Language of document : ECLI:EU:T:2012:274

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

4 juin 2012 (*)

« Recours en annulation — Marchés publics de fournitures — Procédure d’appel d’offres — Numérisation du service public de radiodiffusion du Monténégro — Décision d’attribution du marché prise par la délégation de l’Union au Monténégro — Absence de qualité de partie défenderesse — Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑395/11,

Elti d.o.o., établie à Gornja Radgona (Slovénie), représentée par Me N. Zidar Klemenčič, avocat,

partie requérante,

contre

Délégation de l’Union européenne au Monténégro, représentée initialement par M. N. Bertolini, en qualité d’agent, puis par Mes J. Stuyck et A.-M. Vandromme, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision du chef de la délégation de l’Union au Monténégro du 21 mars 2011 de rejeter l’offre de la requérante pour le marché de la fourniture d’équipement destiné à la numérisation du service public de radiodiffusion du Monténégro et, corrélativement, d’attribuer ledit marché à une autre société et, à titre subsidiaire, une demande indemnitaire,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. L. Truchot, président, Mme M. E. Martins Ribeiro (rapporteur) et M. A. Popescu, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 14 septembre 2010, un avis de marché concernant un projet intitulé « Soutien à la numérisation du service public de radiodiffusion du Monténégro — fourniture d’équipement, Monténégro », visant à la conclusion d’un contrat de fourniture d’équipement, a été publié dans le supplément du Journal officiel de l’Union européenne (JO 2010/S 178-270613), sous la référence EuropeAid/129435/C/SUP/ME. Cet avis comprenait la mention suivante : « Pouvoir adjudicataire : l’Union européenne, représentée par la délégation de l’Union européenne au Monténégro, au nom et pour le compte du pays bénéficiaire, le Monténégro ».

2        Le financement du projet en cause fait partie de la décision C (2009) 6420 de la Commission des Communautés européennes du 20 août 2009 adoptant le programme national pour le Monténégro dans le cadre de l’Instrument d’aide de préadhésion (IAP) en matière d’aide à la transition et au renforcement des institutions pour l’année 2009, dont les annexes comportent une liste de projets incluant celui qui fait l’objet de la présente procédure. Cette décision de la Commission a pour base légale le règlement (CE) no 1085/2006 du Conseil, du 17 juillet 2006, établissant un IAP (JO L 210, p. 82).

3        L’exécution dudit programme s’est traduite par la conclusion d’un contrat de financement signé par la Commission, représentée par le chef de la délégation, et le gouvernement du Monténégro, respectivement les 18 octobre et 6 novembre 2009.

4        Le 15 novembre 2010, la requérante, Elti d.o.o., une société de droit slovène, a présenté une offre dans le cadre de la procédure susmentionnée.

5        Par lettre du 13 décembre 2010, la délégation de l’Union au Monténégro a informé la requérante, d’une part, du rejet de son offre pour deux motifs d’ordre technique et, d’autre part, du fait que la procédure d’appel d’offres était annulée au motif qu’aucun des soumissionnaires ne remplissait totalement les conditions de l’appel d’offres.

6        Par lettre du 26 janvier 2011, la délégation de l’Union au Monténégro invitait la requérante à participer à une procédure négociée concernant le même projet, sous la référence EuropeAid/129435/C/SUP/ME‑NP et précisait que le dossier initial d’appel d’offres demeurait valable dans son intégralité pour les besoins de cette procédure négociée.

7        Par lettre du 22 février 2011, la délégation de l’Union au Monténégro a demandé à la requérante de clarifier neuf points concernant la partie technique de sa nouvelle offre présentée le 10 février 2011, ce que la requérante a fait par lettre du 24 février 2011.

8        Par lettre du 23 mars 2011, la requérante a interrogé la délégation de l’Union au Monténégro pour connaître la décision prise concernant la procédure négociée.

9        Par lettre du 11 mai 2011, la délégation de l’Union au Monténégro a indiqué à la requérante ce qui suit :

« Pour votre information, le processus est toujours en cours et nous ne pouvons pas communiquer d’autres informations pour le moment. Soyez assurés que nous vous informerons de la décision finale très prochainement. »

10      Le 27 mai 2011, la requérante a reçu une lettre émanant de la délégation de l’Union au Monténégro, datée du 21 mars 2011, l’informant que son offre était rejetée au motif que « sa capacité technique » n’avait pas été considérée comme étant de nature à satisfaire plusieurs critères spécifiés dans le dossier d’appel d’offres et que le marché avait été attribué à Eurotel SpA pour un montant de 1 420 046 euros.

11      Par lettre du 6 juin 2011, adressée à la délégation de l’Union au Monténégro, la requérante a contesté la décision du 21 mars 2011 et lui a demandé d’annuler sa décision « erronée » et de la choisir comme fournisseur pour le marché en cause.

12      Par lettre du 16 juin 2011, la délégation de l’Union au Monténégro a indiqué ce qui suit à la requérante :

« Merci pour votre lettre reçue le 6 juin 2011. Elle soulève quelques questions appelant un examen qui est actuellement en cours. En application de la section 2.4.15 du guide pratique des procédures de marchés publics pour les actions extérieures de la [Communauté européenne], vous pouvez compter sur une réponse dans les 45 jours de la date de réception de votre lettre par nos soins. »

13      Par lettre du 18 juillet 2011, la délégation de l’Union au Monténégro a informé la requérante du fait, notamment, qu’il n’y avait pas de raison de réviser ou d’amender la décision du comité qui avait jugé l’offre techniquement non conforme et l’avait rejetée pour ce motif.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 juillet 2011, la requérante a introduit le présent recours.

15      Par acte séparé du même jour, la requérante a introduit une demande en référé, dans laquelle elle concluait, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal d’ordonner le sursis à l’exécution de la décision de la délégation de l’Union au Monténégro portant rejet de son offre et attribution du marché à un autre soumissionnaire ainsi que du marché de fourniture en cause, dans 1’hypothèse où ce marché aurait déjà été conclu.

16      Par mémoires du 22 août 2011, la requérante et la délégation de l’Union au Monténégro ont répondu à une question posée par le Tribunal concernant la qualité de partie défenderesse de la délégation dans la procédure en référé et dans l’affaire au principal.

17      Par ordonnance du 30 septembre 2011, la demande en référé introduite par la requérante a été rejetée et les dépens ont été réservés.

18      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 octobre 2011, la délégation de l’Union au Monténégro a, en vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d’irrecevabilité. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 15 décembre 2011.

19      La requérante conclut, dans sa requête, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater que la délégation de l’Union au Monténégro a violé la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114), et, notamment, son article 2 et son article 30, paragraphe 3 ;

–        annuler la procédure négociée en ce que ladite délégation ne lui a pas appliqué le principe d’égalité de traitement, ne la mettant pas en mesure de corriger ou d’expliquer son offre ;

–        annuler la décision d’attribution du marché adoptée à l’issue de la procédure négociée, par laquelle cette même délégation a rejeté son offre et a attribué le marché à Eurotel ;

–        pour le cas où le marché de fourniture aurait déjà été conclu, déclarer ce marché nul et non avenu ;

–        condamner la délégation de l’Union au Monténégro à lui verser la somme de 10 000 euros au titre des dépens, en application de l’article 87 du règlement de procédure, y compris les dépens liés à d’éventuelles interventions ;

À titre subsidiaire, pour le cas où le marché aurait déjà été exécuté ou pour le cas où la décision ne pourrait plus être annulée :

–        constater que ladite délégation a violé la directive 2004/18 et, notamment, son article 2 et son article 30, paragraphe 3 ;

–        condamner ladite délégation à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 172 541,56 euros à titre d’indemnisation de la perte subie dans le cadre de cette procédure ;

–        condamner cette même délégation aux dépens et à lui verser la somme totale de 10 000 euros au titre des frais de justice, en vertu de l’article 87 du règlement de procédure, y compris les frais liés à d’éventuelles interventions.

20      La délégation de l’Union au Monténégro conclut, dans son exception d’irrecevabilité, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer irrecevable le recours en annulation ;

–        condamner la requérante aux dépens des deux parties.

21      La requérante conclut, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter comme non fondée et non établie l’exception d’irrecevabilité soulevée et de « reconnaître qu’en application de la décision du Conseil du 26 juillet 2010 fixant l’organisation et le fonctionnement du service européen pour l’action extérieure la défenderesse représente l’Union européenne au Monténégro en ce qui concerne le marché public portant la référence EuropeAid/129435/C/SUP/ME‑NP du 21 mars 2011 et est, en tant que telle, légitimement partie à la procédure dans la présente affaire ».

 En droit

22      Selon l’article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, si une partie demande que le Tribunal statue sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond, la suite de la procédure sur l’exception d’irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

23      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en conséquence, qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

24      La délégation de l’Union au Monténégro soutient qu’elle ne peut avoir la qualité de défendeur dans le cadre de la présente instance du fait qu’elle ne bénéficie pas du statut d’organe autonome et ne s’est pas comportée comme tel en l’espèce.

25      Il convient, à cet égard, de rappeler les termes de l’article 263, paragraphe 1, TFUE, lequel dispose :

« La Cour de justice de l’Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. »

26      Il résulte de cette disposition que la voie du recours en annulation est ouverte contre les actes émanant de certaines institutions dénommées, mais aussi, de manière plus large, contre ceux adoptés par des « organes ou organismes de l’Union », dans la mesure où il s’agit d’actes visant à produire des effets juridiques obligatoires.

27      Il ne saurait, pour autant, être déduit tant du libellé de l’article 263, paragraphe 1, TFUE que de la jurisprudence du juge de l’Union, telle qu’issue de l’arrêt de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, dit « Les Verts » (294/83, Rec. p. 1339), comme le fait la requérante, que toute entité ou structure relevant du, et œuvrant au sein du, schéma organisationnel de l’Union peut, de ce seul fait, être considérée comme un organe ou un organisme de cette dernière au sens de l’article précité.

28      Le fait que la décision de ne pas attribuer le marché à la requérante peut être considérée comme un acte lui faisant grief en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique ne signifie pas nécessairement que son auteur ait la capacité pour défendre la légalité dudit acte devant le juge de l’Union.

29      Il y a lieu, en effet, de vérifier si, au regard des dispositions régissant le statut de l’entité concernée, celle-ci dispose d’une capacité juridique suffisante pour pouvoir être considérée comme un organe autonome de l’Union et se voir reconnaître la qualité de partie défenderesse.

30      S’agissant des délégations de l’Union, elles sont évoquées à l’article 221 TFUE de la manière suivante :

« 1. Les délégations de l’Union dans les pays tiers et auprès des organisations internationales assurent la représentation de l’Union.

2. Les délégations de l’Union sont placées sous l’autorité du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité […] »

31      La décision 2010/427/UE du Conseil, du 26 juillet 2010, fixant l’organisation et le fonctionnement du service européen pour l’action extérieure (JO L 201, p. 30, ci‑après la « décision du 26 juillet 2010 »), arrêtée en vertu de l’article 27, paragraphe 3, TUE, énonce ce qui suit en son article 1er :

« […]

2. Le SEAE, dont le siège se situe à Bruxelles, est un organe de l’Union européenne fonctionnant de manière autonome ; il est distinct du secrétariat général du Conseil et de la Commission et possède la capacité juridique nécessaire pour accomplir les tâches qui lui incombent et réaliser ses objectifs.

3. Le SEAE est placé sous l’autorité du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité […]

4. Le SEAE est composé d’une administration centrale et des délégations de l’Union auprès de pays tiers et d’organisations internationales ».

32      L’article 5 de la décision du 26 juillet 2010, intitulé « Délégations de l’Union », comprend les dispositions suivantes :

« 1. La décision d’ouvrir ou de fermer une délégation est adoptée par le haut représentant, en accord avec le Conseil et la Commission.

2. Chaque délégation de l’Union est placée sous l’autorité d’un chef de délégation.

[…]

3. Le chef de délégation reçoit ses instructions du haut représentant et du SEAE et est responsable de leur exécution. 

Dans les domaines où elle exerce les attributions que lui confèrent les traités, la Commission peut également, conformément à l’article 221, paragraphe 2, [TFUE], donner aux délégations des instructions qui sont exécutées sous la responsabilité générale du chef de délégation.

4. Le chef de délégation met en œuvre des crédits opérationnels liés aux projets de l’Union dans le pays tiers concerné, en cas de subdélégation par la Commission, conformément au règlement financier.

[…]

8. Le chef de délégation a le pouvoir de représenter l’Union dans le pays où est accréditée la délégation, en particulier pour conclure des contrats et ester en justice.

[…] »

33      En premier lieu, la requérante fait valoir que ce nouveau dispositif juridique, issu du traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009, a transformé les délégations de la Commission en délégations de l’Union, acteurs indépendants dotés de la personnalité juridique.

34      Toutefois, le seul fait que, dorénavant, les délégations ne représentent plus uniquement la Commission mais l’Union dans son ensemble n’est pas suffisant pour reconnaître à la délégation de l’Union au Monténégro la qualité de partie défenderesse.

35      Premièrement, il convient de relever qu’il résulte de l’article 221 TFUE et de la décision du 26 juillet 2010 que la délégation de l’Union au Monténégro fait partie intégrante de la structure hiérarchique et fonctionnelle du service européen pour l’action extérieure (SEAE) et n’en constitue qu’une simple division, alors que ce dernier est clairement désigné comme un organe autonome de l’Union, possédant la capacité juridique nécessaire à la réalisation de ses missions. Ces constatations, au demeurant, ont été opérées par la requérante elle-même dans ses écritures.

36      Dans l’ordonnance du 30 juin 2011, Technoprocess/Commission et Délégation de l’Union au Maroc (T‑264/09, non publiée au Recueil, point 70), le Tribunal s’est précisément appuyé sur le fait que les délégations de la Commission étaient rattachées à cette dernière et en dépendaient pour conclure à leur absence de personnalité juridique et à l’irrecevabilité du recours dirigé contre une délégation de la Commission dans un pays tiers.

37      Deuxièmement, outre ce lien de dépendance organique avec le SEAE, la décision du 26 juillet 2010 révèle une subordination fonctionnelle des délégations de l’Union et, plus particulièrement, des chefs de délégation à l’égard de la Commission, et ce dans l’exercice de l’activité d’exécution du budget de l’Union.

38      La relation spécifique entre les chefs de délégation de l’Union et la Commission est décrite avec précision dans le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier »), ce dernier ayant dû être modifié à la suite de la création du SEAE dans le souci, notamment, d’assurer la nécessaire « continuité du fonctionnement des délégations de l’Union et, notamment, la continuité et l’efficacité de la gestion de l’aide extérieure par les délégations », selon les termes du considérant 7 du règlement (UE, Euratom) no 1081/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, modifiant le règlement financier en ce qui concerne le SEAE (JO L 311, p. 9).

39      Ainsi, l’article 51, deuxième alinéa, du règlement financier prévoit que « […] la Commission peut déléguer aux chefs des délégations de l’Union ses pouvoirs d’exécution du budget concernant les crédits opérationnels de sa section » et que, « [l]orsque les chefs des délégations de l’Union agissent en tant qu’ordonnateurs subdélégués de la Commission, ils appliquent les règles de la Commission en matière d’exécution du budget et sont soumis aux mêmes devoirs et obligations, dont l’obligation de rendre compte, que tout autre ordonnateur subdélégué de la Commission ».

40      L’article 59 du règlement financier énonce que « [l]es ordonnateurs délégués ou subdélégués ne peuvent agir que dans les limites fixées par l’acte de délégation ou de subdélégation » et que, « [l]orsque les chefs des délégations de l’Union agissent en tant qu’ordonnateurs subdélégués conformément à l’article 51, deuxième alinéa, ils relèvent de la Commission en tant qu’institution responsable de la définition, de l’exercice, du contrôle et de l’évaluation de leurs devoirs et de leurs responsabilités d’ordonnateurs subdélégués », la Commission en informant simultanément le haut représentant.

41      Il ressort de l’article 60 bis du règlement financier que les chefs des délégations de l’Union qui agissent en tant qu’ordonnateurs subdélégués doivent, d’une part, présenter des rapports à leur ordonnateur délégué concernant, notamment, la gestion des opérations qui leur sont confiées par subdélégation et, d’autre part, répondre à toute demande formulée par l’ordonnateur délégué de la Commission.

42      Aux termes de l’article 85 du règlement financier, les chefs des délégations de l’Union, agissant en qualité d’ordonnateurs subdélégués, « sont soumis aux pouvoirs de contrôle de l’auditeur interne de la Commission en ce qui concerne la gestion financière qui leur est confiée par subdélégation ».

43      Il doit encore être relevé que le règlement (UE, Euratom) no 1080/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes et le régime applicable aux autres agents de ces Communautés (JO L 311, p. 1), a inséré dans ledit statut un nouvel article 96, dont le deuxième alinéa prévoit qu’un « fonctionnaire du SEAE qui doit accomplir des tâches pour la Commission dans l’exercice de ses fonctions suit les instructions de la Commission pour l’exécution de ces tâches, conformément à l’article 221, paragraphe 2, [TFUE] ».

44      Eu égard aux dispositions susmentionnées, il y a lieu de considérer que les délégations de l’Union peuvent avoir un rôle d’assistance de la Commission lors de l’exécution du budget de l’Union au niveau local, plus particulièrement en cas de mise en œuvre des projets financés dans le cadre des programmes d’aide extérieure de l’Union.

45      Cette assistance, qui s’inscrit dans le cadre d’une subdélégation en faveur du chef de la délégation, s’effectue sous le contrôle étroit de la Commission, responsable, conformément aux articles 317 TFUE et 319 TFUE, de l’exécution du budget et détentrice, en vertu de l’article 51 du règlement financier, d’un pouvoir de retrait de la délégation accordée.

46      Il résulte ainsi de l’article 221 TFUE, de la décision du 26 juillet 2010 et des dispositions pertinentes du règlement financier susmentionnées que le statut juridique des délégations de l’Union se caractérise par une double dépendance organique et fonctionnelle à l’égard du SEAE et de la Commission, qui ne permet pas de les considérer comme un organe au sens de l’article 263 TFUE.

47      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les termes, mis en exergue par la requérante, de l’article 5, paragraphe 8, de la décision du 26 juillet 2010, qui prévoit que le chef de délégation a le pouvoir de représenter l’Union dans le pays où est accréditée la délégation, en particulier pour conclure des contrats et ester en justice.

48      Cette disposition rappelle simplement qu’une délégation n’agit pas en son nom et pour son propre compte et accorde à son responsable une capacité juridique strictement limitée d’un point de vue territorial, au demeurant nécessaire pour répondre aux besoins propres de fonctionnement de la délégation.

49      Il convient, à cet égard, de rappeler les termes de l’article 274 TFUE, selon lequel, « [s]ous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice de l’Union européenne par les traités, les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales » et de l’article 335 TFUE, ainsi rédigé :

« Dans chacun des États membres, l’Union possède la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes morales par les législations nationales ; elle peut notamment acquérir ou aliéner des biens immobiliers et mobiliers et ester en justice. À cet effet, elle est représentée par la Commission. Toutefois, l’Union est représentée par chacune des institutions, au titre de leur autonomie administrative, pour les questions liées à leur fonctionnement respectif. »

50      Par ailleurs, l’article 5, paragraphe 8, de la décision du 26 juillet 2010 ne peut être pris en considération de manière isolée. Il est indissociable, et doit être lu à la lumière, de l’ensemble du dispositif juridique constitué par l’article 221 TFUE, la décision du 26 juillet 2010 en son entier et les dispositions pertinentes du règlement financier.

51      En second lieu, la requérante fait valoir que la délégation de l’Union au Monténégro s’est toujours présentée comme le représentant de l’Union, doté des pleins pouvoirs pour agir en son nom. Elle souligne que le marché litigieux a été publié au nom d’un pouvoir adjudicateur constitué par l’Union, représentée par sa délégation au Monténégro, que toutes les communications ou décisions concernant le marché en cause ont été adoptées par le même organe, à savoir la délégation prise en la personne de son chef, la Commission et le SEAE n’étant mentionnés dans aucun de ces documents.

52      Il importe de rappeler que la requérante sollicite, à titre principal, l’annulation de la décision du chef de la délégation de l’Union au Monténégro du 21 mars 2011 de rejeter son offre pour le marché de la fourniture d’équipement destiné à la numérisation du service public de radiodiffusion du Monténégro et, corrélativement, d’attribuer ledit marché à une autre société de droit italien.

53      Ainsi qu’il a été déjà mentionné, le financement du projet en cause fait partie de la décision C (2009) 6420.

54      L’exécution du programme national pour le Monténégro adopté par cette décision s’est traduite par la conclusion d’un contrat de financement signé par la Commission, représentée par le chef de la délégation, et le gouvernement du Monténégro, respectivement les 18 octobre et 6 novembre 2009.

55      L’article 2 dudit contrat prévoit une mise en œuvre par la Commission du programme national pour le Monténégro, dans le cadre de l’IAP, en matière d’aide à la transition et au renforcement des institutions pour l’année 2009, sur une base centralisée, en vertu de l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement financier.

56      Depuis l’entrée en vigueur, le 29 novembre 2010, du règlement no 1081/2010, l’article 53 bis du règlement financier dispose que, « [l]orsque la Commission exécute le budget de manière centralisée, les tâches d’exécution sont effectuées soit directement par ses services ou par les délégations de l’Union conformément à l’article 51, deuxième alinéa, soit indirectement, conformément aux articles 54 à 57 ».

57      Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 51, deuxième alinéa, du règlement financier, la Commission peut déléguer aux chefs des délégations de l’Union ses pouvoirs d’exécution du budget concernant les crédits opérationnels de sa section et que, dans cette hypothèse, les chefs des délégations appliquent les règles de la Commission en matière d’exécution du budget et sont soumis aux mêmes devoirs et obligations, dont l’obligation de rendre compte, que tout autre ordonnateur subdélégué de la Commission.

58      Or, s’agissant des moyens relevant de l’IAP, la Commission a procédé à une subdélégation de pouvoirs, ainsi qu’il résulte de l’acte de subdélégation accordée au chef de la délégation de l’Union au Monténégro, daté du 18 avril 2011 et remplaçant celui du 7 juillet 2010, antérieur à la décision du 26 juillet 2010.

59      Cette situation constitue la traduction concrète de la nécessité d’assurer la continuité du fonctionnement des délégations de l’Union et, notamment, la continuité et l’efficacité de la gestion de l’aide extérieure par les délégations, évoquée au considérant 7 du règlement no 1081/2010.

60      En outre, la lettre par laquelle la direction générale de l’élargissement de la Commission a donné son accord à la demande d’autorisation du chef de la délégation de l’Union au Monténégro d’ouverture d’une procédure négociée dans le cadre de l’attribution du marché en cause illustre les instructions pouvant être données au chef de délégation.

61      Si la requérante ne conteste pas que la décision de rejet de son offre a été adoptée par le chef de la délégation de l’Union au Monténégro agissant en sa qualité d’ordonnateur subdélégué, elle prétend, néanmoins, qu’il ne s’agit pas d’un acte émanant de la Commission ou du haut représentant.

62      À cet égard, il convient de rappeler que des actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués sont normalement imputés à l’institution délégante, à laquelle il appartient de défendre en justice l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 12 juillet 1957, Algera e.a./Assemblée commune de la CECA, 7/56 et 3/57 à 7/57, Rec. p. 81, 113 ; du 17 juillet 1959, Snupat/Haute Autorité, 32/58 et 33/58, Rec. p. 275, 298, et arrêt du Tribunal du 19 février 1998, DIR International Film e.a./Commission, T‑369/94 et T‑85/95, Rec. p. II‑357, points 52 et 53). Les actes de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), à supposer qu’ils soient attaquables, sont ainsi imputés à la Commission (arrêt du Tribunal du 6 avril 2006, Camós Grau/Commission, T‑309/03, Rec. p. II‑1173, point 66, et ordonnance du président du Tribunal du 15 mars 2010, GL2006 Europe/Commission et OLAF, T‑435/09 R, non publiée au Recueil, points 14 à 16).

63      Cette solution vaut a fortiori pour les délégations de signature (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, Rec. p. 619, points 11 à 14) et, comme en l’espèce, dans l’hypothèse d’une subdélégation.

64      Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que les actes adoptés par le chef de la délégation de l’Union au Monténégro, agissant en sa qualité d’ordonnateur subdélégué de la Commission, dans le cadre de la procédure relative au marché de fournitures portant la référence EuropeAid/129435/C/SUP/ME-NP, ne permettent pas de reconnaître à ladite délégation la qualité de partie défenderesse et sont, en l’occurrence, imputables à la Commission.

65      Les considérations de la requérante sur l’importance du personnel de la délégation de l’Union au Monténégro, le libellé de l’avis de marché ou l’absence d’acceptation par la Commission ou le SEAE de la qualité de défendeur dans la procédure en référé ne sont pas de nature à remettre en cause la conclusion susmentionnée.

66      En troisième lieu, la requérante se réfère à l’arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Sogelma/AER (T‑411/06, Rec. p. II‑2771), pour conclure au rejet de l’exception d’irrecevabilité soulevée par la délégation de l’Union au Monténégro.

67      Dans cet arrêt, le Tribunal a considéré qu’il était compétent pour connaître d’un recours dirigé contre l’Agence européenne pour la reconstruction (AER) et visant à l’annulation de décisions portant annulation d’un appel d’offres pour un marché de travaux et organisation d’un nouvel appel d’offres.

68      Il y a lieu, toutefois, de relever que la situation des délégations de l’Union n’est, en aucun cas, comparable à celle de l’AER dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sogelma/AER, point 66 supra.

69      À l’appui de sa décision, le Tribunal a, en effet, relevé, aux points 3 et 50, que l’AER était un organisme communautaire expressément doté de la personnalité juridique par le règlement (CE) no 2667/2000 du Conseil, du 5 décembre 2000, relatif à l’AER (JO L 306, p. 7), et compétent, après en avoir été chargé par la Commission, pour mettre en œuvre lui-même les programmes d’assistance communautaire en faveur, notamment, de la Serbie-et-Monténégro.

70      Cette situation ne correspond pas à celle de la délégation de l’Union au Monténégro agissant dans le cadre de la gestion centralisée directe visée à l’article 53 bis du règlement financier et non indirecte comme dans le cas de l’AER.

71      En outre, le Tribunal a pris en considération le fait que, aux termes de l’article 13, paragraphe 2, et de l’article 13 bis, paragraphe 3, du règlement no 2667/2000, il appartenait à l’AER de se défendre devant le juge de l’Union dans les litiges relatifs à l’engagement de sa responsabilité non contractuelle et dans ceux relatifs aux décisions qu’elle avait prises en application de l’article 8 du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43).

72      Une telle capacité de représentation en justice fait manifestement défaut en ce qui concerne les délégations de l’Union.

73      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la délégation de l’Union au Monténégro ne peut être considérée comme un organe ou un organisme de l’Union et se voir reconnaître la qualité de partie défenderesse.

74      Il s’ensuit que le recours introduit contre celle-ci par la requérante est irrecevable, qu’il s’agisse tant de la demande en annulation formulée à titre principal que de la demande indemnitaire présentée à titre subsidiaire (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 décembre 1992, SGEEM et Etroy/BEI, C‑370/89, Rec. p. I‑6211, point 16).

75      Il y a lieu, dès lors, de rejeter le présent recours.

 Sur les dépens

76      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, en ce compris ceux de la procédure en référé, conformément aux conclusions de la délégation de l’Union au Monténégro, tant dans la procédure en référé que dans l’affaire au principal.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Elti d.o.o. est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

Fait à Luxembourg, le 4 juin 2012.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      L. Truchot


* Langue de procédure : l’anglais.