Language of document : ECLI:EU:C:2010:212

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN Mazák

présentées le 22 avril 2010 (1)

Affaire C‑280/08 P

Deutsche Telekom AG

contre

Commission européenne

«Pourvoi – Concurrence – Article 82 CE (devenu article 102 TFUE) – Effet de ciseaux tarifaire – Prix d’accès au réseau fixe de télécommunications en Allemagne – Prix approuvés par l’autorité nationale de régulation en matière de télécommunications – Marge de manœuvre de l’entreprise en position dominante – Imputabilité de l’infraction – Montant de l’amende»





1.        Dans le présent pourvoi, Deutsche Telekom AG (ci-après la «requérante au pourvoi») demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal (2) qui confirmait la décision de la Commission européenne relative à une procédure d’application de l’article 82 CE (devenu article 102 TFUE) (3). C’est la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur un prétendu abus de position dominante sous forme d’un effet de ciseaux tarifaire.

I –    Les fondements du litige

2.        Les faits sont développés aux points 1 à 24 de l’arrêt attaqué. Je me limiterai aux points essentiels. La requérante au pourvoi est l’opérateur attitré en matière de télécommunications en Allemagne où il gère le réseau de téléphonie fixe. Depuis l’entrée en vigueur de la loi allemande sur les télécommunications (ci-après le «TKG»), le 1er août 1996, le marché allemand de la fourniture d’infrastructures et le marché de la prestation de services de télécommunications sont libéralisés en Allemagne. Les réseaux locaux de la requérante comportent chacun plusieurs «boucles locales vers les abonnés» (circuits physiques qui relient le point de terminaison du réseau dans les locaux de l’abonné au répartiteur principal ou à toute autre installation équivalente du réseau téléphonique public). Il y a lieu de distinguer entre les services d’accès au réseau local fournis par la requérante au pourvoi à ses concurrents (ci-après les «prestations intermédiaires») et ceux que la requérante au pourvoi fournit à ses abonnés (ci-après les «services d’accès pour les abonnés»). La requérante a été contrainte, dès juin 1997, d’accorder à ses concurrents un accès dégroupé total à la boucle locale. Les tarifs pour les prestations intermédiaires de la requérante au pourvoi doivent être approuvés d’avance par l’autorité allemande de régulation pour les postes et télécommunications (ci-après la «RegTP»), qui vérifie si les tarifs proposés par la requérante au pourvoi pour les prestations intermédiaires sont notamment établis en fonction des coûts d’une prestation de services efficace et s’ils ne comportent pas de réductions portant atteinte aux possibilités concurrentielles des concurrents. En ce qui concerne les services d’accès pour les abonnés, la requérante offre deux options de base: la ligne analogique traditionnelle et la ligne numérique à bande étroite (réseau numérique intégré de services – RNIS). Ces deux options peuvent être proposées sur le réseau historique à paires de fils de cuivre de la requérante au pourvoi. La requérante au pourvoi propose aussi à ses abonnés des connexions à large bande (lignes d’abonnés numériques asymétriques ou ADSL), pour lesquelles elle a dû réaménager les réseaux existants, afin de pouvoir offrir des services à large bande, par exemple un accès rapide à Internet. Les tarifs de la requérante au pourvoi pour les services d’accès pour les abonnés (ci-après également dénommés les «tarifs de détail» ou les «prix de détail») sont, pour ce qui concerne les lignes analogiques et les lignes RNIS, régulés par un système de plafonnement des prix. La requérante au pourvoi fixe librement ses prix de détail pour l’ADSL. Ceux-ci peuvent toutefois être soumis à une régulation a posteriori.

3.        Les prix de détail pour la connexion au réseau de la requérante et pour les communications sont déterminés conjointement pour plusieurs prestations, les différentes prestations étant réunies dans des «paniers». En vertu de décisions du ministre fédéral des Postes et Télécommunications (ci-après le «BMPT») et ensuite de la RegTP, la requérante au pourvoi a dû réduire les prix globaux de chacun des deux paniers pour la période allant du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2001. À l’intérieur de ce cadre contraignant de réduction des prix, la requérante au pourvoi pouvait modifier les tarifs des différents éléments de chaque panier après avoir obtenu l’autorisation préalable de la RegTP. Les modifications des tarifs étaient autorisées si le prix moyen d’un panier ne dépassait pas l’indice des prix plafonds imposé. Pendant cette période, la requérante au pourvoi a procédé à des baisses des prix de détail pour les deux paniers; les baisses tarifaires concernaient essentiellement les prix des communications. Les prix de détail pour les lignes analogiques sont en revanche restés inchangés. Depuis le 1er janvier 2002, il existe un nouveau système de plafonnement des prix qui a introduit de nouveaux paniers. Le 15 janvier 2002, la requérante au pourvoi a fait part à la RegTP de son intention d’augmenter les prix des abonnements mensuels pour les lignes analogiques et RNIS. L’augmentation a été autorisée. Le 31 octobre 2002, la requérante au pourvoi a fait une nouvelle demande d’augmentation de ses tarifs de détail. Cette demande a été partiellement rejetée. Les tarifs ADSL ne sont pas régulés dans le cadre d’un système de plafonnement des prix, mais ils peuvent faire l’objet d’une régulation a posteriori. Le 2 février 2001, après avoir reçu plusieurs plaintes de la part de concurrents de la requérante au pourvoi, la RegTP a diligenté une enquête a posteriori sur les prix ADSL de la requérante au pourvoi en vertu des règles de concurrence allemandes. Le 25 janvier 2002, elle a constaté que l’augmentation des tarifs en cause ne donnait plus lieu à une suspicion de «vente à perte».

4.        L’essentiel de la décision attaquée figure aux points 34 à 46 de l’arrêt attaqué et je ne les reprendrai pas ici. En substance, la Commission a reçu en 1999 des plaintes émanant de quinze concurrents de la requérante au pourvoi, mettant en cause ses pratiques tarifaires. Le point 102 des motifs de la décision attaquée déclare, en substance, qu’il y a effet de ciseaux lorsque la somme à verser à la requérante au pourvoi pour les prestations intermédiaires oblige les concurrents à facturer des prix supérieurs à ceux que la requérante au pourvoi facture à ses propres abonnés. Même si les concurrents sont aussi efficaces que la requérante au pourvoi, ils ne peuvent pas dégager de bénéfices. Le point 103 des motifs de la décision attaquée poursuit en disant que les concurrents sont donc empêchés de proposer, en plus de simples communications téléphoniques, des services d’accès par la boucle locale. Sinon, ils sont obligés de compenser pareillement les pertes générées par leurs services d’accès par de plus fortes recettes de communications téléphoniques, comme la requérante au pourvoi le fait elle-même. Mais, comme les tarifs des communications ont fortement baissé en Allemagne ces dernières années, il est fréquent que les concurrents n’aient pas la possibilité économique de procéder à ce genre de compensation. Pour calculer l’effet de ciseaux tarifaire, la Commission ne tient compte que des tarifs pour l’accès à la boucle locale, à l’exclusion des tarifs des communications téléphoniques. La conclusion est qu’il y a eu un écart négatif entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail de la requérante au pourvoi entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2001 (ci-après la «première période»). Cet écart a été positif du 1er janvier 2002 au 21 mai 2003 (ci-après la «seconde période»). Toutefois, dès lors que la marge positive était insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques de la requérante au pourvoi liés à la fourniture de services aux abonnés, il y avait également un effet de ciseaux abusif en 2002. La Commission reconnaît que les tarifs des prestations intermédiaires et les prix de détail appliqués par la requérante au pourvoi font l’objet d’une régulation sectorielle. Néanmoins, la requérante au pourvoi disposait d’une marge de manœuvre suffisante pour réduire, voire annuler – selon la période concernée – l’effet de ciseaux. La Commission a constaté une infraction grave pour la première période et une infraction mineure pour la seconde période et elle a infligé une amende de 12,6 millions d’euros.

II – L’arrêt attaqué

5.        Dans la demande principale tendant à l’annulation de la décision attaquée, le premier moyen était tiré de la violation de l’article 82 CE. En ce qui concerne la première branche de ce moyen, je me réfère aux points 70 à 152 de l’arrêt attaqué. Je ne reproduirai ici que les points les plus essentiels. À propos de la première période, le Tribunal a jugé que la Commission avait constaté à bon droit que la requérante au pourvoi disposait d’une marge de manœuvre pour formuler des demandes d’augmentation de prix pour ses services d’accès aux lignes analogiques et RNIS, tout en respectant le plafond global des paniers. Le Tribunal n’a pas accepté l’argument selon lequel, en raison d’un contrôle ex ante de la RegTP, la requérante au pourvoi ne devait plus être soumise à l’article 82 CE. Il a relevé que la RegTP n’examine pas la compatibilité des demandes avec l’article 82 CE. Les autorités nationales de régulation agissent conformément au droit (national) relatif aux télécommunications, lequel peut avoir des objectifs qui diffèrent de ceux de la politique communautaire de la concurrence. En tout état de cause, la Commission ne saurait être liée par une décision rendue par une autorité nationale. En ce qui concerne la seconde période, la marge de manœuvre de la requérante au pourvoi pour augmenter les tarifs ADSL était de nature à réduire l’effet de ciseaux entre les prix des prestations intermédiaires, d’une part, et les prix de détail pour l’ensemble des services d’accès analogiques, RNIS et ADSL, d’autre part, parce que ces services correspondent à une seule prestation de services au niveau intermédiaire et que l’ADSL ne peut être proposé aux abonnés de façon isolée.

6.        En ce qui concerne la deuxième branche du premier moyen, relative à la légalité de la méthode utilisée par la Commission, je me réfère aux points 153 à 213 de l’arrêt attaqué. En substance, le Tribunal a considéré que, du fait que le comportement de la requérante au pourvoi était lié au caractère non équitable de l’écart entre ses prix pour les prestations intermédiaires et ses prix au détail, la Commission n’était pas tenue de démontrer que les prix de détail de la requérante au pourvoi auraient été abusifs en tant que tels. Ensuite, en ce qui concerne les calculs, la Commission était fondée à analyser le caractère abusif des pratiques tarifaires de la requérante au pourvoi uniquement par référence à la situation particulière de la requérante au pourvoi – ses tarifs et ses coûts – et non par référence à la situation de ses concurrents actuels ou potentiels. En outre, la Commission était fondée à conclure qu’il fallait uniquement tenir compte des services d’accès sans inclure donc les tarifs des communications. Cette méthode est compatible avec les principes de la restructuration tarifaire et de l’égalité des chances. En ce qui concerne la quatrième branche du premier moyen, tirée de l’absence d’incidence sur le marché de l’effet de ciseaux tarifaire, je me réfère aux points 225 à 245 de l’arrêt attaqué. En particulier, le Tribunal a jugé au point 237 que, «eu égard au fait que les prestations intermédiaires de la requérante au pourvoi sont […] indispensables pour permettre à un de ses concurrents d’entrer en concurrence avec la [requérante au pourvoi] sur le marché en aval des services d’accès pour les abonnés, un effet de ciseaux [dans des circonstances telles que celles de l’affaire en cause] entravera en principe le développement de la concurrence sur les marchés en aval». Les faibles parts de marché acquises par les concurrents sur le marché des services d’accès aux abonnés depuis la libéralisation du marché témoignent des entraves que les pratiques tarifaires de la requérante au pourvoi ont opposées au développement de la concurrence sur ces marchés.

7.        En ce qui concerne le troisième moyen tiré d’un détournement de pouvoir et d’une violation des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, je me réfère aux points 257 à 272 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal a jugé, en particulier, que le principe de protection de la confiance légitime n’avait pas été violé, parce que les décisions de la RegTP ne comportent aucune référence à l’article 82 CE et parce qu’il s’ensuit implicitement mais nécessairement que les pratiques tarifaires de la requérante au pourvoi avaient un effet anticoncurrentiel, dès lors que les concurrents devaient recourir à un subventionnement croisé. En outre, le Tribunal a rejeté le grief selon lequel la Commission aurait commis un détournement de pouvoir en rappelant que, même si la RegTP avait violé une norme communautaire et même si la Commission aurait pu à ce titre intenter une procédure en manquement à l’encontre de la République fédérale d’Allemagne, de telles éventualités ne seraient nullement de nature à affecter la légalité de la décision attaquée, ne fût-ce que parce que l’article 82 CE concerne non pas les États membres, mais les seuls opérateurs économiques.

8.        À titre subsidiaire, la requérante au pourvoi a sollicité une réduction de l’amende infligée. En ce qui concerne son troisième moyen, je me réfère aux points 290 à 300 de l’arrêt attaqué. En substance, le Tribunal a jugé que la requérante au pourvoi ne pouvait ignorer que, malgré les décisions d’autorisation de la RegTP, elle disposait d’une réelle marge de manœuvre pour fixer et pour augmenter ses prix de détail et réduire ainsi l’effet de ciseaux tarifaire. En outre, la requérante au pourvoi ne pouvait ignorer que cet effet de ciseaux entraînerait des restrictions sérieuses de la concurrence. En ce qui concerne les quatrième et sixième moyens, je me réfère aux points 301 à 321 de l’arrêt attaqué. En particulier, la Commission était fondée à qualifier l’infraction de grave pour la première période. Ensuite, la Commission aurait dûment pris en compte l’intervention de la RegTP en réduisant le montant de base de l’amende de 10 %. Enfin, la Commission aurait décidé à juste titre de ne pas infliger d’amende symbolique. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal a rejeté le recours.

III – Le pourvoi

9.        Le 25 novembre 2009, la requérante au pourvoi a été entendue par le Tribunal en ses plaidoiries, de même que Vodafone AG & Co. KG (ci-après «Vodafone») et la Commission, ainsi que Versatel NRW GmbH (ci-après «Versatel»), qui n’avait pas transmis d’observations écrites.

10.      Il est, tout d’abord, nécessaire d’aborder ici l’argument de Vodafone selon lequel les première, deuxième et troisième branches du premier moyen ainsi que les première et deuxième branches du deuxième moyen sont irrecevables en ce que la requérante au pourvoi se contente de reproduire l’argumentation qu’elle avait déjà invoquée en première instance, dans le seul but d’obtenir un réexamen de ces arguments. Il suffit toutefois d’observer qu’en vertu de la jurisprudence, «dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit communautaire faite par [le Tribunal], les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et arguments déjà utilisés devant [le Tribunal], la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens» (4). Je considère qu’en l’espèce la requérante au pourvoi ne demande pas simplement un réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, dès lors que, en ayant pratiquement recours aux mêmes arguments, la requérante au pourvoi conteste l’interprétation et l’application de l’article 82 CE par le Tribunal. Par conséquent, les moyens invoqués par la requérante au pourvoi sont recevables.

A –    Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit concernant la régulation par la RegTP en tant qu’autorité nationale de régulation compétente

1.      Sur la première branche du premier moyen, relative à l’imputabilité de l’infraction

11.      La Commission et Vodafone affirment que cette branche du premier moyen devrait être rejetée.

12.      En ce qui concerne la première période, la requérante au pourvoi plaide que le Tribunal a jugé à tort qu’il ne serait exclu de lui imputer l’infraction que dans l’hypothèse où son comportement aurait trouvé uniquement son origine dans la loi nationale, et en l’absence d’une marge de manœuvre pour appliquer des tarifs plus élevés. Dans son premier grief, la requérante au pourvoi soutient en substance que l’existence d’une marge de manœuvre constitue une condition, certes nécessaire, mais pas suffisante de l’imputabilité. Cela ne répond pas à la question de savoir si la requérante au pourvoi aurait pu formuler des demandes d’augmentation de prix ou si elle aurait dû effectivement agir de la sorte. De plus, la RegTP aurait constamment considéré que l’effet de ciseaux tarifaire n’était pas restrictif de la concurrence.

13.      En ce qui concerne l’imputabilité, le Tribunal a correctement appliqué la jurisprudence pertinente. Tandis que l’absence d’objection de la RegTP à l’égard du comportement abusif de la requérante au pourvoi peut en quelque sorte être considérée comme une incitation, il n’en demeure pas moins qu’en soi cet élément n’exonère pas la requérante au pourvoi de sa responsabilité en vertu de l’article 82 CE (5). Selon la jurisprudence, «[l’article 82 CE] peut s’appliquer […] s’il s’avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises» (6). Dès lors, si la requérante au pourvoi disposait d’une marge de manœuvre, elle aurait alors dû demander à l’autorité nationale de régulation de pouvoir augmenter ses prix de détail, afin de mettre un terme au comportement abusif. La grande chambre de la Cour a récemment confirmé clairement cette approche dans l’affaire Sot. Lélos kai Sia e.a. (7). Le point 113 de l’arrêt attaqué souligne, à juste titre, que l’autorité nationale de régulation est tenue, à l’instar de tout organe de l’État, de respecter les dispositions du traité CE. Toutefois, les décisions adoptées par les autorités nationales de régulation ne peuvent empêcher la Commission d’intervenir à un stade ultérieur et d’imposer le respect de l’article 82 CE en vertu du règlement n° 17 ou du règlement (CE) n° 1/2003 (8). En effet, dans l’arrêt Masterfoods et HB, la Cour a déclaré en substance que la Commission ne saurait être liée par une décision rendue par une juridiction nationale en application de l’article 82 CE (9). À cet égard, comme indiqué au point 265 de l’arrêt attaqué, je considère également qu’il ne saurait être exclu qu’en l’espèce les autorités allemandes aient également violé le droit communautaire. Toutefois, si un tel manquement devait être constaté, il n’éliminerait pas la marge de manœuvre dont disposait la requérante au pourvoi pour réduire l’effet de ciseaux. En effet, la possibilité d’entamer une procédure en manquement contre l’État membre concerné complète les compétences de la Commission mentionnées ci-dessus, mais ne les remplace pas.

14.      Ensuite, selon la requérante au pourvoi, la responsabilité particulière de l’entreprise régulée est supplantée et limitée par la responsabilité de l’autorité nationale de régulation à l’obligation de lui transmettre toutes les informations de manière correcte et complète. La requérante au pourvoi souligne, premièrement, que dans la présente affaire les tarifs pratiqués étaient soumis à une régulation qui visait la création d’un secteur des télécommunications ouvert à la concurrence (10). En outre, la directive «libéralisation» (11) est fondée sur le droit de la concurrence, notamment l’article 86, paragraphe 3, CE. En conséquence, la RegTP était tenue de respecter le droit communautaire de la concurrence. En effet, selon l’article 27, paragraphe 3, du TKG, la RegTP doit garantir la compatibilité des tarifs «avec […] d’autres dispositions juridiques», c’est-à-dire également avec l’article 82 CE. En outre, conformément à l’article 10 CE, la RegTP, en tant qu’organe d’un État membre, est tenue de s’abstenir de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité.

15.      En ce qui concerne le prétendu déplacement de la responsabilité, il faut garder à l’esprit que tout dépend, dans le cadre des règles de concurrence, du comportement objectif d’une entreprise (12). La conduite d’une entreprise devrait normalement lui être attribuée. C’est pourquoi le Tribunal a jugé, à juste titre, aux points 85 et 86 de l’arrêt attaqué que la jurisprudence de la Cour ne reconnaît des exceptions à ce principe que de manière restrictive. En toute hypothèse, le fait que l’entreprise ait agi de bonne foi ne devrait jouer aucun rôle à cet égard. En effet, comme je l’ai indiqué au départ, le seul fait qu’un État membre incite à un comportement anticoncurrentiel ne change à lui seul rien au fait que l’infraction sera encore toujours imputée à l’entreprise. En outre, bien que l’argumentation de la requérante au pourvoi selon laquelle, dans les affaires citées aux points 86 à 89 de l’arrêt attaqué, les dispositions nationales en cause visaient à restreindre ou à interdire la concurrence et que l’actuel cadre réglementaire est plutôt destiné à ouvrir le secteur des télécommunications à la concurrence en vertu de la directive 90/388 et du règlement n° 2887/2000 soit correcte, il n’en demeure pas moins que le cadre juridique dont il s’agit ici complète les règles de concurrence du traité et devrait garantir un contexte concurrentiel dans une mesure que les seuls articles 81 CE et 82 CE ne pourraient garantir avec la même sécurité (13). La Commission a souligné, à juste titre, à cet égard que le législateur communautaire a clairement exprimé sa volonté de protéger particulièrement la concurrence sur ce marché par l’adoption de mesures supplémentaires. Les articles 81 CE et 82 CE devraient, dès lors, être considérés à titre de critères minimaux. En ce qui concerne en particulier le premier grief de la requérante énoncé ci-dessus, qui porte sur la période entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2001, il suffit de souligner que, selon le point 1 des motifs de la décision attaquée, l’infraction de la requérante n’est pas due au défaut de présentation des demandes à la RegTP, mais plutôt à une politique tarifaire incompatible avec l’article 82 CE. Ces demandes étaient une étape nécessaire, mais seulement de nature formelle, afin de pouvoir utiliser la marge de manœuvre disponible. À cet égard, le Tribunal a confirmé, à juste titre, aux points 125 à 131 de l’arrêt attaqué le point de vue de la Commission à ce sujet.

16.      Deuxièmement, la requérante au pourvoi affirme que le Bundesgerichtshof (le tribunal fédéral allemand) n’a pas considéré, dans son arrêt du 10 février 2004, que la responsabilité lui incombant de formuler des demandes de modification de ses tarifs implique qu’elle doive substituer sa propre appréciation sous l’angle de l’article 82 CE à celle de l’autorité nationale de régulation. Au contraire, il a confirmé que la responsabilité de préserver la structure du marché incombe à l’autorité nationale de régulation.

17.      Il suffit, cependant, de souligner que la Commission a estimé à juste titre, s’agissant de l’interprétation de l’arrêt mentionné ci-dessus, que la requérante n’a pas fait valoir une dénaturation des preuves et que, en toute hypothèse, le Bundesgerichtshof a constaté en effet qu’il pouvait bien y avoir un abus malgré l’examen préalable des tarifs par la RegTP.

18.      Troisièmement, la requérante au pourvoi déclare, à propos du point 120 de l’arrêt attaqué, que l’arrêt Masterfoods et HB ne pourrait pas être transposé à la présente affaire. Premièrement, la question en l’espèce porterait uniquement sur l’imputabilité, et non sur le point de savoir si la Commission est liée quant au fond par l’appréciation de la RegTP. Deuxièmement, les autorités nationales de régulation jouent un rôle autonome dans le cadre du régime de concurrence dans le secteur des télécommunications.

19.      J’estime, une fois de plus, que l’argumentation de la requérante au pourvoi ne sert pas sa cause. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la Commission ne saurait être liée par une décision d’un organe national et la décision de cet organe ne peut empêcher la Commission de conclure à un abus en vertu de l’article 82 CE sur la simple base d’une prétendue absence d’imputabilité. La Commission tire en effet directement sa compétence du traité et du règlement n° 17 ou du règlement n° 1/2003. Comme indiqué ci-dessus également, le cadre réglementaire en cause complète les dispositions en matière de concurrence et les deux ensembles de normes devraient être considérés comme complémentaires (14). Enfin, comme la Commission a plaidé à juste titre, une directive s’appuyant sur l’article 86, paragraphe 3, CE ne saurait remettre en cause, aux fins de l’application de l’article 82 CE, la répartition des compétences fixées au niveau du droit primaire par les articles 83 CE et 85 CE. Enfin, dans ses lignes directrices sur l’analyse du marché et l’évaluation de la puissance sur le marché (15), la Commission a clairement indiqué – un élément qui était en réalité déjà fondamentalement vrai dans le contexte juridique précédent (voir la communication portant sur l’accès mentionnée dans la note 14 ci-dessus) – que, dans la pratique, il ne peut être exclu que des procédures parallèles puissent être engagées en application d’une réglementation ex ante et du droit de la concurrence, et que les autorités de la concurrence peuvent donc mener leur propre analyse du marché et imposer des mesures correctives adaptées en sus des mesures sectorielles appliquées par les autorités nationales de régulation.

20.      Quatrièmement, la requérante au pourvoi estime que le principe de la sécurité juridique exige qu’une entreprise en position dominante qui est soumise à une régulation puisse se fier à l’exactitude de cette régulation. Lorsque des mesures adoptées par les autorités nationales de régulation ne sont pas conformes à l’article 82 CE, la Commission devrait entamer une procédure en manquement contre l’État membre, et non contre l’entreprise dominante.

21.      À mon avis, le Tribunal a jugé à juste titre que, même si la RegTP, à l’instar de tout organe de l’État, était tenue de respecter les dispositions du traité, cette autorité constituait, à l’époque des faits litigieux, l’autorité allemande chargée de l’application de la réglementation sectorielle dans le domaine des télécommunications, et non pas l’autorité de concurrence de l’État membre concerné. Je considère que l’argumentation suggérée par la Commission d’une analogie avec deux barrières est tout à fait adéquate à cet égard. La régulation représente l’une des barrières; elle est respectée si la requérante au pourvoi satisfait aux dispositions de la régulation, et c’est la RegTP qui, en l’espèce, statue sur ce point. L’article 82 CE représente une deuxième barrière et – indépendamment de l’obligation de respecter les dispositions du traité imposées à la RegTP – il est du ressort de l’autorité de la concurrence compétente, en l’espèce la Commission, de décider le cas échéant si cette barrière a été respectée ou non. En outre, la requérante au pourvoi ne pouvait ignorer que la régulation en matière de télécommunications et l’application de l’article 82 CE constituent deux instruments distincts, même si en fin de compte ils visent tous deux à promouvoir la concurrence. La requérante au pourvoi commet une erreur au sujet de la séparation des deux instruments lorsqu’elle se réfère au point 61 de la communication de la Commission portant sur l’accès et qu’elle plaide que, si la Commission considère que les mesures adoptées par l’autorité nationale de régulation ne sont pas conformes à l’article 82 CE, elle devrait lancer une procédure en manquement contre l’État membre. En effet, la Commission peut corriger de cette manière les erreurs commises par les États membres dans le cadre de la réglementation, c’est-à-dire une application insuffisante du cadre réglementaire. Toutefois, ce n’est pas l’objectif de la présente procédure de déterminer si la RegTP a en effet commis une telle erreur ou non. Comme la Commission l’a indiqué à juste titre, le contrôle du respect de l’article 82 CE n’est pas dévolu à l’autorité nationale de régulation, en lieu et place de la Commission.

22.      Dans son deuxième grief, la requérante au pourvoi fait valoir que les considérations contenues aux points 111 à 119 de l’arrêt attaqué – l’examen d’un effet de ciseaux tarifaire par la RegTP – sont dénuées de pertinence ou entachées d’erreurs de droit. La RegTP aurait toujours nié l’existence d’un effet de ciseaux anticoncurrentiel. La requérante au pourvoi soutient, premièrement, que, pour l’examen de l’imputabilité de l’infraction, il importe peu que le Tribunal ne partage pas l’avis de la RegTP. Le raisonnement mènerait à un cercle vicieux illégal: du fait que le Tribunal a abouti à un résultat différent de celui auquel la RegTP a antérieurement abouti, la requérante n’était pas en droit de se fier au résultat de l’examen de la RegTP. À l’époque, il n’aurait existé aucune jurisprudence communautaire ni aucune pratique décisionnelle de la Commission sur ce point. Par ailleurs, la notion de «subventionnement croisé» utilisée par la RegTP dans sa décision du 29 avril 2003 n’a donné à la requérante aucune raison de douter de l’exactitude de la constatation de la RegTP selon laquelle il n’y avait pas d’effet de ciseaux. En effet, comme le Tribunal l’aurait constaté lui-même au point 116 de l’arrêt attaqué, la RegTP a appliqué cette notion non seulement en ce qui concerne les tarifs des communications, mais également en ce qui concerne le regroupement de plusieurs types de connexions au niveau des abonnés, une méthode dont le Tribunal a dû reconnaître qu’elle constitue un «subventionnement croisé».

23.      Je considère que la Commission a souligné, à juste titre, que le constat du Tribunal selon lequel la RegTP n’a pas examiné l’article 82 CE représente une constatation des faits et ne peut pas être attaqué dans le cadre du présent pourvoi. En toute hypothèse, je partage le point de vue du Tribunal exprimé aux points 114 et 268 de l’arrêt attaqué selon lequel le fait qu’aucune des décisions de la RegTP citées par la requérante au pourvoi ne comporte de référence à l’article 82 CE a son importance. Par conséquent, il est clair que la RegTP a appliqué la législation nationale et non le droit communautaire de la concurrence. Comme l’a souligné la Commission, les déclarations de la RegTP concernant l’effet de ciseaux tarifaire ne concernaient pas le domaine dans lequel la requérante au pourvoi disposait d’une marge de manœuvre établie, c’est-à-dire le pouvoir de modifier le prix d’accès du consommateur final. Je considère que le Tribunal a jugé, à juste titre, que la RegTP n’avait pas examiné la compatibilité des tarifs en cause avec l’article 82 CE ou – en tout cas – qu’elle a appliqué incorrectement l’article 82 CE. Le Tribunal a par conséquent soutenu, à juste titre, que la RegTP n’a pas examiné l’article 82 CE. Ensuite, la requérante au pourvoi ne devrait pas reprocher au Tribunal un raisonnement circulaire. La requérante au pourvoi aurait pu déduire de la décision de la RegTP que l’action de celle-ci ne remplaçait pas ou n’anticipait en aucun cas un examen au titre de l’article 82 CE par la Commission. En effet, ce n’est pas uniquement le résultat de l’examen de la RegTP et celui de la Commission qui diffèrent; le critère pertinent, et c’est important, est également différent. En ce qui concerne la notion de subventionnement croisé, je considère que le Tribunal ne lui a pas attribué un poids disproportionné. En fait, la RegTP et le Tribunal au point 116 de l’arrêt attaqué ont tous deux manifestement adopté le point de vue selon lequel l’enjeu portait sur le subventionnement croisé des «tarifs pour les services d’accès et des tarifs pour les communications», et il ne pouvait donc être question d’un regroupement de plusieurs types de connexions.

24.      Deuxièmement, la requérante au pourvoi considère que le raisonnement du Tribunal qui figure aux points 111 à 114 de l’arrêt attaqué – il n’incombait pas à la RegTP d’examiner la compatibilité des tarifs avec l’article 82 CE – est également erroné en droit pour les motifs exposés dans son argumentation et repris au point 14 ci-dessus. Cette question ou celle de savoir si la RegTP s’est référée explicitement à l’article 82 CE revêt peu d’importance. Le seul point déterminant est que la RegTP a agi dans un cadre réglementaire ayant pour objectif d’ouvrir le secteur à la concurrence et de rendre le droit communautaire de la concurrence applicable dans ce secteur et qu’elle a procédé à un examen et conclu à l’inexistence d’un effet de ciseaux tarifaire restrictif.

25.      L’argument développé ci-dessus est erroné. Il suffit de souligner, à cet égard, que la RegTP appliquait le droit sur les télécommunications et non le droit de la concurrence. Le Tribunal a soutenu, à juste titre, au point 113 de l’arrêt attaqué que les autorités nationales de régulation agissent conformément au droit national, lequel peut avoir des objectifs qui, s’inscrivant dans les politiques de télécommunications, diffèrent de ceux de la politique communautaire de concurrence (voir la communication portant sur l’accès, point 13).

26.      Dans son troisième grief, la requérante au pourvoi soutient que, contrairement aux affirmations contenues aux points 109 et 110 de l’arrêt attaqué, le fait que ses tarifs de détail pour l’accès aux lignes analogiques reposaient sur une autorisation accordée par le BMPT est dénué de pertinence pour l’examen de l’imputabilité. La seule chose qui importe est que la RegTP a examiné et déclaré non fondé le reproche concernant un effet de ciseaux prétendument restrictif.

27.      Cependant, comme il ressort des points 109 et 110 de l’arrêt attaqué, la requérante au pourvoi ne prétend pas que le BMPT a examiné la compatibilité de ces tarifs avec l’article 82 CE. En fait, comme l’a souligné la Commission, l’écart entre les tarifs pour les lignes analogiques et les tarifs pour les prestations intermédiaires n’aurait pas pu être analysé à l’époque, parce que les tarifs pour les prestations intermédiaires n’ont été approuvés que plus tard, à savoir en mars 1998, à titre provisoire, et en février 1999 à titre définitif.

28.      En ce qui concerne la seconde période, la requérante au pourvoi affirme que la supposition selon laquelle il existait un effet de ciseaux tarifaire qui lui était attribuable et qui était abusif est erronée. Dans son premier grief, la requérante au pourvoi considère que l’arrêt attaqué est erroné parce que, comme ce fut le cas pour la période précédente, l’effet de ciseaux tarifaire ne lui est pas attribuable du fait des décisions de la RegTP. Dans son deuxième grief, la requérante au pourvoi affirme que l’arrêt attaqué contient une contradiction entre l’examen de l’imputabilité de l’infraction et le calcul de l’effet de ciseaux tarifaire. En effet, ce dernier requiert un «subventionnement croisé» entre deux marchés, mais, dans le cadre du calcul de l’effet de ciseaux tarifaire, il n’a été tenu aucun compte des recettes que les concurrents retirent des services de communications, au motif que les concurrents ne peuvent pas se voir opposer la possibilité d’un «subventionnement croisé» entre deux marchés.

29.      À mon avis, le Tribunal n’a pas agi de façon contradictoire. En effet, la séparation entre le marché des connexions à large bande et celui des connexions à bande étroite n’est applicable que pour le marché de détail. D’autre part, en ce qui concerne le marché des prestations intermédiaires, il n’y a qu’un seul marché pour l’accès à des réseaux locaux fixes. La requérante au pourvoi n’a pas contesté, et c’est important, les points 148 à 150 de l’arrêt attaqué et je considère que les constatations du Tribunal qui figurent dans ces points sont correctes. En effet, il est significatif à cet égard que la requérante au pourvoi n’ait pas contesté en première instance la définition des marchés concernés. Comme il ressort du point 139 de l’arrêt attaqué, la requérante au pourvoi n’avait pas contesté qu’avant 2002 elle disposait d’une marge de manœuvre suffisante pour mettre un terme à l’effet de ciseaux tarifaire. Si la requérante au pourvoi avait utilisé cette marge, il n’y aurait pas non plus eu d’effet de ciseaux tarifaire durant la période allant de 2002 à 2003. En effet, en raison de la nouvelle réglementation applicable à partir de 2002, qui autorisait une augmentation supplémentaire des tarifs d’accès pour les abonnés, et donc une réduction de l’effet de ciseaux (voir les points 141 et 142 de l’arrêt attaqué), un effet de ciseaux qui avait déjà pris fin en 2001 n’aurait en tout état de cause pas dû être rétabli par la réglementation en 2002. Je partage l’avis de la Commission que, en commettant l’abus au cours de la première période, la requérante au pourvoi a préparé le terrain pour un abus au cours de la période suivante. Cette constatation a été faite par le Tribunal au point 135 de l’arrêt attaqué pour la période allant jusqu’à 2002 et la même logique sous-tend les constatations du Tribunal pour la seconde période.

30.      Dans son troisième grief, la requérante au pourvoi invoque une erreur de droit commise à propos de la possibilité de réduire l’effet de ciseaux. La constatation faite au point 149 de l’arrêt attaqué, bien qu’exacte, serait dénuée de pertinence. Par contre, la supposition du Tribunal selon laquelle «une augmentation limitée des tarifs ADSL aurait conduit à un tarif de détail moyen plus élevé pour les services d’accès à bande étroite et à large bande confondus» serait erronée en droit parce qu’elle n’est pas étayée par des faits. La question de savoir si et dans quelle mesure des abonnés à une connexion à bande étroite renonceraient à passer à une connexion à large bande en raison de l’augmentation des tarifs des connexions à large bande n’aurait pas été examinée. Une augmentation des prix des connexions à large bande aurait abouti à une diminution du chiffre d’affaires.

31.      À cet égard, comme je l’ai indiqué ci-dessus, la requérante au pourvoi n’a pas contesté la séparation des marchés. Comme la requérante au pourvoi l’a admis dans son pourvoi, le marché de la large bande s’est développé considérablement durant la période en question (voir le point 27 des motifs de la décision attaquée) et, sur ce point, la requérante au pourvoi n’a invoqué aucune distorsion de la preuve. Comme la Commission l’a souligné, en raison de l’effet de ciseaux tarifaire existant dans le domaine des lignes analogiques et RNIS, la requérante au pourvoi s’assurait des clients pour elle-même également dans le domaine de l’ADSL. Par conséquent, une augmentation des tarifs ADSL aurait mené, dans tous les cas, à une amélioration de la situation de la concurrence et à une réduction de l’effet de ciseaux. Je partage également le point de vue de la Commission selon lequel la requérante au pourvoi n’a pas contesté le constat (voir les points 77 et suivants des motifs de la décision attaquée) selon lequel les clients finals qui, pour des raisons professionnelles, dépendent des services d’une connexion à large bande ne passent pas, dans leur très grande majorité, à une simple connexion à bande étroite en cas d’augmentation des prix. C’est pourquoi, même en cas d’augmentation plus limitée du nombre de nouveaux clients, due à des prix élevés (élasticité des prix), l’effet de ciseaux aurait été réduit. Je considère donc que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en confirmant le constat de la Commission selon lequel l’effet de ciseaux aurait pu être limité grâce à un relèvement des tarifs des connexions ADSL. Il découle de ce qui précède que la première branche du premier moyen de la requérante au pourvoi n’est pas fondée.

2.      Sur la deuxième branche du premier moyen, relative au principe de protection de la confiance légitime

32.      La Commission et Vodafone affirment que cette branche du premier moyen devrait être rejetée.

33.      La requérante au pourvoi soutient que le Tribunal a appliqué le principe de protection légitime de manière erronée. En effet, les décisions de la RegTP auraient créé, dans le chef de la requérante au pourvoi, une confiance légitime quant à la légalité de ses pratiques tarifaires. À cet égard, la question de savoir si ces décisions comportent une référence à l’article 82 CE est dénuée de pertinence, pour les motifs exposés ci-dessus au point 24. En ce qui concerne le deuxième grief, contrairement à ce que le Tribunal a estimé aux points 267 et 268 de l’arrêt attaqué, il ne ressort ni des déclarations de la RegTP concernant la possibilité d’un «subventionnement croisé» avec les tarifs des communications, ni de l’utilisation de l’expression «subventionnement croisé» que les pratiques tarifaires de la requérante au pourvoi avaient un effet anticoncurrentiel. À l’époque, aucune décision de la Commission ni aucun arrêt des juridictions communautaires n’avait traité cette question. Dès lors, la requérante aurait été fondée à se reposer sur les décisions de la RegTP.

34.      Toutefois, il ressort des considérations développées dans la première branche du premier moyen que, dans la mesure où les déclarations de la RegTP ne préjugent pas de l’appréciation de la Commission, elles ne peuvent susciter chez la requérante au pourvoi une confiance légitime selon laquelle la Commission suivrait l’avis de la RegTP. Cela suffit en soi pour exclure une violation du principe de protection de la confiance légitime, et les arguments soulevés par la requérante au pourvoi contre les points 267 à 269 de l’arrêt attaqué devraient échouer. En toute hypothèse, je partage le point de vue de la Commission selon lequel l’argument de la requérante portant sur les points 267 et 268 de l’arrêt attaqué repose aussi implicitement sur l’hypothèse que la Commission devrait être liée par l’appréciation de la RegTP, ce qui n’est pas le cas, comme nous l’avons vu plus haut. En réalité, les décisions de la RegTP auraient dû éveiller des soupçons sur l’éventualité de problèmes concernant sa structure tarifaire – compte tenu notamment de la jurisprudence antérieure (et de la pratique décisionnelle de la Commission) citée aux points 188 à 191 de l’arrêt attaqué, en ce sens que le caractère abusif des pratiques tarifaires d’une entreprise dominante est déterminé par référence à sa propre situation. En outre, comme Vodafone l’a observé à juste titre, la requérante au pourvoi savait que, en 1998 et en 1999, quinze de ses concurrents avaient déposé plainte auprès de la Commission à propos de sa structure tarifaire et que la Commission avait entamé l’examen de ces faits en vertu de l’article 82 CE.

35.      Dans son troisième grief, la requérante soutient que la référence du Tribunal à l’arrêt du Bundesgerichtshof rendu le 10 février 2004 est dénuée de pertinence. Cet arrêt a été rendu après la période en cause et ne tranche pas de façon décisive la question de savoir si la requérante au pourvoi était fondée à miser sur l’exactitude des décisions de la RegTP adoptées durant la période concernée. La requérante pouvait plutôt déduire de l’arrêt rendu par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (cour d’appel de Düsseldorf) le 16 janvier 2002 qu’elle était fondée à se fier aux décisions de la RegTP et que tout abus commis en vertu de l’article 82 CE était exclu.

36.      En ce qui concerne l’arrêt rendu par le Bundesgerichtshof, contrairement à ce que suggère l’argumentation de la requérante, il est clair, à la lecture de l’arrêt attaqué, que le Tribunal n’a pas considéré cet arrêt comme constituant un fondement de la confiance légitime, mais a simplement cherché à démontrer que le Bundesgerichtshof a abouti à la même conclusion que le Tribunal. En ce qui concerne l’arrêt rendu par l’Oberlandesgericht Düsseldorf, je partage l’avis de Vodafone selon lequel ce jugement a, en toute hypothèse, été rendu plusieurs années après le début de la période en cause. Par conséquent, il ne pourrait tout au plus avoir de l’intérêt que pour la période postérieure au 16 janvier 2002. En effet, comme l’a souligné Vodafone, on peut soutenir que la requérante au pourvoi n’avait en fait aucune confiance légitime qui puisse mériter protection (16). Il ressort de l’argumentation développée dans la première branche du premier moyen que, en tant qu’entreprise dominante, elle aurait dû vérifier spontanément si son comportement était compatible avec l’article 82 CE. Il est significatif aussi que, en vertu du règlement n° 17, qui était encore applicable à l’époque, elle disposait en fait de la possibilité de demander à la Commission une attestation négative pour sa structure tarifaire. En conséquence de tous les éléments qui précèdent, la deuxième branche du premier moyen devrait être rejetée.

3.      Sur la troisième branche du premier moyen portant sur le caractère délibéré ou négligent de l’infraction

37.      La Commission et Vodafone soutiennent que cette branche du premier moyen devrait être rejetée.

38.      Selon le premier grief de la requérante, l’arrêt attaqué méconnaîtrait, aux points 284 à 289, les exigences de l’article 253 CE en ce qu’il a jugé à tort que la décision attaquée était suffisamment motivée à propos de la négligence ou de l’intention. D’un point de vue légal, il ne suffit pas que la Commission se réfère, au deuxième visa de la décision attaquée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en tant que base légale pour imposer une amende. Un visa ne fait pas partie intégrante d’une décision. En toute hypothèse, il ne fait pas ressortir les motifs pour lesquels la Commission a considéré que l’infraction avait été commise intentionnellement ou par négligence. Deuxièmement, les constatations matérielles de la Commission évoquées au point 287 de l’arrêt attaqué ne sont pas de nature à fonder le grief tiré d’une violation de l’article 82 CE commise intentionnellement ou par négligence. Elles n’ont aucun rapport avec la question de l’imputabilité subjective du comportement selon la jurisprudence.

39.      En premier lieu, selon la jurisprudence, une entreprise est consciente du caractère anticoncurrentiel de son comportement lorsque «les éléments de fait qui justifient tant la constatation d’une position dominante sur le marché que l’appréciation [de la constatation par la Commission] d’un abus de cette position étaient connus» (17). Par conséquent, il suffit de souligner que, étant donné que la conscience de commettre une infraction aux règles de la concurrence n’est pas décisive, il peut y avoir faute de propos délibéré, même lorsque l’entreprise ne connaît pas l’interprétation que la Commission donne à ces règles. L’argument de la requérante concernant la réglementation particulière au secteur ne peut, à cet égard, tout au plus jouer un rôle qu’à propos de la question de savoir si la requérante au pourvoi savait que son comportement était illégal. Il n’affecte cependant pas le caractère intentionnel de cette conduite. Dans ces conditions, comme la Commission l’a également souligné à juste titre, cette branche du premier moyen perd son efficacité, parce que la requérante au pourvoi remplissait manifestement les conditions subjectives en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, ce qu’elle n’a pas contesté. La Commission a reconnu que la décision attaquée ne contient pas d’explications précises quant à savoir si l’infraction a été commise de façon délibérée ou au moins par négligence. J’admets cependant que, étant donné que l’obligation de motivation dépend des circonstances particulières d’une cause déterminée, le Tribunal était fondé à conclure qu’en l’espèce les conditions de l’article 253 CE étaient remplies. À cet égard, on peut souligner que les critères pertinents associés au concept d’acte délibéré et de négligence ne font aucun doute, dans la mesure où ils font partie intégrante de la jurisprudence constante (18). Comme indiqué à juste titre au point 286 de l’arrêt attaqué, la décision attaquée contient une référence à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et il faudrait entendre par là que la Commission a considéré que l’infraction avait été commise de façon délibérée ou, à tout le moins, par négligence. Ensuite, comme le Tribunal l’a indiqué correctement au point 287 de l’arrêt attaqué, la Commission a exposé en détail dans la décision attaquée les circonstances de l’infraction, notamment les motifs pour lesquels la Commission a considéré que les pratiques tarifaires de la requérante au pourvoi étaient abusives et les motifs pour lesquels la requérante au pourvoi devrait être considérée comme responsable, malgré la réglementation applicable. Par conséquent, le grief selon lequel le Tribunal a conclu à tort que la décision attaquée était suffisamment motivée devrait être rejeté.

40.      Selon le deuxième grief de la requérante au pourvoi, l’appréciation exprimée aux points 295 à 300 de l’arrêt attaqué serait entachée d’un défaut de motivation. En outre, le raisonnement reposerait sur une application erronée de l’article 15, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 17. L’imputabilité subjective d’une éventuelle violation de l’article 82 CE ferait défaut. À la lumière des décisions de la RegTP et en l’absence d’un précédent communautaire, la requérante au pourvoi n’aurait pas été consciente du prétendu caractère anticoncurrentiel de son comportement. Les considérations relatives aux décisions de la RegTP qui figurent aux points 267 à 269 de l’arrêt attaqué, auxquels ledit arrêt se réfère au point 299 ne permettent pas de conclure que la requérante au pourvoi aurait commis une faute (intentionnelle). L’appréciation d’une faute ne dépend pas du fait de savoir si l’entreprise est consciente ou non du fait que son comportement viole l’article 82 CE, mais plutôt de la conscience du caractère anticoncurrentiel de son comportement. En outre, ni la notion de subventionnement croisé utilisée par la RegTP ni l’arrêt du Bundesgerichtshof ne conforteraient la conclusion selon laquelle la requérante aurait commis une faute. Enfin, le Tribunal aurait omis d’examiner le grief selon lequel la requérante était fondée à tirer les conclusions adéquates du comportement général de la Commission en l’espèce.

41.      À mon avis, le Tribunal a satisfait aux exigences de motivation aux points 295 et suivants de l’arrêt attaqué, lorsqu’il a conclu que la requérante avait agi de propos délibéré parce qu’elle était consciente des éléments matériels nécessaires à l’appréciation de sa cause. L’argument de la requérante au pourvoi selon lequel elle ignorait que, sur la base d’une appréciation juridique, un certain comportement n’était pas autorisé par la réglementation applicable – lorsqu’elle se réfère au concept «anticoncurrentiel» ou «caractère anticoncurrentiel» – ne peut être entendu. Il suffit de souligner que cette approche ne correspond pas aux critères pertinents développés dans la jurisprudence citée au point 39 ci-dessus, selon lesquels ce sont les circonstances ou les éléments matériels justifiant la conclusion qu’il y a eu abus en vertu de l’article 82 CE qui importent. Enfin, le Tribunal a soutenu à bon droit, au point 298 de l’arrêt attaqué, que les arguments de la requérante au pourvoi concernant l’ouverture d’une procédure précontentieuse à l’encontre de la République fédérale d’Allemagne sont dénués de pertinence, dans la mesure où ils ne concernent pas les critères développés dans la jurisprudence à propos du concept de faute commise de propos délibéré évoqué ci-dessus. Quant à la prétendue promesse faite par la Commission, selon laquelle elle ne poursuivrait pas la procédure engagée contre la requérante au pourvoi, cette dernière n’a pu l’étayer par aucune preuve et, par conséquent, le Tribunal n’était pas tenu de l’aborder. Il s’ensuit que la troisième branche du premier moyen devrait également être rejetée. Le premier moyen devrait, par conséquent, être rejeté comme non fondé dans sa totalité.

B –    Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs de droit dans l’application de l’article 82 CE

1.      Sur la première branche, relative à la pertinence du critère de l’effet de ciseaux pour établir un abus

42.      La Commission et Vodafone soutiennent que cette branche du moyen devrait être rejetée.

43.      Par un premier grief, la requérante au pourvoi invoque un défaut de motivation, parce que le Tribunal n’aurait pas examiné les arguments qu’elle a avancés. L’arrêt attaqué reposerait sur un cercle vicieux – le Tribunal aurait appliqué le critère choisi par la Commission pour déterminer les éléments d’appréciation des tarifs de la requérante. Toutefois, l’objection de la requérante concernait une étape antérieure du raisonnement, à savoir la question relative à la pertinence du critère de l’effet de ciseaux tarifaire choisi par la Commission.

44.      Il faut souligner que c’est la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur ce type d’abus (19). Le seul précédent jurisprudentiel communautaire portant sur l’effet de ciseaux tarifaire est l’arrêt du Tribunal rendu dans l’affaire Industrie des poudres sphériques/Commission (20). Cette affaire concernait, toutefois, le rejet d’une plainte par la Commission plutôt qu’une décision constatant un abus de position dominante. En l’espèce, la Cour devra, notamment, trancher la question de principe consistant à savoir si le Tribunal était fondé à juger que l’effet de ciseaux tarifaire constitue un abus de position dominante autonome, c’est-à-dire même en l’absence de prix abusifs appliqués aux prestations intermédiaires et/ou de prix de détail d’éviction. Comme nous le verrons plus loin, je considère que, en avalisant la définition de l’effet de ciseaux fournie par la Commission dans la décision attaquée, le Tribunal a pu juger sans commettre la moindre erreur de droit que l’effet de ciseaux constitue effectivement en l’espèce une forme d’abus autonome. À propos du premier grief, en particulier, concernant le défaut de motivation, je ne me rallie pas aux prétentions de la requérante au pourvoi. En effet, le raisonnement tenu par le Tribunal à ce sujet ne se limite pas aux points 166 à 168 de l’arrêt attaqué. Les points 169 à 213 ont également leur importance à cet égard, dans la mesure où le Tribunal s’est penché, dans ces points, sur la méthode utilisée par la Commission pour répondre à la question de savoir s’il y avait ou non un effet de ciseaux tarifaire et, par conséquent, un abus en vertu de l’article 82 CE. Cela permet de décider que le Tribunal n’a pas violé l’article 253 CE. Je ne pense pas non plus que l’on puisse accuser le Tribunal d’avoir tenu un raisonnement circulaire. Aux points 166 à 168 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a simplement adopté le point de vue de la Commission, j’en conviens. Cependant, comme Vodafone l’a souligné à juste titre, le Tribunal a examiné les arguments de la requérante au pourvoi et a expliqué pourquoi il considérait qu’il était nécessaire de les rejeter, aux points 183 et suivants de l’arrêt attaqué. Notamment, en analysant la méthode utilisée par la Commission, le Tribunal a également examiné si cette méthode est adéquate pour démontrer un abus au titre de l’article 82 CE. C’est la raison pour laquelle, souscrivant à l’approche de la Commission, le Tribunal a pu juger au point 167 de l’arrêt attaqué que, pour ce type d’abus, c’est l’écart entre les prix et non le caractère abusif des prix en soi qui importe. À cet égard, le Tribunal se réfère à des précédents significatifs aux points 189 à 191 de l’arrêt attaqué. Sur ce point, il n’y a par conséquent manifestement aucun défaut de motivation dans l’arrêt attaqué.

45.      Par un deuxième grief, la requérante au pourvoi invoque une application erronée de l’article 82 CE: un examen de l’effet de ciseaux tarifaire n’est, par nature, pas approprié pour établir qu’il y a abus lorsque les tarifs des prestations intermédiaires ont été imposés par une autorité nationale de régulation. En effet, si l’autorité de régulation a fixé un tarif des prestations intermédiaires excessif, l’entreprise soumise à la régulation se verra obligée d’appliquer des prix de détail excessifs afin d’assurer une marge appropriée entre les tarifs des prestations intermédiaires et les tarifs de détail. En l’espèce, la requérante au pourvoi a dû choisir entre deux formes d’abus différentes: un effet de ciseaux tarifaire ou des prix excessifs. Elle ne pouvait donc éviter de commettre un abus. Une entreprise dominante ne commet d’abus que lorsque ses tarifs de détail sont, en tant que tels, abusivement bas.

46.      Je considère que, puisque le Tribunal a jugé à juste titre que l’effet de ciseaux tarifaire dépend de l’écart entre deux prix et non du niveau absolu des prix en soi – et à condition, bien sûr, que l’entreprise dispose d’une marge de manœuvre pour modifier au moins l’un de ces prix –, une analyse de l’effet de ciseaux tarifaire doit rester praticable, même si l’un de ces prix ou les deux sont soumis à une régulation. En effet, l’exemple de prix excessifs pour les prestations intermédiaires imposés par l’autorité nationale de régulation est, à mon avis, théorique par nature et la requérante n’a pas expliqué pourquoi il devrait être pertinent en l’espèce, notamment parce que les tarifs des prestations intermédiaires ont été fixés sur la base de ses coûts, comme il ressort du point 8 de l’arrêt attaqué, et que la requérante au pourvoi avait la possibilité de présenter une demande afin de faire prendre en compte une modification du calcul de la base des coûts. L’arrêt attaqué est, par conséquent, conforme à l’article 82 CE et la première branche du deuxième moyen devrait être rejetée, comme non fondée.

2.      Sur la deuxième branche du deuxième moyen, relative à la méthode de calcul de l’effet de ciseaux tarifaire qui serait erronée

47.      La Commission et Vodafone soutiennent que cette branche du deuxième moyen devrait être rejetée.

48.      Dans son premier grief, la requérante au pourvoi soutient que, dans le cadre de l’examen de la méthodologie appliquée par la Commission, l’arrêt attaqué contient également des erreurs de droit, parce qu’il se réfère à des critères qui sont incompatibles avec l’article 82 CE. Le Tribunal aurait appliqué de manière erronée le critère du concurrent aussi efficace aux faits de la cause, étant donné que la requérante au pourvoi, en tant qu’entreprise dominante, n’est pas soumise aux mêmes conditions réglementaires que ses concurrents. La requérante au pourvoi était tenue de reprendre l’ensemble des abonnés, indépendamment de leur attractivité économique. En outre, elle était tenue d’offrir à ses clients la «présélection» et le «call-by-call» (qui constituent ensemble la «(pré-)sélection»), tandis que ses concurrents n’étaient pas soumis à ces obligations. Le critère du concurrent aussi efficace aurait par conséquent dû être adapté. L’analyse n’aurait pas dû être fondée sur la structure de clientèle de la requérante au pourvoi.

49.      Cette branche du deuxième moyen concerne les critères appliqués pour qu’un effet de ciseaux tarifaire puisse être considéré comme abusif en vertu de l’article 82 CE. Il est clair, à présent, que la Commission, dans la décision attaquée, et le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, n’ont pas sanctionné la requérante au pourvoi en raison du niveau de ses tarifs pour les prestations intermédiaires, notamment parce qu’ils ont été imposés par l’autorité nationale de régulation (même si, comme il résulte du point 93 de l’arrêt attaqué, ce fait a simplement été supposé en faveur de la requérante au pourvoi). La question n’était pas, en effet, que ses tarifs pour les prestations intermédiaires étaient trop élevés, mais plutôt que ses tarifs de détail étaient trop bas, si bien que l’écart entre ceux-ci et les tarifs des prestations intermédiaires – et, par conséquent, les marges des concurrents – était soit négatif, soit insuffisant, selon la période concernée (21). Par conséquent, comme il résulte du point 181 de l’arrêt attaqué, l’actuel argument de la requérante au pourvoi concernant les coûts spécifiques ne porte que sur la seconde période (2002 à mai 2003) parce que, au cours de la première période, l’écart entre les tarifs de la requérante au pourvoi pour les prestations intermédiaires et les tarifs de détail était négatif. Le critère que la Cour doit analyser à cet égard est celui de la pertinence du «critère du concurrent aussi efficace», qui fait l’objet du premier grief de la requérante au pourvoi. La Cour devra répondre à la question de savoir si, dans les cas où il existe un effet de ciseaux tarifaire, il faudrait en principe tenir compte des coûts de l’entreprise dominante elle-même (le critère du concurrent aussi efficace), plutôt que des coûts de ses concurrents (le «critère du concurrent raisonnablement efficace») (22). En 1998, dans sa communication portant sur l’accès, la Commission a expressément suggéré que les deux critères soient pertinents. En ce qui concerne le premier, la Commission a déclaré: «La preuve d’un [effet de ciseaux tarifaire] pourrait être faite en démontrant que l’entreprise en position dominante ne pourrait exercer des activités rentables en aval, en se fondant sur le prix que sa branche en amont applique à ses concurrents ». En ce qui concerne le second critère, elle a déclaré: «Dans certains cas, un [effet de ciseaux tarifaire] peut aussi être démontré en prouvant que la marge entre la redevance d’accès que doivent payer tous les concurrents sur ce marché en aval et celle que l’opérateur de réseau applique sur ledit marché est insuffisante pour permettre à un prestataire de services raisonnablement efficace d’y réaliser un bénéfice normal» (23). Cependant, comme l’arrêt attaqué le rappelle à juste titre, la Cour a considéré, dans l’affaire AKZO/Commission (24), que le critère du concurrent aussi efficace était pertinent dans le cadre de prix d’éviction. À mon avis, le Tribunal a soutenu, à juste titre, que le critère du concurrent aussi efficace est pertinent non seulement lorsque l’abus consiste dans la différence entre les tarifs et les coûts de l’entreprise dominante, mais également lorsqu’il se situe entre ses tarifs pour les prestations intermédiaires et ses tarifs de détail (25). Je pense, en effet, qu’il est difficile de critiquer l’analyse du Tribunal faite aux points 186 à 194 de l’arrêt attaqué, étant donné qu’il ressort clairement des précédents applicables et du principe de la sécurité juridique que le critère du concurrent aussi efficace est le critère adéquat dans le cadre de la présente affaire. En outre, il est très généralement admis qu’en principe le critère du concurrent aussi efficace constitue un critère adéquat (26).

50.      En ce qui concerne en particulier le premier grief, la requérante au pourvoi conteste le point 188 de l’arrêt attaqué et soutient que, en la cause, ce n’est pas la situation de l’entreprise dominante qui est déterminante, mais plutôt celle de ses concurrents. La requérante soutient que, parce qu’elle est soumise en l’espèce à des conditions juridiques et matérielles différentes en tant qu’entreprise dominante, le critère du concurrent aussi efficace aurait dû être adapté. Elle soutient, en particulier, que l’analyse n’aurait pas dû être basée sur sa structure de clientèle. Je voudrais, tout d’abord, observer que la requérante au pourvoi elle-même reconnaît que ce test est généralement utile, dans la mesure où il diminue la promotion de concurrents inefficaces et augmente la sécurité juridique pour les entreprises en position dominante parce que, dans le cadre de ce critère, elles sont en mesure d’établir – ex ante – la légalité de leurs propres activités. Ensuite, comme la Commission l’a souligné à juste titre, la requérante au pourvoi ne peut pas se défendre elle-même en déclarant qu’elle n’était pas aussi efficace que ses concurrents. Le droit de la concurrence ne protège pas les «entreprises inefficaces». Au contraire, l’article 82 CE cherche à prévenir le comportement d’une entreprise en position dominante qui tente d’étouffer la concurrence, alors que ladite entreprise est précisément forcée de lutter pour éliminer les inefficacités. C’est pourquoi je ne suis pas convaincu que la présente affaire devrait assurer une modification des critères que l’article 82 CE établit dans ce contexte.

51.      Dans son deuxième grief, la requérante au pourvoi affirme que le Tribunal a commis une erreur de droit dans la mesure où il n’a pas pris en considération les tarifs d’autres services de télécommunications (les appels téléphoniques). Cette méthode ne serait compatible ni avec les principes économiques ni avec la pratique décisionnelle d’autres autorités compétentes en Europe et aux États-Unis. Elle serait en contradiction avec les réalités du marché: ni les abonnés ni les opérateurs ne considèrent les services d’accès de manière isolée. D’un point de vue économique, l’analyse de l’effet de ciseaux tarifaire doit tenir compte de l’ensemble des recettes et des coûts liés à la prestation intermédiaire. Dans le cas d’entreprises offrant plusieurs produits, s’il existe des coûts de prestations intermédiaires qui constituent la base d’une pluralité de services aux abonnés sur plusieurs marchés en même temps, l’agrégation devrait être réalisée à un niveau plus élevé auquel l’ensemble des services concernés aux abonnés serait pris en compte.

52.      Le critère du concurrent aussi efficace est effectivement adéquat, parce qu’il montre si un concurrent est en mesure de concurrencer l’entreprise en position dominante sur la base de l’égalité des chances. En outre, comme le Tribunal l’a soutenu à bon droit au point 192 de l’arrêt attaqué, toute autre approche risquerait de violer le principe général de la sécurité juridique. Toutefois, la requérante au pourvoi soutient que, malgré l’effet de ciseaux tarifaire, ses concurrents ont été en mesure de la concurrencer, sur la base de modèles commerciaux différents des siens ou en proposant des produits par le biais de services n’existant pas sur le marché en question. Comme il ressort des points 195 à 199 de l’arrêt attaqué, le critère du concurrent aussi efficace a montré que les concurrents de la requérante au pourvoi ne pouvaient pas économiquement adopter le modèle utilisé concrètement par la requérante au pourvoi sur le marché de l’accès. La requérante au pourvoi ne peut pas rechercher en l’espèce une adaptation du critère du concurrent aussi efficace, simplement parce que sa situation n’est pas la même que celle de ses concurrents. Ce n’est pas possible, tout simplement parce que l’entreprise en position dominante et ses concurrents ne se trouveront jamais, par définition, dans la même situation. Quant aux arguments portant sur les difficultés auxquelles elle est confrontée du fait de sa transformation d’entreprise d’État en une entreprise commerciale ayant une structure de clientèle différente de celle de ses concurrents, il suffit de souligner, comme je l’ai indiqué plus haut, que le droit de la concurrence ne tient pas compte de ces inefficacités des entreprises en position dominante. En outre, la Commission a observé que la requérante au pourvoi bénéficiait plutôt d’un avantage concurrentiel grâce à ses clients des lignes analogiques lorsqu’ils voulaient améliorer leur connexion. En ce qui concerne l’argument selon lequel seule la requérante proposait le «call-by-call», la Commission a souligné que ce n’était pas exact – certains de ses concurrents offraient aussi ce service à leurs clients. L’obligation pour la requérante de permettre ce service découlait de sa position particulière sur le marché et il n’y avait donc pas de discrimination par rapport à ses concurrents; des situations différentes étaient traitées différemment. Comme je l’ai indiqué au début des présentes conclusions, la régulation n’est pas susceptible d’affecter l’application de l’article 82 CE, aussi longtemps qu’il existe une marge de manœuvre suffisante pour la requérante. Dès lors, la requérante au pourvoi ne peut pas chercher à présent à obtenir un statut spécial du fait de cette régulation.

53.      La requérante au pourvoi affirme que l’analyse de l’effet de ciseaux tarifaire effectuée par le Tribunal est incomplète, dans la mesure où elle ne tient pas compte des communications rendues possibles grâce aux prestations intermédiaires. En effet, les concurrents pourraient exclure la (pré-)sélection des opérateurs et faire une offre groupée de connexions, de communications, etc. par le biais de la boucle locale. En l’occurrence, la demande des abonnés et la concurrence entre les opérateurs concernent une offre groupée de services de communications et de connexions. Deuxièmement, les points 196 à 202 de l’arrêt attaqué reposent sur plusieurs erreurs de droit. La question de savoir si les tarifs des communications doivent être pris en compte dépend de la question de principe concernant la méthode correcte à appliquer dans le cas d’entreprises offrant plusieurs produits. Le Tribunal ne saurait donc se soustraire à cette appréciation en soulignant, au point 185 de l’arrêt attaqué, le caractère restreint de son contrôle.

54.      Premièrement, les considérations figurant aux points 196 et 197 de l’arrêt attaqué – selon lesquelles le principe de la restructuration tarifaire impose une prise en compte séparée du prix de l’accès et des tarifs des communications – seraient erronées en droit. L’arrêt attaqué serait contradictoire. Au point 113, le Tribunal se fonde, pour apprécier l’imputabilité, sur le fait que les objectifs de la réglementation sectorielle peuvent diverger de ceux de la politique communautaire de la concurrence, mais il déduit ensuite précisément d’un principe réglementaire qu’une analyse distincte des tarifs des connexions et des tarifs des communications est nécessaire, même si les abonnés considèrent ces prestations comme constituant un ensemble. Ensuite, le point 161 de l’arrêt attaqué serait insuffisamment motivé, dès lors que le Tribunal n’expose pas les raisons pour lesquelles sa conception serait exacte et qu’il n’examine pas les objections soulevées par la requérante au pourvoi.

55.      Encore une fois, je me rallie au point de vue de la Commission selon lequel seule une approche consistant à considérer séparément les deux marchés et à analyser l’effet de ciseaux entre le marché des prestations intermédiaires et celui des prestations aux clients finals est compatible avec l’article 82 CE. Aux points 195 à 207 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a effectivement pas commis d’erreur de droit en confirmant l’approche de la Commission. En ce qui concerne l’argument relatif au critère de l’effet de ciseaux dans le cas d’une entreprise qui commercialise plusieurs produits, la Commission a souligné à juste titre que la requérante au pourvoi oublie que les services d’accès ne sont pas indispensables à la réalisation de recettes générées par les communications. Avec le «call-by-call», la requérante pouvait aussi réaliser des recettes sur le marché des services de communications, tout comme ses concurrents, indépendamment de la situation des contrats d’abonnement. La Commission a correctement expliqué pourquoi l’affirmation de la requérante selon laquelle tous les concurrents avaient désactivé le «call-by-call» est inexacte. La requérante au pourvoi confond la cause et l’effet, car l’effet de ciseaux qu’elle a produit a empêché les concurrents de fournir uniquement des services d’accès en couvrant leurs coûts. Quant aux exemples de décisions adoptées par d’autres autorités de régulation qui ont abouti à des conclusions différentes, leur intérêt se limite à une comparaison sur le plan juridique. Elles ne modifient cependant pas les objectifs et les critères d’analyse de l’article 82 CE. Ensuite, s’agissant de l’argumentation du Tribunal développée au point 185 de l’arrêt attaqué, il semble que, malgré ces considérations, le Tribunal s’est livré à un examen détaillé pour confirmer la méthode de la Commission.

56.      En outre, selon la requérante, la conclusion selon laquelle le principe de restructuration tarifaire exclut les services de télécommunications serait fondamentalement inexacte et violerait l’article 82 CE. Ce principe ne constituerait pas un critère d’application de l’article 82 CE. De plus, le principe de restructuration tarifaire ne s’appliquerait qu’à la requérante au pourvoi et à la régulation de ses tarifs, mais pas à ses concurrents. Il ne se prononce pas sur leurs possibilités concurrentielles. Tandis que la régulation des télécommunications peut servir à la mise en œuvre de l’article 82 CE, cet article ne serait pas un instrument destiné à la mise en œuvre de la régulation sectorielle.

57.      Il semble qu’il n’y ait aucune contradiction dans l’arrêt attaqué en ce qui concerne le principe de la restructuration tarifaire. Il est indiscutable que l’article 82 CE doit tenir compte de la situation concrète et du cadre juridique du marché en cause. L’allégation de manque de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point ne peut être suivie, dans la mesure où elle est insuffisamment précisée. La requérante ne précise, notamment, pas quelles seraient ses objections au recours au principe de la restructuration tarifaire. En outre, tandis que le point 196 de l’arrêt attaqué explique le rapport entre le cadre réglementaire et l’appréciation au titre de l’article 82 CE, le point 197 dudit arrêt se réfère à la motivation de la Commission. Je partage le point de vue de la Commission selon lequel, contrairement aux allégations de la requérante au pourvoi, la restructuration tarifaire visée par la directive 96/19/CE de la Commission (27) a pour objectif de séparer clairement la prestation d’un service universel des prestations soumises à la concurrence et de distinguer selon les coûts. Il faudrait, par conséquent, empêcher les subventionnements croisés. Toutefois, cela mène à la conclusion, adoptée à juste titre au point 196 de l’arrêt attaqué, qu’il y a lieu de distinguer les tarifs des connexions de ceux des communications, même dans le cadre d’une analyse au titre de l’article 82 CE. Il serait sans importance, à cet égard, que la régulation s’applique ou non aux concurrents, parce que la directive 96/19 entendrait précisément protéger les concurrents de la requérante au pourvoi.

58.      Premièrement, la requérante au pourvoi affirme que le point 199 de l’arrêt attaqué est insuffisamment motivé. Le Tribunal aurait dû examiner quels services sont basés sur la boucle locale en tant que prestation intermédiaire. À cette condition seulement, le Tribunal aurait pu aboutir à une conclusion en matière d’égalité des chances. Cette égalité ne serait assurée que par une analyse globale de tous les coûts et tarifs de tous les services basés sur la boucle locale. La requérante au pourvoi allègue que le Tribunal a défié les lois de la logique et renvoie au point 238 de l’arrêt attaqué. La supposition du Tribunal selon laquelle la requérante ne supporte aucun coût pour les connexions serait manifestement erronée. En réalité, étant donné que les tarifs de détail pour les connexions appliqués par la requérante sont inférieurs à ses propres coûts, elle devrait, comme ses concurrents, recourir à un subventionnement croisé entre tarifs des connexions et tarifs des communications. Par ailleurs, les considérations du Tribunal au point 202 de l’arrêt attaqué seraient en contradiction directe avec le critère du concurrent aussi efficace selon lequel seule la structure des coûts et des tarifs de la requérante est déterminante.

59.      J’estime que les considérations figurant aux points 199 à 201 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles l’égalité des chances impose une séparation, sont exactes, puisqu’une analyse d’ensemble des connexions et des communications contraindrait les concurrents de la requérante au pourvoi à lui faire concurrence uniquement suivant un modèle déterminé de subventionnement croisé qui consoliderait la position de force de la requérante au pourvoi dans le domaine des services de connexion, comme l’a observé la Commission à juste titre. Toutefois, comme le Tribunal l’a soutenu au point 202 de l’arrêt attaqué, le modèle proposé par la requérante au pourvoi forcerait ses concurrents à compenser les pertes engendrées dans le domaine des services de connexion par des tarifs plus élevés dans celui des communications. Il y a lieu de souligner, à cet égard, que la requérante au pourvoi n’attaque pas la délimitation du marché suivant laquelle les services de connexion aux clients finals et les tarifs des communications constituent les uns et les autres un marché distinct. De plus, les prestations de communications peuvent aussi être fournies sans le recours à un service de connexion. La Commission considère, à juste titre, que l’allégation de violation des principes de la logique n’est d’aucune aide pour la requérante. La décision attaquée a dénoncé l’effet de ciseaux tarifaire uniquement en raison de ses effets sur le marché de détail et, par conséquent, la Commission n’était pas tenue d’enquêter sur la question de savoir si les concurrents étaient plus mal placés que la requérante au pourvoi sur le marché des communications. À mon avis, il suffit de souligner que le point 237 de l’arrêt attaqué contient déjà une réponse complète aux arguments présentés en première instance, laquelle suffit pour confirmer la décision attaquée. La critique à l’encontre du point 238 est donc dépourvue d’intérêt. En toute hypothèse, la requérante au pourvoi n’a pas établi le bien-fondé de cette critique. De plus, le Tribunal a considéré à juste titre, sans se contredire, en se fondant sur le critère du concurrent aussi efficace, que les concurrents ont une chance sur le marché s’ils proposent, avec des tarifs de connexion plus élevés destinés à couvrir les coûts, des tarifs de communications inférieurs à ceux de la requérante au pourvoi, de sorte que les paquets de services sont comparables.

60.      Enfin, la requérante au pourvoi considère que le Tribunal a appliqué un critère juridique erroné en ce qui concerne la répartition de la charge de la preuve, dès lors que, aux points 201 et 202 de l’arrêt attaqué, il s’est contenté de déclarer «qu’il ne saurait être exclu» que les concurrents n’aient pas eu la possibilité économique de compenser d’éventuelles pertes engendrées par les connexions téléphoniques par des recettes provenant des communications, alors que la requérante au pourvoi aurait visé à démontrer, dans sa requête en première instance, qu’il était possible d’effectuer un subventionnement croisé.

61.      Je souscris au point de vue de la Commission selon lequel le Tribunal a statué sur la question de fait soulevée par la requérante au pourvoi et qu’il n’a pas tranché le litige sur la base de la charge de la preuve. Au point 202 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a déclaré que, durant la période en cause, la requérante a considérablement baissé ses prix pour les communications. Ce constat ne peut être contesté par la requérante au pourvoi, puisqu’elle n’a fait valoir aucune dénaturation des faits. C’est pourquoi la deuxième branche du deuxième moyen devrait être rejetée.

3.      Sur la troisième branche du deuxième moyen, relative à l’incidence de l’effet de ciseaux tarifaire

62.      La Commission et Vodafone soutiennent que cette branche du deuxième moyen devrait être rejetée.

63.      Par un premier grief, la requérante soutient que, puisque le calcul de l’effet de ciseaux tarifaire était erroné, l’appréciation des effets du prétendu effet de ciseaux tarifaire serait, elle aussi, entachée d’erreurs de droit. Les points 234 et 235 de l’arrêt attaqué rejettent à bon droit l’idée de la Commission selon laquelle aucune démonstration d’un effet anticoncurrentiel n’aurait été nécessaire. Toutefois, l’analyse à laquelle le Tribunal a procédé au point 237 de l’arrêt attaqué se fonde sur un effet de ciseaux tarifaire qui tient uniquement compte des tarifs de connexion. Au point 238 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se baserait sur une hypothèse erronée selon laquelle, s’agissant du subventionnement croisé des prestations de connexions et des prestations de communications, les concurrents de la requérante au pourvoi sont défavorisés par rapport à celle-ci, qui ne subit aucune perte pour les connexions. Par son deuxième grief, la requérante au pourvoi fait valoir que l’argumentation démontrant l’existence d’effets anticoncurrentiels est également entachée d’erreurs de droit. Au point 239 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se bornerait à indiquer que la part de marché des concurrents sur les marchés des connexions à large bande et à bande étroite était restée faible, sans fournir le moindre lien de causalité entre ces parts de marché et le prétendu effet de ciseaux tarifaire. De plus, le point 240 de l’arrêt attaqué reposerait sur une mauvaise compréhension du point 182 de la décision attaquée.

64.      Je tiens à souligner que, au point 235 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé, à juste titre, que la Commission était tenue de démontrer que les pratiques tarifaires de la requérante au pourvoi ont un effet anticoncurrentiel. Il ressort clairement de ce point que le Tribunal a considéré que l’effet anticoncurrentiel que la Commission est tenue de démontrer en l’espèce se rapporte aux entraves éventuelles que les pratiques tarifaires de la requérante au pourvoi auraient pu constituer pour le développement de la concurrence sur ce marché. Ainsi, tandis que le Tribunal n’exigeait pas de la Commission qu’elle démontre des effets anticoncurrentiels effectifs, il requérait par contre la preuve de la création d’entraves portant sur l’accès au marché, et donc une démonstration des effets anticoncurrentiels potentiels. À cet égard, le Tribunal a jugé au point 237 de l’arrêt attaqué que, étant donné que les prestations intermédiaires de la requérante au pourvoi sont indispensables pour permettre à un de ses concurrents d’entrer en concurrence avec elle sur le marché en aval des services d’accès pour les abonnés, un effet de ciseaux entre les tarifs des prestations intermédiaires et les tarifs de détail de la requérante au pourvoi entravera en principe le développement de la concurrence sur les marchés en aval. J’estime, par conséquent, que le Tribunal a souligné à juste titre qu’en l’espèce les prestations intermédiaires étaient indispensables et que, privés d’accès à ces services, les concurrents de la requérante au pourvoi ne pourraient même pas entrer sur le marché en aval des services pour les abonnés. Cela correspond à l’approche développée par le Tribunal dans sa jurisprudence qui a été confirmée par la Cour, selon laquelle l’effet requis ne se rapporte pas nécessairement à l’effet réel du comportement abusif objet de la plainte. Aux fins d’établir une violation de l’article 82 CE, il suffit de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, que le comportement est de nature à avoir cet effet (28). À mon avis, il s’ensuit clairement que la Commission doit démontrer que, dans le cadre du marché spécifique en cause, il existe potentiellement des effets anticoncurrentiels (29). Par conséquent, une simple affirmation selon laquelle il pourrait y avoir des effets anticoncurrentiels vagues et abstraits ne suffira pas. Il ressort de tout ce qui précède que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit.

65.      En ce qui concerne le premier grief de la requérante au pourvoi, selon lequel l’analyse des effets est en toute hypothèse erronée, parce qu’elle ne tient compte que des tarifs de connexion, il est inopérant. J’ai déjà expliqué plus haut dans mes conclusions pourquoi cette argumentation devrait être rejetée. En ce qui concerne le deuxième grief de la requérante au pourvoi portant sur le lien de causalité, et en particulier son argument selon lequel, dans le domaine des télécommunications, une lente pénétration du marché par des opérateurs n’est pas surprenante, cet argument n’a pas été présenté comme tel en première instance et il est, en toute hypothèse, non pertinent. En ce qui concerne l’inclusion des services de communications, la requérante au pourvoi n’a pas expliqué pour quelles raisons il était nécessaire de modifier, à ce stade de l’appréciation, l’approche qui avait été utilisée comme base du calcul de l’effet de ciseaux tarifaire et de tenir compte des services de communications. Finalement, à propos de l’argument portant sur le point 182 des motifs de la décision attaquée, il convient de souligner qu’il n’est pas dirigé contre l’arrêt attaqué. En outre, comme la Commission l’a indiqué, il est irrecevable puisqu’il n’a pas été soulevé en première instance et il est en toute hypothèse non fondé puisque, en l’espèce, indépendamment de son étendue, l’effet de ciseaux tarifaire a rendu économiquement impossible pour les concurrents de proposer des services de connexion aux mêmes prix que la requérante au pourvoi. C’est pourquoi la troisième branche du deuxième moyen devrait être rejetée comme partiellement irrecevable et en toute hypothèse non fondée. Par conséquent, le deuxième moyen devrait être rejeté dans sa totalité.

C –    Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs de droit dans le calcul des amendes

1.      Sur la première branche, relative au caractère grave de l’infraction

66.      La requérante au pourvoi fait valoir que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 a été violé, en ce que ni les arguments de la Commission ni le raisonnement du Tribunal développé aux points 306 à 310 de l’arrêt attaqué n’étayent l’affirmation selon laquelle, en ce qui concerne la première période, la requérante au pourvoi a commis une infraction grave. Le Tribunal a méconnu le fait que, conformément au point 1 A des lignes directrices (30), les comportements d’exclusion «peuvent» certes constituer des infractions graves, mais que ce n’est pas nécessairement le cas. Le Tribunal a par conséquent omis d’examiner les arguments qui plaident contre la qualification d’infraction grave.

67.      La Commission soutient que cette branche du troisième moyen devrait être rejetée.

68.      Il suffit de souligner que, pour la période qui a commencé au 1er janvier 2002, l’argument de la requérante au pourvoi est inopérant, puisque l’infraction n’a pas été qualifiée de grave, mais de peu grave. S’agissant de la période comprise entre 1998 et 2001, la Commission a estimé à juste titre que, conformément au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, elle n’est pas tenue, au stade de la détermination de la gravité de l’infraction, de tenir compte d’une contribution réduite à l’infraction (voir le point 311 de l’arrêt attaqué). La possibilité de reconnaître une circonstance atténuante à ce titre a été utilisée par la Commission, ainsi qu’il ressort du point 312 de l’arrêt attaqué. De plus, la requérante au pourvoi n’explique pas quel acte précis de participation de la RegTP à la fixation des prix aurait dû mener à une réduction supplémentaire de l’amende. Par conséquent, cette branche du troisième moyen devrait être rejetée.

2.      Sur la deuxième branche du troisième moyen, relative à l’absence de prise en considération appropriée de circonstances atténuantes

69.      La requérante observe que, au point 212 des motifs de la décision attaquée, la Commission n’a tenu compte que de l’existence d’une régulation sectorielle au niveau national, mais pas de la teneur de la régulation, à savoir l’examen et la dénégation par la RegTP de l’existence d’un effet de ciseaux tarifaire. Le Tribunal a commis une erreur de droit en ne reprochant pas à la Commission d’avoir méconnu deux autres circonstances atténuantes au sens du point 3 des lignes directrices. Compte tenu des décisions de la RegTP, la requérante aurait été convaincue de la légalité de son comportement. En toute hypothèse, l’infraction aurait été commise par négligence.

70.      La Commission soutient que cette branche du troisième moyen devrait être rejetée.

71.      Comme l’a soutenu la Commission, la requérante néglige, en tout cas, le fait que le point 212 des motifs de la décision attaquée a été rédigé dans un sens très large et qu’il soutient pleinement l’interprétation qui en est donnée au point 312 de l’arrêt attaqué. En ce qui concerne l’argument selon lequel la requérante au pourvoi n’a agi qu’avec négligence, il n’a pas été invoqué en première instance. En toute hypothèse, le Tribunal a décidé, à juste titre, aux points 295 à 297 de l’arrêt attaqué, que le comportement de la requérante au pourvoi correspondait à la définition d’une infraction commise de propos délibéré. Cette branche du troisième moyen est, par conséquent, partiellement irrecevable et en toute hypothèse non fondée.

3.      Sur la troisième branche du troisième moyen, relative à la condamnation à une amende symbolique

72.      Au point 319 de l’arrêt attaqué, le droit à l’égalité de traitement a été méconnu. Comme dans l’affaire Deutsche Post, la requérante au pourvoi aurait dû être condamnée à une amende symbolique (31). La requérante au pourvoi s’est comportée de manière conforme à la jurisprudence des tribunaux allemands et des décisions de la RegTP. Il est sans importance que l’arrêt de l’Oberlandesgericht ait été annulé ultérieurement, parce qu’il découlait d’une exception éventuelle qui n’est pas applicable en l’espèce, et c’est seulement après que l’arrêt a été annulé que la requérante au pourvoi a pu partir du principe qu’elle pouvait être jugée responsable en vertu de l’article 82 CE. La situation de la requérante au pourvoi serait comparable à celle qui est à la base de l’affaire Deutsche Post. La communication portant sur l’accès ne constituerait pas vraiment un «précédent». Enfin, un engagement à mettre fin à une infraction ne pourrait pas constituer une condition nécessaire de la condamnation à une amende symbolique.

73.      La Commission soutient que cette branche du troisième moyen devrait être rejetée.

74.      La Commission soutient, à juste titre, que le grief de la requérante au pourvoi est dénué de pertinence. Cet argument ne servirait la cause de la requérante au pourvoi que si le contexte factuel et légal des deux affaires était directement comparable (32). Les points 317 à 320 de l’arrêt attaqué montrent que ce n’était pas le cas et, effectivement, la requérante au pourvoi n’a pas affirmé que les constats effectués dans ces points sont erronés en fait et que les différences qui y sont constatées ne sont pas réelles. La Commission estime, à juste titre, également que les amendes symboliques constituent l’exception et qu’elle ne devrait pas être tenue de se justifier lorsqu’elle inflige une amende selon les règles normales. En toute hypothèse, la Commission a pris en considération les décisions de la RegTP dans le cadre de circonstances atténuantes. Aux points 312 et 313, le Tribunal a confirmé qu’il n’y avait pas d’erreur d’appréciation à cet égard. À propos de l’arrêt de l’Oberlandesgericht, il suffit de souligner que le Tribunal a jugé, à juste titre, au point 319 de l’arrêt attaqué qu’il a été rendu au cours de la période pour laquelle la Commission n’a pas infligé l’amende qui aurait été appropriée dans des circonstances normales. Il est également vrai, en toute hypothèse, que l’Oberlandesgericht n’a nullement abordé la question des facteurs à prendre en considération lors de la définition d’un effet de ciseaux. En conséquence, cet arrêt est dépourvu de pertinence pour résoudre la question de l’amende symbolique. Enfin, cet arrêt est incompatible avec la jurisprudence de la Cour. Le fait qu’il a été annulé par le Bundesgerichtshof a simplement confirmé ce que la requérante au pourvoi aurait dû savoir. Deuxièmement, la Commission a fait connaître sa position vis-à-vis de certaines pratiques, sous forme de communications avec la requérante au pourvoi. Les considérations de la RegTP ne portaient pas sur l’article 82 CE et, de toute façon, la Commission a fait savoir en 1998, dans sa communication portant sur l’accès, que le droit communautaire de la concurrence était applicable parallèlement aux dispositions en matière de télécommunications et que même les pratiques autorisées par les autorités nationales de régulation étaient soumises aux règles du traité sur la concurrence. Enfin, je considère qu’il suffit de souligner que, contrairement à ce qui s’est produit dans l’affaire Deutsche Post, la requérante au pourvoi n’a, en l’espèce, pris aucun engagement afin d’éviter toute infraction à l’avenir. En outre, la Commission a ajouté que, en la cause, la requérante au pourvoi ne lui a pas facilité la tâche en tant qu’autorité responsable de la concurrence. Cette branche du troisième moyen devrait également être rejetée comme non fondée et, par conséquent, le troisième moyen devrait être rejeté dans sa totalité. Il résulte de toutes les considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté.

IV – Conclusion

75.      À la lumière des éléments repris ci-dessus, je propose à la Cour de:

–        rejeter le pourvoi;

–        condamner Deutsche Telekom AG à ses propres dépens et à ceux de la Commission européenne;

–        condamner Vodafone AG & Co. KG et Versatel NRW GmbH à leurs propres dépens.


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Arrêt du 10 avril 2008, Deutsche Tekekom/Commission (T‑271/03, Rec. p. II‑477, ci-après l’«arrêt attaqué»).


3 – Décision 2003/707/CE, du 21 mai 2003, relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (affaires COMP/C-1/37.451, 37.578, 37.579 – Deutsche Telekom AG) (JO L 263, p. 9, ci-après la «décision attaquée»).


4 – Arrêt du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission (C‑131/03 P, Rec. p. I‑7795, points 49 à 51 et jurisprudence citée).


5 – Arrêts du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 36 à 73), et du 9 septembre 2003, CIF (C‑198/01, Rec. p. I‑8055, point 56). Voir aussi arrêt du 30 janvier 1985, Clair (123/83, Rec. p. 391, points 21 à 23).


6 – Arrêt du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing (C‑359/95 P et C‑379/95 P, Rec. p. I‑6265, points 33 et 34 et jurisprudence citée).


7 – Arrêt du 16 septembre 2008 (C‑468/06 à C‑478/06, Rec. p. I‑7139, points 62 et suiv.).


8 – Respectivement règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), et règlement (CE) n° 1/2003, du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1).


9 – Arrêt du 14 décembre 2000 (C‑344/98, Rec. p. I‑11369, point 48).


10 – Règlement (CE) n° 2887/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif au dégroupage de l’accès à la boucle locale (JO L 336, p. 4).


11 – Directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunication (JO L 192, p. 10).


12 – Voir arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, Rec. p. 461, point 91). Voir aussi arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6/72, Rec. p. 215, point 29).


13 – À cet égard, en ce qui concerne le règlement n° 2887/2000, voir arrêt du 24 avril 2008, Arcor (C‑55/06, Rec. p. I‑2931, points 59 à 64).


14 – Voir communication de la Commission du 22 août 1998 relative à l’application des règles de concurrence aux accords d’accès dans le secteur des télécommunications – cadre général, marchés en cause et principes (JO C 265, p. 2, point 22, ci-après la «communication portant sur l’accès»): «[…] les entreprises opérant dans le secteur des télécommunications doivent être conscientes du fait que la conformité aux règles de concurrence communautaires ne les dispense nullement d’observer les obligations imposées dans le cadre ONP, et inversement» (soulignement ajouté). Voir aussi point 60: «[L’article 82 CE s’applique] normalement […] aux pratiques […] approuvées ou autorisées par une autorité nationale [de régulation]». Voir le texte de doctrine de Streel, A., On the edge of antitrust: the relationship between competition law and sector regulation in European electronic communications, EUI, Florence, octobre 2006; Larouche, P., Contrasting legal solutions and the comparability of EU and US experiences, TILEC Discussion Paper, novembre 2006; Monti, G., «Managing the intersection of utilities regulation and EC competition law», Competition Law Review, vol. 4, 2, juillet 2008, et Klotz, R., dans Koenig, C., Bartosch, A., Braun, J.-D., et Romes, M. (éd.), EC competition and telecommunications law , 2e édition, Wolters Kluwer, 2009, p. 108 et suiv.


15 – Lignes directrices de la Commission sur l’analyse du marché et l’évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire communautaire pour les réseaux et les services de communications électroniques (JO 2002, C 165, p. 6, en particulier point 31).


16 – Voir arrêt du 20 mars 1997, Alcan Deutschland (C‑24/95, Rec. p. I‑1591, points 25 et 31).


17 – Voir arrêts du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission (96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, point 45), et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission (322/81, Rec. p. 3461, point 107). Voir aussi arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission (T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 206).


18 – Arrêt du 1er février 1978, Miller/Commission (19/77, Rec. p. 131, point 18).


19 – Voir aussi l’affaire en cours, TeliaSonera Sverige (C‑52/09), dans laquelle une série de questions ont été posées à propos de l’effet de ciseaux tarifaire. Toutefois, les enjeux ainsi que les faits et le contexte réglementaire sont différents sous plusieurs aspects (il n’y a, par exemple, pas d’interaction entre la réglementation en matière de télécommunications et le droit de la concurrence et, en particulier, TeliaSonera n’avait aucune obligation réglementaire de fournir des «input products for ADSL».


20 – Arrêt du 30 novembre 2000 (T‑5/97, Rec. p. II‑3755, appelée aussi affaire «IPS»). Voir les affaires au niveau national, parmi lesquelles: (Italie) Telecom Italia, A 351, provvedimento n° 13752, 16 novembre 2004; (France) France Télécom/SFR Cegetel/Bouygues, décision n° 04-D-48, 14 octobre 2004; (Danemark) Song Networks A/S/TDC/SDNOFON, 27 avril 2004; (Suède) TeliaSonera, dnr 1135/2004, 22 décembre 2004; (Royaume-Uni) BSkyB, CA98/20/2002, et affaire NCCN 500, décision Ofcom, 1er août 2008. Voir aussi notes 26 et 29.


21 – Voir l’objection en cause dans la décision 88/518/CEE de la Commission, du 18 juillet 1988, relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (IV/30.178 – Napier Brown – British Sugar) (JO L 284, p. 41, points 65 et 66 des motifs): « BS [n’a laissé] qu’une marge insuffisante [pour un] vendeur de sucre au détail aussi efficace que BS elle-même […] le maintien, par une entreprise dominante […] d’une marge entre le prix qu’elle facture pour la matière première aux entreprises qui la concurrencent sur le marché du produit dérivé et le prix qu’elle facture pour le produit dérivé trop étroite pour refléter le coût de transformation de l’entreprise dominante elle-même […] constitue un abus de position dominante». Voir aussi point 41 des motifs de ladite décision.


22 – Ce critère peut tenir compte des concurrents effectifs ou simplement potentiels. Il a été entériné par le UK Competition Appeal Tribunal (ci-après le «CAT») dans l’affaire Genzyme (remedy) [2005] CAT 32, point 249, et par la cour d’appel de Bruxelles dans l’affaire TELE2/Belgacom, 18 décembre 2007, R.G. 2006/MR/3.


23 – Voir également, par exemple, Commission «Questions des tarifications liées à un accès dégroupé à la boucle locale», Comité ONP, ONPCOM 01-17, 25 juin 2001, p. 1 à 17.


24 – Arrêt du 3 juillet 1991 (C‑62/86, Rec. p. I-3359).


25 – Voir, à cet égard, points 123 à 139 des conclusions de l’avocat général Fennelly, dans l’affaire Compagnie maritime belge transports e.a./Commission (arrêt du 16 mars 2000, C‑395/96 P et C‑396/96 P, Rec. p. I‑1365).


26 – Cela a été confirmé au Royaume-Uni par le CAT dans l’affaire Genzyme n° 1016/1/1/03 [2004] CAT 4, et par la Court of Appeal dans l’affaire Albion [Dwr Cymru Cyfyngedig and Albion Water Limited and Water Services Regulation Authority (2008) EWCA Civ 536], point 105. Cela étant dit, on peut soutenir que, dans l’arrêt attaqué (en particulier au point 188), le Tribunal n’a pas totalement exclu en principe le critère du concurrent raisonnablement efficace et je considère qu’il n’est, en effet, pas inconcevable qu’il puisse exister d’autres affaires dans lesquelles le critère du concurrent raisonnablement efficace peut être adéquat comme critère secondaire et supplémentaire. En ce qui concerne la violation éventuelle du principe de la sécurité juridique, certains commentateurs suggèrent qu’il devrait être apprécié au cas par cas et que certains bénéficiaires à long terme sont souvent très bien placés pour évaluer soigneusement les coûts des nouveaux entrants ou, au moins, les coûts d’un nouvel entrant raisonnablement efficace, notamment parce qu’ils ont une connaissance inégalée du marché. Voir Amory, B., et Verheyden, A., «Comments on the CFI’s recent ruling in Deutsche Telekom», Global Competition Policy, mai 2008, ainsi que Clerckx, S., et De Muyter, L., «Price squeeze abuse in the EU telecommunications sector», Global Competition Policy, avril 2009. Voir, également, O’Donoghue, R., et Padilla, A. J., The Law and Economics of Article 82 EC, Oxford: Hart, 2006, p. 191 et 331.


27 – Directive du 13 mars 1996, modifiant la directive 90/388 en ce qui concerne la réalisation de la pleine concurrence sur le marché des télécommunications (JO L 74, p. 13).


28 – Arrêt du 15 mars 2007, British Airways/Commission (C‑95/04 P, Rec. p. I‑2331, point 30), ayant rapport aux arrêts du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, dit «Michelin II» (T‑203/01, Rec. p. II‑4071, points 238 et 239), et du 17 décembre 2003, British Airways/Commission (T‑219/99, Rec. p. II‑5917, point 293). Voir, également, point 50 des conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Sot. Lélos kai Sia e.a., précitée note 7. Voir, à cet égard, avocat général Kokott, Economic thinking in EU competition law, Madrid, 29 octobre 2009.


29 – Cette approche est conforme à l’arrêt rendu dans l’affaire Sot. Lélos kai Sia e.a., précité, dans lequel la Cour semblerait avoir implicitement rejeté la notion d’un abus en soi et a examiné les justifications objectives, en tenant compte du contexte de marché spécifique. Voir affaire CW/00615/05/03, Vodafone/O2/Orange/T‑Mobile, Ofcom Decision, mai 2004, et BTOpenworld’s consumer broadband products, Oftel Decision, novembre 2003.


30 – Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»).


31 – Décision 2001/892/CE de la Commission, du 25 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (COMP/C-1/36.915 – Deutsche Post AG – Interception de courrier transfrontière) (JO L 331, p. 40, ci-après la «décision Deutsche Post»).


32 – Voir, à cet effet, arrêt du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission (C‑196/99 P, Rec. p. I‑11005, points 76 et suiv.).