique

1
Le règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1, ci‑après le « règlement de base »), établit, selon son article 1er, les règles relatives à la protection communautaire des appellations d’origine et des indications géographiques dont peuvent bénéficier certains produits agricoles et certaines denrées alimentaires.

2
Selon l’article 2, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, une « appellation d’origine » est « le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire :

originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays et

dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et dont la production, la transformation et l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée ».

3
L’article 2, paragraphe 3, du règlement de base prévoit :

« Sont également considérées comme des appellations d’origine, certaines dénominations traditionnelles, géographiques ou non, désignant un produit agricole ou une denrée alimentaire originaire d’une région ou d’un lieu déterminé et qui remplit les conditions visées au paragraphe 2[, sous a),] deuxième tiret. »

4
Aux termes de l’article 3 du règlement de base, les dénominations devenues génériques ne peuvent être enregistrées. Aux fins dudit règlement, on entend par « dénomination devenue générique » le nom d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire qui, bien que se rapportant au lieu ou à la région où ce produit agricole ou cette denrée alimentaire a été initialement produit ou commercialisé, est devenu le nom commun d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire.

5
Pour déterminer si un nom est devenu générique, il est tenu compte de tous les facteurs, notamment :

de la situation existant dans l’État membre où le nom a son origine et dans les zones de consommation,

de la situation existant dans d’autres États membres,

des législations nationales ou communautaires pertinentes.

6
L’enregistrement comme appellation d’origine protégée de la dénomination d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire doit, à cet effet, remplir les conditions posées par le règlement de base et, en particulier, être conforme à un cahier des charges défini à l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement. Cet enregistrement confère à ladite dénomination une protection communautaire.

7
Les articles 5 à 7 du règlement de base établissent une procédure d’enregistrement d’une dénomination, dite « procédure normale », qui permet à tout groupement, défini comme une organisation de producteurs et/ou de transformateurs concernés par le même produit agricole ou par la même denrée alimentaire, ou sous certaines conditions, à toute personne physique ou morale d’introduire une demande d’enregistrement auprès de l’État membre dans lequel est située l’aire géographique concernée. L’État membre vérifie que la demande est justifiée et la transmet à la Commission. Celle-ci, si elle estime que la dénomination réunit les conditions pour être protégée, publie au Journal officiel des Communautés européennes les informations spécifiques qui sont détaillées à l’article 6, paragraphe 2, du règlement de base.

8
L’article 7 du règlement de base, tel que modifié par le règlement (CE) n° 535/97 du Conseil, du 17 mars 1997 (JO L 83, p. 3), dispose :

«1. Dans un délai de six mois à compter de la date de publication au Journal officiel des Communautés européennes, prévue à l’article 6, paragraphe 2, tout État membre peut se déclarer opposé à l’enregistrement.

2. Les autorités compétentes des États membres veillent à ce que toute personne pouvant justifier d’un intérêt économique légitime soit autorisée à consulter la demande. En outre, conformément à la situation existant dans les États membres, ceux-ci peuvent prévoir que d’autres parties ayant un intérêt légitime peuvent y avoir accès.

3. Toute personne physique ou morale légitimement concernée peut s’opposer à l’enregistrement envisagé par l’envoi d’une déclaration dûment motivée à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel elle réside ou est établie. L’autorité compétente adopte les mesures nécessaires pour prendre en considération ces remarques ou cette opposition dans les délais requis.

[…] »

9
Si aucun État membre ne notifie à la Commission de déclaration d’opposition à l’enregistrement prévu, la dénomination est inscrite dans un registre tenu par la Commission, intitulé « Registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées ».

10
Si les États membres intéressés ne parviennent pas, en cas d’opposition recevable, à trouver un accord entre eux, conformément à l’article 7, paragraphe 5, du règlement de base, la Commission arrête une décision en application de la procédure de l’article 15 de ce même règlement (procédure du comité de réglementation). L’article 7, paragraphe 5, sous b), du règlement de base dispose que la Commission tient compte, aux fins de sa décision, « des usages loyalement et traditionnellement pratiqués et des risques effectifs de confusion ».

11
L’article 17 du règlement de base instaure une procédure d’enregistrement, dite « procédure simplifiée », qui diffère de la procédure normale. Selon cette procédure, les États membres communiquent à la Commission quelles sont, parmi leurs dénominations légalement protégées ou consacrées par l’usage, celles qu’ils désirent faire enregistrer en vertu du règlement de base. La procédure visée à l’article 15 du règlement de base s’applique mutatis mutandis. L’article 17, paragraphe 2, deuxième phrase, de ce règlement précise que la procédure d’opposition prévue à l’article 7 n’est pas applicable dans le cadre de la procédure simplifiée.


Faits à l’origine du litige

12
Par lettre du 21 janvier 1994, le gouvernement grec a demandé à la Commission l’enregistrement de la dénomination « Feta » en tant qu’appellation d’origine protégée, conformément à l’article 17 du règlement de base.

13
Le 19 janvier 1996, la Commission a présenté au comité de réglementation institué par l’article 15 du règlement de base une proposition de règlement comportant une liste des dénominations susceptibles d’être enregistrées comme indications géographiques ou appellations d’origine protégées, conformément à l’article 17 du règlement de base. Dans cette liste figurait le terme « Feta ». Le comité de réglementation ne s’étant pas prononcé sur cette proposition dans le délai qui lui était imparti, la Commission l’a soumise au Conseil, conformément à l’article 15, quatrième alinéa, du règlement de base, le 6 mars 1996. Le Conseil n’a pas statué dans le délai de trois mois prévu à l’article 15, cinquième alinéa, du règlement de base.

14
En conséquence, conformément à l’article 15, cinquième alinéa, du règlement de base, la Commission a arrêté, le 12 juin 1996, le règlement (CE) n° 1107/96 relatif à l’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine au titre de la procédure prévue à l’article 17 du règlement [de base] (JO L 299, p. 31). Conformément à l’article 1er du règlement n° 1107/96, la dénomination « Feta », figurant à l’annexe dudit règlement, dans la partie A, sous la rubrique « fromages » et sous le nom de pays « Grèce », a été enregistrée comme appellation d’origine protégée.

15
Par arrêt du 16 mars 1999, Danemark, Allemagne et France/Commission (C‑289/96, C-293/96 et C-299/96, Rec. p. I-1541), la Cour a annulé le règlement n° 1107/96 pour autant qu’il procède à l’enregistrement de la dénomination « Feta » en tant qu’appellation d’origine protégée. La Cour a retenu dans son arrêt que la Commission, lorsqu’elle avait examiné la question de savoir si « Feta » constituait une dénomination générique, n’avait pas dûment tenu compte de l’ensemble des facteurs que l’article 3, paragraphe l, troisième alinéa, du règlement de base l’obligeait à prendre en considération.

16
À la suite de cet arrêt, la Commission a adopté, le 25 mai 1999, le règlement (CE) n° 1070/1999 modifiant l’annexe du règlement n° 1107/96 supprimant la dénomination « Feta » du registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées ainsi que de l’annexe du règlement n° 1107/96 (JO L 130, p. 18).

17
Après avoir postérieurement réexaminé la demande d’enregistrement du gouvernement grec, la Commission a soumis un projet de règlement au comité de réglementation conformément à l’article 15, deuxième alinéa, du règlement de base, proposant d’enregistrer la dénomination « Feta » sur la base de l’article 17 du règlement de base, en tant qu’appellation d’origine protégée, au registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées. Le comité n’ayant pas pris position sur ce projet dans le délai qui lui était imparti, la Commission l’a soumis au Conseil, conformément à l’article 15, quatrième alinéa, du règlement de base.

18
Le Conseil n’ayant pas statué sur le projet dans le délai prévu à l’article 15, cinquième alinéa, du règlement de base, la Commission a arrêté, le 14 octobre 2002, le règlement (CE) n° 1829/2002 modifiant l’annexe du règlement n° 1107/96 en ce qui concerne la dénomination « Feta » (JO L 277, p. 10, ci-après le « règlement attaqué »). En vertu de ce règlement, la dénomination « Feta » a de nouveau été enregistrée en tant qu’appellation protégée et elle a été ajoutée à l’annexe du règlement n° 1107/96, dans la partie A, sous les rubriques « fromages » et « Grèce ».

19
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 2002, les requérantes ont introduit le présent recours.

20
Par lettre du 14 février 2003, la Commission a demandé la suspension de l’affaire jusqu’au prononcé de l’arrêt dans les affaires C-465/02 et C‑466/02.

21
Par lettre du 17 mars 2003, les requérantes ont fait savoir qu’elles s’opposaient à la demande de suspension et qu’elles demandaient au Tribunal de renvoyer la présente affaire devant la Cour pour qu’elle soit jointe aux affaires C‑465/02 et C‑466/02.

22
Par décision du 19 mars 2003, le Tribunal a rejeté la demande de suspension ainsi que la demande de renvoi de l’affaire devant la Cour et a ordonné la poursuite de la procédure.

23
Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 12 juin 2003, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. Le 1er août 2003, les requérantes ont déposé leurs observations écrites sur cette exception.

24
Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement le 16 avril et le 2 mai 2003, la République hellénique et l’Association des industries grecques de produits laitiers (Sevgap) ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

25
Par requête déposée au greffe le 28 avril 2003, le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir au soutien des conclusions des requérantes.

26
Par ordonnances du 4 mars 2004, la République hellénique, le Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et Sevgap ont été admises à intervenir.

27
Le 30 mars 2004, la République hellénique a déposé son mémoire en intervention au soutien des conclusions de la Commission.

28
Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord n’a pas déposé de mémoire en intervention dans le délai prévu.

29
Sevgap ayant été admise à intervenir au titre de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure, son intervention est limitée à la formulation d’observations lors de la procédure orale.


Conclusions des parties

30
Dans leur requête, les parties requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler le règlement attaqué en ce qu’il enregistre la dénomination « Feta » en tant qu’appellation d’origine protégée ;

condamner la Commission aux dépens.

31
Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme irrecevable ;

condamner les requérantes aux dépens.

32
Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal rejeter l’exception d’irrecevabilité.

33
Dans son mémoire en intervention, la République hellénique conclut à ce qu’il plaise au Tribunal rejeter le recours comme irrecevable.


Sur la recevabilité du recours

34
Par le présent recours, les requérantes, sept sociétés allemandes produisant du fromage Feta à partir de lait de vache, demandent l’annulation du règlement attaqué. Elles invoquent en particulier une violation des articles 3 et 17 du règlement de base et, à titre subsidiaire, des articles 2 et 4 dudit règlement ainsi que de l’article 30 CE et des droits fondamentaux consacrés dans l’ordre juridique communautaire concernant la protection de la propriété et le droit d’exercer une profession.

35
La Commission estime que le recours est irrecevable au motif que les requérantes n’ont pas qualité pour agir au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

36
En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par l’examen des pièces du dossier pour statuer sur l’exception soulevée par la Commission sans ouvrir la procédure orale.

Arguments des parties

37
La Commission soutient que le recours vise un règlement ayant une portée générale, au sens de l’article 249, deuxième alinéa, CE, et que les requérantes ne sont pas individuellement concernées par le règlement attaqué.

38
Les requérantes soutiennent que le recours est recevable.

39
Les requérantes font valoir, en premier lieu, que, mis à part les producteurs grecs, elles sont, avec un seul producteur danois, les plus importants producteurs de Feta de la Communauté et produisent plus de 90 % du fromage Feta fabriqué en Allemagne.

40
Produisant du fromage Feta depuis de nombreuses années en grande quantité, elles pourraient se prévaloir de relations commerciales et de débouchés traditionnels, bien établis et stables, impliquant des contrats de livraison à long terme. À ce titre, elles seraient particulièrement concernées par le règlement attaqué au sens de la jurisprudence de la Cour (arrêts de la Cour du 1er juillet 1965, Toepfer et Getreide‑Import Gesellschaft/Commission CEE, 106/63 et 107/63, Rec. p. 525, et du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207).

41
Les requérantes font valoir, en deuxième lieu, que le recours par la Commission à la procédure simplifiée visée à l’article 17 du règlement de base les a privées des garanties procédurales prévues par la procédure normale qui, conformément à l’article 7 du règlement de base, accorde à toute personne légitimement concernée la possibilité de s’opposer à l’enregistrement envisagé. Dans ce contexte, elles soulignent que, dans sa proposition de modification du règlement de base visant à supprimer la procédure simplifiée de l’article 17 dudit règlement, la Commission motive expressément sa proposition par le fait que le droit d’opposition prévu dans la procédure normale est une « condition essentielle pour garantir des droits acquis ou pour éviter des préjudices lors de l’enregistrement ».

42
En troisième lieu, les requérantes soutiennent qu’elles sont recevables à agir sur la base de la jurisprudence résultant de l’arrêt du Tribunal du 3 mai 2002, Jégo‑Quéré/Commission (T-177/01, Rec. p. II-2365), ainsi que des conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, 6681), et selon laquelle une personne physique ou morale devrait être considérée comme individuellement concernée par une disposition communautaire de portée générale qui la concerne directement si la disposition en question affecte, d’une manière certaine et actuelle, sa situation juridique en restreignant ses droits ou en lui imposant des obligations. Or, le règlement attaqué nuirait à leurs intérêts, puisqu’il a pour effet qu’elles ne pourront plus utiliser la dénomination « Feta » au terme de la période de transition.

43
Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérantes, tout en admettant que le règlement attaqué est une mesure de portée générale, relèvent que, s’il déploie ses effets favorables au profit de tous les producteurs grecs de Feta à base de lait de brebis et de chèvre, présents et à venir, qui, dorénavant, seront les seuls à pouvoir encore utiliser légalement cette dénomination, le règlement attaqué ne déploie, en revanche, ses effets défavorables qu’au détriment de tous les producteurs non grecs de Feta à base de lait de vache existant à ce jour et auxquels l’utilisation de ladite dénomination sera interdite au terme de la période transitoire. Elles soulignent que ce n’est qu’au désavantage de ces derniers que l’acte attaqué produit ses effets sur le marché.

44
Les requérantes exposent que la dénomination « Feta » est, au niveau mondial, une dénomination générique depuis longtemps et qu’elle ne pouvait dès lors, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement de base, être inscrite dans le registre des appellations d’origine et des indications géographiques protégées dans le cadre du règlement attaqué. Ce serait à tort que la Commission aurait adopté le règlement attaqué parce qu’elle croyait que les marchés non grecs de la Feta produite à base de lait de vache ne s’étaient formés que grâce à une exploitation illégale du prestige de la Feta grecque faite à base de lait de brebis.

45
En raison de l’intervention rétroactive et correctrice de la Commission sur le marché, le règlement attaqué ne pourrait être considéré comme ayant des effets « généraux et abstraits », car il ne s’adresserait qu’à un cercle réduit d’opérateurs économiques qui se trouvent dans une situation particulière sur le marché et qui sont individuellement affectés dans leurs droits particuliers. Le règlement attaqué entraînerait en réalité la destruction du marché de la Feta à base de lait de vache qui s’est développé en Allemagne et, plus largement, en Europe, étant donné que le consommateur habitué au fromage Feta à base de lait de vache ne reconnaîtrait pas rapidement ce produit sous n’importe quelle autre dénomination.

46
Les requérantes estiment qu’il serait incompatible avec les attentes qui, dans l’Union européenne, découlent de la protection juridique offerte par la Cour que les opérateurs concernés ne puissent soumettre au contrôle juridictionnel la légalité du règlement attaqué qui implique la destruction totale de leurs débouchés.

47
Le Tribunal n’aurait reconnu ni au recours devant le juge national avec renvoi préjudiciel devant la Cour, conformément à l’article 234 CE, ni au recours en responsabilité non contractuelle de la Communauté prévu à l’article 235 CE et à l’article 288, deuxième alinéa, CE la qualité d’une voie de recours efficace permettant aux intéressés de contester la régularité de dispositions communautaires d’application générale qui restreignent directement leur position juridique. Les recours en dommages et intérêts, au titre de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE, ne pourraient d’ailleurs remplacer une protection efficace des droits fondamentaux au niveau européen, car ils ne permettent pas de faire disparaître un acte de l’ordre juridique communautaire lorsqu’il se révèle illégal.

48
En outre, l’interdiction de continuer à utiliser la dénomination générique « Feta » pour du fromage Feta à base de lait de vache après la date prévue dans le règlement attaqué ayant un effet direct et ne nécessitant pas de mesures d’exécution dans les États membres susceptibles de constituer le fondement d’une action devant les juridictions nationales, les requérantes ne pourraient faire valoir la violation de leurs droits fondamentaux par la mesure communautaire en cause qu’en violant les dispositions prévues par ladite mesure et en se prévalant de l’illégalité de celles-ci dans le cadre de procédures judiciaires ouvertes à leur encontre.

49
Conformément à la jurisprudence récente du Tribunal, il conviendrait de partir du principe selon lequel une protection juridictionnelle efficace des particuliers n’est garantie que lorsque des entreprises qui sont directement et individuellement concernées par une disposition communautaire d’application générale ont également accès aux juridictions communautaires. Une entreprise serait individuellement concernée lorsqu’elle est indubitablement et actuellement affectée du fait que la mesure restreint ses droits ou lui impose des obligations. Cela ne saurait sérieusement être contesté en ce qui concerne les requérantes dont les débouchés sont mis en danger et les parts de marché anéanties, à tout le moins dans un laps de temps prévisible.

50
Les requérantes rappellent que le Tribunal a souligné que l’accès au juge communautaire est un des éléments constitutifs d’une communauté de droit et repose sur les traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que sur les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elles soulignent la réaffirmation par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de ce droit à une voie de recours efficace pour toute personne dont les droits ou les libertés garantis par le droit de l’Union ont été lésés.

Appréciation du Tribunal

51
L’article 230, quatrième alinéa, CE dispose que toute personne, physique ou morale, peut former un recours contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement, la concernent directement et individuellement.

52
Selon une jurisprudence constante, le critère de distinction entre un règlement et une décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l’acte en question (ordonnances de la Cour du 23 novembre 1995, Asocarne/Conseil, C‑10/95 P, Rec. p. I-4149, point 28, et du 24 avril 1996, Cassa nazionale di previdenza ed assistenza a favore degli avvocati e dei procuratori/Conseil, C‑87/95 P, Rec. p. I‑2003, point 33). Un acte a une portée générale s’il s’applique à des situations déterminées objectivement et s’il produit ses effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière abstraite (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1996, Weber/Commission, T‑482/93, Rec. p. II-609, point 55, et la jurisprudence citée).

53
En l’espèce, le règlement attaqué assure à la dénomination « Feta » la protection des appellations d’origine prévue par le règlement de base. L’appellation d’origine est définie par son article 2, paragraphe 2, sous a), comme le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays, dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains et dont la production, la transformation et l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée.

54
Cette protection consiste dans le fait de réserver l’utilisation de la dénomination « Feta » aux fabricants originaires de l’aire géographique décrite, dont les produits respectent les exigences géographiques et qualitatives imposées à la fabrication de Feta dans le cahier des charges. Ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, le règlement attaqué, loin de s’adresser à des opérateurs déterminés, tels que les requérantes, reconnaît à toutes les entreprises dont les produits satisfont aux exigences géographiques et qualitatives prescrites le droit de les commercialiser sous la dénomination susvisée et refuse ce droit à toutes celles dont les produits ne remplissent pas ces conditions, lesquelles sont identiques pour toutes les entreprises. Le règlement attaqué s’applique aussi bien à tous les fabricants – présents et à venir –­ de Feta légalement autorisés à employer cette dénomination qu’à tous ceux qui auront l’interdiction de l’utiliser au terme de la période transitoire. Il ne vise pas uniquement les producteurs des États membres, mais produit également ses effets juridiques à l’égard d’un nombre inconnu de fabricants de pays tiers souhaitant importer du fromage Feta dans la Communauté, aujourd’hui ou à l’avenir.

55
Le règlement attaqué constitue donc une mesure de portée générale au sens de l’article 249, deuxième alinéa, CE. Il s’applique à des situations déterminées objectivement et produit ses effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière abstraite (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 15 septembre 1998, Molkerei Großbraunshain et Bene Nahrungsmittel/Commission, T‑109/97, Rec. p. II‑3533 ; du 26 mars 1999, Biscuiterie-confiserie LOR et Confiserie du Tech/Commission, T-114/96, Rec. p. II-913, points 27 à 29, et du 9 novembre 1999, CSR Pampryl/Commission, T‑114/99, Rec. p. II‑3331, points 42 et 43). Cette portée générale résulte au demeurant de l’objet de la réglementation en cause, à savoir protéger, erga omnes et dans l’ensemble de la Communauté européenne, des indications géographiques et des appellations d’origine valablement enregistrées.

56
Toutefois, il n’est pas exclu qu’une disposition qui a, par sa nature et sa portée, un caractère normatif puisse concerner individuellement une personne physique ou morale. Tel est le cas, lorsque l’acte en cause atteint celle-ci en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223 ; du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853, points 19 et 20, et arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, point 42 supra, point 36 ; arrêt Weber/Commission, point 52 supra, point 56).

57
En l’espèce, les allégations factuelles avancées par les requérantes, à supposer qu’elles soient exactes, ne permettent pas de déceler la moindre qualité qui leur serait particulière ou une situation de fait qui les caractériserait et, de ce fait, les individualiserait par rapport aux autres opérateurs économiques concernés. Au contraire, les entreprises requérantes ne sont concernées par le règlement attaqué qu’en leur qualité d’opérateurs économiques fabriquant ou commercialisant du fromage ne remplissant pas les conditions d’utilisation de l’appellation d’origine protégée « Feta ». Les requérantes sont donc affectées de la même manière que toutes les autres entreprises dont les produits ne sont pas davantage conformes aux exigences des dispositions communautaires en cause.

58
S’agissant de l’allégation des requérantes selon laquelle, abstraction faite des producteurs grecs et d’un producteur danois, elles sont les principaux fabricants de Feta dans la Communauté européenne et produisent plus de 90 % de la Feta fabriquée en Allemagne, il suffit de rappeler que le fait qu’une entreprise détienne une grande part du marché en cause ne suffit pas, en soi, à la caractériser par rapport à tout autre opérateur économique concerné par le règlement attaqué (ordonnance CSR Pampryl/Commission, point 55 supra, point 46).

59
De même, l’affirmation des requérantes selon laquelle le règlement attaqué n’affecterait, pour l’essentiel, que huit producteurs, outre qu’elle est contredite par la requête qui expose que le fromage Feta est fabriqué en quantité significative dans six États membres de la Communauté européenne et dans un grand nombre de pays tiers, est, en tout état de cause, dénuée de pertinence dès lors que, selon une jurisprudence constante, la portée générale et, partant, la nature normative d’un acte ne sont pas remises en cause par la possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels il s’applique à un moment donné, tant qu’il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en relation avec la finalité de cet acte (arrêt de la Cour du 11 juillet 1968, Zuckerfabrik Watenstedt/Conseil, 6/68, Rec. p. 595, 605 et 606, et ordonnance du Tribunal du 29 juin 1995, Cantina cooperativa fra produttori vitivinicoli di Torre di Mosto e.a./Commission, T‑183/94, Rec. p. II‑1941, point 48). Tel est le cas en l’espèce, puisque le règlement attaqué affecte sans distinction tous les producteurs présents et à venir désireux de commercialiser du fromage sous la dénomination « Feta » dans la Communauté.

60
Les requérantes font également valoir qu’elles sont individualisées du fait qu’elles sont économiquement concernées. Se référant aux arrêts de la Cour dans les affaires Toepfer et Getreide-Import Gesellschaft/Commission CEE, point 40 supra, et Piraiki‑Patraiki e.a./Commission, point 40 supra, elles prétendent que l’interdiction, qui résulte du règlement attaqué à l’égard des entreprises qui produisent la Feta à partir de lait de vache, de faire usage de la dénomination « Feta » leur rendrait pratiquement impossible toute poursuite de la commercialisation de ce fromage et que ces entreprises ne pourraient plus respecter et maintenir en vigueur leurs contrats de livraison à long terme.

61
Il convient de relever, à cet égard, d’abord, que le règlement attaqué n’affecte pas d’éventuels contrats de livraison conclus à long terme, mais interdit simplement, en connexion avec l’article 13 du règlement de base et au terme d’une période transitoire, toute usurpation, imitation ou évocation de la dénomination protégée « Feta ». Cette interdiction s’applique aussi bien aux requérantes qu’à tout autre producteur se trouvant actuellement ou potentiellement dans la même situation.

62
Il y a lieu, ensuite, de rappeler que, en tout état de cause, le fait qu’un acte de portée générale puisse avoir des effets concrets différents pour les divers sujets de droit auxquels il s’applique n’est pas de nature à les caractériser par rapport à tous les autres opérateurs concernés, dès lors que, comme en l’espèce, l’application de cet acte s’effectue en vertu d’une situation objectivement déterminée (arrêt du Tribunal du 22 février 2000, ACAV e.a./Conseil, T‑138/98, Rec. p. II‑341, point 66, et ordonnance du Tribunal du 30 janvier 2001, La Conqueste/Commission, T‑215/00, Rec. p. II-181, point 37). La Cour a expressément confirmé que le fait qu’une requérante se trouve, au moment de l’adoption d’un règlement portant enregistrement d’une appellation d’origine, dans une situation telle qu’elle doit procéder à des adaptations de sa structure de production afin de remplir les conditions prévues par celui-ci ne suffit pas pour qu’elle soit concernée individuellement d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’un acte le serait (ordonnance de la Cour du 30 janvier 2002, La Conqueste/Commission, C‑151/01 P, Rec. p. I‑1179, point 35).

63
C’est à tort que les requérantes soutiennent qu’elles se trouvent dans la même situation que les requérantes dans les affaires Toepfer et Getreide-Import Gesellschaft/Commission CEE, point 40 supra, et Piraiki‑Patraiki e.a./Commission, point 40 supra.

64
En effet, dans l’affaire Toepfer et Getreide-Import Gesellschaft/Commission CEE, point 40 supra, la mesure attaquée visait exclusivement des importateurs dont le nombre et l’identité étaient connus et qui avaient demandé, avant l’adoption de la décision attaquée, des certificats d’importation dont l’émission avait été rendue impossible par la décision en question. De même, dans l’affaire Piraiki‑Patraiki e.a./Commission, point 40 supra, qui portait sur la légalité d’une décision de la Commission autorisant la France à soumettre l’importation de filés de coton en provenance de Grèce à un régime de quotas, les requérantes étaient individuellement concernées par la décision attaquée en tant que membres d’un cercle restreint d’opérateurs économiques particulièrement affectés par la décision attaquée du fait qu’ils étaient titulaires de contrats de vente conclus de bonne foi, précédemment, dont l’exécution se situait durant la période d’application de la mesure de sauvegarde visée dans la décision et avait donc été rendue entièrement ou partiellement impossible en raison d’un dépassement du quota autorisé.

65
Par ailleurs, on ne saurait davantage conclure que les requérantes sont individuellement concernées sur la base de l’arrêt rendu dans l’affaire Codorniu/Conseil, point 56 supra, dans laquelle l’entreprise requérante était empêchée, par une disposition de portée générale, d’utiliser la marque graphique qu’elle avait enregistrée et employée de manière traditionnelle durant une longue période avant l’adoption du règlement en cause dans cette affaire, de sorte qu’elle se trouvait mise en évidence par rapport à tous les autres opérateurs économiques. En l’espèce, en effet, les requérantes ne démontrent pas, pas plus d’ailleurs qu’elles ne le prétendent, que l’usage de la dénomination « Feta » dont elles se prévalent résulte d’un droit spécifique analogue, qu’elles auraient acquis à l’échelon national ou communautaire avant l’adoption du règlement attaqué et auquel celui-ci aurait porté atteinte.

66
Le fait, en particulier, que les requérantes aient commercialisé leurs produits sous la dénomination « Feta » ne leur confère pas un droit spécifique au sens de la jurisprudence précitée. La situation des requérantes ne se distingue pas, de ce fait, de celle des autres producteurs ayant également commercialisé leurs produits en tant que «Feta» et qui ne sont plus autorisés à employer cette dénomination désormais protégée par son enregistrement en tant qu’appellation d’origine. L’absence de droit spécifique conféré à l’un ou à l’autre opérateur économique est au demeurant confirmée par le fait que cette situation est explicitement régie de manière abstraite et générale par l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base, lequel prévoit une période transitoire assurant à tous les fabricants sans distinction, dans le respect de certaines conditions, une période d’adaptation suffisamment longue pour éviter tout préjudice.

67
S’agissant, enfin, de l’argument des requérantes tiré des droits procéduraux dont elles auraient été privées du fait du recours à la procédure simplifiée pour l’enregistrement de la dénomination « Feta », il convient de rappeler que le Tribunal a déjà jugé à plusieurs reprises que la jurisprudence à laquelle les requérantes se réfèrent et qui a principalement été élaborée en matière de droits antidumping, de droit de la concurrence et d’aides d’État n’est pas transposable à la procédure d’enregistrement de dénominations protégées en vertu du règlement de base (ordonnance Molkerei Großbraunshain et Bene Nahrungsmittel/ Commission, point 55 supra), dès lors que ce règlement n’établit pas de garanties procédurales spécifiques, au niveau communautaire, en faveur des particuliers (ordonnance CSR Pampryl/Commission, point 55 supra).

68
La Cour a confirmé cette jurisprudence dans son ordonnance du 26 octobre 2000, Molkerei Großbraunshain et Bene Nahrungsmittel/Commission, (C-447/98 P, Rec. p. I‑9097, points 71 à 73 ; voir, également, en ce sens, ordonnance du 30 janvier 2002, La Conqueste/Commission, point 62 supra, points 43 et 44), en relevant :

« 71. En effet, même à supposer que le recours à la procédure de l’article 17 du règlement [de base] eût été illégal et que l’existence de droits procéduraux expressément garantis à un particulier par la réglementation pertinente ou la simple participation de ce particulier à la procédure d’élaboration d’un acte normatif par une institution communautaire soient susceptibles de l’individualiser au sens de l’article [230], quatrième alinéa, [CE], en tout état de cause, l’exercice de la faculté d’opposition, telle qu’elle est prévue dans le cadre de la procédure normale d’enregistrement, n’aurait pas été de nature à faire reconnaître le droit pour les requérantes d’introduire un recours contre l’acte adopté à l’issue de cette procédure.

72.
À cet égard, il convient de souligner, d’une part, que, en vertu de l’article 7, paragraphes 1 et 3, du règlement [de base], la Commission ne peut être saisie d’une déclaration d’opposition à un enregistrement envisagé que par un État membre, préalablement saisi par une personne physique ou morale pouvant justifier d’un intérêt économique légitime.

73.
D’autre part, il ressort de l’article 7, paragraphe 5, du règlement [de base] que, une fois la Commission saisie d’une opposition recevable, la procédure d’opposition met en présence le ou les États membres qui se sont opposés à l’enregistrement ainsi que l’État membre qui a fait la demande. En vertu de cette disposition, il incombe en effet aux ‘États membres intéressés’ de chercher un accord entre eux et, le cas échéant, de le notifier à la Commission. »

69
Il s’ensuit que l’argument tiré de l’existence de droits procéduraux n’est pas de nature à individualiser les requérantes.

70
Il résulte de ce qui précède que, le règlement attaqué constituant une mesure de portée générale et les requérantes n’étant pas atteintes en raison de certaines circonstances qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise, le recours est irrecevable.

71
Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument des requérantes tiré de l’exigence d’une protection juridictionnelle effective.

72
En effet, outre qu’il incombe aux États membres de prévoir un système complet de voies de recours et de procédures permettant d’assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective, un recours direct en annulation devant le juge communautaire ne saurait être ouvert même s’il pouvait être démontré, après un examen concret par ce dernier des règles procédurales nationales, que celles-ci n’autorisent pas le particulier à introduire un recours lui permettant de mettre en cause la validité de l’acte communautaire contesté (ordonnance de la Cour du 12 décembre 2003, Bactria/Commission, C-258/02 P, non encore publiée au Recueil, point 58). La Cour a clairement établi, s’agissant de la condition de l’intérêt individuel exigée par l’article 230, quatrième alinéa, CE, que, s’il est vrai que cette dernière doit être interprétée à la lumière du principe d’une protection juridictionnelle effective en tenant compte des diverses circonstances qui sont de nature à individualiser un requérant, une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter la condition en cause, qui est expressément prévue par le traité, sans excéder les compétences attribuées par celui-ci aux juridictions communautaires. Il s’ensuit que, à défaut de remplir cette condition, aucune personne physique ou morale n’est, en tout état de cause, recevable à introduire un recours en annulation contre un règlement (arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, point 42 supra, points 36 et 37).

73
Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que les requérantes ne peuvent être considérées comme individuellement concernées par le règlement attaqué au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE et que, partant, le recours doit être rejeté comme irrecevable.


Sur les dépens

74
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu, au vu des conclusions de la Commission, de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

75
Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. En l’espèce, il y a lieu de condamner la République hellénique et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à supporter leurs propres dépens.

76
Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, les parties intervenantes autres que les États membres et les institutions peuvent être condamnées à supporter leurs propres dépens. En l’espèce, il y a lieu de décider que Sevgap supportera ses dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)



ordonne :

1)
Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)
Les parties requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

3)
La République hellénique, le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord et l’Association des industries grecques de produits laitiers (Sevgap) supporteront leurs propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 6 juillet 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1
Langue de procédure : l'allemand.