Language of document : ECLI:EU:T:2002:188

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

11 juillet 2002 (1)

«Aides d'État - Recours en annulation - Aides octroyées sur la base de régimes généraux d'aides approuvés par la Commission - Aides au sauvetage et à la restructuration d'une entreprise en difficulté - Critère de l'investisseur privé - Remises de dettes - Erreur manifeste d'appréciation - Affectation des échanges entre États membres»

Dans l'affaire T-152/99,

Hijos de Andrés Molina, SA (HAMSA), en liquidation judiciaire, établie à Séville (Espagne), représentée par Mes L. M. Olivencia Brugger et J. L. Ballester García-Izquierdo, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par

Royaume d'Espagne, représenté par M. D. S. Ortiz Vaamonde, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme I. Martínez del Peral et M. D. Triantafyllou, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 1999/484/CE de la Commission, du 3 février 1999, concernant les aides d'État accordées par le gouvernement espagnol à l'entreprise Hijos de Andrés Molina SA (HAMSA) (JO L 193, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),

composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas, J. D. Cooke, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier: M. O. Speltdoorn, référendaire,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 3 mai 2001,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Hijos de Andrés Molina, SA (ci-après la «requérante» ou l'«entreprise»), est établie dans la province de Jaén (Espagne) et a pour activité la fabrication de produits carnés, d'aliments pour animaux et de fromages ainsi que l'élevage et l'abattage de porcins. À l'origine, son capital social était détenu par la famille Molina.

2.
    Le 13 mars 1995, le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Jaén a placé la requérante, qui connaissait des difficultés économiques et financières depuis quelques années, en état de cessation de paiements.

3.
    Par accord conclu le 5 mai 1995, la famille Molina a transféré, contre paiement de une peseta espagnole (ESP), la nue-propriété de ses actions à l'Instituto de Fomento de Andalucía (ci-après l'«IFA»), une entité publique rattachée à la communauté autonome d'Andalousie (Espagne). Aux termes de cet accord, la famille Molina recouvrerait automatiquement la pleine propriété desdites actions le 31 décembre 1997.

4.
    En décembre 1995, la requérante a élaboré un plan de restructuration visant à remédier à ses difficultés (ci-après le «plan de restructuration» ou le «plan»). Ce plan a fait l'objet d'une première révision en avril 1997 (ci-après le «complément d'avril 1997») et d'une seconde en janvier 1998.

5.
    Par lettre du 1er juillet 1996, le gouvernement espagnol a notifié à la Commission, conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE), de façon tardive, une série d'aides octroyées par l'IFA à la requérante, à savoir:

-    des «aides au sauvetage» octroyées entre mai et décembre 1995 sous la forme de:

    -    deux garanties, d'un montant respectif de 100 et de 50 millions de ESP;

    -    trois prêts, d'un montant respectif de 350, de 125 et de 25 millions de ESP à un taux d'intérêt de 6 % l'an, porté, le 9 avril 1996, à un taux égal au taux en vigueur sur le marché interbancaire de Madrid (ci-après le «MIBOR») + 0,5 %;

-    des «aides à la restructuration» octroyées entre janvier et juin 1996 sous la forme de:

    -    trois garanties, d'un montant respectif de 100, de 75 et de 25 millions de ESP (cette dernière étant octroyée pour un montant de 21 748 150 ESP);

    -    deux prêts, d'un montant respectif de 1,739 milliard de ESP (à un taux égal au MIBOR + 0,5 %) et de 850 millions de ESP (à un taux d'intérêt de 10,5 %).

6.
    En examinant cette notification, la Commission a constaté que la requérante avait également bénéficié, avant le mois de mai 1995, des aides suivantes:

-    un prêt d'un montant de 375 millions de ESP, à un taux d'intérêt de 10 %, octroyé le 12 août 1993;

-    une garantie d'un montant de 375 millions de ESP, octroyée le 18 juin 1993;

-    un prêt d'un montant de 550 millions de ESP, à un taux d'intérêt de 6 %, octroyé le 28 juin 1994;

-    une garantie d'un montant de 200 millions de ESP, octroyée le 28 juin 1994.

7.
    Elle a également constaté que, postérieurement à la notification, la requérante avait bénéficié des aides suivantes:

-    un prêt d'un montant de 1,100 milliard de ESP, à un taux égal au MIBOR + 0,5 %, octroyé le 5 novembre 1996;

-    un prêt d'un montant de 700 millions de ESP, à un taux égal au MIBOR + 0,5 %, octroyé en deux tranches le 2 juin et le 31 juillet 1997;

-    une garantie d'un montant de 450 millions de ESP, octroyée le 6 février 1998;

-    une garantie d'un montant de 300 millions de ESP, octroyée le 2 mai 1997;

-    un prêt d'un montant de 275 951 288 ESP résultant de l'acquisition par l'IFA, par l'intermédiaire de l'entreprise publique Sociedad para la Promoción y Reconversión de Andalucía, SA, le 2 août 1996, de la créance d'un prêt d'un montant de 300 millions de ESP octroyé à la requérante par l'entité financière Caixa d'Estalvis i de Pensions de Barcelona.

8.
    Par lettre du 29 avril 1997, la Commission a communiqué au gouvernement espagnol sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE et l'a invité à présenter ses observations. Les autres États membres et les parties intéressées ont été informés de l'ouverture de cette procédure et ont été invités à faire valoir leurs observations éventuelles par la publication de la lettre susvisée au Journal officiel des Communautés européennes du 26 juin 1997 (JO C 196, p. 10). Le gouvernement espagnol a communiqué ses observations par lettres des 4, 11 et 23 juillet et du 21 août 1997. Des tiers intéressés ont présenté leurs observations par lettres des 27 janvier, 6 février, 26 et 28 mai et 22 juillet 1997. Par lettre du 16 mars 1998, le gouvernement espagnol a commenté ces dernières observations.

9.
    Le 29 avril 1997, l'IFA a converti en capital, à concurrence d'un montant de 4,680 milliards de ESP, une partie des dettes que la requérante avait à son égard. Le capital de cette dernière a ensuite été réduit à 500 millions de ESP. À la suite de ces opérations, l'IFA est devenu propriétaire de 80,6 % des actions de la requérante, la famille Molina n'en possédant plus que le solde de 19,4 %.

10.
    Le 28 mai 1997, l'assemblée générale des créanciers de la requérante a approuvé un accord relatif à l'octroi de remises de dettes, entériné le 3 novembre 1997 par le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Jaén (ci-après l'«accord de remises de dettes»). Le fisc et la sécurité sociale espagnols ont accordé des remises de dettes à la requérante par le biais de conventions individuelles. Ainsi, s'agissant des organismes publics, cette dernière a bénéficié des remises de dettes suivantes:

-    2 192 754 000 ESP, sur un total de 2 211 154 000 ESP, de la part de l'IFA;

-    69 089 000 ESP, sur un total de 87 489 000 ESP, de la part de la Junta de Andalucía;

-    158 800 000 ESP, sur un total de 177 199 000 ESP, de la part de l'Ayuntamiento de Jaén;

-    338 589 000 ESP, sur un total de 927 876 000 ESP, de la part du fisc;

-    789 938 000 ESP, sur une dette résultant du non-paiement de cotisations d'un montant de 1,479 milliard de ESP, de la part de la sécurité sociale;

-    5 144 000 ESP, sur un total de 11 221 000 ESP, de la part de la Confederación Hidrográfica del Guadalquivir.

11.
    Par lettre du 10 octobre 1997, la Commission a informé le gouvernement espagnol de sa décision d'élargir la procédure aux conversion en capital et remises de dettes des organismes publics susvisées et l'a invité à présenter ses observations. Les autres États membres et les parties intéressées ont été informés de l'élargissement de la procédure et ont été invités à faire valoir leurs observations éventuelles par la publication de cette lettre au Journal officiel des Communautés européennes du 27 novembre 1997 (JO C 361, p. 3). Les autorités espagnoles ont présenté leurs observations par lettre du 19 décembre 1997, et des tiers intéressés par lettres des 15 et 23 décembre 1997. Les autorités espagnoles ont fourni des informations supplémentaires par lettres des 2 et 16 mars, 16 juillet, 8 septembre et 21 octobre 1998.

12.
    Le 3 février 1999, la Commission a adopté la décision 1999/484/CE concernant les aides d'État accordées par le gouvernement espagnol à la requérante (JO L 193, p. 1, ci-après la «décision litigieuse»).

13.
    Le dispositif de la décision litigieuse se lit comme suit:

«Article premier

Les aides suivantes, octroyées par l'Espagne à [la requérante], sont illégales du fait qu'elles ont été octroyées sans que la Commission ait pu se prononcer à leur sujet au stade du projet. En outre, elles sont incompatibles avec le marché commun aux termes de l'article 92, paragraphe 1, du traité et ne répondent pas aux conditions de dérogation prévues aux paragraphes 2 et 3 dudit article, et doivent donc être supprimées.

1.    Aides d'État octroyées sous la forme de garanties:

    a)    garantie d'un montant de 375 millions de [ESP], octroyée le 18 juin 1993 et exécutée le 29 septembre 1996 pour un montant de 401 934 206 [ESP];

    b)    garantie d'un montant de 200 millions de [ESP], octroyée le 28 juin 1994 et exécutée le 29 janvier 1996 pour un montant de 207 578 082 [ESP];

    c)    garantie d'un montant de 100 millions de [ESP], octroyée le 16 août 1995 et remplacée le 19 août 1996 et le 11 novembre 1997 par une garantie du même montant;

    d)    garantie d'un montant de 50 millions de [ESP], octroyée le 14 septembre 1995 et remplacée le 19 août 1996 et le 11 novembre 1997;

    e)    trois garanties, respectivement d'un montant de 100 millions de [ESP], octroyée le 8 octobre 1996, d'un montant de 75 millions de [ESP], octroyée le 20 août 1996, et d'un montant de 21 748 150 [ESP], octroyée le 11 novembre 1997;

    f)    deux garanties, respectivement d'un montant de 450 millions de [ESP], octroyée le 6 février 1998, et d'un montant de 300 millions de [ESP], octroyée le 2 mai 1997.

2.    Aides d'État accordées sous la forme de prêts:

    a)    prêt d'un montant de 375 millions [de ESP], octroyé le 12 août 1993;

    b)    prêt d'un montant de 550 millions de [ESP], octroyé le 28 juin 1994;

    c)    deux prêts, respectivement d'un montant de 350 millions de [ESP] et d'un montant de 125 millions de [ESP], octroyés le 24 octobre 1995;

    d)    prêt d'un montant de 25 millions de [ESP], octroyé le 17 octobre 1996;

    e)    prêt d'un montant de 1,739 milliard de [ESP], octroyé le 30 décembre 1995;

    f)    prêt d'un montant de 850 millions de [ESP], octroyé le 11 juillet 1996;

    g)    prêt d'un montant de 1,1 milliard de [ESP], octroyé le 5 novembre 1996;

    h)    prêt d'un montant de 700 millions de [ESP], octroyé en deux fois, le 2 juin 1997 pour un montant de 400 millions de [ESP] et le 31 juillet 1997 pour un montant de 300 millions de [ESP];

    i)    prêt d'un montant de 275 951 288 [ESP] résultant de l'acquisition par l'IFA, par l'intermédiaire de l'entreprise publique Sociedad para la Promoción y Reconversión de Andalucía, SA (SOPREA), le 2 août 1996, de la créance d'un prêt d'un montant de 300 millions de [ESP] octroyé par l'entité financière Caixa d'Estalvis i de Pensions de Barcelona à [la requérante].

3.    Aides d'État accordées sous la forme d'annulation de dettes par des organismes d'État:

    il s'agit de l'annulation d'une partie des dettes de [la requérante] par des organismes d'État, approuvée au cours de l'assemblée des créanciers de [la requérante] du 28 mai 1997 et portant sur les montants suivants:

    -    Ayuntamiento de Jaén:    158 800 000 [ESP],

    -    Administration fiscale:        338 589 000 [ESP],

    -    Junta de Andalucía:        69 089 000 [ESP],

    -    Sécurité sociale:            789 938 000 [ESP],

    -    Confederación Hidrográfica

        del Guadalquivir:        5 144 000 [ESP].

Article 2

L'Espagne est tenue, sans délai, de résilier les contrats de prêts et de révoquer les garanties visées à l'article 1er encore en vigueur.

Article 3

1.    L'Espagne est tenue de prendre les mesures nécessaires afin de récupérer, par voie de recouvrement, les aides visées à l'article 1er:

-    pour les garanties, à concurrence de la différence entre le taux d'intérêt obtenu et le taux normal de marché des prêts,

-    pour les prêts, les garanties exécutées et les annulations de dettes, à concurrence de 100 % des montants concernés.

2.    Le recouvrement se fera conformément aux procédures de la législation nationale. Les sommes à recouvrir produisent des intérêts à partir de la date de l'octroi des aides en cause. Les intérêts doivent être calculés sur la base du taux commercial par référence au taux utilisé pour le calcul de l'équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale.

[...]»

Procédure et conclusions des parties

14.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 juin 1999, la requérante a introduit le présent recours en vue d'obtenir l'annulation de la décision litigieuse.

15.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 septembre 1999, le royaume d'Espagne a demandé à intervenir dans l'affaire à l'appui des conclusions de la requérante. Le président de la cinquième chambre élargie a admis cette intervention par ordonnance du 25 janvier 2000.

16.
    Le royaume d'Espagne a déposé son mémoire en intervention le 3 mars 2000, au sujet duquel les parties principales ont présenté leurs observations.

17.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d'organisation de la procédure, a demandé aux parties de répondre à des questions écrites et de produire certaines pièces. Les parties ont déféré à ces demandes. La requérante et le royaume d'Espagne ont également été invités à donner certaines explications oralement lors de l'audience.

18.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique du 3 mai 2001.

19.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    à titre principal, annuler intégralement la décision litigieuse;

-    à titre subsidiaire, annuler partiellement la décision litigieuse;

-    condamner la Commission aux dépens.

20.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

21.
    Le royaume d'Espagne soutient les conclusions de la requérante.

En droit

22.
    À l'appui de son recours, la requérante invoque, tout d'abord, cinq moyens visant à l'annulation partielle de la décision litigieuse tirés respectivement de:

-    la violation de l'article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) et de l'article 93 du traité ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation des faits en ce qui concerne les prêts et garanties accordés par l'IFA en 1993 et en 1994;

-    la violation de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité et des lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté (JO 1994, C 368, p. 12, ci-après les «lignes directrices») ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation des faits en ce qui concerne les aides au sauvetage accordées entre mai et décembre 1995;

-    la violation de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité et des lignes directrices ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation des faits en ce qui concerne les aides à la restructuration accordées postérieurement à décembre 1995;

-    la violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation des faits en ce qui concerne la conversion de ses dettes en capital effectuée par l'IFA;

-    la violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation des faits en ce qui concerne les remises de dettes accordées par ses créanciers publics.

23.
    La requérante invoque ensuite trois moyens visant à l'annulation de la décision dans son entièreté tirés respectivement:

-    d'une erreur manifeste d'appréciation des faits dans l'analyse générale des mesures dont elle a bénéficié;

-    de la violation de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité;

-    de l'absence d'effet des mesures litigieuses sur les échanges entre États membres et d'un défaut de motivation à cet égard.

Sur le premier moyen, concernant les aides accordées en 1993 et en 1994

Arguments des parties

24.
    La requérante et le royaume d'Espagne prétendent que les prêts et garanties accordés par l'IFA en 1993 et en 1994 (voir point 6 ci-dessus) relèvent, respectivement, du régime général d'aides N 624/92, approuvé par décision de la Commission du 16 décembre 1992, et du régime général d'aides N 428/93, approuvé par décision de la Commission du 24 septembre 1993. Ils précisent que les décisions de la Commission autorisant ces régimes d'aides ne pouvant avoir d'effet rétroactif, elles portent obligatoirement autorisation, pour l'avenir, des mesures postérieures s'inscrivant dans ces régimes d'aides.

25.
    Ils ne contestent pas l'affirmation de la Commission selon laquelle ces deux régimes d'aides constituent une modification du régime d'aides NN 71/88. Toutefois, ils expriment leur désaccord quant aux conséquences qu'en tire la Commission. La requérante avance notamment que la Commission ne saurait tirer argument de la lettre du 12 septembre 1989 des autorités espagnoles relative au régime d'aides NN 71/88, celle-ci concernant en réalité des aides en faveur des activités d'extraction dans la zone de Huelva (Espagne). En outre, elle expose que la réserve avancée par la Commission, selon laquelle les aides aux entreprises agricoles devaient être préalablement notifiées, ne s'applique pas en l'espèce.

26.
    S'agissant du prêt et de la garantie accordés par l'IFA en 1993, la requérante et le royaume d'Espagne considèrent que les bénéficiaires potentiels du régime d'aides NN 71/88 étaient les entreprises, en général, établies en Andalousie et qu'il en est de même pour le régime d'aides N 624/92. Ils prétendent que les restrictions associées au statut de coopérative, de société anonyme du travail ou de travailleur indépendant, qualités envisagées par le régime NN 71/88, ne concernent pas la requérante. Cette dernière ajoute que les prêts visés dans le régime d'aides N 624/92 étaient destinés non seulement au financement des actifs fixes et circulants, mais aussi au refinancement du passif.

27.
    S'agissant du prêt et de la garantie accordés par l'IFA en 1994, la requérante et le royaume d'Espagne affirment que les bénéficiaires du régime d'aides N 428/93 pouvaient ne pas être des petites et moyennes entreprises (PME).

28.
    La Commission prétend, d'une part, que les régimes d'aides N 624/92 et N 428/93 portaient autorisation, respectivement, d'aides accordées en 1992 et en 1993. D'autre part, elle conteste que les aides accordées en 1993 et en 1994 remplissent les conditions d'octroi inscrites dans le régime d'aides NN 71/88 et dans les régimes d'aides N 624/92 et N 428/93 qui en découlent.

Appréciation du Tribunal

29.
    Il convient, à titre liminaire, de rappeler le contexte relatif aux régimes d'aides N 624/92 et N 428/93.

30.
    Ceux-ci ont pour origine l'un des deux régimes généraux d'aides enregistrés par la Commission sous la référence NN 71/88, à savoir celui prévoyant l'octroi d'aides par l'IFA en faveur d'entreprises établies en Andalousie (ci-après le «régime d'aides NN 71/88 de l'IFA»). L'autre régime d'aides portant cette référence concernait des aides à l'investissement en faveur de la zone minière de la province de Huelva.

31.
    Les interventions visées dans le régime d'aides NN 71/88 de l'IFA consistaient en des subventions, des bonifications d'intérêt, des garanties, des prêts et des prises de participation. Un budget spécifique était prévu pour chacune de ces catégories d'interventions.

32.
    Par décision du 26 octobre 1989, la Commission a autorisé les régimes d'aides NN 71/88. Elle a indiqué aux autorités espagnoles que, en cas de prorogation de certaines des interventions prévues dans ces régimes, ces autorités étaient tenues de lui notifier, conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité, les «projets de budget correspondants». Elle leur a également rappelé qu'il leur incombait de lui notifier «à l'état de projet au titre de ce même article, toute modification, même mineure, du système d'aides en Andalousie». Enfin, elle les a invitées à «lui communiquer, avant la fin du premier semestre de chaque année, un rapport indiquant, pour chaque type d'aide, le montant des aides octroyées pendant l'année précédente, celui des investissements aidés ainsi que le nombre de cas concernés, ces données étant ventilées régionalement, selon les provinces, et sectoriellement». S'agissant des bonifications d'intérêt et des prêts de l'IFA, la Commission a précisé que le rapport susvisé devait être établi «pour chacun des quatre types de bonifications d'intérêt et pour chacun des deux types de prêts».

33.
    Il ressort du dossier que le régime d'aides NN 71/88 de l'IFA a fait l'objet de prorogations annuelles successives, comprenant une modification des budgets consacrés aux différentes catégories d'interventions, voire de certaines des caractéristiques de ce régime. À plusieurs reprises, les autorités espagnoles n'ont pas notifié ces prorogations et modifications à l'état de projet, ainsi que requis par la Commission dans sa décision du 26 octobre 1989 et dans ses décisions d'approbation ultérieures, mais après avoir commencé à accorder les aides concernées. Ainsi, les données relatives au régime d'aides de l'année 1992 (enregistré sous la référence N 624/92) n'ont été communiquées à la Commission que le 18 octobre 1992 et celles relatives au régime d'aides de l'année 1993 (enregistré sous la référence N 428/93) que le 1er juillet 1993. La Commission ne semble, toutefois, avoir soulevé aucune objection à l'encontre de cette attitude et ses décisions d'approbation consécutives ont eu, de facto, une portée rétroactive. La décision relative au régime d'aides N 624/92 n'a, en effet, pu être adoptée que le 16 décembre 1992 et celle relative au régime d'aides N 428/93 que le 24 septembre 1993.

34.
    Il résulte des considérations qui précèdent que l'argument de la requérante et du royaume d'Espagne selon lequel le prêt de 375 millions de ESP et la garantie d'un même montant consentis par l'IFA en 1993 relèvent du régime d'aides N 624/92 doit être écarté. Ce dernier régime ne saurait, en effet, couvrir que des aides de l'IFA accordées au cours de l'année 1992.

35.
    De même, le prêt d'un montant de 550 millions de ESP et la garantie d'un montant de 200 millions de ESP accordés à la requérante en 1994 ne sauraient être rattachés au régime d'aides N 428/93, puisque celui-ci ne pouvait couvrir que des aides octroyées en 1993. En tout état de cause, les conditions de ce dernier régime n'étaient pas remplies en l'espèce. Dans leur communication du 1er juillet 1993, portant notification dudit régime, les autorités espagnoles avaient, en effet, expressément défini les bénéficiaires de celui-ci comme étant les PME, à savoir, en substance, des entreprises employant moins de 250 personnes et dont soit le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 20 millions d'écus, soit le total du bilan annuel n'excède pas 10 millions d'écus. Or, il est constant entre les parties que la requérante dépasse ces limites.

36.
    Il convient de relever, par ailleurs, que le prêt et la garantie accordés par l'IFA en 1993 ne sauraient relever du régime d'aides N 428/93, la requérante n'étant pas une PME, ainsi que constaté au point précédent. En tout état de cause, aucune des parties ne soutient que ce prêt et cette garantie se rattachent audit régime.

37.
    De même, en ce qui concerne le prêt et la garantie accordés par l'IFA en 1994, aucune partie ne prétend que ces mesures relèvent du régime d'aides N 462/94, lequel constitue une prorogation du régime d'aides de l'IFA pour la période 1994 à 1999. Lors de la procédure administrative, le royaume d'Espagne n'a invoqué le régime d'aides N 462/94 que pour tenter de justifier les prétendues aides au sauvetage et à la restructuration accordées à la requérante en 1995 et en 1996 (considérant 11 de la décision litigieuse).

38.
    Il s'ensuit qu'il n'a pas été démontré que les prêts et garanties accordés par l'IFA à la requérante en 1993 et en 1994 relèvent de régimes généraux d'aides autorisés par la Commission. Dès lors, cette dernière était fondée à les considérer comme des interventions ad hoc destinées à permettre à l'entreprise de poursuivre ses activités. Le premier moyen doit donc être rejeté comme non fondé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres arguments invoqués par les parties.

Sur le deuxième moyen, concernant les aides au sauvetage

Arguments des parties

39.
    La requérante et le royaume d'Espagne soutiennent que les garanties et prêts octroyés par l'IFA entre mai et décembre 1995 (voir point 5 ci-dessus) constituent des aides au sauvetage au sens des lignes directrices et qu'elles auraient, dès lors, dû être approuvées par la Commission sur la base de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité.

40.
    Ils relèvent, tout d'abord, que, six mois après l'octroi des prêts susvisés, les autorités espagnoles ont rétroactivement porté le taux d'intérêt initialement prévu au taux du marché, à savoir le MIBOR + 0,5 %. Ils contestent l'appréciation selon laquelle cette adaptation constitue un simple «ajustement comptable», soulignant qu'elle est le résultat d'un véritable accord juridique et que les intérêts échus ont été inclus dans l'opération de conversion en capital effectuée le 29 avril 1997 (voir point 9 ci-dessus) après avoir été calculés selon le taux du marché. Le fait que ces prêts n'aient pas été remboursés et que les intérêts correspondants n'aient pas été versés serait dépourvu de pertinence, les lignes directrices étant muettes à cet égard.

41.
    La requérante et le royaume d'Espagne prétendent, ensuite, que les garanties et prêts en cause étaient étroitement liés à l'élaboration du plan de restructuration, avaient pour seul objectif de maintenir l'entreprise en activité, se justifiaient par l'existence de difficultés sociales aiguës et n'ont eu aucun impact négatif sur le marché concerné dans d'autres États membres. Ces aides se distingueraient donc fondamentalement de celles accordées à la requérante en 1993 et en 1994. Le royaume d'Espagne ajoute que la Commission ne saurait, en tout état de cause, se fonder sur l'illégalité de ces dernières aides pour dénier la qualification d'aides au sauvetage aux garanties et prêts accordés entre mai et décembre 1995.

42.
    Enfin, la requérante soutient que la Commission s'écarte de sa pratique décisionnelle. Elle cite, plus particulièrement, la décision de la Commission du 21 juin 1995 concernant l'aide accordée par l'Italie à l'entreprise Enichem Agricoltura SpA (JO 1996, L 28, p. 18, ci-après la «décision Enichem») et rappelle la position adoptée par la Commission dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du Tribunal du 5 novembre 1997, Ducros/Commission (T-149/95, Rec. p. II-2031). Le royaume d'Espagne ajoute que ce dernier arrêt confirme que les aides ne doivent pas nécessairement être versées en une seule fois.

43.
    La Commission conteste l'appréciation selon laquelle les garanties et prêts octroyés entre mai et décembre 1995 constituent des aides au sauvetage. Ces mesures ne rempliraient pas les conditions prévues au point 3.1 des lignes directrices.

44.
    Elle fait valoir, premièrement, que le taux d'intérêt appliqué aux prêts en question était inférieur à celui du marché et que la modification rétroactive de ce taux par les autorités espagnoles ne représente qu'un simple ajustement comptable, le capital de ce prêt n'ayant pas été remboursé et les intérêts n'ayant jamais été payés. Quant au fait que les intérêts échus aient été inclus dans l'opération de conversion en capital du 29 avril 1997, il serait inopérant dès lors que cette dernière opération constitue elle-même une aide d'État.

45.
    La Commission relève, deuxièmement, que les aides au sauvetage ont pour objectif le maintien des activités de l'entreprise en difficulté pendant une période limitée, ne dépassant généralement pas six mois, et ce afin de permettre l'élaboration de mesures de redressement réalistes. Or, en 1993 et en 1994, la requérante aurait déjà bénéficié d'aides répondant à la même finalité que les garanties et prêts en cause. Par ailleurs, s'il est vrai que les aides au sauvetage ne doivent pas nécessairement être versées en une seule fois, elles ne pourraient, toutefois, être consenties de manière répétée sur une longue période.

46.
    Enfin, la Commission estime que les références à la décision Enichem et à l'arrêt Ducros/Commission, précité, sont dépourvues de pertinence.

Appréciation du Tribunal

47.
    Il convient de rappeler que, aux termes de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun «les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun».

48.
    Il importe de relever également qu'il est de jurisprudence constante que la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans le domaine de l'article 92, paragraphe 3, du traité (arrêts de la Cour du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C-142/87, Rec. p. I-959, point 56, et du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec. p. I-3547, point 36). Le contrôle exercé par le juge communautaire doit donc se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de l'obligation de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir (arrêt du Tribunal du 22 octobre 1996, Skibsvaerftsforeningen e.a./Commission, T-266/94, Rec. p. II-1399, point 170). Il n'appartient pas au juge communautaire de substituer son appréciation économique à celle de la Commission (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T-380/94, Rec. p. II-2169, point 56).

49.
    Aux termes du point 3.1 des lignes directrices:

«[...] Les aides au sauvetage doivent [...]:

-    consister en des aides de trésorerie prenant la forme de garanties de crédits ou de crédits remboursables portant un taux équivalent à celui du marché;

-    se borner dans leur montant à ce qui est nécessaire pour l'exploitation de l'entreprise (par exemple, couverture des charges salariales, des approvisionnements courants);

-    n'être versées que pour la période nécessaire (en règle générale ne dépassant pas six mois) à la définition des mesures de redressement nécessaires et possibles;

-    être justifiées par des raisons sociales aiguës et ne pas avoir pour effet de déséquilibrer la situation industrielle dans d'autres États membres.

Une autre condition veut que, en principe, l'aide au sauvetage soit une opération exceptionnelle. Il est évident qu'une série d'opérations de sauvetage qui se bornent à maintenir le statu quo, à retarder l'inévitable et à transférer, entre-temps, les problèmes industriels et sociaux sur d'autres producteurs plus performants ou sur d'autres États membres sont inacceptables. L'aide au sauvetage doit donc normalement être une opération exceptionnelle de maintien des activités portant sur une période limitée au cours de laquelle l'avenir de l'entreprise peut être évalué.

[...]»

50.
    Dans la décision litigieuse, la Commission a estimé que les prêts et garanties octroyés par l'IFA à la requérante entre mai et décembre 1995 ne pouvaient être qualifiés d'aides au sauvetage au sens des lignes directrices au motif que cette dernière avait déjà bénéficié, au cours des années précédentes, d'aides «du même type et dans le même but» (considérant 107). Elle a ainsi considéré que l'exigence selon laquelle l'aide au sauvetage doit normalement être une opération exceptionnelle de maintien des activités portant sur une période limitée n'était pas remplie en l'espèce. Il y a lieu d'observer que, contrairement à ce que prétend le royaume d'Espagne, ce n'est donc pas l'illégalité en soi des aides antérieures aux prétendues aides au sauvetage qui a fondé les conclusions de la Commission.

51.
    Il ne saurait être prétendu que ces conclusions reposent sur une erreur manifeste d'appréciation. En effet, ainsi qu'il ressort du dossier et de l'examen du premier moyen, il est établi que l'IFA avait déjà accordé des prêts et des garanties à la requérante en 1993 et en 1994, de même nature que les prétendues aides au sauvetage, et que ces interventions étaient déjà destinées à permettre à l'entreprise de faire face à ses difficultés économiques et financières et de se maintenir en activité.

52.
    S'agissant des références faites par la requérante et le royaume d'Espagne à la décision Enichem et à l'arrêt Ducros/Commission, précité, elles sont dépourvues de pertinence. En effet, ceux-ci mettent en cause des aides non au sauvetage, mais à la restructuration.

53.
    En outre, pour ce qui est, plus particulièrement, des prêts en cause dans ce moyen, il convient de relever que la requérante et le royaume d'Espagne ne contestent pas que le taux d'intérêt initialement prévu était inférieur à celui du marché. Or, la question de savoir si une mesure constitue une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité doit être résolue à la lumière de la situation existant au moment où cette mesure a été prise. Si la Commission tenait compte d'éléments postérieurs, elle avantagerait, en effet, les États membres qui, comme le royaume d'Espagne en l'espèce, manquent à leur obligation de notifier à l'état de projet les aides qu'ils envisagent d'octroyer. Par conséquent, le fait que le taux d'intérêt applicable à ces prêts ait été ultérieurement porté au taux du marché - que cette adaptation soit qualifiée de simple «ajustement comptable» ou non - est sans pertinence.

54.
    Il s'ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le troisième moyen, concernant les aides à la restructuration

Arguments des parties

55.
    En premier lieu, la requérante fait grief à la Commission d'avoir interprété de manière manifestement erronée le plan de restructuration.

56.
    Premièrement, elle avance que ce plan prévoit une réduction de ses capacités de production.

57.
    Elle affirme - soutenue par le royaume d'Espagne - que les chiffres de production relatifs à l'année 1995 contenus dans le tableau figurant au considérant 27 de la décision litigieuse ne sont pas représentatifs en ce que, comme indiqué dans le plan de restructuration, elle traversait alors une crise profonde. Elle précise ensuite qu'elle a pris des mesures concrètes en vue de réduire ses capacités de production, à savoir la fermeture d'un abattoir, d'une salle de découpe et de sa ligne de production de pâtés et la vente judiciaire d'une des entreprises de production d'aliments pour animaux. Le royaume d'Espagne conteste l'affirmation de la Commission selon laquelle ces mesures de réduction ne correspondent pas aux capacités réelles utilisées. La requérante ajoute que le complément d'avril 1997 prévoit simplement, «compte tenu de l'expérience», des réductions de capacité plus importantes que celles initialement envisagées. Quant aux investissements réalisés, ils auraient seulement été destinés à éviter que certains actifs ne se détériorent ou deviennent obsolètes.

58.
    Deuxièmement, la requérante soutient que la Commission n'était pas fondée à tirer argument du fait que le plan de restructuration avait été élaboré sur la base d'informations insuffisantes et non fiables pour le qualifier d'inapproprié. Elle explique que, ainsi que cela a été relevé par les contrôleurs judiciaires dans leur rapport sur la situation de l'entreprise à la date de présentation du dossier de cessation de paiements, sa comptabilité comportait de nombreuses irrégularités. Elle cite, plus particulièrement, une absence de livres «se prêtant à la tenue des comptes annuels», un défaut de «planification» ainsi que le caractère insuffisant de ses archives comptables. Son ancien commissaire aux comptes aurait d'ailleurs été sanctionné en raison de ces irrégularités. La requérante ajoute que ses comptes pour l'année 1994, tels qu'établis par la famille Molina, étaient inexacts et qu'ils n'avaient pas encore été approuvés par l'assemblée générale au moment de l'élaboration du plan. Elle fait également remarquer que la révision spéciale restreinte de ses comptes au 7 mai 1995, qu'une société d'audit avait été chargée d'effectuer, n'était pas non plus disponible à ce moment. Selon la requérante et le royaume d'Espagne, en dépit de ces difficultés, l'IFA a réussi à établir un plan de restructuration réaliste et adéquat.

59.
    Troisièmement, la requérante et le royaume d'Espagne prétendent que la Commission n'a pas dûment tenu compte des résultats obtenus par l'entreprise au cours de la période d'exécution du plan de restructuration. Ils exposent qu'elle a réalisé des bénéfices d'un montant de 808 millions de ESP en 1997 et de 244 millions de ESP au premier semestre de 1998, que sa marge brute s'est sensiblement améliorée, que ses dépenses se sont considérablement réduites et que sa capacité d'autofinancement est devenue positive. Le fait que des entreprises tierces aient été intéressées par son rachat serait également une preuve du succès du plan de restructuration. À cet égard, la requérante et le royaume d'Espagne précisent que la procédure de mise en vente de l'entreprise s'est déroulée dans le respect le plus strict des règles de publicité et de concurrence, un consultant spécialisé ayant été chargé d'identifier des acheteurs potentiels et d'évaluer leurs offres. Enfin, le royaume d'Espagne considère que la Commission déforme les faits en indiquant, au considérant 117 de la décision litigieuse, que, dans leur lettre du 8 septembre 1998, les autorités espagnoles, tout en affirmant que la requérante était redevenue viable, avaient reconnu qu'elle serait mise en liquidation. Elles n'auraient, en effet, fait référence à la liquidation de l'entreprise que dans la perspective d'une décision négative de la Commission.

60.
    En deuxième lieu, la requérante et le royaume d'Espagne soutiennent que les aides octroyées par l'IFA après décembre 1995 constituent des aides à la restructuration au sens des lignes directrices.

61.
    Premièrement, ils réaffirment que le plan de restructuration a permis de rétablir, dans un délai raisonnable, la viabilité de l'entreprise et a, notamment, conduit à une réduction de ses capacités de production et de ses effectifs. La requérante se réfère à nouveau au contexte difficile dans lequel le plan a été élaboré (voir point 58 ci-dessus) et fait observer que, dans sa pratique décisionnelle, la Commission a, à plusieurs reprises, autorisé des aides à la restructuration malgré le fait qu'un plan de restructuration n'avait été élaboré que plusieurs années après leur octroi. Elle fait également remarquer que, dans sa décision Enichem, la Commission s'est contentée d'«espérer» que la restructuration permettrait à l'entreprise concernée de redevenir viable à long terme. Or, en l'espèce, la rentabilité de la requérante aurait été rétablie après moins de trois ans d'application du plan de restructuration. La requérante ajoute que, dans nombre de décisions, la Commission a considéré que l'existence d'un processus de privatisation démontrait le retour à la viabilité de l'entreprise en cause et que, dans sa décision Enichem, elle s'est satisfaite d'un simple engagement des autorités italiennes à privatiser le secteur d'activité restructuré de l'entreprise concernée. Par ailleurs, la requérante et le royaume d'Espagne réaffirment que les aides octroyées en 1993 et en 1994 relèvent de régimes généraux approuvés par la Commission et se distinguent, par conséquent, de celles dont l'entreprise a bénéficié après décembre 1995. L'argument de la Commission selon lequel les aides n'auraient pas été versées en une seule fois ne saurait donc être accueilli. Enfin, la requérante invoque, à nouveau, la position adoptée par la Commission dans l'affaire ayant donné à l'arrêt Ducros/Commission, précité.

62.
    Deuxièmement, la requérante et le royaume d'Espagne prétendent que des mesures ont été prises, conformément au point 3.2.2, B, des lignes directrices, pour atténuer autant que possible les conséquences défavorables pour les concurrents. D'une part, ils font valoir qu'il n'existe pas de surcapacité structurelle dans le secteur des produits carnés et que la transformation de la viande ne fait pas partie des secteurs exclus visés à l'annexe de la décision 94/173/CE de la Commission, du 22 mars 1994, relative à l'établissement des critères de choix à retenir pour les investissements concernant l'amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles et sylvicoles et abrogeant la décision 90/342/CEE (JO L 79, p. 29). Ils font également observer que, aux termes de la décision 94/173, les investissements dans le secteur de l'alimentation animale peuvent bénéficier d'un financement communautaire si la production annuelle est inférieure à 20 000 tonnes, ce qui serait le cas de la requérante. D'autre part, ils réaffirment que le plan de restructuration prévoyait une réduction (ou, à tout le moins, une réorientation) des capacités de production et que, comme cela est reconnu dans la décision litigieuse, celle-ci est effectivement intervenue dans toutes les unités de la requérante. Enfin, le royaume d'Espagne s'étonne que la Commission affirme, dans son mémoire en défense, que «[sa] conclusion selon laquelle les aides accordées à [la requérante] ne remplissaient pas les conditions fixées par les lignes directrices ne s'est pas fondée sur l'absence de réductions de capacité.» En effet, dans la décision litigieuse, la Commission invoquerait plusieurs fois le fait que le plan de restructuration prévoyait une augmentation des capacités de production pour déclarer ces aides incompatibles avec le marché commun.

63.
    Troisièmement, la requérante et le royaume d'Espagne soutiennent que les aides en cause étaient proportionnées aux coûts et aux avantages de la restructuration.

64.
    La requérante estime, à cet égard, que la Commission ne pouvait tirer argument du fait que seul l'État avait contribué, par l'apport de nouvelles ressources, au plan de restructuration. Elle relève que, dans l'arrêt Ducros/Commission, précité, le Tribunal a retenu comme éléments déterminants à ce propos le fait que, d'une part, la capacité installée avait été réduite et que, d'autre part, l'État s'était engagé à privatiser l'entreprise concernée. Dans sa décision Enichem, la Commission aurait adopté la même position. La requérante fait observer, par ailleurs, que ses employés et ses créanciers privés ont consenti des sacrifices afin d'assurer sa viabilité. S'agissant des créanciers privés, elle indique, plus particulièrement, que leur pourcentage moyen de remise de dettes était supérieur à celui des créanciers publics. Elle affirme que son endettement envers le secteur privé représentait beaucoup plus que 4 % de son endettement total et relève que, dans sa décision 98/364/CE, du 15 juillet 1997, relative à l'aide d'État octroyée en faveur de Grupo de Empresas Álvarez (GEA) (JO 1998, L 164, p. 30, ci-après la «décision GEA»), la Commission a estimé que la condition relative à la proportionnalité des aides était remplie au vu d'une «réduction significative des dettes liée à la procédure de cessation des paiements». Enfin, dans sa décision 97/17/CE, du 30 juillet 1996, concernant les aides accordées à Santana Motor SA (JO 1997, L 6, p. 34, ci-après la «décision Santana Motor»), la Commission se serait contentée de tenir compte du contexte socio-économique difficile de la zone concernée, qui est précisément celle dans laquelle la requérante est établie.

65.
    Quatrièmement, la requérante et le royaume d'Espagne contestent l'affirmation contenue au considérant 132 de la décision litigieuse, selon laquelle il convient de considérer que, jusqu'en juin 1997, il n'y a eu qu'une série d'aides ponctuelles destinées à maintenir l'entreprise en activité, puisque le plan de restructuration n'a été communiqué que tardivement à la Commission et que celle-ci n'avait pas eu la possibilité de se prononcer sur ce plan en temps utile ni d'imposer, le cas échéant, des conditions pendant son exécution. La requérante affirme que la Commission disposait, en réalité, de ce plan 18 mois avant l'adoption de la décision litigieuse. Le royaume d'Espagne avance, quant à lui, que ce plan a été réalisé en temps opportun, à savoir après une période de six mois nécessaire pour déterminer l'origine des difficultés de l'entreprise et proposer des mesures de nature à garantir sa viabilité. La requérante et le royaume d'Espagne ajoutent que la Commission ne s'est jamais intéressée au plan de restructuration, n'a proposé aucune mesure ou condition et n'a pas tenu de réunions avec les autorités espagnoles pour débattre de ce plan ni demandé des éclaircissements à son sujet. Enfin, la requérante répète que, dans sa décision Enichem, la Commission a déclaré compatibles avec le marché commun des aides au sauvetage et à la restructuration accordées trois ans avant l'élaboration du plan de restructuration.

66.
    Cinquièmement, la requérante relève que les lignes directrices prévoient que la Commission doit tenir compte des besoins de développement régional lorsqu'elle apprécie une aide à la restructuration dans les régions assistées. Or, en l'espèce, la Commission n'aurait nullement pris en considération le contexte socio-économique particulier de la province de Jaén.

67.
    En premier lieu, la Commission conteste avoir apprécié de manière erronée le plan de restructuration.

68.
    Elle soutient, premièrement, que ce plan prévoyait clairement une augmentation de la capacité de production de toutes les unités de la requérante ainsi que la réalisation d'investissements impliquant des apports financiers considérables. Elle considère, tout d'abord, que les critiques de la requérante et du royaume d'Espagne relatives au tableau figurant au considérant 27 de la décision litigieuse ne sont pas fondées, la production de l'entreprise ayant déjà commencé à diminuer à partir de 1992. Par ailleurs, selon la Commission, s'il est exact que des réductions des capacités de production ont été réalisées ultérieurement dans certaines unités de la requérante, elles ne correspondaient, toutefois, pas aux capacités réellement utilisées. En outre, elles auraient été le résultat de décisions ponctuelles adoptées au gré des circonstances et, notamment, au vu du fait que les volumes des ventes réalisées en 1996, en 1997 et en 1998 se sont révélés inférieurs aux prévisions du plan de restructuration.

69.
    Deuxièmement, la Commission affirme que, comme cela a été avancé par les autorités espagnoles elles-mêmes, le plan de restructuration était incomplet et fondé sur des données insuffisantes et peu fiables. Elle conteste la pertinence de la référence faite par la requérante et le royaume d'Espagne aux circonstances de l'élaboration de ce plan et souligne qu'il n'a été procédé aux ajustements nécessaires qu'en avril 1997.

70.
    Troisièmement, la Commission considère que les griefs formulés par la requérante et le royaume d'Espagne à l'encontre de son appréciation des résultats obtenus par l'entreprise en application du plan de restructuration ne sont pas fondés.

71.
    En deuxième lieu, la Commission conteste l'appréciation selon laquelle les aides en cause remplissent les conditions des lignes directrices.

72.
    Premièrement, elle réaffirme que le plan de restructuration n'a été élaboré que deux ans et demi après l'octroi des premières aides à la requérante, n'était ni fiable ni complet, ne prévoyait pas de réduction des capacités de production et n'a pas permis à l'entreprise de redevenir viable. Elle considère, par ailleurs, que la requérante ne peut établir un parallélisme avec la décision Enichem.

73.
    Deuxièmement, la Commission prétend qu'il n'a pas été pris de mesures pour atténuer autant que possible les conséquences défavorables de ces aides pour les concurrents. Elle réaffirme, tout d'abord, que le plan de restructuration ne prévoyait pas de réduction des capacités de production. Elle fait remarquer, ensuite, qu'elle n'a pas invoqué, dans la décision litigieuse, l'existence d'une surcapacité structurelle dans le secteur de la transformation de la viande. Elle n'aurait relevé l'existence d'une telle surcapacité que dans les secteurs de l'alimentation animale, de l'élevage des porcins et de l'abattage des porcins. Elle ajoute que, conformément au point 2.1, troisième tiret, de l'annexe de la décision 94/173, les investissements concernant l'alimentation animale dans des unités de dimension inférieure à 20 000 tonnes de production par an, dans les régions visées par l'objectif n° 1, ne sont pas exclus d'un financement communautaire seulement lorsqu'une insuffisance de capacité est démontrée. Enfin, la Commission soutient que, la requérante étant située dans une région défavorisée, elle a envisagé la possibilité d'apporter une appréciation plus souple en ce qui concerne l'exigence tenant à la réduction des capacités de production.

74.
    Troisièmement, la Commission affirme que les aides en cause n'étaient pas proportionnées aux coûts et avantages de la restructuration. Elle avance, tout d'abord, que la famille Molina n'a réalisé aucun apport de fonds nouveaux, l'opération de recapitalisation n'ayant impliqué que l'IFA, ni subi aucune perte du fait de la réduction de sa participation au capital de la requérante. Elle affirme, ensuite, que la renonciation par des créanciers privés au remboursement d'une partie de leurs créances dans le cadre d'une procédure de cessation de paiements ne saurait être considérée comme une contribution de l'entreprise à sa propre restructuration. Elle fait remarquer que, en tout état de cause, les remises de dettes octroyées par les créanciers privés étaient insignifiantes. Par ailleurs, la Commission conteste la pertinence des références faites par la requérante aux décisions GEA, Santana Motor et Enichem, et à l'arrêt Ducros/Commission, précité.

75.
    Quatrièmement, la Commission affirme qu'elle n'a reçu le plan de restructuration que le 23 juillet 1997 et qu'elle n'a, dès lors, pu se prononcer sur son contenu en temps utile ni imposer des conditions à sa mise en oeuvre. Par ailleurs, elle conteste qu'il n'y ait pas eu de réunions entre ses services et les autorités espagnoles et prétend avoir tenu ces dernières constamment informées des doutes qu'elle avait sur la légalité des aides et sur la capacité du plan de permettre le retour à la viabilité de l'entreprise.

76.
    Cinquièmement, la Commission soutient que, pour apprécier la compatibilité des aides avec le marché commun, l'incidence de la situation socio-économique d'une région diffère selon qu'il s'agit d'aides régionales [article 92, paragraphe 3, sous a), du traité] ou sectorielles [article 92, paragraphe 3, sous c), du traité]. Les premières auraient pour objectif le développement des régions défavorisées en favorisant les investissements et la création d'emplois dans le contexte du développement durable et ne seraient jugées compatibles que lorsque l'équilibre entre les distorsions de concurrence liées à leur octroi et les avantages qu'elles présentent pour le développement régional peut être garanti. Ce dernier élément serait généralement considéré comme absent dans le cas d'aides individuelles, sauf lorsqu'il s'agit de régimes plurisectoriels et ouverts à l'ensemble des entreprises des secteurs concernés dans la région défavorisée en cause. Elle explique que, au vu de ces critères, elle a conclu, dans la décision litigieuse, que les aides octroyées à la requérante n'avaient pas été conçues comme des aides régionales en faveur de la réalisation de nouveaux investissements ou de la création d'emplois, voire comme des aides visant à surmonter de manière horizontale des handicaps d'infrastructure pour l'ensemble des entreprises de la région, mais comme des aides destinées au sauvetage et à la restructuration d'une entreprise particulière. Conformément au point 2.4 des lignes directrices, la seule dérogation pour ce types d'aides serait inscrite dans l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité. Invoquant, a contrario, l'arrêt de la Cour du 14 janvier 1997, Espagne/Commission (C-169/95, Rec. p. I-135), la Commission reconnaît, toutefois, que les implications d'ordre régional doivent également être prises en considération «dans le cadre d'un examen sectoriel». Par ailleurs, elle relève que, dans la décision litigieuse, elle a dûment examiné les aides en cause au regard du point 3.2.3 des lignes directrices, qui prévoit des conditions particulières pour les aides à la restructuration dans les régions assistées. Elle précise, à cet égard, que, lorsque les besoins de développement régional le justifient, elle peut exiger une réduction de capacité moins importante que dans d'autres cas de la part de l'entreprise concernée. Enfin, la Commission répète que, dans sa décision Santana Motor, elle a tenu compte du contexte socio-économique conjointement avec d'autres facteurs qui ne sont pas présents dans le cas d'espèce.

Appréciation du Tribunal

77.
    Aux termes du point 3.2.1 des lignes directrices:

«Les aides à la restructuration posent des problèmes particuliers en matière de concurrence, étant donné qu'elles peuvent aboutir à transférer une part inéquitable de la charge d'une adaptation structurelle et des problèmes sociaux et industriels qui en découlent à d'autres producteurs qui ne bénéficient pas d'une aide ainsi qu'à d'autres États membres. Le principe général devrait donc être de n'autoriser une aide à la restructuration que dans les cas où l'on peut démontrer qu'il est dans l'intérêt de la Communauté qu'elle le soit. Cela ne sera possible que si elle satisfait à des critères stricts et si l'on a pleinement tenu compte des distorsions éventuelles qu'elle pourrait entraîner.»

78.
    Les lignes directrices exigent que les aides à la restructuration soient encadrées par un plan. Le point 3.2.2 soumet l'approbation de ce plan à trois conditions matérielles: il doit permettre le retour à la viabilité à long terme de l'entreprise concernée, prévenir des distorsions de concurrence indues et assurer la proportionnalité des aides aux coûts et avantages de la restructuration. En outre, il incombe à l'entreprise de mettre en oeuvre intégralement le plan de restructuration tel qu'il a été accepté par la Commission (point 3.2.2, D), cette mise en oeuvre et le bon déroulement dudit plan intervenant sous le contrôle de cette dernière, à laquelle des rapports annuels détaillés devront être présentés (point 3.2.2, E).

79.
    Il convient d'examiner si la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que ces conditions n'étaient pas remplies en l'espèce. Il y a lieu de relever que, sous réserve des dispositions spéciales concernant notamment les zones assistées (voir point 109 ci-après), toutes ces conditions doivent être remplies pour que la Commission puisse approuver des aides à la restructuration (point 3.2.2 des lignes directrices).

- Sur le retour à la viabilité

80.
    Le point 3.2.2, A, premier alinéa, des lignes directrices prévoit:

«La condition sine qua non de tous les plans de restructuration est qu'ils doivent permettre de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité à long terme de l'entreprise, sur la base d'hypothèses réalistes en ce qui concerne ses conditions d'exploitation futures. En conséquence, l'aide à la restructuration doit être liée à un programme viable de restructuration ou de redressement, qui doit être présenté à la Commission avec toutes les précisions nécessaires. Ce plan doit permettre de rétablir la compétitivité de l'entreprise dans un délai raisonnable. [... Le] plan de restructuration doit permettre à l'entreprise de couvrir tous ses coûts, y compris les coûts d'amortissement et les charges financières, ainsi que d'obtenir une rentabilité minimale des capitaux investis qui lui permette, après sa restructuration, de ne plus faire appel à l'État et d'affronter la concurrence en ne comptant plus que sur ses seules forces. Comme les aides au sauvetage, les aides à la restructuration ne devraient donc normalement être nécessaires qu'une seule fois.»

81.
    Il y a lieu de constater que, dans la décision litigieuse, la Commission a fait état de plusieurs éléments démontrant à suffisance que le plan de restructuration ne répond pas aux exigences susmentionnées.

82.
    En premier lieu, elle a relevé que ce plan avait été élaboré «sur la base d'informations insuffisantes et non fiables» (considérant 111), qu'il ne se référait qu'«aux aides déjà octroyées entre mai et décembre 1995 et au prêt de 1,739 milliard [de ESP] octroyé en 1996» et qu'il «prévoyait d'autres besoins financiers de l'entreprise à couvrir sur le marché et l'octroi d'autres aides d'État éventuelles, mais sans quantifier leur montant» (considérant 112).

83.
    Il ressort d'un examen dudit plan que ces constatations sont fondées en fait. Dans l'introduction du complément d'avril 1997, les autorités espagnoles font d'ailleurs expressément observer que le plan de restructuration repose sur des données incomplètes et inexactes. Dans leurs écritures, la requérante et le royaume d'Espagne se contentent d'invoquer une série de difficultés ayant entouré son élaboration, ce qui ne fait pas pour autant disparaître son caractère insuffisant.

84.
    En deuxième lieu, la Commission a estimé que les mesures prévues dans le plan de restructuration n'étaient pas de nature à permettre le retour à la viabilité de l'entreprise.

85.
    Premièrement, renvoyant aux considérants 26 et 27 de la décision litigieuse, qui décrivent lesdites mesures ainsi que les prévisions de production, elle a relevé que «le plan [...] prévoyait, pour obtenir la rentabilité de l'entreprise, l'augmentation substantielle de toutes ses unités de production» et a considéré qu'«il n'était pas réaliste de fonder le retour à la viabilité de l'entreprise sur une augmentation de sa production [...], s'agissant d'un secteur en surcapacité structurelle» (considérant 113).

86.
    En réponse à cette argumentation, la partie requérante et le royaume d'Espagne prétendent que le plan de restructuration prévoyait une réduction des capacités de production et contestent l'existence d'une surcapacité structurelle dans les secteurs concernés.

87.
    S'agissant du premier point, il ressort d'un examen du plan de restructuration que celui-ci n'envisage pas de réduction des capacités de production de la requérante. Bien au contraire, il fait effectivement état d'une augmentation desdites capacités pour la plupart de ses unités de production ainsi que de la réalisation d'investissements importants. Il convient d'ajouter que la requérante, expressément invitée par le Tribunal dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure (voir point 17 ci-dessus) à identifier les passages précis du plan qui prévoiraient une réduction de ses capacités de production, s'est bornée, en substance, à mentionner certaines mesures de réduction de ses effectifs.

88.
    Certes, il est constant entre les parties que la requérante a traversé une crise profonde en 1995 et que ses chiffres de production pour cette dernière année, tels que repris dans le tableau du considérant 27 de la décision litigieuse, étaient de ce fait particulièrement bas. Lues en parallèle avec ces chiffres, les prévisions de production de l'entreprise contenues dans le même tableau pourraient, dès lors, donner une vision quelque peu trompeuse de la portée des mesures envisagées dans le plan de restructuration et relatives aux capacités de production. Toutefois, il ressort des informations communiquées par la requérante en réponse à une question écrite du Tribunal (voir point 17 ci-dessus) que son chiffre d'affaires total et les chiffres de production de chacune de ses unités avaient déjà commencé à diminuer sensiblement dès 1993. Ainsi, même en prenant 1994, plutôt que 1995, comme année de référence, force est de constater que les prévisions du plan traduisent un maintien, voire, dans certains cas, une augmentation, de la production des unités de la requérante. Les critiques formulées à l'encontre des chiffres utilisés par la Commission dans la décision litigieuse doivent donc être écartées.

89.
    Certes, également, la Commission rend compte, dans la décision litigieuse, de réductions de capacité réalisées ultérieurement par la requérante (voir considérants 46, 124 et 141 de la décision litigieuse). Toutefois, il convient d'observer que, comme le relève à juste titre la Commission au considérant 125 de la décision litigieuse, ces réductions ne sont qu'apparentes en ce qu'elles se rapportent à des capacités de production qui n'étaient déjà plus utilisées. Ainsi, s'agissant de la fermeture de l'abattoir d'une capacité de 240 porcs à l'heure, le complément d'avril 1997 indique expressément que cet abattoir était «hors d'activité depuis trois ans» (page 104). De même, il ressort de ce complément que la salle de découpe qui a été fermée n'était déjà plus utilisée (page 104) et que les deux usines d'aliments pour bétail étaient «pratiquement restées paralysées» (page 34).

90.
    Pour ces mêmes motifs, la requérante ne saurait tirer argument de la décision Enichem. En effet, dans l'affaire ayant donné lieu à cette décision, l'entreprise concernée avait procédé à une réduction considérable non seulement de ses effectifs, mais également de ses capacités de production, et ce pour toute sa gamme de produits.

91.
    S'agissant de l'affirmation de la Commission selon laquelle il existe une surcapacité structurelle sur le marché communautaire de l'alimentation animale, de l'élevage des porcins et de l'abattage des porcins (considérant 123 de la décision litigieuse), il suffit de constater que la requérante et le royaume d'Espagne n'apportent aucun élément convaincant de nature à l'infirmer.

92.
    Deuxièmement, la Commission a relevé, dans la décision litigieuse, que «les mesures internes de restructuration étaient irréalistes aussi parce qu'elles étaient fondées sur des informations insuffisantes et non fiables» (considérant 113). Pour les motifs exposés aux points 82 et 83 ci-dessus, le bien-fondé de cette conclusion ne saurait être contesté.

93.
    En troisième lieu, la Commission, tout en rappelant que «les aides d'État doivent, en principe, être appréciées au moment de leur octroi et non en fonction des développements ultérieurs» (considérant 115), a examiné les résultats obtenus par la requérante en application du plan de restructuration et a estimé qu'ils démontraient que ce plan n'avait effectivement pas permis le retour à la viabilité de cette dernière.

94.
    En substance, elle a reconnu une amélioration des résultats de la requérante au cours des dernières années mais a considéré qu'une série d'éléments atténuaient sensiblement cette perspective positive.

95.
    Premièrement, la Commission a relevé que, en dépit du fait que la requérante avait bénéficié d'aides de manière continue depuis 1993, «la seule alternative à [sa] faillite [...], qui remonte au moins à 1994, était la capitalisation de ses dettes» (considérant 114). Cette observation, dont la pertinence ne saurait être contestée, repose sur des constatations totalement exactes en fait. Ainsi, d'une part, il est clairement établi que des aides importantes ont été octroyées de manière ininterrompue à la requérante entre 1993 et 1997. D'autre part, le complément d'avril 1997 indique expressément que, à défaut d'une conversion en capital de ses dettes envers l'IFA à concurrence de 4,680 milliards de ESP, la requérante devrait être mise en liquidation.

96.
    Deuxièmement, la Commission a considéré que, pour pouvoir conclure au retour à la viabilité de l'entreprise, il fallait que la situation de celle-ci ait été assainie, de sorte qu'il n'était pas possible de «faire abstraction des charges financières pesant sur l'entreprise et qui ont absorbé son actif ni de se contenter d'un éventuel cash flow positif récent vu les pertes continues de [celle-ci]» (considérant 115). À nouveau, ces considérations, outre le fait que leur pertinence ne saurait être mise en doute, sont corroborées par les éléments du dossier. Ainsi, il est établi que les pertes de la requérante s'élevaient à 1,231 milliard de ESP, à 2,616 milliards de ESP, à 2,123 milliards de ESP, à 3,229 milliards de ESP, à 2,690 milliards de ESP et à 1,503 milliard de ESP respectivement en 1992, en 1993, en 1994, en 1995, en 1996 et en 1997 et que, au premier semestre de 1998, elles représentaient encore 126 millions de ESP. Les bénéfices invoqués par la requérante et le royaume d'Espagne n'existent qu'en tenant compte des dépenses et des recettes extraordinaires de l'entreprise. Or, dans le document annexé à leurs observations du 21 octobre 1998, les autorités espagnoles soulignent elles-mêmes qu'il convient, en l'espèce, de prendre en considération le résultat d'exploitation net «afin d'éviter toute distorsion dans la compréhension de l'évolution de l'entreprise». De même, dans son mémoire en intervention, le royaume d'Espagne indique que «le motif pour lequel il n'a pas été tenu compte des résultats extraordinaires pour la vérification de l'évolution de la société est que ces résultats [...] ne sont pas obtenus régulièrement au sein de l'entreprise, de sorte que, bien qu'ils soient de nature à rentabiliser une société à court terme, il n'est pas possible de prétendre que le retour à la viabilité à long terme leur soit imputable». Par ailleurs, le volume d'endettement de la requérante atteignait 6,208, 6,966, 7,969, 9,194, 14,005, 6,159 et 6,834 milliards de ESP selon les années, de 1992 à 1998. Enfin, les dépenses de la requérante, contrairement à ses affirmations, ne se sont pas sensiblement réduites, mais sont restées relativement stables entre 1995 et 1998.

97.
    Troisièmement, le fait qu'une entreprise tierce ait manifesté son intérêt pour le rachat de la requérante n'a pas été jugé concluant par la Commission. Les motifs retenus, à cet égard, par cette dernière ne sauraient être qualifiés de manifestement erronés. D'une part, il ressort du dossier que l'offre de rachat portait non sur l'entreprise en tant qu'entité économique viable, mais seulement sur certains de ses actifs, à savoir ceux relatifs au secteur des produits carnés, l'entreprise devant ensuite être mise en liquidation. En outre, l'offre du candidat comportait d'importantes restrictions pour ce qui est du passif et des autres charges qu'il était disposé à assumer [considérants 50, sous c), et 119 de la décision litigieuse]. D'autre part, il n'est pas suffisamment établi que l'opération de rachat envisagée ne comportait elle-même aucun élément d'aide d'État. Elle n'a pas, en effet, été précédée d'un appel d'offres ouvert, transparent et inconditionnel mais est intervenue à l'issue d'une simple procédure d'identification d'acheteurs potentiels et d'évaluation de leurs offres éventuelles par un consultant spécialisé.

98.
    Il convient d'ajouter que la requérante ne saurait tirer argument de la décision Enichem, les faits sur lesquels se fonde cette décision se distinguant fondamentalement de ceux de l'espèce. Ainsi, dans l'affaire ayant donné lieu à ladite décision, outre le fait qu'il existait un plan de restructuration prévoyant des réductions de capacité considérables (voir point 90 ci-dessus), les activités restructurées de l'entreprise concernée avaient généré des résultats positifs dès la première année d'application du plan et les prévisions financières laissaient apparaître un «niveau de rentabilité acceptable pour un investisseur privé» à partir de l'année suivante. De surcroît, l'autorisation des aides en cause avait été subordonnée à une série de conditions strictes visant à garantir que les mesures proposées aboutiraient au résultat escompté. Enfin, la privatisation avait été considérée comme un «gage supplémentaire de viabilité» en ce que le produit de la vente des filiales et actifs de l'entreprise bénéficiaire serait «intégralement employé à réduire le montant des dettes couvertes par l'aide autorisée».

99.
    Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste en considérant que la première condition matérielle posée par les lignes directrices n'est pas remplie.

- Sur la prévention de distorsions de concurrence indues

100.
    Afin de prévenir des distorsions de concurrence indues, des mesures doivent être prises «pour atténuer autant que possible les conséquences défavorables pour les concurrents». En particulier, le point 3.2.2, B, deuxième alinéa, des lignes directrices précise:

«Lorsqu'une évaluation objective de la situation de l'offre et de la demande montre qu'il existe une surcapacité structurelle sur un marché en cause de la Communauté européenne sur lequel le bénéficiaire de l'aide poursuit des activités, le plan de restructuration doit contribuer, en proportion de l'aide reçue, à la restructuration du secteur desservant ce marché dans la Communauté européenne, par une réduction ou une fermeture irréversibles des capacités de production. Une réduction ou une fermeture de capacité est irréversible lorsque les actifs concernés sont mis au rebut, rendus définitivement incapables de produire au niveau antérieur, ou définitivement aménagés en vue d'un autre usage. [...]»

101.
    Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que cette condition n'était pas remplie, après avoir constaté que certaines des activités de la requérante «se développ[aient] dans des secteurs où il existe une surcapacité structurelle sur le marché communautaire» (considérant 123), que le plan de restructuration ne prévoyait pas de réduction des capacités de production (considérant 125) et que les réductions intervenues ultérieurement «ne sembl[aient] pas correspondre aux capacités réelles utilisées par l'entreprise» (considérant 125).

102.
    Il ressort des points 85 à 91 ci-dessus que la requérante et le royaume d'Espagne n'ont pas établi que ces constatations sont manifestement erronées. Par conséquent, il y a lieu de conclure que la Commission était fondée à considérer la seconde condition matérielle posée par les lignes directrices comme non remplie.

- Sur la proportionnalité de l'aide aux coûts et avantages de la restructuration

103.
    Pour ce qui est de la proportionnalité de l'aide aux coûts et avantages de la restructuration, le point 3.2.2, C, premier alinéa, des lignes directrices énonce:

«Le montant et l'intensité de l'aide doivent être limités au strict minimum nécessaire pour permettre la restructuration et doivent être en rapport avec les avantages escomptés du point de vue communautaire. Pour ces raisons, les bénéficiaires de l'aide doivent normalement contribuer de manière importante au plan de restructuration sur leurs propres ressources ou par un financement extérieur obtenu aux conditions du marché [...] L'aide destinée à la restructuration financière ne doit pas réduire de façon excessive les charges financières de l'entreprise [...]»

104.
    Dans la décision litigieuse, la Commission a estimé que cette troisième condition n'était pas remplie au motif, notamment, que «le seul à avoir contribué au plan de restructuration avec l'apport de nouvelles ressources a été l'État» (considérant 127).

105.
    Les arguments invoqués par la requérante et le royaume d'Espagne ne démontrent pas que cette considération est manifestement erronée.

106.
    En premier lieu, le fait que les créanciers privés de la requérante, en ce compris la famille Molina, lui aient accordé des remises de dettes et que ses employés aient consenti à des sacrifices ne saurait être assimilé à une contribution de l'entreprise bénéficiaire de l'aide par ses ressources propres ou par un financement extérieur obtenu aux conditions du marché, au sens du point 3.2.2, C, premier alinéa, des lignes directrices. Il en va de même de la réduction de la participation de la famille Molina au capital de la requérante.

107.
    En deuxième lieu, les circonstances de la présente affaire s'écartent nettement de celles ayant donné lieu aux décisions GEA, Santana Motor et Enichem et à l'arrêt Ducros/Commission, précité, invoqués par la requérante. Ainsi, dans l'affaire ayant donné lieu à la décision GEA, il était clairement prévu que l'entreprise bénéficiaire couvrirait une partie importante des coûts de la restructuration au moyen de ses fonds propres. Dans la décision Santana Motor, la Commission a notamment tenu compte du fait que l'intensité de l'aide ne représentait que 36,3 % des coûts totaux de la restructuration et correspondait environ à l'ampleur des réductions de capacité réalisées par l'entreprise (30 %). S'agissant de la décision Enichem, outre les particularités mentionnées au point 98 ci-dessus, la Commission a relevé: «[L]e bénéficiaire contribuera de manière non négligeable au financement du plan de restructuration et de liquidation, en y réinvestissant le produit de la vente de ses actifs et filiales et de la privatisation finale du secteur d'activité restructuré.» Enfin, dans la décision faisant l'objet de l'arrêt Ducros/Commission, précité, s'il est vrai que la Commission avait notamment pris en considération le fait que la capacité installée des deux entreprises bénéficiaires serait réduite et que l'État italien s'était engagé à privatiser l'une de celles-ci, il convient de souligner, toutefois, que la réduction prévue était de 50 % et que la privatisation devait intervenir à l'issue d'«un appel d'offres inconditionnel qui permettra[it] au marché de fixer le prix de [l'entreprise] et, en conséquence, la disparition des éléments éventuellement excessifs des aides octroyées» (point 68).

108.
    Il ressort de l'ensemble des considérations qui précèdent, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les deux dernières conditions posées par le point 3.2.2 des lignes directrices (points 78 et 79 ci-dessus), que la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste en considérant que les aides concernées constituaient non des aides à la restructuration, mais «une série d'aides ponctuelles destinées uniquement à maintenir l'entreprise sur le marché» (considérant 132 de la décision litigieuse).

- Conditions particulières applicables aux aides à la restructuration dans les régions assistées

109.
    Les lignes directrices prévoient, au point 3.2.3, que la Commission doit tenir compte des besoins de développement régional lorsqu'elle apprécie une aide à la restructuration dans les régions assistées, tout en soulignant que les critères énumérés au point 3.2.2 (voir point 78 ci-dessus) restent applicables à ces régions. Ainsi, le point 3.2.3 des lignes directrices énonce, notamment:

«Il convient, en particulier, que, au terme de l'opération de restructuration, l'on se trouve en présence d'une entreprise économiquement viable qui contribue véritablement au développement de la région sans devoir être continuellement aidée. Des aides récurrentes ne seront donc pas considérées avec plus de bienveillance que dans le cas de régions non assistées. De même, les plans de restructuration doivent être mis en oeuvre complètement et être contrôlés. Pour éviter les distorsions de concurrence non justifiées, l'aide doit également être proportionnée aux coûts et aux avantages de la restructuration. Toutefois, pour ces régions assistées, la Commission pourra se montrer moins stricte pour ce qui est de la réduction de capacité exigée dans le cas de marchés présentant une surcapacité structurelle. Si les besoins du développement régional le justifient, la réduction de capacité qu'elle exigera sera inférieure à celle qui est requise dans les régions non assistées, et elle opérera une distinction entre les régions pouvant bénéficier d'une aide régionale en vertu de l'article 92, paragraphe 3, [sous] a), du traité et celles pouvant bénéficier des dispositions de l'article 92, paragraphe 3, [sous] c), afin de tenir compte de la gravité accrue des problèmes régionaux dans les premières.»

110.
    Dans la décision litigieuse, la Commission a fait une correcte application de ces principes, contrairement à ce que soutient la requérante.

111.
    En premier lieu, elle a réaffirmé que la requérante avait bénéficié d'aides récurrentes pendant une période de cinq ans, sans que celles-ci aient pu garantir son retour à la viabilité, que le plan de restructuration n'avait pas été mis en oeuvre correctement et n'avait pu être dûment contrôlé et que lesdites aides n'étaient pas proportionnées aux coûts et avantages de la restructuration (considérants 136 et 137). Il ressort des considérations exposées aux points 80 à 99 et 103 à 108 ci-dessus que, en tout cas pour ce qui est des critères du retour à la viabilité et de la proportionnalité de l'aide, ces affirmations ne sont entachées d'aucune erreur manifeste d'appréciation.

112.
    En deuxième lieu, la Commission a examiné les arguments des autorités espagnoles relatifs aux réductions des capacités de production qui avaient prétendument été opérées par la requérante, avant de répéter que le plan de restructuration n'envisageait pas de telles réductions et que celles intervenues ultérieurement l'avaient été «de manière ponctuelle et non dans le cadre d'un plan de restructuration» (considérants 139 et 140).

113.
    Dans ce contexte, la Commission a pleinement tenu compte de ce que la requérante est située dans une région défavorisée. Il ressort, en effet, du considérant 141 de la décision litigieuse que, eu égard à cette circonstance, elle a expressément accepté de se montrer moins exigeante en ce qui concerne les réductions de capacités de production requises. Elle a, toutefois, dû se résoudre à conclure que, même en faisant preuve de souplesse, les aides en cause ne pouvaient bénéficier d'une dérogation dès lors que les autres conditions des lignes directrices n'étaient pas remplies.

114.
    Il convient de considérer que cette dernière conclusion n'est pas manifestement erronée. En effet, ainsi que souligné au point 3.2.3 des lignes directrices, le fait qu'une entreprise en difficulté soit située dans une région assistée ne justifie pas une approche totalement permissive et ces dernières précisent que «les distorsions de concurrence doivent être réduites au minimum, même dans le cas d'aides aux entreprises situées dans des régions assistées». De même, dans son arrêt du 15 mars 2001, Prayon-Rupel/Commission (T-73/98, Rec. p. II-867, point 71), le Tribunal a souligné que la possibilité, exceptionnelle, d'un assouplissement de l'exigence de réductions de capacités dans le cas d'un marché présentant une surcapacité structurelle ne remettait pas en cause l'«exigence première tenant à la présentation d'un plan de restructuration cohérent et réaliste permettant de rétablir la viabilité de l'entreprise». Dès lors, il ne saurait être fait grief à la Commission de refuser à une entreprise le bénéfice d'une dérogation basée sur les besoins de développement régional lorsque cette entreprise, à supposer qu'elle ait procédé à des réductions de capacité qui - en faisant preuve de souplesse - pourraient être jugées suffisantes, ne remplit pas une ou plusieurs des autres conditions posées par les lignes directrices.

115.
    Il y a lieu, en conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs et arguments invoqués à ce titre par la requérante et le royaume d'Espagne, de rejeter le troisième moyen comme non fondé.

Sur le quatrième moyen, concernant la conversion en capital d'une partie des dettes de la requérante

Arguments des parties

116.
    La requérante et le royaume d'Espagne soutiennent que la conversion en capital, à concurrence d'un montant de 4,680 milliards de ESP, d'une partie des dettes de l'entreprise envers l'IFA ne constitue pas une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. En réalisant cette opération, cet organisme public se serait, en effet, comporté comme un investisseur privé.

117.
    Ils font valoir, à cet égard, que ladite opération était prévue dans le plan de restructuration et conditionnait le retour à la viabilité de l'entreprise.

118.
    Ils précisent qu'elle avait principalement pour objectif de permettre à l'IFA de contrôler la requérante. Dans le cas contraire, en effet, la famille Molina aurait automatiquement acquis, le 31 décembre 1997, le contrôle d'une entreprise assainie et l'IFA serait redevenu un «simple créancier», dépourvu d'influence sur l'exécution du plan de restructuration, le recouvrement des créances et l'avenir de l'entreprise.

119.
    La requérante et le royaume d'Espagne soutiennent également que si l'IFA n'avait pas effectué cette recapitalisation, l'entreprise aurait dû, en application de l'article 260 de la Ley de Sociedades Anónimas (loi sur les sociétés anonymes), être mise en liquidation avec constat de faillite, ce qui n'aurait pas été l'option économiquement la plus avantageuse. En effet, cette dernière procédure, outre le fait qu'elle aurait été directement conduite par la famille Molina, aurait épuisé le patrimoine de l'entreprise et, par voie de conséquence, empêché la majorité des créanciers, dont l'IFA, de recouvrer les sommes qui leur étaient dues. Par ailleurs, la requérante soutient que l'opération de recapitalisation était plus avantageuse qu'une mise en liquidation. À cet égard, elle a fait observer, lors de l'audience, que le chiffre de 3,7 milliards de ESP mentionné dans la lettre des autorités espagnoles du 21 octobre 1998 ne concernait que ses actifs dans le secteur des produits carnés. En réalité, cette même lettre indiquerait que la valeur totale de ses actifs représentait 6,125 milliards de ESP, soit un montant supérieur à celui de la recapitalisation.

120.
    Enfin, le royaume d'Espagne avance que la conversion en capital des dettes de la requérante n'a entraîné aucun apport de fonds nouveaux dans celle-ci.

121.
    La Commission considère que l'opération de recapitalisation litigieuse constitue une aide d'État dès lors que, compte tenu des circonstances, aucun investisseur privé ne l'aurait effectuée.

122.
    Elle ajoute que, selon la jurisprudence, il suffit que la recapitalisation effectuée par des autorités publiques soit d'un montant supérieur à la valeur de liquidation des actifs de l'entreprise en cause pour qu'il puisse être conclu à l'existence d'une aide d'État. En réponse à une question écrite du Tribunal (voir point 17 ci-dessus), elle a précisé, à ce propos, renvoyant à la lettre des autorités espagnoles du 21 octobre 1998, que l'offre la plus ferme de rachat de la requérante évaluait l'actif de celle-ci à 3,7 milliards de ESP, soit un montant très inférieur à celui de la recapitalisation.

123.
    Par ailleurs, la Commission affirme que l'obligation imposée par la loi espagnole sur les sociétés anonymes de rétablir l'équilibre financier d'une entreprise dont le patrimoine s'est considérablement réduit à la suite de pertes s'applique uniquement dans l'hypothèse où il est prévu de maintenir l'entreprise en vie, la possibilité de la mettre en liquidation restant ouverte et pouvant s'avérer économiquement plus intéressante qu'une recapitalisation de grande envergure. Elle rappelle que les principaux créanciers de la requérante étaient des organismes publics et disposaient, de ce fait, de privilèges, voire même de garanties hypothécaires.

124.
    S'agissant de l'argument du royaume d'Espagne selon lequel la recapitalisation n'a entraîné aucun apport de capital nouveau, la Commission fait observer que, ainsi que cela est indiqué au considérant 88 de la décision litigieuse, cette opération n'a pas été prise en compte dans le calcul du montant total des aides d'État octroyées à la requérante afin d'éviter une double comptabilisation.

Appréciation du Tribunal

125.
    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'intervention des pouvoirs publics dans le capital d'une entreprise, sous quelque forme que ce soit, peut constituer une aide d'État (arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-305/89, Rec. p. I-1603, point 18).

126.
    En vue de déterminer si la conversion en capital d'une partie des dettes de la requérante envers l'IFA présente le caractère d'aide étatique, il est pertinent d'appliquer le critère, indiqué dans la décision litigieuse et d'ailleurs non contesté par la requérante et le royaume d'Espagne, de l'investisseur privé en économie de marché. Ainsi, il y a lieu d'apprécier si, dans des circonstances similaires, un investisseur privé d'une taille qui puisse être comparée à celle de l'investisseur public aurait pu être amené à réaliser une opération d'une telle importance. À cet égard, il a été précisé que, si le comportement de l'investisseur privé, auquel doit être comparée l'intervention de l'investisseur public poursuivant des objectifs de politique économique, n'est pas nécessairement celui de l'investisseur ordinaire plaçant des capitaux en vue de leur rentabilisation à plus ou moins court terme, il doit, au moins, être celui d'un holding privé ou d'un groupe privé d'entreprises poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle et être guidé par des perspectives de rentabilité à plus long terme (arrêt Italie/Commission, précité, point 20; arrêt de la Cour du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278/92 à C-280/92, Rec. p. I-4103, points 20 à 22; arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, BFM et EFIM/Commission, T-126/96 et T-127/96, Rec. p. II-3437, point 79, et du 12 décembre 2000, Alitalia/Commission, T-296/97, Rec. p. II-3871, point 96).

127.
    Il doit également être rappelé que l'appréciation, par la Commission, de la question de savoir si un investissement satisfait au critère de l'investisseur privé implique une appréciation économique complexe (arrêt de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56/93, Rec. p. I-723, points 10 et 11, et arrêt Alitalia/Commission, précité, point 105). Or, la Commission, lorsqu'elle adopte un acte impliquant une appréciation économique complexe, jouit d'un large pouvoir d'appréciation et le contrôle juridictionnel dudit acte sur ce point se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de l'obligation de motivation, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (arrêt du 29 février 1996, Belgique/Commission, précité, point 11). En particulier, il n'appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation économique à celle de la Commission (arrêts BFM et EFIM/Commission, précité, point 81, et Alitalia/Commission, précité, point 105).

128.
    C'est à la lumière de ces principes qu'il convient d'examiner les arguments avancés en l'espèce par les parties.

129.
    Dans la décision litigieuse, la Commission a jugé que l'opération de recapitalisation en cause ne satisfaisait pas au critère de l'investisseur privé en se fondant principalement sur deux considérations.

130.
    En premier lieu, elle a relevé qu'un investisseur privé n'aurait pas accepté de convertir en capital des dettes d'une entreprise à concurrence de 4,680 milliards de ESP dans le but d'acquérir 80 % de son capital social, lequel a été concomitamment réduit à 500 millions de ESP, alors que la situation financière de ladite entreprise, et notamment son volume d'endettement, étaient tels qu'un rendement normal des capitaux investis ne pouvait être escompté dans un délai raisonnable (considérants 58 et 60).

131.
    Cette considération ne saurait être qualifiée de manifestement erronée. En effet, ainsi qu'il ressort des données contenues au point 96 ci-dessus, pendant les années précédant immédiatement l'opération litigieuse, la requérante a subi des pertes continues et importantes par rapport à son chiffre d'affaires et connu un volume d'endettement très élevé. En outre, sa survie avait déjà exigé, à plusieurs reprises, que les autorités publiques lui octroient des aides.

132.
    En deuxième lieu, la Commission a souligné l'absence de plan de restructuration valable et fiable de nature à permettre le retour à la viabilité de la requérante (considérant 60). À cet égard, il suffit de constater, d'une part, que la requérante et le royaume d'Espagne n'ont pas démontré que cette affirmation était manifestement erronée (voir points 80 à 99 ci-dessus) et, d'autre part, qu'un investisseur privé envisageant de réaliser une recapitalisation d'une ampleur telle que celle de l'espèce exigerait effectivement un plan de restructuration complet et propre à rendre l'entreprise rentable (arrêt BFM et EFIM/Commission, précité, point 86).

133.
    Les arguments invoqués par la requérante et le royaume d'Espagne ne sauraient infirmer ces conclusions.

134.
    Ainsi, premièrement, à supposer même que la recapitalisation de la requérante par conversion d'une partie de ses dettes envers l'IFA puisse être considérée comme un élément essentiel du plan de restructuration, cette circonstance ne serait pas suffisante pour la satisfaction du critère de l'investisseur privé vu le caractère incomplet et non fiable de ce plan et l'absence, dans celui-ci, d'autres éléments prévoyant simultanément une réduction significative des coûts et des capacités de production de l'entreprise.

135.
    Deuxièmement, l'argument selon lequel cette opération avait pour objectif d'éviter que la famille Molina ne reprenne le contrôle de la requérante et que l'IFA ne redevienne un «simple créancier» sans influence sur l'exécution du plan de restructuration n'est guère convaincant. D'une part, ainsi que le fait remarquer à juste titre la Commission dans ses écritures, il est, dès le départ, hautement improbable qu'un investisseur privé aurait accepté d'acquérir la nue-propriété de l'ensemble des actions de la requérante afin de l'assainir, tout en étant tenu de la rétrocéder à ses anciens propriétaires à une date déterminée et moyennant une contrepartie purement symbolique. D'autre part, il est constant entre les parties que l'IFA était, du fait de sa qualité d'organisme public, un créancier privilégié. De ce fait, il disposait d'une certaine chance de récupérer à tout le moins une partie de ses créances en cas de liquidation de l'entreprise. En revanche, à la suite de l'opération de recapitalisation, l'IFA est devenu actionnaire principal de la requérante et s'est ainsi trouvé dans une position nettement moins favorable. Or, il est douteux qu'un opérateur privé détenant des créances privilégiées ait consenti à se placer dans une telle situation dans le but principal de pouvoir superviser la restructuration de son entreprise débitrice alors même que, au vu notamment des éléments exposés aux points 131 et 132 ci-dessus, le retour à la viabilité de celle-ci ne pouvait pas raisonnablement être escompté.

136.
    Troisièmement, l'argument de la requérante et du royaume d'Espagne selon lequel l'opération de recapitalisation était nécessaire pour éviter une mise en liquidation de la requérante n'est pas déterminant. Plus particulièrement, la requérante et le royaume d'Espagne ne démontrent pas que, en l'espèce, pareille liquidation n'aurait pas été la solution économiquement la plus avantageuse pour l'IFA. D'une part, en effet, ainsi qu'il a déjà été relevé au point 135 ci-dessus, les créances de cet organisme étaient privilégiées, de sorte qu'il en aurait vraisemblablement recouvré une partie en pareille hypothèse. La partie requérante et le royaume d'Espagne n'apportent d'ailleurs aucun élément un tant soit peu concret à l'appui de leur thèse selon laquelle une procédure de liquidation aurait épuisé le patrimoine de la requérante. D'autre part, rien ne permet de conclure que la famille Molina n'aurait pas été à même de conduire efficacement une telle procédure.

137.
    Il s'ensuit que le quatrième moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le cinquième moyen, concernant les remises de dettes octroyées à la requérante

Arguments des parties

138.
    La requérante et le royaume d'Espagne soutiennent que les remises de dettes octroyées par les organismes publics en mai 1997 ne constituent pas des aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

139.
    En premier lieu, ils relèvent que la loi espagnole du 26 juillet 1922 relative à la cessation de paiements institue une procédure de caractère général, applicable à toute entreprise en difficulté et visant à la protection des intérêts des créanciers tant privés que publics. La condition de spécificité constituant l'une des caractéristiques de la notion d'aides d'État ne serait donc pas remplie en l'espèce (arrêt de la Cour du 1er décembre 1998, Ecotrade, C-200/97, Rec. p. I-7907). Ils ajoutent que la procédure de cessation de paiements est de nature judiciaire et que le juge espagnol examine la conformité des mesures prises dans le cadre de cette procédure avec le droit espagnol applicable.

140.
    En deuxième lieu, la requérante prétend que ses créanciers privés ont, de par leurs remises de dettes, consenti un sacrifice significatif. Elle expose qu'ils étaient au nombre non de 386, mais de 400, que son endettement envers le secteur privé représentait plus que 4,4 % de son endettement total et que la Commission a négligé de tenir compte, dans son analyse, de créanciers privés très importants, dont certains détenaient des créances privilégiées. Le tableau figurant au considérant 43 de la décision litigieuse, qui ne reprend que huit créanciers privés, ne serait donc pas représentatif. Elle réaffirme également que le pourcentage moyen de remise des créanciers privés (59,58 %) était supérieur à celui des créanciers publics (50,75 %). Le royaume d'Espagne avance que les remises de dettes des organismes publics ne visaient pas à favoriser la requérante, mais à leur permettre de recouvrer la plus grande partie de leurs créances. Il souligne que les montants des remises de dettes ont été fixées selon une méthode acceptée par l'ensemble des créanciers et applicable indistinctement aux créanciers publics et privés. Par ailleurs, il fait grief à la Commission de ne pas avoir précisé, dans la décision litigieuse, que les garanties hypothécaires détenues par la Junta de Andalucía et la sécurité sociale ne couvraient qu'une partie de leurs créances et prétend avoir indiqué à la Commission que la Banco Atlántico avait consenti un prêt hypothécaire de premier rang à la requérante le 24 janvier 1994.

141.
    S'agissant, plus particulièrement, de l'IFA, la requérante et le royaume d'Espagne prétendent qu'il s'est comporté comme un investisseur privé en renonçant au remboursement de 99 % de sa créance. De la sorte, cet organisme aurait, en effet, revalorisé sa participation au capital de l'entreprise à concurrence de 80,6 % du montant de sa remise de dettes. La requérante ajoute que le plan de restructuration prévoyait la nécessité de mettre fin à la procédure de cessation de paiements et que l'IFA, en sa qualité d'actionnaire principal de l'entreprise, se devait donc de réduire les charges financières de celle-ci. Enfin, elle relève que, dans sa décision GEA, la Commission a autorisé des remises de dettes, par des organismes publics, représentant 78 % de leurs créances alors même qu'ils n'étaient pas actionnaires de l'entreprise concernée.

142.
    En ce qui concerne la sécurité sociale, la requérante fait remarquer que sa remise de dettes ne représentait que 53,41 % de sa créance, soit un pourcentage inférieur au pourcentage moyen de remise des créanciers privés et quasiment identique au pourcentage moyen de remise de l'ensemble des créanciers (53,24 %). Le royaume d'Espagne relève que si la sécurité sociale avait adhéré à l'accord de remises de dettes, sa remise aurait atteint 98,8 % de sa créance. Il précise que, pour ce qui est de ses créances hypothécaires, cet organisme public n'a accordé aucune remise. S'agissant de ses autres créances, simplement privilégiées, le pourcentage de sa remise (56 %) correspondrait au pourcentage moyen de remise des créanciers privilégiés. Par ailleurs, la Commission passerait sous silence le fait que la sécurité sociale avait exercé son droit d'abstention pour l'ensemble de ses créances et renforcé ses garanties hypothécaires. En outre, cet organisme public aurait subordonné la mise en oeuvre de sa convention individuelle avec la requérante à l'approbation préalable des créanciers parties à l'accord de remises de dettes. Enfin, la requérante et le royaume d'Espagne invoquent la décision 1999/88/CE de la Commission, du 14 juillet 1998, relative à l'aide d'État octroyée à Porcelanas del Norte SAL (Ponsal)/Comercial Europea de Porcelanas SAL (Comepor) (JO 1999, L 29, p. 28, ci-après la «décision Ponsal»).

143.
    En ce qui concerne le fisc, la requérante relève que sa créance n'était pas garantie par une hypothèque et que sa remise de dettes ne représentait que 36,49 % de ladite créance, soit un pourcentage largement inférieur au pourcentage moyen de remise des créanciers publics et privés. Le royaume d'Espagne relève que cet organisme public avait exercé son droit d'abstention et que, s'il avait adhéré à l'accord de remises de dettes, sa remise aurait correspondu à 98,8 % de sa créance. La requérante et le royaume d'Espagne ajoutent que le fisc avait subordonné la mise en oeuvre de sa convention individuelle avec la requérante à l'approbation préalable des créanciers parties à l'accord de remises de dettes. Enfin, la requérante invoque la décision GEA.

144.
    S'agissant de la remise de dettes accordée par la Confederación Hidrográfica del Guadalquivir, la requérante expose qu'elle ne représentait que 45,84 % de sa créance, soit un pourcentage inférieur au pourcentage moyen de remise des créanciers publics et privés.

145.
    Enfin, en ce qui concerne l'Ayuntamiento de Jaén et la Junta de Andalucía, elle indique que leurs créances ne représentaient que 5 % du montant total des créances publiques et qu'ils ne disposaient pas de garanties hypothécaires. La requérante et le royaume d'Espagne prétendent que ces organismes ont renoncé à exercer leur droit d'abstention et adhéré à l'accord de remises de dettes en vue de recouvrer la plus grande part possible de leurs créances. Une telle attitude aurait été acceptée par la Commission dans sa décision 97/21/CE, CECA, du 30 juillet 1996, concernant une aide d'État accordée à la Compañía Española de Tubos por Extrusión SA, située à Llodio (Álava) (JO 1997, L 8, p. 14).

146.
    La Commission rétorque que les remises de dettes accordées par les créanciers publics ne répondent pas au critère de l'investisseur privé et constituent, dès lors, une aide d'État.

147.
    Elle fait remarquer, tout d'abord, qu'elle n'a jamais contesté que ces remises de dettes étaient conformes à la législation espagnole en matière de cessation de paiements et qu'elle s'est bornée à analyser le comportement des créanciers publics par rapport à celui des créanciers privés. Elle soutient que le juge espagnol compétent et les créanciers privés ne se seraient de toute évidence pas opposés à la décision de l'État, principal créancier, d'assumer volontairement un sacrifice beaucoup plus important que les créanciers privés.

148.
    La Commission ajoute que le fait qu'une procédure de faillite soit de nature générale n'exclut pas qu'une mesure prise dans le cadre de cette procédure par les autorités publiques puisse comporter des éléments d'aide d'État (conclusions de l'avocat général M. Fennelly sous l'arrêt Ecotrade, précité, Rec. p. I-7910, points 31 et 32).

149.
    Ensuite, se référant à sa communication concernant les apports en capital réalisés par l'État (Bulletin des Communautés européennes 9-1984), elle relève qu'une prise de participation publique dans une entreprise intervenant concomitamment à une prise de participation privée ne constitue pas une aide d'État lorsque la part détenue par l'investisseur privé a une signification économique réelle. Raisonnant par analogie, elle estime que «pour que la renonciation à des créances publiques soit conforme au critère de l'investisseur privé, il faut que la renonciation concomitante de la part des créanciers privés soit significative et réelle». En l'espèce, cette condition ne serait pas remplie dès lors que l'endettement de la requérante envers le secteur privé ne représentait que 4,4 % de son endettement total et que le pourcentage moyen de remise des créanciers privés était très inférieur à celui des créanciers publics. La Commission fait également observer que les créanciers publics bénéficient d'une «certaine priorité dans les procédures de liquidation» et que les créances, très importantes, de la sécurité sociale étaient garanties par une hypothèque. S'agissant de l'argument que le royaume d'Espagne tire de la méthode utilisée pour fixer le montant des remises de dettes (voir point 140 ci-dessus), elle considère qu'il est dépourvu de pertinence.

150.
    Pour ce qui est de l'IFA, la Commission doute que, eu égard au niveau d'endettement élevé de la requérante, les actions de cet organisme aient pu se revaloriser dans les proportions avancées par la requérante et le royaume d'Espagne. Elle fait observer que ceux-ci n'ont, en tout état de cause, pas fourni d'analyse chiffrée à l'appui de leur thèse. Elle rappelle que l'opération de recapitalisation de l'entreprise n'a pas non plus été réalisée selon le critère de l'investisseur privé. Enfin, elle conteste la pertinence de la référence à sa décision GEA.

151.
    S'agissant de la sécurité sociale, la Commission prétend que les autorités espagnoles ne l'avaient pas informée du renforcement des garanties hypothécaires de cet organisme. Elle précise que, dans leurs observations du 19 décembre 1997, ces autorités avaient indiqué que la sécurité sociale avait accordé une remise de dettes de 98,75 % pour ce qui est de ses créances simplement privilégiées et procédé à l'«amortissement» du remboursement de ses créances hypothécaires. Par ailleurs, elle fait observer que, dans l'affaire ayant donné lieu à sa décision Ponsal, les autorités espagnoles avaient démontré, chiffres à l'appui, que, de toutes les modalités de liquidation prévues par la législation espagnole, celle qui avait été choisie était la seule qui permettait aux créanciers publics de recouvrer au moins un quart du montant de leurs créances. Or, en l'espèce, aucune analyse chiffrée de cette nature ne lui aurait été présentée.

152.
    En ce qui concerne la remise de dettes accordée par le fisc, la Commission reconnaît qu'elle était proportionnellement moins élevée que celle des autres organismes publics, mais estime qu'il y a lieu de tenir compte du «contexte du volume total des créances publiques» (voir point 155 ci-après). Elle réaffirme, au surplus, que la référence à la décision GEA n'est pas pertinente en l'espèce.

153.
    S'agissant de la Confederación Hidrográfica del Guadalquivir, la Commission fait remarquer que cet organisme était un créancier privilégié et que sa remise de dettes était équivalente, mais pas inférieure, à celle des créanciers privés qui avaient des créances non privilégiées d'un montant similaire.

154.
    En ce qui concerne l'Ayuntamiento de Jaén et la Junta de Andalucía, elle souligne que ces deux organismes ont accordé des remises de dettes largement supérieures à celles des créanciers privés. Elle ajoute que la Junta de Andalucía disposait d'une garantie hypothécaire pour un montant de 21 millions de ESP.

155.
    Enfin, la Commission souligne que les remises de dettes des différents organismes publics doivent être examinées non de manière individuelle, mais globalement, «au regard du volume total des créances des créanciers publics par rapport aux créanciers privés et du sacrifice consenti par les uns et les autres moyennant leur renonciation respective». À cet égard, elle précise notamment que le pourcentage moyen de remise des créanciers publics, en incluant l'IFA, était de 72,62 %, alors que celui des créanciers privés n'était que de 59,58 %.

Appréciation du Tribunal

156.
    Il convient, tout d'abord, de rappeler que la spécificité d'une mesure étatique, à savoir son caractère sélectif, constitue l'une des caractéristiques de la notion d'aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. À ce titre, il importe de vérifier si la mesure en question entraîne ou non des avantages au bénéfice exclusif de certaines entreprises ou de certains secteurs d'activité (arrêt de la Cour du 26 septembre 1996, France/Commission, C-241/94, Rec. p. I-4551, point 24, arrêt Ecotrade, précité, points 40 et 41, et arrêt du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T-55/99, Rec. p. II-3207, point 39).

157.
    En l'espèce, l'argument que la requérante et le royaume d'Espagne tirent du fait que la loi espagnole du 26 juillet 1922 relative à la cessation de paiements institue une procédure de caractère général, applicable à toute entreprise en difficulté, doit être écarté. S'il est vrai que cette loi n'a pas vocation à s'appliquer de manière sélective en faveur de certaines catégories d'entreprises ou de secteurs d'activité, il y a lieu de constater, toutefois, que les remises de dettes condamnées par la Commission ne découlent pas automatiquement de l'application de ladite loi mais du choix discrétionnaire des organismes publics en cause. Or, il est de jurisprudence que, lorsque l'organisme qui octroie des avantages financiers dispose d'un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de déterminer les bénéficiaires ou les conditions de la mesure accordée, celle-ci ne saurait être considérée comme présentant un caractère général (arrêt de la Cour du 29 juin 1999, DM Transport, C-256/97, Rec. p. I-3913, point 27).

158.
    L'argument tiré de ce que les remises de dettes litigieuses ont été octroyées dans le cadre d'une procédure judiciaire et en conformité avec le droit espagnol applicable ne saurait davantage être accueilli. En effet, selon une jurisprudence constante, l'article 92, paragraphe 1, du traité ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (arrêt de la Cour du 12 octobre 2000, Espagne/Commission, C-480/98, Rec. p. I-8717, point 16, et arrêt CETM/Commission, précité, point 53).

159.
    Ensuite, il doit être rappelé que la notion d'aide d'État, telle qu'elle est définie dans le traité, présente un caractère juridique et doit être interprétée sur la base d'éléments objectifs. Pour cette raison, le juge communautaire doit, en principe et compte tenu tant des éléments concrets du litige qui lui est soumis que du caractère technique ou complexe des appréciations portées par la Commission, exercer un entier contrôle en ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité (arrêt de la Cour du 16 mai 2000, France/Ladbroke Racing et Commission, C-83/98 P, Rec. p. I-3271, point 25).

160.
    Dans la décision litigieuse, pour apprécier si les remises de dettes constituent des aides d'État, la Commission a appliqué le critère de l'investisseur privé, en distinguant la situation de l'IFA de celle des autres organismes publics en cause.

161.
    S'agissant de la remise de dettes de l'IFA, elle a, tout d'abord, estimé qu'elle ne pouvait se justifier «par la qualité d'actionnaire de [la requérante] qu'aurait [cet organisme]» (considérant 64 de la décision litigieuse). Elle a, ensuite, exposé que «le comportement de l'État en tant que propriétaire actionnaire doit être distingué de son comportement comme puissance publique» et que «les entreprises privées et leurs actionnaires privés n'ont pas la possibilité d'annuler leurs dettes envers l'État», avant d'en conclure que l'«annulation desdites dettes» n'était pas conforme au critère de l'investisseur privé (considérant 64 de la décision litigieuse).

162.
    Les constatations de la Commission visées au point précédent sont dépourvues d'effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante. En effet, ainsi qu'il est indiqué aux considérants 64, 90 et 97 de la décision litigieuse, le montant de la remise de dettes de l'IFA n'a pas été pris en compte pour le calcul du montant total des aides octroyées à la requérante, et ce afin d'éviter une double comptabilisation. Cette remise se rapportait, en effet, aux prêts et garanties octroyés par l'IFA en 1993 et en 1994, lesquels étaient déjà inclus dans ledit calcul. Ainsi, la remise de dettes de l'IFA n'est couverte par aucun article du dispositif de la décision litigieuse. Dès lors, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le bien-fondé des constatations susvisées.

163.
    Pour ce qui est des autres organismes publics, la Commission a fondé son appréciation sur le postulat selon lequel «pour que la renonciation à des créances publiques soit conforme au critère de l'investisseur privé [...], il faut que la renonciation concomitante de la part des créanciers privés soit significative et réelle» [considérant 65, sous c), de la décision litigieuse; voir point 149 ci-dessus].

164.
    Elle a, en substance, comparé le montant total des créances publiques à celui des créances privées, le pourcentage moyen de remise de dettes des créanciers publics à celui des créanciers privés ainsi que les privilèges et hypothèques détenus par les créanciers publics à ceux détenus par les créanciers privés [considérants 65 et 66 de la décision litigieuse; voir points 149, 152 et 155 ci-dessus]. Elle a ainsi constaté que «l'endettement de [la requérante] envers le secteur privé ne représentait que 4,4 % de son endettement total» [considérants 65, sous a), et 66, premier alinéa, sous a), de la décision litigieuse], que les créanciers publics avaient octroyé des remises de dettes proportionnellement plus importantes que les créanciers privés [considérant 66, premier alinéa, sous b), de la décision litigieuse, et point 155 ci-dessus] et que, en règle générale, les créanciers publics, à la différence des créanciers privés, étaient «assurés ou en tout état de cause privilégiés» voire, s'agissant de la sécurité sociale, détenaient une hypothèque [considérants 65, sous b), 66, premier alinéa, sous c) et d), et 66, deuxième alinéa, de la décision litigieuse]. La Commission a conclu de ces différents éléments que «le sacrifice de la part des créanciers publics [était] très substantiel, tandis que celui des créanciers privés [était] négligeable, voire inexistant» (considérant 66, deuxième alinéa, de la décision litigieuse) et que, par voie de conséquence, les remises de dettes des organismes publics ne répondaient pas au critère de l'investisseur privé.

165.
    La méthode ainsi appliquée par la Commission dans la décision litigieuse est inadéquate et ne saurait, dès lors, être acceptée.

166.
    En premier lieu, la part que représentent les créances des organismes publics dans le montant total des dettes d'une entreprise en difficulté ne saurait constituer, en soi, un facteur déterminant pour apprécier si les remises de dettes accordées par ces organismes à cette entreprise comportent des éléments d'aide d'État. En effet, la prise en compte de ce facteur, d'une manière aussi décisive que la Commission l'a fait en l'espèce, aboutirait à restreindre de manière injustifiée les possibilités d'aménagement de la dette d'une entreprise en difficulté lorsque le montant total des créances publiques est supérieur à celui des créances privées. Inversement, dans un cas où le montant total des créances privées excède celui des créances publiques, une mesure d'aménagement de la dette prise par un organisme public ne pourrait que difficilement être considérée comme une aide d'État.

167.
    En deuxième lieu et en tout état de cause, il convient de considérer que, en octroyant les remises de dettes litigieuses, les organismes publics en cause n'avaient pas à se comporter comme des investisseurs publics dont l'intervention devrait être comparée, selon une jurisprudence constante (arrêt DM Transport, précité, point 24), au comportement d'un investisseur privé poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle, et guidé par des perspectives de rentabilité à long terme des capitaux investis. Ces organismes doivent, en réalité, être comparés à un créancier privé cherchant à obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues par un débiteur connaissant des difficultés financières (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 avril 1999, Espagne/Commission, C-342/96, Rec. p. I-2459, point 46, et arrêt DM Transport, précité, point 24).

168.
    Lorsqu'une entreprise confrontée à une détérioration importante de sa situation financière propose un accord, ou une série d'accords, d'aménagement de sa dette à ses créanciers en vue de redresser sa situation et d'éviter sa mise en liquidation, chaque créancier est amené à devoir faire un choix au regard du montant qui lui est offert dans le cadre de l'accord proposé, d'une part, et du montant qu'il estime pouvoir récupérer à l'issue de la liquidation éventuelle de l'entreprise, d'autre part. Son choix est influencé par une série de facteurs, tels que sa qualité de créancier hypothécaire, privilégié ou ordinaire, la nature et l'étendue des sûretés éventuelles qu'il détient, son appréciation des chances de redressement de l'entreprise ainsi que le bénéfice qui lui reviendrait en cas de liquidation. S'il s'avérait, par exemple, que, dans l'hypothèse de la liquidation d'une entreprise, la valeur de réalisation des actifs de celle-ci ne permettait de rembourser que les créances hypothécaires et privilégiées, les créances ordinaires n'auraient aucune valeur. Dans une telle situation, le fait pour un créancier ordinaire d'accepter de renoncer au remboursement d'une partie importante de sa créance ne constituerait pas un sacrifice réel.

169.
    Il s'ensuit notamment que, à défaut de connaître les facteurs déterminant les valeurs respectives des choix offerts aux créanciers, le simple fait qu'il existe une disproportion apparente entre les montants auxquels les différentes catégories de créanciers ont renoncé ne permet pas à lui seul de tirer de conclusions quant à la motivation qui a conduit ceux-ci à accepter les remises de dettes proposées.

170.
    En l'espèce, il incombait, par conséquent, à la Commission de déterminer, pour chacun des organismes publics en cause, et en tenant compte notamment des facteurs précités, si la remise de dettes qu'il a octroyée était manifestement plus importante que celle qu'aurait accordée un créancier privé hypothétique se trouvant, à l'égard de la requérante, dans une situation comparable à celle de l'organisme public concerné et cherchant à récupérer des sommes qui lui sont dues (arrêt DM Transport, précité, point 25).

171.
    Or, force est de constater que la Commission n'a pas procédé à une telle analyse. Elle s'est contentée, pour l'essentiel, d'évaluer la situation globale des créanciers publics par rapport à celle des créanciers privés, en tirant des conclusions décisives d'une simple comparaison entre le montant total des créances publiques et celui des créances privées et entre le pourcentage moyen de remise des créanciers publics et celui des créanciers privés ainsi que de la constatation que les créanciers publics, à la différence de la majorité des créanciers privés, détenaient des privilèges, voire des hypothèques. Bien qu'une disproportion apparente entre les remises de dettes respectives des créanciers publics et privés puisse constituer un indice de l'existence d'une éventuelle aide d'État, cet élément, en lui-même, ne dispense pas la Commission de son obligation d'examiner si, au vu des circonstances de l'espèce, les remises consenties par les créanciers publics vont au-delà de ce qui est justifié par des exigences commerciales, de sorte qu'elles ne peuvent s'expliquer que par la volonté d'octroyer un avantage à l'entreprise concernée.

172.
    À titre d'exemple, la situation de la sécurité sociale illustre que l'approche aussi peu nuancée adoptée par la Commission dans la décision litigieuse ne saurait être acceptée. Il ressort du considérant 43 de cette décision que cet organisme détenait des garanties hypothécaires pour un montant de 630 millions de ESP, que le montant total de sa créance représentait environ 1,479 milliard de ESP et que la remise qu'il a accordée s'élevait à 789,938 millions de ESP. Il ressort, par ailleurs, du dossier que la sécurité sociale était un créancier privilégié pour ce qui est de ce dernier montant. En d'autres termes, le remboursement auquel elle a renoncé ne concernait que ses créances non hypothécaires. La question de savoir si un créancier privé aurait octroyé une remise sur ces créances non hypothécaires dépend essentiellement de celle de savoir si une mise en liquidation de l'entreprise concernée lui aurait permis de récupérer une partie plus importante desdites créances. En d'autres termes, le caractère réel du sacrifice auquel la sécurité sociale a consenti en l'espèce est fonction de la mesure dans laquelle les créanciers privilégiés auraient été remboursés en cas de liquidation de l'entreprise.

173.
    Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres arguments soulevés par les parties, le cinquième moyen doit être déclaré fondé. Il s'ensuit que les articles 1er et 3 de la décision litigieuse doivent être annulés en ce qu'ils visent les aides d'État accordées sous la forme d'annulation de dettes par des organismes d'État.

Sur le sixième moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation des faits dans l'analyse générale des différentes mesures

Arguments des parties

174.
    La requérante, se référant aux arguments qu'elle formule au soutien de ses cinq premiers moyens, prétend que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation, viciant la décision litigieuse dans son ensemble, en considérant que les prêts et garanties octroyés en 1993 et en 1994 ne relèvent pas de régimes généraux d'aides préalablement autorisés et en ne les distinguant pas des aides accordées à partir de mai 1995, en ne considérant pas les aides octroyées entre mai et décembre 1995 comme des aides au sauvetage au sens des lignes directrices, en déclarant que le plan de restructuration prévoyait une augmentation de ses capacités de production, en déclarant incompatibles avec le marché commun les remises de dettes accordées par les organismes publics, en procédant à une interprétation tendancieuse de ses résultats financiers et de l'intérêt manifesté par des tiers pour son rachat, en analysant erronément le contenu et les effets du plan de restructuration et en ne tenant pas compte des particularités de la province de Jaén.

175.
    Le royaume d'Espagne expose, pour sa part, que la décision litigieuse se fonde sur une série d'éléments inexacts et incomplets.

176.
    En premier lieu, au considérant 15 de la décision litigieuse, la Commission établirait erronément un lien de cause à effet entre l'ouverture de la procédure administrative par la Commission et les remises de dettes accordées par les organismes publics.

177.
    En second lieu, au considérant 18, sous a), de la décision litigieuse, la Commission omettrait d'indiquer que la production de la requérante ne représentait que 2,4 % de la production des 50 premières entreprises nationales et 0,7 % de la production nationale.

178.
    En troisième lieu, au considérant 19 de la décision litigieuse, la Commission laisserait erronément entendre que, le 31 décembre 1997, la famille Molina aurait récupéré de plein droit et sans contrepartie la pleine propriété des actions de la requérante.

179.
    En quatrième lieu, la Commission méconnaîtrait le fait que le taux d'intérêt des prêts octroyés le 24 octobre 1995 avait été modifié avec effet rétroactif.

180.
    En cinquième lieu, la Commission ne préciserait pas, au considérant 27 de la décision litigieuse, que les chiffres de production de la requérante en 1995 étaient ceux concernant une période de crise profonde.

181.
    En sixième lieu, la Commission laisserait entendre, aux considérants 28 à 32 de la décision litigieuse, que les apports de fonds ont été réalisés par le biais d'une injection permanente de ressources financières, dans le désordre et au mépris de toute logique, alors qu'ils constituaient une stricte application du plan de restructuration.

182.
    En septième lieu, le tableau figurant au considérant 33 de la décision litigieuse n'exposerait pas les données relatives aux quatre premiers mois de l'année 1997, alors qu'elles traduiraient un redressement de l'entreprise.

183.
    En huitième lieu, le considérant 34 de la décision litigieuse contiendrait des jugements de valeur sur les prévisions du plan de restructuration.

184.
    En neuvième lieu, le considérant 35 de la décision litigieuse omettrait de mentionner certaines données importantes concernant la situation des différentes unités de production de la requérante au 31 décembre 1996.

185.
    En dixième lieu, au considérant 37 de la décision litigieuse, la Commission ne ferait pas la moindre allusion aux «efforts [...] déployés [par les autorités espagnoles] pour faire valoir qu'il n'existait pas de surcapacité structurelle de la production sur le marché sur lequel [la requérante] exerçait ses activités, et que l'effet sur les échanges intracommunautaires était inexistant».

186.
    En onzième lieu, au considérant 46 de la décision litigieuse, la Commission ne préciserait pas que l'unité de production d'aliments pour animaux ne produisait que 20 000 tonnes par an ni que les autorités espagnoles avaient invoqué la décision 94/173.

187.
    En douzième lieu, au considérant 48 de la décision litigieuse, la Commission ne rendrait pas compte de la teneur exacte de la lettre du 16 mars 1998 des autorités espagnoles. En outre, il n'y serait pas fait mention des réunions informelles intervenues entre la Commission et les autorités espagnoles ni de la lettre du 2 juillet 1998 dans laquelle ces dernières font part de l'intérêt manifesté par certaines entreprises pour le rachat de la requérante.

188.
    En treizième lieu, au considérant 50 de la décision litigieuse, la Commission passerait sous silence les données contenues dans la lettre du 21 octobre 1998 des autorités espagnoles et démontrant la bonne situation de l'entreprise. En outre, elle ne ferait état que des conditions de l'offre présentée par un des acheteurs potentiels, sans préciser que la procédure de vente avait été engagée dans le respect des règles de publicité et de concurrence ni que les autorités espagnoles avaient coordonné leur action avec ses services.

189.
    La Commission estime que le sixième moyen doit être rejeté comme non fondé.

Appréciation du Tribunal

190.
    Il y a lieu de constater que, dans le cadre d'un moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation des faits, la requérante et le royaume d'Espagne invoquent une série d'arguments purement ponctuels qui soit ont déjà été examinés dans le présent arrêt, soit sont dépourvus de toute pertinence.

191.
    Ainsi, s'agissant des différents griefs soulevés par la requérante (point 174 ci-dessus), ceux-ci ont déjà été rejetés comme non fondés dans le cadre des cinq premiers moyens.

192.
    Pour ce qui est des griefs avancés par le royaume d'Espagne (points 176 à 188 ci-dessus), les premier, deuxième, septième, douzième et treizième sont non pertinents ou non fondés en fait. Les autres griefs ont déjà été rejetés comme non fondés dans le cadre de l'examen des cinq premiers moyens.

193.
    Il s'ensuit que le sixième moyen ne saurait être accueilli.

Sur le septième moyen, tiré de la violation de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité

Arguments des parties

194.
    La requérante relève que tant le paragraphe 3, sous a), que le paragraphe 3, sous c), de l'article 92 du traité permettent à la Commission de déclarer compatibles avec le marché commun des aides destinées à favoriser le développement de régions défavorisées. Elle expose que la province de Jaén se trouve dans une région ayant une faible densité démographique, dans laquelle le niveau de vie est extrêmement bas et où sévit un très grave sous-emploi. La cessation des activités de l'entreprise aurait entraîné, dans cette province, la ruine du secteur industriel et une réduction très importante de la capacité de création de richesses.

195.
    Elle fait grief à la Commission d'avoir exclu la possibilité de lui appliquer la dérogation prévue sous a) sans fournir d'autre justification que le fait qu'«il s'agit d'une aide à caractère éminemment sectoriel» (considérant 104 de la décision litigieuse). L'utilisation du terme «éminemment» n'exclurait, en effet, pas que l'aide puisse également revêtir un caractère régional.

196.
    La requérante ajoute que les aides accordées en vertu de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité doivent contribuer au développement à long terme de la région. Elle fait remarquer que, selon la pratique décisionnelle de la Commission, cela suppose le rétablissement de la rentabilité de l'entreprise concernée, lequel serait incontestable en l'espèce.

197.
    Le royaume d'Espagne soutient que la circonstance selon laquelle la province de Jaén connaissait un taux de chômage particulièrement élevé suffit pour que les aides concernées soient autorisées au titre de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité. Il souligne que l'octroi des aides à la requérante avait pour seul objectif d'éviter la disparition de 500 emplois dans une région extrêmement défavorisée. Il estime que la Commission, en excluant l'application de la disposition susvisée au motif que «les aides en question n'ont pas été conçues comme des aides régionales en faveur de la réalisation de nouveaux investissements ou de la création d'emplois, voire pour surmonter des handicaps d'infrastructure de manière horizontale pour l'ensemble des entreprises de la région», n'a pas fait preuve d'un raisonnement cohérent et suffisamment motivé. En effet, dans son arrêt du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, précité, la Cour aurait déclaré que le fait que des aides aient été consenties sur la base de décisions ad hoc ne saurait exclure leur qualification d'aides régionales.

198.
    La Commission, renvoyant aux arguments qu'elle a développés dans le cadre du troisième moyen (voir point 76 ci-dessus), estime que le septième moyen doit être rejeté comme non fondé.

Appréciation du Tribunal

199.
    Aux termes de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun «les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi».

200.
    Ainsi qu'il a déjà été exposé au point 48 ci-dessus, la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans le domaine de l'article 92, paragraphe 3, du traité et le contrôle du juge communautaire doit, à cet égard, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de l'obligation de motivation, de l'exactitude matérielle des faits ainsi que de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir.

201.
    La Commission a informé à plusieurs reprises les États membres et les autres intéressés des critères qu'elle entendait suivre pour examiner la compatibilité des aides d'État à finalité régionale avec le marché commun en application de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité. Ces critères ont été rassemblés et explicités dans ses lignes directrices concernant les aides d'État à finalité régionale, publiées en 1998 (JO C 74, p. 9).

202.
    Il est indiqué dans ces lignes directrices que les aides régionales «se distinguent des autres catégories d'aides publiques (aides à la recherche et au développement, à l'environnement ou aux entreprises en difficulté, notamment) par le fait qu'elles sont réservées à certaines régions particulières et ont pour objectif spécifique le développement de ces régions». Elles prévoient également que les «aides régionales ont pour objectif le développement des régions défavorisées en favorisant les investissements et la création d'emplois dans le contexte du développement soutenable».

203.
    Par ailleurs, les lignes directrices concernant les aides d'État à finalité régionale précisent:

«Une aide individuelle ad hoc accordée à une seule entreprise ou des aides limitées à un seul secteur d'activité peuvent avoir un effet important sur la concurrence dans le marché concerné, tandis que leurs effets sur le développement régional risquent d'être trop limités. De telles aides s'inscrivent généralement dans le cadre de politiques industrielles ponctuelles ou sectorielles et s'écartent souvent de l'esprit de la politique des aides régionales en tant que telle. Cette dernière doit, en effet, rester neutre à l'égard de l'allocation des ressources productives entre les différents secteurs et activités économiques. La Commission considère que, jusqu'à preuve du contraire, ces aides ne remplissent pas les conditions mentionnées au paragraphe précédent.

Par conséquent, les dérogations dont il est question ne seront en principe accordées qu'en faveur de régimes d'aides plurisectoriels et ouverts, dans une région donnée, à l'ensemble des entreprises des secteurs concernés.»

204.
    Enfin, il est indiqué dans la note n° 10 des mêmes lignes directrices que, «[en] ce qui concerne les aides ad hoc en faveur d'entreprises en difficulté, ces aides sont régies par des règles spécifiques et ne sont pas conçues comme des aides régionales en tant que telles».

205.
    Dans la décision litigieuse, la Commission a déclaré inapplicable la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité après avoir constaté que «les aides en question n'ont pas été conçues comme des aides régionales en faveur de la réalisation de nouveaux investissements ou de la création d'emplois, voire pour surmonter des handicaps d'infrastructure de manière horizontale pour l'ensemble des entreprises de la région, mais comme des aides pour le sauvetage et la restructuration d'une entreprise concrète» et que, «[par] conséquent, il s'agit d'une aide à caractère éminemment sectoriel, qui doit être appréciée au regard de l'article 92, paragraphe 3, [sous] c), du traité, ce qui n'implique pas la prise en compte dans ce cadre d'aspects régionaux» (considérant 104).

206.
    Ces constatations sont conformes aux principes des lignes directrices concernant les aides d'État à finalité régionale rappelés ci-dessus et reposent sur un raisonnement suffisamment motivé et cohérent.

207.
    Elles sont, en outre, fondées en fait, dès lors qu'il ressort de l'examen des cinq premiers moyens que, à l'exception des remises de dettes accordées par les organismes publics, c'est à bon droit que la Commission a considéré les aides litigieuses comme des aides ponctuelles destinées uniquement à permettre à l'entreprise de se maintenir en activité.

208.
    Par ailleurs, il importe de rappeler que, conformément au point 3.2.3 des lignes directrices relatives au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté (point 109 ci-dessus), la Commission a pleinement tenu compte du fait que la requérante était située dans une région défavorisée lors de son appréciation des prétendues aides à la restructuration (points 110 à 114 ci-dessus).

209.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en considérant que les aides litigieuses ne pouvaient bénéficier de la dérogation contenue à l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité. Par conséquent, le moyen tiré de la prétendue méconnaissance de cette disposition doit être rejeté.

Sur le huitième moyen, tiré de l'absence d'effet sur les échanges entre États membres et d'un défaut de motivation sur ce point

Arguments des parties

210.
    La requérante et le royaume d'Espagne prétendent que la Commission n'a pas établi que les aides litigieuses étaient de nature à affecter les échanges intracommunautaires. Ils dénoncent, en outre, un défaut de motivation de la décision litigieuse sur ce point.

211.
    La requérante relève que l'entreprise ne détenait que 0,8 % du marché espagnol des produits carnés et que ses exportations dans la Communauté étaient insignifiantes. Elle réaffirme que, en exécution du plan de restructuration, elle a arrêté une série de mesures de réduction de ses capacités de production afin de s'assurer que les aides n'altèrent qu'au minimum les conditions des échanges intracommunautaires.

212.
    Le royaume d'Espagne fait également valoir que la Commission s'est limitée à examiner le volume des importations et des exportations pour les produits faisant l'objet des activités de la requérante. Il prétend que si elle avait tenu compte de la position de l'entreprise sur les différents marchés dans lesquels elle opérait et du fait qu'elle n'exportait pas dans la Communauté, elle n'aurait pu que conclure à l'inapplicabilité de l'article 92 du traité.

213.
    Il formule, en outre, les griefs suivants:

-    dans le tableau figurant au considérant 67 de la décision litigieuse, la Commission se serait bornée à reprendre des déclarations des autorités espagnoles relatives à des importations et exportations de certains produits en 1997 et tairait le fait que ces échanges ont été effectués avec des pays tiers;

-    la Commission n'expliquerait pas son choix de l'année 1997 comme année de référence.

214.
    Par ailleurs, le royaume d'Espagne expose qu'il ressort d'une analyse de la jurisprudence que la simple allusion au fait que l'État membre concerné importe et exporte le produit en cause ne suffit pas pour considérer que les échanges intracommunautaires sont affectés. La Commission aurait dû donner des indications, notamment, sur la situation du marché concerné, les parts de marché nationale et communautaire de la requérante et sur les courants d'échanges des produits et services en cause entre les États membres (arrêts de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, Rec. p. 3809, du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, Rec. p. 809, du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310/85, Rec. p. 901, du 7 juin 1988, Grèce/Commission, 57/86, Rec. p. 2855, du 13 juillet 1988, France/Commission, 102/87, Rec. p. 4067, du 14 février 1990, France/Commission, C-301/87, Rec. p. I-307, et du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, précité; arrêt du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T-214/95, Rec. p. II-717).

215.
    La Commission estime avoir satisfait aux exigences de motivation posées par la jurisprudence.

216.
    Elle relève que la décision litigieuse contient des données statistiques sur les échanges entre l'Espagne et les autres États membres pour les produits relevant des activités de la requérante. Elle ajoute que, selon la jurisprudence, ni la faiblesse de la part de marché de l'entreprise bénéficiaire ni le fait que celle-ci ne participe pas aux exportations n'excluent une éventuelle répercussion de ces aides sur les échanges entre États membres (arrêt du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, précité, point 40). La Commission précise que l'année 1997 a été choisie parce que c'était la dernière année pour laquelle des données complètes étaient disponibles et que, en tout état de cause, les données relatives aux années précédentes étaient analogues. Enfin, elle fait observer qu'elle a également analysé, dans la décision litigieuse, le fait qu'il y avait surcapacité structurelle dans certains des secteurs dans lesquels la requérante opérait.

217.
    Dans sa duplique, se référant à l'arrêt Vlaams Gewest/Commission, précité, la Commission ajoute d'une part, qu'il ne lui incombait pas de procéder à une analyse économique chiffrée extrêmement détaillée, dès lors qu'elle avait exposé en quoi l'affectation des échanges entre États membres était manifeste et, d'autre part, que, lorsque, comme en l'espèce, les aides ne lui ont pas été notifiées, elle n'est pas tenue de démontrer les effets réels de ces aides sur la concurrence et sur les échanges intracommunautaires.

Appréciation du Tribunal

218.
    Au considérant 67 de la décision litigieuse, la Commission souligne, tout d'abord, que «les aides en cause faussent ou menacent de fausser la concurrence» et qu'elles «favorisent manifestement [la requérante] par rapport aux autres entreprises du secteur qui n'ont pas bénéficié d'aides d'État». Au même considérant, elle indique, ensuite, que, «en prenant en considération, d'une part, la valeur des échanges des produits sur lesquels [la requérante] se concentre en 1997 et, d'autre part, la production espagnole par rapport à la production des autres États membres, il apparaît que ces aides sont susceptibles d'affecter les échanges entre États membres dans la mesure où elles favorisent la production nationale au détriment de la production des autres États membres». À l'appui de ces dernières constatations, elle fournit un tableau indiquant, pour chacun des secteurs dans lesquels la requérante opère et pour l'année 1997, le volume et la valeur des importations et exportations entre l'Espagne et les autres États membres.

219.
    Il est incontestable que, dans chacun des secteurs dans lesquels elle est active, la requérante se trouve en concurrence avec d'autres entreprises, lesquelles n'ont pas bénéficié d'aides d'État, et que les aides litigieuses lui ont assuré un avantage sensible par rapport à ces entreprises. Il est également indéniable que la concurrence dans ces secteurs revêt une dimension communautaire et, notamment, s'exerce entre les entreprises espagnoles et celles des autres États membres. Il convient de relever, à cet égard, que les critiques que le royaume d'Espagne fait valoir à l'encontre du tableau du considérant 67 de la décision litigieuse sont totalement injustifiées. Il ressort, en effet, du document communiqué par la Commission en annexe 4 à ses observations sur le mémoire en intervention que, d'une part, les données contenues dans ce tableau concernent réellement le commerce intracommunautaire, et non les échanges avec des pays tiers, et, d'autre part, que le choix d'une autre année que 1997 comme année de référence aurait amené aux mêmes constatations.

220.
    Or, selon une jurisprudence constante, lorsqu'une aide accordée par l'État renforce la position d'une entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l'aide (arrêts de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, point 11, et du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C-75/97, Rec. p. I-3671, point 47). De plus, une aide peut être de nature à affecter les échanges entre les États membres et à fausser la concurrence, même si l'entreprise bénéficiaire, se trouvant en concurrence avec les entreprises d'autres États membres, ne participe pas elle-même aux activités transfrontalières. En effet, lorsqu'un État membre octroie une aide à une entreprise, l'offre intérieure peut s'en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d'autres États membres d'exporter leurs produits ou d'offrir leurs services vers le marché de cet État membre en sont diminuées (arrêts du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, précité, point 40, et du 17 juin 1999, Belgique/Commission, précité, point 47). L'argument de la requérante et du royaume d'Espagne tiré de ce que l'entreprise exerce exclusivement, ou principalement, ses activités au niveau national est donc inopérant. Cet argument doit d'autant plus être écarté que certains des secteurs concernés se caractérisent par une surcapacité structurelle (voir point 91 ci-dessus).

221.
    La requérante et le royaume d'Espagne ne sauraient davantage tirer argument de la part de marché prétendument faible de l'entreprise dans les secteurs concernés. Il est, en effet, de jurisprudence constance que la taille relativement modeste de l'entreprise bénéficiaire d'une aide n'exclut pas a priori l'éventualité que les échanges entre États membres soient affectés (arrêts du 21 mars 1990, Belgique/Commission, précité, point 43, et du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, précité, point 42).

222.
    Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission a, à bon droit, conclu que les échanges entre États membres avaient été affectés du fait de l'octroi des aides litigieuses.

223.
    S'agissant du grief relatif à l'insuffisance de motivation de la décision litigieuse en ce qui concerne la condition tenant à l'affectation des échanges interétatiques, il doit également être rejeté.

224.
    Le considérant 67 de la décision litigieuse, visé au point 218 ci-dessus, comporte, en effet, un exposé, certes succinct, mais suffisant des faits et considérations juridiques pris en compte dans l'appréciation de cette condition. De telles indications permettent à la requérante et au juge de connaître les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que les aides litigieuses remplissaient ladite condition.

225.
    Par ailleurs, il n'incombait pas à la Commission de procéder à une analyse économique de la situation réelle des secteurs concernés, de la part de marché de la requérante, de la position des entreprises concurrentes et des courants d'échanges de produits et de services en cause entre les États membres, dès lors qu'elle a exposé en quoi les aides litigieuses faussaient la concurrence et affectaient les échanges entre États membres (arrêt Philip Morris/Commission, précité, points 9 à 12, et arrêt Vlaams Gewest/Commission, précité, point 67).

226.
    En outre, il convient d'observer que, dans le cas d'aides accordées illégalement, la Commission n'est pas tenue de faire la démonstration de l'effet réel que ces aides ont eu sur la concurrence et sur les échanges entre États membres. En effet, une telle obligation aboutirait à favoriser les États membres qui versent des aides en violation du devoir de notification de l'article 93, paragraphe 3, du traité, au détriment de ceux qui notifient les aides à l'état de projet (arrêt du 14 février 1990, France/Commission, précité, point 33, et arrêt Vlaams Gewest/Commission, précité, point 67).

227.
    En conclusion, le huitième moyen doit être intégralement rejeté.

Sur les mesures d'organisation de la procédure sollicitées par la requérante

228.
    La requérante demande au Tribunal d'ordonner la production de l'original de l'avis des administrateurs judiciaires figurant en annexe 1 à la réplique dans l'hypothèse où son authenticité serait mise en doute ainsi que de l'ensemble des pièces recueillies par la Commission depuis l'ouverture de la procédure administrative.

229.
    La Commission s'oppose à cette demande.

230.
    En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et considère qu'il n'y a pas lieu, en conséquence, de procéder aux mesures d'organisation de la procédure sollicitées.

Sur les dépens

231.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supportera ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Au vu de l'importance des parties annulées du dispositif de la décision litigieuse, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera ses propres dépens ainsi que 30 % de ceux exposés par la requérante et que cette dernière supportera 70 % de ses propres dépens.

232.
    Le royaume d'Espagne supportera ses propres dépens, conformément à l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    L'article 1er, paragraphe 3, de la décision 1999/484/CE de la Commission, du 3 février 1999, concernant les aides d'État accordées par le gouvernement espagnol à l'entreprise Hijos de Andrés Molina SA (HAMSA) est annulé.

2)    L'article 3 de la décision 1999/484 est annulé en ce qu'il oblige le royaume d'Espagne à récupérer les aides d'État accordées sous la forme d'annulation de dettes par des organismes d'État.

3)    Le recours est rejeté pour le surplus.

4)    La Commission supportera ses propres dépens et 30 % des dépens exposés par la requérante.

5)    Le royaume d'Espagne supportera ses propres dépens.

Lindh
García-Valdecasas
Cooke

Vilaras Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juillet 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1: Langue de procédure: l'espagnol.