Language of document : ECLI:EU:T:2012:646

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

5 décembre 2012 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Recours en annulation – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation »

Dans l’affaire T‑421/11,

Qualitest FZE, établie à Dubaï (Émirats arabes unis), représentée par Me L. Catrain González, avocat, Mme E. Wright et M. H. Zhu, barristers,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. G. Marhic et Mme R. Liudvinaviciute-Cordeiro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par Mme S. Boelaert et M. T. Scharf, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision 2011/299/PESC du Conseil, du 23 mai 2011, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 136, p. 65), du règlement d’exécution (UE) n° 503/2011 du Conseil, du 23 mai 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 136, p. 26), et du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010 (JO L 88, p. 1),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe (rapporteur) et M. M. van der Woude, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 juin 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Qualitest FZE, est une société établie aux Émirats arabes unis spécialisée dans la fourniture d’équipements de contrôle de qualité et de matériel d’essai pour la vérification des propriétés physiques des matières premières.

2        Le 26 juillet 2010, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39). L’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413 prévoit le gel des fonds et des ressources économiques des personnes et entités dont la liste est établie aux annexes I et II de cette même décision.

3        Le 25 octobre 2010, à la suite de l’adoption de la décision 2010/413, le Conseil a adopté le règlement (UE) n° 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (CE) n° 423/2007 (JO L 281, p. 1). L’article 16, paragraphe 2, du règlement n° 961/2010 prévoit le gel des fonds et des ressources économiques des personnes, entités ou organismes énumérés à l’annexe VIII dudit règlement.

4        Le 23 mai 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/299/PESC, modifiant la décision 2010/413 (JO L 136, p. 65), par laquelle il a notamment ajouté la requérante à la liste des personnes et entités énumérées à l’annexe II de la décision 2010/413.

5        À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) n° 503/2011, mettant en œuvre le règlement n° 961/2010 (JO L 136, p. 26), par lequel il a notamment ajouté le nom de la requérante à la liste figurant à l’annexe VIII du règlement n° 961/2010.

6        Par lettre du 24 mai 2011, le Conseil a informé la requérante de son inscription sur la liste des personnes et entités énumérées à l’annexe II de la décision 2010/413 et à l’annexe VIII du règlement n° 961/2010, à la suite de l’adoption de la décision 2011/299 et du règlement d’exécution n° 503/2011.

7        Dans la décision 2011/299 et le règlement d’exécution n° 503/2011, le Conseil a motivé le gel des fonds et des ressources économiques de la requérante de la façon suivante :

« Participe à l’achat de composants pour le programme nucléaire iranien. »

8        Par lettre du 29 juillet 2011, la requérante a demandé au Conseil de motiver son inscription sur la liste de l’annexe de VIII du règlement n° 961/2010 et de la rayer de ladite liste.

9        Par lettre du 3 août 2011, le Conseil a accusé réception de la lettre du 29 juillet 2011. Par lettre du 5 décembre 2011, il a informé la requérante de sa décision de maintenir son inscription dans les listes des entités visées par des mesures restrictives.

10      Le 23 janvier 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/35/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO L 19, p. 22). Par cette décision, le Conseil a renforcé les mesures restrictives imposées par l’Union européenne à l’encontre de l’Iran et a ajouté des personnes et des entités sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413.

11      Le 23 mars 2012, le Conseil a adopté le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement n° 961/2010 (JO L 88, p. 1). Par ce règlement, le Conseil a pris acte du renforcement des mesures restrictives par la décision 2012/35. L’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 267/2012 prévoit le gel des fonds et des ressources économiques des personnes, entités ou organismes énumérés à l’annexe IX dudit règlement. Le nom de la requérante figure à l’annexe IX du règlement n° 267/2012.

12      Dans le règlement n° 267/2012, la justification avancée par le Conseil pour le gel des fonds et des ressources économiques de la requérante est identique à celle avancée dans la décision 2011/299 et le règlement d’exécution n° 503/2011, à savoir qu’elle « [p]articipe à l’achat de composants pour le programme nucléaire iranien ».

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 août 2011, la requérante a introduit le présent recours.

14      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, elle a introduit une demande visant à ce que le litige soit tranché selon une procédure accélérée, en application de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal. Par décision du 22 novembre 2011, le Tribunal (quatrième chambre) a refusé de faire droit à cette demande.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 octobre 2011, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil.

16      Par ordonnance du 22 novembre 2011, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis cette intervention.

17      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 19 juin 2012.

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision 2011/299 et le règlement d’exécution n° 503/2011 pour autant que ces actes la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

19      Lors de l’audience, la requérante a adapté ses conclusions initiales en demandant également l’annulation du règlement n° 267/2012 pour autant que cet acte la concerne.

20      Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur la recevabilité de l’adaptation des conclusions de la requérante

21      Il ressort du point 11 ci-dessus que, depuis l’introduction de la requête, le règlement n° 961/2010 a été abrogé et remplacé par le règlement n° 267/2012. Lors de l’audience, la requérante a adapté ses conclusions initiales de sorte que le recours vise à l’annulation de la décision 2011/299, du règlement d’exécution n° 503/2011 ainsi que du règlement n° 267/2012 (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

22      À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une décision ou un règlement concernant directement et individuellement un requérant est, en cours de procédure, remplacé par un acte ayant le même objet, celui‑ci doit être considéré comme un élément nouveau permettant audit requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de la procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge de l’Union européenne contre un acte, adapter l’acte attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux à l’acte ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui-ci (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, Rec. p. II‑3019, point 46, et la jurisprudence citée).

23      En ce qui concerne le délai dans lequel une telle adaptation des conclusions peut être opérée, le Tribunal considère que le délai de deux mois prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE est en principe applicable aussi bien lorsque le recours en annulation d’un acte est formé par voie de requête que lorsqu’il est formé, dans le cadre d’une instance pendante, par la voie d’une adaptation des conclusions en annulation d’un acte antérieur abrogé et remplacé par l’acte en question.

24      Cette solution se justifie en effet par la circonstance que les règles concernant les délais de recours sont d’ordre public et doivent être appliquées par le juge de manière à assurer la sécurité juridique ainsi que l’égalité des justiciables devant la loi (arrêt de la Cour du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, Rec. p. I‑439, point 101), en évitant toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice (arrêt de la Cour du 15 janvier 1987, Misset/Conseil, 152/85, Rec. p. 223, point 11).

25      Toutefois, par exception à ce principe, le Tribunal considère que ledit délai n’est pas applicable, dans le cadre d’une instance pendante, lorsque, d’une part, l’acte en question et l’acte que celui-ci abroge et remplace ont, à l’égard de l’intéressé, le même objet, sont essentiellement fondés sur les mêmes motifs et ont des contenus substantiellement identiques, ne différant ainsi que par leurs champs d’application ratione temporis respectifs, et, d’autre part, l’adaptation des conclusions n’est fondée sur aucun moyen, fait ou élément de preuve nouveau autre que l’adoption même de l’acte en question abrogeant et remplaçant cet acte antérieur.

26      Dans un tel cas de figure, étant donné que l’objet et le cadre du litige tels que fixés par le recours initial ne subissent aucune autre modification que celle concernant sa dimension temporelle, la sécurité juridique n’est nullement affectée par la circonstance que l’adaptation des conclusions est opérée après l’expiration du délai de deux mois en question.

27      Il s’ensuit que, dans les circonstances décrites au point 25 ci-dessus, un requérant est recevable à adapter ses conclusions et moyens, même dans l’hypothèse où l’adaptation a été opérée après l’expiration du délai de deux mois prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

28      En l’espèce, toutes les conditions visées au point 25 ci-dessus étant satisfaites, il convient de considérer que la requérante est recevable à demander l’annulation du règlement n° 267/2012, pour autant que cet acte la concerne.

 Sur le fond

29      A l’appui du recours, la requérante invoque trois moyens. Ils sont pris, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une violation des droits de la défense, le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation en violation de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

30      La requérante soutient, en substance, que le Conseil a violé son obligation de motivation, dès lors que, premièrement, il n’a avancé aucun motif concret et spécifique, ni aucun élément de preuve, pour justifier son inclusion dans la liste des personnes et entités concernées par les mesures restrictives. Ainsi, la justification qu’il a avancée dans les actes attaqués serait une simple référence aux conditions légales d’application des mesures restrictives. Deuxièmement, aucune raison impérieuse ne s’opposerait à ce que le Conseil lui communique les motifs concrets et spécifiques de son inclusion dans l’annexe VIII du règlement n° 961/2010.

31      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste le bien-fondé de l’argumentation de la requérante. En particulier, il fait observer que les actes attaqués comportent de nombreuses indications sur les circonstances dans lesquelles ils ont été adoptés, permettant à la requérante de comprendre la portée des mesures prises à son égard. À ce titre, il fait référence, dans le mémoire en défense, à la vente, par l’actionnaire de la requérante, d’un microscope électronique à balayage en 2005 ainsi qu’à un article de presse de juillet 2010 selon lequel des cargaisons illicites liées à la prolifération nucléaire ont été saisies aux Émirats arabes unis. Dans la duplique, il évoque également un rapport de novembre 2011 du directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), montrant que le contexte dans lequel la requérante a été inscrite sur les listes des entités visées par les mesures restrictives était inquiétant pour la communauté internationale, ainsi que des informations communiquées par un État membre de l’Union selon lesquelles la société M. avait chargé un centre de recherche de se procurer un appareil de test de dureté universel auprès de la requérante.

32      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, à l’article 24, paragraphe 3, de la décision 2010/413, à l’article 36, paragraphe 3, du règlement n° 961/2010 ainsi qu’à l’article 46, paragraphe 3, du règlement n° 267/2012, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte. L’obligation de motivation ainsi édictée constitue un principe essentiel du droit de l’Union auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses. En outre, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief, son absence ne pouvant être régularisée par le fait que l’intéressé prend connaissance des motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, Rec. p. II‑3967, point 80, et la jurisprudence citée).

33      Partant, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments, le Conseil est tenu, en vertu de l’article 24, paragraphe 3, de la décision 2010/413, de l’article 36, paragraphe 3, du règlement n° 961/2010 et de l’article 46, paragraphe 3, du règlement n° 267/2012, de porter à la connaissance de l’entité visée par une mesure adoptée en vertu, respectivement, de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, de l’article 16, paragraphe 2, du règlement n° 961/2010 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 267/2012 les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère que ces dispositions sont applicables à l’intéressé. Il doit ainsi mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l’ont amené à la prendre (voir, en ce sens, arrêt Bank Melli Iran/Conseil, point 32 supra, point 81, et la jurisprudence citée). Il s’ensuit que, selon la jurisprudence, le juge de l’Union ne saurait admettre que la motivation puisse consister seulement en une formulation générale et stéréotypée, calquée sur la rédaction de la disposition légale prévoyant les conditions d’applicabilité de la mesure en cause (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, Rec. p. II‑4665, point 143).

34      Par ailleurs, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt Bank Melli Iran/Conseil, point 32 supra, point 82, et la jurisprudence citée).

35      En l’espèce, ainsi que cela a été mentionné aux points 7 et 12 ci-dessus, le Conseil a motivé l’inclusion de la requérante dans les listes de l’annexe I de la décision 2011/299 et du règlement d’exécution n° 503/2011 et de l’annexe IX du règlement n° 267/2012 de la façon suivante :

« Participe à l’achat de composants pour le programme nucléaire iranien. »

36      Or, il convient de considérer, à l’instar de la requérante, que, par cette motivation, le Conseil s’est contenté de paraphraser les termes de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010 et de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012, sans nullement préciser les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il a considéré que ces dispositions lui étaient applicables.

37      Il importe de rappeler, à cet égard, que l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010 et l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012 définissent les conditions d’inclusion du nom d’une personne physique ou morale dans les listes des personnes, entités et organismes visés par une mesure de gel des fonds et des ressources économiques. Ces dispositions prévoient, dans des termes quasi identiques, que sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités ou organismes qui ont été reconnus comme participant, étant directement associés ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par l’Iran, y compris en concourant à l’acquisition de biens et de technologies interdits, ou étant détenus par une telle personne ou entité ou par un tel organisme, ou se trouvant sous leur contrôle, y compris par des moyens illicites, ou agissant pour leur compte ou selon leurs instructions.

38      En mentionnant la participation de la requérante à l’achat de composants pour le programme nucléaire iranien comme seule justification de son inclusion dans les listes des entités et personnes physiques visées par les mesures restrictives en cause en l’espèce, le Conseil s’est borné à affirmer que la requérante avait, selon les termes de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010 et de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012, concouru à l’acquisition de biens et de technologies interdits et a omis d’expliquer quelles circonstances factuelles l’avaient convaincu d’une telle participation.

39      Il s’ensuit que la motivation figurant dans les actes attaqués n’est pas suffisante pour permettre, d’une part, à la requérante de comprendre les raisons ayant poussé le Conseil à adopter lesdites mesures et, d’autre part, au Tribunal d’exercer son contrôle.

40      Cette conclusion se trouve confirmée par le contenu des écritures de la requérante. En effet, la requête comprend des dénégations d’ordre général, reflétant ainsi le fait que cette dernière ignorait les griefs spécifiques et concrets que le Conseil avait retenus à son égard. En revanche, la réplique est plus spécifique, dans la mesure où la requérante y répond aux éléments factuels précis évoqués par le Conseil dans son mémoire en défense. En particulier, la requérante réagit à l’évocation par le Conseil, d’une part, de la vente, par son actionnaire, d’un microscope électronique à balayage et, d’autre part, du fait que de nombreuses cargaisons illicites liées à la prolifération nucléaire ont été saisies aux Émirats arabes unis, lieu d’établissement de la requérante.

41      De surcroît, cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments soulevés par le Conseil, soutenu par la Commission.

42      Premièrement, il importe de relever que le Conseil a fait état, dans ses écritures, d’éléments factuels précis, qui, selon lui, démontraient la participation de la requérante à l’achat de composants pour le programme nucléaire iranien. Ainsi qu’il a été relevé au point 31 ci-dessus, le Conseil a fait référence à la vente d’un microscope électronique à balayage par l’actionnaire de la requérante ainsi que, de façon générale, à la saisie aux Émirats arabes unis de cargaisons illicites liées à la prolifération nucléaire. Dans la duplique, le Conseil a également mentionné, d’une part, un rapport de novembre 2011, du directeur général de l’AIEA, montrant que le contexte dans lequel la requérante a été inscrite sur les listes des entités visées par les mesures restrictives était inquiétant pour la communauté internationale et, d’autre part, des informations communiquées par un État membre selon lesquelles M. avait chargé un centre de recherche de se procurer un appareil de test de dureté universel auprès de la requérante.

43      Or, il convient de rappeler la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus, en vertu de laquelle la motivation doit être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief, son absence ne pouvant être régularisée par le fait que l’intéressé prend connaissance des motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union.

44      Dès lors, les justifications précises avancées par le Conseil dans ses écritures ne sauraient être considérées comme une motivation adéquate des actes attaqués.

45      Deuxièmement, le Conseil soutient que, dès lors que la prolifération nucléaire repose sur des sociétés telles que la requérante, disposant d’une présence internationale, il peut être considéré que cette dernière est objectivement dans une situation analogue à celle du requérant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 19 mai 2010, Tay Za/Conseil (T‑181/08, Rec. p. II‑1965).

46      Toutefois, il importe de rappeler que la Cour a, sur pourvoi, annulé l’arrêt Tay Za/Conseil, point 45 supra (arrêt de la Cour du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil, C‑376/10 P, non encore publié au Recueil). Dès lors, ledit arrêt a disparu de l’ordre juridique de l’Union et le Conseil ne saurait valablement s’y référer.

47      Troisièmement, le Conseil mentionne le fait que la requérante aurait pu, comme il l’a invitée à le faire, lui transmettre des pièces justificatives ou des éléments de preuve substantiels afin qu’il réexamine sa décision, ce qu’elle a omis de faire.

48      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus, il incombe au Conseil de communiquer la motivation d’un acte à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief et qu’il ne saurait être dérogé à cette obligation qu’en présence de considérations impérieuses. Dès lors, la circonstance, à la supposer établie, que la requérante a omis de fournir au Conseil des éléments de preuve substantiels afin qu’il réexamine sa décision, conformément à l’article 36, paragraphe 4, du règlement n° 961/2010, ne saurait exonérer ce dernier de l’obligation de motiver les actes attaqués.

49      Partant, l’argument du Conseil ne saurait prospérer.

50      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le premier moyen et d’annuler les actes attaqués pour autant qu’ils concernent la requérante.

51      Néanmoins, le Tribunal estime opportun d’examiner, à titre surabondant, le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le Conseil en violation de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en violation de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010

52      La requérante soutient, en substance, que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en violation de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010 dès lors qu’il n’a pas rapporté la preuve de l’implication de la requérante dans la prolifération nucléaire. À titre subsidiaire, la requérante fait valoir que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que des éléments de preuve suggéraient qu’elle avait participé à la prolifération nucléaire, alors qu’elle met scrupuleusement en œuvre les règles en matière de sanctions et qu’elle n’a de relations commerciales avec aucune entité iranienne.

53      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste le bien-fondé de cette argumentation.

54      À titre liminaire, il importe de préciser que, eu égard au fait que la requérante a adapté ses conclusions, le présent moyen doit être considéré comme étant tiré non seulement d’une erreur manifeste d’appréciation en violation de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010, mais aussi d’une erreur manifeste d’appréciation en violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 267/2012.

55      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le contrôle juridictionnel de la légalité d’un acte par lequel des mesures restrictives ont été adoptées à l’égard d’une entité s’étend à l’appréciation des faits et des circonstances invoqués comme le justifiant, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels est fondée cette appréciation. En cas de contestation, il appartient au Conseil de présenter ces éléments en vue de leur vérification par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Bank Melli Iran/Conseil, point 32 supra, points 37 et 107).

56      Or, en l’espèce, le Conseil n’a produit aucun élément de preuve permettant d’établir que la requérante a participé à l’achat de composants pour le programme nucléaire iranien.

57      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments du Conseil.

58      En premier lieu, le Conseil explique qu’il a avancé des motifs suffisants pour justifier l’inscription de la requérante sur les listes des entités faisant l’objet de mesures restrictives. À cet égard, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il a été relevé au point 31 ci-dessus, que le Conseil a fait référence, dans le cadre de ses écritures, à quatre motifs. Il se prévaut ainsi de la vente par l’actionnaire de la requérante, en 2005, d’un microscope électronique à balayage se prêtant à de multiples applications, dont il est fait état dans un article de presse du 1er février 2005, de la saisie aux Émirats arabes unis de cargaisons illicites liées à la prolifération nucléaire, dont il est fait état dans un article de presse du 1er juillet 2010, d’un rapport de novembre 2011, du directeur général de l’AIEA, montrant que le contexte dans lequel la requérante a été inscrite sur les listes des entités visées par les mesures restrictives était inquiétant pour la communauté internationale, et d’informations communiquées par un État membre selon lesquelles M. a chargé un centre de recherche de se procurer un appareil de test de dureté universel auprès de la requérante.

59      Premièrement, il convient d’observer que ces motifs n’ont été mentionnés par le Conseil ni dans les actes attaqués ni au cours des échanges avec la requérante postérieurs à ces actes. Or, en vertu de la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus, la motivation doit être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief.

60      Deuxièmement, les motifs avancés par le Conseil dans ses écritures ne sont étayés par aucun élément de preuve.

61      Troisièmement, ces motifs, même s’ils étaient étayés par des éléments de preuve, ne sont pas susceptibles de démontrer, par eux-mêmes, que la requérante a participé, a été directement associée ou a apporté son appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par l’Iran, conformément à l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, à l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010 et à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012.

62      En effet, tout d’abord, ni l’article de presse du 1er juillet 2010 concernant la saisie aux Émirats arabes unis de cargaisons illicites liées à la prolifération nucléaire ni le rapport de novembre 2011 du directeur général de l’AIEA attestant d’un contexte inquiétant ne sauraient démontrer la participation de la requérante à des activités de prolifération nucléaire. Il importe de relever, à ce titre, que ces documents ne concernent pas l’implication personnelle de cette dernière dans de telles activités.

63      Ensuite, la circonstance que l’actionnaire de la requérante ait vendu, en 2005, un microscope électronique à balayage, à la supposer étayée par des éléments de preuve, n’est pas susceptible de démontrer, en elle-même, que la requérante a participé à des activités visées par l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, par l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010 ou par l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012. En effet, il importe de relever, à cet égard, que le Conseil n’a fait état d’aucun lien entre la vente dudit microscope et les activités nucléaires de l’Iran. En outre, s’agissant d’une vente par l’actionnaire de la requérante, il n’a avancé aucun élément de preuve suggérant que le comportement dudit actionnaire pouvait être imputé à cette dernière. Enfin, aucune mesure restrictive n’avait encore été adoptée à l’encontre de l’Iran en 2005, dans la mesure où le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1737 (2006), instaurant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, le 23 décembre 2006.

64      Enfin, la circonstance que M., une entité visée par les actes attaqués, ait chargé un centre de recherche, également visé par lesdits actes, de se procurer un appareil de test de dureté universel auprès de la requérante, à la supposer étayée par des éléments de preuve, ne permettrait de démontrer que la requérante a participé à des activités visées par l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, par l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010 ou par l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012 que si des indices de ce que la requérante a accepté de fournir ledit test étaient également rapportés.

65      En second lieu, le Conseil soutient que la norme régissant le contrôle juridictionnel exercé dans des affaires telles que celles de l’espèce, qui ont trait aux politiques menées par le régime au pouvoir dans un pays tiers, devrait être différente de celle appliquée dans les affaires qui ont trait à des personnes et des entités ayant des liens avec le terrorisme.

66      Outre que le Conseil ne précise pas quel type de contrôle juridictionnel devrait être appliqué en l’espèce, son affirmation ne trouve appui ni dans la réglementation pertinente ni dans la jurisprudence mentionnée au point 55 ci-dessus. Il y a donc lieu de considérer qu’elle est dépourvue de fondement.

67      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen ainsi que le recours dans son ensemble.

68      En ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués, d’une part, il y a lieu de rappeler, s’agissant tant du règlement d’exécution n° 503/2011 que du règlement n° 267/2012, que, en vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, dudit statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci. Le Conseil dispose donc d’un délai de deux mois, augmenté du délai de distance de dix jours, à compter de la notification du présent arrêt, pour remédier aux violations constatées en adoptant, le cas échéant, de nouvelles mesures restrictives à l’égard de la requérante. En l’espèce, le risque d’une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’imposent le règlement d’exécution n° 503/2011 ainsi que le règlement n° 267/2012 n’apparaît pas suffisamment élevé, compte tenu de l’importante incidence de ces mesures sur les droits et les libertés de la requérante, pour justifier le maintien des effets desdits règlements à l’égard de cette dernière pendant une période allant au-delà de celle prévue à l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 16 septembre 2011, Kadio Morokro/Conseil, T‑316/11, non publié au Recueil, point 38).

69      D’autre part, en ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation de la décision 2011/299, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. En l’espèce, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement d’exécution n° 503/2011 et du règlement n° 267/2012 et celle de la décision 2011/299 serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces trois actes infligeant à la requérante des mesures identiques. Les effets de la décision 2011/299 doivent donc être maintenus en ce qui concerne la requérante jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement d’exécution n° 503/2011 et du règlement n° 267/2012 (voir, par analogie, arrêt Kadio Morokro/Conseil, point 68 supra, point 39).

 Sur les dépens

70      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

71      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, de ce même règlement, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. Dès lors, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Sont annulés, pour autant qu’ils concernent Qualitest FZE :

–        la décision 2011/299/PESC du Conseil, du 23 mai 2011, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran ;

–        le règlement d’exécution (UE) n° 503/2011 du Conseil, du 23 mai 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran ;

–        le règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010.

2)      Les effets de la décision 2011/299 sont maintenus en ce qui concerne Qualitest jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement d’exécution n° 503/2011 et du règlement n° 267/2012.

3)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Qualitest.

4)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Pelikánová

Jürimäe

Van der Woude

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 décembre 2012.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

Sur la recevabilité de l’adaptation des conclusions de la requérante

Sur le fond

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en violation de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 961/2010

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.