Language of document : ECLI:EU:T:2010:54

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

2 mars 2010 (*)

« Environnement – Directive 2003/87/CE – Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Demande en annulation – Défaut d’affectation directe et individuelle – Demande en réparation – Recevabilité – Violation suffisamment caractérisée d’une règle supérieure de droit conférant des droits aux particuliers – Droit de propriété – Liberté d’exercer une activité professionnelle – Proportionnalité – Égalité de traitement – Liberté d’établissement – Sécurité juridique »

Dans l’affaire T‑16/04,

Arcelor SA, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée initialement par Mes W. Deselaers, B. Meyring et B. Schmitt-Rady, puis par Mes Deselaers et Meyring, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté initialement par MM. K. Bradley et M. Moore, puis par M. L. Visaggio et Mme I. Anagnostopoulou, en qualité d’agents,

et

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par MM. B. Hoff-Nielsen et M. Bishop, puis par Mmes E. Karlsson et A. Westerhof Löfflerova, puis par Mmes Westerhof Löfflerova et K. Michoel, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

soutenus par

Commission européenne, représentée par M. U. Wölker, en qualité d’agent,

partie intervenante,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation partielle de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO L 275, p. 32), et, d’autre part, une demande en réparation du préjudice subi par la requérante à la suite de l’adoption de ladite directive,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. J. Azizi (rapporteur), président, Mme E. Cremona et M. S. Frimodt Nielsen, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 avril 2008,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

I –  Règles du traité CE

1        L’article 174 CE dispose notamment :

« 1. La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants :

–        la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement,

–        la protection de la santé des personnes,

–        l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,

–        la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement.

2. La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur.

[…]

3. Dans l’élaboration de sa politique dans le domaine de l’environnement, la Communauté tient compte :

–        des données scientifiques et techniques disponibles,

–        des conditions de l’environnement dans les diverses régions de la Communauté,

–        des avantages et des charges qui peuvent résulter de l’action ou de l’absence d’action,

–        du développement économique et social de la Communauté dans son ensemble et du développement équilibré de ses régions.

[…] »

2        L’article 175, paragraphe 1, CE prévoit :

« 1. Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 [CE] et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, décide des actions à entreprendre par la Communauté en vue de réaliser les objectifs visés à l’article 174 [CE]. »

II –  Directive attaquée

3        La directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO L 275, p. 32, ci-après la « directive attaquée »), entrée en vigueur le 25 octobre 2003, établit un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté européenne (ci-après le « système d’échange de quotas »), afin de favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en particulier de dioxyde de carbone (ci-après le « CO2 »), dans des conditions économiquement efficaces et performantes (article 1er de la directive attaquée). Elle repose sur les obligations incombant à la Communauté au titre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et du protocole de Kyoto. Ce dernier a été approuvé par la décision 2002/358/CE du Conseil, du 25 avril 2002, relative à l’approbation, au nom de la Communauté, du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l’exécution conjointe des engagements qui en découlent (JO L 130, p. 1). Le protocole de Kyoto est entré en vigueur le 16 février 2005.

4        La Communauté et ses États membres se sont engagés à réduire leurs émissions anthropiques agrégées de gaz à effet de serre indiquées à l’annexe A du protocole de Kyoto de 8 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période allant de 2008 à 2012 (considérant 4 de la directive attaquée). À cet effet, ils sont convenus de remplir conjointement leurs engagements en matière de réduction des émissions conformément à l’article 4 du protocole de Kyoto selon un accord dit de « partage des charges », dont le tableau des contributions de chaque État membre figure à l’annexe II de la décision 2002/358.

5        Le protocole de Kyoto envisage trois mécanismes afin de permettre aux pays participants d’atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, à savoir, premièrement, l’échange international de quotas d’émission, deuxièmement, la mise en œuvre conjointe de projets de réduction et, troisièmement, le mécanisme pour un développement « propre », les deux derniers mécanismes étant également appelés « mécanismes de flexibilité ». Alors que la mise en œuvre conjointe de projets de réduction a pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les pays participant au protocole de Kyoto, le mécanisme pour un développement « propre » concerne des projets de réduction d’émissions à mettre en œuvre dans les pays en voie de développement qui n’ont pas souscrit aux objectifs du protocole de Kyoto.

6        Aux fins de la mise en œuvre, au sein de la Communauté, des objectifs de réduction prévus par le protocole de Kyoto et par la décision 2002/358, la directive attaquée dispose que, dans le cadre du système d’échange de quotas, les exploitants des installations visées à son annexe I doivent couvrir leurs émissions de gaz à effet de serre par des quotas qui leur sont alloués conformément à des plans nationaux d’allocation (ci-après les « PNA »). Si un exploitant parvient à réduire ses émissions, il peut vendre les quotas excédentaires à d’autres exploitants. Inversement, l’exploitant d’une installation dont les émissions sont excessives peut acheter les quotas nécessaires auprès d’un exploitant qui dispose d’excédents.

7        En vertu de l’annexe I de la directive attaquée, entrent dans son champ d’application, notamment, certaines installations de combustion destinées à la production d’énergie ainsi qu’à la production et à la transformation des métaux ferreux, telles que les « [i]nstallations pour la production de fonte ou d’acier (fusion primaire ou secondaire), y compris les équipements pour coulée d’une capacité de plus de 2,5 tonnes par heure ».

8        La directive attaquée prévoit une première phase allant de 2005 à 2007 (ci-après la « première période d’allocation »), qui précède la première période d’engagements prévue par le protocole de Kyoto, puis une seconde phase allant de 2008 à 2012 (ci-après la « seconde période d’allocation »), qui correspond à ladite première période d’engagements (article 11 de la directive attaquée). Au cours de la première période d’allocation, la directive attaquée ne s’applique qu’à un seul des gaz à effet de serre énumérés à l’annexe II, à savoir le CO2, et uniquement aux émissions résultant des activités indiquées à l’annexe I (article 2 de la directive attaquée), dont la production et la transformation des métaux ferreux.

9        Plus concrètement, le système d’échange de quotas est fondé, d’une part, sur l’imposition d’une autorisation préalable d’émettre des gaz à effet de serre (articles 4 à 8 de la directive attaquée) et, d’autre part, sur l’allocation de quotas autorisant l’exploitant titulaire à émettre une certaine quantité de ces gaz, avec l’obligation pour celui-ci de restituer annuellement le nombre de quotas correspondant aux émissions totales de son installation (article 12, paragraphe 3, de la directive attaquée).

10      Ainsi, toute installation visée à l’annexe I de la directive attaquée doit détenir une autorisation délivrée par l’autorité nationale compétente. Aux termes de l’article 4 de la directive attaquée, « [l]es États membres veillent à ce que, à partir du 1er janvier 2005, aucune installation ne se livre à une activité visée à l’annexe I entraînant des émissions spécifiées en relation avec cette activité, à moins que son exploitant ne détienne une autorisation délivrée par une autorité compétente conformément aux articles 5 et 6, ou que l’installation ne soit temporairement exclue du système [d’échange de quotas] conformément à l’article 27 » de ladite directive.

11      Par ailleurs, l’article 6, paragraphe 2, de la directive attaquée prévoit :

« L’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre contient les éléments suivants :

[…]

c)       les exigences en matière de surveillance, précisant la méthode et la fréquence de la surveillance ;

d)       les exigences en matière de déclaration ;

e)       l’obligation de restituer, dans les quatre mois qui suivent la fin de chaque année civile, des quotas correspondant aux émissions totales de l’installation au cours de l’année civile écoulée, telles qu’elles ont été vérifiées conformément à l’article 15 [de la directive attaquée]. »

12      Les conditions et les procédures, conformément auxquelles les autorités nationales compétentes allouent, sur le fondement d’un PNA, des quotas aux exploitants d’installations, sont prévues aux articles 9 à 11 de la directive attaquée.

13      L’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive attaquée dispose :

« Pour chaque période visée à l’article 11, paragraphes 1 et 2, [de la directive attaquée,] chaque État membre élabore un [PNA] précisant la quantité totale de quotas qu’il a l’intention d’allouer pour la période considérée et la manière dont il se propose de les attribuer. Ce [PNA] est fondé sur des critères objectifs et transparents, incluant les critères énumérés à l’annexe III, en tenant dûment compte des observations formulées par le public. Sans préjudice des dispositions du traité [CE], la Commission élabore des orientations pour la mise en œuvre des critères qui figurent à l’annexe III pour le 31 décembre 2003 au plus tard. »

14      La Commission des Communautés européennes a édicté une première version des orientations susvisées dans le cadre de sa communication COM (2003) 830 final, du 7 janvier 2004, sur les orientations visant à aider les États membres à mettre en œuvre les critères qui figurent à l’annexe III de la directive attaquée et les conditions dans lesquelles il y a force majeure. Par sa communication COM (2005) 703 final, du 22 décembre 2005, la Commission a édicté des orientations complémentaires relatives aux PNA de la seconde période d’allocation (ci-après les « orientations complémentaires de la Commission »).

15      Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive attaquée :

« En ce qui concerne la période visée à l’article 11, paragraphe 1[, de la directive attaquée], le [PNA] est publié et notifié à la Commission et aux autres États membres au plus tard le 31 mars 2004. Pour les périodes ultérieures, le [PNA] est publié et notifié à la Commission et aux autres États membres au moins dix-huit mois avant le début de la période concernée. »

16      Selon l’article 9, paragraphe 3, de la directive attaquée :

« Dans les trois mois qui suivent la notification d’un [PNA] par un État membre conformément au paragraphe 1, la Commission peut rejeter ce [PNA] ou tout aspect de celui-ci en cas d’incompatibilité avec les critères énoncés à l’annexe III ou avec les dispositions de l’article 10 [de la directive attaquée]. L’État membre ne prend une décision au titre de l’article 11, paragraphes 1 ou 2, [de la directive attaquée,] que si les modifications proposées ont été acceptées par la Commission. Toute décision de rejet adoptée par la Commission est motivée. »

17      Aux termes de l’article 10 de la directive attaquée, les États membres doivent allouer au moins 95 % des quotas à titre gratuit pour la première période d’allocation et au moins 90 % pour la seconde période d’allocation.

18      L’article 11 de la directive attaquée concernant l’allocation et la délivrance de quotas prévoit :

« 1. Pour la période de trois ans qui débute le 1er janvier 2005, chaque État membre décide de la quantité totale de quotas qu’il allouera pour cette période et de l’attribution de ces quotas à l’exploitant de chaque installation. Il prend cette décision au moins trois mois avant le début de la période, sur la base de son [PNA] élaboré en application de l’article 9, et conformément à l’article 10 [de la directive attaquée], en tenant dûment compte des observations formulées par le public.

2. Pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008, et pour chaque période de cinq ans suivante, chaque État membre décide de la quantité totale de quotas qu’il allouera pour cette période et lance le processus d’attribution de ces quotas à l’exploitant de chaque installation. Il prend cette décision au moins douze mois avant le début de la période concernée, sur la base de son [PNA] élaboré en application de l’article 9, et conformément à l’article 10 [de la directive attaquée], en tenant dûment compte des observations formulées par le public.

3. Les décisions prises en application des paragraphes 1 ou 2 sont conformes aux exigences du traité, et notamment à celles de ses articles 87 et 88. Lorsqu’ils statuent sur l’allocation de quotas, les États membres tiennent compte de la nécessité d’ouvrir l’accès aux quotas aux nouveaux entrants.

[…] »

19      L’annexe III de la directive attaquée énumère onze critères applicables aux PNA.

20      Le critère n° 1 de l’annexe III de la directive attaquée énonce :

« La quantité totale de quotas à allouer pour la période considérée est compatible avec l’obligation, pour l’État membre, de limiter ses émissions conformément à la décision 2002/358 […] et au protocole de Kyoto, en tenant compte, d’une part, de la proportion des émissions globales que ces quotas représentent par rapport aux émissions provenant de sources non couvertes par la présente directive et, d’autre part, de sa politique énergétique nationale, et devrait être compatible avec le programme national en matière de changements climatiques. Elle n’est pas supérieure à celle nécessaire, selon toute vraisemblance, à l’application stricte des critères fixés dans la présente annexe. Elle est compatible, pour la période allant jusqu’[en] 2008, avec un scénario aboutissant à ce que chaque État membre puisse atteindre, voire faire mieux que l’objectif qui leur a été assigné en vertu de la décision 2002/358 […] et du protocole de Kyoto. »

21      Le critère n° 3 de l’annexe III de la directive attaquée prévoit :

« Les quantités de quotas à allouer sont cohérentes avec le potentiel, y compris le potentiel technologique, de réduction des émissions des activités couvertes par le présent système [d’échange de quotas]. Les États membres peuvent fonder la répartition des quotas sur la moyenne des émissions de gaz à effet de serre par produit pour chaque activité et sur les progrès réalisables pour chaque activité. »

22      Aux termes du critère n° 6 de l’annexe III de la directive attaquée, « [l]e [PNA] contient des informations sur les moyens qui permettront aux nouveaux entrants de commencer à participer au système [d’échange de quotas] dans l’État membre en question ».

23      Selon le critère n° 7 de l’annexe III de la directive attaquée, « [l]e [PNA] peut tenir compte des mesures [de réduction d’émissions] prises à un stade précoce et contient des informations sur la manière dont il en est tenu compte ». Aux termes de ce même critère, « [d]es référentiels, établis à partir de documents de référence concernant les meilleures techniques disponibles, peuvent être utilisés par les États membres pour élaborer leur [PNA] et inclure un élément destiné à tenir compte des mesures [de réduction d’émissions] prises à un stade précoce ».

24      L’article 12, paragraphe 1, de la directive attaquée dispose que les quotas peuvent être transférés entre personnes physiques ou morales dans la Communauté ou à des personnes physiques ou morales dans des pays tiers, dans la mesure où un accord a été conclu entre ces pays et la Communauté conformément à l’article 25 de la directive attaquée et que ces quotas ont été mutuellement reconnus par l’autorité compétente de chaque État membre. En vertu de l’article 12, paragraphe 3, de la directive attaquée, avant le 1er mai de chaque année, tout exploitant d’une installation doit restituer à l’autorité compétente un nombre de quotas correspondant aux émissions totales de cette installation au cours de l’année civile écoulée pour que ces quotas soient ensuite annulés.

25      L’article 13, paragraphe 1, de la directive attaquée prévoit que les quotas ne sont valables que pour les émissions produites au cours de la période pour laquelle ils sont délivrés.

26      Conformément à l’article 16, paragraphe 2, de la directive attaquée, les États membres veillent à publier les noms des exploitants qui sont en infraction par rapport à l’exigence de restituer suffisamment de quotas en vertu de l’article 12, paragraphe 3, de la directive attaquée. Aux termes de l’article 16, paragraphes 3 et 4, de la directive attaquée, tout exploitant n’ayant pas restitué un nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions de l’année précédente est tenu de payer une amende sur les émissions excédentaires d’un montant de 40 euros au cours de la première période d’allocation et de 100 euros au cours des périodes suivantes pour chaque tonne d’équivalent-CO2 excédentaire émise et non couverte par un quota restitué. En outre, le paiement de l’amende imposée pour les émissions excédentaires ne libère pas l’exploitant de l’obligation de restituer un nombre de quotas égal au total de ses émissions.

27      Aux termes de l’article 24 de la directive attaquée, sous réserve d’approbation par la Commission conformément à la procédure visée à l’article 23, paragraphe 2, de ladite directive, lu conjointement avec la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO L 184, p. 23), les États membres peuvent appliquer le système d’échange de quotas à des activités, à des installations et à des gaz à effet de serre supplémentaires, en tenant compte de tous les critères pertinents, en particulier des incidences sur le marché intérieur, des distorsions potentielles de concurrence, de l’intégrité environnementale du système d’échange de quotas et de la fiabilité du système de surveillance et de déclaration envisagé.

28      L’article 27 de la directive attaquée prévoit que les États membres peuvent également demander à la Commission d’exclure temporairement certaines installations du système d’échange de quotas, demande à laquelle la Commission peut donner suite par voie de décision. En outre, conformément à l’article 28 de la directive attaquée, les États membres peuvent, avec l’accord de la Commission, autoriser les exploitants, qui en ont fait la demande, à mettre en commun leurs installations d’un même secteur d’activité. Enfin, en application de l’article 29 de la directive attaquée, les États membres peuvent demander à la Commission que certaines installations bénéficient de quotas supplémentaires en cas de force majeure.

29      L’article 30 de la directive attaquée, intitulé « Réexamen et évolutions », prévoit :

« […]

2. Sur la base de l’expérience acquise dans l’application de la présente directive et des progrès réalisés dans la surveillance des émissions de gaz à effet de serre, et à la lumière des évolutions du contexte international, la Commission établit un rapport sur le fonctionnement de la présente directive, où elle examine :

a)      s’il convient de modifier l’annexe I, et de quelle manière le faire, afin d’y inclure d’autres secteurs pertinents, comme l’industrie chimique, la métallurgie de l’aluminium et les transports, d’autres activités et les émissions d’autres gaz à effet de serre figurant à l’annexe II, afin d’améliorer davantage l’efficacité économique du système [d’échange de quotas] ;

[…] »

 Faits et procédure

30      La requérante, Arcelor SA, est née à la suite d’une fusion intervenue entre ARBED, Aceralia et Usinor en 2001. Depuis sa fusion avec Mittal en 2006, elle est dénommée ArcelorMittal et est devenue le premier producteur d’acier au monde. Néanmoins, au stade de l’introduction du présent recours, avec un volume de production de 44 millions de tonnes par an, dont plus de 90 % étaient produits dans l’Union européenne, la requérante représentait moins de 5 % de la production mondiale d’acier. Elle possède 17 installations de production de fonte brute et d’acier établies dans l’Union qui se trouvent en France (Fos-sur-Mer, Florange et Dunkerque), en Belgique (Liège et Gand), en Espagne (Gijón-Avilés) et en Allemagne (Brême et Eisenhüttenstadt).

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 janvier 2004, la requérante a introduit le présent recours.

32      Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 4, l’article 6, paragraphe 2, sous e), l’article 9, l’article 12, paragraphe 3, l’article 16, paragraphes 2 à 4, lu conjointement avec l’article 2, l’annexe I et le critère n° 1 de l’annexe III de la directive attaquée, en ce que ces dispositions (ci-après les « dispositions litigieuses ») s’appliquent à des installations de production de fonte brute ou d’acier comprenant une coulée continue d’une capacité dépassant 2,5 tonnes par heure ;

–        constater que le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont l’obligation de réparer les dommages subis du fait de l’adoption des dispositions litigieuses ;

–        condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

33      Dans la réplique, la requérante conclut, en outre, à titre subsidiaire, à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la directive attaquée dans sa totalité.

34      Par actes séparés enregistrés au greffe du Tribunal les 1er et 6 avril 2004, le Parlement et le Conseil ont respectivement soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur ces exceptions le 25 juin 2004.

35      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 mai 2004, la Commission a demandé, conformément à l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure, à intervenir dans la présente procédure au soutien du Parlement et du Conseil. Par ordonnance du 24 juin 2004, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis cette intervention. La Commission a déposé, conformément à l’article 116, paragraphe 4, du règlement de procédure, son mémoire en intervention limité à la question de la recevabilité le 2 septembre 2004.

36      Le Parlement et le Conseil, dans leurs exceptions d’irrecevabilité, et la Commission, dans son mémoire en intervention sur la recevabilité, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

37      Par ordonnance du Tribunal du 26 septembre 2005, les exceptions d’irrecevabilité ont été jointes au fond et les dépens ont été réservés.

38      Le Conseil, dans son mémoire en défense, le Parlement, dans sa duplique, et la Commission, dans son mémoire en intervention sur le fond, concluent en outre à titre subsidiaire à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme non fondé.

39      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a invité le Parlement, le Conseil et la Commission à répondre à des questions écrites avant l’audience. Le Parlement, le Conseil et la Commission ont répondu à ces questions dans les délais impartis.

40      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 15 avril 2008.

41      À l’audience, les parties entendues, le président de la troisième chambre du Tribunal a ordonné la suspension de la procédure, en application de l’article 77, sous a), du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice, jusqu’à ce que la Cour rende son arrêt dans l’affaire C‑127/07, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

42      La Cour ayant prononcé le 16 décembre 2008 l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, Rec. p. I-9895), les parties ont été invitées à soumettre leurs observations quant aux éventuelles conséquences à tirer de cet arrêt dans le cadre de la présente procédure. Les parties ayant soumis leurs observations dans les délais impartis, la procédure orale a été close.

43      À la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, le Tribunal a décidé de rouvrir la procédure orale et a invité les parties à se prononcer sur les éventuelles conséquences à tirer de cette circonstance et en particulier de l’entrée en vigueur de l’article 263, quatrième alinéa, du traité FUE dans le cadre de la présente procédure. Les parties ayant soumis leurs observations, la procédure orale a été close.

 En droit

I –  Sur la recevabilité de la demande d’annulation

A –  Arguments des parties

1.     Arguments du Parlement, du Conseil et de la Commission

44      Le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, estiment que la demande tendant à l’annulation partielle de la directive attaquée est irrecevable.

45      Selon le Parlement et le Conseil, la directive attaquée constitue une « véritable directive » au sens de l’article 249, troisième alinéa, CE, c’est-à-dire un acte de portée générale devant être transposé par les États membres en droit national et s’appliquant de manière abstraite à des situations déterminées objectivement. Or, l’article 230, quatrième alinéa, CE, ne prévoirait pas de recours direct pour les particuliers contre une telle directive.

46      Le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, considèrent en outre que la requérante n’est ni directement ni individuellement concernée par les dispositions litigieuses au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

47      S’agissant du critère de l’affectation directe, le Parlement et le Conseil font valoir, en substance, que, à la différence d’un règlement, une « véritable directive » ne saurait produire directement des effets juridiquement contraignants sur la situation juridique d’un particulier, voire lui imposer des obligations juridiques, avant que ne soient adoptées, au niveau national ou communautaire, des mesures destinées à sa mise en œuvre ou que le délai de transposition ne se soit écoulé. Par conséquent, une telle directive ne saurait, par elle-même, concerner directement ce particulier au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE. Ainsi, les dispositions litigieuses concernant, notamment, l’octroi d’autorisations d’émission, les obligations en matière de surveillance et de déclaration, l’établissement d’un PNA ainsi que l’allocation et la délivrance de quotas d’émission n’imposeraient aucune obligation à la requérante et ne modifieraient pas sa situation juridique tant qu’elles ne sont pas transposées par des règles nationales.

48      Par ailleurs, le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, estiment que la directive attaquée laisse une très large marge d’appréciation aux États membres quant à sa mise en œuvre par des mesures de transposition nationales, en particulier en ce qui concerne l’élaboration du PNA conformément à son article 9, la détermination du pourcentage minimal de quotas à allouer gratuitement en application de son article 10, la fixation, en vertu de son article 11, de la quantité totale de quotas pour la période d’allocation en question et leur délivrance aux exploitants d’installations conformément aux critères de son annexe III.

49      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste la thèse selon laquelle la directive attaquée prive la requérante du bénéfice d’autorisations d’émission obtenues au titre de la directive 96/61/CE du Conseil, du 24 septembre 1996, relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution (JO L 257, p. 26). La directive 96/61 ne serait qu’un instrument de coordination établissant un cadre général pour les textes législatifs sectoriels et définissant, notamment, les obligations générales des exploitants et les conditions d’autorisation (considérant 9 de la directive 96/61). Toutefois, elle n’accorderait pas de droits d’émission et ne constituerait pas non plus une base juridique directe pour en accorder. En particulier, aucun plafond d’émission ne serait fixé dans la directive 96/61 elle-même (article 18 de la directive 96/61).

50      Le Parlement et le Conseil concluent de tout ce qui précède que la requérante n’est pas directement concernée par les dispositions litigieuses.

51      S’agissant du critère de l’affectation individuelle, le Conseil relève que la directive attaquée s’applique de manière générale et abstraite à tous les opérateurs exerçant les activités visées à l’annexe I de ladite directive et à toutes les grandes installations émettant du CO2, en ce compris les installations de production de fonte ou d’acier. Or, la requérante n’aurait pas prouvé que sa situation fût différente de celle d’autres producteurs de fonte ou d’acier. Le Conseil ajoute que, conformément au critère n° 6 de l’annexe III et à l’article 11, paragraphe 3, de la directive attaquée, les États membres sont tenus de faciliter l’accès aux quotas pour les nouveaux entrants. En outre, dès le 1er mai 2004, la directive attaquée aurait été applicable aux producteurs de fonte ou d’acier établis dans les dix États membres qui ont adhéré, à cette date, à l’Union et dont les activités sont également couvertes par l’annexe I de ladite directive.

52      Le Parlement et le Conseil estiment que ni l’article 175, paragraphe 1, CE, en tant que base juridique pour des actions de la Communauté en matière d’environnement, ni l’article 174 CE n’imposent au législateur communautaire une obligation de tenir compte, lors de l’adoption de mesures de portée générale, de la situation particulière de certains opérateurs. Une telle obligation ne découlerait pas non plus d’une autre règle supérieure de droit, telle que les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ou les droits fondamentaux. Selon le Parlement et le Conseil, il ne saurait en être déduit le droit d’un particulier de former un recours direct devant le juge communautaire, sous peine de vider les exigences prévues à l’article 230, quatrième alinéa, CE de leur substance. En tout état de cause, la requérante n’aurait pas démontré que les dispositions litigieuses produisaient des « conséquences dramatiques » sur sa situation particulière à un point tel qu’elles puissent être considérées comme étant contraires aux règles supérieures de droit invoquées.

53      À cet égard, le Conseil conteste les arguments de la requérante tirés de sa prétendue affectation particulièrement sérieuse en tant que plus grand producteur d’acier en Europe, dont la situation serait unique du fait de sa restructuration en cours, de sa marge bénéficiaire limitée et des réductions importantes d’émissions de CO2 déjà réalisées. Il ne suffirait pas que certains opérateurs soient économiquement plus affectés que leurs concurrents par un acte pour que cet acte les concerne individuellement. D’après le Conseil, la requérante est atteinte du simple fait de sa situation objective de producteur de fonte ou d’acier, au même titre que n’importe quel autre opérateur se trouvant dans la même situation. De même, la circonstance qu’un acte de portée générale puisse avoir des effets concrets différents pour les divers sujets de droit auxquels il s’applique ne serait pas de nature à caractériser la requérante par rapport à tous les autres opérateurs concernés, dès lors que l’application de cet acte, telle que celle de la directive attaquée, s’effectue en vertu d’une situation objectivement déterminée.

54      Quant à l’allégation de la requérante selon laquelle la directive attaquée entrave la restructuration de son groupe en ce qu’elle ne permet pas de transfert transfrontalier de quotas liés aux capacités de production des installations établies dans différents États membres, le Conseil rétorque que la requérante n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle serait le seul opérateur affecté, alors qu’elle mentionne elle-même l’exemple de la restructuration en cours de la société Corus. En tout état de cause, l’éventuelle possibilité d’utiliser les quotas alloués à des installations fermées serait, dans une large mesure, à la discrétion des États membres. Ainsi, près de la moitié d’entre eux auraient permis le transfert de quotas d’une installation fermée vers une installation de remplacement, même si dans plusieurs cas, ces transferts ne seraient possibles qu’au sein d’un même État membre. Le Conseil, soutenu par la Commission, fait valoir en outre que, dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation, tous les États membres ont choisi, en application de l’article 11, paragraphe 3, et du critère n° 6 de l’annexe III de la directive attaquée, d’allouer gratuitement aux nouveaux entrants des quotas émanant de la réserve. De plus, même à supposer que la requérante ne soit pas en mesure de transférer les quotas alloués à des installations devant être fermées vers d’autres installations de son groupe, elle pourrait néanmoins prétendre à l’allocation gratuite de quotas lors de l’extension des capacités de ces autres installations, étant donné que la notion de « nouvel entrant », au sens de l’article 3, sous h), de la directive attaquée, couvrirait l’extension d’une installation existante. Enfin, s’agissant d’éventuelles mesures de réduction d’émissions prises à un stade précoce, le Conseil rappelle que, conformément au critère n° 7 de l’annexe III de la directive attaquée, un PNA peut tenir compte de telles mesures et que, à cet égard, les États membres disposent d’une certaine marge de manœuvre.

55      Selon le Parlement et le Conseil, la requérante n’a pas démontré que, au regard de la directive attaquée, elle se trouvait dans une situation analogue à celle des parties requérantes dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, Rec. p. 207) ; du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission (C‑152/88, Rec. p. I‑2477, point 28), et du 18 mai 1994, Codorníu/Conseil (C‑309/89, Rec. p. I‑1853), ainsi que dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du Tribunal du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission (T‑480/93 et T‑483/93, Rec. p. II‑2305, point 67), et du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil (T‑135/96, Rec. p. II‑2335). S’agissant de l’argument tiré de contrats de livraison de gaz à long terme, que la requérante aurait passés avec des centrales électriques avant l’adoption de la directive attaquée, le Conseil estime que les deux conditions cumulatives retenues dans les arrêts précités pour déterminer l’existence d’une affectation individuelle au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, à savoir, d’une part, l’existence d’une règle supérieure de droit obligeant les institutions communautaires à tenir compte de la situation particulière du requérant par rapport à celle de toute autre personne concernée, et, d’autre part, le fait que l’acte attaqué empêche, en tout ou en partie, l’exécution des contrats en cause, ne seraient pas remplies en l’espèce. La requérante affirmerait elle-même que les gaz visés par ces contrats sont livrés tant à ses propres centrales électriques qu’à des centrales tierces. Dès lors, elle pourrait bénéficier des quotas alloués aux centrales appartenant à son groupe ou les transférer entre ses différentes installations de production. En effet, selon le Conseil, aux termes du point 92 des orientations de la Commission (voir point 14 ci-dessus), lorsqu’un gaz résiduaire issu d’un processus de production d’une installation est utilisé comme combustible par une autre installation, il appartient à l’État membre de décider de la répartition des quotas entre ces deux installations. L’État membre pourrait ainsi choisir d’allouer des quotas à l’exploitant de l’installation transférant les gaz résiduaires, à savoir, en l’espèce, à un producteur de fonte ou d’acier, même si les émissions résultant de la combustion desdits gaz ne sont pas générées par l’installation de production d’acier en tant que telle, mais par la centrale électrique. Dans ces conditions, la requérante n’aurait pas démontré que la directive attaquée l’empêche d’exécuter les contrats de livraison de gaz en question. En tout état de cause, le seul fait que la directive attaquée risque, par le biais des mesures nationales de transposition, de rendre l’exécution de ces contrats plus difficile ne permettrait pas d’établir que la requérante est individuellement concernée.

56      Le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, relèvent que la requérante n’a pas non plus démontré qu’elle faisait partie d’une catégorie fermée d’exploitants. Étant donné que la directive attaquée constitue une mesure de portée générale qui s’applique à tous les exploitants exerçant les activités définies à son annexe I, la requérante ne serait visée que dans sa capacité objective de productrice de fonte et d’acier, au même titre que tout autre opérateur se trouvant dans la même situation. Dès lors, l’éventuelle existence, au moment de l’adoption de la directive attaquée, de seulement quinze producteurs de fonte ou d’acier ne serait pas suffisante pour individualiser la requérante. Selon le Parlement, même le fait que la requérante appartienne à un « groupe fermé et identifiable » au moment de l’adoption de la directive attaquée ou soit économiquement plus affectée que ses concurrents n’a pas pour conséquence de l’individualiser comme un destinataire.

57      Le Conseil conteste que la requérante soit susceptible de devenir un « acheteur net de quotas » en raison de sa situation particulière. À cet égard, premièrement, il rappelle que, durant la première période d’allocation, les États membres doivent allouer gratuitement au moins 95 % des quotas prévus par le PNA contre au moins 90 % durant la seconde période d’allocation. Deuxièmement, en vertu de l’article 12, paragraphes 1 et 2, de la directive attaquée, les quotas seraient transférables sans restriction, tant au sein du même groupe d’entreprises qu’à d’autres personnes se trouvant soit dans la Communauté, soit dans des pays tiers. Troisièmement, le nombre de quotas alloués initialement serait déterminé, de manière discrétionnaire, par chaque État membre, compte tenu d’une série de facteurs et de critères (voir points 48 et suivants ci-dessus). Enfin, les mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto (voir point 5 ci-dessus) offriraient aux producteurs de fonte ou d’acier la possibilité de convertir des crédits d’émission obtenus grâce aux projets concernés en quotas utilisables au sein du système d’échange de quotas. Par conséquent, la requérante serait en mesure d’obtenir gratuitement des quotas pour la totalité de ses émissions.

58      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste, études à l’appui, la thèse selon laquelle les producteurs de fonte ou d’acier se trouvent dans une « situation d’enfermement unique » en raison de l’absence de possibilité technique pour l’industrie sidérurgique de réduire davantage les émissions de CO2. À cet égard, le Conseil fait valoir, en substance, qu’il existe des possibilités techniques de réduire de telles émissions dans le secteur sidérurgique, tant à court qu’à long terme, que la Communauté fournit un soutien financier important aux recherches à cet effet et que le système d’échange de quotas offre aux producteurs de fonte ou d’acier des incitations économiques à réduire davantage leurs émissions de CO2.

59      Quant à l’allégation de la requérante selon laquelle les producteurs de fonte ou d’acier ne seraient pas en mesure de répercuter sur leurs clients une éventuelle augmentation des coûts de production résultant de la nécessité d’acheter des quotas d’émission, le Conseil, soutenu par la Commission, avance que l’éventuel besoin pour un tel producteur d’acheter des quotas dépendra de la quantité initiale de quotas qui lui aura été allouée sur le fondement du PNA et de ses efforts de réduction des émissions. La requérante ferait elle-même référence au processus de restructuration de son groupe et à la réduction du nombre de ses hauts-fourneaux d’ici à 2012, ce qui devrait probablement, en soi, réduire les émissions. Il en serait particulièrement ainsi lorsque, conformément à l’annonce publique de la requérante, ses hauts-fourneaux seront remplacés par des fourneaux à arc électrique dont les émissions de CO2 par tonne d’acier produite sont plus faibles. Même à considérer que la requérante doive acheter des quotas supplémentaires, les coûts qui y sont associés pourraient être répercutés, à tout le moins en partie, sur les consommateurs du fait d’une hausse considérable des prix dans le secteur de l’acier qui se trouverait en expansion.

60      Le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, concluent de tout ce qui précède que la requérante n’est pas individuellement concernée par la directive attaquée et que la demande d’annulation doit, par conséquent, être déclarée irrecevable.

61      Par ailleurs, le Parlement, soutenu par la Commission, excipe de l’irrecevabilité de la demande d’annulation en ce que les dispositions litigieuses ne seraient pas détachables du reste de la directive attaquée sous peine de la vider de sa substance. En effet, selon le Parlement, si, par exemple, les obligations relatives à l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre (articles 4 et 6) et aux PNA (article 9) étaient supprimées, il en résulterait un acte dont la substance serait complètement « inversée ».

62      À cet égard, le Parlement conteste l’allégation de la requérante selon laquelle le système d’échange de quotas resterait « substantiellement intact » si les producteurs de fonte ou d’acier étaient exclus de son champ d’application, cet aspect n’ayant aucun lien avec la question de savoir si l’annulation des dispositions litigieuses aurait pour effet de modifier la substance de la partie restante de la directive attaquée. En outre, selon le Parlement et le Conseil, ne saurait prospérer la tentative tardive de la requérante, au stade de la réplique et, partant, contraire aux exigences de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, de modifier ses conclusions en ce sens que son recours devrait désormais être interprété « comme incluant une demande d’annulation totale de la directive [attaquée] si une annulation partielle n’était pas possible ». Cette approche reviendrait à étendre et non à réduire les conclusions initiales de la requérante qui visaient une « annulation partielle » de la directive attaquée. Or, la requérante n’aurait pas avancé de nouveaux éléments de droit et de fait apparus au cours de la procédure, au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, qui pourraient justifier l’introduction d’un moyen nouveau.

63      Par conséquent, le Parlement et le Conseil estiment que la demande d’annulation devrait être déclarée irrecevable également pour cette raison.

64      Dans leurs observations sur les conséquences à tirer de l’entrée en vigueur de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, font valoir que cette circonstance n’est pas susceptible de modifier cette appréciation, ledit article n’étant pas applicable à la présente procédure et la directive attaquée n’étant pas un acte réglementaire au sens de cette disposition.

2.     Arguments de la requérante

65      La requérante fait valoir, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence établie relative à l’article 230, quatrième alinéa, CE, le seul fait que la mesure attaquée soit une directive ne suffit pas pour déclarer un recours en annulation irrecevable. Dès lors, un recours tendant à l’annulation de certaines dispositions d’une directive serait recevable si la partie requérante est concernée directement et individuellement par ces dispositions.

66      S’agissant du critère de l’affectation directe, la requérante soutient que, même si une directive exige, conformément à l’article 249, troisième alinéa, CE, un acte de transposition de la part des États membres pour produire des effets directs sur la situation juridique des opérateurs économiques, cette exigence ne suffit pas, à elle seule, pour conclure qu’elle n’est pas directement concernée au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE. Si tel était le cas, les directives ne pourraient jamais être contestées par un tel opérateur, ce qui serait incompatible avec la jurisprudence ainsi qu’avec le droit à une protection juridictionnelle effective. Lorsqu’une mesure communautaire, en ce compris une directive, ne laisse aux États membres aucune marge d’appréciation quant à l’obligation devant être imposée au requérant, c’est-à-dire lorsque sa mise en œuvre est purement automatique, un tel requérant serait directement concerné. En effet, les institutions ne sauraient, par le seul choix de la forme de l’acte adopté, priver ce requérant de la protection juridictionnelle prévue à l’article 230, quatrième alinéa, CE.

67      En l’espèce, les dispositions litigieuses ne laisseraient aux États membres aucune marge d’appréciation quant aux obligations à imposer à la requérante.

68      À cet égard, premièrement, la requérante relève que, conformément à l’article 4 de la directive attaquée, les États membres doivent veiller à ce que, à partir du 1er janvier 2005, les producteurs de fonte ou d’acier n’exploitent pas leurs installations sans autorisation d’émission. Les États membres n’auraient aucune marge d’appréciation à cet égard. L’article 27, paragraphe 1, de la directive attaquée n’établirait qu’une possibilité d’exclusion temporaire de certaines installations du système d’échange de quotas jusqu’au 31 décembre 2007, ayant pour conséquence que l’obligation d’autorisation aurait pris effet au 1er janvier 2008 au plus tard. De même, la possibilité pour les États membres, prévue à l’article 27, paragraphe 2, de la directive attaquée, d’accorder une exclusion temporaire de 2005 à 2007 ne leur conférerait aucun pouvoir d’appréciation et serait dénuée d’intérêt pratique en raison de ses conditions restrictives.

69      Deuxièmement, l’argument tiré de la large marge d’appréciation dont disposeraient les États membres quant à l’élaboration des PNA serait dépourvu de pertinence, dès lors que la directive attaquée distingue clairement l’autorisation (article 4) et les quotas (article 9). L’obligation d’autoriser les émissions de CO2 produirait en soi des effets sur la situation juridique de la requérante en ce qu’elle invalide, en partie, les autorisations d’exploitation et les droits d’émission de CO2 délivrés au titre de la directive 96/61 qu’elle avait détenus antérieurement pour ses installations de production. En effet, aux termes de l’article 6, paragraphe 2, de la directive attaquée, cette autorisation serait subordonnée à des exigences supplémentaires en matière de surveillance et de déclaration ainsi qu’à l’obligation de restitution des quotas nécessaires pour couvrir les émissions de CO2 de l’installation concernée au cours de chaque année civile. D’après la requérante, les États membres n’ont aucune marge d’appréciation quant aux obligations à lui imposer à cet égard.

70      Troisièmement, en vertu de l’article 9 de la directive attaquée, lu conjointement avec le critère n° 1 de son annexe III, la quantité totale de quotas alloués pour la période d’allocation de référence devrait, d’une part, être compatible avec l’obligation de l’État membre de limiter ses émissions, conformément à la décision 2002/358 et au protocole de Kyoto, et, d’autre part, ne pas excéder la quantité nécessaire à la stricte application des critères de l’annexe III de la directive attaquée. Il en résulterait que, lorsque les États membres fixent la quantité totale de quotas à allouer, ils doivent respecter, sans aucune marge d’appréciation, un « plafond absolu de quotas ». Cette interprétation serait confirmée par le point 10 des orientations complémentaires de la Commission, relatif au critère n° 3 de l’annexe III de la directive attaquée (voir point 14 ci-dessus).

71      Quatrièmement, enfin, en vertu de l’article 12, paragraphe 3, et de l’article 16 de la directive attaquée, les États membres devraient, sans avoir un pouvoir d’appréciation à cet égard, d’une part, imposer à tout exploitant l’obligation de restituer, le 30 avril de chaque année au plus tard, une quantité de quotas correspondant à ses émissions totales au cours de l’année civile écoulée, et, d’autre part, lui infliger des sanctions en cas de non-respect de cette obligation.

72      La requérante en conclut que les dispositions litigieuses ne laissent aux États membres aucune marge d’appréciation quant aux obligations à lui imposer et que, partant, ces dispositions la concernent directement au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

73      La requérante estime être également individuellement concernée par les dispositions litigieuses. D’une part, le législateur communautaire serait tenu de prendre en compte les conséquences graves qui en découlent pour la situation particulière de la requérante et, d’autre part, elle ferait partie d’une catégorie fermée, constituée d’un nombre restreint de producteurs de fonte ou d’acier affectés par lesdites dispositions.

74      En premier lieu, selon la requérante, l’obligation pour le législateur communautaire de tenir compte des conséquences de l’acte qu’il envisage d’adopter sur la situation de certains particuliers est de nature à les individualiser (arrêts Piraiki-Patraiki e.a./Commission, point 55 supra, point 19 ; Sofrimport/Commission, point 55 supra, point 11, et Codorníu/Conseil, point 55 supra, point 20), cette obligation pouvant avoir son origine soit dans une disposition particulière du traité CE (arrêt Antillean Rice Mills e.a./Commission, point 55 supra, point 67), soit dans toute autre règle supérieure de droit (arrêt UEAPME/Conseil, point 55 supra, point 90), telle que le principe de proportionnalité, le principe d’égalité de traitement et les droits fondamentaux.

75      À cet égard, la requérante soutient, en substance, que, par respect des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que de son droit de propriété et de sa liberté d’exercer une activité économique, le législateur communautaire aurait dû tenir compte des effets très graves de la directive attaquée sur sa situation particulière. Ainsi, en omettant d’inclure, contrairement aux propositions initiales du Parlement et de la Commission, d’autres secteurs dans l’annexe I de la directive attaquée – en particulier les secteurs concurrents des métaux non ferreux et des produits chimiques – le législateur communautaire aurait violé les principes d’égalité de traitement et du maintien d’une concurrence non faussée. De même, il aurait violé le droit de propriété, la liberté d’établissement et la liberté d’exercer une activité économique de la requérante ainsi que le principe de proportionnalité en méconnaissant l’impossibilité technique et économique pour les producteurs de fonte ou d’acier de réduire davantage les émissions de CO2. En ce faisant, le législateur communautaire aurait imposé une charge disproportionnée à la requérante qui mettrait en péril son existence dans la mesure où elle deviendrait nécessairement un « acheteur net de quotas » sans possibilité de répercuter sur ses clients les coûts qui y sont associés. De plus, les dispositions litigieuses seraient disproportionnées en ce qu’elles ne sont pas assorties de mesures qui allègent, à tout le moins, leurs conséquences néfastes pour la requérante, telles qu’un mécanisme de contrôle des prix des quotas ou la possibilité de leur transfert transfrontalier au sein du même groupe d’entreprises. À défaut d’une telle possibilité de transfert, qui affecterait sérieusement les efforts de restructuration de la requérante et sa compétitivité, la directive attaquée porterait également atteinte au droit de propriété de la requérante et à sa liberté d’établissement. La requérante précise que la restriction inadmissible à sa liberté d’établissement, qui résulte de l’absence de règle, dans la directive attaquée, permettant le transfert transfrontalier de quotas d’émission entre différentes installations du même groupe d’entreprises, ne saurait être relativisée par l’argument selon lequel une extension des capacités de production d’une installation est susceptible de bénéficier des règles d’allocation pour les « nouveaux entrants », un tel bénéfice étant soumis à la discrétion de l’État membre d’accueil concerné.

76      En deuxième lieu, la requérante soutient qu’elle fait partie d’une catégorie fermée d’entreprises particulièrement affectée par la directive attaquée. Dans l’Union à quinze États membres, seulement quinze entreprises ou groupes d’entreprises auraient exploité des installations de production de fonte ou d’acier, à savoir la requérante, Corus, ThyssenKrupp, HKM, Riva, Lucchini, SSAB, Voest Alpine, Salzgitter, Duferco, Rauttaruukki, Fundia, Saint-Gobain, DHS et Neue Maxhütte, auxquelles se seraient rajoutés, depuis le 1er mai 2004, cinq producteurs de fonte ou d’acier des dix nouveaux États membres, à savoir Ispat Polska, Czech Steel Company, Moravia Steel, Dunaferr Dunai et US Steel Košice. Toutefois, l’élargissement de l’Union ne saurait à lui seul retirer à ce groupe sa qualité de catégorie fermée au sens de la jurisprudence, étant donné que cet élargissement était prévu à l’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33) avant l’entrée en vigueur de la directive attaquée. En outre, l’entrée sur le marché de nouveaux entrants par la mise en place de nouvelles activités à hauts-fourneaux ne serait pas une option économiquement viable et serait dès lors exclue de fait. En effet, après l’entrée en vigueur de la directive attaquée et eu égard à la diminution du nombre de hauts-fourneaux dans l’Union depuis 1975, un nouvel entrant ne pourrait s’établir sur le marché qu’au moyen d’une acquisition.

77      Selon la requérante, la « situation d’enfermement unique » de ce groupe de producteurs, qui les distinguerait de toute autre personne, résulte du fait que, dans un avenir prévisible, pour des raisons techniques, à la différence de la situation d’autres secteurs économiques concernés, tels que le secteur du ciment, de l’électricité, du papier et du verre, les producteurs de fonte ou d’acier ne seraient pas en mesure de réduire, de manière significative, les émissions de CO2 conformément aux objectifs de la directive attaquée. Par conséquent, les producteurs appartenant à ce groupe ne sauraient, en réalité, choisir entre la réduction des émissions et l’achat de quotas supplémentaires, de sorte qu’ils deviendraient nécessairement des « acheteurs nets de quotas ». Dans le processus de production de l’acier, l’émission du CO2 serait inévitable en raison de l’utilisation du charbon comme matière première et non comme combustible. Ainsi, il n’existerait pas de solution de rechange économiquement rentable pour diminuer les émissions de CO2, par exemple par l’emploi d’un autre combustible tel que le gaz naturel. Le perfectionnement de la technologie des hauts-fourneaux en termes de rendement énergétique aurait atteint sa limite théorique impliquant encore l’émission de deux tonnes de CO2 par tonne d’acier produite. Une réduction des émissions supplémentaire ne serait possible que par un progrès technique dont le développement prendrait au moins 20 à 30 ans. En revanche, il ne serait pas possible de diminuer la production, les hauts-fourneaux devant toujours, pour des raisons techniques, fonctionner à un niveau proche de leur pleine capacité.

78      La requérante relève, études à l’appui, que, durant les 25 prochaines années environ, les exploitants de hauts-fourneaux devront continuer à utiliser les technologies existantes, dont la marge de progression est très réduite, toute tentative de remplacement ayant jusqu’à présent échoué pour des raisons techniques et/ou économiques. Elle ajoute que, contrairement à ce qu’allègue le Conseil, les réductions d’émissions qu’elle a réalisées jusqu’en 2002 ne sont pas le résultat d’améliorations techniques, mais principalement dues à la fermeture de cinq hauts-fourneaux, à l’augmentation de la capacité d’autres installations ainsi qu’au remplacement du minerai lorrain par le minerai brésilien en tant que matière première présentant un meilleur rendement énergétique. De même, l’objectif de réduction de la requérante pour la période allant de 2008 à 2012 devrait notamment être atteint par des fermetures d’installations accompagnées du transfert de la production vers des installations dans d’autres États membres.

79      La requérante fait valoir en outre que le secteur de l’acier est le seul des quatre secteurs couverts par l’annexe I de la directive attaquée devant faire face à la concurrence d’autres secteurs non couverts par ladite directive, à savoir les métaux non ferreux et les matières plastiques. Cette situation concurrentielle très désavantageuse des producteurs de fonte ou d’acier se trouverait encore aggravée, d’une part, par une demande « très concentrée », notamment celle de l’industrie automobile, et, d’autre part, par une concurrence intensifiée émanant de secteurs non visés par la directive attaquée et de producteurs d’acier de pays tiers, tels que les États-Unis d’Amérique, non soumis aux obligations découlant du protocole de Kyoto et représentant 65 % de la production mondiale. Ainsi, les producteurs européens d’acier ne seraient pas en mesure de répercuter sur leurs clients la hausse du coût de production causée par la nécessité d’acheter des quotas de CO2, ce qui affecterait davantage leur rentabilité déjà faible. À cet égard, la situation concurrentielle des autres secteurs visés par l’annexe I de la directive attaquée serait différente. Par exemple, compte tenu de l’estimation d’une hausse substantielle des prix de l’électricité, les fournisseurs d’énergie auraient la possibilité de répercuter sur leurs clients toute éventuelle augmentation de leurs coûts de production et d’améliorer sensiblement leur rentabilité.

80      La requérante précise que, en revanche, même la récente hausse du prix de l’acier ne la mettra pas en mesure de répercuter sur ses clients l’augmentation des coûts de production résultant de la nécessité d’acheter des quotas d’émission. Cette hausse de prix serait seulement le résultat des coûts croissants des matières premières et de transport au niveau mondial. Or, à l’échelle mondiale, les producteurs européens de fonte ou d’acier seraient confrontés à une forte concurrence de la part de producteurs de pays tiers qui, soit, comme les États-Unis d’Amérique, le Commonwealth d’Australie et la République de Turquie, n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto, soit, comme la République de l’Inde, la République populaire de Chine et la République fédérative du Brésil, ont ratifié le protocole de Kyoto, mais ne sont pas tenus, dans un premier temps, de réduire leurs émissions de CO2 (annexe B du protocole de Kyoto) ou ont seulement l’obligation au titre du protocole de Kyoto de maintenir le niveau actuel des émissions, tel que c’est le cas de la Fédération de Russie et de l’Ukraine. Dès lors, les producteurs européens de fonte ou d’acier seraient les seuls à encourir des coûts de production supplémentaires dus à la mise en œuvre du protocole de Kyoto tout en étant exposés à une pression concurrentielle de plus en plus vigoureuse par des importations d’acier de pays tiers dont l’importance dépendrait du niveau de prix sur le marché européen. La requérante ajoute que, compte tenu du coût actuel de 26 euros du quota d’émission par tonne de CO2 émise, la production d’une tonne d’acier, qui implique l’émission d’environ deux tonnes de CO2, occasionne un coût supplémentaire de 52 euros, tandis que le prix du transport global d’une tonne d’acier ne dépasse normalement pas 20 euros. La requérante ajoute que, à la différence des producteurs de fonte ou d’acier, les fournisseurs d’énergie, notamment ceux établis en Allemagne et au Royaume-Uni, sont présumés inclure dans les prix de l’électricité la valeur des quotas d’émission obtenus gratuitement pour en tirer des profits exceptionnels.

81      La requérante conclut de ce qui précède que les producteurs de fonte ou d’acier établis dans l’Union se trouvent dans une « situation d’enfermement unique » les distinguant de toute autre personne. Cette situation serait aggravée par le fait que la directive attaquée ne prévoit ni un plafond ni un mécanisme de contrôle des prix des quotas d’émission. Selon des études récentes, les producteurs de fonte ou d’acier se verraient ainsi confrontés à un prix du quota permettant d’émettre une tonne de CO2 entre 20 et 60 euros et plus, alors même que déjà un prix de 20 euros annihilerait le bénéfice brut du secteur de l’acier.

82      En troisième lieu, la requérante estime que, étant de loin le plus grand producteur de fonte et d’acier en Europe – avec une production de 40 millions de tonnes d’acier, suivie par Thyssen-Krupp (17 millions) et Corus (16 millions) – elle est affectée de façon particulièrement grave par la directive attaquée. Par l’emploi de sa technologie très avancée de hauts-fourneaux, la requérante aurait déjà diminué ses émissions de gaz à effet de serre, y compris de CO2, dans une proportion bien plus grande que celle de 8 % visée par le protocole de Kyoto, à savoir de 19 % en chiffres absolus et de 24 % en chiffres relatifs (par tonne d’acier produite) depuis 1990 et ne saurait, pour les raisons techniques évoquées aux points 77 et 78 ci-dessus, continuer à réduire, de manière significative, les émissions de CO2. En outre, en 2002, la requérante aurait obtenu de l’exploitation de ses hauts-fourneaux un bénéfice brut de 16 euros et un bénéfice net de 4 euros par tonne de CO2 émise. Il s’ensuivrait que, même au prix le plus bas, selon l’estimation actuelle, de 20 euros le quota d’émission, ce qui correspond à un coût supplémentaire de 40 euros par tonne d’acier, la production deviendrait non rentable pour la requérante à un point tel qu’il ne lui serait plus possible de continuer d’exploiter ses installations en Europe.

83      En quatrième lieu, la requérante serait le seul producteur européen de fonte et d’acier confronté à un problème particulier créé par la directive attaquée du fait de la restructuration en cours au sein de son groupe qui vise à améliorer sa compétitivité. Cette restructuration, initiée par la concentration de 2001 (voir point 30 ci-dessus), c’est-à-dire avant l’adoption de la directive attaquée, viserait la fermeture d’installations ou la réduction de capacités de production moins rentables dans un État membre et l’augmentation correspondante de capacités de production dans des installations plus rentables établies dans d’autres États membres. Cette situation serait particulière à la requérante et la distinguerait de tous les autres producteurs de fonte ou d’acier dont les installations se trouvent dans un seul État membre. La seule exception serait Corus avec des installations établies au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, mais qui aurait déjà optimalisé sa production. Or, la directive attaquée compromettrait gravement cette restructuration en n’imposant pas aux États membres l’obligation de permettre le transfert transfrontalier des quotas d’une installation devant être fermée vers d’autres installations établies dans d’autres États membres. Ainsi, les gouvernements belge et allemand auraient déjà fait savoir que, en cas de fermeture, la requérante perdrait ses quotas pour les installations établies en Wallonie (Belgique) et à Brême (Allemagne), de sorte qu’elle ne serait pas en mesure de transférer ces quotas vers ses installations établies en Espagne ou en France, où elle avait prévu une augmentation correspondante des capacités de production. De même, le PNA allemand et l’article 10, paragraphe 1, première phrase, du projet de la loi allemande sur l’allocation des quotas durant la première période d’allocation prévoiraient l’annulation des quotas en cas de fermeture d’installation, sauf si l’exploitant met en service une nouvelle installation en Allemagne (et non dans un autre État membre). Dans le même sens, le PNA français prévoirait qu’un exploitant peut conserver les quotas d’une installation fermée uniquement si l’activité est transférée vers une autre installation établie sur le territoire français. La requérante serait ainsi forcée d’aller à l’encontre de son objectif de restructuration et d’amélioration de sa compétitivité. Elle devrait acheter des quotas d’émission supplémentaires pour couvrir les capacités de production initialement destinées à être fermées et transférées vers des installations établies dans d’autres États membres et continuer à exploiter des installations moins rentables dans le seul but de ne pas perdre les quotas déjà alloués.

84      La requérante ajoute qu’elle est également le seul opérateur de l’ensemble des secteurs visés par l’annexe I de la directive attaquée qui soit confronté au problème du transfert transfrontalier de capacités de production entre des installations établies dans différents États membres. Ce problème n’affecterait pas les secteurs du ciment, du verre, de l’énergie et du papier, dont les installations seraient, à la différence des installations de production d’acier, implantées soit près des clients, soit dans des zones offrant des matières premières en quantité suffisante. Par conséquent, pour les producteurs de ces secteurs, la fermeture d’une installation dans un État membre et le transfert de la production dans un autre État membre ne serait pas une option plausible.

85      Toutefois, au regard de la liberté d’établissement, il n’y aurait aucune justification pour laisser à la discrétion des États membres la question de savoir dans quelle mesure des transferts transfrontaliers de capacités de production sont possibles. Cela serait d’autant plus vrai qu’il existe des incitations économiques et politiques importantes pour les États membres à ne pas permettre un tel transfert de capacités de production, y compris celui des quotas d’émission qui y sont associés. D’une part, du point de vue de l’État membre ayant initialement alloué ces quotas, il n’y aurait aucun intérêt à faciliter un tel transfert et à subir la perte, sur son territoire, tant des capacités de production concernées et des emplois qui y sont rattachés que des quotas déjà alloués. D’autre part, l’État membre de destination d’un tel transfert, en particulier lorsque cet État est de petite taille, n’aurait pas nécessairement intérêt à allouer gratuitement des quotas au nouvel entrant, compte tenu du risque de dépasser son plafond national de quotas et, par conséquent, de violer ses obligations de réduction au titre de la décision 2002/358 et du protocole de Kyoto. Ainsi qu’il ressortirait du point 5 de l’annexe 4 des orientations complémentaires de la Commission (voir point 14 ci-dessus), ces réticences seraient confirmées par le fait que la plupart des États membres ne permettent pas le transfert transfrontalier de quotas. Dans ces orientations, la Commission aurait elle-même attiré l’attention sur cette problématique en soulignant que, pendant la première période d’allocation, les États membres auraient adopté une multitude de règles concernant les réserves pour les nouveaux entrants, les fermetures et les transferts, ce qui contribuerait à une grande complexité et à un manque de transparence sur le marché intérieur et risquerait d’entraîner des distorsions de concurrence. Elle en aurait tiré la conclusion qu’il est nécessaire d’envisager l’établissement d’une réserve communautaire ainsi qu’une harmonisation des règles administratives applicables aux nouveaux entrants, aux fermetures et aux transferts transfrontaliers au sein du marché intérieur (annexe 7 des orientations complémentaires de la Commission). La requérante invoque également une étude selon laquelle, dans le système d’échange de quotas, compte tenu de l’intérêt des États membres à conserver les impôts et les emplois rattachés aux installations établies sur leur territoire, il serait actuellement rationnel pour eux soit de retirer les quotas aux installations fermées, soit de subordonner, à tout le moins, le maintien de ces quotas à l’ouverture d’une nouvelle installation sur leur territoire afin d’éviter que l’exploitant ne quitte le pays. Or, il pourrait en résulter une concurrence réglementaire économiquement inefficace et politiquement indésirable entre les États membres afin de retenir et d’attirer les investissements. Pour ces raisons, cette étude conclurait à la nécessité d’une harmonisation, au niveau communautaire, des règles permettant aux installations de conserver leurs quotas même dans le cas d’une fermeture. Par conséquent, selon la requérante, l’effet utile de la liberté d’établissement ne saurait être sauvegardé que par l’intervention du législateur communautaire lui-même.

86      En cinquième lieu, la requérante estime être particulièrement affectée par la directive attaquée en raison de contrats à long terme la liant depuis longtemps à des centrales électriques n’appartenant, en partie, pas à son groupe, qui auraient pour objet la livraison de gaz de hauts-fourneaux contenant du monoxyde de carbone, du CO2 et de l’azote aux fins de la production d’électricité. La requérante se pose la question de savoir si, au regard de l’article 3, sous b) et e), de la directive attaquée, les quotas d’émission en cause doivent lui être alloués ou l’être à la centrale électrique. Au cas où ces quotas reviendraient à la centrale électrique, la situation de la requérante serait encore aggravée, dès lors qu’elle devrait, le cas échéant, acquérir les quotas nécessaires sur le marché d’échange ou, dans l’hypothèse de la cessation de la livraison à la centrale électrique, brûler ses gaz de hauts-fourneaux sans pour autant disposer du nombre correspondant de quotas. Il en résulterait un sérieux désavantage concurrentiel pour la requérante par rapport à ses concurrents utilisant leurs propres centrales électriques.

87      En sixième lieu, enfin, la requérante relève que, en raison de son affectation particulière par les dispositions litigieuses, elle a été étroitement associée à la procédure législative, notamment durant différentes réunions avec des représentants de la Commission, du Parlement et du Conseil. Dans ce cadre, dans un premier temps, un certain nombre d’objections exprimées par la requérante auraient été prises en compte pour finalement être rejetées sans aucune motivation.

88      Au vu de ce qui précède, la requérante conclut qu’elle aurait établi l’existence d’un ensemble d’éléments qui lui sont particuliers et qui la caractérisent par rapport à toute autre personne pour rendre sa demande d’annulation recevable au titre de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

89      S’agissant de la fin de non-recevoir soulevée par le Parlement, relative à la demande d’annulation partielle de la directive attaquée, la requérante souligne qu’elle ne demande pas la suppression complète des dispositions litigieuses, mais seulement que soit écartée leur application aux installations de production de fonte brute ou d’acier. Dès lors, cette demande n’impliquerait aucune modification du système d’échange de quotas pour les autres secteurs couverts par l’annexe I de la directive attaquée. En effet, le champ d’application de la directive attaquée pourrait soit être étendu à d’autres secteurs, comme cela a déjà été proposé pour les secteurs des métaux non ferreux et des produits chimiques, soit être restreint sans que cela porte atteinte au fonctionnement et à la substance même du système d’échange de quotas. Ainsi, l’annulation partielle demandée aurait pour seule conséquence la suppression de la partie – distincte et clairement définie – de l’annexe I de la directive attaquée qui vise les installations de production de fonte brute ou d’acier.

90      Selon la requérante, même à considérer que les dispositions litigieuses ne puissent être détachées de la directive attaquée dans son ensemble, la demande d’annulation est néanmoins recevable. En effet, si l’annulation partielle s’avérait impossible, il faudrait interpréter cette demande comme tendant à l’annulation de la totalité de la directive attaquée. Cette appréciation découlerait de la nécessité d’interpréter les conclusions au regard de leur contexte et des objectifs poursuivis par la requête qui vise à mettre fin à la violation des droits fondamentaux de la requérante. Au cas où le Tribunal n’adopterait pas l’approche défendue au point 89 ci-dessus, la requérante demande, à titre subsidiaire, l’annulation complète de la directive attaquée, ce qui serait encore possible après le dépôt de la requête.

91      La requérante conclut de tout ce qui précède que la demande d’annulation est recevable.

92      Dans ses observations sur les conséquences à tirer de l’entrée en vigueur de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, la requérante avance, en substance, d’une part, que cette disposition est applicable à la présente procédure, et, d’autre part, que la directive attaquée, de par son contenu, constitue un acte réglementaire au sens de cette disposition au motif que les dispositions contestées ne laissent aucune marge d’appréciation aux États membres quant à leur mise en œuvre, dispensant ainsi la requérante de la démonstration de son affectation individuelle par ladite directive.

B –  Appréciation du Tribunal

93      Aux termes de l’article 230, quatrième alinéa, CE, toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

94      Il ressort d’une jurisprudence constante que la seule circonstance que cette disposition du traité ne reconnaît pas expressément la recevabilité d’un recours en annulation introduit par un particulier à l’encontre d’une directive au sens de l’article 249, troisième alinéa, CE ne suffit pas pour déclarer un tel recours irrecevable. En effet, les institutions communautaires ne sauraient exclure la protection juridictionnelle offerte aux particuliers par le traité par le seul choix de la forme de l’acte en cause, même s’il revêt celle d’une directive (ordonnances du Tribunal du 10 septembre 2002, Japan Tobacco et JT International/Parlement et Conseil, T‑223/01, Rec. p. II‑3259, point 28 ; du 30 avril 2003, Villiger Söhne/Conseil, T‑154/02, Rec. p. II‑1921, point 39 ; du 6 septembre 2004, SNF/Commission, T‑213/02, Rec. p. II‑3047, point 54, et du 25 avril 2006, Kreuzer Medien/Parlement et Conseil, T‑310/03, non publié au Recueil, points 40 et 41). De même, le seul fait que les dispositions litigieuses fassent partie d’un acte de portée générale qui constitue une véritable directive et non une décision, au sens de l’article 249, quatrième alinéa, CE, prise sous l’apparence d’une directive, ne suffit pas en soi pour exclure la possibilité que ces dispositions puissent concerner directement et individuellement un particulier (voir, en ce sens, ordonnances Japan Tobacco et JT International/Parlement et Conseil, précitée, point 30, et du 6 mai 2003, Vannieuwenhuyze-Morin/Parlement et Conseil, T‑321/02, Rec. p. II‑1997, point 21).

95      En l’espèce, force est de constater que la directive attaquée, tant par sa forme que par sa substance, est un acte de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et qui produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite, à savoir tous les exploitants d’installations exerçant une activité visée à l’annexe I de la directive attaquée, y compris celle de la production de fonte ou d’acier dont la requérante fait partie.

96      Toutefois, il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, les dispositions d’un tel acte de portée générale puissent concerner directement et individuellement certains d’entre eux (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C‑358/89, Rec. p. I‑2501, point 13 ; Codorníu/Conseil, point 55 supra, point 19, et du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 36).

97      Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence constante que la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par l’acte faisant l’objet du recours, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, requiert que cet acte produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation communautaire, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêts de la Cour du 29 juin 2004, Front national/Parlement, C‑486/01 P, Rec. p. I‑6289, point 34, et du 22 mars 2007, Regione Siciliana/Commission, C‑15/06 P, Rec. p. I‑2591, point 31).

98      Le Tribunal estime opportun d’examiner, à titre principal, si la requérante est individuellement concernée par les dispositions litigieuses. Ce n’est qu’à titre subsidiaire que le Tribunal examinera également, le cas échéant, si la requérante est directement concernée par ces dispositions.

99      Ainsi qu’il a été reconnu par une jurisprudence constante, une personne physique ou morale autre que le destinataire d’un acte ne saurait prétendre être concernée individuellement, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, que si elle est atteinte, par l’acte en cause, en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le serait le destinataire de l’acte (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223 ; Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, point 96 supra, point 36, et du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré, C‑263/02 P, Rec. p. I‑3425, point 45).

100    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de vérifier si les obligations résultant éventuellement des dispositions litigieuses sont susceptibles d’individualiser la requérante comme un destinataire. À cet égard, il convient de rappeler que la requérante demande l’annulation, premièrement, de l’article 4 de la directive attaquée établissant la nécessité de détenir une autorisation d’émission, deuxièmement, de son article 6, paragraphe 2, sous e), et de son article 12, paragraphe 3, prévoyant l’obligation de restitution des quotas correspondant aux émissions totales de l’installation au cours de l’année civile écoulée, troisièmement, de son article 9, lu conjointement avec le critère n° 1 de son annexe III, concernant l’établissement des PNA et la prétendue obligation des États membres d’allouer aux exploitants d’installations une quantité maximale de quotas d’émission et, quatrièmement, de son article 16, paragraphes 2 à 4, relatif aux sanctions en cas de non-respect de l’obligation de restitution, dans la mesure où toutes ces dispositions sont applicables, en vertu de l’article 2 de la directive attaquée, lu conjointement avec son annexe I, aux producteurs de fonte ou d’acier.

101    À l’appui de son allégation d’affectation individuelle par les dispositions litigieuses, en premier lieu, la requérante avance, en substance, que le législateur communautaire était tenu, au titre de plusieurs règles supérieures de droit, y compris ses droits fondamentaux, de tenir compte de la situation particulière des producteurs de fonte ou d’acier établis sur le marché intérieur, et en particulier de la sienne (arrêts Piraiki-Patraiki e.a./Commission, point 55 supra, point 19 ; Sofrimport/Commission, point 55 supra, point 11, et UEAPME/Conseil, point 55 supra, point 90).

102    À cet égard, il y a lieu de relever qu’il n’existe aucune disposition expresse et spécifique, soit de rang supérieur, soit de droit dérivé, qui aurait obligé le législateur communautaire, lors du processus d’adoption de la directive attaquée, à tenir particulièrement compte de la situation des producteurs de fonte ou d’acier, voire de celle de la requérante, par rapport à celle des opérateurs des autres secteurs industriels visés par l’annexe I de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 17 janvier 2002, Rica Foods/Commission, T‑47/00, Rec. p. II‑113, points 41 et 42 ; voir, également, ordonnances du Tribunal du 6 mai 2003, DOW AgroSciences/Parlement et Conseil, T‑45/02, Rec. p. II‑1973, point 47 ; du 25 mai 2004, Schmoldt e.a./Commission, T‑264/03, Rec. p. II‑1515, point 117, et du 16 février 2005, Fost Plus/Commission, T‑142/03, Rec. p. II‑589, points 61 à 65). Ainsi, notamment l’article 174 CE et l’article 175, paragraphe 1, CE, en tant que bases juridiques pour l’activité réglementaire de la Communauté en matière d’environnement, ne prévoient pas une telle obligation. En outre, hormis la référence à ses droits fondamentaux et à certains principes généraux de droit la protégeant, la requérante n’invoque aucune règle supérieure concrète la visant spécifiquement ou, à tout le moins, visant les producteurs de fonte et d’acier, qui serait susceptible de créer une telle obligation en sa faveur.

103    Or, bien qu’il soit vrai que, lors de l’adoption d’un acte de portée générale, les institutions communautaires sont tenues de respecter les règles supérieures de droit, y compris les droits fondamentaux, l’allégation selon laquelle un tel acte viole ces règles ou ces droits ne suffit pas à elle seule à déclarer le recours d’un particulier recevable, sous peine de vider les exigences de l’article 230, quatrième alinéa, CE de leur substance, tant que cette violation alléguée n’est pas de nature à l’individualiser de manière analogue à celle dont le serait le destinataire (voir, en ce qui concerne le droit de propriété, ordonnance du Tribunal du 28 novembre 2005, EEB e.a./Commission, T‑94/04, Rec. p. II‑4919, points 53 à 55 ; voir également, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 29 juin 2006, Nürburgring/Parlement et Conseil, T‑311/03, non publiée au Recueil, points 65 et 66). Dans ce contexte, la requérante ne saurait valablement invoquer l’arrêt Codorníu, point 55 supra (points 20 à 22), dans le cadre duquel la recevabilité du recours contre le règlement attaqué découlait du seul caractère individualisant, au regard des dispositions contestées, de la dénomination en cause sur le fondement de laquelle la partie requérante était depuis très longtemps l’unique titulaire d’un droit de marque.

104    En tout état de cause, la requérante n’a pas établi que les dispositions litigieuses, en particulier l’obligation d’autorisation d’émission au titre de l’article 4 de la directive attaquée, l’obligation de restitution au titre de son article 12, paragraphe 3, lu conjointement avec son article 6, paragraphe 2, sous e), ainsi que les sanctions prévues à l’article 16, paragraphes 2 à 4, de ladite directive portaient atteinte à ses droits fondamentaux et lui causaient un préjudice grave de nature à l’individualiser comme un destinataire par rapport à tout autre opérateur concerné par ces dispositions (voir, en ce sens, ordonnance Nürburgring/Parlement et Conseil, point 103 supra, point 66). En effet, ces dispositions s’appliquent, de manière générale et abstraite, à tous les opérateurs visés à l’annexe I de la directive attaquée et à des situations déterminées objectivement. Elles sont, dès lors, susceptibles d’affecter la position juridique de tous ces opérateurs de la même façon.

105    Par conséquent, les arguments de la requérante tirés de l’obligation pour le législateur communautaire de respecter certains principes généraux de droit et les droits fondamentaux ne permettent pas de conclure que la requérante est individuellement concernée par les dispositions litigieuses et il n’est dès lors pas besoin d’examiner si, à cet égard, ces dispositions la concernent directement.

106    En deuxième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle ferait partie d’une catégorie fermée d’opérateurs particulièrement affectée par les dispositions litigieuses, d’une part, il y a lieu de rappeler que la possibilité de déterminer, au moment de l’adoption de la mesure contestée, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, tant il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 8 avril 2008, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑503/07 P, Rec. p. I‑2217, point 70, et la jurisprudence qui y est citée). D’autre part, il ne suffit pas que certains opérateurs soient économiquement plus affectés par un acte de portée générale que d’autres pour les individualiser par rapport à ces autres opérateurs, dès lors que l’application de cet acte s’effectue en vertu d’une situation objectivement déterminée (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 18 décembre 1997, Sveriges Betodlares et Henrikson/Commission, C‑409/96 P, Rec. p. I‑7531, point 37 ; ordonnances du Tribunal du 11 septembre 2007, Fels-Werke e.a./Commission, T-28/07, non publiée au Recueil, point 60, et la jurisprudence qui y est citée, et du 10 mai 2004, Bundesverband der Nahrungsmittel- und Speiseresteverwertung et Kloh/Parlement et Conseil, T‑391/02, Rec. p. II‑1447, point 53, et la jurisprudence qui y est citée).

107    Or, force est de constater que la requérante est affectée par les dispositions litigieuses principalement dans sa capacité objective en tant que, d’une part, exploitante d’installations produisant des émissions de gaz à effet de serre et, d’autre part, productrice de fonte et d’acier, et ce au même titre que tout autre opérateur ou producteur de fonte ou d’acier dont l’activité est visée par l’annexe I de la directive attaquée. Dès lors, même si, à l’époque de l’entrée en vigueur de la directive attaquée, la requérante faisait partie d’un groupe de seulement quinze producteurs de fonte ou d’acier opérant au sein du marché intérieur, cette seule circonstance ne suffit pas à l’individualiser de manière analogue à celle dont un destinataire le serait vis-à-vis de l’ensemble des autres opérateurs exerçant des activités au sens de l’annexe I de la directive attaquée, en ce compris les producteurs de fonte ou d’acier de ce même groupe.

108    En outre, même à considérer que les producteurs de fonte ou d’acier constituent un groupe d’opérateurs particulièrement affecté, ils sont tous susceptibles de subir les mêmes conséquences juridiques et factuelles que la requérante en raison d’une situation objectivement déterminée, à savoir l’inclusion de leur activité dans l’annexe I de la directive attaquée. Ainsi, la prétendue impossibilité technique et économique pour ces producteurs, à la différence d’opérateurs d’autres secteurs industriels, de réduire davantage leurs émissions de gaz à effet de serre et de répercuter sur leurs clients les coûts supplémentaires encourus lors de l’achat de quotas d’émission affecte le secteur de la production de fonte ou d’acier dans son ensemble et de manière identique. De même, à la suite de la mise en œuvre du système d’échange de quotas, ces producteurs se voient tous exposés, de la même façon, aux évolutions du marché d’échange et du marché des produits en cause, y compris à la concurrence émanant d’autres secteurs industriels ou de producteurs de fonte ou d’acier de pays tiers.

109    Dans ce contexte, il convient de rejeter également la thèse de la requérante selon laquelle les producteurs de fonte ou d’acier établis sur le marché intérieur constituent un cercle fermé d’opérateurs, dont la composition n’est plus susceptible de changer. À cet égard, c’est à juste titre que le Parlement et le Conseil se réfèrent à l’augmentation du nombre de producteurs de fonte ou d’acier relevant du champ d’application de la directive attaquée à la suite de l’élargissement de l’Union depuis 2004 ainsi qu’à la possibilité que d’autres États européens, qui disposent, eux aussi, d’un secteur sidérurgique, y adhèrent à l’avenir. En outre, la requérante n’a pas démontré que, à l’époque de l’entrée en vigueur de la directive attaquée, lesdits producteurs de fonte ou d’acier présentaient des caractéristiques particulières de nature à les distinguer de tout autre producteur ou nouvel entrant, par exemple en ce qu’ils détenaient des droits antérieurs spécifiques (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, Rec. p. I‑1451, points 71 à 77). En effet, à supposer même que ces producteurs aient disposé de droits d’émission accordés au titre de la directive 96/61 (voir point 49 ci-dessus), ces prétendus droits, loin d’être spécifiques, voire propres à la seule requérante, auraient bénéficié, de la même manière, à tous les opérateurs exerçant les activités visées à l’annexe I de ladite directive. Enfin, le seul fait que, selon la requérante, une entrée sur le marché pertinent n’est possible que par le biais d’une acquisition d’un producteur qui y est déjà établi n’exclut pas que l’identité de ce producteur ou du nouvel entrant qui le rachète change et qu’il modifie ainsi la composition du groupe des producteurs en cause.

110    Il en résulte que les effets juridiques des dispositions litigieuses, à savoir les obligations d’autoriser les émissions et de restituer les quotas, les sanctions en cas de non-respect de ces obligations ainsi que le prétendu plafonnement des quotas au titre de l’article 9 de la directive attaquée, affectent l’activité économique et la position juridique des opérateurs visés par l’annexe I de la directive attaquée, y compris ceux du secteur de production de fonte ou d’acier, de la même manière et en raison d’une situation déterminée objectivement. Ces dispositions ne sont, dès lors, pas susceptibles de caractériser la situation factuelle et juridique de la requérante par rapport à ces autres opérateurs et, partant, de l’individualiser de manière analogue à celle dont un destinataire le serait, de sorte qu’il n’est pas besoin d’examiner si elles la concernent directement.

111    En troisième lieu, s’agissant de l’argument tiré de la grande taille de la requérante, du volume annuel de sa production et de son incapacité économique et/ou technologique individuelle à réduire davantage ses émissions de CO2, il y a lieu de constater que la requérante n’explique pas les raisons pour lesquelles les producteurs de fonte ou d’acier concurrents ne seraient pas exposés à des problèmes d’adaptation et à des difficultés analogues en fonction de leur taille, du volume de leur production et de leurs efforts de réduction des émissions. En effet, un opérateur d’une plus petite taille et ayant une production de fonte ou d’acier moindre que celles de la requérante disposera nécessairement d’une quantité de quotas moindre de sorte que, proportionnellement, ses difficultés économiques et/ou technologiques pour réduire ses émissions devraient être comparables à celles de la requérante. Or, conformément à l’annexe I de la directive attaquée, les obligations résultant des dispositions litigieuses s’appliquent, de manière uniforme et générale, à tous les exploitants d’installations dont la production dépasse le seuil qui y est indiqué, sans distinction de leur taille. Par ailleurs, la portée de ces obligations est fonction de la seule quantité d’émission de gaz à effet de serre qui, faute de preuve contraire, est susceptible d’augmenter avec la taille et avec la capacité de production de l’installation en cause, de sorte que tous les exploitants concernés se trouvent dans une situation comparable (voir, en ce sens, arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 42 supra, point 34). Dès lors, la requérante ne saurait valablement faire valoir une affectation particulière qui serait susceptible de l’individualiser comme un destinataire, de sorte qu’il n’est pas besoin d’examiner si, à cet égard, elle est directement concernée.

112    En quatrième lieu, la requérante n’a pas démontré, à suffisance, que sa prétendue « situation d’enfermement unique », notamment en raison de la restructuration de son groupe, était susceptible de l’individualiser par rapport à tout autre opérateur. En effet, même à considérer qu’elle soit le seul producteur de fonte et d’acier établi sur le marché commun ayant entamé une telle restructuration, l’absence d’autres producteurs relevant d’autres secteurs couverts par l’annexe I de la directive attaquée qui subissent des conséquences analogues à la suite de la mise en œuvre de ladite directive au motif qu’ils ont soit procédé, soit renoncé à des démarches similaires n’est pas établie. À cet égard, les allégations de la requérante selon lesquelles les entreprises des autres secteurs visés à l’annexe I de la directive attaquée ne seraient pas susceptibles d’être exposées aux mêmes difficultés qu’elles sont trop vagues et hypothétiques pour exclure une affectation similaire d’autres producteurs, comme ceux du secteur énergétique qui, à la suite de sa libéralisation au niveau communautaire, ont fait l’objet d’une restructuration transfrontalière importante.

113    En tout état de cause, la requérante n’a pas prouvé que son affectation en raison de cette prétendue « situation d’enfermement unique » était spécifiquement imputable aux effets juridiques des dispositions litigieuses en tant que telles de façon à la concerner directement. Selon les propres affirmations de la requérante, cette situation résulte, en substance, premièrement, de la prétendue pénurie de quotas d’émission alloués gratuitement par les autorités étatiques qui la transformerait en « acheteur net de quotas », deuxièmement, de l’éventuelle hausse et/ou du niveau élevé du prix des quotas disponibles sur le marché d’échange, et, troisièmement, de l’impossibilité pour elle de transférer, au sein du marché intérieur, les quotas alloués à des installations devant être fermées à d’autres installations dans lesquelles elle envisage une extension de la capacité de production.

114    De même, à supposer que la restructuration alléguée soit une caractéristique particulière de la requérante, force est de constater que la prétendue « situation d’enfermement unique » découlant des aspects visés au point 112 ci-dessus n’est imputable ni à l’obligation d’autorisation d’émission au titre de l’article 4 de la directive attaquée, ni à l’obligation de restitution au titre de son article 12, paragraphe 3, lu conjointement avec son article 6, paragraphe 2, sous e), ni aux sanctions prévues à l’article 16, paragraphes 2 à 4, de ladite directive, mais constitue, si ladite situation devait se vérifier, la conséquence de la mise en œuvre par les États membres de leurs PNA et des législations pertinentes. Or, ces États disposent, conformément à l’article 9, paragraphe 1, et à l’article 11, paragraphe 1, de la directive attaquée, d’une large marge d’appréciation s’agissant tant de l’attribution des contingents de quotas aux divers secteurs industriels que de la délivrance et du retrait des quotas aux exploitants individuels, y compris en cas de fermeture d’une installation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 7 novembre 2007, Allemagne/Commission, T‑374/04, Rec. p. II‑4431, points 102 à 106).

115    En effet, l’article 4 de la directive attaquée ne fait que soumettre tout exploitant émettant des gaz à effet de serre à une obligation d’obtention d’une autorisation d’émission, sans pour autant spécifier les conditions et les modalités d’allocation, voire de retrait de quotas d’émission, telles qu’elles sont envisagées par certains États membres, dont la requérante prétend qu’elles se trouvent à l’origine de ses difficultés de restructuration. Ce raisonnement s’applique par analogie à l’obligation de restitution prévue à l’article 12, paragraphe 3, de la directive attaquée lu conjointement avec son article 6, paragraphe 2, sous e), et aux sanctions visées à l’article 16, paragraphe 2 à 4, de ladite directive, la requérante n’ayant pas expliqué les raisons pour lesquelles elle considérait que ces dispositions présentent un quelconque lien avec lesdites difficultés. Dans ces circonstances, un éventuel préjudice subi par la requérante du fait de l’augmentation des coûts d’acquisition de quotas et/ou d’une éventuelle perte de quotas, même substantielle et plus lourde que pour d’autres opérateurs, à la suite de la fermeture d’une de ses installations et du retrait des quotas qui y sont afférents par les autorités étatiques, ne saurait être imputé aux obligations découlant de ces dispositions afin de fonder son affectation directe au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

116    Enfin, dans la mesure où la requérante conteste également l’article 9 de la directive attaquée, lu conjointement avec le critère n° 1 de son annexe III au motif qu’il prévoirait l’imposition aux États membres d’un « plafond absolu de quotas », il suffit de relever que, même à considérer ce dernier argument fondé, un tel plafond n’aurait pas pour effet d’affecter directement la requérante, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, dès lors qu’il ne permettrait pas d’identifier, ne serait-ce qu’approximativement, le nombre de quotas devant être alloué par les autorités étatiques aux divers secteurs industriels et encore moins aux exploitants individuels. Ce constat se voit confirmé par le fait que, en cours d’instance, la requérante n’a été capable de préciser ou d’anticiper, au regard de la directive attaquée et de la décision 2002/358, ni la quantité de quotas que les États membres lui alloueront gratuitement pour ses installations de production établies sur le marché intérieur ni la portée de la charge éventuelle qu’elle devrait subir en cas d’insuffisance de ces quotas.

117    Par conséquent, la requérante n’a pas établi qu’elle était directement et individuellement concernée par les dispositions litigieuses en raison de sa prétendue « situation d’enfermement unique » résultant notamment de la restructuration transfrontalière de son groupe.

118    En cinquième lieu, en ce qui concerne les contrats de livraison de gaz à long terme que la requérante prétend avoir passés avec plusieurs centrales électriques avant l’entrée en vigueur de la directive attaquée, ils ne sont pas non plus susceptibles de l’individualiser au regard des dispositions litigieuses. En effet, ces dispositions régissent, de manière générale et abstraite, les obligations des opérateurs soumis au système d’échange de quotas, sans pour autant préciser les conditions et les modalités de l’octroi ou du retrait par les États membres des quotas d’émission (voir points 112 à 116 ci-dessus). Il s’ensuit en tout état de cause qu’une éventuelle affectation de l’exécution de ces contrats de livraison de gaz ne peut résulter que des règles nationales régissant l’allocation des quotas de sorte que, à cet égard, la requérante n’est pas non plus fondée à soutenir qu’elle est directement concernée. Par ailleurs, ainsi que le fait valoir le Conseil, la requérante avance elle-même que ces contrats de livraison de gaz concernent, à tout le moins en partie, des centrales électriques appartenant à son propre groupe d’entreprises. Ainsi, dans la mesure où l’activité de ces centrales électriques entre dans le champ d’application de l’annexe I de la directive attaquée en ce qu’elle dépasse le volume de production qui y est visé, la requérante disposera nécessairement, sur le fondement des PNA et des règles nationales applicables, de quotas d’émission aux fins de la combustion des gaz en cause. Enfin, nonobstant le fait que la production d’énergie constitue, en principe, une activité couverte par l’annexe I de la directive attaquée, la requérante n’a ni précisé dans quelle mesure ces contrats de livraison de gaz la liaient à des centrales électriques tierces, ni indiqué si ces dernières étaient susceptibles d’obtenir des quotas d’émission pour leur propre compte ou en avaient besoin du fait de leur inclusion dans cette annexe, ni expliqué à quelles conditions une éventuelle insuffisance de quotas pour elles était de nature à affecter l’exécution desdits contrats. Dans ces circonstances, il convient de conclure que la requérante n’a pas démontré qu’elle était directement et individuellement concernée par les dispositions litigieuses du fait de la prétendue affectation de l’exécution des contrats de livraison de gaz à long terme en cause.

119    En sixième lieu, s’agissant de l’argument, très peu circonstancié, de la requérante selon lequel elle aurait participé au processus décisionnel ayant conduit à l’adoption de la directive attaquée, il convient de rappeler que le fait qu’une personne intervienne, d’une manière ou d’une autre, dans le processus menant à l’adoption d’un acte communautaire n’est de nature à individualiser cette personne en ce qui concerne l’acte en question que lorsque la réglementation communautaire applicable lui accorde certaines garanties de procédure. Or, sauf disposition expresse contraire, ni le processus d’élaboration des actes de portée générale ni ces actes eux-mêmes n’exigent, en vertu des principes généraux du droit communautaire, tels que le droit d’être entendu, la participation des personnes affectées, les intérêts de celles-ci étant censés être représentés par les instances politiques appelées à adopter ces actes. Par conséquent, en l’absence de droits procéduraux expressément garantis, il serait contraire aux termes et à l’esprit de l’article 230 CE de permettre à tout particulier, uniquement parce qu’il a participé à la préparation d’un acte de nature réglementaire, d’introduire ensuite un recours contre cet acte (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 14 décembre 2005, Arizona Chemical e.a./Commission, T-369/03, Rec. p. II‑5839, points 72 à 73, et la jurisprudence qui y est citée).

120    En l’espèce, force est de constater que, d’une part, la procédure d’élaboration et d’adoption de la directive attaquée, en vertu de l’article 175, paragraphe 1, CE et de l’article 251 CE, constituait un processus décisionnel impliquant la participation conjointe du Conseil et du Parlement en tant que législateur communautaire et débouchant sur l’adoption d’une mesure de portée générale, sans qu’une quelconque intervention de la part des opérateurs ne soit prévue dans ce contexte, et que, d’autre part, la requérante n’a ni fait valoir ni démontré qu’elle disposait de droits procéduraux de nature à fonder sa qualité pour agir au sens de la jurisprudence citée au point 119 ci-dessus.

121    Il s’ensuit que la prétendue participation de la requérante au processus décisionnel ayant conduit à l’adoption de la directive attaquée n’est pas susceptible de l’individualiser au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, sans qu’il soit besoin d’examiner son affectation directe à cet égard.

122    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante n’est soit pas individuellement, soit pas directement concernée par les dispositions litigieuses, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, et que sa demande d’annulation doit être déclarée irrecevable, sans qu’il soit besoin d’examiner si les dispositions litigieuses sont détachables ou non de l’ensemble de la directive attaquée.

123    Cette solution n’est, au demeurant, pas remise en cause par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 114 ci-dessus, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation pour mettre en œuvre la directive attaquée. Dès lors, contrairement à ce qu’allègue la requérante, cette directive ne peut, en tout état de cause, être considérée comme un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

II –  Sur la recevabilité de la demande en réparation

A –  Arguments des parties

124    Le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, font valoir que la demande en réparation est également irrecevable.

125    La demande de la requérante ne serait pas conforme aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure en ce que, d’une part, le dommage allégué n’est ni imminent, ni certain, ni suffisamment identifié, et, d’autre part, il n’existe pas de lien de causalité direct entre la directive attaquée et ce dommage. Le Parlement ajoute que la requérante ne s’est pas acquittée de sa charge de prouver que le choix du législateur communautaire porte gravement et manifestement atteinte aux règles supérieures de droit invoquées, telles que le principe d’égalité de traitement. Ainsi, elle n’aurait pas démontré que les secteurs de la chimie et de l’aluminium occupent le même segment de marché que le secteur de la fonte et de l’acier et que ces secteurs produisent des émissions directes de CO2 d’une importance telle qu’ils auraient dû être inclus d’emblée dans la directive attaquée.

126    S’agissant de l’existence d’un dommage, le Conseil fait valoir que la directive attaquée, quoiqu’elle était déjà en vigueur, n’avait pas encore eu, au stade du dépôt de la requête, le moindre effet direct sur l’activité économique de la requérante et que d’éventuels effets futurs ne sauraient être considérés comme imminents. En outre, la requérante n’aurait pas prouvé l’existence d’un dommage certain, cela étant impossible à ce stade pour plusieurs raisons. À cet égard, le Parlement et le Conseil soutiennent, notamment, que la prétendue situation d’« acheteur net de quotas » de la requérante n’est qu’hypothétique et non une conséquence directe, nécessaire et certaine de la directive attaquée.

127    Selon le Conseil, la question de savoir si la requérante deviendra un « acheteur net de quotas » dépend d’une série de facteurs inconnus et non avérés en l’espèce, tels que la quantité totale de quotas initialement allouée par les autorités nationales conformément aux PNA et les coûts de réduction d’émissions par rapport au prix des quotas sur le marché d’échange. La quantité totale de quotas alloués dépendrait, à son tour, de plusieurs facteurs, tels que l’objectif de réduction assigné à l’État membre, son éventuelle intention d’acheter sur le marché mondial des unités d’émission prévues par le protocole de Kyoto ainsi que sa décision quant aux modalités de répartition de la réduction nécessaire des émissions entre les différents secteurs industriels. Le Conseil fait valoir, en outre, que, lorsque les quotas alloués s’avéreront être insuffisants, l’impact de la directive attaquée dépendra, compte tenu du coût d’investissement respectif, du choix de l’exploitant entre, d’une part, l’achat de quotas supplémentaires pour couvrir ses émissions de CO2 et, d’autre part, la prise de mesures de réduction des émissions.

128    L’absence de dommage certain serait corroborée par le fait que la directive attaquée prévoit expressément, aux critères nos 3 et 7 de son annexe III, que la quantité de quotas doit être cohérente avec le potentiel, y compris technologique, des activités des opérateurs et que le PNA peut tenir compte des mesures prises à un stade précoce, comme les réductions d’émissions de CO2 que la requérante affirme avoir effectuées depuis 1990. Par ailleurs, le Conseil rappelle que la requérante peut procéder à un transfert transfrontalier des quotas non utilisés entre les installations au sein de son groupe, cette possibilité formant la base même du système d’échange de quotas.

129    Le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, relèvent que la requérante n’est pas parvenue à établir qu’elle devra encourir des coûts supplémentaires liés à la mise en œuvre de la directive attaquée, tels que les coûts pour le personnel chargé de la surveillance des émissions de CO2 et de l’établissement de rapports, dès lors que ces obligations s’imposent déjà en application de la directive 96/61. Le Conseil fait valoir que les allégations de la requérante quant aux coûts liés à l’emploi de personnel supplémentaire et à la perte de bénéfices futurs sont trop vagues et imprécises pour constituer la preuve d’un dommage futur. De même, les éventuelles pertes de parts de marché ou de bénéfices ne seraient pas certaines et dépendraient de facteurs inconnus et indépendants de la directive attaquée, par exemple de l’évolution des prix de la fonte et de l’acier et de ceux des produits concurrents.

130    Selon le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, la requérante n’a pas non plus démontré l’existence d’un lien de causalité entre la directive attaquée et le prétendu dommage futur qui lui serait causé. Eu égard à la marge d’appréciation réservée aux États membres, la directive attaquée ne pourrait pas en tant que telle causer directement un quelconque dommage à la requérante, celui-ci ne pouvant résulter que des règles nationales de transposition et, en particulier, de l’allocation des quotas d’émission.

131    La requérante estime que sa demande en réparation est conforme aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure et qu’elle est dès lors recevable.

B –  Appréciation du Tribunal

132    Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, lu conjointement avec l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit contenir l’indication de l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde celui-ci ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Plus particulièrement, pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (arrêts du Tribunal du 3 février 2005, Chiquita Brands e.a./Commission, T‑19/01, Rec. p. II‑315, points 64 et 65 ; du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, Rec. p. II-1291, points 36 et 37 ; du 13 décembre 2006, Abad Pérez e.a./Conseil et Commission, T‑304/01, Rec. p. II‑4857, point 44, et É.R. e.a./Conseil et Commission, T‑138/03, Rec. p. II‑4923, point 34 ; ordonnance du Tribunal du 27 mai 2004, Andolfi/Commission, T‑379/02, non publiée au Recueil, points 41 et 42).

133    Le Tribunal estime que la requête satisfait à ces exigences de forme et qu’il convient de rejeter les arguments du Parlement et du Conseil à cet égard, dont la plupart concernent l’appréciation du bien-fondé et non celle de la recevabilité de la demande en réparation. En effet, dans la requête, la requérante a apporté suffisamment d’éléments qui permettent d’identifier le comportement reproché au législateur communautaire, les raisons pour lesquelles elle estime qu’un lien de causalité existe entre ce comportement et le préjudice qu’elle prétend avoir subi ainsi que la nature et l’éventuelle étendue de ce préjudice, ces éléments ayant d’ailleurs permis au Parlement et au Conseil de se défendre utilement à cet égard en avançant des arguments visant, en réalité, à démontrer que la demande en réparation n’est pas fondée.

134    S’agissant du comportement prétendument illégal du Parlement et du Conseil, force est de constater que la requérante a avancé, conformément aux exigences reconnues par la jurisprudence (arrêts de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I-5291, points 39 et suivants, et du 12 juillet 2005, Commission/CEVA et Pfizer, C‑198/03 P, Rec. p. I‑6357, points 61 et suivants), des arguments circonstanciés tendant à démontrer une violation suffisamment caractérisée de plusieurs règles – et ce même de règles supérieures de droit – ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, telles que le principe d’égalité de traitement et la liberté d’établissement.

135    S’agissant du préjudice, il y a lieu de constater, d’abord, que, compte tenu des circonstances au moment du dépôt de la requête, ce préjudice devait nécessairement avoir un caractère futur du fait que la directive attaquée se trouvait encore en cours de transposition dans les ordres juridiques nationaux et que les États membres n’avaient que commencé à préparer leurs PNA et leurs législations quant à la première période d’allocation. En outre, eu égard à la marge d’appréciation des États membres quant à la mise en œuvre du système d’échange de quotas sur leurs territoires en application de leurs PNA (voir point 116 ci-dessus), la requérante ne pouvait pas préciser l’étendue exacte de ce préjudice futur lors de l’introduction de son recours. Or, dans de telles circonstances particulières, auxquelles la requérante s’est référée, il n’est pas indispensable de préciser dans la requête, en tant que condition de recevabilité, l’étendue exacte du préjudice, et moins encore de chiffrer le montant de la réparation demandée, cela étant, en tout état de cause, possible jusqu’au stade de la réplique, à condition que la partie requérante invoque de telles circonstances et indique les éléments qui permettent d’apprécier la nature et l’étendue du préjudice, la partie défenderesse étant, dès lors, en mesure d’assurer sa défense (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal Andolfi/Commission, point 132 supra, points 48 et 49, et la jurisprudence qui y est citée, et du 22 juillet 2005, Polyelectrolyte Producers Group/Conseil et Commission, T‑376/04, Rec. p. II‑3007, point 55).

136    Il convient de relever ensuite que la requérante a avancé suffisamment d’éléments caractérisant son préjudice futur, en ce compris sa nature, son étendue et ses différentes composantes, pour remplir les conditions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. En effet, dans la requête, premièrement, la requérante s’est référée au dommage résultant des coûts supplémentaires engendrés par l’emploi de personnel devant exercer les activités de surveillance et de déclaration au titre des articles 14 et 15 de la directive attaquée. En outre, dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité, la requérante a avancé une estimation chiffrée concrète de ces coûts supplémentaires. Deuxièmement, la requérante a fait valoir un préjudice tant matériel que moral résultant de la perte de parts de marché et de l’atteinte à sa réputation en matière environnementale causées par l’omission d’inclure les secteurs concurrents des métaux non ferreux et des produits chimiques dans le champ d’application de la directive attaquée. Troisièmement, la requérante a invoqué, estimations chiffrées à l’appui (voir points 80 et 81 ci-dessus), la survenance d’un préjudice du fait de sa situation d’« acheteur net de quotas » et de la hausse prévisible des coûts de ces quotas qui serait susceptible d’annihiler sa marge bénéficiaire brute. Quatrièmement, la requérante a demandé la réparation de la perte de profit résultant de l’impossibilité pour elle d’exécuter sa stratégie de restructuration transfrontalière. Il s’ensuit que les conditions minimales relatives à l’identification du préjudice sont remplies en l’espèce.

137    S’agissant, enfin, du lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice, la requérante a fait valoir avec suffisamment de précision, conformément à la logique de son raisonnement, que l’État membre ne disposait pas de marge d’appréciation quant à la transposition en droit national des dispositions litigieuses et des obligations qui en découlent pour les opérateurs et que, partant, tout éventuel préjudice subi par elle serait imputable au comportement prétendument illégal du législateur communautaire. À cet égard, ne sauraient être accueillis les arguments du Parlement, du Conseil et de la Commission selon lesquels la requérante aurait dû « établir » ou « prouver » un tel lien de causalité pour rendre la demande recevable, une telle appréciation relevant de l’examen du bien-fondé de ladite demande et non de sa recevabilité.

138    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les exceptions d’irrecevabilité du Parlement et du Conseil dans la mesure où elles visent la demande en réparation.

III –  Sur le bien-fondé de la demande en réparation

A –  Sur les conditions engageant la responsabilité non contractuelle de la Communauté

139    Il ressort d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué [voir arrêt de la Cour du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, Rec. p. I‑10833, point 26, et la jurisprudence qui y est citée ; arrêts du Tribunal du 16 novembre 2006, Masdar (UK)/Commission, T‑333/03, Rec. p. II‑4377, point 59 ; Abad Pérez e.a./Conseil et Commission, point 132 supra, point 97 ; É.R. e.a./Conseil et Commission, point 132 supra, point 99, et du 12 septembre 2007, Nikolaou/Commission, T‑259/03, non publié au Recueil, point 37].

140    Étant donné le caractère cumulatif de ces conditions, le recours doit être rejeté dans son ensemble lorsqu’une seule de ces conditions n’est pas remplie (voir, en ce sens, arrêts Abad Pérez e.a./Conseil et Commission, point 132 supra, point 99, et É.R. e.a./Conseil et Commission, point 132 supra, point 101, et la jurisprudence qui y est citée).

141    S’agissant de la première de ces conditions, il est exigé que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, point 134 supra, point 42). Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. C’est seulement lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, que la simple infraction au droit communautaire peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêt de la Cour du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I-11355, point 54 ; arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II-1975, point 134 ; Abad Pérez e.a./Conseil et Commission, point 132 supra, point 98, et É.R. e.a./Conseil et Commission, point 132 supra, point 100).

142    Il convient d’apprécier, dans un premier temps, le bien-fondé des moyens d’illégalité invoqués par la requérante à la lumière des critères énoncés au point 141 ci-dessus.

143    À cet égard, il y a lieu, dans le contexte de la présente espèce, de préciser qu’une éventuelle violation suffisamment caractérisée des règles de droit en cause doit reposer sur une méconnaissance manifeste et grave des limites du large pouvoir d’appréciation dont le législateur communautaire dispose dans l’exercice des compétences en matière environnementale au titre des articles 174 CE et 175 CE (voir, en ce sens et par analogie, d’une part, arrêts du Tribunal du 1er décembre 1999, Boehringer/Conseil et Commission, T‑125/96 et T‑152/96, Rec. p. II‑3427, point 74, et du 10 février 2004, Afrikanische Frucht-Compagnie/Conseil et Commission, T‑64/01 et T‑65/01, Rec. p. II‑521, point 101, et la jurisprudence qui y est citée, et, d’autre part, arrêts du Tribunal du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, Rec. p. II‑3305, point 166, et du 26 novembre 2002, Artegodan e.a./Commission, T‑74/00, T‑76/00, T‑83/00 à T‑85/00, T‑132/00, T‑137/00 et T‑141/00, Rec. p. II‑4945, point 201). En effet, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique, d’une part, la nécessité pour le législateur communautaire d’anticiper et d’évaluer des évolutions écologiques, scientifiques, techniques et économiques de caractère complexe et incertain, et, d’autre part, la mise en balance et l’arbitrage par ce législateur entre les différents objectifs, principes et intérêts visés à l’article 174 CE (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech, C‑284/95, Rec. p. I‑4301, points 36 et 37 ; du 15 décembre 2005, Grèce/Commission, C‑86/03, Rec. p. I‑10979, point 88, et Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 42 supra, points 57 à 59 ; voir également, par analogie, arrêt Chiquita Brands e.a./Commission, point 132 supra, point 228). Cela se traduit dans la directive attaquée par l’établissement d’une série d’objectifs et de sous-objectifs partiellement contradictoires (voir, en ce sens, arrêts Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 42 supra, points 28 à 33, et Allemagne/Commission, point 114 supra, points 121 à 125 et 136 à 139).

144    Par conséquent, il y a lieu de vérifier si la prétendue violation des règles de droit invoquées par la requérante consiste en une méconnaissance manifeste et grave des limites de la large marge d’appréciation dont disposait le législateur communautaire lors de l’adoption de la directive attaquée.

145    Étant donné que l’argumentation de la requérante à l’appui des deux premiers moyens d’illégalité se confond dans une très large mesure, il convient de les examiner ensemble.

B –  Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit de propriété, de la liberté d’exercer une activité économique et du principe de proportionnalité

1.     Arguments des parties

146    La requérante soutient que les dispositions litigieuses portent atteinte à son droit de propriété et à sa liberté d’exercer une activité économique qui constituent des droits fondamentaux garantis par l’ordre juridique communautaire, tel que cela serait confirmé par les articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1). En effet, des mesures obligatoires subordonnant l’« utilisation de la propriété » à certaines conditions seraient susceptibles de restreindre l’exercice du droit de propriété et, lorsque ces mesures privent un particulier de cet exercice, elles porteraient atteinte à la substance même de ce droit.

147    La requérante estime que les dispositions litigieuses portent atteinte, de manière disproportionnée, à la substance de son droit de propriété et de sa liberté d’exercer une activité économique en l’obligeant à exploiter ses installations dans des conditions économiquement non viables. D’une part, ces dispositions auraient pour conséquence que la requérante deviendrait un « acheteur net de quotas » (voir points 75 et 77 ci-dessus), étant donné que, malgré ses efforts déployés dans le passé et à la différence d’opérateurs d’autres secteurs, il serait techniquement impossible pour elle de réduire davantage, dans un proche avenir, ses émissions de CO2 (voir points 77 et 78 ci-dessus). D’autre part, eu égard aux conditions particulières de concurrence dans le secteur sidérurgique (voir point 79 ci-dessus), la requérante ne serait plus en mesure de répercuter l’augmentation de ses coûts de production sur ses clients (voir point 80 ci-dessus). Par conséquent, elle produirait à perte et devrait soit continuer à exploiter des installations non rentables et inefficientes au sein du marché intérieur, soit les fermer et les transférer dans des pays n’imposant pas d’obligations de réduction d’émissions en vertu du protocole de Kyoto.

148    Dans la réplique, la requérante précise que la directive attaquée entraîne une distorsion de la concurrence à trois titres. Premièrement, alors que l’industrie communautaire serait soumise à des contraintes de réduction d’émissions de CO2 augmentant les coûts de production, les coûts de production dans les pays tiers demeureraient inchangés, voire baisseraient en raison de projets s’inscrivant dans le cadre du mécanisme pour un développement « propre » prévu dans le protocole de Kyoto (voir point 5 ci-dessus). Deuxièmement, au sein du marché intérieur, l’augmentation des coûts de production varierait du fait de divergences entre les objectifs nationaux de réduction d’émissions et entre les politiques nationales d’allocation de quotas. Troisièmement, seule la production de certains produits, dont l’acier, serait visée par le système d’échange de quotas. Or, selon la requérante, tous les produits devraient être visés de la même manière, proportionnellement à la quantité de CO2 émise et compte tenu tant du processus de production que du cycle de vie du produit concerné.

149    La requérante considère que la directive attaquée n’est pas apte à inciter les exploitants d’installations à réduire leurs émissions. D’une part, elle n’encouragerait pas l’innovation technique en ce qu’elle prévoit que les installations nouvelles obtiennent des quotas en fonction de leurs besoins effectifs, ce qui inciterait les producteurs à continuer d’exploiter des installations non rentables. D’autre part, la directive attaquée ne récompenserait pas les réductions d’émissions, en ce compris les efforts de réduction considérables déployés dans le secteur sidérurgique européen dans le passé. Au contraire, la fermeture d’une installation inefficace conduirait à la perte des quotas alloués, dès lors que ces quotas ne pourraient être transférés à des installations établies dans un autre État membre (voir points 83 à 85 ci-dessus). Les producteurs de fonte ou d’acier seraient ainsi dissuadés de réduire leurs émissions ou de transférer leur production à des installations plus efficaces et donc plus favorables à l’environnement. Au regard de cette violation grave de son droit de propriété, de sa liberté d’exercer une activité économique et de sa liberté d’établissement, la requérante doute en outre du fait que l’objectif de la directive attaquée de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de protéger l’environnement puisse être atteint. S’agissant du secteur sidérurgique, en raison de l’exploitation continue d’installations inefficaces et du transfert de la production d’acier dans des pays tiers, il serait probable que, dans son ensemble, aucune réduction des émissions ne pourrait être réalisée.

150    Selon la requérante, il résulte de ces considérations démontrant la violation de son droit de propriété, de sa liberté d’exercer une activité économique et de sa liberté d’établissement, que les dispositions litigieuses violent également le principe de proportionnalité. En vertu de ce principe, la légalité des actes et des mesures communautaires serait subordonnée à la condition que ces actes et mesures soient appropriés et nécessaires à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la réglementation en cause. De même, l’article 5, troisième alinéa, CE exigerait que les actes juridiques de la Communauté n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du traité CE. En outre, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il conviendrait de recourir à la moins contraignante et les charges imposées ne devraient pas être démesurées par rapport aux buts visés. Toutefois, l’inclusion des installations de production de fonte brute ou d’acier dans l’annexe I de la directive attaquée aurait été, dès le début, inapte à contribuer à la réalisation des objectifs de réduction des émissions et de protection de l’environnement de la directive attaquée et les dispositions litigieuses imposeraient une charge lourde et disproportionnée à la requérante, mettant en danger son existence même (voir points 147 à 149 ci-dessus).

151    Le Parlement et le Conseil contestent que la directive attaquée affecte, de manière disproportionnée, le droit de propriété et la liberté d’exercer une activité économique de la requérante. Même à considérer que les obligations en résultant pour la requérante constituent des restrictions à cet égard, celles-ci ne pourraient être qualifiées d’atteinte démesurée et intolérable à ces droits au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi par la directive attaquée et par le système d’échange de quotas, à savoir la protection de l’environnement.

152    Dès lors, les premier et deuxième moyens devraient être rejetés comme non fondés.

2.     Appréciation du Tribunal

153    Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, si le droit de propriété et le libre exercice d’une activité économique font partie des principes généraux du droit communautaire, ces principes n’apparaissent pas pour autant comme des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage du droit de propriété et au libre exercice d’une activité professionnelle, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but recherché, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 30 juin 2005, Alessandrini e.a./Commission, C‑295/03 P, Rec. p. I‑5673, point 86, et la jurisprudence qui y est citée, et arrêt Chiquita Brands e.a./Commission, point 132 supra, point 220).

154    S’agissant plus particulièrement de la prétendue atteinte au droit de propriété, il convient de constater que, hormis l’allégation très générale selon laquelle les dispositions litigieuses ont pour conséquence que la requérante ne serait plus à même d’exploiter, de manière rentable, ses installations de production d’acier établies au sein du marché intérieur, la requérante n’a pas précisé dans quelle mesure son droit de propriété relatif à certains biens corporels ou incorporels faisant partie de ses moyens de production serait effectivement atteint, voire vidé de sa substance du fait de l’application ou de la transposition en droit national desdites dispositions. La requérante n’a pas non plus indiqué lesquelles de ces installations de production seraient particulièrement affectées par les dispositions litigieuses et pour quelles raisons une telle affectation existerait compte tenu de la situation individuelle de chacune de ces installations sur le territoire de leur établissement et à la lumière du PNA pertinent. À cet égard, la requérante s’est bornée à faire valoir, de manière vague, qu’elle ne pourrait pas fermer certaines installations inefficaces et non rentables afin de ne pas perdre les quotas d’émission qui leur sont alloués, sans pour autant expliquer dans quelle mesure cette absence d’efficacité et de rentabilité et les difficultés économiques qui en résultent sont spécifiquement imputables à l’application des dispositions litigieuses en tant que telles. Or, selon ses propres affirmations, ces difficultés économiques existaient déjà bien avant l’opération de concentration de 2001 (voir point 30 ci-dessus) et en ont constitué une des raisons économiques.

155    Par ailleurs, s’agissant de la prétendue violation du droit de propriété et de la liberté d’exercer une activité économique dans leur ensemble, la requérante n’est pas parvenue, ni dans ses écritures ni à l’audience, à expliquer, de manière plausible et preuves concrètes à l’appui, en quoi et dans quelle mesure, en raison de la mise en œuvre de la directive attaquée, elle était susceptible de devenir un « acheteur net de quotas » d’émission dont elle ne pourrait répercuter les coûts sur ses clients. En effet, la requérante n’a pas fait valoir que, au cours de la première période d’allocation, qui s’est terminée en 2007, elle aurait dû acheter des quotas d’émission supplémentaires du fait d’une éventuelle insuffisance de quotas dans une de ses installations de production établies sur le marché intérieur. Au contraire, à l’audience, en réponse à une question du Tribunal, la requérante a reconnu avoir vendu, en 2006, des quotas excédentaires sur le marché d’échange et en avoir retiré un profit de 101 millions d’euros, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience. Il paraît dès lors exclu que, dans leur ensemble, les dispositions litigieuses génèrent nécessairement des conséquences financières négatives portant atteinte au droit de propriété de la requérante et à sa liberté d’exercer une activité économique.

156    Il convient de constater, de plus, que la requérante n’a pas allégué, dans le cadre de sa demande en réparation, que certaines de ses installations de production au sein du marché intérieur avaient subi des pertes en raison de l’application des dispositions litigieuses et elle a omis de produire des chiffres précis relatifs à l’évolution de la profitabilité de ces installations depuis que le système d’échange de quotas est opérationnel. La requérante n’a pas non plus apporté de précisions, d’une part, sur la manière suivant laquelle chacune de ces installations s’était adaptée aux différents objectifs de réduction d’émissions dans les États membres concernés, dont certains, tels que le Royaume d’Espagne, ont même la possibilité d’augmenter les émissions conformément à la décision 2002/358 et au plan de partage des charges, et, d’autre part, sur la question de savoir si le contingent de quotas d’émission auquel elle pouvait prétendre pour ces installations sur le fondement des différents PNA était suffisant ou non. Enfin, à supposer même que les différents PNA et objectifs nationaux de réduction soient susceptibles de porter atteinte aux droits de la requérante, elle n’a ni avancé ni démontré que cette atteinte était imputable aux dispositions litigieuses en tant que telles et non à la législation interne que les États membres ont adoptée dans l’exercice de leur marge de transposition de la directive attaquée au titre de l’article 249, troisième alinéa, CE.

157    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les producteurs d’acier sont incapables, pour des raisons techniques et économiques, de réduire davantage leurs émissions de CO2, il suffit de relever que le critère n° 3 de l’annexe III de la directive attaquée oblige les États membres, aux fins de la détermination de la quantité de quotas d’émission à allouer, à tenir compte du potentiel, y compris du potentiel technologique, de réduction des émissions produites par les activités couvertes par le système d’échange de quotas (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 42 supra, point 57). Il s’ensuit que, lors de l’attribution des quotas aux différents secteurs industriels ainsi qu’aux exploitants d’installations de ces secteurs, les États membres doivent prendre en considération le potentiel de réduction de tous ces secteurs et exploitants, y compris celui du secteur sidérurgique et des producteurs de fonte ou d’acier. En outre, selon le critère n° 7 de l’annexe III de la directive attaquée, « [l]e [PNA] peut tenir compte des mesures [de réduction d’émissions] prises à un stade précoce », de sorte que les États membres ont, à tout le moins, la faculté de tenir compte des efforts de réduction déjà atteints dans le secteur et par les exploitants en cause. Partant, l’éventuelle absence de prise en compte suffisante de cette capacité de réduction par l’État membre, dans le cadre de sa législation de mise en œuvre de la directive attaquée, ne saurait être imputée aux dispositions litigieuses.

158    Dans ces circonstances, il apparaît exclu que les dispositions litigieuses portent atteinte au droit de propriété de la requérante et à sa liberté d’exercer une activité professionnelle, voire que cette prétendue atteinte soit susceptible de lui causer un dommage. Il convient dès lors de conclure que la requérante n’a pas démontré une violation suffisamment caractérisée, ni une restriction disproportionnée de ces droits par les dispositions litigieuses, ni que cette prétendue violation puisse être la cause d’un dommage qu’elle aurait subi.

159    En outre, dans la mesure où la requérante invoque une violation du principe de proportionnalité en tant que moyen d’illégalité autonome, il découle déjà des considérations figurant aux points 154 à 158 ci-dessus qu’elle n’a pas démontré l’existence de la charge lourde et disproportionnée qu’elle prétend avoir subie. De même, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des allégations relatives aux différents dysfonctionnements du système d’échange de quotas (voir points 149 et 150 ci-dessus), doit être rejeté comme manifestement dépourvu de fondement l’argument principal de la requérante selon lequel la participation des producteurs d’acier, en tant que plus gros émetteurs industriels avérés de CO2, serait inapte à ou inappropriée pour contribuer à l’objectif principal de la directive attaquée qui est de protéger l’environnement par la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Enfin, en tout état de cause, la requérante n’a pas établi que le système d’échange de quotas en tant que tel était manifestement inapproprié pour atteindre le but de la réduction des émissions de CO2 et que le législateur communautaire avait ainsi manifestement et gravement méconnu les limites de son large pouvoir d’appréciation.

160    Dès lors, il y a lieu rejeter les moyens d’illégalité tirés d’une violation suffisamment caractérisée du droit de propriété, de la liberté d’exercer une activité économique et du principe de proportionnalité comme non fondés.

C –  Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du principe d’égalité de traitement

1.     Arguments des parties

161    La requérante soutient que les dispositions litigieuses violent le principe d’égalité de traitement.

162    D’une part, les secteurs concurrents des métaux non ferreux et des produits chimiques seraient exclus du champ d’application de la directive attaquée sans aucune justification objective, alors même qu’ils produiraient des émissions de CO2 comparables, voire plus élevées que le secteur sidérurgique. À cet égard, la requérante conteste que l’inclusion dans le système d’échange de quotas du secteur des produits chimiques avec un grand nombre d’installations conduise à un alourdissement administratif considérable. La nécessité d’un effort administratif supplémentaire ne saurait, en tant que telle, justifier une distorsion grave de concurrence, telle que celle existante dans le cas d’espèce. En outre, conformément à la proposition initiale, il aurait fallu inclure, à tout le moins, les grandes installations de fabrication de produits chimiques de base avec des émissions substantielles. S’agissant de l’exclusion du secteur des métaux non ferreux, tels que l’aluminium (considérant 15 de la directive attaquée), le Parlement et le Conseil n’auraient même pas avancé une justification pour cette inégalité de traitement. Enfin, aucune autre mesure n’aurait été imposée à ces secteurs concurrents pour atténuer les distorsions de concurrence susvisées. D’autre part, le fait de traiter, sans justification objective, le secteur sidérurgique et les autres secteurs couverts par l’annexe I de la directive attaquée de la même façon violerait le principe d’égalité de traitement, dès lors que ces secteurs se trouveraient dans des situations différentes. En effet, la « situation d’enfermement unique » des producteurs de fonte ou d’acier (voir points 76 et suivants ci-dessus) les distinguerait de ceux de ces autres secteurs et les mettrait dans une position de « perdant naturel » parmi tous les participants au système d’échange de quotas.

163    Dans la réplique, la requérante précise que les secteurs des métaux non ferreux et des produits chimiques sont comparables au secteur sidérurgique et qu’il existe, comme le confirme la pratique de la Commission en matière de concentrations, des rapports de concurrence entre ces différents secteurs. Ainsi, les grands constructeurs automobiles remplaceraient de plus en plus l’acier par de l’aluminium pour les « pièces externes », telles que le moteur, le capot et les portes. En outre, sur le marché des boissons sans alcool, les canettes en acier seraient de plus en plus remplacées par des canettes en aluminium et par des bouteilles en plastique. Par ailleurs, le seul fait que la quantité totale d’émissions de CO2 du secteur sidérurgique serait supérieure à celle des secteurs de l’aluminium et du plastique ne suffirait pas, à lui seul, pour distinguer ces secteurs, étant donné que d’autres secteurs avec un niveau d’émissions moins important que celui des produits chimiques, à savoir le secteur du verre, des produits céramiques et des matériaux de construction ainsi que le secteur du papier et de l’imprimerie seraient également visés à l’annexe I de la directive attaquée. En effet, ce serait en raison de la comparabilité de ces secteurs que le Parlement avait proposé d’inclure les « installations pour la production et le traitement de l’aluminium » et l’« industrie chimique » dans la directive attaquée. Enfin, le fait que le secteur de l’aluminium soit affecté indirectement par la directive attaquée en raison de l’augmentation du prix de l’électricité ne suffirait pas pour le distinguer du secteur de l’acier, qui en subirait les mêmes conséquences.

164    D’après la requérante, l’article 24 de la directive attaquée ne peut pas être invoqué dans ce contexte. L’inclusion unilatérale, en vertu de cette disposition, d’autres activités et installations dans le système d’échange de quotas ne serait qu’une faculté et non une obligation pour les États membres et serait soumise à l’approbation de la Commission en fonction de différents critères. De toute façon, une éventuelle inclusion, incertaine, par les États membres de secteurs concurrents du secteur sidérurgique n’aurait été possible qu’à partir de 2008 et ne pourrait, dès lors, remédier à une violation du principe d’égalité de traitement durant la première période d’allocation. Enfin, une justification objective pour cette inégalité de traitement ferait défaut, étant donné que les dispositions litigieuses ne seraient ni nécessaires ni proportionnées par rapport à l’objectif de protection de l’environnement poursuivi.

165    À l’audience et dans ses observations sur les conséquences à tirer de l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 42 supra, la requérante a réitéré et complété ses arguments quant à la violation du principe d’égalité de traitement.

166    Le Parlement, le Conseil et la Commission concluent au rejet du présent moyen, d’autant que la Cour aurait définitivement tranché en ce sens dans l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 42 supra.

2.     Appréciation du Tribunal

167    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que le présent moyen d’illégalité, tiré d’une violation suffisamment caractérisée du principe d’égalité de traitement, est subdivisé en deux branches, à savoir, d’une part, un prétendu traitement inégal de situations comparables et, d’autre part, un prétendu traitement égal de situations différentes.

168    S’agissant de la première branche, il y a lieu de se référer aux points 25 et suivants de l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 42 supra, dans lesquels la Cour s’est prononcée comme suit :

« Sur le traitement différencié de situations comparables

25        La violation du principe d’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose que les situations visées sont comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent.

26        Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte communautaire qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêts [de la Cour] du 27 octobre 1971, Rheinmühlen Düsseldorf, 6/71, Rec. p. 823, point 14 ; du 19 octobre 1977, Ruckdeschel e.a., 117/76 et 16/77, Rec. p. 1753, point 8 ; du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C‑280/93, Rec. p. I‑4973, point 74, ainsi que du 10 mars 1998, T. Port, C‑364/95 et C‑365/95, Rec. p. I‑1023, point 83).

27        En l’espèce, la validité de la directive [attaquée] doit s’apprécier quant à l’inclusion du secteur sidérurgique dans son champ d’application et à l’exclusion de celui-ci des secteurs de la chimie et des métaux non ferreux auxquels appartiennent […] respectivement les secteurs du plastique et de l’aluminium.

28        En vertu de son article 1er, la directive [attaquée] a pour objet d’instituer un système […] d’échange de quotas. Comme il ressort des points 4.2 et 4.3 du livre vert [du 8 mars 2000 sur l’établissement dans l’Union européenne d’un système d’échange de droits d’émission des gaz à effet de serre], la Communauté a entendu introduire, par cette directive, un tel système au niveau des entreprises et visant donc les activités économiques.

29        Selon son cinquième considérant, la directive [attaquée] a pour objectif d’instituer ce système afin de contribuer à la réalisation des engagements de la Communauté et de ses États membres au titre du protocole de Kyoto, qui tend à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau empêchant toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique et dont l’objectif final est la protection de l’environnement.

30        La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement, dont relève l’acte législatif en cause au principal et dont un des objectifs principaux est la protection de l’environnement, vise, selon l’article 174, paragraphe 2, CE, à un niveau de protection élevé et se fonde notamment sur les principes de précaution, d’action préventive et du pollueur-payeur (voir arrêts [de la Cour] du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a., C‑157/96, Rec. p. I‑2211, point 64, ainsi que du 1er avril 2008, Parlement/Commission, C‑14/06 et C‑295/06, [Rec. p. I‑1649,] point 75[,] et [la] jurisprudence citée).

[…]

34        Il en résulte que, par rapport à l’objet de la directive [attaquée], aux objectifs de celle-ci visés au point 29 du présent arrêt ainsi qu’aux principes sur lesquels se fonde la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement, les différentes sources d’émission de gaz à effet de serre relevant d’une activité économique se trouvent, en principe, dans une situation comparable, étant donné que toute émission de gaz à effet de serre est susceptible de contribuer à une perturbation dangereuse du système climatique et que tout secteur de l’économie émetteur de tels gaz peut contribuer au fonctionnement du système d’échange de quotas.

35        De plus, il convient de souligner, d’une part, que le vingt-cinquième considérant de la directive [attaquée] énonce que les politiques et mesures devraient être mises en œuvre dans tous les secteurs de l’économie de l’Union, afin de générer des réductions substantielles des émissions, et, d’autre part, que l’article 30 de la directive [attaquée] prévoit qu’un réexamen doit être effectué en vue d’inclure d’autres secteurs dans le champ d’application de celle-ci.

36        Il s’ensuit que, s’agissant de la comparabilité des secteurs en question au regard de la directive [attaquée], l’éventuelle existence d’une relation de concurrence entre ces secteurs ne saurait constituer un critère décisif […]

37        N’est pas non plus essentiel pour apprécier la comparabilité de ces secteurs […] la quantité de CO2 émise par chacun de ceux-ci, compte tenu notamment des objectifs de la directive [attaquée] et du fonctionnement du système d’échange de quotas tels que décrits aux points 31 à 33 du présent arrêt.

38        Les secteurs de la sidérurgie, de la chimie et des métaux non ferreux se trouvent dès lors, aux fins d’un examen de la validité de la directive [attaquée] au regard du principe d’égalité de traitement, dans une situation comparable tout en étant traités de manière différente.

Sur un désavantage résultant d’un traitement différencié de situations comparables

39        [… P]our qu[e l]’on puisse reprocher au législateur communautaire d’avoir violé le principe d’égalité de traitement, il faut qu’il ait traité d’une façon différente des situations comparables entraînant un désavantage pour certaines personnes par rapport à d’autres (voir arrêts [de la Cour] du 13 juillet 1962, Klöckner-Werke et Hoesch/Haute Autorité, 17/61 et 20/61, Rec. p. 615, 652 ; du 15 janvier 1985, Finsider/Commission, 250/83, Rec. p. 131, point 8, ainsi que du 22 mai 2003, Connect Austria, C‑462/99, Rec. p. I-5197, point 115).

[…]

42        La soumission de certains secteurs […] au système […] d’échange de quotas implique, pour les exploitants concernés, d’une part, l’obligation de détenir une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre et, d’autre part, l’obligation de restituer une quantité de quotas correspondant aux émissions totales de leurs installations au cours d’une période déterminée sous peine de sanctions pécuniaires. Si les émissions d’une installation dépassent les quantités attribuées dans le cadre d’un plan national d’allocation de quotas à l’exploitant concerné, celui-ci est tenu de se procurer des quotas supplémentaires en recourant au système d’échange de quotas.

43        En revanche, de pareilles obligations juridiques, visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, n’existent pas au niveau communautaire pour les exploitants d’installations non couvertes par l’annexe I de la directive [attaquée]. Par conséquent, l’inclusion d’une activité économique dans le champ d’application de la directive [attaquée] crée, pour les exploitants concernés, un désavantage par rapport à ceux exerçant des activités qui n’y sont pas incluses.

44        À supposer même que […] la soumission à un tel système n’entraîne pas nécessairement et systématiquement des conséquences économiques défavorables, l’existence d’un désavantage ne saurait, pour ce seul motif, être niée, étant donné que le désavantage à prendre en considération au regard du principe d’égalité de traitement peut également être de nature à influer sur la situation juridique de la personne concernée par une différence de traitement.

45        Par ailleurs, […] le désavantage subi par les exploitants d’installations relevant des secteurs soumis à la directive [attaquée] ne saurait être compensé par des mesures nationales non déterminées par le droit communautaire.

Sur la justification de différence de traitement

46        Le principe d’égalité de traitement ne s’avère, toutefois, pas être violé pour autant que la différence de traitement entre le secteur de la sidérurgie, d’une part, et les secteurs de la chimie et des métaux non ferreux, d’autre part, soit justifiée.

47        Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (voir, en ce sens, arrêts [de la Cour] du 5 juillet 1977, Bela-Mühle Bergmann, 114/76, Rec. p. 1211, point 7 ; du 15 juillet 1982, Edeka Zentrale, 245/81, Rec. p. 2745, points 11 et 13 ; du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C‑122/95, Rec. p. I‑973, points 68 et 71, ainsi que du 23 mars 2006, Unitymark et North Sea Fishermen’s Organisation, C‑535/03, Rec. p. I‑2689, points 53, 63, 68 et 71).

48        Étant donné qu’il s’agit d’un acte législatif communautaire, il appartient au législateur communautaire d’établir l’existence de critères objectifs avancés au titre d’une justification et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence desdits critères (voir, en ce sens, arrêts [de la Cour] du 19 octobre 1977, Moulins et Huileries de Pont-à-Mousson et Providence agricole de la Champagne, 124/76 et 20/77, Rec. p. 1795, point 22, ainsi que du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, précité, point 71).

[…]

57        La Cour a reconnu au législateur communautaire, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation lorsque son action implique des choix de nature politique, économique et sociale et lorsqu’il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes (voir arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C‑344/04, Rec. p. I‑403, point 80). En outre, lorsqu’il est appelé à restructurer ou à créer un système complexe, il lui est loisible de recourir à une approche par étapes (voir, en ce sens, arrêts [de la Cour] du 29 février 1984, Rewe-Zentrale, 37/83, Rec. p. 1229, point 20 ; du 18 avril 1991, Assurances du crédit/Conseil et Commission, C‑63/89, Rec. p. I‑1799, point 11, ainsi que du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑233/94, Rec. p. I‑2405, point 43) et de procéder notamment en fonction de l’expérience acquise.

58        Toutefois, même en présence d’un tel pouvoir, le législateur communautaire est tenu de baser son choix sur des critères objectifs et appropriés par rapport au but poursuivi par la législation en cause (voir, en ce sens, arrêts [de la Cour] du 15 septembre 1982, Kind/CEE, 106/81, Rec. p. 2885, points 22 et 23, ainsi que [du 13 décembre 1984,] Sermide, [106/83, Rec. p. 4209], point 28), en tenant compte de tous les éléments factuels ainsi que des données techniques et scientifiques disponibles au moment de l’adoption de l’acte en question (voir, en ce sens, arrêt [de la Cour] du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech, C‑284/95, Rec. p. I‑4301, point 51).

59        En exerçant son pouvoir d’appréciation, le législateur communautaire doit, en plus de l’objectif principal de protection de l’environnement, tenir pleinement compte des intérêts en présence (voir, concernant des mesures en matière d’agriculture, arrêts [de la Cour] du 10 mars 2005, Tempelman et van Schaijk, C‑96/03 et C‑97/03, Rec. p. I‑1895, point 48, ainsi que du 12 janvier 2006, Agrarproduktion Staebelow, C‑504/04, Rec. p. I‑679, point 37). Dans le cadre de l’examen de contraintes liées à différentes mesures possibles, il y a lieu de considérer que, si l’importance des objectifs poursuivis est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, mêmes considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens, arrêts [de la Cour] du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, points 15 à 17, ainsi que du 15 décembre 2005, Grèce/Commission, C‑86/03, Rec. p. I‑10979, point 96), l’exercice du pouvoir d’appréciation du législateur communautaire ne saurait produire des résultats manifestement moins adéquats que ceux résultant d’autres mesures également appropriées à ces objectifs.

60        En l’espèce, il est constant, d’une part, que le système d’échange de quotas introduit par la directive [attaquée] est un système nouveau et complexe dont la mise en place et le fonctionnement auraient pu être perturbés du fait de l’implication d’un trop grand nombre de participants et, d’autre part, que la délimitation initiale du champ d’application de la directive [attaquée] a été dictée par l’objectif consistant à atteindre une masse critique de participants nécessaire pour l’instauration de ce système.

61        Eu égard à la nouveauté et à la complexité dudit système, la délimitation initiale du champ d’application de la directive [attaquée] et l’approche progressive adoptée, qui se fonde notamment sur l’expérience acquise lors de la première phase de sa mise en œuvre, afin de ne pas perturber la mise en place de ce système, s’inscrivaient dans la marge d’appréciation dont disposait le législateur communautaire.

62        À cet égard, il y a lieu de relever que, si celui-ci pouvait légitimement se baser sur une telle approche progressive pour l’introduction du système d’échange de quotas, il est tenu, notamment au regard des objectifs de la directive [attaquée] et de la politique communautaire dans le domaine de l’environnement, de procéder au réexamen des mesures instaurées, notamment en ce qui concerne les secteurs couverts par la directive [attaquée], à intervalles raisonnables, comme cela est d’ailleurs prévu à l’article 30 de cette directive.

63        Toutefois, […] la marge d’appréciation dont disposait le législateur communautaire en vue d’une approche progressive ne saurait, au regard du principe d’égalité de traitement, l’avoir dispensé de recourir, pour la détermination des secteurs qu’il estimait aptes à être inclus dès le début dans le champ d’application de la directive [attaquée], à des critères objectifs fondés sur les données techniques et scientifiques disponibles au moment de l’adoption de celle-ci.

64        S’agissant, en premier lieu, du secteur de la chimie, il ressort de la genèse de la directive [attaquée], que celui-ci comporte un nombre particulièrement élevé d’installations, à savoir de l’ordre de 34 000, non seulement par rapport aux émissions qu’elles provoquent, mais également par rapport au nombre d’installations actuellement incluses dans le champ d’application de la directive [attaquée], qui est de l’ordre de 10 000.

65        L’inclusion de ce secteur dans le champ d’application de la directive [attaquée] aurait dès lors alourdi la gestion et la charge administrative du système d’échange de quotas, de sorte que l’éventualité d’une perturbation du fonctionnement de ce système lors de sa mise en œuvre du fait de ladite inclusion ne peut être exclue. De plus, le législateur communautaire a pu considérer que les avantages de l’exclusion du secteur entier au début de la mise en œuvre du système d’échange de quotas l’emportaient sur les avantages de son inclusion pour réaliser le but de la directive [attaquée]. Il en résulte que le législateur communautaire a démontré à suffisance de droit qu’il s’est fondé sur des critères objectifs pour exclure du champ d’application de la directive [attaquée], dans la première phase de mise en œuvre du système d’échange de quotas, le secteur entier de la chimie.

66        L’argument […] selon lequel l’inclusion dans le champ d’application de la directive [attaquée] des entreprises dudit secteur émettant une quantité de CO2 supérieure à un certain seuil n’aurait pas posé de problèmes sur un plan administratif ne saurait remettre en cause l’appréciation qui précède.

[…]

69        Au regard de ce qui précède et vu l’approche progressive sur laquelle la directive [attaquée] est fondée, lors de la première phase de mise en œuvre du système d’échange de quotas, le traitement différencié du secteur de la chimie par rapport à celui de la sidérurgie peut être considéré comme justifié.

70        S’agissant, en second lieu, du secteur des métaux non ferreux, […] lors de l’élaboration et de l’adoption de la directive [attaquée], […] les émissions directes de ce secteur s’élevaient en 1990 à 16,2 millions de tonnes de CO2, tandis que le secteur de la sidérurgie en émettait 174,8 millions de tonnes.

71        Eu égard à son intention de délimiter le champ d’application de la directive [attaquée] de manière à ne pas perturber la faisabilité administrative du système d’échange de quotas dans sa phase initiale par l’implication d’un trop grand nombre de participants, le législateur communautaire n’était pas tenu de recourir au seul moyen consistant à introduire, pour chaque secteur de l’économie émetteur de CO2, un seuil d’émission afin de réaliser l’objectif poursuivi. Ainsi, dans des circonstances telles que celles ayant présidé à l’adoption de la directive [attaquée], il pouvait, lors de l’introduction de ce système, valablement délimiter le champ d’application de celle-ci par une approche sectorielle sans excéder les limites du pouvoir d’appréciation dont il disposait.

72        La différence du niveau d’émissions directes entre les deux secteurs concernés est à ce point substantielle que le traitement différencié de ces secteurs peut être, lors de la première phase de mise en œuvre du système d’échange de quotas et vu l’approche progressive sur laquelle la directive [attaquée] est fondée, considéré comme justifié sans que se soit imposée la nécessité pour le législateur communautaire de prendre en considération les émissions indirectes attribuables aux différents secteurs.

73        Il convient dès lors de constater que le législateur communautaire n’a pas violé le principe d’égalité de traitement du fait du traitement différencié de situations comparables en excluant du champ d’application de la directive [attaquée] les secteurs de la chimie et des métaux non ferreux. »

169    Les motifs de l’arrêt de la Cour précité donnant une réponse complète à la première branche du présent moyen d’illégalité, tirée de l’absence de justification d’un traitement inégal entre le secteur sidérurgique et les secteurs des métaux non ferreux et des produits chimiques, il convient de rejeter cette branche comme non fondée.

170    S’agissant de la seconde branche, tirée de l’absence de justification d’un traitement égal du secteur sidérurgique et des autres secteurs visés à l’annexe I de la directive attaquée, alors que, à la différence de ces autres secteurs, le secteur sidérurgique serait un « perdant naturel » se trouvant dans une « situation d’enfermement unique », il suffit de constater que, du point de vue de l’objectif général de protection de l’environnement par la réduction des émissions de gaz à effet de serre et du principe du pollueur-payeur, tous ces secteurs se trouvent dans une situation comparable (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 42 supra, points 29 à 38). En outre, il ressort des points 112 à 116 ci-dessus que la requérante n’a pas démontré que le secteur sidérurgique se trouvait dans une situation particulière qui le distingue de tous les autres secteurs couverts par l’annexe I de la directive attaquée (voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Poares Maduro sous l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 157 supra, point 57).

171    Par conséquent, le moyen d’illégalité tiré d’une violation suffisamment caractérisée du principe d’égalité de traitement doit être rejeté comme non fondé dans sa totalité.

D –  Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée de la liberté d’établissement

1.     Arguments des parties

172    La requérante soutient que les dispositions litigieuses portent gravement atteinte à sa liberté d’établissement au titre de l’article 43, premier alinéa, CE.

173    L’interdiction de restreindre la liberté d’établissement ne s’appliquerait pas seulement aux mesures étatiques, mais lierait également, en tant que principe juridique, la Communauté. En effet, les articles 39 CE et 43 CE viseraient à mettre en œuvre le principe fondamental consacré par l’article 3, paragraphe 1, sous c), CE en vertu duquel, aux fins énoncées à l’article 2 CE, l’action de la Communauté comporte l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes et des services. En outre, les institutions communautaires seraient, elles aussi, tenues de respecter la liberté des échanges, principe fondamental du marché commun, dont découle la liberté d’établissement. La requérante relève que l’article 43 CE garantit que les entreprises peuvent choisir librement, selon des critères économiques, l’emplacement de leur production sur le marché commun. De même, cette liberté fondamentale interdirait la création d’obstacles dans l’État membre d’origine visant à empêcher les délocalisations des entreprises dans un autre État membre, sous peine de vider les droits garantis par l’article 43 CE de leur substance.

174    Or, les dispositions litigieuses porteraient atteinte au droit de la requérante de transférer sa production d’une installation moins rentable dans un État membre vers une installation plus rentable dans un autre État membre, en ne garantissant pas le transfert concomitant des quotas alloués à la capacité de production devant être fermée et transférée (voir points 149 et suivants ci-dessus). Ainsi, sans qu’il y ait une justification objective à cet égard, la requérante devrait continuer à exploiter des capacités de production moins rentables dans le seul but de ne pas perdre ces quotas. Cette restriction à sa liberté d’établissement serait disproportionnée compte tenu du caractère inapproprié de la directive attaquée pour atteindre l’objectif de protection de l’environnement poursuivi (voir point 149 ci-dessus) et de l’importance fondamentale de l’exercice de la liberté d’établissement pour l’accomplissement du marché intérieur.

175    Le Parlement et le Conseil concluent au rejet du présent moyen.

2.     Appréciation du Tribunal

176    Par le présent moyen, la requérante vise à faire valoir, en substance, que, à la lumière de la liberté d’établissement au sens de l’article 43 CE, lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), CE, le large pouvoir d’appréciation du législateur communautaire au titre des articles 174 CE et 175 CE (voir point 143 ci-dessus) est restreint à un point tel qu’il n’a pas légalement pu renoncer à régler lui-même, dans le cadre de la directive attaquée qui a été adoptée en vertu de l’article 175, paragraphe 1, CE, la problématique du libre transfert transfrontalier des quotas d’émission au sein d’un groupe d’entreprises, plutôt que de réserver aux États membres, aux fins de la transposition de ladite directive, une large marge de manœuvre donnant lieu à l’adoption de règles nationales divergentes qui seraient susceptibles d’ériger des entraves illégales à la liberté d’établissement.

177    À cet égard, il convient de relever qu’il ressort d’une jurisprudence établie que les institutions communautaires doivent respecter, au même titre que les États membres, les libertés fondamentales, telles que la liberté d’établissement, qui servent à atteindre un des objectifs essentiels de la Communauté, notamment celui de la réalisation du marché intérieur consacré à l’article 3, paragraphe 1, sous c), CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 février 1984, Rewe-Zentrale, 37/83, Rec. p. 1229, point 18).

178    Toutefois, il ne résulte pas de cette obligation générale que le législateur communautaire est tenu de régir la matière en cause d’une façon telle que la législation communautaire, en particulier lorsqu’elle prend la forme d’une directive au sens de l’article 249, troisième alinéa, CE, fournisse une solution exhaustive et définitive à certains problèmes soulevés sous l’angle de la réalisation du marché intérieur ou qu’elle procède à une harmonisation complète des législations nationales afin d’écarter toute entrave concevable aux échanges intracommunautaires. Lorsque le législateur communautaire est appelé à restructurer ou à créer un système complexe, tel que le système d’échange de quotas, il lui est loisible de recourir à une approche par étapes (voir, en ce sens, arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 42 supra, point 57) et de ne procéder qu’à une harmonisation progressive des législations nationales en cause, la mise en œuvre de telles mesures étant généralement difficile, puisqu’elle suppose, de la part des institutions communautaires compétentes, l’élaboration, à partir de dispositions nationales diverses et complexes, de règles communes, conformes aux objectifs définis par le traité CE et recueillant l’accord d’une majorité qualifiée des membres du Conseil [voir, en ce sens, arrêts de la Cour Rewe-Zentrale, point 177 supra, point 20 ; du 18 avril 1991, Assurances du crédit/Conseil et Commission, C‑63/89, Rec. p. I‑1799, point 11 ; du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑233/94, Rec. p. I‑2405, point 43 ; du 17 juin 1999, Socridis, C‑166/98, Rec. p. I‑3791, point 26, et du 13 juillet 2006, Sam Mc Cauley Chemists (Blackpool) et Sadja, C‑221/05, Rec. p. I‑6869, point 26]. Tel est également le cas de la réglementation communautaire en matière de protection de l’environnement en vertu des articles 174 CE et 175 CE.

179    Il y a lieu de rappeler en outre que, d’une part, en vertu de l’article 249, troisième alinéa, CE, une directive ne lie tout État membre destinataire que quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens, ce qui implique logiquement une nécessaire marge d’appréciation de cet État pour définir des mesures de transposition (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 janvier 2008, Promusicae, C‑275/06, Rec. p. I‑271, point 67), et que, d’autre part, le considérant 30 de la directive attaquée se réfère au principe de subsidiarité consacré à l’article 5, deuxième alinéa, CE. En vertu dudit principe, la Communauté n’intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. Or, il ressort des articles 174 CE à 176 CE que, en matière de protection de l’environnement, les compétences de la Communauté et des États membres sont partagées. Dès lors, la réglementation communautaire dans ce domaine n’envisage pas une harmonisation complète et l’article 176 CE prévoit la possibilité pour les États membres d’adopter des mesures de protection renforcées, celles-ci étant soumises aux seules conditions qu’elles soient compatibles avec le traité CE et qu’elles soient notifiées à la Commission (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 avril 2005, Deponiezweckverband Eiterköpfe, C‑6/03, Rec. p. I-2753, point 27, et la jurisprudence qui y est citée).

180    Conformément à ces principes, la directive attaquée ne prévoit pas d’harmonisation complète, au niveau communautaire, des conditions qui sous-tendent l’établissement et le fonctionnement du système d’échange de quotas. En effet, sous réserve du respect des règles du traité CE, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation quant à la mise en œuvre de ce système, notamment dans le cadre de l’élaboration de leur PNA et de leurs décisions autonomes d’allocation de quotas d’émission au titre de l’article 9, paragraphe 1, et de l’article 11, paragraphe 1, de la directive attaquée (arrêt Allemagne/Commission, point 114 supra, points 102 à 106). Par conséquent, le seul fait que le législateur communautaire ait laissé ouverte une question particulière relevant du champ d’application de la directive attaquée et de celui d’une liberté fondamentale, de sorte qu’il revient aux États membres de régler cette question dans l’exercice de leur marge d’appréciation, certes en conformité avec les règles supérieures de droit communautaire, ne justifie pas, en soi, de qualifier cette omission comme étant contraire aux règles du traité CE [voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt de la Cour du 9 octobre 2001, Pays-Bas/Parlement et Conseil (C‑377/98, Rec. p. I‑7079, I-7084), points 87 et 88)]. Cela est d’autant plus vrai que les États membres sont tenus, en vertu de leur devoir de coopération loyale au titre de l’article 10 CE, d’assurer l’effet utile des directives (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 septembre 2005, Yonemoto, C‑40/04, Rec. p. I‑7755, point 58), ce qui implique également qu’ils doivent interpréter le droit interne à la lumière des objectifs et des principes sous-jacents à la directive en cause (voir, en ce qui concerne le principe d’interprétation à la lumière d’une directive, arrêt de la Cour du 5 juillet 2007, Kofoed, C‑321/05, Rec. p. I‑5795, point 45).

181    Par ailleurs, tant le législateur communautaire, lorsqu’il adopte une directive, que les États membres, lorsqu’ils transposent ladite directive en droit national, sont tenus de veiller au respect des principes généraux de droit communautaire. Ainsi, il ressort d’une jurisprudence constante que les exigences découlant de la protection des principes généraux reconnus dans l’ordre juridique communautaire, au nombre desquels figurent les droits fondamentaux, lient également les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre des réglementations communautaires et que, par suite, ceux-ci sont tenus, dans toute la mesure du possible, d’appliquer ces réglementations dans des conditions qui ne méconnaissent pas lesdites exigences (voir arrêt de la Cour du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, Rec. p. I‑5769, point 105, et la jurisprudence qui y est citée ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 novembre 2003, Lindqvist, C‑101/01, Rec. p. I‑12971, points 84 à 87).

182    Le Tribunal considère que ces principes s’appliquent par analogie aux libertés fondamentales du traité CE. En effet, si la directive attaquée, et en particulier son article 9, paragraphe 1, et son article 11, paragraphe 1, laissent aux États membres une marge d’appréciation, celle-ci est, en principe, suffisamment large pour leur permettre d’appliquer les règles de ladite directive dans un sens conforme aux exigences découlant de la protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales du traité CE. En outre, la mise en œuvre de la directive attaquée étant soumise au contrôle des juridictions nationales, il incombe à ces juridictions de poser à la Cour une question préjudicielle dans les conditions visées à l’article 234 CE au cas où elles rencontrent des difficultés relatives à l’interprétation ou à la validité de cette directive (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Parlement/Conseil, point 181 supra, points 104 et 106).

183    Partant, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme à la directive attaquée, mais également de veiller à ne pas se fonder sur une interprétation de cette dernière qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique communautaire, avec les autres principes généraux du droit communautaire, ou avec les libertés fondamentales du traité CE, telles que la liberté d’établissement (voir, en ce sens et par analogie, arrêts de la Cour Lindqvist, point 181 supra, point 87 ; du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C‑305/05, Rec. p. I‑5305, point 28, et Promusicae, point 179 supra, point 68).

184    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il ne saurait être reproché au législateur communautaire de n’avoir pas résolu de manière exhaustive et définitive, dans le cadre d’une directive, une certaine problématique relevant du champ d’application de la liberté d’établissement, lorsque cette directive réserve aux États une marge d’appréciation qui leur permet de respecter pleinement les règles du traité CE et les principes généraux du droit communautaire.

185    En l’espèce, le Tribunal estime opportun d’examiner, au regard des considérations qui précèdent, si la directive attaquée est susceptible d’être interprétée et transposée par les États membres en conformité avec la liberté d’établissement au titre de l’article 43 CE (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 20 mai 2003, Österreichischer Rundfunk e.a., C‑465/00, C‑138/01 et C‑139/01, Rec. p. I‑4989, points 68 et 91, et du 29 avril 2004, Orfanopoulos, C‑482/01 et C‑493/01, Rec. p. I‑5257, points 109 et 110).

186    Ainsi que le fait valoir la requérante, la directive attaquée ne prévoit pas de règle spécifique offrant aux exploitants d’installations soumises au système d’échange de quotas la possibilité de transférer le contingent de quotas alloué à une installation, à la suite de sa fermeture, à une autre installation établie dans un autre État membre et appartenant au même groupe d’entreprises.

187    Il ressort toutefois de l’article 12, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 3, sous a) et g), de la directive attaquée, que « [l]es États membres s’assurent que les quotas puissent être transférés entre […] personnes [physiques ou morales] dans la Communauté ». En outre, l’article 12, paragraphe 2, de la directive attaquée exige que « [l]es États membres s’assurent que les quotas délivrés par une autorité compétente d’un État membre soient reconnus aux fins du respect des obligations [de restitution de quotas non utilisés] incombant aux exploitants en application du paragraphe 3 » du même article. Il s’ensuit que, d’une part, conformément à l’objectif visé au considérant 5 de la directive attaquée, qui énonce la création d’un « marché européen performant de quotas d’émission de gaz à effet de serre », le marché d’échange établi par la directive attaquée a une dimension communautaire et que, d’autre part, ce marché est fondé sur le principe du libre transfert transfrontalier des quotas d’émission entre personnes physiques et morales.

188    En effet, en l’absence de libre transfert transfrontalier de quotas d’émission au sens de l’article 12, paragraphes 2 et 3, lu conjointement avec l’article 3, sous a), de la directive attaquée, l’efficacité et la performance du système d’échange de quotas au sens de l’article 1er de la directive attaquée se verraient fortement perturbées. C’est pour cette raison que l’article 12, paragraphe 2, de la directive attaquée impose aux États membres l’obligation générale de « s’assurer » que cette liberté soit rendue effective dans le cadre de la législation nationale pertinente. Inversement, force est de constater que la directive attaquée ne prévoit pas de restriction quant à un transfert transfrontalier de quotas entre personnes morales d’un même groupe d’entreprises, indépendamment de leur siège économique et/ou social au sein du marché intérieur. À la lumière des dispositions précitées de la directive attaquée, il ne saurait dès lors être conclu que celle-ci comporte une restriction illégale aux libertés fondamentales du traité CE, y compris la liberté d’établissement, ou qu’elle inciterait les États membres à ne pas respecter ces libertés.

189    Au contraire, ainsi que la requérante l’avance elle-même dans ses écritures, la problématique soulevée par elle trouve son origine dans les législations, en partie divergentes, adoptées par les États membres aux fins de la transposition de la directive attaquée, sans que cette approche puisse être imputée à une de ses dispositions, voire aux dispositions litigieuses. À cet égard, il y a lieu de rappeler que les États membres ont l’obligation, dans le cadre de la liberté qui leur est laissée par l’article 249, troisième alinéa, CE, de choisir les formes et les moyens les plus appropriés en vue d’assurer l’effet utile des directives (arrêt Yonemoto, point 180 supra, point 58) et d’appliquer leur droit national d’une manière conforme à ces directives et aux libertés fondamentales du traité CE, telles que la liberté d’établissement (voir, en ce sens et par analogie, arrêts Lindqvist, point 181 supra, point 87, et Promusicae, point 179 supra, point 68).

190    Dès lors, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si les législations nationales pertinentes, qui sont à l’origine de l’absence de possibilité pour la requérante de transférer librement des contingents de quotas entre ses installations établies dans différents États membres, sont en conformité ou non avec la liberté d’établissement au titre de l’article 43 CE, il y a lieu de conclure qu’une telle restriction à cette liberté ne saurait être imputée à la directive attaquée au seul motif que celle-ci n’interdit pas explicitement une telle pratique des États membres. À plus forte raison, le législateur communautaire ne peut être tenu pour responsable d’avoir méconnu à cet égard, de manière manifeste et grave, les limites de son pouvoir d’appréciation au titre de l’article 174 CE, lu conjointement avec l’article 43 CE.

191    Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner le bien-fondé des arguments avancés par les parties quant à l’éventuelle possibilité pour la requérante de bénéficier de règles nationales prévoyant pour tout nouvel entrant un accès gratuit aux quotas de la réserve. En effet, si l’article 11, paragraphe 3, lu conjointement avec le critère n° 6 de l’annexe III, de la directive attaquée exige que les États membres tiennent compte de la nécessité d’ouvrir l’accès aux quotas aux nouveaux entrants, l’établissement en tant que tel d’une telle réserve n’est pas prévu par la directive attaquée. Ainsi, l’éventuelle insuffisance de cet accès pour compenser les pertes de quotas liées à la fermeture d’une installation ne pourrait pas non plus être imputée au législateur communautaire.

192    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le moyen d’illégalité tiré de la violation suffisamment caractérisée de la liberté d’établissement comme non fondé.

E –  Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du principe de sécurité juridique

1.     Arguments des parties

193    La requérante soutient que les dispositions litigieuses violent le principe de sécurité juridique. La législation communautaire, y compris les directives, devrait être certaine, claire et précise et son application prévisible pour le justiciable afin qu’il puisse connaître sans ambiguïté ses droits et obligations et prendre ses dispositions en conséquence. Ces exigences s’imposeraient avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières.

194    D’après la requérante, les dispositions litigieuses violent le principe de sécurité juridique pour deux raisons. D’une part, en l’absence de plafond ou de mécanisme de contrôle des prix des quotas prévus par la directive attaquée, la requérante, en tant qu’« acheteur net de quotas » du fait de son incapacité à réduire les émissions de CO2, serait obligée d’acheter des quotas à des « prix complètement imprévisibles », estimés entre 20 et 60 euros par quota (voir points 80 et suivants ci-dessus). D’autre part, la directive attaquée ne prévoirait pas de règle garantissant le transfert des quotas initialement alloués à une installation devant être fermée vers une installation du même groupe établie dans un autre État membre. Or, les États membres auraient tout intérêt à annuler les quotas alloués à des installations destinées à être fermées, étant donné que ces fermetures leur permettraient de réduire davantage leurs émissions de CO2 pour atteindre leur objectif de réduction au titre de la décision 2002/358. L’insécurité juridique en résultant empêcherait la requérante de planifier ses opérations à long terme et de progresser dans sa stratégie de restructuration consistant à transférer la production vers ses installations les plus rentables. Étant donné que cette stratégie de restructuration constituait la raison d’être de l’opération de concentration de 2001 (voir point 30 ci-dessus), la directive attaquée violerait également le principe de protection de la confiance légitime. Dans la réplique, la requérante précise que toute planification à long terme de ses investissements et de ses projets économiques serait devenue impossible du fait, notamment, des variations auxquelles seront soumis les objectifs et les mesures de réduction des émissions des différents États membres. Cette incertitude serait confirmée par l’augmentation substantielle du prix des quotas de CO2. Ainsi, entre février 2005 et mars 2006, le prix des quotas de CO2 aurait augmenté d’environ 6 euros pour atteindre plus de 26 euros. Par ailleurs, la future allocation des quotas d’émission, en particulier pour la seconde période d’allocation et les périodes subséquentes, ne saurait être prévue.

195    Le Parlement et le Conseil concluent au rejet du présent moyen.

2.     Appréciation du Tribunal

196    Par le présent moyen, la requérante avance, en substance, que les dispositions litigieuses ne sont pas suffisamment claires et précises dans la mesure où elles impliquent une charge financière considérable pour elle, qui la mettrait dans l’impossibilité de planifier ses décisions économiques. À cet égard, le législateur communautaire aurait dû prévoir, d’une part, un plafond ou un mécanisme de contrôle pour le prix des quotas d’émission et, d’autre part, une règle particulière garantissant le transfert transfrontalier des quotas entre différentes installations du même groupe d’entreprises.

197    Dans la mesure où la requérante réitère, dans le cadre de la seconde branche, son argumentation relative à la prétendue violation de la liberté d’établissement, il résulte des considérations développées aux points 176 à 192 ci-dessus que cette argumentation ne peut pas non plus prospérer en ce qui concerne une prétendue violation suffisamment caractérisée du principe de sécurité juridique. Dès lors, la seconde branche du présent moyen doit être rejetée comme non fondée.

198    S’agissant de la première branche du présent moyen, il y a lieu de rappeler, d’abord, la jurisprudence selon laquelle le principe de sécurité juridique exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, Rec. p. I‑4983, point 80, et la jurisprudence qui y est citée).

199    À cet égard, il convient de relever, ensuite, que la directive attaquée ne prévoit aucune disposition régissant l’étendue des conséquences financières susceptibles de découler tant de l’éventuelle insuffisance de quotas d’émission délivrés à une installation que du prix de ces quotas, ce prix étant exclusivement déterminé par les forces du marché né à la suite de l’établissement du système d’échange de quotas qui, en vertu de l’article 1er de la directive attaquée, vise à « favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes ». Or, eu égard aux considérations figurant aux points 178 à 184 ci-dessus, le législateur communautaire n’était pas tenu d’adopter des dispositions spécifiques à cet égard et de restreindre ainsi la marge d’appréciation des États membres quant à la transposition de la directive attaquée.

200    Au contraire, une régulation communautaire du prix des quotas serait susceptible de contrecarrer l’objectif principal de la directive attaquée, à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre moyennant un système d’échange de quotas performant, dans le cadre duquel le coût des émissions et des investissements réalisés aux fins de la réduction de celles-ci est essentiellement déterminé par les mécanismes du marché (considérant 5 de la directive attaquée). Il en résulte que, en cas d’insuffisance de quotas, l’incitation des exploitants à réduire ou non leurs émissions de gaz à effet de serre est fonction d’une décision économique complexe prise eu égard, notamment, d’une part, aux prix des quotas d’émission disponibles sur le marché d’échange et, d’autre part, aux coûts d’éventuelles mesures de réduction des émissions qui peuvent avoir pour objet soit de baisser la production, soit d’investir dans des moyens de production plus efficaces en termes de rendement énergétique (considérant 20 de la directive attaquée ; voir également, en ce sens, arrêt Allemagne/Commission, point 114 supra, points 132 et suivants).

201    Dans un tel système, l’augmentation du coût des émissions et, partant, du prix des quotas, qui dépend d’une série de paramètres économiques, ne peut être réglementée au préalable par le législateur communautaire, sous peine de réduire, voire d’anéantir les incitations économiques qui constituent le fondement de son fonctionnement et de perturber ainsi l’efficacité du système d’échange de quotas. En outre, l’établissement d’un tel système, y compris ses prémisses économiques, aux fins du respect des obligations découlant du protocole de Kyoto, relève de la large marge d’appréciation dont dispose le législateur communautaire au titre de l’article 174 CE (voir point 143 ci-dessus) et constitue en soi un choix légitime et approprié de celui-ci, dont le bien-fondé en tant que tel n’a pas été contesté par la requérante.

202    Par ailleurs, c’est sur la base de ce choix légitime que le législateur communautaire a fondé le système d’échange de quotas sur la prémisse suivant laquelle, conformément à l’article 9, paragraphe 1, et à l’article 11, paragraphe 1, de la directive attaquée, il revient aux États membres de décider, sur le fondement de leurs PNA et dans l’exercice de la marge d’appréciation qui leur est réservée à cet égard, de la quantité totale de quotas à allouer et de la délivrance individuelle desdits quotas aux installations établies sur leur territoire (voir, en ce sens, arrêt Allemagne/Commission, point 114 supra, points 102 à 106). De plus, cette décision n’est soumise qu’à un contrôle préalable restreint de la Commission, au titre de l’article 9, paragraphe 3, de la directive attaquée, au regard notamment des critères visés à son annexe III (ordonnance du Tribunal du 30 avril 2007, EnBW Energie Baden-Württemberg/Commission, T‑387/04, Rec. p. II‑1195, points 104 et suivants). Dès lors, les variations auxquelles seront soumis les objectifs et les mesures de réduction des émissions des différents États membres, qui sont le résultat de leurs obligations au titre du protocole de Kyoto, telles qu’elles sont reflétées dans le plan de partage des charges prévu par la décision 2002/358, et, partant, l’incertitude quant à l’importance de la quantité totale et des quantités individuelles de quotas à allouer aux différents secteurs industriels et aux exploitants sur le fondement des différents PNA ne sont pas imputables aux dispositions litigieuses en tant que telles.

203    Enfin, la requérante n’a pas remis en cause, de manière spécifique, la clarté et la précision des autres dispositions litigieuses afin de démontrer qu’elle n’était pas en mesure d’établir sans ambiguïté ses droits et obligations qui en découlent. En effet, la nécessité de détenir une autorisation d’émission au titre de l’article 4 de la directive attaquée, l’obligation de restitution au sens de son article 6, paragraphe 2, sous e), lu conjointement avec son article 12, paragraphe 3, ainsi que les sanctions prévues à l’article 16, paragraphes 2 à 4, de ladite directive constituent des dispositions suffisamment claires, précises et prévisibles dans leurs effets, dont la portée effective ne dépend que de la quantité de quotas gratuits mise à la disposition des exploitants ou du prix des quotas disponibles sur le marché d’échange. Or, s’agissant de ce dernier aspect, il convient de rappeler que le manque de prévisibilité de l’évolution du marché d’échange constitue un élément inhérent et indissociable du mécanisme économique caractérisant le système d’échange de quotas qui est soumis aux règles classiques de l’offre et de la demande caractérisant un marché libre et concurrentiel conformément aux principes consacrés à l’article 1er, lu conjointement avec le considérant 7 de la directive attaquée, ainsi qu’à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 1, sous c) et g), CE. Cet aspect ne saurait, dès lors, être qualifié comme étant contraire au principe de sécurité juridique sous peine de remettre en cause les fondements économiques mêmes du système d’échange de quotas tels qu’ils sont posés par la directive attaquée en conformité avec les règles du traité CE.

204    Dans ces conditions, l’absence de règle spécifique dans la directive attaquée établissant un plafond ou un mécanisme de contrôle de prix des quotas ne saurait être qualifiée de méconnaissance grave et manifeste des limites du pouvoir discrétionnaire du législateur communautaire.

205    Par conséquent, le présent moyen doit être rejeté comme non fondé.

206    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas démontré que, en adoptant la directive attaquée, le législateur communautaire aurait commis une illégalité, voire une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de lui conférer des droits. Il s’ensuit que la demande en réparation doit être rejetée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres conditions fondant la responsabilité non contractuelle de la Communauté ni sur la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil quant à certaines annexes de la réplique.

 Sur les dépens

207    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Parlement et du Conseil.

208    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. Par conséquent, la Commission, qui est intervenue au soutien du Parlement et du Conseil, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Arcelor SA est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Azizi

Cremona

Frimodt Nielsen

Signatures

Table des matières

Cadre juridique

I –  Règles du traité CE

II –  Directive attaquée

Faits et procédure

En droit

I –  Sur la recevabilité de la demande d’annulation

A –  Arguments des parties

1.  Arguments du Parlement, du Conseil et de la Commission

2.  Arguments de la requérante

B –  Appréciation du Tribunal

II –  Sur la recevabilité de la demande en réparation

A –  Arguments des parties

B –  Appréciation du Tribunal

III –  Sur le bien-fondé de la demande en réparation

A –  Sur les conditions engageant la responsabilité non contractuelle de la Communauté

B –  Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit de propriété, de la liberté d’exercer une activité économique et du principe de proportionnalité

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

C –  Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du principe d’égalité de traitement

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

D –  Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée de la liberté d’établissement

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

E –  Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du principe de sécurité juridique

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.