Language of document : ECLI:EU:T:1998:97

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

14 mai 1998 (1)

«Concurrence — Article 85, paragraphe 1, du traité CE — Notion d'infraction unique — Échange d'informations — Injonction — Amende — Détermination du montant — Méthode de calcul — Motivation — Circonstances atténuantes»

Dans l'affaire T-334/94,

Sarrió SA, société de droit espagnol, établie à Pampelune (Espagne), représentée par Mes Antonio Creus Carreras, avocat au barreau de Barcelone, Alberto Mazzoni, avocat au barreau de Milan, Antonio Tizzano et Gian Michele Roberti, avocats au barreau de Naples, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Alain Lorang, 51, rue Albert 1er,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Richard Lyal, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Alberto Dal Ferro, avocat au barreau de Vicence, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët, Mme P. Lindh, MM. A. Potocki et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    La présente affaire concerne la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après «décision»). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2.
    Le produit faisant l'objet de la décision est le carton. Trois types de carton, désignés comme relevant des qualités «GC», «GD» et «SBS», sont mentionnés dans la décision.

3.
    Le carton de qualité GD (ci-après «carton GD») est un carton à intérieur gris (papiers recyclés) qui sert habituellement à l'emballage de produits non alimentaires.

4.
    Le carton de qualité GC (ci-après «carton GC») est un carton présentant une couche extérieure blanche et servant habituellement à l'emballage de produits alimentaires. Le carton GC est d'une qualité supérieure à celle du carton GD. Dans la période couverte par la décision, il a généralement existé entre ces deux

produits un écart de prix d'environ 30 %. Dans une moindre mesure, le carton GC de haute qualité sert également à des utilisations graphiques.

5.
    SBS est le sigle utilisé pour désigner le carton entièrement blanc (ci-après «carton SBS»). Ce carton est un produit dont le prix est d'environ 20 % supérieur à celui du carton GC. Il sert à l'emballage des aliments, des produits cosmétiques, des médicaments et des cigarettes, mais il est destiné principalement à des utilisations graphiques.

6.
    Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après «BPIF»), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.

7.
    Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.

8.
    Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après «règlement n° 17»), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

9.
    A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.

10.
    Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

11.
    En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les

entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

12.
    Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard — the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA (anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

—    dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

—    dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

—    dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

—    dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

—    se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

—    ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

—    ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

—    se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

—    ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées,

—    ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:

[...]

xv)    Sarrió SpA, une amende de 15 500 000 écus;

[...]»

13.
    Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé «Groupe d'étude de produit Carton» (ci-après «GEP Carton»), composé de plusieurs groupes ou comités.

14.
    Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un «Presidents Working Group» (ci-après «PWG») réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).

15.
    Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en oeuvre par les fabricants.

16.
    Le PWG faisait rapport à la «President Conference» (ci-après «PC») à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.

17.
    A la fin de l'année 1987 a été créé le «Joint Marketing Committee» (ci-après «JMC»). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment des augmentations de prix pouvaient être mises en oeuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.

18.
    Enfin, le comité économique (ci-après «COE») débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.

19.
    Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.

20.
    La requérante Sarrió SA (ci-après «Sarrió») est le fruit d'une fusion survenue en 1990 entre la division carton du plus gros fabricant italien Saffa et le fabricantespagnol Sarrió (point 11 des considérants de la décision). Sarrió a également acquis, en 1991, le fabricant espagnol Prat Carton (même point).

21.
    Sarrió a été considérée comme responsable de la participation de Prat Carton à l'entente reprochée pour toute la durée de cette participation (point 154 des considérants de la décision).

22.
    Sarrió fabrique principalement du carton GD, mais produit aussi du carton GC.

Procédure

23.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

24.
    Seize des dix-huit autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-295/94, T-301/94, T-304/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94).

25.
    La requérante dans l'affaire T-301/94, Laakmann Karton GmbH, s'est désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301/94, non publiée au Recueil).

26.
    Quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont également introduit des recours contre la décision (affaires jointes T-339/94, T-340/94, T-341/94 et T-342/94).

27.
    Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, celle-ci s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard/Commission (T-312/94, non publiée au Recueil).

28.
    Par lettre du 5 février 1997, le Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, notamment en vue de présenter leurs observations sur la jonction éventuelle des affaires T-295/94, T-304/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94 aux fins de la procédure orale. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 29 avril 1997, les parties ont accepté une telle jonction.

29.
    Par ordonnance du 4 juin 1997, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure, et a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans la présente affaire.

30.
    Par ordonnance du 20 juin 1997, il a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-337/94 relativement à un document produit en réponse à une question par écrit du Tribunal.

31.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

32.
    Les parties dans les affaires mentionnées au point 28 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997.

Conclusions des parties

33.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision;

—    à titre subsidiaire, annuler, d'une part, son article 2 et, d'autre part, son article 3, dans la mesure où cette dernière disposition inflige à la requérante une amende de 15 500 000 écus;

—    à titre plus subsidiaire, réduire le montant de cette amende;

—    condamner la partie défenderesse aux dépens.

34.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la partie requérante aux dépens.

Sur la demande d'annulation de la décision

A — Sur le moyen de procédure et de forme tiré d'une violation des droits de la défense

Arguments des parties

35.
    La requérante invoque une violation de ses droits de la défense, liée à la prise en compte par la Commission (au point 79 des considérants de la décision), comme élément de preuve de l'infraction, d'un document découvert chez Finnboard (UK) Ltd lors des vérifications effectuées en avril 1991 (ci-après «liste de prix Finnboard»). Elle rappelle que ce document ne lui a été envoyé que le 28 avril 1994, c'est-à-dire bien après le dépôt de sa réponse à la communication des griefs et après l'audition devant la Commission. Ce retard injustifié l'aurait privée de la possibilité d'exprimer son point de vue au sujet de la signification effective du document, du contexte dans lequel il a été rédigé ainsi qu'au sujet des conclusions que la Commission en a tirées (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461). De plus, la communication du document le 28 avril 1994 n'aurait pas porté remède à ladite violation.

36.
    La Commission rétorque que le document en cause a été envoyé à Sarrió accompagné d'une lettre datée du 28 avril 1994 dans laquelle le contenu du document et les conclusions que la Commission en avait tirées étaient pleinement expliqués. La lettre du 28 avril 1994 ayant en outre offert à la requérante la possibilité de soulever par écrit ses éventuelles observations, elle aurait pu manifester en temps utile son opinion sur la valeur probante du document en cause (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, BASF/Commission, T-4/89, Rec. p. II-1523, point 36).

Appréciation du Tribunal

37.
    La liste de prix Finnboard a été recueillie par la Commission lors de ses vérifications dans les bureaux de Finnboard (UK) Ltd en avril 1991 et a été communiquée à la requérante avec une lettre explicative seize mois après l'envoi de la communication des griefs.

38.
    Selon la jurisprudence du Tribunal, il résulte d'une lecture combinée de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et des articles 2 et 4 du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268), que la Commission doit communiquer les griefs qu'elle fait valoir contre les entreprises et les

associations intéressées et ne peut retenir dans ses décisions que les griefs au sujet desquels ces dernières ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue (arrêt du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39/92 et T-40/92, Rec. p. II-49, point 47).

39.
    De même, le respect des droits de la défense dans une procédure susceptible d'aboutir à des sanctions telles que celle en cause exige que les entreprises et associations d'entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 11, et du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10/92, T-11/92, T-12/92 et T-15/92, Rec. p. II-2667, point 39).

40.
    En l'espèce, aucun grief nouveau par rapport à ceux figurant dans la communication des griefs n'a été soulevé par la transmission du document concerné. En effet, il ressort clairement de la lettre accompagnant la liste de prix Finnboard que celle-ci constitue seulement une preuve supplémentaire d'un plan commun de fixation des prix, grief déjà amplement exposé dans la communication des griefs.

41.
    En tout état de cause, la requérante s'est vu expressément offrir, dans la lettre accompagnant le document, la possibilité de faire connaître, au stade de la procédure administrative et dans un délai de dix jours, son point de vue sur cet élément de preuve. Dans ces circonstances, la Commission n'a pas empêché la requérante de manifester en temps utile son opinion sur la valeur probante du document transmis (arrêts de la Cour Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 11, et du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 27).

42.
    Il s'ensuit que le présent moyen doit être rejeté comme non fondé.

B — Sur le fond

Sur le moyen tiré d'une absence de concertation sur les prix de transaction et d'une violation des exigences de motivation

Arguments des parties

43.
    La requérante reconnaît sa participation à une concertation relative aux prix annoncés mais conteste que la concertation ait porté sur les prix de transaction. Outre les documents produits dans ses écritures, qui démontreraient que les prix de transaction n'ont pas suivi les prix annoncés, elle invoque au soutien de son affirmation le pouvoir de négociation de chaque client, l'évolution de la demande et des coûts de production et les caractéristiques propres au marché du carton,

notamment la périodicité des annonces des augmentations de prix et le degré élevé de transparence du marché.

44.
    Elle estime que la Commission n'a pas clairement expliqué si elle soutenait qu'il y avait eu concertation relative non seulement aux prix annoncés mais également aux prix de transaction. Or, contrairement à ce qu'affirme la Commission, la distinction entre ces deux types de concertation revêtirait, en raison de leurs effets différents, une importance majeure (voir arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307). La requérante soutient, dans sa réplique, que les incertitudes relatives à l'objet de la concertation constituent en soi une violation des exigences de motivation et de précision des décisions qui constatent une violation des règles de la concurrence. Cette violation comporterait par conséquent une grave atteinte aux droits légitimes de la défense.

45.
    La Commission déclare ne pas comprendre que la requérante puisse simultanément affirmer avoir participé à une concertation sur les prix et soutenir que les augmentations de prix appliquées n'étaient pas le résultat de cette concertation. Elle souligne que la décision (notamment points 72 à 102 des considérants) renvoie tant aux documents démontrant la concertation relative à chaque augmentation annoncée dans le cadre de l'entente qu'aux documents par lesquels chaque producteur a effectivement annoncé l'augmentation en cause.

46.
    Elle fait valoir ensuite que la distinction entre une concertation sur les prix annoncés et une concertation sur les prix de transaction n'est pas pertinente en l'espèce. La concertation au sein du PWG et du JMC n'aurait pas seulement concerné les prix annoncés mais également la prise des décisions relatives à des augmentations périodiques de prix pour chaque type de produit et à l'application de ces augmentations simultanées dans toute la Communauté (voir preuves documentaires mentionnées aux points 74 à 90, 92 et 94 à 96 des considérants de la décision).

47.
    En outre, compte tenu des preuves d'une concertation au sein des comités auxquels la requérante a participé, il serait impossible d'affirmer que les annonces de prixn'ont pas levé l'incertitude de chaque entreprise à propos du comportement de ses concurrents et que la requérante a effectué les augmentations de prix indépendamment de la concertation (voir arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1/89, Rec. p. II-867, points 122 et 123).

Appréciation du Tribunal

48.
    Aux termes de l'article 1er de la décision, les entreprises visées par cette disposition ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant, durant la période de référence, à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté ont notamment «décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans

chaque monnaie nationale» et «ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté».

49.
    La requérante reconnaît avoir participé aux quatre organes du GEP Carton et ne conteste, ni dans ses écritures, ni dans ses réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience, qu'elle a pris part à une concertation sur les prix annoncés à partir de 1988.

50.
    Avant de répondre à l'argument de la requérante selon lequel la concertation n'a pas porté sur les prix de transaction, il y a lieu d'apprécier si la Commission a effectivement soutenu dans la décision que la concertation a porté sur de tels prix.

51.
    A cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que l'article 1er de la décision ne précise en rien le prix qui a été l'objet des augmentations concertées.

52.
    En second lieu, il ne ressort pas de la décision que la Commission ait soutenu que les producteurs avaient fixé, voire entendu fixer, des prix de transaction uniformes. En particulier, les points 101 et 102 des considérants consacrés aux «effets des initiatives concertées en matière de prix sur le niveau des prix» attestent que la Commission a considéré que les initiatives en matière de prix concernaient les prix de catalogue et visaient à produire une augmentation des prix de transaction. Il y est notamment relevé: «Même si tous les producteurs restaient déterminés à appliquer intégralement l'augmentation, les possibilités qu'avaient les clients de passer à une qualité ou à un produit moins onéreux pouvaient amener certains producteurs à faire à leurs clients traditionnels des concessions sur la date d'entrée en vigueur des augmentations ou à leur consentir un avantage supplémentaire sous la forme de rabais ou de réduction en cas de grosse commande, pour leur faire accepter l'intégralité de l'augmentation du prix de base. Il était par conséquent inévitable que les augmentations de prix ne puissent faire sentir immédiatement tous leurs effets.» (Point 101, sixième alinéa, des considérants.)

53.
    Il découle ainsi de la décision que la Commission a considéré que le but de la collusion entre les producteurs en matière de prix était que les augmentations concertées de prix annoncées aient pour conséquence une augmentation des prix de transaction. A cet égard, il ressort du point 101, premier alinéa, des considérants de la décision que «les producteurs ne se contentaient pas d'annoncer les augmentations de prix convenues mais, à quelques exceptions près, [qu']ils prenaient également des mesures concrètes pour faire en sorte qu'elles soient effectivement imposées aux clients». La situation de la présente espèce se distingue donc de celle examinée par la Cour dans l'arrêt Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, précité, puisque la Commission ne soutient pas dans la décision, à la différence de la décision ayant donné lieu à ce dernier arrêt, que les entreprises se sont concertées directement sur les prix de transaction.

54.
    Cette analyse de la décision est confortée par les documents produits par la Commission.

55.
    En particulier, l'annexe 109 à la communication des griefs contient un compte rendu de la réunion du JMC du 16 octobre 1989, dans lequel il est notamment indiqué:

«d)    Hollande

[...]

    Problèmes importants auprès des gros acquéreurs, notamment Imca, pour lesquels Cascades et Van Duffel pratiquent encore des prix insensés, rendant ainsi la vie difficile tant à KNP qu'aux Finlandais.

[...]

f)    Belgique

    Situation analogue à celle qui prévaut en Hollande. Finnboard avait fait passer l'augmentation de prix auprès de Van Genechten mais a été obligée d'avoir une nouvelle entrevue avec cette dernière en raison de concessions faites en Belgique (par Cascades). On restera ferme et on attend de Beghin, Cascades et KNP qu'elles fassent de même.

    [...]

h)    Italie

    Saffa a de très gros problèmes avec les prix à l'importation pratiqués par Kopparfors, Finnboard et même Cascades.

    Les livraisons de Saffa ont fortement diminué, les importations ont fortement augmenté.

    Saffa demande instamment aux importateurs de respecter impérativement les directives en matière de prix qui ont été diffusées.»

56.
    Ce document démontre clairement que, si les producteurs ont accepté, de manière générale, que chacun d'entre eux négocie ses prix de transaction avec ses clients, chacun des producteurs, et notamment la requérante, expressément mentionnée dans l'annexe susmentionnée, attendait de ses concurrents qu'ils appliquent des prix de transaction conformes aux prix convenus, au moins en ce sens que les négociations individuelles ne devaient pas priver d'effet les augmentations convenues des prix de catalogue.

57.
    En outre, la requérante a reconnu lors de l'audience que les prix annoncés ont servi de base initiale pour les négociations des prix de transaction avec les clients, circonstance qui confirme que le but ultime était l'augmentation des prix de transaction. A cet égard, il suffit de souligner que la fixation de prix de catalogue uniformes convenue entre les producteurs serait absolument dépourvue de

pertinence si ces prix devaient effectivement ne produire aucun effet sur les prix de transaction.

58.
    Quant à l'argument de la requérante selon lequel les incertitudes relatives à l'objet de la concertation constitueraient en soi une violation des exigences de motivation, il y a lieu de rappeler que l'article 1er de la décision ne précise en rien le prix qui a été l'objet de la collusion.

59.
    Dans une telle situation, le dispositif de la décision doit être compris à la lumière de l'exposé de ses motifs, conformément à une jurisprudence bien établie (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73, 55/73, 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 122 à 124).

60.
    En l'espèce, il ressort de ce qui précède que la Commission a suffisamment expliqué dans les considérants de la décision que la concertation portait sur les prix de catalogue et avait pour but une hausse des prix de transaction.

61.
    Par conséquent, le moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le moyen tiré d'une absence de participation à une entente visant le gel des parts de marché et le contrôle de l'offre

Arguments des parties

62.
    Ce moyen comprend trois branches.

63.
    Dans la première branche du moyen, la requérante fait valoir que la Commission ne dispose pas de preuves de l'existence d'une concertation visant le gel des parts de marché ni de celle d'une concertation visant à contrôler l'offre. A supposer même que ces concertations soient prouvées à suffisance de droit, la Commission n'aurait pas prouvé la participation de la requérante à de telles concertations. En particulier, la requérante conteste la valeur probante de plusieurs annexes à la communication des griefs sur lesquelles la Commission s'est fondée dans la décision.

64.
    En premier lieu, l'annexe 73, note interne de Mayr-Melnhof, prouverait uniquement la concertation sur les prix, expliquerait les conséquences d'une politique rigoureuse de prix et attesterait l'absence de pression exercée par la requérante sur Mayr-Melnhof pour que cette dernière n'augmente pas ses parts de marché par un abaissement de ses prix. A cet égard, la requérante invoque l'explication fournie par Mayr-Melnhof dans sa lettre du 23 septembre 1991 (annexe 75 à la communication des griefs).

65.
    En second lieu, l'annexe 102, note de Rena, concernerait une réunion du Nordic Paperboard Institute (ci-après «NPI»), association dont la requérante n'aurait pas été membre.

66.
    En troisième lieu, les déclarations de Stora ne pourraient pas constituer, à elles seules, des éléments de preuve suffisants. De plus, Stora aurait souligné à plusieurs reprises la relative autonomie dont jouissaient les différentes entreprises en ce qui concerne notamment les volumes de production et le moment choisi pour l'arrêt des installations (voir points 57, 59, 60, 69, 70 et 71 des considérants de la décision). Les déclarations de Stora confirmeraient en outre qu'aucun système de contrôle d'une quelconque entente sur les quantités n'avait été mis en place. Or, l'absence d'un système de contrôle de l'évolution des quantités démentirait clairement l'existence d'une entente sur ce point. Au demeurant, les déclarations de Stora ne feraient état que de l'opinion personnelle de celle-ci en ce qui concerne l'intérêt d'adopter des mesures visant le contrôle des quantités de production et des ventes.

67.
    Dans une deuxième branche du moyen, la requérante fait valoir que l'évolution des parts de marché des différentes entreprises démontre l'absence de concertation visant le gel des parts de marché ou, à supposer même qu'une concertation entre certaines entreprises ait eu lieu, qu'elle n'y a pas, en tout état de cause, participé.

68.
    En ce qui concerne l'évolution générale des parts de marché, elle souligne que de nouvelles capacités importantes ont été mises en service par certains producteurs, notamment Iggesund (MoDo) et Mayr-Melnhof, au cours de la période en cause.

69.
    Elle relève également que sa propre part globale du marché communautaire a diminué de 14,3 % en 1987 à 11,7 % en 1990. Selon elle, une telle diminution n'est pas compatible avec l'affirmation de la Commission selon laquelle elle aurait participé à une entente visant le gel des parts de marché des différents producteurs. En ce qui concerne Prat Carton, la diminution d'environ 9 %, au cours de la période allant de 1987 à 1990, de sa part globale du marché communautaire attesterait également l'absence totale d'une participation à une quelconque concertation visant le gel des parts de marché.

    

70.
    Dans une troisième branche du moyen, la requérante soutient que son comportement relatif aux arrêts de production et aux exportations vers les marchés extra-européens n'est pas davantage compatible avec les affirmations de la Commission.

71.
    En ce qui concerne la première branche du moyen, la Commission estime que les moyens de preuve qu'elle a invoqués, notamment les déclarations de Stora (annexes 39 et 43 à la communication des griefs) et les annexes 73 et 102 à la communication des griefs suffisent amplement pour établir l'existence d'une entente visant le gel des parts de marché et le contrôle de l'offre ainsi que la participation de la requérante à ces éléments de l'entente.

72.
    S'agissant de la deuxième branche du moyen, elle rappelle qu'elle s'est fondée sur des preuves documentaires d'une entente sur le gel des parts de marché et elle soutient que l'argumentation de la requérante relative à l'évolution des parts demarché des différentes entreprises n'est, dès lors, pas pertinente à propos de la question de savoir s'il existait une telle entente. En outre, il serait expressément admis dans la décision qu'il y a eu une lente évolution des parts de marché de certaines entreprises, les parts de marché étant renégociées chaque année (points 60 et 131 des considérants de la décision). En tout état de cause, l'article 85 interdirait les ententes ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, indépendamment de l'importance du succès remporté.

73.
    Pour ce qui est, plus particulièrement, des arguments de la requérante tirés de l'évolution de ses propres parts de marché, la Commission rappelle que l'infraction concernait l'ensemble du marché communautaire. La requérante aurait fait partie du PWG où se déroulaient les discussions sur les parts de marché. En 1989, l'administrateur délégué de Saffa aurait même été nommé vice-président du GEP Carton.

74.
    La Commission fait observer enfin que l'affirmation de la requérante selon laquelle elle aurait toujours adopté un comportement autonome n'est étayée par aucun élément de preuve. Au surplus, à supposer même que la requérante ait violé l'entente, cela ne changerait rien à l'infraction commise (arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité).

75.
    Enfin, en ce qui concerne la troisième branche du moyen, la Commission fait valoir que Stora a confirmé, dans l'annexe 39 à la communication des griefs, que le PWG avait prévu et institué un système pour rétablir l'équilibre et contrôler la production de façon à maintenir les prix à un niveau constant. Par conséquent, le fait que la situation du marché ou le bon fonctionnement de l'entente ait eu pour conséquence que la requérante n'avait pas, selon elle, été obligée de recourir à des arrêts de la production sur une base concertée, n'aurait aucune incidence sur sa responsabilité ni sur sa participation à l'entente visant le contrôle des parts de marché et des quantités.

Appréciation du Tribunal

1. Sur l'existence d'une concertation visant à geler les parts de marché et d'une concertation visant à contrôler l'offre

76.
    S'agissant de la première branche du moyen, il doit être rappelé que, aux termes de l'article 1er de la décision, les entreprises visées par cette disposition ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant, durant la période de référence, à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté «se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications

occasionnelles», et «ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées».

77.
    D'après la Commission, ces deux catégories de collusion, appréhendées dans la décision sous le titre «régulation des volumes», ont été initiées durant la période de référence par les participants aux réunions du PWG. En effet, il ressort du point 37, troisième alinéa, des considérants de la décision que la véritable tâche du PWG, telle que décrite par Stora, «consistait notamment dans 'la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix ainsi que les hausses de prix et les capacités‘».

78.
    Quant au rôle du PWG en ce qui concerne la collusion sur les parts de marché, la décision (point 37, cinquième alinéa, des considérants) relève: «En corrélation avec les mesures relatives aux augmentations de prix, le PWG a débattu de manière approfondie des parts du marché d'Europe occidentale détenues par les groupements nationaux et les groupes de fabricants individuels. Il en est résulté certains 'arrangements‘ entre les participants concernant leurs parts respectives du marché, l'objectif étant d'éviter que les initiatives concertées en matière de prix soient compromises par un excédent d'offre. En fait, les grands groupes de fabricants ont convenu de maintenir leur part du marché au niveau correspondant aux chiffres de vente et de production communiqués chaque année et publiés sous leur forme définitive par la Fides au mois de mars de l'année suivante. Les évolutions des parts du marché étaient analysées à chaque réunion du PWG sur la base des résultats mensuels de la Fides et, en cas de variations importantes, des explications étaient demandées à l'entreprise présumée responsable.»

79.
    Selon le point 52 des considérants, «l'accord conclu au sein du PWG en 1987 prévoyait le 'gel‘ au niveau existant des parts de marché détenues par les principaux producteurs en Europe occidentale, ainsi que l'absence de toute tentative d'acquérir de nouveaux clients ou d'améliorer leur position existante par une politique agressive en matière de prix».

80.
    Le point 56, premier alinéa, des considérants souligne: «L'accord de base conclu entre les principaux producteurs pour le maintien de leurs parts respectives de marché a continué d'être appliqué pendant toute la période couverte par la présente décision.» Selon le point 57, «'l'évolution des parts de marché‘ était examinée à chaque réunion du PWG sur la base des statistiques provisoires». Enfin, le point 56, dernier alinéa, souligne: «Les entreprises qui participaient aux discussions sur les parts du marché étaient les membres du PWG, à savoir: Cascades, Finnboard, KNP (jusqu'en 1988), [Mayr-Melnhof], MoDo, Sarrió, les deux producteurs du groupe Stora, CBC et Feldmühle, et (à partir de 1988) Weig».

81.
    Il y a lieu de considérer que la Commission a correctement établi l'existence d'une collusion sur les parts de marché entre les participants aux réunions du PWG.

82.
    En effet, l'analyse de la Commission repose essentiellement sur les déclarations de Stora (annexes 39 et 43 à la communication des griefs) et se trouve confortée par l'annexe 73 à la communication des griefs.

83.
    Dans l'annexe 39 à la communication des griefs, Stora explique: «Le PWG s'est réuni à partir de 1986 afin de contribuer à réguler le marché. [...] Entre autres activités (légitimes), il avait pour objet la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix ainsi que les hausses de prix, la demande et les capacités. Son rôle consistait notamment à évaluer l'état précis de l'offre et de la demande sur le marché ainsi que les mesures à prendre pour le réguler, et à présenter cette évaluation à la President Conference.»

84.
    S'agissant plus spécifiquement de la collusion sur les parts de marché, Stora indique que «les parts acquises par les groupes nationaux de la Communauté européenne, de l'AELE et d'autres pays fournis par les membres du GEP Carton étaient examinées au sein du PWG» et que le PWG «discutait de la possibilité de maintenir les parts de marché à leur niveau de l'année précédente» (annexe 39 à la communication des griefs, point 19). Elle signale par ailleurs (même document, point 6) que des «discussions relatives aux parts de marché des fabricants en Europe ont également eu lieu au cours de cette période, la première période de référence étant les niveaux de 1987».

85.
    Dans sa réponse à une demande de la Commission du 23 décembre 1991 envoyée le 14 février 1992 (annexe 43 à la communication des griefs), Stora précise encore: «Les ententes sur les niveaux de part de marché conclues par les membres du PWG concernaient l'Europe dans son ensemble. Ces ententes étaient basées sur les chiffres annuels totaux de l'année antérieure, lesquels étaient habituellement disponibles de façon définitive dès le mois de mars de l'année suivante.» (Point 1.1.)

86.
    Cette affirmation est confirmée dans le même document en ces termes: «[...] les discussions débouchaient sur des ententes, conclues en règle générale en mars de chaque année, entre les membres du PWG avec pour objectif le maintien de leurs parts de marché au niveau de l'année précédente.» (Point 1.4.) Stora révèle qu'«aucune mesure n'était prise pour assurer le respect des ententes» et que les participants aux réunions du PWG «étaient conscients que, s'ils prenaient des positions exceptionnelles sur certains marchés fournis par d'autres, ces derniers feraient la même chose sur d'autres marchés» (même point).

87.
    Enfin, elle déclare que Saffa a pris part aux discussions relatives aux parts de marché (point 1.2).

88.
    Les affirmations de Stora concernant la collusion sur les parts de marché sont étayées par l'annexe 73 à la communication des griefs. Ce document trouvé chez FS-Karton est une note confidentielle datée du 28 décembre 1988 adressée par le

directeur commercial responsable des ventes du groupe Mayr-Melnhof en Allemagne (M. Katzner) au directeur général de Mayr-Melnhof en Autriche (M. Gröller) et ayant pour objet la situation du marché.

89.
    Selon ce document, cité aux points 53 à 55 des considérants de la décision, la coopération plus étroite au sein du «cercle des présidents» («Präsidentenkreis»), décidée en 1987, a fait des «gagnants» et des «perdants». L'auteur de la note classe Mayr-Melnhof dans la catégorie des perdants pour diverses raisons, notamment les suivantes:

«2)    Un accord n'a pu être conclu qu'en nous infligeant une 'sanction‘ — on a exigé de nous que nous fassions des 'sacrifices‘.

3)    Les parts de marché de 1987 devaient être 'gelées‘, les contacts existants devaient être maintenus et aucune activité ou qualité nouvelles ne devaient être conquises en pratiquant des prix promotionnels (le résultat sera visible en janvier 1989 — si toutes les parties prenantes sont loyales).»

90.
    Ces phrases doivent être lues dans le contexte plus général de la note.

91.
    A cet égard, l'auteur de celle-ci évoque, en guise d'introduction, la coopération plus étroite à l'échelle européenne au sein du «cercle des présidents». Cette expression a été interprétée par Mayr-Melnhof comme visant à la fois le PWG et la PC dans un contexte général, c'est-à-dire sans référence à un événement ou à une réunion particulière (annexe 75 à la communication des griefs, point 2.a), interprétation qu'il n'y a pas lieu de discuter dans le présent contexte.

92.
    L'auteur indique ensuite que cette coopération a conduit à la «discipline des prix», laquelle a fait des «gagnants» et des «perdants».

93.
    C'est donc dans le contexte de cette discipline décidée par le «cercle des présidents» qu'il y a lieu de comprendre l'expression se rapportant aux parts de marché devant être gelées aux niveaux de 1987.

94.
    En outre, le renvoi à 1987 comme année de référence est conforme à la deuxième déclaration de Stora (annexe 39 à la communication des griefs; voir point 84 ci-dessus).

95.
    Quant au rôle joué par le PWG dans la collusion sur le contrôle de l'approvisionnement, que caractérisait l'examen des temps d'arrêt des machines, la décision énonce que le PWG a joué un rôle déterminant dans la mise en oeuvre des temps d'arrêt lorsque, à partir de 1990, la capacité de production s'est accrue et que la demande a décliné: «[...] au début de 1990, les principaux fabricants [...] ont jugé utile de se concerter dans le cadre du PWG sur la nécessité d'appliquerdes temps d'arrêt. Les grands producteurs ont reconnu qu'ils ne pouvaient accroître la demande en réduisant les prix et que maintenir la production à pleine capacité

ne ferait que faire baisser les prix. En théorie, les temps d'arrêt nécessaires pour rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités [...]» (Point 70 des considérants de la décision.)

96.
    La décision relève en outre: «Le PWG n'indiquait cependant pas formellement le temps d'arrêt à respecter par chaque producteur. Selon Stora, l'établissement d'un plan coordonné d'arrêt des machines couvrant tous les producteurs soulevait des difficultés d'ordre pratique. Stora indique que c'est la raison pour laquelle il n'existait qu''un système relâché d'encouragement‘.» (Point 71 des considérants de la décision.)

97.
    Il y a lieu de considérer que la Commission a suffisamment établi l'existence d'une collusion sur les temps d'arrêt de la production entre les participants aux réunions du PWG.

98.
    Les pièces qu'elle produit soutiennent son analyse.

99.
    Dans sa deuxième déclaration (annexe 39 à la communication des griefs, point 24), Stora explique: «Avec l'adoption, par le PWG, de la politique du prix avant le tonnage et la mise en oeuvre progressive d'un système de prix équivalents à partir de 1988, les membres du PWG ont reconnu qu'il était nécessaire de respecter des temps d'arrêt en vue de maintenir ces prix face à une croissance réduite de la demande. Faute pour les fabricants d'appliquer des temps d'arrêt, il leur aurait été impossible de maintenir les niveaux de prix convenus face à une capacité excédentaire croissante.»

100.
    Au point suivant de sa déclaration, elle ajoute: «En 1988 et 1989, l'industrie pouvait fonctionner pratiquement à pleine capacité. Les temps d'arrêt autres que la fermeture normale pour les réparations et les vacances sont devenus nécessaires à partir de 1990. [...] Par la suite, il s'est avéré nécessaire de pratiquer des temps d'arrêt lorsque le flot de commandes s'arrêtait afin de maintenir la politique du prix avant le tonnage. Les temps d'arrêt à respecter par les producteurs (pour assurer le maintien de l'équilibre entre la production et la consommation) pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités. Le PWG n'indiquait pas formellement le temps d'arrêt à respecter, bien qu'il existât un système relâché d'encouragement [...]»

101.
    Quant à l'annexe 73 à la communication des griefs, les raisons fournies par l'auteur pour expliquer qu'il considère Mayr-Melnhof comme «perdant» à l'époque de sa rédaction constituent des éléments de preuve importants de l'existence d'une collusion entre les participants aux réunions du PWG sur les temps d'arrêt.

102.
    En effet, l'auteur constate:

«4)    C'est sur ce point que la conception des parties intéressées quant à l'objectif poursuivi commence à diverger.

[...]

    c) Toutes les forces de vente et agents européens ont été libérés de leur budget en termes de volume et une politique de prix rigide, ne souffrant quasiment aucune exception, a été suivie (nos collaborateurs n'ont souvent pas compris notre changement d'attitude à l'égard du marché — auparavant, la seule exigence était celle du tonnage, alors que, désormais, seule compte la discipline en matière de prix avec le risque d'un arrêt des machines).»

103.
    Mayr-Melnhof soutient (annexe 75 à la communication des griefs) que le passage ci-dessus reproduit vise une situation interne à l'entreprise. Cependant, analysé à la lumière du contexte plus général de la note, cet extrait traduit la mise en oeuvre, au niveau des équipes commerciales, d'une politique rigoureuse arrêtée au sein du «cercle des présidents». Le document doit donc être interprété comme signifiant que les participants à l'accord de 1987, c'est-à-dire au moins les participants aux réunions du PWG, ont indéniablement mesuré les conséquences de la politique arrêtée, dans l'hypothèse où celle-ci serait appliquée avec rigueur.

104.
         Le fait que des discussions relatives à l'examen des temps d'arrêt ont eu lieu entre les fabricants lors de la préparation des augmentations de prix est corroboré, notamment, par une note de Rena datée du 6 septembre 1990 (annexe 118 à la communication des griefs), qui mentionne les montants des augmentations de prix dans plusieurs pays, les dates des annonces futures de ces augmentations, ainsi que l'état des commandes en carnet exprimé en jours de travail pour plusieurs fabricants.

105.
    L'auteur du document note que certains fabricants prévoyaient des temps d'arrêt, ce qu'il exprime par exemple de la manière suivante:

«Kopparfors    5-15 days

            5/9 will stop for five days.»

106.
    Sur la base de ce qui précède, il doit être conclu que la Commission a prouvé à suffisance de droit l'existence d'une collusion sur les parts de marché entre les participants aux réunions du PWG ainsi que celle d'une collusion sur les temps d'arrêt entre ces mêmes entreprises. Dans la mesure où il n'est pas contesté que Sarrió a participé aux réunions du PWG et où cette entreprise est expressément mentionnée dans les principales preuves à charge (déclarations de Stora et annexe 73 à la communication des griefs), la Commission a tenu à bon droit la requérante pour responsable d'une participation à ces deux collusions.

107.
    Les critiques de la requérante formulées à l'encontre des déclarations de Stora et de l'annexe 73 à la communication des griefs, et qui visent à contester la valeur probante de ces pièces, ne sont pas de nature à affaiblir cette constatation.

108.
    S'agissant d'abord des déclarations successives de Stora à la Commission, il est constant qu'elles émanent de l'une des entreprises censées avoir participé à l'infraction alléguée et qu'elles comportent une description détaillée de la nature des discussions menées au sein des organes du GEP Carton, du but poursuivi par les entreprises regroupées au sein de celui-ci, ainsi que de la participation desdites entreprises aux réunions de ses différents organes. Or, dans la mesure où cet élément de preuve central est corroboré par d'autres pièces du dossier, il constitue le soutien pertinent des affirmations de la Commission.

109.
    S'agissant ensuite de l'annexe 73 à la communication des griefs, la requérante estime qu'elle démontre uniquement une concertation sur les prix, car les variations dans les ventes qui y sont mentionnées sont simplement considérées comme la conséquence de la politique des prix. Elle se prévaut, à cet égard, de l'interprétation de ce document par Mayr-Melnhof (annexe 75 à la communication des griefs).

110.
    Cependant, cette analyse de la requérante ne résiste pas à une interprétation contextuelle du document et l'interprétation que Mayr-Melnhof fait de celui-ci n'est d'aucun secours.

111.
    En effet, selon l'annexe 75 à la communication des griefs, l'annexe 73 «constitue un exposé général de la situation rédigé par le directeur des ventes de FS-Karton pour la direction du groupe, qui n'est rien d'autre qu'une tentative de justifier auprès de la direction du groupe la stagnation du chiffre d'affaires de l'entreprise en se basant essentiellement sur la nouvelle politique qui a obligé la filiale à respecter une discipline de prix absolue, au prix de pertes de chiffres d'affaires». De plus, selon Mayr-Melnhof: «'le gel des parts de marché‘ signifiait que pour atteindre un niveau de prix supérieur au sein du groupe Mayr-Melnhof, il ne fallait pas essayer d'obtenir des parts de marché supérieures en vendant des quantités supplémentaires à des nouveaux clients ou des nouveaux types de produits à des prix non rentables. L'objectif était au contraire de conserver les relations existantes avec la clientèle malgré l'augmentation des prix.»

112.
    Or, ces considérations générales ne sont pas conciliables avec la référence introductive au «cercle des présidents» et l'intégralité du document doit être comprise à la lumière de cette référence.

113.
    Dans la mesure où les indications contenues dans l'annexe 73 relativement au «gel» des parts de marché et à la régulation de l'offre correspondent à celles contenues dans les déclarations de Stora, la Commission a considéré à juste titre

que ces documents, lus ensemble, témoignent de l'existence d'un concours de volontés allant au-delà d'une concertation portant uniquement sur les prix.

114.
    Dès lors que la Commission a établi l'existence des deux collusions en cause, il n'est pas nécessaire d'examiner les critiques formulées par la requérante à l'encontre de l'annexe 102 à la communication des griefs.

2. Sur le comportement effectif de la requérante

115.
    Les deuxième et troisième branches du moyen, selon lesquelles le comportement effectif des entreprises n'est pas conciliable avec les affirmations de la Commission relatives à l'existence des deux collusions contestées, ne sauraient davantage être accueillies.

116.
    En premier lieu, l'existence de collusions entre les membres du PWG sur les deux aspects de la «politique du prix avant le tonnage» ne saurait être confondue avec la mise en oeuvre de celles-ci. En effet, les preuves fournies par la Commission ont une telle valeur probante que des renseignements relatifs au comportement effectif de la requérante sur le marché ne peuvent pas affecter les conclusions de la Commission relatives à l'existence même de collusions sur les deux aspects de la politique litigieuse. Tout au plus, les allégations de la requérante pourraient tendre à démontrer que son comportement n'a pas suivi celui convenu entre les entreprises réunies au sein du PWG.

117.
    En second lieu, les conclusions de la Commission ne sont pas contredites par les renseignements fournis par la requérante. Il doit être souligné que la Commission admet explicitement que la collusion sur les parts de marché n'impliquait «aucun mécanisme officiel de sanction ou de compensation [...] pour renforcer l'accord sur les parts de marché» et que les parts de marché de certains grands producteurs ont faiblement augmenté d'année en année (voir, notamment, points 59 et 60 des considérants de la décision). De plus, la Commission convient que, l'industrie ayant tourné à pleine capacité jusqu'au début de 1990, pratiquement aucun temps d'arrêt n'a été nécessaire jusqu'à cette date (point 70 des considérants de la décision).

118.
    En troisième lieu, il est de jurisprudence constante que le fait qu'une entreprise ne se plie pas aux résultats des réunions ayant un objet manifestement anticoncurrentiel n'est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l'entente, dès lors qu'elle ne s'est pas distanciée publiquement du contenu des réunions (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791, point 85). A supposer même que le comportement sur le marché de la requérante n'ait pas été conforme au comportement convenu, cela n'affecte donc en rien sa responsabilité du chef d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Sur le moyen tiré d'une erreur commise par la Commission en ce qui concerne la durée de la concertation sur les prix

Arguments des parties

119.
    La requérante fait valoir qu'une concertation sur les prix annoncés n'a eu lieu, au moins en ce qui la concerne, qu'à partir de 1988. L'augmentation des prix de janvier 1987 au Royaume-Uni n'aurait été qu'une réaction naturelle desproducteurs face à la faiblesse de la monnaie britannique par rapport aux autres monnaies européennes et le caractère uniforme de cette augmentation découlerait de la transparence du marché. Il ne serait pas interdit aux opérateurs économiques d'adapter leurs comportements à ceux constatés ou à escompter de leurs concurrents (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité). De plus, ni les annexes 44 et 61 à la communication des griefs ni le document A-17-2 ne prouveraient la concertation sur les prix entre les entreprises. En tout état de cause, ils ne concerneraient pas la requérante.

120.
    Quant à la fin de la concertation sur les prix, la Commission aurait erronément retenu la date d'avril 1991, dès lors que l'annonce de la dernière augmentation concertée des prix a eu lieu en septembre-octobre 1990.

121.
    La Commission rappelle que la requérante a pris part aux réunions du PWG et du JMC dès leur création et en était encore membre en 1991. Elle souligne que, si des documents trouvés dans les locaux de l'une des entreprises impliquées démontrent que, à la fin de 1987, un accord avait été conclu sur les questions liées de la régulation des volumes et de la discipline des prix (point 53 des considérants de la décision), cela ne dément pas que les producteurs en question ont tenu avant cette période une série de réunions secrètes pour discuter d'un plan destiné à éliminer la concurrence (voir notamment point 161 des considérants de la décision). Les annexes 35 et 43 à la communication des griefs confirmeraient cette affirmation. La Commission ajoute que l'exactitude de ses déductions sur la durée de l'infraction est également démontrée par les augmentations de prix opérées par les producteurs depuis 1987.

Appréciation du Tribunal

122.
    Selon l'article 1er de la décision, la requérante a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant, du milieu de 1986 jusqu'à avril 1991 au moins, à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté ont, notamment, décidé des augmentations de prix du carton et ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté. Le point 74 des considérants précise que la première initiative concertée en matière de prix, à laquelle la requérante a participé (annexe A à la décision), a eu lieu au Royaume-Uni à la fin de 1986 «alors que le nouveau mécanisme du GEP Carton était en cours d'établissement».

123.
    Le point 161, deuxième alinéa, des considérants retient par ailleurs que la plupart des entreprises destinataires de la décision ont participé à l'infraction à compter de juin 1986, moment où «le PWG a été créé et où la collusion entre les fabricants s'est intensifiée et a commencé à devenir plus efficace».

124.
    Au soutien de sa critique relative au début de la concertation sur les prix, la requérante conteste la valeur probante des annexes 61 et 44 à la communication des griefs ainsi que celle du document A-17-2.

125.
    L'annexe 61 à la communication des griefs est une note découverte chez l'agent commercial au Royaume-Uni de Mayr-Melnhof. La Commission estime qu'il s'agit d'une «note interne prise lors d'une 'President Conference‘, [corroborant] l'aveu de Stora selon lequel la 'President Conference‘ discutait en fait d'une politique collusive de fixation des prix» (points 41, troisième alinéa, et 75, deuxième alinéa, des considérants de la décision).

126.
    Ce document, qui se réfère à une réunion tenue à Vienne les 12 et 13 décembre 1986, contient l'information suivante:

«Politique des prix au Royaume-Uni

Le représentant de Weig était présent à une récente réunion Fides au cours de laquelle il a déclaré qu'ils pensaient que 9 % était un pourcentage trop élevé pour le Royaume-Uni et qu'ils tranchaient à 7 %!! La déception est grande, car cela signifie un 'niveau de négociation‘ pour tout le monde. La politique des prix au Royaume-Uni sera confiée à RHU avec le soutien de [Mayr-Melnhof] même si cela entraîne une réduction temporaire du tonnage tandis que nous nous efforçons de maintenir l'objectif des 9 % (ce qui se verra). [Mayr-Melnhof/FS] poursuivent une politique de croissance au Royaume-Uni mais la baisse des profits est sérieuse et nous devons nous battre pour reprendre le contrôle sur les prix. [Mayr-Melnhof] ne conteste pas que le fait que l'on sache qu'ils aient augmenté leurs tonnes en Allemagne de 6 000 n'arrange rien!»

127.
    La réunion Fides à laquelle il est fait référence au début du passage cité est probablement, selon Mayr-Melnhof (réponse à une demande de renseignements, annexe 62 à la communication des griefs), la réunion de la PC du 10 novembre 1986.

128.
    Il y a lieu de constater que le document analysé atteste que Weig a réagi en donnant des indications sur sa future politique de prix au Royaume-Uni par rapport à un niveau initial d'augmentation des prix.

129.
    Il ne peut toutefois pas être considéré comme prouvant que Weig a réagi par rapport à un niveau déterminé d'augmentation de prix convenu entre les entreprises réunies au sein du GEP Carton à une date antérieure au 10 novembre 1986.

130.
    En effet, la Commission ne se prévaut d'aucun autre élément de preuve en ce sens. De plus, la référence de Weig à une augmentation de prix de «9 %» peut s'expliquer par l'annonce d'une augmentation de prix au Royaume-Uni de Thames Board Ltd le 5 novembre 1986 (annexe A-12-1). Cette annonce a été rendue publique dans un bref délai, ainsi que cela ressort d'une coupure de presse (annexe A-12-3). Enfin, la Commission n'a produit aucun autre document susceptible de constituer une preuve directe de ce que des discussions sur les augmentations de prix auraient eu lieu lors des réunions de la PC. Dans ces conditions, il ne peut être exclu que les propos de Weig, tels que relatés dans l'annexe 61 à la communication des griefs, aient été tenus en marge de la réunion de la PC du 10 novembre 1986, ainsi que Weig l'a itérativement soutenu lors de l'audience.

131.
    En outre, le compte rendu d'une réunion du conseil d'administration de Feldmühle (UK) Ltd tenue le 7 novembre 1986 (annexe A-17-2), invoqué par la Commission dans la décision (point 74, troisième alinéa, des considérants) ne fait que confirmer que l'annonce d'une augmentation de prix d'environ 9 % par Thames Board Ltd était connue de cette filiale britannique de Feldmühle à une date antérieure au 10 novembre 1986: «TBM and the Fins have announced price increases of approximately 9 % to be effective from February 1987 and it would appear that most other mills will be looking for the same sort of increase» («TBM et les Finlandais ont annoncé des augmentations de prix d'environ 9 % applicables à partir du mois de février 1987, et il semble que la plupart des autres fabricants soient prêts à procéder à des hausses du même ordre.») (Annexe A-17-2 citée par la Commission au point 74 des considérants de la décision.)

132.
    S'agissant de l'annexe 44 à la communication des griefs, note manuscrite couvrant les pages du 15 au 17 janvier 1987 de l'agenda d'un employé de Feldmühle, la Commission considère qu'elle constitue «une preuve supplémentaire de la concertation» (point 75, troisième alinéa, des considérants de la décision).

133.
    Cependant, cette note n'a pas le caractère probant que lui attribue la défenderesse. La réunion dont elle constitue le compte rendu n'est pas identifiée, de sorte qu'il ne saurait être exclu qu'il se soit agi d'une réunion interne à l'entreprise Feldmühle. De plus, la note datant probablement du milieu de janvier 1987, elle ne prouve pas que l'application de l'augmentation de prix, «y compris par TBM», ait résulté d'une concertation, cette indication pouvant n'être qu'une simple constatation.

134.
    Certaines indications contenues dans la note sont même de nature à contredire l'affirmation de la Commission selon laquelle ladite note confirmerait l'existence d'une collusion quant à la décision d'augmenter les prix au Royaume-Uni. En particulier, les remarques selon lesquelles le directeur de Feldmühle s'était déclaré «sceptique» à l'égard de Kopparfors et avait considéré Mayr-Melnhof comme «irresponsable» («ohne Verantwortung») ne peuvent pas être considérées comme étayant la thèse de la Commission. Il en est de même en ce qui concerne la

mention: «Finnboard: Preisautonomie auch f. Tako» («Finnboard: autonomie de prix également pour Tako»).

135.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission n'a pas établi que les entreprises se sont entendues pour augmenter les prix au Royaume-Uni en janvier 1987, ni, a fortiori, que la requérante a été impliquée dans des discussions ayant cet objet.

136.
    Néanmoins, la requérante, en sa qualité d'entreprise ayant participé, ainsi qu'elle l'a reconnu, aux réunions du PWG dès la création de cet organe du GEP Carton vers le milieu de 1986, doit être tenue pour responsable d'une collusion sur les prix à partir de cette date.

137.
    En effet, le PWG a été créé par certaines entreprises, dont la requérante, dans un dessein essentiellement anticoncurrentiel. Comme Stora l'a indiqué (annexe 39 à la communication des griefs, point 8), il «s'est réuni à partir de 1986 afin de contribuer à réguler le marché» et avait notamment pour objet la «discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix ainsi que les hausses de prix et les capacités» [annexe 35 à la communication des griefs, point 5, sous iii)].

138.
    Le rôle joué par les entreprises réunies au sein de cet organe en ce qui concerne la collusion sur les parts de marché et celle sur les temps d'arrêt a été décrit dans le moyen qui précède (voir ci-dessus points 78 à 106). Les entreprises réunies au sein de cet organe ont également discuté des initiatives en matière de prix. Selon Stora (annexe 39 à la communication des griefs, point 10), «à partir de 1987 le PWG est parvenu à un accord et a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier [...] et le niveau des augmentations de prix à mettre en oeuvre par les fabricants de carton».

139.
    Dès lors, le fait d'avoir consenti à créer et à participer aux réunions d'un organe dont l'objet anticoncurrentiel, consistant notamment en des discussions sur de futures augmentations de prix, était connu et accepté des entreprises à l'origine de sa création, constitue un motif suffisant pour considérer que la requérante est responsable d'une collusion sur les prix à partir du milieu de 1986, date à partir de laquelle la requérante admet avoir pris part au PWG.

140.
    Pour ce qui est de la date de la fin de la concertation en matière de prix, la Commission a retenu à bon droit le mois d'avril 1991, mois durant lequel les agents de la Commission ont procédé à des vérifications dans les locaux de plusieurs entreprises, conformément à l'article 14 du règlement n° 17. En effet, la dernière augmentation de prix concertée, annoncée en octobre 1990 par la requérante, a été appliquée à partir de janvier 1991 et le niveau des prix de catalogue convenu entre les entreprises était encore en vigueur au mois d'avril 1991.

141.
    Il s'ensuit que le présent moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une erreur commise par la Commission en ce qui concerne la durée de l'entente visant le gel des parts de marché et le contrôle de l'offre

Arguments des parties

142.
    La requérante fait valoir que, à supposer même qu'une entente visant le gel des parts de marché et le contrôle de l'offre soit considérée comme prouvée, la Commission a commis une erreur d'appréciation quant à sa durée, car les élémentsde preuve qu'elle invoque attestent qu'aucune entente n'a existé avant fin 1988. Dans sa réplique, elle ajoute que l'annexe 102 à la communication des griefs, note de Rena qui concernerait une réunion du NPI tenue le 3 octobre 1988, démontre l'absence d'une telle entente à l'époque de sa rédaction, l'auteur y faisant uniquement état de la possibilité d'examiner une régulation de l'offre au cas où des difficultés seraient rencontrées en matière de prix.

143.
    La Commission renvoie aux arguments qu'elle a avancés dans le cadre du moyen tiré d'une erreur commise en ce qui concerne la durée de la concertation sur les prix (voir ci-dessus point 121).

Appréciation du Tribunal

144.
    Le Tribunal a déjà constaté (voir ci-dessus points 78 à 106) que la Commission a établi que les entreprises réunies au sein du PWG ont participé à une collusion sur les parts de marché, d'une part, et à une collusion sur les temps d'arrêt, d'autre part.

145.
    Il ressort de la décision que le «gel» des parts de marché et l'examen des temps d'arrêt ont commencé à être spécifiquement discutés entre les participants aux réunions du PWG à partir de la fin de 1987, afin d'assurer la réussite des initiatives prises en matière de prix à partir de 1988 (voir, en particulier, points 51 à 60 des considérants). A cet égard, la décision relève: «Tous les membres du PWG étaient préoccupés par le fait que les initiatives 'relancées‘ ne devaient pas être sapées par des augmentations importantes des volumes vendus. C'est ce que Stora a appelé la politique du 'prix avant le tonnage‘.» (Point 51, premier alinéa, des considérants.) La Commission retient par ailleurs que la «politique du prix avant le tonnage» qui a caractérisé le GEP Carton de la fin de 1987 jusqu'en avril 1991 était, notamment, caractérisée par le «'gel‘ des parts de marché des principaux fabricants, à l'origine sur la base de leur position en 1987» et par l'«organisation coordonnée de 'temps d'arrêt de la production‘ par les principaux fabricants, aux lieu et place de réductions de prix (principalement à partir de 1990)» (point 130, deuxième alinéa, des considérants).

146.
    Ces affirmations de la Commission se fondent essentiellement sur les annexes 39 et 73 à la communication des griefs.

147.
    Dans le document faisant l'objet de l'annexe 39 (point 5), Stora précise: «Liée à l'initiative en matière de prix de 1987, était la nécessité de maintenir un quasi-équilibre entre la production et la consommation (politique du prix avant le tonnage).»

148.
    S'agissant du début de la collusion sur les parts de marché, il découle de l'annexe 73 à la communication des griefs (voir ci-dessus point 89) que le «cercle des présidents» («Präsidentenkreis») avait décidé de coopérer plus étroitement depuis octobre ou novembre 1987. Le résultat de cette coopération a été une collusion sur les parts de marché à partir de cette date.

149.
    Quant au début de la collusion sur les temps d'arrêt, Stora déclare: «Avec l'adoption, par le PWG, de la politique du prix avant le tonnage et la mise en oeuvre progressive d'un système de prix équivalents à partir de 1988, les membres du PWG ont reconnu qu'il était nécessaire de respecter des temps d'arrêt en vue de maintenir ces prix face à une croissance réduite de la demande. Faute pour les fabricants d'appliquer des temps d'arrêt, il leur aurait été impossible de maintenir les niveaux de prix convenus face à une capacité excédentaire croissante.» (Annexe 39, point 24.)

150.
    Elle ajoute: «En 1988 et 1989, l'industrie pouvait fonctionner pratiquement à pleine capacité. Les temps d'arrêt autres que la fermeture normale pour les réparations et les vacances sont devenus nécessaires à partir de 1990. [...] Par la suite, il s'est avéré nécessaire de pratiquer des temps d'arrêt lorsque le flot des commandes s'arrêtait afin de maintenir la politique du prix avant le tonnage.» (Annexe 39, point 25.)

151.
    A la lumière de ces éléments de preuve, la Commission a établi que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont adopté, à la fin de 1987, une politique dite «du prix avant le tonnage» et que l'un des aspects de cette politique, à savoir une collusion sur les parts de marché, a été appliqué avec effet immédiat, alors que l'aspect relatif aux temps d'arrêt n'a dû être effectivement appliqué qu'à partir de 1990.

152.
    Il résulte de ce qui précède que le moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le moyen tiré d'une erreur d'appréciation commise par la Commission en ce qui concerne le système d'échange d'informations de la Fides

153.
    Dans sa réplique, la requérante fait valoir que le système d'échange d'informations de la Fides n'était pas de nature à promouvoir des comportements collusoires et qu'il n'était donc pas incompatible avec l'article 85 du traité. Selon elle, il existe des différences importantes entre les faits du cas d'espèce et ceux ayant donné lieu à la décision 87/1/CEE de la Commission, du 2 décembre 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.128 — Fatty Acids)

(JO 1987, L 3, p. 17), invoquée par la Commission au point 134 des considérants de la décision.

154.
    La Commission souligne, dans sa duplique, les raisons pour lesquelles elle s'est référée à la décision «Fatty Acids», précitée. Elle fait valoir que, en l'espèce, le système d'échange d'informations a au moins eu pour effet de faciliter l'entente.

155.
    Le Tribunal rappelle que, aux termes de l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

156.
    Le moyen tiré d'une erreur d'appréciation de la Commission en ce qui concerne le système d'échange d'informations de la Fides n'a été invoqué pour la première fois par la requérante qu'au stade de la réplique et il n'est pas fondé sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

157.
    Partant, ce moyen n'est pas recevable.

Sur le moyen tiré d'une erreur commise par la Commission en ce qu'elle a considéré qu'il s'agissait d'une infraction unique et globale et que Sarrió en était responsable dans son ensemble

Arguments des parties

158.
    La requérante conteste l'approche de la Commission en ce que celle-ci conclut, d'une part, à l'existence d'une infraction unique et, d'autre part, à une entière responsabilité de la requérante.

159.
    En premier lieu, la Commission se fonderait pour l'essentiel sur un «théorème accusatoire», dans la mesure où elle ne disposerait pas de preuves directes d'une entente complète. Or, il incomberait à la Commission de démontrer si et, dans l'affirmative, dans quelle mesure la requérante a participé à chacun des éléments d'une infraction unique. S'agissant d'infractions au droit communautaire de la concurrence, le principe de la responsabilité strictement individuelle s'imposerait, l'idée d'une responsabilité collective étant contraire notamment au caractère quasi pénal des sanctions qui peuvent être infligées pour de telles infractions. Par conséquent, la Commission affirmerait à tort qu'il n'est pas nécessaire de démontrer la participation active de la requérante pour chacun des éléments de l'infraction. Il serait au contraire nécessaire à la fois de déterminer la nature précise de l'infraction commise et de procéder à une vérification de l'éventuelle participation individuelle de chaque entreprise, afin de pouvoir correctement déterminer la responsabilité individuelle et, dès lors, la sanction individuelle appropriée.

160.
    En second lieu, la requérante affirme qu'il est également contraire aux principes fondamentaux du droit communautaire, notamment à celui régissant la charge de la preuve, de fonder la responsabilité individuelle d'une entreprise du chef d'une infraction sur sa seule appartenance à une association, dont les activités étaient au moins partiellement licites.

161.
    En troisième lieu, la requérante affirme que la Commission n'a pas dûment pris en considération sa position particulière sur le marché ainsi qu'au sein du GEP Carton. En particulier, ce serait dans le but de mieux affronter ses concurrents qu'elle aurait, en 1986, sollicité le droit de participer aux réunions du GEP Carton.

162.
    La Commission fait valoir qu'elle a prouvé l'existence de l'entente et de la participation active de la requérante à celle-ci, en tant que chef de file. Elle conclut qu'elle a par conséquent fondé son analyse sur des éléments de fait précis et bien établis et que les arguments de la requérante tirés d'une sorte de «responsabilité collective» ou d'un «théorème accusatoire» sont dénués de fondement.

163.
    Elle affirme en outre qu'elle n'a aucunement fondé la responsabilité de la requérante sur sa seule qualité de membre du GEP Carton. En réalité, elle se serait fondée, d'une part, sur la participation active de la requérante aux réunions des divers comités du GEP Carton ayant un objet anticoncurrentiel et, d'autre part, sur le fait que la requérante a ultérieurement adopté les comportements convenus au cours desdites réunions.

Appréciation du Tribunal

164.
    A titre liminaire, il convient de souligner que la Commission a constaté que la requérante a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant du milieu de 1986 jusqu'à avril 1991 au moins à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986 et consistant en plusieurs éléments constitutifs distincts.

165.
    Selon le point 116, deuxième alinéa, des considérants de la décision, «l'infraction consiste, pour l'essentiel, dans l'association de producteurs pendant plusieurs années au sein d'une entreprise conjointe illégale poursuivant un objectif commun». Cette conception de l'infraction est également exprimée au point 128 des considérants: «Il serait toutefois artificiel de subdiviser ce qui est à l'évidence une entreprise commune continue ayant un seul et unique objectif global en plusieurs infractions distinctes (voir aussi arrêt du tribunal de première instance dans l'affaire T-13/89, Imperial Chemical Industries contre Commission des Communautés européennes, point 260 des motifs).»

166.
    Dès lors, même si la Commission n'a pas formellement recouru à la notion d'«infraction unique» dans la décision, elle s'est référée de manière implicite à cette notion, ainsi qu'en atteste le renvoi au point 260 de l'arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission (T-13/89, Rec. p. II-1021).

167.
    De plus, l'utilisation répétée par la Commission du mot «entente» pour appréhender les divers comportements anticoncurrentiels constatés consacre une conception globalisante des violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En effet, ainsi que cela ressort du point 117 des considérants de la décision, la Commission estime: «L'approche correcte, dans le cas d'espèce, consiste à démontrer l'existence et le fonctionnement ainsi que les principales caractéristiques de l'entente dans son ensemble et à établir ensuite a) l'existence de preuves crédibles et concluantes permettant de rattacher les différents producteurs au système commun et b) les périodes au cours desquelles chaque producteur y aparticipé.» Elle ajoute (même point des considérants): «La Commission [...] n'est pas tenue de compartimenter les différents éléments constitutifs de l'infraction en isolant chacune des occasions auxquelles, pendant la durée de l'entente, un consensus a été réalisé sur l'un ou l'autre sujet, ou chacun des exemples de comportement collusoire et en disculpant de toute participation à cette occasion ou à cette manifestation particulière de l'entente les producteurs dont l'implication ne serait pas démontrée par des preuves directes.» Elle soutient par ailleurs (point 118) qu'«il existe suffisamment de preuves directes pour démontrer l'adhésion de chaque participant présumé à l'infraction», sans distinguer entre les éléments constitutifs de cette infraction globale.

168.
    Ainsi, l'infraction unique, telle que conçue par la Commission, se confond avec l'«entente dans son ensemble» ou l'«entente globale» et se caractérise par un comportement continu adopté par plusieurs entreprises poursuivant un objectif illégal commun. De cette conception de l'infraction unique découlent le système de preuve décrit au point 117 des considérants de la décision ainsi qu'une responsabilité unitaire, en ce sens que toute entreprise «rattachée» à l'entente globale est tenue pour responsable de celle-ci, quels que soient les éléments constitutifs auxquels sa participation est prouvée.

169.
    Or, pour que la Commission puisse tenir chacune des entreprises visées par une décision comme celle de l'espèce pour responsable, pendant une période déterminée, d'une entente globale, il lui faut établir que chacune d'elles soit a consenti à l'adoption d'un plan global recouvrant les éléments constitutifs de l'entente, soit a participé directement, pendant cette période, à tous ces éléments. Une entreprise peut également être tenue pour responsable d'une entente globale même s'il est établi qu'elle n'a participé directement qu'à un ou plusieurs des éléments constitutifs de cette entente dès lors qu'elle savait, ou devait nécessairement savoir, d'une part, que la collusion à laquelle elle participait s'inscrivait dans un plan global et, d'autre part, que ce plan global recouvrait l'ensemble des éléments constitutifs de l'entente. Lorsqu'il en est ainsi, le fait que l'entreprise concernée n'ait pas participé directement à tous les éléments constitutifs de l'entente globale ne saurait la disculper pour la responsabilité de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Une telle circonstance peut néanmoins être prise en considération lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée dans son chef.

170.
    En l'espèce, il ressort de la décision que l'infraction constatée dans son article 1er est constituée par des collusions portant sur trois sujets différents mais poursuivant un objectif commun, collusions devant être considérées comme les éléments constitutifs de l'entente globale. En effet, il ressort de cet article que chacune des entreprises y mentionnées a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité, en participant à un accord et une pratique concertée par lesquels les entreprises a) ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale et ont planifié et mis en oeuvre ces augmentations de prix, b) se sont entendues pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occassionnelles et c) ont pris, de plus en plus fréquemment à partir du début de 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre des augmentations de prix concertées.

171.
    Dans sa décision, la Commission a, en dépit de sa conception de l'infraction unique, précisé que «les documents 'clefs‘ qui prouvent l'existence de l'entente dans son ensemble ou de ses différentes manifestations citent souvent les participants nommément et il existe, par ailleurs, un faisceau dense de preuves écrites montrant le rôle joué par chaque producteur dans l'entente et l'importance de sa participation» (point 118, premier alinéa, des considérants de la décision).

172.
    Il revient donc au Tribunal, au vu des considérations qui précèdent, d'examiner si la Commission a établi la participation de la requérante à l'entente, telle que constatée dans son chef à l'article 1er de la décision.

173.
    A cet égard, il y a lieu de rappeler que, comme cela a déjà été constaté (voir points 48 et suivants et points 76 et suivants, ci-dessus), la Commission a prouvé que la requérante, en sa qualité d'entreprise ayant pris part aux réunions du PWG depuis son origine, a participé depuis le milieu de 1986 à une collusion sur les prix et, à compter de la fin de 1987, à une collusion sur les parts de marché ainsi qu'à une collusion sur les temps d'arrêt, soit les trois éléments constitutifs de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision. Elle a donc décidé à bon droit de tenir la requérante pour responsable d'une infraction constituée par les trois collusions poursuivant le même objectif.

174.
    Partant, la Commission n'a pas imputé à la requérante la responsabilité du comportement d'autres producteurs et n'a pas retenu sa responsabilité sur le seul fondement de sa participation au GEP Carton.

175.
    Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres arguments invoqués par la requérante, le moyen doit donc être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une absence de prise en considération par la Commission de la situation du marché espagnol

176.
    Dans sa réplique, la requérante fait valoir que la Commission n'a pas défini précisément le marché géographique sur lequel la prétendue infraction a été réalisée et que, en particulier, elle n'a pas suffisamment analysé la situation sur le marché espagnol et le comportement sur ce marché des entreprises concernées. Elle affirme, à cet égard, qu'elle a déjà signalé dans sa requête que la seule référence, dans la décision, au marché espagnol consiste en deux notes de bas de page figurant aux tableaux E et G annexés à la décision.

    

177.
    La Commission fait valoir que ce moyen, soulevé pour la première fois dans la réplique, devrait être interdit.

178.
    Le Tribunal rappelle que, aux termes de l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

179.
    Le moyen tiré d'une absence de prise en considération par la Commission de la situation du marché espagnol n'a été invoqué pour la première fois par la requérante qu'au stade de la réplique. En effet, le seul argument contenu dans la requête se rapportant au marché espagnol est invoqué au soutien du moyen tiré de l'absence de participation de Prat Carton à l'infraction reprochée. Au-delà du libellé de ce moyen, l'argument invoqué à son soutien visait uniquement à souligner que le tableau G annexé à la décision, mentionnant les annonces d'augmentation de prix effectuées sur le marché espagnol en janvier 1991 par des producteurs y opérant, ne fait aucune référence à Prat Carton. Il ne peut donc pas être interprété comme un grief relatif à l'absence de prise en considération du marché espagnol.

180.
    Dans ces circonstances, le présent moyen, ayant été invoqué pour la première fois dans la réplique et n'étant pas fondé sur des éléments de droit ou de fait révélés pendant la procédure, doit être déclaré irrecevable.

Sur le moyen tiré d'une absence de participation de Prat Carton à l'infraction

Arguments des parties

181.
    La requérante fait valoir que la Commission n'a pas démontré la participation de Prat Carton à une infraction quelconque. En particulier, la note au tableau G de la décision (relative à une augmentation des prix en janvier 1991 sur le marché espagnol) ne ferait aucune mention de Prat Carton.

182.
    Prat Carton n'aurait participé que très sporadiquement à des réunions de certains comités du GEP Carton. Cette entreprise n'aurait d'ailleurs participé au JMC que

durant la période allant de juin 1990 à mars 1991. De plus, le seul fait que Stora ait indiqué qu'elle pensait que les producteurs espagnols étaient généralement informés des résultats des réunions par Saffa ou par Finnboard (annexe 38 à la communication des griefs) ne constituerait pas la preuve d'une participation de Prat Carton à la prétendue infraction.

183.
    La requérante conteste que les documents F-15-9, G-15-7 et G-15-8 (annexés à la communication des griefs) invoqués par la Commission démontrent la participation de Prat Carton à des initiatives concertées d'augmentation des prix au mois d'avril 1990. Elle souligne, dans sa réponse à une question écrite du Tribunal, que le document F-15-9 date de février 1991 et non pas, comme affirmé par la Commission, de février 1990. S'agissant du document G-15-7, il fournirait uniquement la preuve de la pratique du secteur consistant à appliquer les augmentations annuelles au mois d'avril ainsi que de l'incertitude de Prat Carton quant au niveau de l'augmentation et à la date de son entrée en vigueur.

184.
    La Commission fait valoir que Prat Carton a participé à l'entente depuis l'origine, ainsi que le démontrent les documents fournis avec la communication des griefs (les «renseignements individuels»). Elle rappelle, en premier lieu, que Prat Carton a assisté à de nombreuses réunions de la PC entre le 29 mars 1986 et le 28 novembre 1989, à trois réunions du COE entre octobre 1988 et octobre 1989, ainsi qu'à diverses réunions du JMC entre juin 1990 et le 5 mars 1991 (voir tableaux 3 à 7 joints à la décision). Ayant ainsi directement participé à des réunions au cours desquelles ont été prises des décisions relatives à l'entente, Prat Carton en serait responsable (voir arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité). De plus, il n'existerait aucune trace officielle de la participation des diverses entreprises aux réunions du JMC avant les vérifications de la Commission, ou aux réunions du PWG avant février 1990. Le seul fait que la documentation fournie par les entreprises ne donne pas d'indications précises sur la présence de Prat Carton aux diverses réunions ne prouverait donc pas qu'elle n'assistait pas à ces réunions.

185.
    En second lieu, la Commission relève que Prat Carton a été, comme Stora l'a déclaré (annexe 38 à la communication des griefs), informée du résultat des réunions du PWG.

186.
    En troisième lieu, Prat Carton aurait appliqué les initiatives de prix convenues au sein des différents organismes du GEP Carton au cours de la période concernée. De légères différences dans le temps ou entre les montants des augmentations pratiquées par Prat Carton et par les autres producteurs ne démontreraient pas la non-participation de Prat Carton à l'entente. Toutefois, la Commission admet que le document F-15-9 date de février 1991 et non pas de février 1990, et qu'elle ne dispose donc pas de preuves susceptibles de démontrer la participation effective de Prat Carton à des initiatives d'augmentation des prix antérieures à celle de janvier 1991. Concernant l'initiative d'augmentation des prix de janvier 1991, la Commission renvoie en particulier au document G-15-8, datant du 26 septembre

1990, dans lequel Prat Carton déclare expressément prévoir une augmentation des prix dans tous les pays en janvier 1991.

Appréciation du Tribunal

187.
    A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la requérante a acquis Prat Carton à hauteur de 100 % en février 1991 et qu'elle ne conteste pas sa responsabilité pourl'éventuelle participation de Prat Carton à une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité. A cet égard, le point 154 des considérants de la décision énonce que la requérante, du fait de l'acquisition de Prat Carton, «est devenue responsable de la participation de ce fabricant espagnol à l'entente, pour toute la durée de cette participation». Par ailleurs, il convient de constater que l'article 1er de la décision tient uniquement la requérante pour responsable de l'infraction dénoncée, y compris en ce qu'elle aurait été commise par Prat Carton, et que la décision est adressée à la requérante sans mention de Prat Carton (article 5 de la décision).

188.
    Dans ces conditions, et dans la mesure où il a déjà été constaté que la Commission a établi la participation de la requérante elle-même à l'infraction décrite à l'article 1er de la décision, le présent moyen, s'il devait être accueilli, ne saurait justifier l'annulation totale ou partielle de cette dernière disposition. Toutefois, Prat Carton n'ayant été acquise par la requérante qu'en février 1991, soit deux mois avant la fin de la période d'infraction retenue par la décision, une réduction de l'amende serait justifiée s'il devait être conclu que la participation, à titre individuel, de Prat Carton aux éléments constitutifs de l'entente avant février 1991 n'est pas établie par la Commission. Par ailleurs, les amendes infligées en vertu de l'article 3 de la décision ont été calculées sur la base, notamment, du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises au cours de l'année 1990, année au cours de laquelle Prat Carton n'appartenait pas encore au groupe de la requérante. Par conséquent, il est utile de procéder d'ores et déjà à l'examen des arguments invoqués dans le cadre du présent moyen.

189.
    Le Tribunal examinera, en premier lieu, la question de savoir si la Commission a prouvé la participation de Prat Carton à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité pour ce qui est de la période allant du milieu de 1986 jusqu'en juin 1990, date à partir de laquelle Prat Carton admet avoir commencé à participer aux réunions du JMC. En second lieu, le Tribunal examinera la question de savoir si la Commission a prouvé la participation de Prat Carton à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité pour ce qui est de la période restante, soit de juin 1990 à février 1991, date à laquelle Prat Carton a été acquise par la requérante.

1. Période allant du milieu de 1986 au mois de juin 1990

190.
    Pour prouver la participation de Prat Carton à une infraction aux règles communautaires de la concurrence pendant la période en cause, la Commission se fonde sur la participation de cette entreprise aux réunions de la PC des 29 mai

1986, 25 mai 1988, 17 novembre 1988 et 28 novembre 1989 ainsi qu'aux réunions du COE des 20 septembre 1988, 8 mai 1989 et 3 octobre 1989. En outre, elle se fonde sur une déclaration de Stora (annexe 38 à la communication des griefs). Enfin, selon elle, le seul fait que la documentation fournie par les entreprises ne donne pas d'indications précises sur la présence de Prat Carton aux réunions du JMC ne prouverait pas qu'elle n'assistait pas à ces réunions.

191.
    Il y a lieu d'examiner chacun de ces éléments de preuve dans l'ordre susmentionné.

a) Participation de Prat Carton à certaines réunions de la PC

192.
    S'agissant de la participation de Prat Carton à quatre réunions spécifiques de la PC, la Commission n'invoque aucun élément de preuve de l'objet de celles-ci. Dès lors, quand elle se réfère à cette participation comme élément de preuve de la participation de l'entreprise à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, elle se fonde nécessairement sur la description générale, contenue dans la décision, de l'objet des réunions de cet organe, ainsi que sur les éléments de preuve invoqués dans la décision pour étayer ladite description.

193.
    A cet égard, la décision énonce: «Comme l'a expliqué Stora, le PWG avait notamment pour fonction d'expliquer à la 'President Conference‘ les mesures nécessaires pour réguler le marché [...] Les directeurs généraux participant aux 'President Conferences‘ étaient ainsi informés des décisions prises par le PWG et des instructions à transmettre à leurs départements des ventes en vue de mettre en oeuvre les initiatives en matière de prix.» (Point 41, premier alinéa, des considérants.) La Commission relève également: «Le PWG s'est régulièrement réuni avant chaque 'President Conference‘ prévue. La même personne présidant les deux réunions, il ne fait aucun doute que c'est elle qui communiquait les résultats des délibérations du PWG aux autres 'présidents‘ qui ne faisaient pas partie du cercle restreint.» (Point 38, deuxième alinéa, des considérants.)

194.
    Stora indique que les participants aux réunions de la PC ont été informés des décisions adoptées par le PWG (annexe 39 à la communication des griefs, point 8). Cependant, l'exactitude de cette affirmation est contestée par plusieurs des entreprises ayant participé aux réunions de la PC, dont la partie requérante. Par conséquent, les déclarations de Stora relatives au rôle de la PC ne peuvent pas, sans être étayées par d'autres éléments de preuve, être considérées comme constituant une preuve suffisante de l'objet des réunions dudit organe.

195.
    Certes, le dossier contient un document, à savoir une déclaration du 22 mars 1993 d'un ancien membre du directoire de Feldmühle (M. Roos), qui corrobore à première vue les affirmations de Stora. M. Roos indique notamment: «Le contenu des discussions conduites au sein du PWG était transmis aux entreprises qui n'étaient pas représentées dans ce groupe lors de la conférence des Présidents qui suivait immédiatement, ou bien, s'il n'y avait pas immédiatement de conférence des Présidents, lors du JMC.» Toutefois, même si ce document n'est pas expressément

invoqué dans la décision à l'appui des allégations de la Commission concernant l'objet des réunions de la PC, il ne peut, en tout état de cause, être considéré comme constituant une preuve supplémentaire s'ajoutant aux déclarations de Stora. En effet, ces déclarations étant une synthèse des réponses fournies par chacune des trois entreprises détenues par Stora durant la période d'infraction, dont Feldmühle, l'ancien membre du directoire de cette dernière entreprise constitue nécessairement l'une des sources des déclarations de Stora elle-même.

196.
    Quant aux autres éléments de preuve invoqués pour établir l'objet des réunions de la PC, la Commission estime dans la décision que l'annexe 61 à la communication des griefs (mentionnée ci-dessus points 125 et 126) est une note interne, prise lors d'une réunion de la PC, qui corrobore l'aveu de Stora selon lequel la PC discutait en fait d'une politique collusive de fixation des prix (point 41, troisième alinéa, des considérants de la décision). Cependant, comme cela a déjà été constaté (voir ci-dessus points 125 à 135), cette note ne constitue pas la preuve d'une collusion portant sur l'initiative en matière de prix de janvier 1987 au Royaume-Uni. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme la Commission, Stora n'a jamais reconnu que la PC débattait en fait d'une politique collusive de fixation des prix. Selon Stora, les réunions de la PC constituaient simplement l'occasion pour les entreprises réunies au sein du PWG de communiquer les décisions adoptées aux entreprises non représentées au sein de cet organe.

197.
    Enfin, la Commission soutient que «les documents trouvés par la Commission chez FS-Karton (membre du groupe M-M) confirment que, à la fin de 1987, un accord avait été conclu dans le cadre de la 'President Conference‘ et du PWG sur les questions liées de la régulation des volumes et de la discipline des prix» (point 53, premier alinéa, des considérants de la décision). Elle se réfère, à cet égard, à l'annexe 73 à la communication des griefs (voir ci-dessus point 88). Comme cela a déjà été relevé (ci-dessus point 91), l'auteur du document évoque, en guise d'introduction, la coopération plus étroite à l'échelle européenne au sein du «cercle des présidents» («Präsidentenkreis»), expression interprétée par Mayr-Melnhof comme visant à la fois le PWG et la PC dans un contexte général, c'est-à-dire sans référence à un événement ou à une réunion particulière (annexe 75 à la communication des griefs, point 2.a).

198.
    Certes, l'annexe 73 à la communication des griefs constitue une preuve corroborant les déclarations de Stora relatives à l'existence d'une collusion sur les parts de marché entre les entreprises admises au «cercle des présidents», d'une part, et d'une collusion sur les temps d'arrêt entre ces mêmes entreprises, d'autre part (voir ci-dessus points 84 à 114 et, en particulier, point 110). Toutefois, aucun autre élément de preuve ne confirme l'affirmation de la Commission selon laquelle la PC a eu pour objet, notamment, de discuter de la collusion sur les parts de marché et de la régulation des volumes de production. Par conséquent, les termes «cercle des présidents» («Präsidentenkreis») employés dans l'annexe 73 à la communication

des griefs ne sauraient, malgré les explications fournies par Mayr-Melnhof, être interprétés comme comportant une référence à des organes autres que le PWG.

199.
    Au vu de ce qui précède, la Commission n'a pas prouvé que les réunions de la PC avaient, en marge des activités licites, joué un rôle anticoncurrentiel. Il s'ensuit qu'elle ne pouvait pas inférer des éléments de preuve invoqués que les entreprises ayant participé aux réunions de cet organe avaient pris part à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

200.
    Il y a donc lieu de conclure que la participation de Prat Carton à une infraction aux règles de la concurrence pendant la période allant du milieu de 1986 au mois de juin 1990 n'a pas pu être établie en se fondant sur sa participation à quatre réunions de la PC.

b) Participation de Prat Carton à certaines réunions du COE

201.
    Il est constant que Prat Carton a participé à trois réunions du COE des 20 septembre 1988, 8 mai 1989 et 3 octobre 1989. De plus, un document rapporte le contenu de la réunion du 3 octobre 1989 (annexe 70 à la communication des griefs). Il convient donc d'examiner, dans un premier temps, la question de savoir si les réunions du COE avaient un objet anticoncurrentiel et, dans un second temps, celle de savoir s'il peut être inféré de l'annexe 70 à la communication des griefs que Prat Carton a participé à des discussions à objet anticoncurrentiel.

i) Objet des réunions du COE en général

202.
    Selon la décision, «le thème central des discussions du comité économique était l'analyse et l'évaluation de la situation du marché du carton dans les divers pays» (point 50, premier alinéa, des considérants). Le COE «débattait (entre autres) des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet, et faisait rapport sur ses conclusions au JMC (ou au 'Marketing Committee‘, l'instance qui l'a précédé jusqu'à la fin de 1987)» (point 49, premier alinéa, des considérants).

203.
    D'après la Commission, «les discussions sur les conditions du marché ne restaient pas dans le vague: en effet, les entretiens portant sur les conditions qui régnaient sur chaque marché national doivent être placés dans le contexte des initiatives prévues en matière de prix, et notamment dans celui de la nécessité ressentie de fermer temporairement des installations pour accompagner les augmentations» (point 50, premier alinéa, des considérants). En outre, la Commission estime: «Il est possible que le comité économique ait été moins directement concerné par la fixation des prix en tant que telle, mais il n'est pas crédible que ceux qui y assistaient aient pu ignorer l'objectif illicite auquel étaient destinées les informations qu'ils fournissaient sciemment au JMC.» (Point 119, deuxième alinéa, des considérants.)

204.
    A l'appui de ses allégations selon lesquelles les discussions tenues au sein du COE avaient un objet anticoncurrentiel, la Commission se réfère à un seul document, une note confidentielle rédigée par un représentant de FS-Karton concernant les points essentiels de la réunion du COE du 3 octobre 1989 (annexe 70 à la communication des griefs), réunion à laquelle Prat Carton a assisté.

205.
    Dans la décision, la Commission résume le contenu de ce document de la manière suivante:

«[...] outre une étude détaillée de la demande, de la production et des carnets de commande sur chaque marché national, les points suivants ont été examinés:

—    la forte résistance constatée chez les clients contre la dernière augmentation des prix du GC, entrée en vigueur le 1er octobre,

—    les commandes en carnet des producteurs de GC et de GD, y compris les positions individuelles,

—     des rapports sur les arrêts de production effectués et programmés,

—    des difficultés particulières liées à la mise en oeuvre de l'augmentation de prix au Royaume-Uni et l'incidence de celle-ci sur l'écart de prix nécessaire entre les qualités GC et GD

    et

—     la comparaison par rapport au budget des entrées de commandes pour chaque groupement national.» (Point 50, deuxième alinéa, des considérants.)

206.
    Il convient d'admettre que cette description du contenu du document est, pour l'essentiel, correcte. Toutefois, la Commission n'invoque aucun élément de preuve à l'appui de son affirmation selon laquelle l'annexe 70 à la communication des griefs peut être considérée «comme un indice de la véritable nature des délibérations de cet organe» (point 113, dernier alinéa, des considérants de la décision). En outre, Stora déclare: «Le JMC a été créé à la fin de l'année 1987 et a tenu sa première réunion au début de l'année 1988, reprenant à compter de cette date une partie des fonctions dévolues au Comité Economique. Les autres fonctions du Comité Economique ont été reprises par le Comité Statistique.» (Annexe 39 à la communication des griefs, point 13.) Au moins en ce qui concerne la période ayant commencé au début de 1988, seule période durant laquelle Prat Carton a participé à des réunions du COE, les déclarations de Stora ne contiennent donc aucun élément étayant l'allégation de la Commission relativement au prétendu objet anticoncurrentiel des délibérations de cet organe. Enfin, la Commission n'invoque pas non plus des éléments de preuve permettant de

considérer que les participants aux réunions du COE étaient informés de la nature précise des réunions du JMC, organe auquel le COE faisait rapport. Dès lors, il ne saurait être exclu que des participants aux réunions du COE, qui ne participaient pas simultanément aux réunions du JMC, n'aient pas eu connaissance de l'utilisation précise, par le JMC, des rapports préparés par le COE.

207.
    En conséquence, l'annexe 70 à la communication des griefs n'établit pas la véritable nature des discussions tenues lors des réunions du COE.

ii) Réunion du COE du 3 octobre 1989

208.
    Le contenu de la réunion du COE du 3 octobre 1989 est relaté par l'annexe 70 à la communication des griefs. La question se pose de savoir si la participation de Prat Carton à cette réunion constitue une preuve suffisante de sa participation à une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

209.
    En premier lieu, il doit être observé que les discussions sur les prix qui ont été menées lors de ladite réunion concernaient les réactions des clients à l'augmentation des prix du carton GC, appliquée par la plupart des producteurs de ce carton à partir du 1er octobre 1989, après avoir été annoncée sur le marché quelques mois auparavant. Selon la Commission, cette augmentation de prix a également concerné le carton SBS, mais pas le carton GD. Quant aux discussions au cours de la réunion en cause, le Tribunal considère qu'elles sont allées au-delà de ce que permettent les règles communautaires de la concurrence, notamment en ce qu'il a été constaté que ce serait «une erreur de renoncer à appliquer le niveau de prix important, et désormais fixé, concernant la qualité GC [...]». En effet, en exprimant ainsi la volonté commune d'appliquer fermement le nouveau niveau des prix du carton GC, les producteurs n'ont pas déterminé de manière autonome la politique qu'ils entendaient poursuivre sur le marché, portant ainsi atteinte à la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence (voir, notamment, arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, point 173).

210.
    Cependant, rien ne permet de considérer que Prat Carton a participé à une collusion portant sur l'augmentation de prix d'octobre 1989 avant la mise en oeuvre de celle-ci et que, par ailleurs, elle a effectivement procédé à une augmentation de ses prix du carton GC à cette époque. A cet égard, il ressort des réponses fournies par la requérante aux questions écrites posées par le Tribunal que la production de Prat Carton en 1989 était constituée à plus de 80 % par le carton GD, non concernés par l'augmentation des prix en cause. En outre, la réunion du COE d'octobre 1989 s'est tenue environ huit mois avant la première participation prouvée de Prat Carton à une réunion du JMC, l'un des organes ayant, selon la décision, constitué avec le PWG l'enceinte où se sont déroulées les principales discussions à objet anticoncurrentiel.

211.
    A la lumière de ces éléments, il ne saurait être exclu que le(s) représentant(s) de Prat Carton à la réunion du COE du 3 octobre 1989 ai(en)t pu ne pas être

conscient(s) du contexte dans lequel s'inscrivaient les discussions sur les prix. De plus, en l'absence de preuves quant à son comportement sur le marché en matière de prix durant la période pertinente, il est possible que Prat Carton ait considéré que les discussions ne concernaient pas sa situation individuelle. Par conséquent, dans la mesure où le contenu de la réunion du COE du 3 octobre 1989 a pu avoir pour Prat Carton un caractère exceptionnel, il ne saurait être reproché à cette entreprise de ne pas s'être publiquement distanciée du contenu des discussions de cette réunion.

212.
    En second lieu, l'annexe 70 à la communication des griefs ne contient aucun passage établissant la réalité de discussions qui auraient abouti à la programmation, pour l'avenir, sur une base collusoire, de temps d'arrêt des installations. L'ensemble des références à des temps d'arrêt précis qu'elle vise concernent en fait des données historiques. Certes, le document contient un passage relatif à l'utilisation future des installations: «Au cas où la mauvaise situation des entrées des commandes et de la charge des machines persiste, on conçoit aisément qu'il faille réfléchir à un arrêt de la production en fonction de la demande.» [«Bei anhaltend schlechtem Auftragseingang und schlechter Belegung ist es naheliegend, entsprechend dem Marktbedarf ein Abstellen zu überlegen.»] Cependant, dès lors que la participation de Prat Carton à la réunion du COE en cause n'établit pas, pour les raisons évoquées ci-dessus, sa participation à une collusion sur les prix, elle ne constitue pas davantage une preuve suffisante de sa participation à une collusion sur les temps d'arrêt. La seule évocation de l'éventuelle nécessité de procéder à des arrêts futurs ne saurait être considérée comme portant atteinte aux règles communautaires de la concurrence car, au moins pour des entreprises ne participant pas à une collusion sur les prix, elle peut correspondre à la simple constatation objective des conditions du marché existantes.

213.
    Au vu de ce qui précède, la participation de Prat Carton à la réunion du COE du 3 octobre 1989 ne constitue pas une preuve suffisante de sa participation à une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

c) Déclaration de Stora concernant la transmission des informations aux entreprises non présentes aux réunions

214.
    Dans sa déclaration invoquée par la Commission (annexe 38 à la communication des griefs, p. 2), Stora fournit des indications concernant les producteurs qui ont été informés des résultats des réunions du PWG: «Les producteurs de Stora croient que les producteurs espagnols étaient généralement informés par Saffa ou par Finnboard. Les autres producteurs espagnols membres du GEP Carton sont: Papelera del Centra SA, Prat Carton SA, Romani Esteve SA, Sarrió SA et Tampella Espanola SA.»

215.
    Ainsi que cela ressort clairement des termes de cette déclaration, Stora ne fait état que d'une croyance selon laquelle Prat Carton aurait été informée des résultats des

réunions du PWG. Le fondement de cette croyance n'est d'ailleurs pas indiqué. Dans ces conditions, cette déclaration ne peut constituer la preuve d'une participation de Prat Carton à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Cette conclusion s'impose d'autant plus que les allégations de Stora mettent en cause plusieurs autres entreprises membres du GEP Carton qui n'ont pas, dans la décision, été considérées comme ayant participé à une infraction quelconque.

d) Sur la participation de Prat Carton à des réunions du JMC

216.
    La Commission soutient qu'il n'est pas prouvé que Prat Carton n'a pas participé à des réunions du JMC avant juin 1989, car il n'existe aucune trace officielle de la participation des diverses entreprises à ces réunions avant les vérifications effectuées par la Commission.

217.
    Toutefois, la charge de la preuve de l'existence d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité dans le chef de Prat Carton incombe à la Commission. Partant, les simples allégations de celle-ci relatives à l'éventuelle participation de Prat Carton à des réunions du JMC pendant la période en cause sont dénuées de fondement.

e)    Conclusion relative à la période en cause

218.
    Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, les éléments de preuve invoqués par la Commission, même considérés dans leur ensemble, n'établissent pas une participation de Prat Carton à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité pendant la période allant du milieu de 1986 au mois de juin 1990.

2. Période allant de juin 1990 à février 1991

219.
    Il est constant que Prat Carton a participé à trois réunions du JMC pendant la période considérée, à savoir celles des 27-28 juin 1990, 4 septembre 1990 et 8-9 octobre 1990. S'agissant du comportement effectif de Prat Carton sur le marché, la Commission estime disposer d'éléments de preuve de nature à démontrer que cette entreprise a pris part à l'augmentation de prix concertée de janvier 1991, seule augmentation de prix concertée mise en oeuvre au cours de cette période.

220.
    A la lumière de ces éléments, il convient d'examiner la question de savoir si la participation de Prat Carton aux trois éléments constitutifs de l'infraction pendant ladite période est suffisamment établie par la Commission.

a) Sur la participation de Prat Carton à une collusion sur les prix

221.
    Selon la Commission, l'objet principal du JMC était, dès le départ, le suivant:

«—    déterminer si, et, dans l'affirmative, comment, des augmentations de prix pouvaient être mises en oeuvre, et faire part de ses conclusions au PWG,

—    définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent (c'est-à-dire uniforme) en Europe [...]» (point 44, dernier alinéa, des considérants de la décision).

222.
    Plus particulièrement, la Commission soutient, au point 45, premier et deuxième alinéas, des considérants de la décision:

«Ce comité examinait marché par marché la manière dont les augmentations de prix décidées par le PWG devaient être mises en oeuvre par chaque producteur. Les aspects pratiques de l'application des augmentations envisagées étaient traités au cours de 'tables rondes‘, où chaque participant avait l'occasion de commenter l'augmentation proposée.

Les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des augmentations de prix décidées par le PWG ou les éventuels refus de coopérer étaient rapportés au PWG, qui s'efforçait alors (comme l'a déclaré Stora) 'd'obtenir le degré de coopération jugé nécessaire‘. Le JMC faisait des rapports distincts pour les qualités GC et GD. Lorsque le PWG modifiait une décision en matière de prix en se fondant sur les rapports transmis par le JMC, les mesures à prendre pour appliquer la décision en cause étaient discutées à la réunion suivante du JMC.»

223.
    Il doit être constaté que la Commission se réfère à bon droit, à l'appui de ces indications relatives à l'objet des réunions du JMC, aux déclarations de Stora (annexes 35 et 39 à la communication des griefs).

224.
    En outre, même si elle ne dispose d'aucun compte rendu officiel d'une réunion du JMC, elle a obtenu auprès de Mayr-Melnhof et de Rena certaines notes internes portant sur les réunions des 6 septembre 1989, 16 octobre 1989 et 6 septembre 1990 (annexes 117, 109 et 118 à la communication des griefs). Ces notes, dont le contenu est décrit aux points 80, 82 et 87 des considérants de la décision, relatent les discussions détaillées menées au cours de ces réunions sur les initiatives concertées en matière de prix. Elles constituent donc des éléments de preuve corroborant clairement la description des fonctions du JMC donnée par Stora.

225.
    A cet égard, il suffit de renvoyer, à titre d'exemple, à la note obtenue de Rena sur la réunion du JMC du 6 septembre 1990 (annexe 118 à la communication des griefs) et dans laquelle il est notamment indiqué:

«Une augmentation de prix sera annoncée la semaine prochaine, en septembre.

France        40 FF

Pays-Bas        14

Allemagne        12 DM

Italie            80 LIT

Belgique         2,50 BFR

Suisse              9 FS

Royaume-Uni    40 UKL

Irlande        45 IRL

Toutes les qualités devraient faire l'objet de la même augmentation, GD, UD, GT, GC, etc.

Une seule augmentation de prix par an.

Pour les livraisons à partir du 7 janvier.

Au plus tard le 31 janvier.

Lettre du 14 septembre avec augmentation de prix (Mayr-Melnhof).

19 septembre, envoi par Feldmühle de sa lettre.

Cascades avant fin septembre.

Tous doivent avoir envoyé leur lettre avant le 8 octobre.»

226.
Comme la Commission l'explique aux points 88 à 90 des considérants de la décision, elle a en outre été en mesure d'obtenir des documents internes permettant de conclure que les entreprises, et notamment celles nommément citées dans l'annexe 118 à la communication des griefs, ont effectivement annoncé et mis en oeuvre les augmentations de prix convenues.

227.
    Même si les documents invoqués par la Commission ne concernent qu'un petit nombre des réunions du JMC tenues au cours de la période couverte par la décision, toutes les preuves documentaires disponibles corroborent l'indication de Stora selon laquelle l'objet principal du JMC était de déterminer et de planifier la mise en oeuvre des augmentations de prix concertées. A cet égard, l'absence presque totale de comptes rendus, officiels ou internes, des réunions du JMC doit être considérée comme une preuve suffisante de l'allégation de la Commission selon laquelle les entreprises ayant participé aux réunions se sont efforcées de dissimuler la véritable nature des discussions au sein de cet organe (voir, notamment, point 45 des considérants de la décision). Dans ces circonstances, la charge de la preuve a été renversée et il incombait aux entreprises destinataires de la décision ayant participé aux réunions de cet organe de prouver qu'il avait un objet licite. Une telle preuve n'ayant pas été apportée par ces entreprises, la Commission a considéré à bon droit que les discussions auxquelles les entreprises se sont livrées au cours des réunions de cet organe avaient un objet principalement anticoncurrentiel.

228.
    En ce qui concerne la situation individuelle de Prat Carton, sa participation à trois réunions du JMC au cours d'une période d'environ huit mois doit, à la lumière de ce qui précède et nonobstant l'absence de preuve documentaire relative aux discussions menées lors de ces trois réunions, être considérée comme constituant une preuve suffisante de sa participation, pendant cette période, à la collusion sur les prix.

229.
    Cette constatation est corroborée par la documentation invoquée par la Commission, relative au comportement effectif de Prat Carton en matière de prix. En effet, il y a lieu de rappeler qu'une augmentation de prix pour toutes les qualités de carton a été décidée au début de septembre 1990 et annoncée par les différentes entreprises au cours des mois de septembre-octobre 1990, ainsi que cela ressort de l'annexe 118 à la communication des griefs, précitée. Cette augmentation devait entrer en vigueur, dans tous les pays concernés, en janvier 1991.

230.
    Dans une télécopie émanant de Prat Carton, datée du 26 septembre 1990 (document G-15-8), il est notamment indiqué:

«. Nous avons l'intention d'augmenter les prix dans tous les pays à compter de janvier 1991.

. S'agissant de la France, nous envisageons une augmentation de 400 FF/tonne pour toutes les qualités.»

231.
    Même si cette télécopie ne mentionne le montant précis de l'augmentation de prix prévue que pour un seul pays, elle prouve que Prat Carton a procédé à des annonces d'augmentations de prix conformément aux décisions arrêtées, selon l'annexe 118 à la communication des griefs, au sein du JMC. Dans ce contexte, les augmentations mentionnées dans l'annexe 118 à la communication des griefs ne se réfèrent pas, pour l'ensemble des pays en cause, aux mêmes volumes de ventes et celle mentionnée pour la France, d'un montant de 40 FF, correspond à une augmentation du prix par 100 kg. En outre, bien qu'il soit constant qu'il ressort des documents F-15-9 et G-15-7, télécopies échangées entre Prat Carton et une entreprise britannique fin février/début mars 1991, que Prat Carton n'a finalement augmenté ses prix au Royaume-Uni qu'au mois d'avril 1991, un tel report de la date de mise en oeuvre de l'augmentation des prix dans l'un des pays concernés n'est pas susceptible d'affecter la valeur probante du document G-15-8, susvisé, en ce qui concerne la participation de Prat Carton à l'augmentation de prix concertée de janvier 1991. Ce raisonnement s'applique d'autant plus que l'augmentation de prix mise en oeuvre par Prat Carton sur le marché britannique s'est élevée, selon le document F-15-9, à un montant de 35 à 45 UKL/t, approchant celui de 40 UKL indiqué dans l'annexe 118 à la communication des griefs.

232.
    Au vu des considérations qui précèdent, le Tribunal estime que la Commission a prouvé que Prat Carton a participé à la collusion sur les prix pendant la période allant de juin 1990 à février 1991.

b) Sur la participation de Prat Carton à une collusion sur les temps d'arrêt

233.
    Il a déjà été admis que la Commission a prouvé que les entreprises présentes aux réunions du PWG ont participé, à partir de la fin de 1987, à une collusion sur les

temps d'arrêt des installations et que des temps d'arrêt ont été effectivement appliqués à partir de 1990.

234.
    Selon la décision, les entreprises ayant participé aux réunions du JMC ont également pris part à cette collusion.

235.
    A ce sujet, la Commission indique notamment:

«En plus du système géré par la Fides, qui donnait des données agrégées, il était d'usage que chaque producteur révèle à ses concurrents le niveau de ses commandes en carnet lors des réunions du JMC.

Les informations concernant les commandes converties en journées de travail étaient utiles à la fois:

—    pour décider si les conditions étaient propices à la mise en oeuvre d'une augmentation des prix concertée.

—    pour déterminer les temps d'arrêt nécessaires pour maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande [...].» (Point 69, troisième et quatrième alinéas, des considérants de la décision.)

236.
    Elle relève également:

«Le PWG n'indiquait cependant pas formellement le temps d'arrêt à respecter par chaque producteur. Selon Stora, l'établissement d'un plan coordonné d'arrêt des machines couvrant tous les producteurs soulevait des difficultés d'ordre pratique. Stora indique que c'est la raison pour laquelle il n'existait qu''un système relâché d'encouragement‘ (deuxième déclaration de Stora, p. 15).

Il semble que ce soient à nouveau les principaux producteurs qui aient supporté la charge de la réduction de la production pour maintenir les niveaux des prix.

Les comptes rendus non officiels de deux réunions du JMC qui ont eu lieu respectivement en janvier 1990 (considérant 84) et en septembre 1990 (considérant 87), ainsi que d'autres documents (considérants 94 et 95), confirment néanmoins que, dans le cadre du GEP Carton, les grands producteurs tenaient leurs concurrents plus petits constamment informés de leurs projets d'appliquer des temps d'arrêt supplémentaires pour éviter de diminuer les prix.» (Point 71 des considérants de la décision.)

237.
    Il convient de constater que la Commission se réfère à juste titre à la deuxième déclaration de Stora (annexe 39 à la communication des griefs, point 25) au soutien de son affirmation selon laquelle, si le PWG n'indiquait pas formellement le temps d'arrêt à respecter par chaque producteur, il existait néanmoins un «système relâché d'encouragement» à cet effet.

238.
    Pour ce qui est des entreprises ayant participé aux réunions du JMC, les preuves documentaires se rapportant à ces réunions (annexes 109, 117 et 118 à la communication des griefs, précitées) confirment que des discussions relatives à des temps d'arrêt ont eu lieu dans le contexte de la préparation des augmentations de prix concertées. Comme cela a déjà été relevé (voir ci-dessus point 104), l'annexe 118 à la communication des griefs mentionne les commandes en carnet pour plusieurs fabricants et relève que certains fabricants prévoyaient des temps d'arrêt. En outre, bien que les annexes 109 et 117 à la communication des griefs ne contiennent pas d'indications portant directement sur les temps d'arrêt prévus, elles révèlent que l'état des commandes en carnet et l'état des entrées des commandes ont été discutés au cours des réunions en cause.

239.
    Ces documents, lus ensemble avec les déclarations de Stora, constituent une preuve suffisante de la participation à la collusion sur les temps d'arrêt des fabricants représentés aux réunions du JMC. En effet, dans la mesure où la concertation sur les prix annoncés avait pour but une hausse des prix de transaction (voir ci-dessus points 48 à 61), les entreprises participant à la collusion sur les prix ont nécessairement été conscientes de ce que l'examen de l'état des commandes en carnet et des entrées des commandes ainsi que les discussions sur les éventuels temps d'arrêt n'avaient pas seulement pour objet de déterminer si les conditions du marché étaient propices à une augmentation de prix concertée mais également de déterminer si des temps d'arrêt des installations s'imposaient pour éviter que le niveau de prix convenu ne soit compromis par un excédent d'offre. En particulier, il ressort de l'annexe 118 à la communication des griefs que les participants à la réunion du JMC du 6 septembre 1990 se sont mis d'accord sur l'annonce d'une prochaine augmentation des prix, bien que plusieurs fabricants aient déclaré qu'ils s'apprêtaient à arrêter leur production. Par suite, les conditions du marché ont étételles que l'application effective d'une future augmentation des prix allait nécessiter, selon toute vraisemblance, que des temps d'arrêt (supplémentaires) soient appliqués, ce qui constitue donc une conséquence acceptée, au moins implicitement, par les fabricants.

240.
    Sur cette base, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres éléments de preuve invoqués par la Commission dans la décision (annexes 102, 113, 130 et 131 à la communication des griefs), il doit être considéré que la Commission a prouvé que les entreprises participant aux réunions du JMC et à la collusion sur les prix ont pris part à une collusion sur les temps d'arrêt.

241.
    Prat Carton doit donc être considérée comme ayant participé, pendant la période allant de juin 1990 à février 1991, à une collusion sur les temps d'arrêt.

c) Sur la participation de Prat Carton à une collusion sur les parts de marché

242.
    Il a déjà été admis que la Commission a prouvé que les entreprises présentes aux réunions du PWG ont participé, à partir de la fin de 1987, à une collusion sur les parts de marché (voir ci-dessus points 84 à 114).

243.
    Au soutien de son affirmation selon laquelle les entreprises n'ayant pas participé aux réunions du PWG ont également pris part à la collusion en cette matière, la Commission indique dans la décision:

«Si les autres producteurs de carton qui assistaient aux réunions du JMC n'étaient pas dans le secret des discussions approfondies sur les parts de marché qui avaient lieu au PWG, ils étaient néanmoins parfaitement informés, dans le cadre de la politique du 'prix avant le tonnage‘ à laquelle ils souscrivaient tous, de l'accord général conclu entre les principaux producteurs pour maintenir 'des niveaux d'approvisionnement constants‘ et, cela ne fait aucun doute, de la nécessité d'y adapter leur propre conduite.» (Point 58, premier alinéa, des considérants de la décision.)

244.
    Bien que cela ne ressorte pas expressément de la décision, la Commission entérine, sur ce point, les déclarations de Stora selon lesquelles:

«D'autres fabricants qui ne participaient pas au PWG n'étaient pas informés, en règle générale, du détail des discussions relatives aux parts de marché. Néanmoins, dans le cadre de la politique du prix avant le tonnage, à laquelle ils participaient, ils auraient dû avoir connaissance de l'entente des principaux fabricants visant à ne pas baisser les prix en maintenant des niveaux d'offre constants.

Pour ce qui est de l'offre [de carton] GC, en tout état de cause, les parts des fabricants qui ne participaient pas au PWG avaient un niveau tellement peu significatif que leur participation ou non-participation aux ententes sur les parts de marché n'avait pratiquement aucune incidence dans un sens ou dans l'autre.» (Annexe 43 à la communication des griefs, point 1.2.)

245.
    La Commission se fonde donc principalement, comme Stora, sur la supposition selon laquelle, même en l'absence de preuves directes, les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG mais dont il est prouvé qu'elles ont souscrit aux autres éléments constitutifs de l'infraction décrits à l'article 1er de la décision doivent avoir eu conscience de l'existence de la collusion sur les parts de marché.

246.
    Un tel raisonnement ne saurait être retenu. En premier lieu, la Commission n'invoque aucun élément de preuve susceptible de démontrer que les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG ont souscrit à un accord général prévoyant, notamment, le gel des parts de marché des principaux producteurs.

247.
    En second lieu, le seul fait que lesdites entreprises ont participé à une collusion sur les prix et à la collusion sur les temps d'arrêt n'établit pas qu'elles aient également pris part à une collusion sur les parts de marché. A cet égard, la collusion sur les parts de marché n'était pas, contrairement à ce que semble affirmer la Commission, intrinsèquement liée à la collusion sur les prix et/ou à celle sur les temps d'arrêt. Il suffit de constater que la collusion sur les parts de marché des principaux producteurs réunis au sein du PWG visait, selon la décision (voir ci-dessus points 78 à 80), à maintenir des parts de marché à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles, même au cours des périodes pendant lesquelles les conditions du marché, et notamment l'équilibre entre l'offre et la demande, étaient telles qu'aucune régulation de la production n'était nécessaire pour garantir la mise en oeuvre effective des augmentations de prix convenues. Il s'ensuit que l'éventuelle participation à la collusion sur les prix et/ou à celle sur les temps d'arrêt ne démontre pas que les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG ont participé à la collusion sur les parts de marché, ni qu'elles en ont eu ou devaient nécessairement en avoir connaissance.

248.
    Enfin, en troisième lieu, il convient de constater que, au point 58, deuxième et troisième alinéas, des considérants de la décision, la Commission invoque, en tant qu'élément de preuve supplémentaire de l'affirmation en cause, l'annexe 102 à la communication des griefs, note obtenue de Rena concernant, selon la décision, une réunion spéciale du NPI tenue le 3 octobre 1988. A cet égard, il suffit de constater, d'une part, que la requérante n'était pas membre du NPI et, d'autre part, que la référence, dans ce document, à l'éventuelle nécessité d'appliquer des temps d'arrêt, ne saurait, pour les raisons déjà évoquées, constituer la preuve d'une collusion sur les parts de marché.

249.
    Au vu de ce qui précède, la Commission n'a pas prouvé que Prat Carton a participé à une collusion sur les parts de marché pour ce qui est de la période allant de juin 1990 à février 1991.

3. Conclusions relatives à la participation de Prat Carton à une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité avant son acquisition par la requérante en février 1991

250.
    Sur la base de l'ensemble des considérations qui précèdent, il doit être retenu que la Commission a prouvé que Prat Carton a participé, au cours de la période allant de juin 1990 à février 1991, à une collusion sur les prix ainsi qu'à une collusion sur les temps d'arrêt. Toutefois, la participation de Prat Carton à la collusion sur les parts de marché au cours de cette même période n'est pas suffisamment établie. Enfin, pour la période antérieure, soit de la mi-1986 à juin 1990, la Commission n'a pas démontré la participation de Prat Carton aux éléments constitutifs de l'infraction.

Sur la demande d'annulation de l'article 2 de la décision

Arguments des parties

251.
    La requérante invoque un moyen tiré d'une illégalité de l'interdiction relative aux échanges futurs d'informations. Elle fait observer que ni l'article 1er ni l'article 2 de la décision ne concernent le premier système d'échange d'informations de l'association professionnelle CEPI-Cartonboard (ci-après «CEPI»), mentionné aux points 105, 106 et 166 des considérants de la décision. Or, l'interdiction relative aux échanges futurs d'informations s'opposerait aussi bien à l'établissement dans le futur, par la CEPI et ses membres, dont la requérante, de nouveaux systèmes d'échange d'informations qu'au système précis notifié par la CEPI à la Commission à la fin de 1993, système qui ne serait d'ailleurs pas mentionné dans la décision.

252.
    De plus, des systèmes d'échange d'informations qui ne visent pas à atteindre des résultats prohibés, tels que la fixation des prix ou la concertation sur les quantités, n'auraient jamais, dans la pratique antérieure de la Commission, été considérés comme illicites s'ils ne comportaient pas l'échange de données individuelles et confidentielles. La requérante souligne que la Commission a, dans son Septième Rapport sur la politique de concurrence, précisé qu'elle n'avait pas d'objections fondamentales à opposer à l'échange d'informations statistiques par l'intermédiaire d'associations commerciales ou de centrales spécialisées, même lorsque ces dernières fournissent une ventilation des données, dans la mesure où les informations échangées ne permettent pas l'identification des données individuelles.

253.
    Le moyen s'articule ensuite en deux branches. Dans une première branche, la requérante fait valoir que l'interdiction contenue à l'article 2 de la décision est, pour l'essentiel, formulée de manière trop vague et générale. En particulier, elle ne préciserait pas en quelles circonstances un système d'échange d'informations ne portant pas sur des données individuelles sera jugé apte à promouvoir une concertation sur les prix ou sur la production ou à contrôler l'exécution d'un accord sur les prix ou le partage des marchés.

254.
    En outre, l'article 2 de la décision ne préciserait pas quelles caractéristiques le système devra présenter pour répondre aux exigences d'exclusion a) de données présentées sous forme agrégée permettant d'«identifier le comportement de fabricants déterminés» (deuxième alinéa), b) de statistiques présentées sous forme agrégée sur la production et les ventes pouvant être utilisées «pour promouvoir ou faciliter un comportement commun du secteur» (troisième alinéa), et c) de «tout échange d'informations intéressant la concurrence» ainsi que de «toute réunion ou contact en vue d'examiner l'importance des informations échangées ou la réaction possible ou probable du secteur ou de fabricants individuels à ces informations» (quatrième alinéa).

255.
    Selon la requérante, des interdictions aussi vagues et générales apparaissent inexécutables et, en tout cas, contraires au principe de sécurité juridique.

256.
    Dans une seconde branche du moyen, la requérante conteste la légalité de l'interdiction, énoncée à l'article 2, deuxième alinéa, de la décision, des échanges de données (même agrégées) relatives à l'état des entrées de commandes et des commandes en carnet.

257.
    En premier lieu, de telles données ne fourniraient que des indications sur la tendance générale de la demande générale et ne permettraient d'identifier aucun producteur ni aucun pays.

258.
    En second lieu, l'échange des données en cause serait particulièrement fructueux, sinon nécessaire, dans le secteur du carton.

259.
    En troisième lieu, la Commission n'aurait jamais interdit les échanges des données en cause. En revanche, elle aurait considéré comme neutre du point de vue de la concurrence des échanges d'informations sur le niveau des stocks, les prix du marché présents et passés, la consommation, la capacité de transformation et même les tendances des prix [voir, notamment, communication 87/C 339/07 de la Commission, faite conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, concernant une demande d'attestation négative en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE — Affaire n° IV/32.076 — European Wastepaper Information Service (JO 1987, C 339, p. 7, ci-après «communication EWIS») et Septième Rapport sur la politique de concurrence, points 5 à 8].

260.
    La Commission relève que l'article 2 de la décision ne porte pas sur le système d'échange d'informations notifié par la CEPI et soumis à l'étude des services compétents de la Commission à l'époque de l'introduction du recours.

261.
    En outre, elle affirme que les injonctions énoncées à l'article 2 de la décision sont normales, dès lors qu'elle n'a pas obtenu la preuve de la fin de l'infraction et que la portée de telles injonctions dépend du comportement des entreprises. Dans lamesure où ces injonctions empêchent la participation à un système ayant un objet ou un effet identique ou analogue à celui en cause, elles se limiteraient en effet à appliquer l'interdiction générale de l'article 85 du traité (arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission, T-34/92, Rec. p. II-905). Elles se fonderaient par ailleurs sur l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 et seraient conformes aux décisions précédentes approuvées par le Tribunal.

262.
    En l'espèce, le système d'échange d'informations aurait été considéré comme essentiel par les membres de l'entente et il permettait le contrôle et la mise en oeuvre des initiatives anticoncurrentielles (points 61 à 71 et 134 des considérants de la décision). De plus, il aurait toujours été susceptible d'encourager les producteurs à adopter un comportement anticoncurrentiel, même après les modifications apportées au système en 1991 (point 166 des considérants de la décision). Or, il faudrait tenir compte de ces éléments, des particularités du marché du carton et de la situation caractérisée par l'existence d'un cartel pratiquement

absolu sur le marché européen pour apprécier la portée des injonctions énoncées à l'article 2 de la décision. A la lumière de ces considérations, il y aurait lieu de rejeter l'argumentation de la requérante selon laquelle les informations dont l'échange est interdit seraient générales et l'article 2 de la décision violerait le principe de sécurité juridique. En effet, l'interdiction d'un échange d'informations, notamment en ce qui concerne les informations visées à l'article 2, premier alinéa, sous a), sous b) et sous c), ne serait pas générale, mais porterait seulement sur les informations destinées à faciliter ou à promouvoir un comportement anticoncurrentiel.

263.
    Enfin, la communication EWIS, aurait concerné un contexte économique tout à fait différent de celui du carton (point 3 de la communication), notamment parce que EWIS ne pouvait fournir que des données globales portant sur un nombre suffisant de membres pour qu'il ne soit pas possible d'identifier le comportement d'un membre spécifique (point 7 de la communication).

Appréciation du Tribunal

264.
    Il y a lieu de rappeler que l'article 2 de la décision dispose:

«Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales:

a)    par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants;

b)    par lequel, même si aucune information individuelle n'est communiquée, une réaction commune du secteur dans le domaine des prix ou un contrôle de la production seraient promus, facilités ou encouragés

    ou

c)    qui permettrait aux entreprises concernées de suivre l'exécution ou le respect de tout accord exprès ou tacite sur les prix ou le partage des marchés dans la Communauté.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure non seulement toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés, mais aussi toutes données relatives à l'état des entrées de commandes et des commandes en carnet, au taux prévu d'utilisation des capacités de

production (dans les deux cas, même si elles sont agrégées) ou à la capacité de production de chaque machine.

Tout système d'échange de ce type sera limité à la collecte et à la diffusion, sous une forme agrégée, de statistiques sur la production et les ventes qui ne puissent être utilisées pour promouvoir ou faciliter un comportement commun du secteur.

Les entreprises s'abstiendront également de tout échange d'informations intéressant la concurrence autre que les échanges admis, ainsi que de toute réunion ou contact en vue d'examiner l'importance des informations échangées ou la réaction possible ou probable du secteur ou de fabricants individuels à ces informations.

Un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision est accordé pour procéder aux modifications nécessaires de tout système éventuel d'échange d'informations.»

265.
    Ainsi que cela ressort du point 165 des considérants, l'article 2 de la décision a été adopté en application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17. En vertu de cette disposition, la Commission, lorsqu'elle constate une infraction, notamment, aux dispositions de l'article 85 du traité, peut obliger par voie de décision les entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée.

266.
    Il est de jurisprudence constante que l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 peut comporter l'interdiction de continuer certaines activités, pratiques ou situations, dont l'illégalité a été constatée (arrêts de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 45, et du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241/91 P et C-242/91 P, Rec. p. I-743, point 90), mais aussi celle d'adopter un comportement futur similaire (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 220).

267.
    De plus, dans la mesure où l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 doit se faire en fonction de l'infraction constatée, la Commission a le pouvoir de préciser l'étendue des obligations qui incombent aux entreprises concernées afin qu'il soit mis fin à ladite infraction. De telles obligations pesant sur les entreprises ne doivent toutefois pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, à savoir le rétablissement de la légalité au regard des règles qui ont été méconnues (arrêt RTE et ITP/Commission, précité, point 93; dans le même sens, voir arrêts du Tribunal du 8 juin 1995, Langnese-Iglo/Commission, T-7/93, Rec. p. II-1533, point 209, et Schöller/Commission, T-9/93, Rec. p. II-1611, point 163).

268.
    En l'espèce, afin de vérifier si, comme le prétend la requérante, l'injonction contenue à l'article 2 de la décision a une portée trop large, il convient d'examiner l'étendue des diverses interdictions qu'il impose aux entreprises.

269.
    Quant à l'interdiction édictée à l'article 2, premier alinéa, deuxième phrase, consistant pour les entreprises à s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou analogue à ceux des infractions constatées à l'article 1er de la décision, elle vise uniquement à ce que les entreprises soient empêchées de répéter les comportements dont l'illégalité a été constatée. Par conséquent, la Commission, en adoptant une telle interdiction, n'a pas outrepassé les pouvoirs que lui confère l'article 3 du règlement n° 17.

270.
    Quant à l'article 2, premier alinéa, sous a), sous b) et sous c), ses dispositions visent plus spécifiquement des interdictions de futurs échanges d'informations commerciales.

271.
    L'injonction contenue dans l'article 2, premier alinéa, sous a), qui interdit à l'avenir tout échange d'informations commerciales permettant aux participants d'obtenir directement ou indirectement des informations individuelles sur des entreprises concurrentes, suppose que l'illégalité d'un échange d'informations d'une telle nature au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité ait été constatée par la Commission dans la décision.

272.
    A cet égard, il y a lieu de constater que l'article 1er de la décision n'énonce pas que l'échange d'informations commerciales individuelles constitue en soi une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

273.
    Il dispose de manière plus générale que les entreprises ont enfreint cet article du traité en participant à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les entreprises ont, notamment, «échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus».

274.
    Cependant, le dispositif de la décision devant être interprété à la lumière de ses motifs (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, point 122), il convient de relever que le point 134, deuxième alinéa, des considérants de la décision indique:

«L'échange par les fabricants, lors de réunions du GEP Carton (essentiellement celles du JMC), d'informations commerciales individuelles normalement confidentielles et sensibles sur les commandes en carnet, les arrêts de machines et les rythmes de production était à l'évidence contraire aux règles de concurrence, puisqu'il avait pour but de rendre les conditions aussi propices que possible à la mise en oeuvre des augmentations de prix [...]»

275.
    Dès lors, la Commission ayant dûment considéré dans la décision que l'échange d'informations commerciales individuelles constituait, en soi, une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'interdiction future d'un tel échange d'informations satisfait aux conditions requises pour l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17.

276.
    S'agissant des interdictions relatives aux échanges d'informations commerciales visés à l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision, elles doivent être examinées à la lumière des deuxième, troisième et quatrième alinéas de ce même article, qui en étayent le contenu. C'est en effet dans ce contexte qu'il convient de déterminer si, et dans l'affirmative, dans quelle mesure la Commission a considéré comme illégaux les échanges en cause, dès lors que l'étendue des obligations pesant sur les entreprises doit être limitée à ce qui est nécessaire pour rétablir la légalité de leurs comportements au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

277.
    La décision doit être interprétée en ce sens que la Commission a considéré le système Fides comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en tant que support de l'entente constatée (point 134, troisième alinéa, des considérants de la décision). Une telle interprétation est corroborée par le libellé de l'article 1er de la décision, duquel il ressort que les informations commerciales ont été échangées entre les entreprises «afin de soutenir les mesures» considérées comme contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

278.
    C'est à la lumière de cette interprétation par la Commission de la compatibilité, en l'espèce, du système Fides avec l'article 85 du traité que doit être appréciée l'étendue des interdictions futures contenues à l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision.

279.
    A cet égard, d'une part, les interdictions en cause ne sont pas limitées aux échanges d'informations commerciales individuelles mais concernent aussi ceux de certaines données statistiques agrégées [article 2, premier alinéa, sous b), et deuxième alinéa, de la décision]. D'autre part, l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision interdit l'échange de certaines informations statistiques afin de prévenir la constitution d'un possible support de comportements anticoncurrentiels potentiels.

280.
    Une telle interdiction, en ce qu'elle vise à empêcher l'échange d'informations purement statistiques n'ayant pas le caractère d'informations individuelles ouindividualisables, au motif que les informations échangées pourraient être utilisées à des fins anticoncurrentielles, excède ce qui est nécessaire pour rétablir la légalité des comportements constatés. En effet, d'une part, il ne ressort pas de la décision que la Commission ait considéré l'échange de données statistiques comme étant en soi une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. D'autre part, le seul fait qu'un système d'échange d'informations statistiques puisse être utilisé à des fins anticoncurrentielles ne le rend pas contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, puisqu'il convient, dans de telles circonstances, d'en constater in concreto les effets anticoncurrentiels. Il s'ensuit que l'argument de la Commission, selon lequel l'article 2 de la décision présente un caractère purement déclaratif (ci-dessus point 261), n'est pas fondé.

281.
    En conséquence, l'article 2, premier à quatrième alinéa, de la décision doit être annulé, sauf en ce qui concerne les passages suivants:

«Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales:

a)    par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés.»

Sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant

A — Sur le moyen tiré d'une nécessité de réduction de l'amende en raison d'une définition erronée de l'objet et de la durée de l'infraction

282.
    La requérante fait valoir, en se référant aux moyens et arguments précédents, que l'infraction a été d'une portée matérielle bien différente, d'une durée bien plus courte et d'une gravité beaucoup plus faible que ne l'affirme la Commission et qu'il y a donc lieu de réduire radicalement le montant de l'amende.

283.
    Il y a lieu de rappeler qu'il ressort des constatations opérées dans le cadre des moyens précédents que la Commission a correctement établi, dans le chef de la requérante, l'existence et la durée de l'infraction décrite à l'article 1er de la décision.

284.
    Il s'ensuit que le présent moyen doit être rejeté.

B — Sur le moyen tiré, d'une part, d'une erreur d'appréciation commise par la Commission en ce qu'elle a considéré que l'entente avait «largement réussi à atteindre ses objectifs» et, d'autre part, d'une violation de l'obligation de motivation sur ce point

Arguments des parties

285.
    La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur d'appréciation en retenant, pour la fixation du montant de l'amende, que l'entente avait «largement réussi à atteindre ses objectifs» (point 168 des considérants de la décision). Sur ce point, la Commission n'aurait pas tenu compte des éléments de preuve fournis par les entreprises destinataires et, plus particulièrement, par la requérante.

286.
    Les modalités des annonces de prix seraient normales dans le secteur et ce serait à cause des conditions du marché, notamment de la transparence de celui-ci, que

l'on observerait une certaine uniformité et simultanéité des annonces d'augmentations de prix des différents producteurs. La Commission n'aurait pas pris en compte les éléments suivants: a) les prix de transaction ont toujours été bien inférieurs aux prix annoncés; b) il a toujours existé des différences considérables entre les prix appliqués à chaque client, de sorte qu'il n'y a pas eu un prix unique; c) les cycles conjoncturels ont eu une incidence sur l'évolution des prix et d) l'écart entre les prix appliqués à chaque client a augmenté au cours de la période en question, caractérisant ainsi une individualisation accrue des prix.

287.
    L'évolution des prix de transaction aurait été déterminée uniquement par les conditions prévalant sur le marché pendant la période en cause et notamment par la demande relativement soutenue, l'utilisation satisfaisante et parfois optimale des capacités (voir points 13 à 15 des considérants de la décision), les augmentations considérables des coûts (voir points 16 à 19 des considérants) et, enfin, par l'existence d'un taux moyen de rentabilité tout à fait normale au cours de l'ensemble de la période. Dans ces conditions, la Commission aurait dû conclure que des augmentations de prix étaient normales (voir également point 135 des considérants) et que les augmentations des prix de transaction susceptibles d'être constatées concordaient avec les variables économiques fondamentales. Elle aurait donc dû conclure également que la prétendue entente n'avait eu aucun effet sur l'évolution effective des prix de transaction.

288.
    Selon la requérante, les prix de transaction ont toujours suivi l'évolution des coûts. En effet, la baisse des coûts des matières premières constatée pendant la deuxième moitié de l'année 1989 aurait été accompagnée d'une augmentation considérable des coûts du travail et de l'énergie, lesquels constitueraient environ 35 % de l'ensemble des coûts pour les producteurs de carton. Le fait qu'il y ait eu une baisse de la demande en 1991 ne signifierait pas, non plus, que d'autres facteurs que les conditions du marché avaient influencé l'évolution des prix, car l'unique augmentation des prix en 1991 (augmentation du mois de janvier) avait déjà été annoncée au courant de l'automne 1990 et même programmée encore plus tôt par les producteurs.

289.
    L'affirmation de la Commission relative aux effets de l'entente ne serait pas davantage exacte en ce qui concerne la prétendue concertation sur les parts de marché, puisqu'il n'y aurait jamais eu de concertation à cet égard ni de système de contrôle de l'évolution des parts de marché des différents producteurs. Au surplus, les parts de marché de Sarrió auraient varié de manière importante au cours de la période concernée.

290.
    Enfin, la requérante fait valoir un vice de motivation lié à une contradiction qui existerait entre les conclusions relatives aux effets de l'entente sur le marché et les observations factuelles contenues dans la décision elle-même.

291.
    La Commission fait observer que les prix ont, pendant la période en cause, toujours été régulièrement majorés et appliqués conformément aux concertations des producteurs au sein des comités du GEP Carton, qu'il aurait été institué un système de contrôle du respect des décisions imposées par l'entente par le biais des informations détaillées échangées, et que les parts de marché des différents producteurs se sont toujours plus ou moins maintenues au même niveau. Dans ces conditions, et eu égard en particulier aux preuves documentaires abondantes de l'entente, l'affirmation de la requérante, selon laquelle l'entente n'aurait pas modifié de façon substantielle les tendances du marché, serait indéfendable.

292.
    S'agissant de l'évolution des prix, la Commission rappelle qu'il y a lieu d'apprécier le succès de l'entente dans son ensemble. Le succès remporté ne serait aucunement contredit par le fait, d'ailleurs non prouvé, que la requérante en ait tiré moins d'avantages que d'autres.

293.
    En ce qui concerne les parts de marché, les variations modestes des parts de marché des différents producteurs confirmeraient que l'entente a remporté un grand succès à cet égard également.

294.
    Enfin, la Commission conteste, sur la base des arguments qui précèdent, que la décision soit viciée par un défaut de motivation en ce qui concerne les effets de l'entente sur le marché. Elle renvoie notamment aux analyses des conditions et de l'évolution du marché contenues aux points 16, 21 et 137 des considérants de la décision et soutient que, si l'on ne tente pas d'isoler une affirmation de son contexte, on ne constate aucune contradiction dans la motivation de la décision.

Appréciation du Tribunal

295.
    Selon le point 168, septième tiret, des considérants de la décision, la Commission a déterminé le montant général des amendes en prenant notamment en considération le fait que l'entente a «largement réussi à atteindre ses objectifs». Il est constant qu'une telle considération se réfère aux effets sur le marché de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision.

296.
    Aux fins du contrôle de l'appréciation portée par la Commission sur les effets de l'infraction, le Tribunal estime qu'il suffit d'examiner celle portée sur les effets de la collusion sur les prix. En effet, en premier lieu, il ressort de la décision que la constatation relative à la large réussite des objectifs est essentiellement fondée sur les effets de la collusion sur les prix. Si ces effets sont analysés aux points 100 à 102, 115, et 135 à 137 des considérants de la décision, la question de savoir si la collusion sur les parts de marché et celle sur les temps d'arrêt ont eu des effets sur le marché n'y fait, en revanche, l'objet d'aucun examen spécifique.

297.
    En second lieu, l'examen des effets de la collusion sur les prix permet, en tout état de cause, d'apprécier également si l'objectif de la collusion sur les temps d'arrêt a

été atteint, puisque celle-ci visait à éviter que les initiatives concertées en matière de prix soient compromises par un excédent d'offre.

298.
    En troisième lieu, s'agissant de la collusion sur les parts de marché, la Commission ne soutient pas que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG avaient pour objectif le gel absolu de leurs parts de marché. Selon le point 60, deuxième alinéa, des considérants de la décision, l'accord sur les parts de marché n'était pas figé, «mais périodiquement adapté et renégocié». Au vu de cette précision, il ne saurait donc être reproché à la Commission d'avoir estimé que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs sans avoir spécifiquement examiné dans la décision la réussite de cette collusion sur les parts de marché.

299.
    S'agissant de la collusion sur les prix, la Commission en a apprécié les effets généraux. Dès lors, à supposer même que les données individuelles fournies par la requérante démontrent, comme elle l'affirme, que la collusion sur les prix n'a eu pour elle que des effets moins importants que ceux constatés sur le marché européen du carton, pris globalement, de telles données individuelles ne sauraient suffire en soi pour mettre en cause l'appréciation de la Commission.

300.
    Il ressort de la décision, ainsi que la Commission l'a confirmé lors de l'audience, qu'une distinction a été établie entre trois types d'effets. De plus, la Commission s'est fondée sur le fait que les initiatives en matière de prix ont été globalement considérées comme une réussite par les producteurs eux-mêmes.

301.
    Le premier type d'effets pris en compte par la Commission, et non contesté par la requérante, consiste dans le fait que les augmentations de prix convenues ont été effectivement annoncées aux clients. Les nouveaux prix ont ainsi servi de référence en cas de négociations individuelles des prix de transaction avec les clients (voir,notamment, points 100 et 101, cinquième et sixième alinéas, des considérants de la décision).

302.
    Le deuxième type d'effets consiste dans le fait que l'évolution des prix de transaction a suivi celle des prix annoncés. A cet égard, la Commission soutient que «les producteurs ne se contentaient pas d'annoncer les augmentations de prix convenues mais, à quelques exceptions près, [qu']ils prenaient également des mesures concrètes pour faire en sorte qu'elles soient effectivement imposées aux clients» (point 101, premier alinéa, des considérants de la décision). Elle admet que les clients ont parfois obtenu des concessions sur la date d'entrée en vigueur des augmentations ou des rabais ou réductions individuelles, notamment en cas de grosse commande, et que «l'augmentation nette perçue en moyenne après déduction des réductions, rabais et autres concessions était donc toujours inférieure au montant total de l'augmentation annoncée» (point 102, dernier alinéa, des considérants). Cependant, se référant à des graphiques contenus dans une étude économique réalisée, aux fins de la procédure devant la Commission, pour le compte de plusieurs entreprises destinataires de la décision (ci-après «rapport

LE»), elle affirme qu'il existait, au cours de la période visée par la décision, une «étroite relation linéaire» entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction exprimés en monnaies nationales ou convertis en écus. Elle en conclut: «Les augmentations nettes des prix obtenues suivaient étroitement les augmentations annoncées, fût-ce avec un certain retard. L'auteur du rapport a lui-même reconnu pendant l'audition qu'il en a été ainsi en 1988 et 1989.» (Point 115, deuxième alinéa, des considérants.)

303.
    Il doit être admis que, dans l'appréciation de ce deuxième type d'effets, la Commission a pu à bon droit considérer que l'existence d'une relation linéaire entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction constituait la preuve d'un effet produit sur ces derniers par les initiatives en matière de prix, conformément à l'objectif poursuivi par les producteurs. En fait, il est constant que, sur le marché en cause, la pratique de négociations individuelles avec les clients implique que les prix de transaction ne sont, en général, pas identiques aux prix annoncés. Il ne saurait donc être escompté que les augmentations des prix de transaction soient identiques aux augmentations de prix annoncées.

304.
    En ce qui concerne l'existence même d'une corrélation entre les augmentations de prix annoncées et celles des prix de transaction, la Commission s'est référée à juste titre au rapport LE, celui-ci constituant une analyse de l'évolution des prix du carton pendant la période visée par la décision, fondée sur des données fournies par plusieurs producteurs, dont la requérante elle-même.

305.
    Toutefois, ce rapport ne confirme que partiellement, dans le temps, l'existence d'une «étroite relation linéaire». En effet, l'examen de la période de 1987 à 1991 révèle trois sous-périodes distinctes. A cet égard, lors de l'audition devant la Commission, l'auteur du rapport LE a résumé ses conclusions de la manière suivante: «Il n'y a pas de corrélation étroite, même avec un décalage, entre l'augmentation de prix annoncée et les prix du marché, pendant le début de la période considérée, de 1987 à 1988. En revanche, une telle corrélation existe en 1988/1989, puis cette corrélation se détériore pour se comporter de façon plutôt singulière [oddly] sur la période 1990/1991.» (Procès-verbal de l'audition, p. 28.) Il a relevé, en outre, que ces variations dans le temps étaient étroitement liées à des variations de la demande (voir, notamment, procès-verbal de l'audition, p. 20).

306.
    Ces conclusions orales de l'auteur sont conformes à l'analyse développée dans son rapport, et notamment aux graphiques comparant l'évolution des prix annoncés et l'évolution des prix de transaction (rapport LE, graphiques 10 et 11, p. 29). Force est donc de constater que la Commission n'a que partiellement prouvé l'existence de l'«étroite relation linéaire» qu'elle invoque.

307.
    Lors de l'audience, la Commission a indiqué avoir également pris en compte un troisième type d'effets de la collusion sur les prix consistant dans le fait que le niveau des prix de transaction a été supérieur au niveau qui aurait été atteint en l'absence de toute collusion. A cet égard, la Commission, soulignant que les dates

et l'ordre des annonces des augmentations de prix avaient été programmés par le PWG, estime dans la décision qu'«il est inconcevable que, dans ces conditions, ces annonces concertées n'aient eu aucun effet sur le niveau réel des prix» (point 136, troisième alinéa, des considérants de la décision). Toutefois, le rapport LE (section 3) a établi un modèle permettant de prévoir le niveau de prix résultant des conditions objectives du marché. Selon ce rapport, le niveau des prix, tels que déterminés par des facteurs économiques objectifs durant la période de 1975 à 1991, aurait évolué, avec des variations négligeables, de manière identique à celui des prix de transaction pratiqués, y compris pendant la période retenue par la décision.

308.
    Malgré ces conclusions, l'analyse faite dans le rapport ne permet pas de constater que les initiatives concertées en matière de prix n'ont pas permis aux producteurs d'atteindre un niveau des prix de transaction supérieur à celui qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence. A cet égard, comme l'a souligné la Commission lors de l'audience, il est possible que les facteurs pris en compte dans ladite analyse aient été influencés par l'existence de la collusion. Ainsi, la Commission a fait valoir à bon droit que le comportement collusoire a, par exemple, pu limiter l'incitation pour les entreprises à réduire leurs coûts. Or, elle n'a invoqué l'existence d'aucune erreur directe dans l'analyse contenue dans le rapport LE et n'a pas davantage présenté ses propres analyses économiques de l'hypothétique évolution des prix de transaction en l'absence de toute concertation. Dans ces conditions, son affirmation selon laquelle le niveau des prix de transaction aurait été inférieur en l'absence de collusion entre les producteurs ne saurait être entérinée.

309.
    Il s'ensuit que l'existence de ce troisième type d'effets de la collusion sur les prix n'est pas prouvée.

310.
    Les constatations qui précèdent ne sont en rien modifiées par l'appréciation subjective des producteurs sur laquelle la Commission s'est fondée pour considérer que l'entente avait largement réussi à atteindre ses objectifs. Sur ce point, la Commission s'est reportée à une liste de documents qu'elle a fournie lors de l'audience. Or, à supposer même qu'elle ait pu fonder son appréciation de l'éventuelle réussite des initiatives en matière de prix sur des documents faisant état des sentiments subjectifs de certains producteurs, force est de constater que plusieurs entreprises, dont la requérante, ont à juste titre fait référence à l'audience à de nombreux autres documents du dossier faisant état des problèmes rencontrés par les producteurs dans la mise en oeuvre des augmentations de prix convenues. Dans ces conditions, la référence faite par la Commission aux déclarations des producteurs eux-mêmes n'est pas suffisante pour conclure que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs.

311.
    Au vu des considérations qui précèdent, les effets de l'infraction relevés par la Commission ne sont que partiellement prouvés. Le Tribunal analysera la portée de cette conclusion dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en matière

d'amendes, lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée en l'espèce (voir ci-après point 334).

312.
    Il convient, enfin, de constater que l'allégation de la requérante relative à un prétendu défaut de motivation de la décision en ce qui concerne les effets de l'infraction est dénuée de fondement. Ainsi que cela ressort de l'examen qui précède, la décision contient une motivation détaillée et exempte de contradictions relativement aux effets de l'infraction constatée.

C— Sur le moyen tiré, d'une part, d'une erreur de droit en ce que la Commission a retenu comme élément aggravant la dissimulation de l'entente et, d'autre part, d'une erreur de motivation à cet égard

Arguments des parties

313.
    La requérante soutient que, si l'on admet, quod non, qu'un certain échelonnement des annonces d'augmentation de prix était le résultat d'une concertation, la Commission ne pouvait toutefois pas retenir cette circonstance comme circonstance aggravante spécifique, car la «dissimulation» d'une entente est un fait inhérent à l'infraction elle-même.

314.
    La requérante ajoute que le fait que la Commission n'a pas été en mesure de trouver des preuves documentaires de ses allégations relatives à l'existence d'une infraction ne signifie pas que des mesures de dissimulation ont été prises.

315.
    Enfin, elle relève un défaut de motivation en ce que la décision n'explique pas les raisons pour lesquelles la dissimulation d'une entente devrait être considérée comme une circonstance aggravante.

316.
    La Commission fait valoir que la dissimulation de l'existence de l'entente constitue un élément qu'il convient de prendre en considération pour apprécier la gravité de l'infraction (arrêt BASF/Commission, précité, point 273).

Appréciation du Tribunal

317.
    Aux termes du point 167, troisième alinéa, des considérants de la décision, «l'un des aspects les plus graves de [l'infraction] est que, pour tenter de dissimuler l'existence de l'entente, les entreprises ont été jusqu'à orchestrer à l'avance la date et la séquence des différentes annonces de nouvelles augmentations de prix par chacun des principaux fabricants». La décision relève en outre que «les fabricants auraient pu, grâce à cette duperie élaborée, attribuer les séries d'augmentations des prix uniformes, régulières et touchant l'ensemble du secteur au phénomène du 'comportement en situation oligopolistique‘» (point 73, troisième alinéa, des considérants). Enfin, selon le point 168, sixième tiret, des considérants, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte du fait que «des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la

portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres‘, etc.)».

318.
    Il y a lieu de constater que la Commission a inféré à bon droit des éléments de preuve recueillis que les entreprises ont programmé les dates et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix, afin de tenter de dissimuler l'existence de la concertation sur les prix. Cette programmation ressort en particulier de déclarations de Stora (annexe 39 à la communication des griefs, point 30): «Il n'existait pas de procédure standard s'agissant de la question de savoir qui annoncerait en premier une augmentation de prix et qui suivrait. Le PWG discutait et se mettait d'accord sur l'identité du fabricant qui annoncerait, en premier, chaque augmentation de prix et sur les dates auxquelles les autres fabricants principaux annonceraient leurs augmentations. Le schéma n'était pas le même à chaque fois.» Son existence est également corroborée par la note de Rena relative à la réunion du JMC du 6 septembre 1990 (annexe 118 à la communication des griefs). Ce document contient des indications précises sur les dates d'annonce des augmentations de prix de janvier 1991 pour certaines entreprises membres du PWG (Mayr-Melnhof, Feldmühle et Cascades), dates qui correspondent exactement à celles auxquelles ces entreprises ont réellement envoyé leurs lettres d'annonce (voir points 87 et 88 des considérants de la décision).

319.
    Quant à l'absence de comptes rendus officiels et à l'absence presque absolue de notes internes portant sur les réunions du PWG et du JMC, elles constituent, eu égard à leur nombre, à leur durée dans le temps et à la nature des discussions en cause, une preuve suffisante de l'allégation de la Commission selon laquelle les participants étaient dissuadés de prendre des notes.

320.
    Il ressort de ce qui précède que les entreprises ayant participé aux réunions de ces organes ont non seulement été conscientes de l'illégalité de leur comportement mais ont aussi adopté des mesures de dissimulation de la collusion. Partant, c'est à bon droit que la Commission a retenu ces mesures comme circonstances aggravantes lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction.

321.
    Enfin, ayant expliqué dans la décision quels étaient les comportements précis des entreprises retenus comme circonstances aggravantes, elle a suffisamment motivé son appréciation sur ce point.

322.
    Le présent moyen doit donc être rejeté.

D — Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement en ce que la Commission aurait appliqué sans justification objective des amendes bien plus élevées que dans sa pratique antérieure

Arguments des parties

323.
    La requérante fait valoir que l'augmentation du niveau de l'amende infligée par rapport à ceux retenus dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission constitue une différence de traitement injustifiée.

324.
    En effet, certaines ententes similaires auraient été sanctionnées de façon nettement moins sévère (voir, par exemple, décision 86/398/CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.149 — Polypropylène) (JO L 230, p. 1, ci-après «décision Polypropylène»).

325.
    De même, le niveau général des amendes apparaîtrait injustifié par rapport à la décision 92/163/CEE de la Commission, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV/31.043 — Tetra Pak II) (JO 1992, L 72, p. 1).

326.
    L'erreur d'appréciation de la gravité de l'infraction serait encore confirmée par une comparaison avec le niveau d'amendes retenu dans la décision 94/815/CE de la Commission, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (affaire IV/33.126 et 33.322 — Ciment) (JO L 343, p. 1).

327.
Selon la Commission, chaque infraction présente des caractéristiques propres. Le principe d'égalité de traitement supposant que des situations semblables soient traitées de la même manière, il serait impossible de comparer le montant des amendes infligées en l'espèce avec celles infligées pour des infractions commises selon des modalités différentes et à des périodes différentes. La Commission ajoute qu'elle est, en tout état de cause, en droit d'élever le niveau des amendes si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, Rec. p. II-907).

Appréciation du Tribunal

328.
    Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité des amendes de 1 000 écus au moins et de 1 000 000 écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Le montant de l'amende est déterminé en considération à la fois de la gravité de l'infraction et de sa durée. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre

d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54).

329.
    En l'espèce, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte de la durée de l'infraction (point 167 des considérants de la décision), ainsi que des considérations suivantes (point 168 des considérants):

«—     la collusion en matière de fixation des prix et la répartition des marchés constituent en soi des restrictions graves de la concurrence,

—     l'entente couvrait quasiment tout le territoire de la Communauté,

—     le marché communautaire du carton est un secteur économique important qui totalise chaque année quelque 2,5 milliards d'écus,

—     les entreprises participant à l'infraction couvrent pratiquement tout le marché,

—     l'entente a fonctionné sous la forme d'un système de réunions périodiques institutionnalisées ayant pour objet de réguler dans le détail le marché du carton dans la Communauté,

—     des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres‘, etc.),

—     l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs».

330.
    De plus, le Tribunal rappelle qu'il ressort d'une réponse de la Commission à une question écrite du Tribunal que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les «chefs de file» de l'entente et aux autres entreprises.

331.
    Il y a lieu de souligner, en premier lieu, que, dans son appréciation du niveau général des amendes, la Commission est fondée à tenir compte du fait que des infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence sont encore relativement fréquentes et que, partant, il lui est loisible d'élever le niveau des

amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif. Par conséquent, le fait que la Commission a appliqué dans le passé des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence (voir, notamment, arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80, 101/80, 102/80 et 103/80, Rec. p. 1825, points 105 à 108, et arrêt ICI/Commission, précité, point 385).

332.
En second lieu, la Commission a soutenu à bon droit que, en raison des circonstances propres à l'espèce, aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la présente décision et ceux retenus dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, en particulier, dans la décision Polypropylène, considérée par la Commission elle-même comme la plus comparable à celle du cas d'espèce. En effet, contrairement à l'affaire à l'origine de la décision Polypropylène, aucune circonstance atténuante générale n'a été prise en compte en l'espèce pour déterminer le niveau général des amendes. Par ailleurs, comme le Tribunal l'a déjà constaté, les mesures complexes adoptées par les entreprises pour dissimuler l'existence de l'infraction constituent un aspect particulièrement grave de celle-ci, qui la caractérise par rapport aux infractions antérieurement constatées par la Commission.

333.
    En troisième lieu, il convient de souligner la longue durée et le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, qui a été commise malgré l'avertissement qu'aurait dû constituer la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, et notamment la décision Polypropylène.

334.
    Sur la base de ces éléments, il convient de considérer que les critères repris au point 168 des considérants de la décision justifient le niveau général des amendes fixé par la Commission. Le Tribunal a certes déjà constaté que les effets de la collusion sur les prix retenus par la Commission pour la détermination du niveau général des amendes ne sont que partiellement prouvés. Toutefois, à la lumière des considérations qui précèdent, cette conclusion ne saurait affecter sensiblement l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée. A cet égard, le fait que les entreprises ont effectivement annoncé les augmentations de prix convenues et que les prix ainsi annoncés ont servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels suffit, en soi, pour constater que la collusion sur les prix a eu tant pour objet que pour effet une grave restriction de la concurrence. Partant, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal considère que les constatations opérées au sujet des effets de l'infraction ne justifient aucune réduction du niveau général des amendes fixé par la Commission.

335.
    Enfin, en fixant en l'espèce le niveau général des amendes, la Commission ne s'est pas écartée de sa pratique décisionnelle antérieure de manière telle qu'elle aurait dû motiver plus explicitement son appréciation de la gravité de l'infraction (voir,

notamment, arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec. p. 1491, point 31).

336.
    Dès lors, le présent moyen doit être rejeté.

E — Sur le moyen tiré d'un défaut de motivation et d'une violation des droits de la défense en ce qui concerne le calcul de l'amende

Arguments des parties

337.
    La requérante fait valoir que, pour apprécier si la Commission est restée dans les limites imposées par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et si elle a exercé de façon correcte et non arbitraire son pouvoir discrétionnaire en matière d'amendes, il faut vérifier si la décision contient une description des critères dont la Commission a fait application. Selon elle, la décision ne répond pas à ces exigences, en ce qu'elle n'indique ni l'exercice social pris en considération pour la détermination des amendes ni le taux (pourcentage) appliqué pour calculer chaque amende. La requérante serait en conséquence dans l'impossibilité de contrôler de manière efficace la légalité de la décision, ce qui constituerait une violation manifeste de ses droits de la défense.

338.
    La Commission relève que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne mentionne ni explicitement ni implicitement l'obligation de la Commission d'indiquer le mode de calcul suivi. De plus, la motivation de la décision relative aux éléments qui ont déterminé le niveau général des amendes ainsi que le niveau de l'amende infligée à chacune des entreprises serait tout à fait comparable aux motivations fournies dans des décisions similaires. Au demeurant, aucun précédent n'aurait jamais imposé une obligation d'indiquer les critères plus détaillés utilisés pour calculer les amendes.

339.
    La Commission soutient qu'elle n'est pas obligée de fixer le montant des amendes sur la base d'une formule mathématique précise, solution qui pourrait amener lesentreprises à calculer, à l'avance, l'avantage qu'elles retireraient d'une participation à une entente illicite. Elle estime qu'elle dispose d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes, celles-ci constituant un instrument de sa politique de la concurrence (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59).

340.
    Enfin, elle fait valoir que le fait qu'un membre de la Commission a fourni, à titre purement indicatif, certains détails supplémentaires sur les amendes lors d'une conférence de presse ne saurait avoir des répercussions sur la décision, et que de telles indications ne signifient pas, non plus, que la motivation de la décision était insuffisante.

Appréciation du Tribunal

341.
    Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 51).

342.
    Pour ce qui est d'une décision infligeant, comme en l'espèce, des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

343.
    De plus, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (voir, dans le même sens, arrêt Martinelli/Commission, précité, point 59).

344.
    Dans la décision, les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 168 et 169 des considérants. En outre, pour ce qui est des amendes individuelles, la Commission explique au point 170 des considérants que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont, en principe, été considérées comme des «chefs de file» de l'entente, alors que les autres entreprises ont été considérées comme des «membres ordinaires» de celle-ci. Enfin, aux points 171 et 172 des considérants, elle indique que les montants des amendes infligées à Rena et à Stora doivent être considérablement réduits pour tenir compte de leur coopération active avec la Commission et que huit autres entreprises, dont la requérante, peuvent également bénéficier d'une réduction dans une proportion moindre, du fait qu'elles n'ont pas, dans leurs réponses à la communication des griefs, nié les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs.

345.
    Dans ses écritures devant le Tribunal ainsi que dans sa réponse à une question écrite de celui-ci, la Commission a expliqué que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990. Des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % de ce chiffre d'affaires individuel ont ainsi été

infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les «chefs de file» de l'entente et aux autres entreprises. Enfin, la Commission a tenu compte de l'éventuelle attitude coopérative de certaines entreprises au cours de la procédure devant elle. Deux entreprises ont bénéficié à ce titre d'une réduction des deux tiers du montant de leurs amendes, tandis que d'autres entreprises ont bénéficié d'une réduction d'un tiers.

346.
    Il ressort, par ailleurs, d'un tableau fourni par la Commission et contenant des indications quant à la fixation du montant de chacune des amendes individuelles que, si celles-ci n'ont pas été déterminées en appliquant de manière strictement mathématique les seules données chiffrées susmentionnées, lesdites données ont cependant été systématiquement prises en compte aux fins du calcul des amendes.

347.
    Or, la décision ne précise pas que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990. De plus, les taux de base appliqués de 9 et de 7,5 % pour calculer les amendes infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme des «chefs de file» et à celles considérées comme des «membres ordinaires» ne figurent pas dans la décision. N'y figurent pas davantage les taux des réductions accordées à Rena et à Stora, d'une part, et à huit autres entreprises, d'autre part.

348.
    En l'espèce, il y a lieu de considérer, en premier lieu, que, interprétés à la lumière de l'exposé détaillé, dans la décision, des allégations factuelles formulées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les points 169 à 172 des considérants de celle-ci contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2/89, Rec. p. II-1087, point 264).

349.
    En second lieu, lorsque le montant de chaque amende est, comme en l'espèce, déterminé sur la base de la prise en compte systématique de certaines données précises, l'indication, dans la décision, de chacun de ces facteurs permettrait aux entreprises de mieux apprécier, d'une part, si la Commission a commis des erreurs lors de la fixation du montant de l'amende individuelle et, d'autre part, si le montant de chaque amende individuelle est justifié par rapport aux critères généraux appliqués. En l'espèce, l'indication dans la décision des facteurs en cause, soit le chiffre d'affaires de référence, l'année de référence, les taux de base retenus et les taux de réduction du montant des amendes, n'aurait comporté aucune divulgation implicite du chiffre d'affaires précis des entreprises destinataires de la décision, divulgation qui aurait pu constituer une violation de l'article 214 du traité. En effet, le montant final de chaque amende individuelle ne résulte pas, comme la Commission l'a elle-même souligné, d'une application strictement mathématique desdits facteurs.

350.
    La Commission a d'ailleurs reconnu, lors de l'audience, que rien ne l'aurait empêchée d'indiquer, dans la décision, les facteurs qui avaient été pris systématiquement en compte et qui avaient été divulgués pendant une conférence de presse tenue le jour même de l'adoption de cette décision. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et que des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances particulières, être prises en compte (voir arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61/89, Rec. p. II-1931, point 131, et, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-1439, point 136).

351.
    Malgré ces constatations, il doit être relevé que la motivation relative à la fixation du montant des amendes contenue aux points 167 à 172 des considérants de la décision est, au moins, aussi détaillée que celles contenues dans les décisions antérieures de la Commission portant sur des infractions similaires. Or, bien que le moyen tiré d'un vice de motivation soit d'ordre public, aucune critique n'avait, au moment de l'adoption de la décision, été soulevée par le juge communautaire quant à la pratique suivie par la Commission en matière de motivation des amendes infligées. Ce n'est que dans l'arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission (T-148/89, Rec. p. II-1063, point 142), et dans deux autres arrêts rendus le même jour, Société métallurgique de Normandie/Commission (T-147/89, Rec. p. II-1057, publication sommaire), et Société des treillis et panneaux soudés/Commission (T-151/89, Rec. p. II-1191, publication sommaire), que le Tribunal a, pour la première fois, souligné qu'il est souhaitable que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission.

352.
    Il s'ensuit que lorsqu'elle constate, dans une décision, une infraction aux règles de la concurrence et inflige des amendes aux entreprises ayant participé à celle-ci la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la décision afin de permettre aux destinataires de celle-ci de vérifier le bien-fondé du niveau de l'amende et d'apprécier l'existence d'une éventuelle discrimination.

353.
    Dans les circonstances particulières relevées au point 351 ci-dessus, et compte tenu du fait que la Commission s'est montrée disposée à fournir, lors de la procédure contentieuse, tout renseignement pertinent relatif au mode de calcul des amendes, l'absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes ne doit pas, en l'espèce, être considérée comme constitutive d'une violation de l'obligation de motivation justifiant l'annulation totale ou partielle des amendes infligées. Enfin, la requérante n'a pas démontré qu'elle aurait été empêchée de faire utilement valoir ses droits de la défense.

354.
    Par conséquent, le présent moyen ne saurait être retenu.

F — Sur le moyen tiré, d'une part, d'une erreur d'appréciation commise par la Commission en ce qu'elle n'aurait pas dûment pris en considération le rôle joué par Sarrió dans le cadre de l'entente ainsi que son comportement effectif sur le marché et, d'autre part, d'un défaut de motivation sur ces points

Arguments des parties

355.
    La requérante affirme que la Commission n'a pas dûment pris en considération sa position particulière sur le marché et au sein du GEP Carton. Décrivant en détail sa position sur le marché, elle explique que, du point de vue de la capacité de production, elle n'était respectivement que cinquième et quatrième producteur en Europe occidentale en 1990 et en 1991 (voir études mentionnées au point 9 de la décision) et qu'elle ne détenait qu'une part de marché de moitié inférieure à celle du leader sur le marché. En outre, en raison de sa spécialisation dans les qualités GD, elle n'aurait pas eu la flexibilité des producteurs dont la production était importante tant dans le secteur de la qualité GD que dans celui de la qualité GC. Elle aurait été et serait toujours exposée à la forte agressivité tant des producteurs scandinaves, qui sont favorisés par l'accès direct et intégré aux fibres vierges, que des producteurs allemands et autrichiens, qui sont favorisés par les réglementations nationales en matière de recyclage. Ce serait afin de pouvoir faire face au dynamisme de ces concurrents qu'elle aurait, en 1986, sollicité le droit de participer aux réunions du GEP Carton, participation qui devait lui permettre de contrôler le comportement de ses principaux concurrents.

356.
    La Commission n'aurait fourni aucun élément de preuve relatif au comportement effectif de la requérante ni avancé aucun argument de nature à réfuter les arguments de celle-ci selon lesquels: a) ses prix de transaction étaient déterminésde manière autonome et en harmonie avec les conditions du marché; b) il y avait des divergences considérables entre les prix annoncés et les prix de transaction; c) ses parts de marché avaient fluctué considérablement tout au long de la période considérée, et d) en concordance avec les conditions du marché, elle n'avait jamais procédé à des arrêts de production. La requérante soutient qu'elle n'a jamais pris des initiatives visant à limiter la liberté d'action de ses concurrents. Le seul élément de preuve d'un tel comportement serait contenu dans une note privée échangée entre deux gestionnaires d'entreprises concurrentes. Toutefois, cette note aurait une portée générale et se référerait à un comportement simplement attribué à la requérante (annexe 109 à la communication des griefs).

357.
    Selon la requérante, un examen de son comportement effectif aurait révélé que celui-ci ne trouvait aucune correspondance dans la prétendue entente, ce qui aurait dû amener la Commission à apprécier la situation de la requérante de manière beaucoup plus favorable lors de la détermination du montant de l'amende. La note trouvée chez FS-Karton et invoquée par la Commission comme preuve de la mise en oeuvre effective de l'entente par la requérante ne concernerait aucunement son

comportement effectif sur le marché, mais démontrerait uniquement une participation à une concertation sur les prix annoncés.

358.
    Enfin, la décision serait entachée d'un défaut de motivation en ce que la Commission aurait, sans fournir de motifs, omis d'évaluer des éléments essentiels fournis par la requérante en ce qui concerne son rôle au sein du GEP Carton et son comportement sur le marché.

359.
    La Commission affirme que, au point 169 des considérants de la décision, elle a tenu compte tant du rôle joué par chaque entreprise dans les accords collusoires que de la conduite réelle de la requérante. Sur ce point, la décision serait correctement motivée.

Appréciation du Tribunal

360.
    Il ressort des constatations relatives aux moyens invoqués par la requérante à l'appui de sa demande d'annulation totale ou partielle de l'article 1er de la décision que la nature des fonctions du PWG, telles que décrites dans la décision, a été établie par la Commission.

361.
    Dans ces conditions, la Commission a pu conclure à bon droit que les entreprises, dont la requérante, ayant participé aux réunions de cet organe devaient être considérées comme des «chefs de file» de l'infraction constatée et qu'elles devaient, de ce fait, porter une responsabilité particulière (voir point 170, premier alinéa, des considérants de la décision). Les explications de la requérante selon lesquelles elle n'aurait participé aux réunions du PWG qu'afin d'obtenir des informations lui permettant de contrôler le comportement de ses principaux concurrents ne font que confirmer le but essentiellement anticoncurrentiel de sa participation.

362.
    En outre, la requérante n'a aucunement démontré, d'une part, qu'elle aurait joué un rôle essentiellement passif au sein des organes du GEP Carton et, d'autre part, que son comportement réel sur le marché aurait toujours été déterminé de façon autonome.

363.
    A cet égard, il est constant qu'elle a pris effectivement part aux initiatives concertées en matière de prix en annonçant sur le marché les augmentations de prix convenues. Au surplus, comme la Commission l'a soutenu à juste titre, il ressort de l'annexe 109 à la communication des griefs (voir ci-dessus point 55) que la requérante a demandé à d'autres producteurs de se tenir aux augmentations de prix convenues. Enfin, quant au comportement réel de la requérante en matière de prix, rien ne permet de considérer que les prix de transaction de celle-ci ont été sensiblement moins élevés que ceux des autres producteurs participant à la collusion sur les prix.

364.
    Pour ce qui est des arguments de la requérante tirés des fluctuations de ses parts de marché au cours de la période d'infraction retenue par la décision, il suffit de constater que la requérante a soutenu que ces fluctuations s'expliquent par le fait que plusieurs producteurs avaient augmenté leurs capacités de production pour satisfaire à la forte croissance de la demande constatée jusqu'en 1990. Dans ces conditions, s'il est vrai que la requérante n'a procédé à aucune augmentation de ses capacités de production avant l'acquisition de Prat Carton en février 1991, les fluctuations de ses parts de marché ne sauraient constituer un élément atténuant sa responsabilité du chef de son comportement infractionnel.

365.
    De plus, ce n'est qu'au cours de l'année 1990 que les conditions du marché ont été telles que les entreprises se sont vu obligées de procéder à des temps d'arrêt effectifs et que, selon la décision elle-même, il n'existait qu'un «système relâché d'encouragement» à cet égard (voir ci-dessus points 96 et 151). Dès lors, la requérante ayant pris part aux réunions au cours desquelles la question des temps d'arrêt a été abordée, sans qu'elle se soit publiquement distanciée des discussions tenues, le Tribunal considère que, à supposer même que la requérante n'ait pas procédé, au cours de la période couverte par la décision, à des temps d'arrêt de sa production, cette circonstance ne saurait constituer la preuve de ce que son comportement individuel ait pu contribuer à contrarier les effets anticoncurrentiels de l'infraction constatée.

366.
    En définitive, à la lumière de l'ensemble de ses considérants, la décision contient une motivation suffisante de l'appréciation portée par la Commission sur le rôle de la requérante dans l'infraction constatée et sur son comportement sur le marché.

367.
    Par conséquent, le présent moyen doit être également rejeté.

G — Sur le moyen tiré de ce que la Commission aurait dû tenir compte de certaines circonstances atténuantes

Arguments des parties

368.
    La requérante affirme que, à supposer même qu'il y ait lieu de considérer que l'entente a eu, en général, des effets sur les conditions du marché, la Commission aurait dû à tout le moins retenir comme circonstances atténuantes une série d'éléments qui démontraient que l'entente n'avait eu aucun effet ou uniquement des effets insignifiants sur le segment du marché pertinent pour évaluer la situation de la requérante.

369.
    D'après la requérante, la Commission aurait dû tenir compte, en premier lieu, du fait que, entre 1986 et 1992, les prix de transaction obtenus par la requérante sur le marché italien, débouché principal pour ses produits, avaient toujours suivi l'évolution de l'indice des prix industriels. En second lieu, elle aurait dû tenir compte de la facilité avec laquelle d'autres types de produits, tels que tous les

dérivés du plastique, peuvent être substitués au carton, ce qui signifierait, soutient la requérante, que toute forme d'«exploitation» du marché est empêchée ou fortement limitée. Enfin, en troisième lieu, la Commission aurait dû tenir compte du fait que la part du marché de la qualité GD a subi, pendant la période en question, une forte érosion au bénéfice de la qualité GC. Eu égard également à l'érosion des parts de marché de la requérante et au niveau des augmentations des prix italiens, inférieur au niveau des augmentations de prix sur les autres marchés européens, il faudrait donc conclure que l'entente n'a pas fonctionné avec succès pour la requérante.

370.
    La Commission rappelle qu'il convient d'apprécier l'impact sur le marché de l'entente dans son ensemble et que, sous cet angle, l'entente a effectivement remporté un grand succès. En tout état de cause, aucun des éléments invoqués par la requérante ne pourrait être considéré comme constitutif d'une circonstance atténuante justifiant une réduction de l'amende.

Appréciation du Tribunal

371.
    Le Tribunal a déjà examiné la question de savoir si la Commission avait correctement apprécié les effets de l'infraction sur le marché (voir ci-dessus points 295 et suivants) et si le comportement de la requérante sur le marché aurait dû être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la fixation du montant de l'amende (voir ci-dessus points 360 et suivants).

372.
    Eu égard aux constatations opérées à cette occasion, les arguments invoqués par la requérante dans le cadre du présent moyen ne sauraient être retenus.

373.
    En effet, étant donné que la collusion sur les prix a concerné tant le carton GC que le carton GD et que rien ne permet de considérer que le comportement individuel de la requérante a contribué à contrarier les effets anticoncurrentiels de l'infraction, c'est à bon droit que la Commission n'a pas pris en compte, pour déterminer le montant de l'amende infligée à la requérante, l'érosion du marché du carton GD au profit du carton GC. Au surplus, la requérante n'a pas établi l'existence d'un lien entre l'infraction et l'évolution des parts de marché des différentes qualités de carton.

374.
    En outre, à supposer même que les augmentations des prix de transaction constatées sur le marché italien, débouché principal de la requérante, aient été inférieures à celles constatées sur les autres marchés communautaires, il suffit de relever que la collusion sur les prix à laquelle la requérante a pris part portait sur la quasi-totalité du territoire de la Communauté et que cette entreprise a annoncé les augmentations de prix convenues sur tous les principaux marchés européens (voir tableaux B à G annexés à la décision).

375.
    Enfin, l'éventuelle existence d'une forte interchangeabilité entre le carton et d'autres produits n'est pas de nature à affecter les constatations déjà opérées par

le Tribunal concernant les effets de la collusion sur les prix (voir ci-dessus points 295 et suivants).

376.
    Par conséquent, il convient de rejeter le présent moyen.

H — Sur le moyen tiré d'une erreur matérielle dans le calcul de l'amende infligée à Sarrió

Arguments des parties

377.
    La requérante soutient que la Commission a commis une erreur matérielle dans le calcul de l'amende. La défenderesse aurait utilisé le montant du chiffre d'affaires de l'année 1990 communiqué en août 1991, en tant que réponse à une demande de renseignements au sens de l'article 11 du règlement n° 17, alors qu'elle aurait dû calculer l'amende à partir du montant du chiffre d'affaires rectifié et certifié, transmis en 1993 en tant qu'annexe à sa réponse à la communication des griefs.

378.
    Dans ces conditions, la Commission aurait non seulement commis une erreur matérielle dans le calcul de l'amende infligée à Sarrió, mais elle aurait également commis une violation du principe d'égalité de traitement, car les amendes infligées aux autres destinataires de la décision auraient été calculées sur une base correcte. En calculant l'amende sur la base d'un chiffre d'affaires communiqué avant que la possibilité de l'imposition d'une amende ne puisse être prévue par Sarrió et en ignorant les chiffres certifiés communiqués par la suite, la Commission aurait également violé les droits de la défense de Sarrió.

379.
    La Commission rétorque que c'est précisément afin d'éviter toute contestation qu'elle a utilisé le chiffre d'affaires fourni en tant que réponse à une demande de renseignements au sens de l'article 11 du règlement n° 17, et qu'elle ne voit paspourquoi le chiffre transmis avant la communication des griefs serait erroné alors que celui transmis après ladite communication serait exact.

Appréciation du Tribunal

380.
    Au vu des pièces du dossier, la Commission, en retenant comme base de calcul de l'amende le chiffre d'affaires de 1990 transmis par la requérante en août 1991 et non celui, rectifié, communiqué en mai 1993, n'a commis aucune erreur. En effet, une entreprise qui, pendant la procédure administrative devant la Commission, rectifie une donnée chiffrée comme le chiffre d'affaires, préalablement communiquée à la Commission en réponse à l'une de ses demandes de renseignements, doit expliquer de manière circonstanciée les raisons pour lesquelles la donnée initialement transmise ne doit plus être retenue pour la suite de la procédure.

381.
    Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. Dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante s'est limitée à indiquer que le chiffre d'affaires de 1990 avait été rectifié par soustraction de montants relatifs aux opérations internes au groupe, aux ventes portant sur les produits étrangers à l'enquête de la Commission (boîtes et carton brut), aux réclamations, aux primes par quantité, aux invendus et aux ristournes consenties à la clientèle, sans étayer cette rectification au moyen d'une démonstration chiffrée détaillée. En outre, le chiffre d'affaires rectifié n'était pas certifié par un expert comptable, la requérante ayant confirmé lors de l'audience que son affirmation sur ce point n'était pas exacte. Par conséquent, la Commission a pu légitimement ne pas retenir le chiffre d'affaires rectifié et calculer l'amende à partir du chiffre d'affaires initialement communiqué.

382.
    Le moyen doit dès lors être rejeté.

I — Sur le moyen tiré d'une erreur de méthode dans le calcul de l'amende

Arguments des parties

383.
    La requérante explique que, pour parvenir au montant de l'amende infligée, la Commission a d'abord converti en écus le chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social de référence, soit l'exercice 1990, en utilisant le taux moyen valant pour cette année, et a, ensuite, déterminé le montant de l'amende en appliquant le pourcentage préalablement choisi, soit 6 % dans son cas. Par ce procédé, la Commission aurait omis de tenir compte des effets des fluctuations monétaires, tant la peseta espagnole que la lire italienne ayant subi une forte dévaluation par rapport à l'écu et aux autres monnaies européennes depuis 1990. La requérante affirme que, en monnaie nationale, elle devrait aujourd'hui payer un montant d'environ 2 452 millions de PTA pour payer l'amende. Or, sur la base du chiffre d'affaires certifié (27 256 millions de PTA) relatif aux ventes du carton à l'intérieur de la communauté en 1990, une amende de 6 % de ce montant aurait dû s'élever à environ 1 635 millions de PTA. L'amende effectivement infligée représenterait donc une charge financière supplémentaire de 817 millions de PTA. D'après la requérante, si l'on utilise le taux de change au moment de la publication de la décision, le montant de l'amende correspond, en fait, à environ 9 % du chiffre d'affaires en 1990. Il faudrait donc considérer soit que la Commission n'a pas tenu compte de la réduction d'un tiers qu'elle avait pourtant accordée, soit que l'amende correspond, avant cette réduction, à environ 13,4 % du chiffre d'affaires de référence, outrepassant ainsi la limite légale de 10 % du chiffre d'affaires prévue à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

384.
    La requérante soutient ensuite que le taux (pourcentage) de l'amende a pour but d'exprimer la conclusion à laquelle la Commission est parvenue en ce qui concerne le montant et donc l'impact que l'amende doit représenter par rapport au chiffre d'affaires de l'entreprise concernée. Or, il en résulterait que le montant de l'amende doit être déterminé sur la base de l'évaluation de la gravité de l'infraction et que, par contre, des facteurs tels que les fluctuations des monnaies, qui sont

étrangers à l'infraction à sanctionner et qui ne sont pas imputables à l'auteur de cette infraction, ne doivent donc pas pouvoir influencer le montant de l'amende. La requérante renvoie aux conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn sous l'arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité (Rec. p. 1914), selon lesquelles il convient, lors de la fixation du montant des amendes, de tenir compte du chiffre d'affaires le plus récent, qui reflète alors le mieux la réalité de l'entreprise.

385.
    Elle estime que sa thèse selon laquelle le montant de l'amende ne doit pas être influencé par des fluctuations des taux de change est confirmée par l'arrêt de la Cour du 9 mars 1977, Société anonyme générale sucrière e.a./Commission (41/73, 43/73 et 44/73 — Interprétation, Rec. p. 445, points 12 à 17). Au sujet de cet arrêt, elle conteste, dans sa réplique, la thèse de la Commission selon laquelle il confirmerait que si l'unité de compte (ci-après «UC»), dont il était question à l'époque, avait été une monnaie de paiement, sa conversion en monnaie nationale n'aurait pas été nécessaire.

386.
    La requérante fait valoir que la décision entraîne également des disparités de traitement injustifiées, les fluctuations monétaires altérant complètement le rapport entre les différentes amendes infligées. Elle souligne que, entre 1990 et 1994, la peseta s'est dévaluée de 22 % par rapport à l'écu, alors que, au cours de la même période, les monnaies autrichienne, allemande et néerlandaise se sont réévaluées d'environ 7,5 % par rapport à l'écu. Par conséquent, sans aucune justification objective, la requérante se verrait imposer une amende impliquant pour elle un coût supérieur d'environ 30 % à celui des amendes infligées à d'autres entreprises, notamment, allemandes.

387.
    La requérante conclut que rien n'exige que la Commission exprime le montant de l'amende en écus et qu'elle aurait donc dû exprimer le montant de l'amende en monnaie nationale afin d'éviter des différences de traitement injustifiées. A supposer même que la Commission ait la faculté d'exprimer le montant de l'amende en écus, elle aurait au moins dû utiliser le taux de change qui garantit l'égalité de traitement, à savoir le taux de change au moment où l'amende est imposée (le jour de la publication ou de la notification de la décision).

388.
    La Commission rappelle que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 lui permet d'infliger des amendes dont le montant peut «être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent» par chacun des participants à l'infraction. Ce taux de 10 % appliqué au chiffre d'affaires global constituerait la limite supérieure de l'amende (arrêt de la Cour du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission, C-279/87, Rec. p. I-261, publication sommaire, points 38 et suivants). Par conséquent, la Commission ayant déterminé l'amende en se référant à l'exercice 1990, dernier exercice complet au cours duquel opérait l'entente, et ayant converti tous les chiffres d'affaires en écus sur la base du taux de change

moyen de cette année, elle se serait tenue dans les limites fixées par le règlement n° 17.

389.
    La conversion en écus sur la base du taux de change de l'année de référence fournirait le chiffre d'affaires réel exprimé en écus, précisément pour éviter toute discrimination entre les entreprises destinataires en raison des fluctuations des monnaies nationales des divers États membres. L'arrêt Société anonyme générale sucrière e.a./Commission, précité, ne confirmerait pas la thèse de la requérante. Il ressortirait clairement dudit arrêt qu'il ne concerne que la nécessité ou non d'exprimer l'amende en devise nationale du fait que l'UC n'était pas une monnaie de paiement.

390.
    S'agissant des effets prétendument discriminatoires de la méthode appliquée, la Commission souligne que le risque de fluctuations monétaires est inhérent au commerce et aux échanges internationaux. Il s'agirait là d'un élément impossible à éliminer, se répercutant de toute façon sur le montant de l'amende au moment du paiement. Cependant, précisément en convertissant en écus les chiffres exprimant le volume d'affaires, on éliminerait le mieux toute discrimination. Par ce procédé, l'amende serait calculée en termes «réels». Le fait d'infliger l'amende en monnaie nationale finirait par la rendre exclusivement nominale, favorisant, comme les calculs de la requérante le prouvent, les entreprises dont les chiffres d'affaires sont exprimés en devises faibles. Or, il y aurait lieu d'observer que la valeur de l'écu est déterminée en fonction de la valeur de chaque monnaie nationale et que, les entreprises destinataires de la décision opérant dans divers États membres et dans diverses monnaies nationales, la conversion en écus correspond à une application effective du principe d'égalité de traitement.

391.
    En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel aurait dû être utilisé à tout le moins le taux de change au moment de l'imposition de l'amende, la Commission rétorque que le chiffre d'affaires de l'année de référence avait une valeur réelle au taux en vigueur à ce moment-là et non au taux ultérieur en vigueur au moment de l'adoption de la décision.

Appréciation du Tribunal

392.
    L'article 4 de la décision dispose que les amendes infligées sont payables en écus.

393.
    Il y a lieu de relever que rien n'empêche la Commission d'exprimer le montant de l'amende en écus, unité monétaire convertible en monnaie nationale. Cela permet d'ailleurs aux entreprises de comparer plus facilement les montants des amendes infligées. De plus, la conversion possible de l'écu en monnaie nationale différencie cette unité monétaire de l'«unité de compte» mentionnée à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, dont la Cour a expressément reconnu que, n'étant pas une monnaie de paiement, elle impliquait nécessairement la détermination du montant de l'amende en monnaie nationale (arrêt Société anonyme générale sucrière e.a./Commission, précité, point 15).

394.
    Quant à la légalité de la méthode de la Commission consistant à convertir en écus le chiffre d'affaires de référence des entreprises au taux de change moyen de cette même année (1990), les critiques formulées par la requérante ne sauraient être retenues.

395.
    Tout d'abord, la Commission doit normalement utiliser une seule et même méthode de calcul des amendes infligées aux entreprises sanctionnées pour avoir participé à une même infraction (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 122).

396.
    Ensuite, afin de pouvoir comparer les différents chiffres d'affaires communiqués, exprimés dans les monnaies nationales respectives des entreprises concernées, la Commission doit convertir ces chiffres d'affaires dans une seule et même unité monétaire. La valeur de l'écu étant déterminée en fonction de la valeur de chaque monnaie nationale des États membres, la Commission a converti à bon droit en écus le chiffre d'affaires de chacune des entreprises.

397.
    A bon droit également, elle s'est fondée sur le chiffre d'affaires de l'année de référence (1990) et a converti ce chiffre d'affaires en écus sur la base des taux de change moyens de la même année. D'une part, la prise en compte du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises au cours de l'année de référence, à savoir la dernière année complète de la période d'infraction retenue, a permis à la Commission d'apprécier la taille et la puissance économique de chaque entreprise ainsi que l'ampleur de l'infraction commise par chacune d'entre elles, ces éléments étant pertinents pour apprécier la gravité de l'infraction commise par chaque entreprise (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité,points 120 et 121). D'autre part, la prise en compte, aux fins de la conversion en écus des chiffres d'affaires en cause, des taux de change moyens de l'année de référence retenue a permis à la Commission d'éviter que les éventuelles fluctuations monétaires survenues depuis la cessation de l'infraction affectent l'appréciation de la taille et de la puissance économique relatives des entreprises ainsi que l'ampleur de l'infraction commise par chacune d'entre elles et, partant, l'appréciation de la gravité de cette infraction. L'appréciation de la gravité de l'infraction doit en effet porter sur la réalité économique telle qu'elle apparaissait à l'époque de la commission de ladite infraction.

398.
    Par conséquent, l'argument selon lequel le chiffre d'affaires de l'année de référence aurait dû être converti en écus sur la base du taux de change à la date d'adoption de la décision ne peut être accueilli. La méthode de calcul de l'amende consistant à utiliser le taux de change moyen de l'année de référence permet d'éviter les effets aléatoires des modifications des valeurs réelles des monnaies nationales qui peuvent survenir, et sont effectivement survenues en l'espèce, entre l'année de référence et l'année de l'adoption de la décision. Si cette méthode peut signifier qu'une entreprise déterminée doit payer un montant, exprimé en monnaie nationale, nominalement supérieur ou inférieur à celui qui aurait dû être payé dans

l'hypothèse d'une application du taux de change de la date d'adoption de la décision, cela n'est que la conséquence logique des fluctuations des valeurs réelles des différentes monnaies nationales.

399.
    Il convient d'ajouter que plusieurs entreprises destinataires de la décision possèdent des cartonneries dans plus d'un pays (voir points 7, 8 et 11 des considérants de la décision). En outre, les entreprises destinataires de la décision exercent généralement leurs activités dans plus d'un État membre, par l'intermédiaire de représentations locales. Elles opèrent par conséquent dans plusieurs devises nationales. La requérante elle-même réalise une partie considérable de son chiffre d'affaires sur les marchés d'exportation. Or, lorsqu'une décision comme la décision litigieuse sanctionne des violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité et que les entreprises destinataires de la décision exercent généralement leurs activités dans plusieurs États membres, le chiffre d'affaires de l'année de référence converti en écus au taux de change moyen utilisé au cours de cette même année est constitué par la somme des chiffres d'affaires réalisés dans chacun des pays où l'entreprise est active. Il rend donc parfaitement compte de la réalité de la situation économique des entreprises concernées au cours de l'année de référence.

400.
    Il convient enfin de vérifier si, comme le prétend la requérante, le plafond prévu par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, correspondant à «10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent», a été dépassé en raison des fluctuations monétaires survenues postérieurement à l'année de référence.

401.
    Conformément à la jurisprudence de la Cour, le pourcentage exprimé dans cette disposition se rapporte au chiffre d'affaires global de l'entreprise en cause (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 119).

402.
    Au sens de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, l'«exercice social précédent» est celui qui précède la date de la décision, soit, en l'espèce, le dernier exercice complet de chacune des entreprises concernées à la date du 13 juillet 1994.

403.
    A la lumière de ces éléments, force est de constater, sur la base des renseignements fournis par la requérante en réponse à une question écrite posée par le Tribunal, que le montant de l'amende converti en monnaie nationale au taux de change pratiqué au moment de la publication de la décision ne dépasse pas 10 % du chiffre d'affaires global réalisé par la requérante en 1993.

404.
    Au vu de ce qui précède, le présent moyen doit être rejeté.

J — Sur le moyen tiré, d'une part, d'un calcul erroné de la partie de l'amende correspondant à l'infraction imputée à Prat Carton et, d'autre part, d'une violation de l'obligation de motivation à cet égard

Arguments des parties

405.
    La requérante fait valoir que la Commission a calculé erronément la part de l'amende correspondant à l'infraction prétendument commise par Prat Carton, en retenant le même pourcentage de chiffre d'affaires que celui prévu pour la requérante, soit 9 %, réduit d'un tiers en raison de la coopération de l'entreprise au cours de l'instruction de l'affaire. Or, la participation limitée de Prat Carton aux réunions du JMC de juin 1990 à mars 1991 et le fait qu'elle n'ait pas été «chef de file» auraient justifié une réduction du montant de l'amende.

406.
    Enfin, la requérante dénonce l'absolu manque de transparence et l'absence de motivation en ce qui concerne le calcul de la partie de l'amende correspondant à l'infraction imputée à Prat Carton.

407.
    La Commission rappelle que, comme l'a précisé le point 154 des considérants de la décision, la requérante, qui a acquis Prat Carton en février 1991, est responsable du comportement anticoncurrentiel de celle-ci pour toute la période de son adhésion à l'entente. La décision ayant infligé une seule amende à la requérante, calculée sur la base de son chiffre d'affaires global pour le carton et comprenant donc le chiffre d'affaires de Prat Carton, la conduite de cette entreprise n'aurait pas donné lieu à l'imposition d'une amende séparée. Selon la Commission, l'argumentation de la requérante se heurte, par conséquent, au fait qu'une amende a uniquement été infligée à la requérante.

408.
    Dans ces conditions, il conviendrait également de rejeter toute accusation relative à une absence de transparence ou à une incohérence dans la motivation de la décision à ce propos.

Appréciation du Tribunal

409.
    Selon les explications fournies par la Commission, l'amende infligée à la requérante correspond à 6 % de la somme des chiffres d'affaires réalisés en 1990 respectivement par la requérante et Prat Carton (taux de 9 % retenu à l'encontre des entreprises «chefs de file», réduit d'un tiers en raison de l'attitude de la requérante considérée comme coopérative). Même si dans un tel cas il est souhaitable que la décision contienne une motivation plus ample de la méthode de calcul appliquée, il convient, pour les motifs déjà énoncés (voir ci-dessus points 351 à 353), de rejeter l'argument de la requérante tiré d'une violation de l'article 190 du traité.

410.
    Il y a lieu de rappeler ensuite (voir ci-dessus point 250) que la Commission a établi la participation de Prat Carton à la collusion sur les prix et à la collusion sur les temps d'arrêt au cours de la période allant de juin 1990 à février 1991. Il a en revanche été retenu que la Commission n'a pas suffisamment établi la participation de Prat Carton à une collusion sur les parts de marché au cours de la même période ni sa participation, entre le milieu de 1986 et le mois de juin 1990, à l'un des éléments constitutifs de l'infraction décrits à l'article 1er de la décision.

411.
    En considération du fait que Prat Carton n'a participé qu'à certains éléments constitutifs de l'infraction et pour une durée plus limitée que celle retenue par la Commission, il y a lieu de procéder à une réduction du montant de l'amende infligée à la requérante.

412.
    En l'espèce, aucun des autres moyens invoqués par la requérante ne justifiant une réduction de l'amende, le Tribunal, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, fixera le montant de cette amende à 14 000 000 écus.

Sur les dépens

413.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que partiellement accueilli, le Tribunal fera une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la partie requérante supportera ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens exposés par la Commission et que celle-ci supportera l'autre moitié de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    L'article 2, premier à quatrième alinéa, de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) est annulé à l'égard de la requérante, sauf en ce qui concerne les passages suivants:

    «Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet

identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales:

    a)    par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants.

    Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés.»

2)    Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de la décision 94/601 est fixé à 14 000 000 écus.

3)    Le recours est rejeté pour le surplus.

4)    La partie requérante supportera ses propres dépens et la moitié des dépens exposés par la Commission.

5)    La Commission supportera la moitié de ses propres dépens.

Vesterdorf             Briët     Lindh

     Potocki      Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf

Table des matières

     Faits à l'origine du litige

II - 2

     Procédure

II - 6

     Conclusions des parties

II - 7

     Sur la demande d'annulation de la décision

II - 8

     A — Sur le moyen de procédure et de forme tiré d'une violation des droits de la défense

II - 8

         Arguments des parties

II - 8

         Appréciation du Tribunal

II - 8

     B — Sur le fond

II - 9

        Sur le moyen tiré d'une absence de concertation sur les prix de transaction et d'une violation des exigences de motivation

II - 9

             Arguments des parties

II - 9

             Appréciation du Tribunal

II - 10

         Sur le moyen tiré d'une absence de participation à une entente visant le gel des parts de marché et le contrôle de l'offre

II - 13

             Arguments des parties

II - 13

             Appréciation du Tribunal

II - 15

             1. Sur l'existence d'une concertation visant à geler les parts de marché et d'une concertation visant à contrôler l'offre

II - 15

             2. Sur le comportement effectif de la requérante

II - 22

         Sur le moyen tiré d'une erreur commise par la Commission en ce qui concerne la durée de la concertation sur les prix

II - 23

             Arguments des parties

II - 23

             Appréciation du Tribunal

II - 23

         Sur le moyen tiré d'une erreur commise par la Commission en ce qui concerne la durée de l'entente visant le gel des parts de marché et le contrôle de l'offre

II - 27

             Arguments des parties

II - 27

             Appréciation du Tribunal

II - 27

         Sur le moyen tiré d'une erreur d'appréciation commise par la Commission en ce qui concerne le système d'échange d'informations de la Fides

II - 28

         Sur le moyen tiré d'une erreur commise par la Commission en ce qu'elle a considéré qu'il s'agissait d'une infraction unique et globale et que Sarrió en était responsable dans son ensemble

II - 29

             Arguments des parties

II - 29

             Appréciation du Tribunal

II - 30

         Sur le moyen tiré d'une absence de prise en considération par la Commission de la situation du marché espagnol

II - 33

         Sur le moyen tiré d'une absence de participation de Prat Carton à l'infraction

II - 33

             Arguments des parties

II - 33

             Appréciation du Tribunal

II - 35

             1. Période allant du milieu de 1986 au mois de juin 1990

II - 35

             2. Période allant de juin 1990 à février 1991

II - 42

             3. Conclusions relatives à la participation de Prat Carton à une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité avant son acquisition par la requérante en février 1991

II - 49

     Sur la demande d'annulation de l'article 2 de la décision

II - 50

         Arguments des parties

II - 50

         Appréciation du Tribunal

II - 52

     Sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant

II - 56

     A — Sur le moyen tiré d'une nécessité de réduction de l'amende en raison d'une définition erronée de l'objet et de la durée de l'infraction

II - 56

     B — Sur le moyen tiré, d'une part, d'une erreur d'appréciation commise par la Commission en ce qu'elle a considéré que l'entente avait «largement réussi à atteindre ses objectifs» et, d'autre part, d'une violation de l'obligation de motivation sur ce point

II - 56

         Arguments des parties

II - 56

         Appréciation du Tribunal

II - 58

     C— Sur le moyen tiré, d'une part, d'une erreur de droit en ce que la Commission a retenu comme élément aggravant la dissimulation de l'entente et, d'autre part, d'une erreur de motivation à cet égard

II - 62

         Arguments des parties

II - 62

         Appréciation du Tribunal

II - 62

     D — Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement en ce que la Commission aurait appliqué sans justification objective des amendes bien plus élevées que dans sa pratique antérieure

II - 64

         Arguments des parties

II - 64

         Appréciation du Tribunal

II - 64

     E — Sur le moyen tiré d'un défaut de motivation et d'une violation des droits de la défense en ce qui concerne le calcul de l'amende

II - 67

         Arguments des parties

II - 67

         Appréciation du Tribunal

II - 68

     F — Sur le moyen tiré, d'une part, d'une erreur d'appréciation commise par la Commission en ce qu'elle n'aurait pas dûment pris en considération le rôle joué par Sarrió dans le cadre de l'entente ainsi que son comportement effectif sur le marché et, d'autre part, d'un défaut de motivation sur ces points

II - 71

         Arguments des parties

II - 71

         Appréciation du Tribunal

II - 72

     G — Sur le moyen tiré de ce que la Commission aurait dû tenir compte de certaines circonstances atténuantes

II - 73

         Arguments des parties

II - 73

         Appréciation du Tribunal

II - 74

     H — Sur le moyen tiré d'une erreur matérielle dans le calcul de l'amende infligée à Sarrió

II - 75

         Arguments des parties

II - 75

         Appréciation du Tribunal

II - 75

     I — Sur le moyen tiré d'une erreur de méthode dans le calcul de l'amende

II - 76

         Arguments des parties

II - 76

         Appréciation du Tribunal

II - 78

     J — Sur le moyen tiré, d'une part, d'un calcul erroné de la partie de l'amende correspondant à l'infraction imputée à Prat Carton et, d'autre part, d'une violation de l'obligation de motivation à cet égard

II - 81

         Arguments des parties

II - 81

         Appréciation du Tribunal

II - 81

     Sur les dépens

II - 82


1: Langue de procédure: l'italien.