Language of document : ECLI:EU:C:2012:182

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

29 mars 2012 (*)

«Manquement d’État – Aides d’État – Aides en faveur de l’industrie hôtelière en Sardaigne – Récupération»

Dans l’affaire C‑243/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, introduit le 18 mai 2010,

Commission européenne, représentée par MM. D. Grespan et B. Stromsky, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. M. Safjan (rapporteur), président de chambre, MM. M. Ilešič et E. Levits, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de supprimer le régime d’aides déclaré illégal et incompatible avec le marché commun par la décision 2008/854/CE de la Commission, du 2 juillet 2008, relative au régime d’aide «Loi régionale n° 9 de 1998 – application abusive de l’aide N 272/98» C 1/04 (ex NN 158/03 et CP 15/2003) (JO L 302, p. 9), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité FUE et des articles 2 à 4 de cette décision.

 Le cadre juridique

2        Le treizième considérant du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), est libellé comme suit:

«considérant que, en cas d’aide illégale incompatible avec le marché commun, une concurrence effective doit être rétablie; que, à cette fin, il importe que l’aide, intérêts compris, soit récupérée sans délai; qu’il convient que cette récupération se déroule conformément aux procédures du droit national; que l’application de ces procédures ne doit pas faire obstacle au rétablissement d’une concurrence effective en empêchant l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission; que, afin d’atteindre cet objectif, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de la décision de la Commission».

3        L’article 14 du règlement n° 659/1999, intitulé «Récupération de l’aide», énonce:

«1.      En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire [...]. La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général de droit communautaire.

2.      L’aide à récupérer en vertu d’une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d’un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu’à celle de sa récupération.

3.      Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour [...] prise en application de l’article [278 TFUE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire.»

4        Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, du même règlement:

«Si l’État membre concerné ne se conforme pas à une décision conditionnelle ou négative, en particulier dans le cas visé à l’article 14, la Commission peut saisir directement la Cour [...] conformément à l’article [108, paragraphe 2, TFUE].»

 Les antécédents du litige

5        Par sa décision 2008/854, la Commission a déclaré que les aides octroyées dans le cadre du régime prévoyant des subventions en faveur d’investissements initiaux dans l’industrie hôtelière, en Sardaigne, étaient incompatibles avec le marché commun dans la mesure où des aides ont été probablement concédées à des projets d’investissement lancés avant la date de la présentation de la demande appropriée.

6        Après avoir procédé à l’appréciation détaillée de la mesure en cause, la Commission a conclu que la République italienne a adopté, en exécution du régime d’aides approuvé par la Commission en 1998, des mesures qui ont apporté des modifications audit régime et qui prévoyaient l’octroi d’aides incompatibles avec le marché commun.

7        Dans ces conditions, la Commission a estimé que l’État membre concerné devait réclamer aux bénéficiaires la restitution desdites aides.

8        Plus spécifiquement, les articles 1er à 5 de la décision 2008/854 sont libellés comme suit:

«Article premier

Les aides d’État octroyées au titre de la loi régionale n° 9 de 1998, illégalement appliquée par l’Italie par la deliberazione n° 33/6 et la première invitation à présenter des demandes, sont incompatibles avec le marché commun à moins que le bénéficiaire de l’aide n’ait présenté une demande d’aide sur la base de ce régime avant l’exécution des travaux relatifs à un projet d’investissement initial.

Article 2

1.      La République italienne procède à la récupération auprès des bénéficiaires des aides incompatibles octroyées au titre du régime visé à l’article 1er.

2.      Les montants à recouvrer comprennent les intérêts produits depuis la date à laquelle ces montants ont été mis à la disposition des bénéficiaires jusqu’à celle de leur récupération effective.

3.      Les intérêts sont calculés sur une base composée conformément au chapitre V du règlement (CE) n° 794/2004 et au règlement (CE) n° 271/2008 qui modifie le règlement (CE) n° 794/2004.

4.      La République italienne annule tous les paiements en cours de l’aide au titre du régime visé à l’article 1er avec effet à la date d’adoption de la présente décision.

Article 3

1.      La récupération de l’aide octroyée dans le cadre du régime visé à l’article 1er est immédiate et effective.

2.      La République italienne garantit l’exécution de la présente décision dans les quatre mois de la date de sa notification.

Article 4

1.      Dans les deux mois de la notification de la présente décision, la République italienne transmet les informations suivantes:

a)      la liste des bénéficiaires qui ont reçu des aides dans le cadre du régime visé à l’article 1er et le montant total des aides reçues par chacun d’eux au titre du régime. Les informations requises sont communiquées au moyen du questionnaire joint à l’annexe de la présente décision;

b)      le montant total (capital et intérêts) qui doit être recouvré auprès de chaque bénéficiaire;

c)      une description détaillée des mesures déjà adoptées et prévues pour se conformer à la présente décision;

d)      les documents attestant que le remboursement de l’aide a été imposé aux bénéficiaires.

2.      La République italienne informe la Commission de l’évolution des mesures nationales adoptées en vue de l’exécution de la présente décision jusqu’à la récupération complète de l’aide octroyée dans le cadre du régime visé à l’article 1er. Elle transmet immédiatement, sur simple demande de la Commission, les informations relatives aux mesures déjà adoptées et prévues pour se conformer à la présente décision. La République italienne fournit en outre des informations détaillées sur le montant de l’aide et des intérêts déjà récupérés auprès des bénéficiaires.

Article 5

La République italienne est destinataire de la présente décision.»

 Les recours introduits contre la décision 2008/854

9        La région autonome de Sardaigne et plusieurs sociétés, concernées par le régime d’aides en cause, ont introduit devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, au cours des mois de septembre et d’octobre 2008, des recours tendant à l’annulation de la décision 2008/854.

10      Par son arrêt du 20 septembre 2011, Regione autonoma della Sardegna e.a./Commission (T‑394/08, T‑408/08, T‑453/08 et T‑454/08, non encore publié au Recueil), le Tribunal a rejeté lesdits recours.

 La procédure précontentieuse

11      Le 4 juillet 2008, la décision 2008/854 a été notifiée à la République italienne.

12      Afin d’exécuter cette décision, la République italienne a adopté un certain nombre de mesures et en a informé la Commission. Ainsi, notamment, la procédure d’exécution s’est déroulée de la manière suivante:

–        par une lettre du 18 septembre 2008, cet État membre a transmis à la Commission une liste de 28 entreprises auprès desquelles les aides devaient être récupérées. Cette lettre précisait les montants à récupérer auprès de chaque entreprise et indiquait que la région autonome de Sardaigne avait ouvert la procédure de révocation des aides octroyées et avait demandé aux établissements de crédit d’en suspendre le paiement. Le montant total des aides à récupérer s’élevait à 19 146 636,51 euros sans intérêts;

–        par un courriel du 23 février 2009, ledit État membre a informé la Commission que la procédure de récupération avait été ouverte, mais qu’elle avait subi des retards dus au calcul des intérêts;

–        par une lettre du 23 avril 2009, la République italienne a informé la Commission que les mesures de révocation des aides à récupérer étaient en cours de finalisation et que le calcul des intérêts avait été confié aux établissements de crédit;

–        par une lettre du 21 mai 2009, cet État membre a informé la Commission qu’il avait adopté les mesures de révocation des aides en cause et qu’il avait contacté les établissements de crédit en vue d’obtenir le calcul des intérêts. Un tableau de mise à jour annexé à ladite lettre indiquait que le calcul des intérêts avait été effectué dans 7 cas sur 28;

–        par des lettres des 10 et 31 août 2009, la République italienne a informé la Commission qu’elle avait notifié les décisions nationales visant à récupérer les aides en cause, en ce qui concerne le capital, à la fin du mois d’avril 2009. Dans le cas de 21 bénéficiaires sur 28, lesdites décisions ont été suspendues par les juridictions nationales jusqu’au mois de juin 2010, tandis qu’un bénéficiaire n’avait jamais perçu l’aide qui lui avait été accordée et n’était en conséquence pas concerné par la récupération. Par ailleurs, aucun des bénéficiaires n’avait encore restitué les aides perçues;

–        à la suite d’une réunion entre les autorités italiennes et la Commission le 11 septembre 2009, cette dernière s’est dite prête à vérifier si certains bénéficiaires avaient réalisé deux projets autonomes, comme soutenu par les autorités italiennes. Selon lesdites autorités, les aides accordées à certains bénéficiaires qui ont commencé l’exécution du second projet après l’introduction de la demande appropriée ne doivent pas être soumises à la récupération;

–        par des lettres des 12 et 27 octobre 2009, la République italienne a informé la Commission que sept bénéficiaires avaient réalisé deux projets autonomes dont un après la présentation d’une demande appropriée;

–        par une lettre du 14 janvier 2010, la Commission a informé cet État membre qu’elle était d’accord sur le caractère séparable des projets dans deux cas, les autres cas n’étant pas justifiés;

–        par un courriel du 2 mars 2010, la région autonome de Sardaigne a produit des documents supplémentaires relatifs au caractère séparable de certains projets ainsi qu’un tableau reprenant l’état d’avancement de la procédure de récupération, et

–        par un courrier du 29 avril 2010, la Commission a accepté le caractère séparable des projets pour un bénéficiaire supplémentaire.

13      Tout au long de la procédure précontentieuse, la Commission a insisté sur la nécessité de procéder à l’exécution immédiate et effective de la décision 2008/854. En outre, elle a demandé, à plusieurs reprises, des informations et des éclaircissements supplémentaires portant sur les bénéficiaires des aides illégalement versées et les modalités de recouvrement de ces aides. Estimant que la République italienne n’avait toujours pas procédé à cette exécution, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

14      Dans sa requête, la Commission soutient que l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de cette décision.

15      Selon la Commission, l’obligation de récupération constitue une véritable obligation de résultat. En outre, la récupération devrait être non seulement effective, mais aussi immédiate.

16      La décision 2008/854 concernant le régime d’aides en tant que tel, c’est dans la phase de la récupération des aides illégales qu’il incomberait à l’État membre concerné, conformément à la jurisprudence de la Cour, d’identifier, en coopération avec la Commission, les aides individuelles à récupérer.

17      La Commission fait valoir également que le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par la République italienne dans la présente affaire est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision 2008/854. Or, cet État membre n’aurait jamais invoqué une quelconque impossibilité absolue à cet égard au cours de la procédure précontentieuse.

18      La Commission observe que la discussion entre elle et la République italienne au sujet d’une éventuelle compatibilité d’une partie des aides en cause avec le marché commun en raison du caractère séparable des projets d’investissements présentés par certains bénéficiaires a été entamée par cet État membre seulement après l’expiration des délais prévus par la décision 2008/854, à savoir le 3 août 2009.

19      En outre, un État membre dont les autorités ont octroyé des aides en violation de l’article 108 TFUE ne saurait invoquer la confiance légitime des bénéficiaires pour se soustraire à l’obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de l’exécution d’une décision de la Commission ordonnant la récupération desdites aides.

20      En tout état de cause, la condition relative à l’existence d’une impossibilité absolue d’exécution ne serait pas remplie lorsque l’État membre défendeur se borne, comme dans la présente affaire, à se prévaloir des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présenterait la mise en œuvre de la décision 2008/854.

21      S’agissant des décisions d’une juridiction nationale ordonnant un sursis à l’exécution des mesures de récupération, la Commission souligne que le principe d’effectivité s’applique également à l’égard de cette juridiction. En présence d’une éventuelle demande de sursis à l’exécution de la mesure de récupération présentée par le bénéficiaire, le juge national saisi serait tenu d’appliquer les conditions dégagées par la Cour dans sa jurisprudence, afin d’éviter que la décision de récupération ne soit privée de son effet utile.

22      Or, une simple lecture des ordonnances de sursis prises par les juridictions nationales et transmises par la République italienne démontrerait que lesdites conditions n’ont pas été respectées ni même prises en considération par ces juridictions.

23      En particulier, la Cour n’aurait pas été saisie, par lesdites juridictions, d’une question portant sur la validité de la décision 2008/854. Par ailleurs, ces mêmes juridictions n’auraient effectué aucune appréciation détaillée de l’urgence des mesures de sursis, pas plus que de l’intérêt de l’Union européenne.

24      La Commission ajoute que le Tribunale amministrativo regionale per la Sardegna (tribunal administratif régional de la Sardaigne) a prononcé les ordonnances de sursis en cause postérieurement aux délais impartis pour l’exécution de la décision 2008/854, à savoir le 29 juillet 2009 et le 26 mai 2010.

25      La Commission constate que les procédures nationales n’ont pas permis une récupération immédiate et effective des aides en cause et que, deux ans après l’adoption de la décision 2008/854, la République italienne doit encore récupérer les aides illégales augmentées des intérêts. En effet, aucune aide illégale visée par ladite décision n’aurait encore été récupérée. Par ailleurs, le fait que le montant exact des aides à récupérer dans 7 des 28 cas identifiés fasse l’objet d’une discussion entre la Commission et cet État membre ne saurait remettre en cause la constatation du manquement en l’espèce.

26      S’agissant de l’argument tiré de la violation de l’obligation d’information, la Commission soutient qu’aucune des informations demandées n’a été transmise par la République italienne dans le délai de deux mois prévu à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2008/854. En outre, au moment de l’introduction du présent recours, cet État membre n’aurait toujours pas transmis à la Commission le document attestant que les bénéficiaires des aides illégales ont été obligés de rembourser les intérêts en cause.

27      La République italienne fait valoir que l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2008/854 prévoyait l’obligation d’engager, dans les quatre mois à partir de la date de la notification de ladite décision, les procédures nécessaires afin de vérifier la situation individuelle de chacune des entreprises concernées ainsi que de calculer le montant des aides illégalement perçues. Cependant, ladite disposition n’obligerait pas cet État membre à effectuer la récupération intégrale des aides en cause dans le délai susvisé.

28      À cet égard, la République italienne ajoute que la Commission a accepté, au cours de la procédure de récupération des aides en cause, d’engager une discussion avec elle portant sur la possibilité de reconnaître certaines aides octroyées aux bénéficiaires comme partiellement compatibles avec le marché commun. Dans ces conditions, la procédure de récupération des aides en cause ne pourrait pas être terminée avant la clôture de cette discussion.

29      Les entreprises auxquelles les aides ont été concédées pour financer des projets d’investissement lancés avant la date de la présentation de la demande appropriée auraient accepté ces aides de bonne foi. En effet, l’exigence de présenter une telle demande au préalable n’aurait été introduite par la Commission que le 10 mars 1998, le jour de la publication des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale (JO 1998, C 74, p. 9), ladite institution ayant approuvé, au cours de la même année, le régime d’aides en cause.

30      En outre, la décision 2008/854 revêtirait un caractère général et abstrait. Par conséquent, les entreprises concernées ne seraient pas en mesure de former devant le Tribunal les recours en annulation de ladite décision. Dans ces conditions, c’est uniquement devant les juridictions nationales que les entreprises concernées auraient pu faire valoir le principe de protection de la confiance légitime.

31      Ce serait précisément afin d’assurer la protection de la confiance légitime d’une entreprise bénéficiaire de l’aide en cause que le Tribunale amministrativo regionale per la Sardegna a ordonné, le 26 mai 2010, le sursis à l’exécution de la mesure nationale visant à récupérer ladite aide. Par ailleurs, ce sursis serait justifié, ainsi que l’indiquent les motifs de l’ordonnance en cause, par le fait que la légalité de la décision 2008/854 était contestée devant le Tribunal.

32      La République italienne observe ensuite que ledit sursis, tout comme les sursis ordonnés par le juge national au cours de l’année 2009, remplissaient les conditions énoncées par la jurisprudence de la Cour. En outre, le sursis à l’exécution des ordres nationaux visant à récupérer les aides en cause aurait un effet provisoire, le juge national ayant subordonné la durée du sursis à la durée de la procédure devant le Tribunal.

33      Eu égard aux ordonnances de sursis prises par les juridictions nationales, il serait juridiquement impossible, conformément à l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, d’exécuter la décision 2008/854, les principes généraux de sécurité juridique et de l’autorité de la chose jugée s’opposant à cette exécution.

34      La République italienne fait également valoir que l’imposition, aux entreprises concernées, de l’obligation de rembourser les aides en cause presque dix ans après l’octroi desdites aides risque de compromettre leur survie.

 Appréciation de la Cour

35      Conformément à une jurisprudence constante, la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité (arrêts du 14 avril 2011, Commission/Pologne, C‑331/09, non encore publié au Recueil, point 54, ainsi que du 28 juillet 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑471/09 P à C‑473/09 P, point 100). Partant, l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de ladite décision (voir, notamment, arrêt du 26 juin 2003, Commission/Espagne, C‑404/00, Rec. p. I‑6695, point 21). À cet égard, l’État en cause doit parvenir à un recouvrement effectif des sommes dues (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2005, Commission/Grèce, C‑415/03, Rec. p. I‑3875, point 44).

36      La récupération doit s’effectuer sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné. L’application des procédures nationales est soumise à la condition que celles-ci permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission, condition qui reflète les exigences du principe d’effectivité consacré par la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 14 février 2008, Commission/Grèce, C‑419/06, points 58 et 59).

37      En l’occurrence, la République italienne était censée, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2008/854, récupérer les aides en cause d’une façon immédiate et effective. L’exécution de ladite décision et, par conséquent, la récupération effective desdites aides auraient dû avoir lieu, ainsi qu’il ressort du paragraphe 2 de cet article, dans les quatre mois suivant la notification de la même décision, à savoir jusqu’au 4 novembre 2008.

38      La Commission soutient, sans être contredite sur ce point par la République italienne, qu’aucune aide illégale, visée par la décision 2008/854, n’a été récupérée jusqu’à l’introduction du présent recours.

39      À cet égard, il convient d’ajouter que, ainsi qu’il ressort du dossier, c’est seulement à la fin du mois d’avril 2009, plus de cinq mois après le délai imparti pour la récupération effective des aides illégales, que les décisions nationales visant à récupérer ces aides, sans intérêts, ont été notifiées aux entreprises concernées.

40      S’agissant des moyens invoqués par la République italienne dans le cadre de sa défense, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 108, paragraphe 2, TFUE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision en cause (voir, notamment, arrêts du 22 décembre 2010, Commission/Italie, C‑304/09, non encore publié au Recueil, point 35, et du 6 octobre 2011, Commission/Italie, C‑302/09, point 40).

41      La Cour a déjà jugé que la condition relative à l’existence d’une impossibilité absolue d’exécution n’est pas remplie lorsque l’État membre défendeur se borne à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présentait la mise en œuvre de la décision concernée, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause afin de récupérer l’aide et sans proposer à la Commission d’autres modalités de mise en œuvre de ladite décision qui auraient permis de surmonter ces difficultés (voir arrêt du 5 mai 2011, Commission/Italie, C‑305/09, non encore publié au Recueil, point 33 et jurisprudence citée).

42      Il convient d’ajouter que la Cour a également jugé qu’un État membre qui, lors de l’exécution d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l’appréciation de cette dernière en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, l’État membre et la Commission doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions de l’Union des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l’article 4, paragraphe 3, TUE, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides (arrêt du 22 décembre 2010, Commission/Italie, précité, point 37 et jurisprudence citée).

43      En l’espèce, il ne ressort pas du dossier que la République italienne a demandé à la Commission de modifier la décision 2008/854 en vue de lui permettre de surmonter les difficultés liées à la mise en œuvre effective et immédiate de celle-ci.

44      S’agissant de l’argument de la République italienne tiré du caractère général et abstrait de la décision 2008/854, il convient de rappeler que la Commission a déclaré comme incompatible avec le marché commun les aides octroyées au titre de la loi régionale n° 9 de 1998, illégalement appliquée par cet État membre par la deliberazione n° 33/6 et la première invitation à présenter des demandes. En effet, la décision 2008/854 concernait le régime d’aides en tant que tel et c’est à la République italienne qu’il appartenait de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée par une opération de récupération (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 2011, Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, non encore publié au Recueil, points 63, 64 et 121, ainsi que du 6 octobre 2011, Commission/Italie, précité, point 52).

45      Le fait que ledit État membre éprouve la nécessité de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée, en vue d’effectuer un examen préalable afin d’identifier les bénéficiaires des avantages visés par la décision 2008/854, n’est pas de nature à justifier la non-exécution de cette décision (voir arrêt du 5 mai 2011, Commission/Italie, précité, point 37 et jurisprudence citée).

46      En l’occurrence, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir agi en méconnaissance de l’obligation de coopération loyale avec la République italienne au stade de la récupération des aides en cause. En effet, cette institution a accepté l’invitation de cet État membre à considérer la possibilité de la reconnaissance du caractère séparable de certains projets d’investissement. En tout état de cause, cette discussion a été entamée par la République italienne seulement après l’expiration des délais prévus par la décision 2008/854.

47      En ce qui concerne l’argument de la République italienne concernant la prétendue bonne foi et la confiance légitime des entreprises auxquelles les aides ont été concédées pour financer des projets d’investissement lancés avant la date de la présentation de la demande appropriée, il importe de souligner qu’un tel argument ne saurait être valablement soulevé par l’État membre concerné dans le cadre d’un recours en manquement ayant pour objet la mise en œuvre d’une décision de la Commission ordonnant la récupération des aides illégales. En effet, admettre une telle possibilité reviendrait à priver les dispositions des articles 107 TFUE et 108 TFUE de tout effet utile, dans la mesure où les autorités nationales pourraient ainsi se fonder sur leur propre comportement illégal pour mettre en échec l’efficacité des décisions prises par la Commission en vertu de ces dispositions du traité (voir arrêt du 19 juin 2008, Commission/Allemagne, C‑39/06, point 24 et jurisprudence citée).

48      S’agissant du problème de la suspension, par les juridictions nationales, des ordres visant à récupérer les aides en cause, il y a lieu de rappeler que de telles mesures peuvent être accordées sous réserve que soient réunies les conditions énoncées par la jurisprudence (voir, notamment, arrêts du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, C‑143/88 et C‑92/89, Rec. p. I‑415, ainsi que du 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. (I), C‑465/93, Rec. p. I‑3761).

49      En particulier, une mesure d’une juridiction nationale qui vise à surseoir à l’acte national pris en exécution d’une décision de la Commission obligeant l’État membre à récupérer une aide illégale doit être justifiée, conformément à la jurisprudence visée au point précédent, par des arguments visant à établir l’invalidité de la décision en cause. Cette exigence s’applique également lorsque la légalité de cette décision est contestée devant le Tribunal (voir arrêts précités du 22 décembre 2010, Commission/Italie, points 46 et 51, ainsi que du 6 octobre 2011, Commission/Italie, point 47).

50      Or, un recours en annulation introduit devant le Tribunal contre une décision ordonnant la récupération d’une aide n’a pas d’effet suspensif sur l’obligation d’exécuter cette décision (voir arrêt du 6 décembre 2007, Commission/Italie, C‑280/05, point 21).

51      En l’espèce, l’analyse des ordonnances des juridictions nationales versées au dossier par les parties, concernant la récupération des aides illégales ordonnée par la décision 2008/854, ne permet pas d’établir que les conditions visées par la jurisprudence citée au point 48 du présent arrêt étaient remplies.

52      En particulier, par ordonnance du 29 juillet 2009, le Tribunale amministrativo regionale per la Sardegna a sursis à l’exécution des décisions nationales visant à récupérer les aides illégales au motif que la récupération de celles-ci causerait un préjudice grave et irréparable aux bénéficiaires en cause. Par ordonnance du 26 mai 2010, la même juridiction nationale a de nouveau sursis à l’exécution d’une décision visant à récupérer les aides illégales en raison du principe du respect de la confiance légitime d’un des bénéficiaires et de l’introduction, devant le Tribunal, d’un recours en annulation de la décision 2008/854.

53      Or, les ordonnances de sursis visées au point précédent ne prennent pas en compte l’intérêt de l’Union et n’indiquent pas les raisons pour lesquelles les juridictions de l’Union seraient amenées à constater l’invalidité de la décision 2008/854. En tout état de cause, les sursis en cause ont été ordonnés après l’expiration du délai imparti pour la récupération des aides illégales le 4 novembre 2008.

54      Dans ces circonstances, la République italienne ne peut se prévaloir des ordonnances des juridictions nationales prévoyant des mesures provisoires pour justifier la non-exécution de la décision 2008/854 dans les délais prescrits.

55      En ce qui concerne le moyen de défense tiré par la République italienne de l’impossibilité «juridique» d’exécution de la décision 2008/854, il importe de faire observer que les mesures nationales de sursis à exécution ne constituent pas un cas d’impossibilité absolue d’exécution de cette décision. Le respect des principes de sécurité juridique et de l’autorité de la chose jugée, invoqués par cet État membre en liaison avec la contestation de la légalité de la décision 2008/854 devant les juridictions de l’Union et dans le cadre d’une procédure nationale, ne saurait non plus rendre absolument impossible l’exécution de ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2011, Commission/Italie, précité, point 44).

56      Il résulte de ce qui précède que le présent recours est fondé en tant que la Commission reproche à la République italienne de ne pas avoir pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu du régime d’aides en cause, lequel a été déclaré illégal et incompatible avec le marché commun par la décision 2008/854.

57      Il n’y a pas lieu de statuer sur le chef des conclusions de la Commission visant à faire condamner la République italienne pour ne pas l’avoir informée des mesures mentionnées au point précédent, étant donné que cet État membre n’a précisément pas procédé à l’exécution de la décision 2008/854 dans les délais prescrits (voir arrêt du 22 décembre 2010, Commission/Italie, précité, point 57 et jurisprudence citée).

58      En conséquence, il convient de constater que, en n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu du régime d’aides déclaré illégal et incompatible avec le marché commun par la décision 2008/854, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de cette décision.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu du régime d’aides déclaré illégal et incompatible avec le marché commun par la décision 2008/854/CE de la Commission, du 2 juillet 2008, relative au régime d’aide «Loi régionale n° 9 de 1998 – application abusive de l’aide N 272/98» C 1/04 (ex NN 158/03 et CP 15/2003), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de cette décision.

2)      La République italienne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.