Language of document : ECLI:EU:C:2008:473

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 4 septembre 2008 (1)

Affaire C-443/07 P

Isabel Clara Centeno Mediavilla e.a.

contre

Commission des Communautés européennes

«Pourvoi – Fonctionnaires – Nomination à partir d’une liste de réserve établie avant l’entrée en vigueur du nouveau statut des fonctionnaires – Conditions moins favorables en fonction de la date de nomination – Légalité d’une règle transitoire concernant le classement en grade à l’occasion du recrutement – Principes généraux du droit»





1.        Avec effet au 1er mai 2004, le statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci‑après le «statut») a été profondément modifié (2). En particulier, le nouveau statut introduisait une nouvelle structure des carrières radicalement différente. Les grades de base dans la nouvelle structure impliquaient des rémunérations souvent moins élevées que celles afférentes à l’ancienne structure, mais tout désavantage en ce sens devait être compensé par de plus grandes possibilités de promotion. Des dispositions transitoires envisageaient différentes situations, y compris celle où des fonctionnaires avaient réussi un concours général organisé avant l’entrée en vigueur de la nouvelle structure des carrières, mais étaient nommés après celle‑ci. La présente instance, présentement au stade du pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 11 juillet 2007, Centeno Mediavilla e.a./Commission (T-58/05, Rec. p. II‑2523, ci‑après l’«arrêt attaqué»), a été introduite par dix‑sept fonctionnaires se trouvant dans une telle situation, mécontents en particulier du fait qu’ils avaient été nommés dans des conditions de départ moins favorables que les fonctionnaires ayant participé avec succès au même concours général, mais ayant été recrutés avant le 1er mai 2004.

2.        Cinquante autres affaires pendantes devant le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne, concernant en substance la même question, sont actuellement en suspens dans l’attente d’une décision statuant sur le présent pourvoi. En outre, au cas où il serait statué en ce sens que les dispositions en cause n’auraient pas dû être appliquées aux fonctionnaires concernés, la Commission des Communautés européennes s’est engagée à étendre le bénéfice de l’exercice de reclassement qui s’ensuivrait à tous les fonctionnaires placés dans la même situation que ceux concernés par un tel arrêt, y compris ceux n’ayant pas introduit de réclamation visant à contester leur grade (3).

 Le cadre législatif

 Les considérations qui sous‑tendent les modifications du statut

3.        Le préambule du règlement n° 723/2004, qui a introduit ces modifications, contient notamment les considérations suivantes:

«[…]

(7)       Il importe de veiller à l’application du principe de non‑discrimination consacré par le traité CE et de poursuivre ainsi le développement d’une politique du personnel garantissant l’égalité des chances pour tous, sans considération de sexe, de capacité physique, d’âge, d’identité raciale ou ethnique, d’orientation sexuelle ou de situation matrimoniale.

[…]

(10)  Il est manifestement nécessaire de confirmer le principe d’évolution de carrière fondée sur le mérite et de renforcer le lien entre performance et rémunération en offrant davantage d’incitations en récompense des bonnes prestations au moyen de modifications structurelles du système de carrières, tout en assurant l’équivalence des profils de carrière moyens entre la nouvelle et l’ancienne structure dans le respect du tableau des effectifs et de la discipline budgétaire.

[…]

(12)  Il apparaît nécessaire d’élaborer un système consistant à assurer l’équivalence des profils de carrière moyens qui, considéré globalement, compensera d’une manière équitable et raisonnable l’augmentation du nombre total de grades, d’une part, et la réduction du nombre d’échelons dans chaque grade, d’autre part.

[…]

(34)  Les conditions d’emploi, couvrant le niveau global des rémunérations et des pensions des fonctionnaires et autres agents, sont maintenues (4) à un niveau propre à attirer et à retenir dans une fonction publique européenne permanente et indépendante les meilleurs candidats de tous les États membres.

[…]

(37)  Il convient de prévoir un régime de transition afin de permettre une mise en œuvre progressive des nouvelles dispositions et mesures, sans préjudice des droits acquis du personnel dans le cadre du régime communautaire avant l’entrée en vigueur de la présente modification du statut et en prenant en compte ses attentes légitimes.

[…]»

 Les dispositions statutaires, avant et après la réforme du statut

4.        L’article 1er bis, paragraphe 1, de la version du statut antérieure à 2004, introduit par le règlement (CE, CECA, Euratom) n° 781/98 (5), disposait comme suit:

«Les fonctionnaires ont droit dans l’application du statut à l’égalité de traitement sans référence, directe ou indirecte, à la race, à la conviction politique, philosophique ou religieuse, au sexe ou à l’orientation sexuelle, sans préjudice des dispositions statutaires pertinentes requérant un état civil déterminé.»

5.        Dans la nouvelle version, cette disposition a été reformulée et est devenue l’article 1er quinquies, paragraphe 1, libellé comme suit:

«Dans l’application du présent statut est interdite toute discrimination, telle qu’une discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

Aux fins du présent statut, les partenariats non matrimoniaux sont traités au même titre que le mariage, pourvu que toutes les conditions énumérées à l’article 1er, paragraphe 2, point c), de l’annexe VII soient remplies […]».

6.        Avant les modifications de 2004, l’article 5 du statut prévoyait ce qui suit:

«1.       Les emplois relevant du présent statut sont classés, suivant la nature et le niveau des fonctions auxquelles ils correspondent, en quatre catégories désignées dans l’ordre hiérarchique décroissant par les lettres A, B, C et D.

La catégorie A comporte huit grades regroupés en carrières généralement étalées sur deux grades et correspondant à des fonctions de direction, de conception et d’étude, nécessitant des connaissances de niveau universitaire ou une expérience professionnelle d’un niveau équivalent.

La catégorie B comporte cinq grades regroupés en carrières généralement étalées sur deux grades et correspondant à des fonctions d’application et d’encadrement nécessitant des connaissances du niveau de l’enseignement secondaire ou une expérience professionnelle d’un niveau équivalent.

La catégorie C comporte cinq grades regroupés en carrières généralement étalées sur deux grades et correspondant à des fonctions d’exécution nécessitant des connaissances du niveau de l’enseignement moyen ou une expérience professionnelle d’un niveau équivalent.

La catégorie D comporte quatre grades regroupés en carrières généralement étalées sur deux grades correspondant à des fonctions manuelles ou de service nécessitant des connaissances du niveau de l’enseignement primaire, éventuellement complétées par des connaissances techniques.

[…]

2.       Les emplois de traducteurs et d’interprètes sont groupés dans un cadre linguistique désigné par les lettres LA et comprenant six grades assimilés aux grades 3 à 8 de la catégorie A et regroupés en carrières généralement étalées sur deux grades.

3.       Les fonctionnaires appartenant à une même catégorie ou à un même cadre sont soumis respectivement à des conditions identiques de recrutement et de déroulement de carrière.

[…]»

7.        Après modification, l’article 5 est à présent libellé comme suit:

«1.       Les emplois relevant du présent statut sont classés, suivant la nature et le niveau des fonctions auxquelles ils correspondent, en un groupe de fonctions des administrateurs (ci-après dénommés ‘AD’) et un groupe de fonctions des assistants (ci-après dénommés ‘AST’).

2.       Le groupe de fonctions AD comporte douze grades correspondant à des fonctions de direction, de conception et d’étude ainsi qu’à des fonctions linguistiques ou scientifiques. Le groupe de fonctions AST comporte onze grades correspondant à des fonctions d’application, de nature technique et d’exécution.

3.       Toute nomination à un emploi de fonctionnaire requiert, au minimum:

a)      pour le groupe de fonctions AST:

i)       un niveau d’enseignement supérieur sanctionné par un diplôme, ou

ii)       un niveau d’enseignement secondaire sanctionné par un diplôme donnant accès à l’enseignement supérieur et une expérience professionnelle appropriée de trois années au moins, ou

iii)  lorsque l’intérêt du service le justifie, une formation professionnelle ou une expérience professionnelle de niveau équivalent;

b)      pour les grades 5 et 6 du groupe de fonctions AD:

i)       un niveau d’enseignement correspondant à un cycle complet d’études universitaires de trois années au moins sanctionné par un diplôme, ou

ii)       lorsque l’intérêt du service le justifie, une formation professionnelle de niveau équivalent;

c)      pour les grades 7 à 16 du groupe de fonctions AD:

i)       un niveau d’enseignement correspondant à un cycle complet d’études universitaires sanctionné par un diplôme lorsque la durée normale desdites études est de quatre années ou plus, ou

ii)       un niveau d’enseignement correspondant à un cycle complet d’études universitaires sanctionné par un diplôme et une expérience professionnelle appropriée d’une année au moins lorsque la durée normale desdites études est de trois années au moins, ou

iii)  lorsque l’intérêt du service le justifie, une formation professionnelle de niveau équivalent.

4.       Un tableau descriptif des différents emplois types figure à l’annexe I, section A. Sur la base de ce tableau, chaque institution arrête, après avis du comité du statut, la description des fonctions et attributions associées à chaque emploi type.

5.       Les fonctionnaires appartenant au même groupe de fonctions sont soumis à des conditions identiques de recrutement et de déroulement de carrière.»

8.        Les grades de l’ancienne structure des carrières comprenaient en général huit échelons, impliquant chacun une augmentation de la rémunération, alors que ceux de la nouvelle structure des carrières comprennent en général cinq échelons. La règle selon laquelle les fonctionnaires bénéficient tous les deux ans d’un avancement automatique vers l’échelon suivant de ce grade (article 44 du statut), alors que la promotion au grade supérieur est prise par l’autorité investie du pouvoir de nomination sur la base des mérites (article 45), est demeurée inchangée.

9.        L’article 7, paragraphe 1, du statut dispose que l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci‑après l’«AIPN») affecte, par voie de nomination ou de mutation, dans le seul intérêt du service et sans considération de nationalité, chaque fonctionnaire à un emploi de sa catégorie ou de son cadre (ou, depuis le 1er mai 2004, à un emploi de son groupe de fonctions), correspondant à son grade.

10.      L’article 10 du statut institue un comité du statut composé en nombre égal de représentants des institutions des Communautés européennes et de représentants de leurs comités du personnel. Avant d’être modifié (6), ledit article disposait, pour autant qu’il importe, ce qui suit:

«Le comité est consulté par la Commission sur toute proposition de révision du statut; il fait parvenir son avis dans le délai fixé par la Commission.»

11.      L’article 31 du statut a trait à la nomination de fonctionnaires recrutés par voie de concours général. Avant d’être modifié, l’article 31, paragraphe 1, du statut disposait que les fonctionnaires de la catégorie A ou du cadre linguistique devaient être classés au grade de base de leur catégorie ou de leur cadre, et ceux des autres catégories au grade de base correspondant à l’emploi pour lequel ils avaient été recrutés. Le paragraphe 2 dudit article 31 habilitait l’AIPN à déroger à ces règles dans une limite comprise entre un tiers et deux tiers des postes rendus disponibles, en fonction du grade ou du type de vacance.

12.      À la suite de la réforme de 2004, l’article 31, paragraphes 1 et 2, du statut dispose ce qui suit:

«1.       Les candidats ainsi choisis sont nommés au grade du groupe de fonctions indiqué dans l’avis du concours auquel ils ont été reçus.

2.       Sans préjudice de l’article 29 [(7)], paragraphe 2, les fonctionnaires sont recrutés uniquement aux grades AST 1 à AST 4 ou AD 5 à AD 8. Le grade de l’avis de concours est déterminé par l’institution, conformément aux critères suivants:

a)       l’objectif de recruter les fonctionnaires possédant les plus hautes qualités visées à l’article 27 [(8)];

b)       la qualité de l’expérience professionnelle requise.

Afin de répondre aux besoins spécifiques des institutions, les conditions du marché du travail communautaire peuvent également être prises en considération lors du recrutement de fonctionnaires [(9)]

13.      Tant avant qu’après la réforme, l’article 32 du statut prévoit qu’un fonctionnaire doit être en principe recruté au premier échelon de son grade, mais que l’AIPN peut accorder une modification d’ancienneté pour tenir compte de l’expérience professionnelle de l’intéressé et de sa formation. Aux termes du troisième alinéa de cet article:

«L’agent temporaire dont le classement a été fixé conformément aux critères de classement arrêtés par l’institution garde l’ancienneté d’échelon qu’il a acquise en qualité d’agent temporaire lorsqu’il a été nommé fonctionnaire dans le même grade à la suite immédiate de cette période.»

 Les dispositions transitoires

14.      Depuis le 1er mai 2004, le statut inclut une annexe XIII, intitulée «Mesures de transition applicables aux fonctionnaires des Communautés». Les articles 1er et 2 de cette annexe sont libellés comme suit:

Article 1er

1.      Pendant la période comprise entre le 1er mai 2004 et le 30 avril 2006, les paragraphes 1 et 2 de l’article 5 du statut sont remplacés par le texte suivant:

‘1.       Les emplois relevant du statut sont classés, suivant la nature et le niveau des fonctions auxquelles ils correspondent, en quatre catégories désignées dans l’ordre hiérarchique décroissant par les lettres A*, B*, C*, et D*.

2.       La catégorie A* comprend douze grades, la catégorie B* neuf grades, la catégorie C* sept grades et la catégorie D* cinq grades.’

2.       Toute référence à la date de recrutement s’entend comme faite à la date d’entrée en service.

Article 2

1.      Le 1er mai 2004 et sous réserve de l’article 8 de la présente annexe, les grades des fonctionnaires placés dans l’une des positions visées à l’article 35 du statut [(10)] sont renommés comme suit:


Ancien grade

Nouveau grade (intermédiaire)

Ancien grade

Nouveau grade (intermédiaire)

Ancien grade

Nouveau grade (intermédiaire)

Ancien grade

Nouveau grade (intermédiaire)

A1

A *16

 

 

 

 

 

 

A2

A *15

 

 

 

 

 

 

A3/LA3

A *14

 

 

 

 

 

 

A4/LA4

A *12

 

 

 

 

 

 

A5/LA5

A *11

 

 

 

 

 

 

A6/LA6

A *10

B1

B *10

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A7/LA7

A *8

B2

B *8

 

 

 

 

A8/LA8

A *7

B3

B *7

C1

C *6

 

 

 

 

B4

B *6

C2

C *5

 

 

 

 

B5

B *5

C3

C *4

D1

D *4

 

 

 

 

C4

C *3

D2

D *3

 

 

 

 

C5

C *2

D3

D *2

 

 

 

 

 

 

D4

D *1

[…]»

15.      En vertu de l’article 4 de l’annexe XIII du statut, pour la période comprise entre le 1er mai 2004 et le 30 avril 2006, les termes «groupe de fonctions» devaient être remplacés par le terme «catégorie», notamment aux articles 5, paragraphe 5, et 31, paragraphe 1, dudit statut; les termes «groupe de fonctions AD» par les termes «catégorie A*», notamment à l’article 5, paragraphe 3, sous c), du statut, et les termes «groupe de fonctions AST» par les termes «catégories B* et C*», notamment à l’article 5, paragraphe 3, sous a), du statut. En vertu de l’article 4, sous n), le renvoi opéré à l’article 5, paragraphe 4, du statut à l’annexe I, section A, du statut devait être remplacé par les termes «annexe XIII.A», qui énumèrent les emplois types au cours de la période de transition.

16.      L’article 12 de l’annexe XIII du statut dispose ce qui suit:

«1.      Pendant la période allant du 1er mai 2004 au 30 avril 2006, toute référence faite aux grades des groupes de fonctions AST et AD à l’article 31, paragraphes 2 et 3, du statut, doit être comprise selon les modalités qui suivent:

–        AST 1 à AST 4: C *1 à C *2 et B *3 à B *4

–        AD 5 à AD 8: A *5 à A *8

–        AD 9, AD 10, AD 11, AD 12: A *9, A *10, A *11, A *12.

2.       Les dispositions de l’article 5, paragraphe 3, du statut ne s’appliquent pas aux fonctionnaires recrutés sur des listes d’aptitude [(11)] établies à la suite de concours publiés avant le 1er mai 2004.

3.       Les fonctionnaires inscrits sur une liste d’aptitude avant le 1er mai 2006 et recrutés entre le 1er mai 2004 et le 30 avril 2006 sont classés:

–        lorsque la liste a été établie pour la catégorie A *, B * ou C *, dans le grade publié dans l’avis de concours,

–        lorsque la liste a été établie pour la catégorie A, LA, B ou C, selon le tableau suivant:

Grade du concours

Grade du recrutement

A/LA8

A *5

A/LA7 et A/LA6

A *6

A/LA5 et A/LA4

A *9

A/LA3

A *12

A2

A *14

A1

A *15

B5 et B4

B *3

B3 et B2

B *4

C5 et C4

C *1

C3 et C2

C *2

[…]»

17.      En ce qui concerne la deuxième ligne du tableau ci‑dessus, le dossier de première instance fait apparaître que la Commission avait proposé que les personnes figurant sur une liste de réserve destinée à pourvoir à des emplois de la carrière A7/LA7 et A6/LA6 soient recrutées dans le nouveau grade non en A *6 mais en A *7. Il est constant que le comité du statut prévu à l’article 10 du statut a été consulté sur la proposition initiale, mais non sur la substitution ultérieure de A *6 à A *7. À titre de comparaison, la rémunération de base pour l’ancien grade A7/LA7 était de 4 815,59 euros par mois. Celle correspondant au nouveau grade A *7 était de 4 878,24 euros, alors qu’elle était de 4 311,55 euros pour le nouveau grade A *6 (12).

 Les faits à l’origine du litige

18.      Les faits pertinents sont exposés aux points 9 à 21 de l’arrêt attaqué (13)comme suit:

«9       La Commission a publié au Journal officiel des Communautés européennes, au cours de la période comprise entre le 11 avril 2001 et le 18 juin 2002, plusieurs avis de concours généraux visant à constituer des réserves de recrutement d’administrateurs de carrière A 7/A 6 (COM/A/6/01, COM/A/9/01, COM/A/10/01, COM/A/1/02, COM/A/3/02 et CC/A/12/02), d’administrateurs adjoints de carrière A 8 (concours COM/A/2/02) et d’assistants adjoints de carrière B 5/B 4 (concours COM B/1/02).

10       Les 17 requérants ont été inscrits avant le 1er mai 2004 sur les différentes listes d’aptitude dressées à l’issue du déroulement des épreuves de sélection.

11      Sous la rubrique intitulée ‘Conditions de recrutement’, les avis de concours précisaient que l’inscription des lauréats sur les listes de réserve leur donnait vocation à être recrutés au fur et à mesure des besoins des services.

12       Au point D (‘Informations générales’), in fine, des avis des concours COM/A/l/02 et COM/A/2/02, figurait la mention suivante:

‘La Commission a formellement transmis au Conseil une proposition de modification du statut. Cette proposition comporte notamment un nouveau système de carrière. Les lauréats de ce concours pourraient donc se voir proposer un recrutement sur la base de nouvelles dispositions statutaires, suivant l’adoption de celles-ci par le Conseil.’

13      L’avis de concours COM/A/3/02 comportait une mention presque identique, qui se référait aux ‘dispositions du nouveau statut’.

14      Les listes d’aptitude établies à la suite des concours COM/A/6/01, COM/A/9/01 et COM/A/10/01 (ci-après les ‘concours de 2001’) ont été publiées, au Journal officiel des Communautés européennes, respectivement, le 19 novembre 2002 (concours COM/A/6/01), le 8 mars (concours COM/A/10/01) et le 2 juillet 2003 (concours COM/A/9/01).

15      Les lettres par lesquelles les lauréats des concours de 2001 ont été informés de leur inscription sur la liste d’aptitude indiquaient notamment que la validité de cette liste devait expirer le 31 décembre 2003.

16      En décembre 2003, la direction générale ‘Personnel et administration’ de la Commission a adressé une lettre à chacun des lauréats des concours de 2001, leur indiquant que la validité des différentes listes d’aptitude était prorogée jusqu’au 31 décembre 2004.

17      Les listes d’aptitude établies à la suite des concours COM/A/l/02, COM/A/2/02, COM/A/3/02, COM/B/1/02 et CC/A/12/02 (ci-après les ‘concours de 2002’) ont été publiées au Journal officiel des Communautés européennes, respectivement, le 19 décembre 2003 (concours CC/A/12/02), le 23 mars (concours COM/A/1/02 et COM/A/2/02) et le 18 mai 2004 (concours COM/A/3/02 et COM/B/1/02).

18      Les requérants ont été nommés fonctionnaires stagiaires par des décisions adoptées postérieurement au 1er mai 2004 (ci-après les ‘décisions [litigieuses]) et prenant effet à une échéance comprise entre cette date et le 1er décembre 2004.

19      Par les décisions [litigieuses], les requérants ont été classés en grade en application de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut, c’est‑à‑dire au grade B *3 (concours COM/B/1/02), au grade A *5 (concours COM/A/2/02) ou au grade A *6 (tous les autres concours).

20      Chacun des requérants a, entre le 6 août 2004 et le 21 octobre 2004, introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, dirigée contre la décision le nommant fonctionnaire stagiaire en tant qu’elle fixait, en application de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut, son classement à un grade moins favorable que ceux indiqués dans les différents avis de concours.

21      Par décisions prises entre le 21 octobre et le 22 décembre 2004, 1’AIPN a rejeté les réclamations introduites par les requérants».

19.      En conséquence, les demandeurs se répartissent en trois catégories:

–        ceux qui auraient été nommés, avant le 1er mai 2004, au grade A7 (avec une rémunération de base s’élevant au départ à 4 815, 59 euros par mois) qui aurait été alors renommé A *8, avec maintien de la rémunération au même niveau, mais qui ont en fait été nommés, après le 1er mai 2004, au grade A *6 (avec une rémunération de base s’élevant au départ à 4 311,55 euros par mois);

–        ceux qui auraient été nommés, avant le 1er mai 2004, au grade A8 (avec une rémunération de base s’élevant au départ à 4 258,95 euros par mois) qui aurait alors été renommé A *7, avec maintien de la rémunération au même niveau, mais qui ont en fait été nommés, après le 1er mai 2004, au grade A *5 (avec une rémunération de base s’élevant au départ à 3 810,69 euros par mois);

–        ceux qui auraient été nommés, avant le 1er mai 2004, au grade B5 (avec une rémunération de base s’élevant au départ à 3 143,24 euros par mois) qui aurait alors été renommé B *5, avec maintien de la rémunération au même niveau, mais qui ont en fait été nommés, après le 1er mai 2004, au grade B *3 (avec une rémunération de base s’élevant au départ à 2 976,76 euros par mois) (14).


 La procédure en première instance

20.      Par requête unique, déposée le 3 février 2005, les dix‑sept demandeurs ont demandé au Tribunal de première instance:

–        d’annuler les décisions litigieuses en ce qu’elles fixent leur classement en grade en application de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut;

–        de reconstituer leur carrière (y compris la valorisation de leur expérience dans le grade ainsi rectifié, leurs droits à l’avancement et leurs droits à pension), à partir du grade auquel ils auraient dû être nommés conformément à l’avis du concours au terme duquel ils ont été placés sur la liste d’aptitude, soit au grade mentionné dans cet avis de concours, soit à celui correspondant à son équivalent selon le classement établi par les nouvelles règles statutaires (et à l’échelon approprié conformément aux règles applicables avant le 1er mai 2004), à partir de la décision de nomination;

–        de leur octroyer le bénéfice des intérêts de retard, calculés en fonction du taux fixé par la Banque centrale européenne, dus au titre de l’ensemble des sommes correspondant à la différence entre le traitement correspondant à leur classement figurant dans la décision de nomination et le classement auquel ils auraient dû avoir droit, jusqu’à la date où interviendra la décision de classement régulier en grade, et

–        de condamner la Commission aux entiers dépens.

21.      Le Conseil de l’Union européenne est intervenu au soutien des conclusions de la Commission.

22.      À l’appui de leurs conclusions en annulation, les demandeurs excipaient, en premier lieu, de l’illégalité de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut, sur le fondement duquel leur classement est intervenu, et soutenaient, en second lieu, que les décisions litigieuses méconnaissaient elles‑mêmes les principes de bonne administration, de sollicitude, de transparence, de protection de la confiance légitime, de bonne foi, d’égalité de traitement et de non‑discrimination, ainsi que la règle de l’équivalence de l’emploi et du grade.

23.      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal de première instance a rejeté ces moyens d’annulation de la décision attaquée (15) et, puisqu’il n’y avait pas lieu dès lors de statuer sur les demandes visant à la reconstitution de la carrière des demandeurs ainsi qu’à l’octroi d’intérêts de retard sur les arriérés de rémunération qui auraient pu résulter de l’annulation, il a rejeté le recours dans sa totalité.

24.      Toutefois, il a considéré que la Commission n’avait pas averti les demandeurs avec clarté et précision de l’incidence concrète prévisible sur leur situation individuelle d’un projet de modification statutaire dont elle était elle‑même l’auteur, de sorte que, en raison de l’incertitude ainsi suscitée, les intéressés ont pu se croire fondés à contester leur classement en grade. Il a donc condamné la Commission à supporter la moitié des dépens exposés par les demandeurs.

 Le pourvoi

25.      Tous les dix‑sept requérants de première instance ont introduit un pourvoi collectif le 21 septembre 2007.

26.      À titre liminaire, ils invoquent le fait que le Tribunal de première instance i) les a traités tous de la même manière sans tenir compte de la situation particulière de chacun d’entre eux et ii) a fondé sa décision sur la présomption ? qu’ils contestent – que la légalité de leur classement en grade ne peut être appréciée qu’à compter de la date de leur nomination.

27.      Les demandeurs au pourvoi soulèvent ensuite deux moyens au soutien de leur pourvoi.

28.      Premièrement, ils soutiennent que le Tribunal de première instance a irrégulièrement conclu que l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut était légal. Ils soutiennent, en résumé, que le Tribunal de première instance i) a enfreint l’article 10 de l’ancien statut en l’interprétant de manière à justifier le défaut de reconsultation du comité du statut; ii) a méconnu le principe des droits acquis en considérant la question de l’existence d’un droit acquis à une nomination plutôt que celle d’un droit acquis à un classement en grade en cas de nomination; iii) a méconnu le principe de l’égalité de traitement en distinguant entre les lauréats selon qu’ils ont été nommés avant ou après le 1er mai 2004; iv) a méconnu le principe de protection de la confiance légitime et dénaturé des éléments de preuve, et v) a méconnu la portée des articles 5, 7 et 31 du statut, violant ainsi l’obligation de motivation.

29.      Deuxièmement, les demandeurs au pourvoi contestent la constatation du Tribunal de première instance suivant laquelle le fait que la Commission ait manqué à son devoir d’information ne pouvait pas, en soi, entacher d’illégalité les décisions litigieuses. Ils soutiennent à cet égard que le Tribunal de première instance a méconnu les principes de bonne administration, de sollicitude, de transparence, de protection de la confiance légitime, de bonne foi, d’égalité ainsi que d’équivalence de l’emploi et du grade.

 La recevabilité du pourvoi

30.      Tout en n’excipant pas de l’irrecevabilité du pourvoi dans sa globalité, le Conseil soutient que de nombreux arguments des demandeurs au pourvoi ne satisfont pas aux exigences de l’article 58 du statut de la Cour de justice en ce qu’ils n’identifient pas une violation du droit communautaire par le Tribunal de première instance, mais tentent simplement de faire réexaminer les arguments qu’ils avaient avancés en première instance.

31.      Selon une jurisprudence bien établie, «un pourvoi est irrecevable si, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt attaqué, il se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal de première instance. En revanche, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit communautaire faite par le Tribunal de première instance, les points de droit examinés en première instance peuvent être de nouveau discutés au cours de la procédure de pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal de première instance, ladite procédure serait privée d’une partie de son sens» (16).

32.      En l’espèce, il me semble manifeste que les demandeurs au pourvoi ont, pour chacun des moyens de pourvoi, identifié les erreurs de droit supposées commises par le Tribunal de première instance dans différents passages de son arrêt. Le fait qu’ils répètent nécessairement, dans ce contexte, certains des arguments avancés en première instance ne saurait donc en aucune manière affecter la recevabilité de leurs moyens de pourvoi.

 Sur le fond

 Premier moyen: illégalité de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut

Le moyen pris en sa première branche: violation de l’article 10 du statut

–       L’arrêt attaqué

33.      Les demandeurs soutenaient en première instance que le fait de substituer le grade A *6 au grade A *7 dans le tableau figurant à l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut était entaché d’illégalité, étant donné que le comité du statut n’avait pas été consulté sur ce point (17).

34.      Aux points 35 à 43 de son arrêt, le Tribunal de première instance a rejeté cet argument, en motivant sa décision pour l’essentiel comme suit.

35.      Le comité du statut doit être consulté non seulement sur des propositions formelles, mais encore sur des modifications substantielles de propositions déjà examinées, à moins que les modifications correspondent pour l’essentiel à celles proposées par le comité. Partant, si des changements affectant substantiellement l’économie d’une proposition de révision du statut sont introduites lors de la négociation devant le Conseil, le comité doit de nouveau être consulté avant l’adoption des dispositions concernées. Toutefois, des modifications ponctuelles et d’effet limité ne relèvent pas d’une telle obligation qui, dans le cas contraire, contraindrait de manière excessive le droit d’amendement dans le cadre du processus législatif. Il y a lieu d’apprécier le caractère substantiel ou non d’une modification en fonction de son objet et de sa place dans le dispositif d’ensemble proposé à l’adoption, et non en fonction des conséquences individuelles qu’elle peut avoir sur la situation de personnes susceptibles d’être concernées par sa mise en œuvre.

36.      En l’occurrence, la nouvelle structure de carrières proposée a eu pour effet immédiat d’abaisser les grades de recrutement des nouveaux fonctionnaires, tout en développant à terme leurs perspectives de carrière. La substitution du grade A *6 au grade A *7 s’insérait dans l’économie d’ensemble et dans la perspective globale d’une telle restructuration évolutive. Il s’agissait d’une adaptation spécifique des dispositions transitoires, n’affectant ni leur économie générale ni leur substance même au point de justifier une nouvelle consultation du comité du statut.

37.      En conséquence, la Commission n’a pas méconnu l’article 10 du statut en ne consultant pas de nouveau le comité, même si la substitution en cause, introduite postérieurement à la consultation du comité du statut, a eu dans l’immédiat un effet financier non négligeable sur le niveau du classement initial et sur la rémunération de départ des fonctionnaires concernés.

–       Argumentation des parties

38.      Les demandeurs acceptent la première partie du raisonnement, mais non i) la thèse selon laquelle la question du changement substantiel ou non ne peut être appréciée du point de vue des conséquences individuelles qu’il peut avoir pour ceux qui sont susceptibles d’être affectés, ni, partant, ii) la conclusion que la substitution en cause n’était pas un changement substantiel.

39.      Sans développer plus avant ce premier point, les demandeurs soulignent l’importance des conséquences qui en découlent, dans la présente affaire, pour un «très grand nombre» de fonctionnaires – non seulement une rémunération inférieure au départ, mais également un décalage, étendu à l’ensemble de la carrière, d’un grade par rapport à la situation qui aurait été la leur s’ils avaient été nommés au grade supérieur – ce sur quoi le comité du statut aurait pu avoir des commentaires à faire.

40.      Ils comparent la substitution effectuée en l’espèce avec la modification du règlement (CE, Euratom, CECA) n° 2688/95 (18) au cours du processus législatif. La proposition initiale, sur laquelle le comité du statut avait été consulté, prévoyait des dispositions en matière de retraite anticipée pour des fonctionnaires appartenant à toutes les institutions, alors que le texte finalement adopté limitait ces dispositions aux fonctionnaires du Parlement européen. Dans son arrêt du 30 septembre 1998, Losch/Cour de justice (19), le Tribunal de première instance a estimé qu’il s’agissait d’une modification substantielle sur laquelle le comité aurait dû être de nouveau consulté.

41.      En outre, les demandeurs estiment que le Tribunal de première instance a omis de motiver de façon appropriée la conclusion suivant laquelle la substitution du grade A *6 au grade A *7 «s’insère dans l’économie d’ensemble et dans la perspective globale d’une restructuration évolutive des carrières», d’autant qu’il admettait dans le même temps que le tableau figurant à l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut diffère du tableau figurant à l’article 2, paragraphe 1, de ladite annexe convertissant les grades des fonctionnaires en poste avant le 1er mai 2004 en nouveaux grades intermédiaires.

42.      La Commission considère que la substitution en cause n’a pas d’incidence sur l’unicité de la fonction publique communautaire, la sauvegarde de cette dernière constituant le rôle spécifique assumé par le comité du statut. La circonstance que le comité aurait pu formuler des observations n’est pas en elle‑même de nature à fonder une obligation de procéder à une telle consultation. En outre, le Tribunal de première instance a motivé de façon appropriée sa conclusion. L’allégation des demandeurs porterait plutôt sur une violation de l’obligation de motivation par le législateur, grief qui, n’ayant pas été soulevé en première instance, est irrecevable au stade du pourvoi.

43.      Le Conseil ajoute que la modification en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’affaire Losch/Cour de justice, précité, excluait le personnel de toutes les institutions autres que le Parlement du bénéfice du régime de retraite anticipée, alors que la présente modification constitue une modification mineure d’une disposition transitoire affectant un nombre limité de fonctionnaires. Une telle modification était logique au regard de l’économie d’ensemble de la restructuration, étant donné que le grade A 7 était le deuxième grade du système de carrières de l’ancienne catégorie A et que le grade A *6 équivaut au grade AD 6, qui est le deuxième grade au sein du nouveau groupe de fonctions AD. En outre, puisque le comité du statut avait déjà donné son avis sur le système de correspondance en général, une nouvelle consultation sur ce point spécifique n’aurait rien ajouté.

–       Appréciation

44.      Premièrement, les arguments avancés par les demandeurs en ce qui concerne l’importance de la substitution en cause ont tous trait à ses conséquences pour les individus concernés. Conclure à leur pertinence suppose donc qu’il soit établi soit i) que le Tribunal de première instance a commis une erreur en considérant qu’une modification apportée à une proposition doit être appréciée du point de vue de son objet et de sa place au sein de l’ensemble du texte faisant partie de la proposition, et non de celui des conséquences individuelles qu’une telle modification peut avoir sur la situation de personnes susceptibles d’être concernées, soit ii) que la modification était substantielle également du point de vue de son objet et de sa place au sein de l’ensemble du texte proposé.

45.      Il me semble qu’aucune des deux propositions n’a été établie.

46.      Les demandeurs n’avancent aucun argument au soutien de la thèse suivant laquelle l’approche de base était erronée en droit. Cette approche ne semble d’ailleurs pas déraisonnable. Il est bien évident que n’importe quelle modification de détail apportée à une proposition n’a pas à être renvoyée pour examen au comité du statut, sauf à risquer de paralyser le processus législatif. Toutefois, chaque modification, même petite, est susceptible d’avoir des conséquences individuelles pour un plus ou moins grand nombre de fonctionnaires. Dans ces circonstances, il semble raisonnable de porter une appréciation quant au point de savoir si une modification est suffisamment substantielle pour justifier une nouvelle consultation, en fonction non desdites conséquences considérées en elles‑mêmes, mais de son importance objective dans le dispositif d’ensemble proposé à l’adoption.

47.      De ce dernier point de vue, il ne me semble pas qu’il soit justifié de soutenir que la modification en cause avait un caractère substantiel.

48.      J’admettrai au départ que la proposition pertinente dont il est question aux fins de l’avis est constituée non par la réforme du statut dans son ensemble, mais par les dispositions transitoires, et plus spécialement par le système de la correspondance entre le grade mentionné au concours et le grade de recrutement figurant au tableau repris à l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut (si l’on devait définir la proposition en termes plus larges, la portée de la modification dans le dispositif d’ensemble diminuerait évidemment).

49.      Si l’on consulte ce tableau et les rémunérations de départ avant et après le 1er mai 2004 (20), l’on s’aperçoit que, à deux exceptions près, la rémunération de départ pour le nouveau grade de recrutement est inférieure à celle de l’ancien grade ou de la carrière pour lesquels le concours était organisé. Les exceptions concernent les deux grades les plus élevés, correspondant essentiellement à des emplois de directeur ou de directeur général, dont le recrutement se fait souvent hors concours (21). Pour tous les autres grades concernés, le nouveau grade de recrutement (C *1 à A *12) est moins élevé que l’ancien grade figurant dans les avis de concours (C5 à A3/LA3). Entre ces limites, dans la version de la proposition sur laquelle le comité du statut avait à l’origine été consulté, seul le grade de recrutement A *7 était assorti d’une rémunération de départ légèrement plus élevée que la carrière correspondante figurant dans les avis de concours (A7/LA7 et A6/LA6). La substitution du grade A *6 au grade A *7 était donc cohérente avec le schéma d’ensemble du tableau de correspondance.

50.      À la lumière de ce qui précède, la motivation du Tribunal de première instance que j’ai résumée aux points 36 et 37 des présentes conclusions me parait claire et appropriée. La question de la différence entre les tableaux de correspondance figurant respectivement aux articles 2, paragraphe 1, et 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut a trait, ainsi que la Commission et le Conseil l’ont souligné, aux motifs avancés par le législateur dans le règlement n° 723/2004 et non à ceux indiqués par le Tribunal de première instance dans son arrêt.

51.      En conséquence, je propose de rejeter la première branche du premier moyen de pourvoi soulevé par les demandeurs.

Deuxième branche: violation du principe des droits acquis

–       L’arrêt attaqué

52.      Les demandeurs ont soutenu en première instance que, en raison de leur inscription sur une liste de réserve, ils ont acquis le droit d’être nommés dans les grades visés par les avis de concours respectifs. L’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut a méconnu ce droit.

53.      Aux points 52 à 58 de son arrêt, le Tribunal de première instance a rejeté cet argument, essentiellement pour les motifs suivants.

54.      L’inscription sur une liste de réserve à la suite d’un concours général ne confère qu’une vocation à être nommé fonctionnaire. Le classement en grade n’est acquis que lorsque l’intéressé a fait l’objet d’une décision – unilatérale – de nomination prise par l’AIPN et précisant la date à laquelle elle prend effet, ainsi que l’emploi auquel le fonctionnaire est affecté. C’est seulement à ce moment‑là qu’un lauréat peut revendiquer la qualité de fonctionnaire et réclamer le bénéfice des dispositions statutaires.

55.      À la date d’entrée en vigueur, de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII de ce statut (à savoir le 1er mai 2004), les demandeurs n’avaient pas encore fait l’objet d’une telle décision. En conséquence, cette disposition n’a pas pu enfreindre un droit au classement dans les grades fixés par les avis de concours. Un fonctionnaire ne peut se prévaloir d’un droit acquis que si le fait générateur de celui‑ci s’est produit sous l’empire d’un statut déterminé antérieur à la modification (22).

–       Argumentation des parties

56.      Les demandeurs contestent, pour l’essentiel, la prémisse suivant laquelle leur droit à être classés dans un grade particulier n’était pas acquis avant que les modifications du statut soient entrées en vigueur. Ils admettent que leur inscription sur une liste de réserve ne leur ouvrait pas un droit à nomination, mais soutiennent qu’elle leur conférait un droit à être classés, en cas de nomination, au grade publié dans l’avis de concours.

57.      Ils citent une jurisprudence suivant laquelle l’AIPN est liée par les termes de l’avis de concours. Dans l’affaire Spachis (23), la requérante était lauréate de deux concours généraux et avait été nommée, dans un premier temps, sur un poste de linguiste, pour lequel elle n’avait pas à l’époque d’expérience professionnelle pertinente, puis, sur la base du deuxième concours, sur un poste administratif pour lequel elle avait neuf années d’expérience professionnelle pertinente. La Commission n’avait pas pris cette expérience en considération en fixant son classement à l’occasion de la deuxième nomination, mais l’a nommée dans le même grade qu’au service linguistique. La Cour a considéré qu’il s’agissait là d’une violation d’un droit virtuel (24) qu’elle avait acquis en vertu de son admission au concours en question.

58.      En outre, les demandeurs soutiennent que les faits générateurs de leur droit se sont produits sous l’empire de l’ancien statut, à savoir leur participation aux concours, leur inscription sur la liste de réserve et, dans certains cas, la décision de leur offrir un emploi et le courrier indiquant qu’un emploi leur serait offert. Le Tribunal de première instance a lui‑même reconnu que ce n’est qu’après leur prise de fonctions qu’ils ont été directement informés du nouveau système de classement en grade, entraînant l’abaissement corrélatif de leur grade de recrutement par rapport à celui indiqué dans les avis de concours. Enfin, le bénéfice des dispositions statutaires n’est pas seulement réservé à ceux qui sont déjà fonctionnaires, puisqu’une jurisprudence constante admet que les personnes revendiquant la qualité de fonctionnaire peuvent invoquer le statut.

59.      La Commission considère (25) qu’il ne saurait y avoir de droits acquis à moins que le fait générateur du droit se soit présenté sous l’empire d’une disposition antérieure aux modifications. Le statut ne saurait être modifié avec effet rétroactif au détriment des fonctionnaires, mais il peut être modifié, également dans un sens défavorable, pour l’avenir. En outre, un droit ne peut être «acquis» que lorsque la situation de droit a été fixée et qu’elle ne dépend plus d’une décision future impliquant une marge d’appréciation. En l’espèce, les situations des demandeurs dépendaient toujours des décisions à prendre après le 1er mai 2004.

60.      L’argument des demandeurs est illogique dans la mesure où il admet que la réussite à un concours général ne confère aucun droit à la nomination, mais prétend que cette réussite confère néanmoins un droit au classement à un grade particulier, qui est une conséquence de la nomination. L’arrêt Spachis/Commission, précité, confirme implicitement que la réussite au concours ne confère qu’une vocation à la nomination dans un grade particulier – la requérante aurait pu être classée dans l’un ou l’autre des deux grades de la carrière concernée, et la Cour a estimé que son expérience pertinente devrait être prise en considération aux fins de la détermination du grade approprié.

61.      En ce qui concerne l’argument selon lequel, dans certains cas, la décision d’offrir aux demandeurs un emploi et le courrier indiquant qu’un emploi leur serait proposé étaient antérieurs au 1er mai 2004, seul compte le moment auquel la décision formelle de nomination a été adoptée, et non le moment auquel l’intention d’adopter cette décision s’est formée ou a été communiquée. En tout état de cause, cet argument n’a pas été soulevé en première instance et est irrecevable au stade du pourvoi.

62.      Enfin, les termes de l’avis de concours lient l’AIPN en ce qui concerne les conditions devant être remplies par les candidats, mais non par rapport au contenu d’une décision nommant un lauréat, qui doit être conforme aux règles en vigueur du statut, au moment de l’adoption d’une telle décision.

63.      Le Conseil soutient que les demandeurs n’ont acquis ni droits ni obligations au regard d’une quelconque institution communautaire jusqu’au moment de l’adoption d’une décision de nomination les concernant. L’inscription sur une liste de réserve n’offre aucune garantie et n’impose aucune obligation. L’arrêt Spachis/Commission, précité, ne concerne pas une modification du statut et aucune conclusion ne peut en être tirée. Un avis de concours lie certes l’AIPN, mais n’empêche pas le législateur de modifier le cadre de référence s’imposant à cette autorité. En l’espèce, nul ne pouvait être nommé sur les anciens grades qui n’existaient plus depuis le 1er mai 2004, mais le législateur a maintenu la possibilité de nommer les personnes figurant sur les listes de réserve existantes, en spécifiant un tableau de correspondance avec les nouveaux grades.

–       Appréciation

64.      Les arguments des demandeurs sont fondés pour une large part sur une jurisprudence suivant laquelle l’AIPN est liée par les termes d’un avis de concours. Toutefois, l’avis de concours est subordonné au statut. Lorsqu’elle prend une décision sur la base de cet avis de concours, l’AIPN ne saurait être liée par une quelconque disposition contraire à une disposition statutaire tout à la fois légale et applicable à l’époque de la décision. Dans le présent contexte, seuls des arguments relatifs à la légalité de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut sont pertinents.

65.      La Commission admet (ce qui ressort d’ailleurs clairement de la jurisprudence de la Cour) que le législateur peut modifier le statut pour l’avenir, mais que, ce faisant, il doit s’abstenir d’interférer avec des droits précédemment acquis sous l’empire de la version non encore modifiée. La question est donc de savoir si le Tribunal de première instance a pu à juste titre décider qu’aucun droit à nomination à un grade particulier n’avait été acquis par ceux dont les noms apparaissaient sur une liste de réserve, mais qui n’avaient pas encore été nommés avant le 1er mai 2004.

66.      Il est constant que de telles personnes n’ont acquis aucun droit à être effectivement nommées. Il est également incontestable que leur grade et échelon effectifs lors de la nomination étaient incertains jusqu’à ce qu’ils aient effectivement été nommés. Dans la plupart des cas, les concours avaient été ouverts pour des emplois relevant d’une carrière comprenant deux grades (et les avis de concours précisaient simplement que la nomination se faisait «en principe» au grade inférieur) et, en tout cas, l’article 32 du statut permettait la prise en compte de la formation et de l’expérience professionnelle lors de la détermination de l’échelon.

67.      Dans ces circonstances, je ne vois pas comment les demandeurs auraient pu acquérir un droit à être nommés dans un grade ou un échelon spécifique, ni en quoi l’on pourrait critiquer la constatation du Tribunal de première instance suivant laquelle ils n’avaient pas acquis un tel droit.

68.      La jurisprudence de la Cour (ou du Tribunal de première instance, ou encore du Tribunal de la fonction publique) n’a jusqu’à présent pas indiqué de manière précise en quoi consiste un droit acquis susceptible d’être enfreint par une modification du statut. Elle a simplement dit que les circonstances faisant naître un tel droit doivent avoir été générées sous l’empire du précédent régime. La Commission ajoute que ce droit doit également avoir été fixé à titre définitif sous l’empire dudit régime dans la mesure où aucune autre décision à caractère discrétionnaire ne devrait être encore prise. Je suis d’accord avec cette thèse, et ce en dépit des droits acquis «virtuels» auxquels la Cour s’est référée dans son arrêt Spachis/Commission, précité, dans des circonstances factuelles caractérisées par l’absence de toute modification des règles applicables. Dans la présente affaire, à la date du 1er mai 2004, un certain nombre de décisions restaient encore à prendre (ou auraient pu ne pas être prises), ce qui aurait pu aboutir à un classement à un grade ou à un échelon différent (ou à aucune nomination du tout), même si l’ancienne structure des carrières était restée en place. Des personnes placées dans la situation qui était celle des demandeurs ne pouvaient donc inférer de cette situation aucun droit acquis à la nomination dans un certain grade ou échelon.

69.      Il est intéressant de noter que le tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail (26) a défini les droits acquis de façon plus précise. Dans un récent jugement, faisant suite à une jurisprudence bien établie, remontant à 1961 (27), il a déclaré qu’«il n’y a […] violation d’un droit acquis que lorsque la modification opérée bouleverse l’économie du contrat d’engagement en portant atteinte aux conditions d’emploi fondamentales qui ont été de nature à déterminer le fonctionnaire à entrer – ou, ultérieurement, à rester – en service».

70.      Bien que les fonctionnaires communautaires ne soient pas dans une relation contractuelle avec les institutions qui les emploient, la notion de «conditions d’emploi fondamentales qui ont été de nature à déterminer le fonctionnaire à entrer – ou, ultérieurement, à rester – en service» pourrait être aisément – et, à mon sens, utilement – transposée dans le contexte communautaire. En l’espèce, par définition, aucun des fonctionnaires concernés par le tableau figurant à l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut n’avait accepté une nomination avant l’entrée en vigueur de cette annexe. Ils ne pouvaient pas non plus acquérir de droit fondé sur les anciennes dispositions statutaires sur la base d’une croyance erronée (quelle qu’en ait été la cause) que ces dispositions étaient toujours d’application.

71.      Je suggère donc de rejeter la deuxième branche du premier moyen avancé à l’appui du pourvoi.

Troisième branche: égalité de traitement

–       L’arrêt attaqué

72.      En première instance, les demandeurs ont soutenu que l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut traite une seule et même catégorie – les lauréats du même concours – de façon différente en fonction de leur date de recrutement, à savoir avant ou après le 1er mai 2004. Cette date ne constituait pas un critère de distinction objectif, puisque la date de nomination dépend d’éléments qui ne sont pas objectifs et dont le fonctionnaire n’a pas la maîtrise. La seule date objective était celle à laquelle ils ont été informés de leur inscription sur la liste de réserve. Dans l’arrêt du 9 juillet 1997, Monaco/Parlement (28), le Tribunal de première instance a jugé que le principe de l’égalité de traitement imposait un traitement identique de l’ensemble des lauréats d’un concours, nonobstant toute nouvelle règle qui aurait pu être adoptée avant que certains d’entre eux n’aient été nommés.

73.      Les nouvelles règles de classement ont en outre eu pour effet, dans le cas des demandeurs, de leur assigner des emplois requérant une expérience professionnelle (senior) mais classés à des grades correspondant à des débuts de carrière (junior). Dans la mesure où ils avaient déjà acquis des qualifications et une expérience considérables, ils ont fait l’objet d’une discrimination fondée sur l’âge, contraire à l’article 1er quinquies du statut des fonctionnaires, puisqu’ils n’avaient pas les mêmes perspectives de carrière que d’autres fonctionnaires, plus jeunes, bénéficiant du même classement. En outre, certains d’entre eux avaient préalablement occupé des emplois temporaires ou auxiliaires et ont été affectés aux mêmes emplois, avec les mêmes attributions, parfois même plus élevées, mais avec un classement en grade inférieur.

74.      Aux points 75 à 91 de son arrêt, le Tribunal de première instance a rejeté cet argument, en motivant sa position pour l’essentiel comme suit.

75.      Le principe général d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée. La question était donc de savoir si tous les lauréats d’un concours formaient une seule et même catégorie, sans qu’il y ait lieu de considérer la date de nomination.

76.      Ainsi qu’il ressortait des développements consacrés à la question des droits acquis, les demandeurs ne pouvaient être légalement classés qu’en accord avec les critères en vigueur à la date de l’adoption de la décision les nommant fonctionnaires. Ils admettaient d’ailleurs implicitement que les nouvelles dispositions du statut leur étaient applicables, dans la mesure où ils revendiquaient le bénéfice de l’application de l’article 1er quinquies du statut. En revanche, les lauréats des mêmes concours nommés antérieurement au 1er mai 2004 devaient nécessairement être classés en grade sur le fondement des anciens critères encore en vigueur à la date de leur nomination. Les deux groupes ne pouvaient donc pas être considérés comme relevant de la même catégorie.

77.      D’ailleurs, en spécifiant que les dispositions transitoires ne préjudiciaient pas aux droits acquis du personnel dans le cadre du régime communautaire avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles, le trente‑septième considérant du règlement n° 723/2004 confirmait cette distinction.

78.      L’idée selon laquelle tous les fonctionnaires recrutés à partir d’un même concours se trouveraient dans des situations comparables n’a été avancée dans l’arrêt Monaco/Parlement, précité, qu’aux fins de constater l’illégalité de l’application à un lauréat de concours général de directives internes de classement en grade plus sévères adoptées postérieurement à l’inscription de l’intéressé sur la liste d’aptitude, alors que les critères de classement statutaires étaient demeurés inchangés. En l’occurrence, c’était au contraire le législateur communautaire qui, dans l’exercice d’un droit incontesté, a choisi de modifier les critères statutaires de classement en grade des nouveaux fonctionnaires lors de leur recrutement. Le législateur peut à tout moment apporter, pour l’avenir, aux dispositions statutaires les modifications qu’il estime conformes à l’intérêt du service, même si celles-ci sont moins favorables (29).

79.      Dès lors que l’emploi auquel un fonctionnaire est affecté est déterminé par la décision de nomination, qui doit être fondée sur les dispositions applicables à la date de son adoption, l’on ne saurait tenir pour discriminatoire l’attribution à certains requérants, dans le cadre des nouvelles règles statutaires, d’un classement en grade inférieur, alors même qu’ils seraient désormais affectés au même poste que celui occupé avant le 1er mai 2004 en qualité d’agent non titulaire et qu’ils exerceraient des fonctions identiques voire plus importantes que par le passé.

80.      Enfin, il n’y a pas eu discrimination en raison de l’âge au sens de l’article 1er quinquies du statut, dès lors que les nouveaux critères de classement en grade sont manifestement étrangers à toute prise en considération de l’âge des intéressés.

–       Argumentation des parties

81.      Les demandeurs allèguent, premièrement, qu’ils avaient en fait acquis un droit à être nommés dans un certain grade (comme il a déjà été allégué dans le cadre de la précédente branche du moyen) et qu’ils se trouvaient donc dans la même catégorie que ceux nommés à partir de la même liste de réserve avant le 1er mai 2004, qui avaient acquis le même droit. Cette considération n’est pas affectée par le trente‑septième considérant du règlement modificatif.

82.      Ils soutiennent, ensuite, que le Tribunal de première instance a commis une erreur de droit en distinguant entre une modification législative du statut et une modification de règles internes à une institution visant à la mise en œuvre de celui‑ci. L’arrêt Monaco/Parlement, précité, ne vient pas au soutien d’une telle analyse, qui revient à placer une modification législative au‑dessus du principe de l’égalité de traitement. Il s’agit là d’une atteinte inacceptable portée à l’État de droit. Dans l’ordre juridique communautaire, le principe de l’égalité de traitement s’applique indifféremment au pouvoir exécutif, au législateur et au juge.

83.      Le Tribunal de première instance a, de fait, omis d’examiner si les lauréats d’un seul et même concours formaient un groupe comparable devant bénéficier d’un traitement égal, et a omis de suivre le raisonnement qui avait été le sien dans l’arrêt Ryan/Cour des comptes, précité. Dans cette affaire, il avait établi, sans se démarquer de l’arrêt Monaco/Parlement, précité, que i) le pouvoir d’appréciation de l’autorité communautaire pour modifier le statut était soumis au principe de l’égalité de traitement, ii) la nature de l’acte modificatif était indifférente, et iii) le principe de l’égalité de traitement suppose que la date d’entrée en application du nouveau régime ne soit pas discriminatoire.

84.      En s’écartant de sa jurisprudence précédente, le Tribunal de première instance a méconnu une obligation de motiver sa décision de manière appropriée. Il a omis d’examiner en quoi pourraient consister les justifications afférentes au changement de règles et à la date d’entrée en vigueur des nouvelles règles.

85.      En outre, l’affirmation suivant laquelle les fonctionnaires respectivement recrutés avant et après le 1er mai 2004 forment des groupes différents parce que des règles différentes leur sont applicables, de sorte qu’il n’y a pas de discrimination illégale, repose sur un raisonnement circulaire.

86.      Le raisonnement concernant la discrimination en fonction de l’âge est également erroné en droit. Une discrimination interdite peut être indirecte aussi bien que directe. En l’occurrence, la discrimination était indirecte, étant donné que les fonctionnaires recrutés sur la base de concours exigeant une expérience professionnelle ont été nommés à des grades qui convenaient pour des personnes dépourvues d’une telle expérience.

87.      Pour la Commission, l’arrêt attaqué ne repose pas sur la prémisse selon laquelle le législateur communautaire ne serait pas lié par le principe de l’égalité de traitement. La véritable question est celle de la «portée intertemporelle» de ce principe, à savoir la circonstance que des particuliers soient, par suite de l’introduction d’une nouvelle règle à partir d’une certaine date, traités moins favorablement qu’avant cette date constitue‑t-elle une violation du principe de l’égalité du traitement? La jurisprudence conforte l’idée qu’il n’en est rien.

88.      Premièrement, dans l’arrêt du 14 avril 2005, Belgique/Commission (30), la Cour a considéré qu’un règlement de la Commission n’avait pas méconnu le principe de non‑discrimination en maintenant les régimes d’aides préalablement autorisés, tout en introduisant un régime nettement plus strict pour les nouveaux régimes d’aides. Bien qu’il y ait inégalité de traitement entre les régimes précédemment déclarés compatibles et ceux mis en place en conformité avec les nouvelles conditions, un tel traitement était objectivement justifié. La Commission ne saurait être privée de la possibilité de fixer des conditions de compatibilité plus strictes si l’évolution du marché commun devait l’exiger. Par ailleurs, elle ne pouvait unilatéralement mettre les régimes d’aides existants en conformité avec les nouvelles conditions, ce qui serait revenu à accorder au règlement des effets rétroactifs, portant ainsi atteinte au principe de sécurité juridique et de confiance légitime.

89.      Deuxièmement, le législateur est en droit d’adopter, pour l’avenir, des dispositions statutaires moins favorables pour les fonctionnaires, lorsqu’il les estime conformes à l’intérêt du service (31), et les fonctionnaires ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien d’un avantage dont ils ont joui à un moment donné (32). Une réglementation nouvelle peut légalement s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure. Le recours à une date pivot, en tant que critère distinctif justifiant une différence de traitement, a en outre été reconnu, à tout le moins, dans la jurisprudence allemande, au motif que le but poursuivi par la législation introduisant les nouvelles règles ne pourrait – à défaut ? être atteint.

90.      Certes, l’arrêt Ryan/Cour des comptes, précité, a relevé qu’il n’était pas exclu que la date d’entrée en application d’une réglementation nouvelle puisse constituer une discrimination illégale, mais, premièrement, cette affaire concernait une date «extérieure» à la modification législative (date du changement de statut de la Cour des comptes des Communautés européennes en vertu du traité), alors que la présente affaire concerne une date inhérente à la modification elle‑même et, deuxièmement, la modification dans l’affaire Ryan avait eu pour effet de requalifier ex post une situation née sous l’empire de la réglementation antérieure, plutôt que de simplement définir de nouveau les effets futurs de cette modification. L’arrêt Monaco/Parlement, précité (à propos duquel la Commission exprime en tout cas des doutes quant à son bien‑fondé), reposait non pas sur la nature de la mesure modifiant les règles, mais sur le fait que c’était l’institution plutôt que le législateur qui les modifiait.

91.      Le Conseil considère que les candidats recrutés avant le 1er mai 2004 et ceux recrutés à partir de cette date se trouvent dans des situations juridiques différentes, puisque leur recrutement est régi par des dispositions différentes. Les nouvelles dispositions ont été introduites pour des raisons parfaitement justifiables, exposées dans le préambule du règlement n° 723/2004. Le Tribunal de première instance n’a pas exonéré le législateur en le plaçant hors de portée du principe de l’égalité de traitement, mais a examiné attentivement si celui‑ci avait été respecté. Suivre l’approche des demandeurs créerait en fait une discrimination injustifiable entre les fonctionnaires recrutés à partir du 1er mai 2004, selon qu’ils étaient lauréats d’un concours dont les opérations auraient débuté avant ou après cette date. Enfin, l’allégation des demandeurs à propos d’une discrimination en fonction de l’âge est fondée sur l’idée que ceux qui ont le plus d’expérience sont nécessairement les plus âgés, ce qui ne correspond pas à la réalité factuelle.

–       Appréciation

92.      Premièrement, il me semble que la question de l’égalité de traitement est distincte de celle des droits acquis. Si tous les lauréats d’un concours donné acquéraient, sous certaines réserves, un droit à nomination dans un grade particulier, il pourrait s’agir là en effet d’un facteur commun de nature à les placer dans une seule et même catégorie, dont tous les membres qui la composent devraient bénéficier de l’égalité de traitement. Étant parvenue à la conclusion qu’ils n’acquièrent pas un tel droit, j’en déduis que les demandeurs ne sauraient, sur cette base, revendiquer l’égalité de traitement avec d’autres fonctionnaires recrutés à partir des mêmes listes de réserve. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’ils ne peuvent pas revendiquer l’égalité de traitement sur une base différente.

93.      Deuxièmement, en écartant par conséquent les arguments et les considérations tendant à lier le sort du grief fondé sur l’égalité de traitement à celui du grief fondé sur les droits acquis, je considère que les motifs avancés par le Tribunal de première instance sont, comme le soutiennent les demandeurs, insuffisants.

94.      Le Tribunal de première instance énonce à juste titre le principe de l’égalité de traitement comme exigeant que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée, et il identifie à juste titre la première question pertinente comme étant celle de savoir si tous les lauréats d’un concours constituent une seule et même catégorie – en d’autres termes, se trouvent dans des situations comparables – sans qu’il y ait lieu de considérer leur date de nomination (points 75 et 76 de l’arrêt attaqué).

95.      Il répond à cette question par la négative, en considérant au fond – c’est même sa seule justification – que ceux nommés avant le 1er mai 2004 devaient être classés conformément aux anciennes dispositions, alors que ceux nommés à partir de cette date devaient être classés conformément aux nouvelles dispositions (points 77 à 80 de l’arrêt attaqué), avant de conforter sa thèse par diverses autres considérations.

96.      Le raisonnement de base paraît circulaire, ce que la Commission a d’ailleurs semblé admettre lors de l’audience. Le critère sur lequel il se fonde pour justifier le placement des deux groupes considérés dans des catégories différentes est précisément le critère dont on soutient qu’il enfreint le principe de l’égalité de traitement. Cette justification semble impliquer que, si la législation communautaire traite deux catégories de personnes différemment, il ne peut y avoir de discrimination pour la simple raison qu’elles relèvent de catégories différentes en vertu de la différence de traitement, ce qui (comme le soulignent les demandeurs) implique que le législateur se situe au‑dessus du principe de l’égalité de traitement – ce qui, comme le Cour l’a jugé de manière constante, n’est pas le cas (33).

97.      Je ne suis pas convaincue non plus par les autres considérations avancées par le Tribunal de première instance à l’appui de sa constatation.

98.      La référence aux droits acquis, notamment telle que mentionnée au trente‑septième considérant du règlement n° 723/2004, n’est à mon sens pas pertinente par rapport à la question de l’égalité de traitement. En tout état de cause, le trente‑septième considérant est interne au règlement, et l’invoquer reviendrait encore à un raisonnement circulaire.

99.      La manière dont le Tribunal de première instance différencie le cas d’espèce de son précédent arrêt Monaco/Parlement, précité, n’est, à mon sens, pas satisfaisante. Il n’y a rien dans les motifs pertinents de cet arrêt qui indique que le principe y exprimé – à savoir que le recrutement, à partir d’un même concours, de certains fonctionnaires sur la base des règles antérieures, plus favorables, et d’autres sur la base de règles postérieures, moins favorables, constitue une discrimination illégale – soit confiné à des affaires dans lesquelles les nouvelles règles sont des dispositions internes adoptées par l’institution employeur, à l’exclusion de dispositions proprement statutaires, adoptées par le législateur communautaire. Il serait d’ailleurs malaisé, me semble‑t‑il, de défendre une telle thèse. Le principe de l’égalité de traitement est un principe fondamental du droit qui doit être respecté par toute mesure prise par n’importe quelle institution, quel que soit le niveau auquel elle se situe.

100. Faire état du pouvoir que détient le législateur de modifier à tout moment, pour le futur, le statut des fonctionnaires s’il estime qu’une telle modification est conforme aux intérêts du service, même si celle‑ci est moins favorable, ne me paraît pas pertinent. Il ne fait aucun doute que le législateur a un tel pouvoir, mais ce que les demandeurs ont contesté dès le départ c’est non pas l’introduction d’une nouvelle structure des carrières à partir du 1er mai 2004, mais l’application, à cet égard, de deux séries de dispositions transitoires à des fonctionnaires recrutés à partir des mêmes listes de réserve, selon qu’ils sont entrés en fonctions avant ou après cette date.

101. En ce qui concerne le traitement, par le Tribunal de première instance, des arguments des demandeurs arguant d’une discrimination fondée sur l’âge et d’une discrimination sous la forme d’une «rétrogradation» par rapport aux grades dans lesquels certains d’entre eux étaient classés en tant qu’agents temporaires, il me semble que ces allégations sont tout simplement exorbitantes de la question de savoir si les deux séries de dispositions transitoires établissent une distinction, de manière justifiée, entre deux catégories de fonctionnaires placés dans des situations différentes, ou, de manière injustifiée, entre fonctionnaires placés dans des situations comparables. Partant, tout en considérant que le Tribunal de première instance avait eu raison de rejeter ces arguments dans ce contexte, il n’en reste pas moins, selon moi, que le raisonnement concernant la différence de traitement est insuffisant.

102. Pour des raisons analogues, je ne suis pas convaincue par les arguments avancés par la Commission et le Conseil. La question n’est pas de savoir si une modification législative introduisant de nouvelles règles applicables à des situations nées après une certaine date est susceptible d’enfreindre le principe de l’égalité de traitement, mais si des dispositions transitoires différentes régissant le passage des anciennes règles vers de nouvelles sont, en l’espèce, appliquées à des fonctionnaires placés dans des situations comparables, en violation de ce principe.

103. J’analyserais la question comme suit.

104. En principe, des lauréats d’un même concours se trouvent dans des situations comparables et ont droit à un traitement égal. En l’absence de modification du statut, ils sont tous en droit d’être recrutés dans les mêmes conditions, sauf si une différenciation peut se justifier pour des motifs objectifs ? tels que leur expérience professionnelle antérieure. Puisque tous ceux qui figurent sur une liste de réserve donnée ne peuvent, en pratique, être nommés en même temps, cela implique nécessairement que ceux recrutés postérieurement sont en droit, en vertu du principe de l’égalité de traitement et non en vertu d’un droit acquis, à être nommés dans les mêmes conditions que ceux recrutés précédemment. Affirmer que ceux qui n’ont pas encore été nommés à une certaine date se trouvent objectivement dans une situation différente de ceux qui ont déjà été nommés, de sorte qu’ils pourraient être traités différemment, reviendrait à restreindre le champ de l’égalité de traitement à ceux qui ont été nommés à la même date.

105. Par opposition aux groupes ouverts de tous les fonctionnaires recrutés, respectivement avant le 1er mai 2004 ou depuis cette date, chaque liste de réserve forme un groupe fermé, dont les membres sont, à tout jamais, identifiés par rapport au moment où celle‑ci a été établie et sont donc en droit de bénéficier de l’égalité de traitement, sous réserve d’une différenciation interne pouvant se justifier pour des motifs objectifs. En conséquence, toute nouvelle mesure affectant ce traitement – qu’il s’agisse d’une disposition d’exécution interne adoptée par une institution employeur ou d’une disposition législative du statut – doit en principe respecter cette unicité et cette égalité. Il se peut que des circonstances extérieures soient à même de séparer le groupe originaire en deux groupes qui ne seraient plus dans des situations comparables et appelleraient dès lors un traitement différent, mais une modification des règles applicables ne saurait, par elle-même, d’un simple coup de baguette, tout à la fois produire la séparation et engendrer une différence de traitement sans violer le principe de l’égalité de traitement.

106. Cependant, la différenciation en cause dans la présente affaire est fondée non pas simplement sur la seule date du 1er mai 2004, mais sur le rapport existant entre cette date et, pour chaque membre du groupe fermé de lauréats d’un certain concours, la date d’entrée en fonction.

107. Néanmoins, ni cette dernière date ni le rapport entre les deux dates ne sauraient constituer, à mon sens, un motif objectif de différenciation entre lauréats. L’ordre et le calendrier de recrutement des différents candidats issus d’une liste de réserve donnée peut dépendre de plusieurs facteurs qui ne sont pas pertinents aux fins d’une différenciation sous l’angle des conditions de recrutement – par exemple la disponibilité d’un emploi budgétaire ou la durée du préavis qu’un candidat doit donner pour quitter son emploi précédent. Par rapport à la question des droits acquis, la Commission a souligné, notamment lors de l’audience, que les demandeurs ne pouvaient pas avoir acquis un droit à nomination dans un certain grade avant le 1er mai 2004 parce que d’autres décisions discrétionnaires devaient encore être prises à ce moment‑là. À cet égard, certains des facteurs pris en considération pourraient même être subjectifs. L’institution employeur pourrait précipiter ou retarder le recrutement d’un certain candidat pour différentes raisons de convenance ou même de préférence. Les demandeurs ont fait état d’éléments prouvant que certains candidats qui faisaient déjà partie du personnel temporaire ont été nommés par voie de procédure accélérée peu avant le 1er mai 2004, une possibilité qui n’était pas ouverte aux candidats de l’extérieur ou au personnel auxiliaire (34). Sans qu’il soit nécessaire de me prononcer sur ces éléments de preuve en tant que tels, je considère qu’une disposition qui laisse ouverte la possibilité d’une telle différenciation discrétionnaire entre candidats se trouvant en principe tous dans une situation comparable ne saurait être tenue pour conforme au principe de l’égalité de traitement.

108. Soulignons que je ne conteste pas la possibilité pour le législateur d’instaurer une nouvelle structure des carrières, impliquant des conditions moins favorables au départ pour les nouveaux fonctionnaires, avec effet à compter d’une certaine date.

109. Le législateur ne saurait toutefois appliquer des dispositions transitoires différentes à des fonctionnaires différents recrutés sur la base du même concours prévu pour l’ancienne structure des carrières, sauf sur la base d’une différenciation objective qui ne soit ni inhérente à la modification législative elle‑même, ni sujette à manipulation discrétionnaire dans le chef de l’institution employeur.

110. À la lumière de l’ensemble de ces considérations, je suggère d’accueillir cette troisième branche du premier moyen de pourvoi soulevé par les demandeurs. Partant, et quel que soit le sort réservé aux autres arguments, l’arrêt attaqué encourt l’annulation.

Quatrième branche: violation du principe de la confiance légitime ‑ dénaturation des éléments de preuve

–       L’arrêt attaqué

111. En première instance, les demandeurs ont soutenu que l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut violait leur confiance légitime quant au bénéfice d’un traitement conforme aux conditions fixées dans les avis de concours.

112. Aux paragraphes 95 à 99 de son arrêt, le Tribunal de première instance a rejeté cet argument, essentiellement pour les motifs suivants.

113. Un fonctionnaire ne saurait se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime pour s’opposer à la légalité d’une disposition réglementaire nouvelle, surtout parce que le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant à la nécessité de réformes statutaires. Ce principe ne s’applique que lorsque l’administration communautaire a fait naître chez ce fonctionnaire des espérances fondées, en lui fournissant des assurances précises sous la forme de renseignements précis, inconditionnels et concordants, émanant de sources autorisées et fiables. Or, en l’espèce, le dossier ne contenait aucun élément susceptible de faire naître des espérances légitimes dans le maintien des anciens critères statutaires de classement en grade des fonctionnaires lors de leur recrutement. Des avis de concours et des courriers de la Commission avaient même signalé que les lauréats pourraient se voir proposer un recrutement sur la base de nouvelles dispositions statutaires. Les demandeurs ne sauraient non plus arguer utilement d’une modification substantielle d’une situation acquise sous l’ancien statut, dès lors que leur inscription sur une liste de réserve n’avait pas pu avoir pour effet de les admettre au bénéfice d’une telle situation.

–       Argumentation des parties

114. Les demandeurs soutiennent que le Tribunal de première instance a dénaturé les faits en déclarant que le dossier ne contenait aucun élément susceptible de faire naître une confiance légitime quant au maintien des anciens critères de classement lors du recrutement. Le dossier contenait en fait des documents établissant que, pour quatre demandeurs, des informations précises, inconditionnelles et cohérentes dans le sens d’une nomination au grade annoncé dans les avis de concours, ou dans un grade équivalent, avaient été données par des sources autorisées et fiables. Ces documents incluaient des offres d’emploi faites et acceptées avant le 1er mai 2004, sans indication de ce que l’emploi serait classé à un niveau inférieur de rémunération ou de grade. En ce qui concerne les autres lauréats, qui ne s’étaient vu proposer un emploi qu’après cette date, plusieurs n’ont pas reçu d’information dans la lettre type d’offre d’emploi et plusieurs ont pris part à des concours ne faisant aucune mention d’une modification possible du statut.

115. La Commission et le Conseil soutiennent, premièrement, que conformément à une jurisprudence constante (35), les particuliers ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante susceptible d’être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions communautaires.

116. En deuxième lieu, des assurances émanant d’une autorité administrative ne sont pas susceptibles d’affecter la légalité d’actes du législateur communautaire. Partant, les arguments tirés des différents éléments factuels sont inopérants dans le cadre de l’exception d’illégalité et le Tribunal de première instance a pu, à bon droit, dire que le dossier ne contenait pas d’éléments susceptibles de faire naître des espérances légitimes dans le maintien des anciens critères statutaires de classement en grade.

117. En troisième lieu, des assurances ne tenant pas compte des dispositions applicables ne sauraient faire naître une confiance légitime dans le chef de la personne concernée (36), de sorte que, même sous l’angle de la légalité des nominations plutôt que sous celui de la légalité de la disposition en cause, une promesse faite dans le contexte du statut non modifié ne saurait fonder une confiance légitime après l’entrée en vigueur des modifications.

118. Enfin, le Tribunal de première instance n’a pas dénaturé les éléments du dossier. Ses constatations traduisaient fidèlement des différences de situations entre les différents demandeurs, pour ce qui est des indications qui leur avaient été données.

–       Appréciation

119. Il est constant que divers demandeurs ont reçu diverses indications à partir desquelles ils pouvaient conclure qu’ils seraient nommés à l’un des grades pour lesquels les concours dont ils étaient lauréats avaient été organisés. Je ne discerne cependant pas d’erreurs dans les conclusions du Tribunal de première instance suivant lesquelles ils n’étaient pas fondés à placer leur confiance légitime dans ces indications, quand bien même celles‑ci auraient été précises, cohérentes et inconditionnelles, et leurs sources autorisées et fiables.

120. Ainsi que le Tribunal de première instance l’a rappelé, les particuliers ne sauraient se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime pour s’opposer à la légalité d’une disposition réglementaire nouvelle, surtout dans un domaine dans lequel le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation (37).

121. En outre, je conviens avec la Commission de ce que des assurances données par des autorités administratives ne peuvent créer de confiance légitime limitant le champ d’action du législateur. Partant, toute confiance légitime qui aurait pu découler des informations reçues par les demandeurs n’aurait de pertinence que par rapport à la validité des décisions de nomination ou, comme la Commission l’a fait observer lors de l’audience, par rapport à d’éventuels recours en indemnité, mais non par rapport à la légalité de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut.

122. Toutefois, la validité de ces décisions dépend en premier lieu de la légalité des dispositions qui en sont le fondement et auxquelles elles doivent nécessairement se conformer. Si, comme je le suggère, ces dispositions sont illégales parce que méconnaissant le principe de l’égalité de traitement, les décisions de nomination doivent, en tout état de cause, être annulées, indépendamment de toute violation de la confiance légitime, et de nouvelles décisions devront être adoptées sur une base légale appropriée.

123. Je suis donc d’avis que la quatrième branche du premier moyen de pourvoi ne doit pas être accueillie.

Cinquième branche: violation de l’article 31 du statut

–       L’arrêt attaqué

124. En première instance, les demandeurs ont fait valoir que l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut était contraire à l’article 31, paragraphe 1, du statut, tel que modifié, selon lequel un fonctionnaire est recruté au grade indiqué dans l’avis de concours auquel il a été reçu. Ils auraient donc dû être recrutés auxdits grades, convertis en nouveaux grades intermédiaires, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de ladite annexe XIII.

125. Aux points 108 à 116 de son arrêt, le Tribunal de première instance a rejeté cet argument, en motivant sa position essentiellement comme suit.

126. En vertu de l’article 31, paragraphe 1, du statut, des lauréats de concours doivent être nommés au grade indiqué dans l’avis de concours. Il résulte toutefois de la réponse apportée au grief tiré de la violation du principe de l’égalité de traitement que la détermination du niveau des postes à pourvoir et des conditions de nomination des lauréats à ces postes, à laquelle il avait été procédé dans le cadre des dispositions de l’ancien statut, n’avait pu prolonger ses effets au-delà de la date du 1er mai 2004, date correspondant à l’entrée en vigueur de la nouvelle structure des carrières.

127. La situation des candidats inclus sur des listes de réserve avant le 1er mai 2004 mais nommés à partir de cette date devait donc être gérée à la lumière de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut. Il est vrai que le tableau figurant dans ces dispositions s’écarte du tableau de l’article 2, paragraphe 1, de cette annexe, dans lequel les anciens grades des fonctionnaires en poste antérieurement au 1er mai 2004 sont convertis en nouveaux grades intermédiaires. Il est cependant loisible au législateur d’adopter pour l’avenir des modifications aux dispositions du statut, même si les dispositions modifiées sont moins favorables que les anciennes.

128. Il est inhérent à une disposition transitoire telle que celle présentement en cause de déroger à certaines règles statutaires dont l’application est nécessairement affectée par le changement de régime. En l’espèce, l’exception ne va pas au-delà de ce qui découle de la nomination comme fonctionnaires, dans le cadre des nouvelles règles statutaires, de personnes sélectionnées par des procédures de concours ouvertes et clôturées sous l’empire des anciennes dispositions.

–       Argumentation des parties

129. Les demandeurs font valoir que le raisonnement du Tribunal de première instance concernant l’article 31, paragraphe 1, du statut doit subir le même sort que le raisonnement concernant le principe de l’égalité de traitement. Ce principe aurait été rencontré par une disposition transitoire selon laquelle, dès lors qu’un ou plusieurs lauréats d’un concours donné avaient déjà été nommés sur la base des anciens critères, lesdits critères s’appliqueraient à l’ensemble de ces candidats. Il aurait pu être satisfait à l’objectif consistant à «permettre une mise en oeuvre progressive des nouvelles dispositions et mesures» en alignant l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut sur l’article 2, paragraphe 1, de la même annexe. Le raisonnement de l’arrêt attaqué apparaît dès lors défectueux.

130. Ils font également observer que l’article 12, paragraphe 3, de ladite annexe XIII produit en fait des effets définitifs, et non transitoires ou progressifs, et que dans son arrêt du 14 décembre 2006, Economidis/Commission (38), le Tribunal de la fonction publique avait statué en ce sens qu’aucune des mesures transitoires de l’annexe XIII du statut ne concernait l’article 31 du statut.

131. La Commission répond essentiellement uniquement sur les deux derniers points. Elle soutient qu’une décision prise sur la base d’une disposition transitoire peut avoir des effets définitifs et que l’arrêt Economidis/Commission, précité, ne concernait pas l’article 31 du statut.

132. Le Conseil soutient que les arguments des demandeurs sont fondés sur la prémisse erronée selon laquelle l’article 31, paragraphe 1, du statut est une norme de rang supérieur à celle de l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII dudit statut, alors que leur relation serait plutôt celle d’une lex generalis et d’une lex specialis. Pour ce qui est du caractère adéquat de la motivation, les demandeurs confondent encore une fois la motivation du Tribunal de première instance et celle du législateur, mais, en tout état de cause, les articles 2, paragraphe 1, et 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut ont trait à deux situations objectivement différentes, à savoir celle de fonctionnaires ayant acquis des droits au titre de l’ancien statut et celle de lauréats qui n’en avaient acquis aucun. En ce qui concerne l’arrêt Economidis/Commission, le Conseil avance essentiellement les mêmes arguments que la Commission.

–       Appréciation

133. Bien que la motivation du Tribunal de première instance à cet égard soit principalement fondée sur celle en relation avec l’égalité de traitement, et tout en considérant inadéquate cette dernière motivation, je ne partage pas l’opinion des demandeurs suivant laquelle la conclusion relative à l’article 31 du statut serait, de même, invalide.

134. Le Tribunal de première instance a également souligné le fait, incontestable, que, par suite de l’introduction de la nouvelle structure des carrières, il n’était plus matériellement possible de nommer des candidats aux grades annoncés dans les avis de concours rédigés dans le cadre de l’ancienne structure des carrières. Des mesures transitoires étaient donc nécessaires, et elles ont été adoptées à travers l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut. Je suis d’accord sur ce point avec le Conseil lorsqu’il considère que la relation entre l’article 31 du statut et l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII de celui‑ci est celle existant entre une lex generalis et une lex specialis.

135. Le Tribunal de première instance a noté la divergence entre les deux séries de dispositions transitoires, à savoir les articles 2, paragraphe 1, et 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut, mais a considéré que cette divergence relevait du pouvoir reconnu au législateur d’adopter de nouvelles dispositions pour le futur. Tout en ne partageant pas ce point de vue, pour les motifs que j’ai exposés en liaison avec l’égalité de traitement, je ne pense pas que cela ait une incidence sur la présente question. L’article 2, paragraphe 1, de l’annexe XIII du statut, qui porte sur la conversion des grades relevant de l’ancienne structure des carrières en grades relevant de la nouvelle structure, est sans rapport avec l’article 31 du statut, qui concerne le grade de recrutement à la suite de la réussite d’un concours général.

136. En ce qui concerne les deux points mineurs, la Commission considère à bon droit que des dispositions transitoires peuvent avoir des effets définitifs et il apparaît clairement, à la lecture de l’arrêt Economidis/Commission, précité, que les faits de la cause étaient tous postérieurs au 1er mai 2004, de sorte que la constatation du Tribunal de la fonction publique doit être lue dans ce contexte (elle ne saurait, en tout état de cause, être lue de manière littérale, étant donné que l’article 12, paragraphe 1, de l’annexe XIII du statut affecte explicitement l’article 31, paragraphes 2 et 3, du statut).

137. Il y a donc lieu de rejeter la cinquième branche du premier moyen de pourvoi.

Sixième branche: violation des articles 5 et 7 du statut ainsi que du principe d’équivalence

–       L’arrêt attaqué

138. En première instance, les demandeurs ont fait valoir que l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut méconnaissait les principes d’équivalence entre le grade et l’emploi, ainsi que l’identité des conditions de recrutement et de déroulement de carrière des fonctionnaires appartenant au même groupe de fonctions, consacrées par les articles 5 et 7 du statut.

139. Aux points 124 à 132 de son arrêt, le Tribunal de première instance a rejeté cet argument, essentiellement pour les motifs suivants.

140. Il ressort de l’analyse du grief concernant l’égalité de traitement que l’on ne saurait valablement prétendre que le principe de l’égalité des conditions de recrutement et de déroulement de carrière des fonctionnaires appartenant au même groupe de fonctions a été enfreint. Des dispositions différentes s’appliquaient à ceux recrutés avant le 1re mai 2004 et ceux recrutés à partir de cette date. L’annexe XIII du statut, et notamment ses articles 4, sous n) (39), et 12, paragraphe 3, forment une lex specialis qui prévaut, pour une période y spécifiée, sur les dispositions des articles 5 et 7 du statut.

–       Argumentation des parties

141. Les demandeurs soutiennent que les motifs avancés pour rejeter ce grief doivent subir le même sort que ceux concernant le principe de l’égalité de traitement. En outre, si l’on suivait le raisonnement du Tribunal de première instance jusqu’au bout de sa logique, cela signifierait qu’une disposition transitoire pourrait déroger à n’importe quel principe général du droit, ce qui est manifestement absurde. Le principe d’équivalence en cause est un principe fondamental qui doit être respecté.

142. La Commission et le Conseil soutiennent, pour l’essentiel, qu’il ressort clairement de l’arrêt attaqué que le Tribunal de première instance a, à bon droit, décidé que les articles 5 et 7 du statut ont été pleinement respectés par l’introduction de dispositions transitoires qui ont temporairement prévalu sur certaines de leur dispositions.

–       Appréciation

143. Là encore, je ne suis pas d’accord avec le grief des demandeurs tiré de ce que la conclusion sur ce point doit subir le même sort que le raisonnement ayant trait à l’égalité de traitement. La conclusion du Tribunal de première instance est fondée également sur d’autres motifs qui, ainsi que le soulignent la Commission et le Conseil, sont valides. Les dispositions transitoires en cause forment une lex specialis qui l’emporte temporairement sur la lex generalis des articles 5 et 7 du statut. Pour ce qui est de la tentative de raisonnement par l’absurde des demandeurs, il est évident que l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut ne déroge en aucune manière au principe d’équivalence ou de correspondance entre le grade et l’emploi, mais établit simplement, sur une base transitoire, de nouveaux critères aux fins de la détermination d’une équivalence qui soit davantage en accord avec la nouvelle structure des carrières.

144. Je propose donc de rejeter cette dernière branche du premier moyen de pourvoi.

Second moyen de pourvoi: violation des principes de bonne administration, de transparence, de protection de la confiance légitime, de bonne foi, d’égalité de traitement et de non‑discrimination, ainsi que du principe de l’équivalence de l’emploi et du grade

–       L’arrêt attaqué

145. En première instance, les demandeurs ont fait valoir que les décisions litigieuses, à distinguer des dispositions sur lesquelles elles étaient fondées, méconnaissaient elles‑mêmes les exigences de bonne administration, de transparence, de protection de la confiance légitime, d’égalité de traitement et de non‑discrimination, ainsi que les principes d’équivalence de l’emploi et du grade, de bonne foi et de sollicitude.

146. Aux points 147 à 153 de son arrêt, le Tribunal de première instance a rejeté ce moyen, en motivant sa position pour l’essentiel comme suit.

147. Ce n’est que postérieurement à leur prise de fonctions en qualité de fonctionnaire stagiaire que les demandeurs ont été directement informés du nouveau système de classement en grade et de l’abaissement corrélatif de leur grade de recrutement par rapport à celui indiqué dans les avis de concours. En outre, la plupart des décisions litigieuses ne se réfèrent pas à l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut, alors même qu’il s’agissait de la base juridique aux fins de la fixation du grade lors du recrutement.

148. Toutefois, cette circonstance, si elle est de nature à sous‑tendre une action en indemnité, n’a pas pour effet de rendre illégales les décisions litigieuses. La légalité d’un acte individuel doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (40). Or, comme aucune des décisions litigieuses n’a été adoptée avant le 1er mai 2004, la Commission devait fixer le grade des demandeurs conformément à l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut, dont l’illégalité n’a pas été démontrée. Dans ces conditions, les irrégularités susceptibles d’avoir été commises par la Commission, à les supposer contraires aux principes invoqués par les intéressés, n’étaient pas de nature à exercer une incidence sur la légalité de leur classement en grade.

149. En particulier, la circonstance que la Commission a, en violation du principe de non‑discrimination, recruté par priorité certains lauréats à une date antérieure au 1er mai 2004, ne saurait affecter la légalité des décisions litigieuses. Le principe de l’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité, nul ne pouvant invoquer, à son profit, une illégalité qui aurait été commise en faveur d’autrui (41).

–       Argumentation des parties

150. Les demandeurs soutiennent que le rejet de leur second moyen de première instance ne peut être maintenu s’il est établi que, ainsi qu’ils le font valoir, l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut est illégal.

151. En ce qui concerne la question du recrutement prioritaire de certains candidats avant le 1er mai 2004 (42), ils soutiennent n’avoir pas invoqué l’illégalité de tels recrutements, mais plutôt qu’il était contraire au principe de l’égalité de traitement qu’eux‑mêmes n’en aient pas bénéficié. Le Tribunal de première instance a donc omis de fournir une motivation adéquate à l’appui de sa conclusion.

152. En ce qui concerne le devoir de sollicitude, les demandeurs indiquent qu’ils ont été nommés à un emploi en reconnaissance de leurs mérites personnels, mais que leurs rémunérations ont été abaissées par rapport à celles qui leur avaient été indiquées lors de la procédure de recrutement, que plusieurs d’entre eux ont assumé, avant et après leur nomination, les mêmes tâches et que deux d’entre eux avaient même fait l’objet d’un reclassement, en tant qu’agent temporaire, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de l’annexe XIII du statut, avant d’être «rétrogradés», lors de leur nomination en tant que fonctionnaire, à un grade fixé conformément à l’article 12, paragraphe 3, de la même annexe. Cette situation est contraire au devoir de sollicitude, qui implique que la rémunération d’un fonctionnaire ne soit pas réduite lors de sa nomination à un emploi plus élevé en reconnaissance de ses mérites propres (43). Le Tribunal de première instance a méconnu ce principe en considérant que la Commission l’avait respecté.

153. La Commission soutient que les motifs de l’arrêt attaqué ont rencontré tous les arguments et que l’arrêt Da Silva/Commission, précité, n’est pas pertinent, puisqu’il concerne un fonctionnaire qui avait déjà été nommé avant le 1er mai 2004 et qui avait dès lors acquis des droits au titre des dispositions précédentes. Le Tribunal de première instance n’a pas jugé illégal de tels recrutements prioritaires. Il s’est à cet égard manifestement exprimé en termes simplement hypothétiques.

154. Le Conseil ne fait rien valoir par rapport à ce moyen, qui concerne uniquement la légalité des décisions de la Commission.

–       Appréciation

155. Il me semble que, en tout état de cause, ce second moyen est superflu ou inopérant. Ou l’article 12, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut est valide, ou il doit être déclaré illégal pour violation du principe de l’égalité de traitement. S’il est valide, la Commission était tenue de nommer les demandeurs conformément aux dispositions de cet article et, dans la mesure où il n’a pas été allégué que ledit article 12, paragraphe 3, contrevenait lui‑même aux principes présentement invoqués, ces derniers ne pourraient pas fonder une demande d’adoption de mesures qui seraient contraires à ces dispositions. Si ce même article 12, paragraphe 3, est déclaré illégal, les décisions de nomination prises sur cette base doivent en tout état de cause être annulées et de nouvelles décisions, satisfaisant au principe de l’égalité de traitement, devront être prises. Ces nouvelles décisions devront bien entendu satisfaire à l’ensemble des principes invoqués en liaison avec le présent moyen, mais il est sans pertinence à cet égard qu’ils aient été ou non respectés dans le cadre des premières décisions.

156. Certes, ainsi que le Tribunal de première instance l’a souligné, les demandeurs auraient pu (ce qu’ils sont d’ailleurs toujours en mesure de faire) demander réparation à titre autonome, en invoquant à cet égard le non‑respect de plusieurs au moins des principes qu’ils invoquaient, même si les décisions de nomination et les dispositions sur lesquelles elles étaient fondées étaient elles‑mêmes légales. Cependant, une telle demande en réparation fait défaut en première instance et, par voie de conséquence, au stade du pourvoi. Les demandes de reconstitution de carrière et de versement des intérêts de retard desdits demandeurs dépendent de l’annulation des décisions portant nomination.

157. Je suggère donc de rejeter, comme inopérant, le second moyen de pourvoi.

 Conséquences d’ordre procédural

158. Je suis parvenue à la conclusion que l’annexe XIII du statut est contraire au principe de l’égalité de traitement pour autant qu’elle prévoit deux séries divergentes de dispositions transitoires, à savoir les articles 2, paragraphe 1, et 12, paragraphe 3, devant être appliquées à des lauréats d’un seul et même concours général, pour des motifs qui ne sont pas objectifs, étant donné que le critère distinctif est, pour partie, fixé par les dispositions elles‑mêmes et, pour partie, sujet à changement discrétionnaire de la part de l’institution employeur.

159. L’arrêt attaqué doit donc être annulé pour autant qu’il a commis une erreur de droit en parvenant à la conclusion contraire.

160. Cela étant, les décisions litigieuses doivent être annulées pour autant qu’elles sont fondées sur des dispositions discriminatoires illicites de l’annexe XIII du statut. Il n’est pas nécessaire de renvoyer à cette fin l’affaire devant le Tribunal de première instance.

161. La question se pose, néanmoins, en raison des demandes de reconstitution de carrière et de versement d’intérêts de retard, sur lesquelles le Tribunal de première instance n’a pas statué.

162. En ce qui concerne la demande tendant à ce que la Commission soit invitée à reconstituer les carrières des demandeurs, il est de jurisprudence constante que les juridictions communautaires ne sont pas compétentes pour délivrer de telles injonctions aux institutions (44).

163. Cependant, en application de l’article 233 premier alinéa, CE, par suite de l’annulation des décisions litigieuses sur le fondement que je propose, le législateur communautaire doit prendre les mesures nécessaires pour établir l’égalité de traitement entre fonctionnaires recrutés sur la base du même concours, et la Commission est tenue de réexaminer le classement en grade des demandeurs, avec effet à compter des dates de leurs nominations respectives. Néanmoins, la Cour a la faculté de spécifier le taux d’intérêt devant s’appliquer aux arriérés de rémunérations dont l’institution serait redevable envers les demandeurs à la suite d’un tel réexamen (45). Le taux fixé par la Banque centrale européenne apparaît être un taux approprié qu’il conviendra de spécifier dans ce contexte.

 Sur les dépens

164. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les demandeurs au pourvoi ayant conclu à la condamnation de la Commission, et cette dernière devant à mon sens succomber en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens tant de première instance que de pourvoi. Le Conseil, en tant que partie intervenante, devra supporter ses propres dépens dans les deux instances, conformément à l’article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure.

 Conclusion

165. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes, du 11 juillet 2007, Centeno Mediavilla e.a./Commission (T‑58/05), pour autant qu’il constate que les dispositions transitoires sur lesquelles les dispositions litigieuses étaient fondées respectaient le principe de l’égalité de traitement;

–        d’annuler les décisions litigieuses pour autant qu’elles fixaient le classement en grade des demandeurs sur la base de ces dispositions transitoires;

–        de spécifier que tout arriéré de rémunération dont l’institution communautaire deviendrait redevable envers les demandeurs en conséquence de cette annulation doit porter intérêt à partir de la date à laquelle les montants correspondants auraient dû être versés, au taux fixé par la Banque centrale européenne, et

–        de condamner la Commission des Communautés européennes aux dépens des deux instances, à l’exception de ceux du Conseil de l’Union européenne qui supportera ses propres dépens.


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Le statut des fonctionnaires a été adopté en premier lieu par le règlement n° 31 (CEE), 11 (CEEA) des Conseils, du 18 décembre 1961, fixant le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 1962, 45, p. 1385), avant d’être modifié à de nombreuses reprises. Les modifications présentement en cause résultent du règlement (CE, Euratom) n° 723/2004 du Conseil, du 22 mars 2004, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés (JO L 124, p. 1).


3 – Voir Informations administratives n° 59–2005, du 20 juillet 2005, concernant le classement en grade à l’entrée en fonction depuis le 1er mai 2004, et ordonnance du Tribunal de la fonction publique du 21 avril 2008, Boudova e.a./Commission (F‑78/07, non encore publié au Recueil, points 6 et 27).


4 –      En anglais: «remain», à rapprocher du français «sont maintenues», qui peut dénoter une intention plus marquée.


5 – Règlement du Conseil du 7 avril 1998 modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés en matière d’égalité de traitement (JO L 113, p. 4).


6 – Il n’y a pas eu de changement substantiel de cet article en 2004.


7 –      L’article 29, paragraphe 2, du statut autorise le recours à des procédures exceptionnelles pour un recrutement au plus haut niveau (directeur et directeur général).


8 –      À savoir «les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d’intégrité, recrutés sur une base géographique aussi large que possible parmi les ressortissants des États membres des Communautés».


9 –      L’article 31, paragraphe 3, du statut permet également l’organisation de concours à certains autres grades, étant entendu que les nominations effectuées sur cette base ne doivent pas excéder 20 % du nombre total annuel des nominations dans le groupe de fonctions AD.


10 –      À savoir l’activité, le détachement, le congé de convenance personnelle, la disponibilité, le congé pour services militaires et le congé parental ou le congé familial.


11 –      Également dénommées communément «Listes de réserve».


12 – Les rémunérations sont reprises de l’article 66 du statut, tel que modifié, pour la dernière fois avant le 1er mai 2004, par le règlement (CE, Euratom) n° 2182/2003 du Conseil, du 8 décembre 2003, adaptant à compter du 1er janvier 2004 les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 327, p. 3), et tel que modifié, avec effet au 1er mai 2004, par le règlement n° 723/2004.


13 ‑ Arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, Centeno Mediavilla e.a./Commission (T‑58/05, Rec. 2007, p. II‑2523).


14



 – Les rémunérations sont celles du premier échelon du grade pertinent (voir note en bas de page 12).


15 Je détaillerai, pour autant qu’il importe, les motifs du Tribunal de première instance en présentant les moyens de pourvoi successifs.


16 – Voir arrêt du 29 novembre 2007, arrêt de Bustamante Tello/Conseil (C‑10/06 P, Rec. p. I‑10381, point 28).


17 – Voir point 17 des présentes conclusions. Il ressort du dossier que les demandeurs ont soutenu à l’origine que le comité n’avait été consulté sur aucun des éléments repris dans le futur article 12, paragraphe 3, du statut mais ils ont par la suite limité la portée de cet argument à la substitution du grade A *6 au grade A *7, à la lumière des éléments de preuve produits par la Commission.


18 – Règlement du Conseil du 17 novembre 1995 instituant, à l’occasion de l’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède, des mesures particulières de cessation définitive des fonctions de fonctionnaires des Communautés européennes (JO L 280, p. 1).


19 – T‑13/97, RecFP p. I‑A‑543 et II‑1633, points 151 à 172.


20 – Voir note en bas de page 12.


21 – Voir article 29, paragraphe 2, du statut.


22 – Arrêt du 19 mars 1975, Gillet/Commission (28/74, Rec. p. 463, point 5).


23 – Arrêt du 20 juin 1985, Spachis/Commission (138/84, Rec. p. 1939, point 12).


24 – Terme utilisé en français, langue de procédure et langue de rédaction de l’arrêt. La version anglaise «substantive right» est manifestement une traduction erronée, de sorte que, lors de l’audience, l’avocat des demandeurs n’était pas fondé à tenter de tirer argument de cette version.


25 – En citant les conclusions de l’avocat général Capotorti dans l’affaire Grogan/Commission (arrêt du 11 mars 1982, 127/80, Rec. p. 869, 898).


26 – Qui statue sur des litiges de fonction publique pour plus de 50 organismes internationaux.


27 – Jugement n° 2682, du 6 février 2008, point 6.


28 – T‑92/96, RecFP p. I‑A‑195 et II‑573, point 55.


29 – Arrêt du Tribunal de première instance du 30 septembre 1998, Ryan/Cour des comptes (T‑121/97, Rec. p. II‑3885, point 98).


30 – C‑110/03, Rec. p. I‑2801, points 70 à 75.


31 – Arrêt Ryan/Cour des comptes, précité (points 98 et 104).


32 – Arrêt du 27 septembre 1979, Eridania‑Zuccherifici nazionali et Società italiana per l’industria degli zuccheri (230/78, Rec. p. 2749, point 22).


33 – Voir, par exemple, arrêts du 7 juin 1972, Sabbatini‑Bertoni/Parlement (20/71, Rec. p. 345); du 17 février 1998, Grant (C‑249/96, Rec. p. I‑621, point 45), et du 9 septembre 2003, Rinke (C‑25/02, Rec. p. I‑8349, points 25 à 28).


34 – Annexe A.6 à la requête de première instance. Le point 154 de l’arrêt attaqué y fait allusion, mais sans se prononcer sur la question. Voir également point 151 des présentes conclusions.


35 – Arrêt du 7 septembre 2006, Espagne/Conseil (C‑310/04, Rec. p. I‑7285, point 81 et jurisprudence citée).


36 – Arrêt du 6 février 1986, Vlachou/Cour des comptes (162/84, Rec. p. 481, point 6).


37 Le Tribunal de première instance a renvoyé à son arrêt du 11 février 2003, Leonhardt/Parlement (T‑30/02, RecFP p. I‑A‑41 et II‑265, point 55); voir également, par exemple, en matière de politique commerciale, arrêt du 19 novembre 1998, Espagne/Conseil (C‑284/94, Rec. p. I‑7309, point 43).


38 – F‑122/05, non encore publié au Recueil.


39 – Voir point 15 des présentes conclusions.


40 – Arrêts de la Cour du 17 mai 2001, IECC/Commission (C‑449/98 P, Rec. p. I‑3875, point 87), ainsi que du Tribunal de la fonction publique du 25 mai 2004, W/Parlement (T‑69/03, RecFP p. I‑A‑153 et II‑687, point 28).


41 – Arrêt du 4 juillet 1985, Williams/Cour des comptes (134/84, Rec. p. 2225, point 14).


42 – L’existence de ce recrutement a été prouvée sous la forme d’un message électronique produit à l’annexe A.6 de la requête introductive de première instance.


43 – Arrêt du Tribunal de la fonction publique du 28 juin 2007, Da Silva/Commission (F‑21/06, non encore publié au Recueil).


44 – Voir, par exemple, arrêts de la Cour du 23 avril 2002, Campogrande/Commission (C‑62/01 P, Rec. p. I‑3793, point 43), ainsi que du Tribunal de la fonction publique du 5 décembre 2000, Campogrande/Commission (T‑136/98, RecFP p. I‑A‑267 et II‑1225, point 67).


45 – Arrêt du 20 mars 1984, Razzouk et Beydoun/Commission (75/82 et 117/82, Rec. p. 1509, points 18 et 19).