Language of document : ECLI:EU:T:2022:20

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

26 janvier 2022 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Collecte et traitement du plasma – Dossier permanent du plasma – Refus d’accès – Exception relative à la protection des intérêts commerciaux d’un tiers – Détermination erronée de l’objet de la demande – Obligation de fonder le refus d’accès sur des raisons spécifiques et concrètes »

Dans l’affaire T‑570/20,

Kedrion SpA, établie à Barga (Italie), représentée par Me V. Salvatore, avocat,

partie requérante,

contre

Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par MM. S. Marino et C. Schultheiss, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Baxter AG, établie à Vienne (Autriche),

Baxter Manufacturing SpA, établie à Cittaducale (Italie),

représentées par Me F. Borrás Pieri, avocate, M. A. Denoon, solicitor, et Mme C. Thomas, barrister,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de l’EMA du 10 juillet 2020 refusant à la requérante l’accès à la liste des centres de collecte et de traitement du sang figurant dans le dossier permanent du plasma de la société pharmaceutique Takeda,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, P. Nihoul et Mme R. Frendo (rapporteure), juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 8 septembre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Sur les dossiers permanents du plasma

1        En application de l’annexe I, partie III, point 1.1, sous a), de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), un dossier permanent du plasma (ci-après le « DPP ») constitue une documentation qui fournit en substance des informations sur toutes les étapes de la collecte et de traitement du plasma entrant dans la fabrication de médicaments ou de dispositifs médicaux.

2        Comme la qualité et la sécurité des produits dérivés du plasma humain dépendent à la fois de l’origine de celui-ci et des étapes de traitement ultérieures, les centres de collecte et de traitement du sang doivent répondre à certaines exigences et, à cette fin, être inspectés et autorisés conformément à la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 2003, établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, la conservation et la distribution du sang humain, et des composants sanguins, et modifiant la directive 2001/83 (JO 2003, L 33, p. 30).

3        Le DPP contient dès lors des informations sur tous les centres ou établissements où la collecte de sang et/ou de plasma est effectuée, ainsi que sur tous ceux intervenant dans le traitement du plasma, en ce compris des informations sur leur inspection et sur leur agrément.

4        Le DPP fournit ainsi, en particulier, une liste exhaustive des noms et adresses des centres principaux et secondaires où sont effectués la collecte, l’analyse, le stockage, la transformation et le transport du sang et du plasma pur, une indication de la date et du résultat final de la dernière inspection de chaque centre et, enfin, une indication de la fréquence desdites inspections.

5        Ces données sont présentées sous la forme d’un tableau établi conformément à l’annexe II des « Lignes directrices relatives aux exigences des données scientifiques pour un DPP arrêtées par le comité des médicaments à usage humain de l’Agence européenne des médicaments » le 15 novembre 2006.

6        Le DPP fait l’objet d’une évaluation scientifique et technique par l’Agence européenne des médicaments (EMA ou ci-après l’« Agence ») ou par une autorité nationale qui, si elle est positive, donne lieu à la délivrance d’un certificat de conformité à la législation applicable dans l’Union européenne. Le DPP est mis à jour et certifié annuellement.

 Sur la demande d’accès aux documents

7        La requérante, Kedrion SpA, gérait le service de collecte et de traitement du plasma sanguin dans cinq régions italiennes participant à un consortium dénommé « Planet ».

8        En 2017, le groupement temporaire d’entreprises Baxter Manufacturing SpA et Baxalta Italy Srl a remporté un appel d’offres organisé par le consortium Planet concernant la réattribution du service géré jusqu’alors par la requérante. Il devait en conséquence en reprendre la gestion le 19 juin 2020. En l’occurrence, cette reprise a été reportée au 15 septembre suivant. Entretemps, Baxter Manufacturing et Baxalta Italy ont été acquises par la société pharmaceutique Takeda.

9        Le 20 avril 2020, au titre de l’article 7 du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), la requérante a présenté à l’EMA une demande tendant à avoir accès « [au(x) document(s) relatif(s) à la liste complète des centres » de Takeda (ci-après la « liste des centres de Takeda »).

10      L’EMA a rejeté cette demande le 26 mai 2020 (ci-après la « décision initiale ») au motif, en substance, que presque toutes les informations demandées constituaient des informations commerciales confidentielles.

11      Le 1er juin 2020, la requérante a introduit une demande confirmative, conformément à l’article 8 du règlement no 1049/2001. Elle y contestait que les informations demandées puissent être qualifiées d’informations commerciales confidentielles et exposait que la raison de sa demande d’accès était de s’assurer, dans l’intérêt public supérieur des patients, que tous les centres de Takeda avaient été répertoriés par celle-ci.

12      L’EMA a rejeté la demande confirmative de la requérante par une décision du 10 juillet 2020 (ci-après la « décision attaquée »). Elle y réitérait, en substance, que la quasi-totalité des informations demandées constituait des informations commerciales et réfutait l’existence d’un intérêt public supérieur.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 septembre 2020, la requérante a introduit le présent recours.

14      L’EMA a déposé le mémoire en défense le 7 décembre 2020.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 novembre 2020, Baxter AG et Baxter Manufacturing ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de l’EMA.

16      Le 20 janvier 2021, la requérante a déposé la réplique.

17      Par ordonnance du 21 janvier 2021, Kedrion/EMA (T‑570/20, non publiée), Baxter et Baxter Manufacturing ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de l’EMA.

18      Le 5 mars 2021, l’EMA a déposé la duplique.

19      Les intervenantes ont déposé leur mémoire en intervention le 5 mars 2021 et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

20      Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, a invité l’EMA à déposer certains documents. Celle-ci a déféré à cette demande dans le délai imparti.

21      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 8 septembre 2021.

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EMA aux dépens.

23      L’EMA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

24      Les intervenantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante à supporter, outre ses propres dépens, ceux qu’elles ont exposés.

 En droit

25      La requérante soulève deux moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 en ce que, d’une part, l’EMA n’aurait pas procédé à un examen circonstancié et précis du document demandé et en ce que, d’autre part, la décision attaquée ne serait pas fondée sur des raisons spécifiques et concrètes. Le premier moyen comporte ainsi deux branches. Le second moyen est, quant à lui, tiré d’un détournement de pouvoir en raison d’un défaut de motivation et du caractère illogique et contradictoire de celle-ci en ce qui concerne l’absence d’intérêt public supérieur justifiant la divulgation des informations demandées.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée de ce que l’EMA n’aurait pas procédé à un examen circonstancié et précis du document demandé

26      La requérante conteste la confidentialité de la liste des centres de Takeda au motif que l’EMA n’a pas procédé à un examen circonstancié et précis du document auquel l’accès lui a été demandé. Elle fait valoir, plus précisément, tant dans ses écrits de procédure qu’à l’audience, qu’elle n’avait pas sollicité un accès à l’entièreté du DPP de Takeda, mais seulement à la liste de ses centres qui y figurait. Elle considère, dès lors, que l’EMA ne pouvait s’opposer à sa demande en arguant que le document demandé contenait des informations figurant dans le formulaire 3.2.S (principe actif) ou concernant des accords ou arrangements commerciaux.

27      Il y a lieu d’observer que, dans la décision initiale, l’EMA indiquait comme objet : « DPP Takeda (Baxter) Liste complète des centres ». Elle faisait état de ce que « presque toutes les informations contenues dans le(s) document(s) demandé(s) constitu[ai]ent des informations commerciales confidentielles » protégées par l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001. Après avoir rappelé sa définition des informations commerciales confidentielles figurant dans sa « Politique [sur l’accès aux documents] », l’EMA poursuivait en indiquant que le ou les documents en question contenaient des informations figurant aussi dans le formulaire 3.2.S relatif aux substances possédant des propriétés thérapeutiques [ci-après le « formulaire 3.2.S (principe actif) »] qui accompagne les demandes d’autorisation de mise sur le marché de médicaments (ci-après une « AMM ») conçus à partir du plasma. L’EMA tirait à ce propos argument des « lignes directrices [des directeurs des autorités nationales compétentes dans les États membres et de l’EMA] concernant l’identification d’informations commerciales confidentielles et de données à caractère personnel dans la structure de la demande d’[AMM] : diffusion d’informations après l’octroi d’une [AMM] » (ci-après les « lignes directrices concernant l’identification d’informations commerciales confidentielles »). Elle observait que, en vertu de ces lignes directrices, les informations sur la qualité et la procédure de fabrication d’un médicament font partie dudit formulaire 3.2.S (principe actif) qui sont confidentielles d’un point de vue commercial. L’EMA soulignait enfin que le secteur industriel concerné avait émis, en 2004 et en 2012, des objections à l’encontre d’une divulgation du résultat de l’évaluation des DPP et d’une publication des listes des centres de collecte et de traitement du plasma.

28      La décision attaquée a réitéré, en substance, que la quasi-totalité des informations contenues dans le document demandé constituait des informations commerciales et qu’il contenait des informations figurant aussi dans le formulaire 3.2.S (principe actif). Elle ajoutait que ce document comportait également des données qui étaient le résultat d’arrangements contractuels entre le titulaire du DPP et les centres concernés.

29      Dans ses écrits de procédure, l’EMA a exposé qu’elle avait interprété la demande initiale de Kedrion comme visant « la liste de tous les centres inspectés, à inspecter et ceux autorisés à fournir du plasma à Takeda, insérés dans le DPP dont cette dernière est titulaire ». Dans les mêmes écrits, l’EMA a fait observer que, dans sa demande confirmative, « Kedrion a[vait] réitéré sa volonté d’avoir accès aux informations relatives à tous les centres inclus dans le DPP de Takeda ». Elle y a également souligné que « le motif de la demande résidait dans la nécessité de s’assurer que tous les centres [...] avaient été répertoriés par Takeda » et que Kedrion invoquait, à cet égard « des risques pour la santé publique si certains des centres approvisionnant Takeda en plasma n’avaient pas fait l’objet d’inspections puis certifiés ».

30      Lors de l’audience, et en réponse à une question posée par le Tribunal, l’EMA a de nouveau fait observer que Kedrion avait indiqué dans sa demande confirmative que le but de celle-ci était en définitive de s’assurer que les patients ne seraient pas exposés au risque que le sang soit collecté et transfusé dans des centres qui n’auraient pas été préalablement inspectés. L’EMA a, dès lors, confirmé que, selon elle, l’objet de la demande de Kedrion n’était pas seulement d’obtenir la liste des centres de Takeda, mais également les dates de leur inspection.

31      En revanche, dans la réplique, tout comme au cours de l’audience en réponse à une question du Tribunal, la requérante a insisté sur le fait qu’elle n’avait pas demandé à avoir accès à l’entièreté du DPP de Takeda, mais seulement à « la partie du document contenant la liste des centres » de celle-ci. Son objectif aurait été de procéder à sa propre enquête au vu de cette information, afin de vérifier si Takeda avait soumis à une inspection préalable tous les centres qu’elle utiliserait et si elle remplissait ainsi les conditions pour lui succéder dans le service de collecte et de traitement du plasma.

32      Les parties s’opposant sur la portée de la demande d’accès aux documents présentée par Kedrion, il convient de clarifier celle-ci.

33      Il convient d’observer que, dans la demande initiale, la requérante demandait « en particulier [à] recevoir le(s) document(s) relatif(s) à la liste complète des centres [...] qui doivent être audités et approuvés [...] avant d’être inclus dans le [DPP] » de Takeda. Elle mettait ainsi l’accent sur l’identification des centres et non sur la date de leur inspection.

34      Le même constat s’impose au vu de la demande confirmative dans laquelle la requérante a fait part de son désaccord quant au refus de « divulguer les documents (ou une partie d’entre eux) liés à la liste complète des centres [...] à auditer et à approuver [...] avant d’être inclus dans le [DPP] » de Takeda. De surcroît, toujours dans la demande confirmative, la requérante prétendait que la liste des centres n’était pas confidentielle et renvoyait à cet égard à celle qui provenait de son propre DPP et qu’elle avait jointe à la demande initiale.

35      Enfin, le fait que la requérante ait également indiqué que la raison de sa demande était « de s’assurer que tous les centres [avaient] été répertoriés » par Takeda, car si tel n’était pas le cas les patients seraient « exposés au risque que le sang soit collecté et transfusé dans des centres qui pourraient ne pas avoir été préalablement audités » n’impliquait pas nécessairement que l’objet de la demande, décrit expressément comme étant la liste des centres de Takeda, portait également sur la date des inspections, et encore moins sur le DPP complet. À cet égard, la requérante soutient, dans les écrits de procédure et comme elle l’a confirmé lors de l’audience, qu’une information limitée au nom et à l’adresse des centres en question lui aurait permis de rechercher elle-même si ceux-ci avaient fait l’objet de cette formalité.

36      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’admettre que la requérante avait seulement demandé la liste des centres de Takeda. Dès lors, la décision attaquée, lue à la lumière de la décision initiale, est le résultat de l’interprétation erronée de la demande par l’EMA, celle-ci ayant considéré que la requérante sollicitait un accès plus étendu, visant, au moins, aussi les dates de l’inspection desdits centres.

37      L’EMA s’étant ainsi trompée sur l’objet spécifique de la demande dont elle était en l’occurrence saisie, elle n’a pu, par voie de conséquence, procéder à un examen circonstancié de la question de savoir si les intérêts commerciaux des intervenantes protégés par l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001 étaient effectivement menacés.

38      L’EMA et les intervenantes font toutefois valoir, dans leurs écrits de la procédure, que l’Agence a, en toute hypothèse, examiné la possibilité d’établir une version expurgée du DPP de Takeda, mais qu’elle a estimé ne pas devoir en établir une. À cet égard, en premier lieu, elles exposent qu’une version limitée au nom et à l’adresse des centres n’aurait présenté aucun intérêt pour la requérante.

39      Cependant, il résulte de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001 que le demandeur d’accès n’a pas à démontrer un quelconque intérêt pour avoir accès aux documents demandés (arrêt du 28 mars 2012, Egan et Hackett/Parlement, T‑190/10, non publié, EU:T:2012:165, point 99). Partant, la circonstance que la liste des centres de Takeda n’aurait prétendument pas présenté d’intérêt pour la requérante ne pouvait justifier le rejet de sa demande.

40      En second lieu, l’EMA et les intervenantes soulignent que, réduit à une liste de noms et d’adresses des centres de Takeda, le document demandé aurait quand même révélé des informations commercialement confidentielles, car l’ordre dans lequel les centres sont énumérés dans le DPP de Takeda, spécialement la répartition entre centres principaux et centres secondaires ou mobiles, était déjà le reflet de la stratégie élaborée par cette entreprise en ce qui concerne l’inspection de ces centres. La seule solution, soutient l’EMA dans ses écrits de procédure, aurait été de créer un nouveau document, ce à quoi le règlement no 1049/2001 ne la contraignait précisément pas.

41      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la jurisprudence est établie en ce sens que le droit d’accès aux documents des institutions ne concerne que les documents existants et en possession de l’institution concernée et que le règlement no 1049/2001 ne saurait être invoqué afin de l’obliger à créer un document qui n’existe pas (arrêt du 11 janvier 2017, Typke/Commission, C‑491/15 P, EU:C:2017:5, point 31).

42      Néanmoins, il ressort également de la jurisprudence que, si les informations demandées peuvent être extraites dans le cadre d’une utilisation courante de bases de données, les institutions peuvent être conduites, pour satisfaire au règlement no 1049/2001, à constituer un document à partir de celles-ci, même si les informations en question n’ont pas encore été affichées sous cette forme ou n’ont pas encore fait l’objet de cette forme de recherche (voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2017, Typke/Commission, C‑491/15 P, EU:C:2017:5, points 34, 35, 37 et 38, et du 27 novembre 2019, Izuzquiza et Semsrott/Frontex, T‑31/18, EU:T:2019:815, point 53).

43      À cet égard, lors de l’audience, l’EMA a expliqué qu’elle ne disposait du DPP de Takeda que sous la forme d’un fichier au format pdf et que sa réécriture sous une forme expurgée aurait représenté une charge de travail excessive que le règlement no 1049/2001 n’imposait pas.

44      Il y a lieu toutefois de relever que, au regard de l’objectif du règlement no 1049/2001 qui vise, ainsi qu’il ressort du considérant 4 et de l’article 1er, sous a), dudit règlement, à garantir un accès aussi large que possible aux documents, le juge de l’Union a tenu compte des spécificités techniques des bases de données et des opérations standardisées qu’elles permettent (voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2017, Typke/Commission, C‑491/15 P, EU:C:2017:5, points 31, 35 et 36, et du 27 novembre 2019, Izuzquiza et Semsrott/Frontex, T‑31/18, EU:T:2019:815, point 51).

45      Il convient plus précisément d’observer à cet égard que, dans son arrêt du 11 janvier 2017, Typke/Commission (C‑491/15 P, EU:C:2017:5, points 36, 39 et 40), la Cour s’est fondée sur le constat que le règlement no 1049/2001 a pour limite de ne pas imposer aux institutions d’établir un document dont l’obtention nécessiterait « un investissement substantiel ».

46      Aussi convient-il, au-delà des bases de données, de tenir compte, plus largement, des possibilités offertes par des programmes informatiques que les progrès techniques rendent désormais communément disponibles pour les utilisateurs.

47      Il y a lieu par conséquent de relever que, si l’EMA ne disposait pas du DPP de Takeda sous la forme d’une base de données, il n’apparaît pas qu’elle ait tenu compte du fait que des « pdf en image plus texte » sont exploitables et qu’il est ainsi possible de recourir à des programmes aisément disponibles sur le marché permettant de les convertir par des opérations standardisées dans un autre format offrant lui-même la possibilité d’expurger et de présenter différemment le document, grâce également à de telles opérations. Or, une telle double manipulation, exploitant les spécificités techniques courantes de ces programmes, ne saurait être regardée comme constituant un « investissement substantiel » au sens de la jurisprudence citée au point 45 ci-dessus.

48      Il s’ensuit que l’EMA ne peut soutenir avoir, en tout état de cause, examiné adéquatement la possibilité d’accorder à la requérante un accès aux noms et aux adresses des centres de Takeda.

49      Il découle donc de tout ce qui précède que l’EMA a méconnu l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001. En effet, d’une part, l’Agence s’est trompée sur l’objet de la demande de la requérante et, en conséquence, n’a pas procédé à un examen circonstancié de la question de savoir si l’accès demandé pouvait, en l’espèce, porter atteinte aux intérêts commerciaux des intervenantes. D’autre part, elle n’a pas correctement envisagé la possibilité d’accorder un accès prétendument partiel à la requérante qui eut en fait correspondu à ce que celle-ci demandait.

50      Dans ces conditions, la première branche du premier moyen est fondée. En l’espèce, il y a néanmoins lieu d’examiner aussi la seconde branche du premier moyen, en raison de la contribution de l’obligation de motivation à la transparence administrative qui constitue le cœur du recours.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de ce que le refus d’accès n’est pas fondé sur des raisons spécifiques et concrètes

51      La requérante fait valoir que les intérêts commerciaux susceptibles de justifier un refus d’accès aux documents, conformément à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001, doivent être identifiés en des termes circonstanciés et concrets et non par des formules de style. Or, elle ne pourrait identifier aucune motivation spécifique et circonstanciée dans la décision attaquée, justifiant en quoi la divulgation de la liste des centres énumérés dans le DPP de Takeda serait concrètement de nature à porter atteinte aux intérêts commerciaux de cette dernière De surcroît, expose la requérante, une atteinte aux intérêts commerciaux ne saurait être alléguée de manière purement hypothétique comme ce serait le cas des motifs sur lesquels s’appuie la décision attaquée. Enfin, soutient la requérante, il ne pourrait être satisfait à l’obligation de motivation dans un acte ultérieur tel que, en l’espèce, le mémoire en défense.

52      L’EMA considère, au contraire, que la décision attaquée est suffisamment motivée.

53      Au vu des arguments des parties, il convient, en premier lieu, de préciser la portée de l’obligation de motivation qui pèse sur l’EMA lorsqu’elle refuse l’accès à un document qu’elle détient, en deuxième lieu, de vérifier si la motivation de la décision attaquée est suffisante et, en troisième lieu, d’examiner, le cas échéant, si cette motivation peut être complétée a posteriori dans les écrits de procédure.

 Sur l’obligation d’une motivation spécifique et circonstanciée qui s’impose à l’EMA lorsqu’elle refuse l’accès à un document

54      L’article 73, premier alinéa, du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1) prévoit que le règlement no 1049/2001 s’applique aux documents détenus par l’EMA. Partant, au titre de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001, l’entièreté des dispositions de celui-ci s’applique à tous les documents que l’Agence détient, à savoir à tous les documents établis ou reçus par elle et en sa possession, dans tous ses domaines d’activité (voir, en ce sens, arrêts du 5 février 2018, Pari Pharma/EMA, T‑235/15, EU:T:2018:65, point 39, et du 5 février 2018, PTC Therapeutics International/EMA, T‑718/15, EU:T:2018:66, point 33).

55      Il s’ensuit que, lorsque l’EMA refuse de divulguer un document, il lui incombe de fournir une motivation permettant de comprendre et de vérifier, d’une part, dans chaque cas d’espèce, sur la base des informations dont elle dispose, si les documents dont l’accès est sollicité relèvent effectivement des exceptions énumérées à l’article 4 du règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Bronckers/Commission, T‑166/19, EU:T:2020:557, point 23) et, d’autre part, si le besoin de protection relatif à cette exception est réel (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2013, Besselink/Conseil, T‑331/11, non publié, EU:T:2013:419, point 99) et non hypothétique. Plus précisément, l’EMA doit fournir des explications quant à la question de savoir comment l’accès au document demandé pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé (voir, en ce sens, arrêts du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 51 ; du 22 janvier 2020, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA, C‑178/18 P, EU:C:2020:24, points 54 et 93, et du 14 mai 2019, Commune de Fessenheim e.a./Commission, T‑751/17, EU:T:2019:330, point 69).

56      Il convient, au demeurant, de rappeler, d’une part, qu’une motivation s’apprécie notamment au regard de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 4 juin 2015, Versorgungswerk der Zahnärztekammer Schleswig-Holstein/BCE, T‑376/13, EU:T:2015:361, point 33 et jurisprudence citée) et, d’autre part, qu’elle doit être adaptée à la nature de l’acte en cause (arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 80, et du 30 janvier 2020, CBA Spielapparate- und Restaurantbetrieb/Commission, T‑168/17, non publié, EU:T:2020:20, point 33).

57      Or, conformément à son considérant 1, le règlement no 1049/2001 s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er deuxième alinéa, TUE de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens (voir arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 73 et jurisprudence citée).

58      Cet objectif fondamental d’ouverture est également reflété, notamment, par la consécration du droit d’accès aux documents à l’article 42 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2020, PTC Therapeutics International/EMA, C‑175/18 P, EU:C:2020:23, points 51 et 52 et jurisprudence citée).

59      Par ailleurs, il résulte du considérant 2 du règlement no 1049/2001 que la transparence permet de conférer aux institutions de l’Union une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité à l’égard des citoyens de l’Union dans un système démocratique (arrêt du 22 janvier 2020, PTC Therapeutics International/EMA, C‑175/18 P, EU:C:2020:23, point 53).

60      Au vu de ce contexte, l’obligation de fonder le refus d’accès sur des raisons spécifiques et concrètes se trouve renforcée, en ce que l’accès aux documents de l’Union ne saurait être refusé sur la base d’une motivation qui ne satisferait pas, elle-même, à la politique de transparence de l’Union.

61      Lors de l’audience, et en réponse à une question du Tribunal, l’EMA a d’ailleurs admis que la motivation en matière d’accès aux documents doit être d’autant plus claire qu’elle s’inscrit dans cette politique.

62      Cela étant, dans la mesure où le caractère suffisant ou non de la motivation d’un acte doit, par principe, être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi en fonction des circonstances de l’espèce, et notamment de son contexte (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2015, Versorgungswerk der Zahnärztekammer Schleswig-Holstein/BCE, T‑376/13, EU:T:2015:361, point 33 et jurisprudence citée), et, dans la mesure où ce contexte peut résulter, notamment, d’actes antérieurs connus de l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 152), la motivation de la décision attaquée doit être appréciée en tenant compte de la décision initiale à laquelle, d’ailleurs, elle renvoie.

 Sur la motivation de la décision attaquée

63      Il ressort, tout d’abord, des points 27 à 36 ci-dessus que tant la décision initiale que la décision attaquée sont le résultat de l’interprétation erronée de la demande de la requérante par l’EMA, l’Agence ayant considéré que celle-ci sollicitait un accès plus étendu que la liste des noms et adresses des centres de Takeda et qu’elle visait, au moins, également les dates de leur inspection.

64      Il s’ensuit que la décision attaquée, lue à la lumière de la décision initiale, est principalement motivée par des considérations sans rapport avec l’objet de la demande d’accès de la requérante, en ce qu’elles font référence à des éléments du DPP de Takeda dont celle-ci ne demandait pas la divulgation.

65      Or, une motivation, pour être suffisante, doit se caractériser notamment par une indication pertinente des éléments pris en considération (voir, par analogie, arrêts du 30 septembre 2003, Cableuropa e.a./Commission, T‑346/02 et T‑347/02, EU:T:2003:256, point 227, et du 5 octobre 2005, Land Oberösterreich et Autriche/Commission, T‑366/03 et T‑235/04, EU:T:2005:347, point 53).

66      Aussi, dans le domaine de l’accès aux documents, une motivation sans lien avec l’objet de la demande ne permet pas de comprendre et de vérifier en quoi le document demandé relève de l’exception en cause, à savoir, en l’espèce, celle visée à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.

67      Partant, la motivation de la décision attaquée ne satisfait pas aux exigences de la jurisprudence citée au point 55 ci-dessus.

68      De surcroît, la motivation dont la teneur est exposée aux points 27 et 28 ci-dessus est également insuffisante pour d’autres raisons.

69      En l’espèce, en premier lieu, la décision initiale et la décision attaquée mentionnent que presque toutes les informations contenues dans le document demandé constituaient des informations commerciales confidentielles au sens de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001. Cette mention n’est cependant qu’une clause de style, dans un contexte où l’EMA ne prétend pas qu’il existerait en l’espèce une présomption générale de confidentialité qui seule autoriserait le recours à une formule laconique.

70      De plus, les exceptions au droit d’accès énumérées à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 doivent être interprétées et appliquées strictement (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2020, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA, C‑178/18 P, EU:C:2020:24, points 51 à 53 et jurisprudence citée). Dès lors, dans le prolongement de la jurisprudence citée au point 55 ci-dessus, la seule constatation qu’un document concerne un intérêt protégé par l’exception au droit d’accès prévue par cette disposition ne suffit pas à justifier concrètement et effectivement l’application de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2018, PTC Therapeutics International/EMA, T‑718/15, EU:T:2018:66, point 81 et jurisprudence citée), en ce qu’elle ne permet pas de comprendre et de vérifier si le document dont l’accès est sollicité relève effectivement de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 1998, Interporc/Commission, T 124/96, EU:T:1998:25, point 55).

71      En deuxième lieu, la décision initiale et la décision attaquée évoquent la circonstance que le DPP de Takeda contenait des informations figurant aussi dans le formulaire 3.2.S (principe actif) et la décision initiale renvoie aux lignes directrices concernant l’identification d’informations commerciales confidentielles, desquelles il ressort que les informations sur la qualité et la procédure de fabrication d’un médicament sont confidentielles d’un point de vue commercial.

72      Cependant, s’agissant de la référence au formulaire 3.2.S (principe actif) qui, ainsi que cela a déjà été exposé au point 27 ci-dessus, accompagne les demandes d’AMM, il convient d’observer que l’EMA, elle-même, a déjà souligné qu’une approche se bornant à prendre acte d’un risque d’exploitation déloyale des données soumises dans le cadre de telles demandes d’autorisation ne saurait constituer un motif de refus d’accès aux documents, une telle approche entraînant pratiquement une paralysie presque totale des activités liées à l’accès aux documents de l’Agence qui serait contraire aux dispositions sur la transparence figurant dans le traité FUE et dans le règlement no 1049/2001 (arrêt du 5 février 2018, PTC Therapeutics International/EMA, T‑718/15, EU:T:2018:66, point 68).

73      De plus, le Tribunal a déjà considéré comme étant insuffisante une appréciation réalisée par catégories de documents plutôt que par rapport aux éléments d’information concrets contenus dans les documents demandés (arrêt du 30 janvier 2008, Terezakis/Commission, T‑380/04, non publié, EU:T:2008:19, point 87).

74      Enfin, une motivation par référence à un autre acte ne peut être admise que si celui-ci est connu de l’intéressé et qu’il lui permet de connaître à suffisance les justifications de la décision litigieuse (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 2004, FICF e.a./Commission, T‑317/02, EU:T:2004:360, point 133 ; du 6 juin 2007, Mediocurso/Commission, T‑251/05 et T‑425/05, non publié, EU:T:2007:162, point 42, et du 11 février 2009, Iride et Iride Energia/Commission, T‑25/07, EU:T:2009:33, points 70 et 71).

75      De même, une décision peut être motivée d’une manière sommaire lorsqu’elle se place dans la ligne d’une pratique décisionnelle constante, mais à condition que les motifs de cette pratique aient déjà été communiqués (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Freistaat Sachsen e.a./Commission, C‑57/00 P et C‑61/00 P, EU:C:2003:510, points 77 et 78).

76      Il en va, par analogie, de même en ce qui concerne une décision se référant, comme en l’espèce, à des lignes directrices. Dans ce cas, en effet, la motivation d’une telle décision ne doit être précisée que si les lignes directrices auxquelles elle renvoie ne constituent elles-mêmes qu’une référence vague (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission, T‑95/15, EU:T:2016:722, point 48 et jurisprudence citée).

77      Or, les lignes directrices concernant l’identification d’informations commerciales confidentielles, auxquelles la décision initiale renvoie par un lien Internet, se bornent à indiquer, dans une rubrique intitulée « 3.1.2 principe actif » et dans un tableau concernant le formulaire 3.2.S (principe actif), que les informations concernant, notamment, les entreprises qui interviennent dans la fabrication des produits et celles relatives aux processus de fabrication et de contrôle sont classées comme étant des informations commerciales confidentielles.

78      Force est ainsi de constater que les lignes directrices en question ne comportent aucune explication justifiant la classification desdites informations comme étant confidentielles. Partant, le renvoi à celles-ci ne permet pas de comprendre pourquoi les informations figurant dans le formulaire 3.2.S (principe actif) étaient confidentielles et, partant, pourquoi la divulgation du document demandé pouvait, à ce titre, porter concrètement et effectivement atteinte en l’espèce aux intérêts commerciaux des intervenantes. Dès lors, l’évocation des lignes directrices concernant l’identification d’informations commerciales confidentielles ne saurait contribuer à rendre la motivation de la décision attaquée suffisante.

79      En troisième lieu, le même constat s’impose en ce qui concerne le renvoi effectué dans la décision initiale et dans la décision attaquée à la « Politique de l’[EMA] sur l’accès aux documents ». Cette politique comporte seulement un rappel des principales règles régissant cet accès et des précisions sur la manière de traiter les demandes d’accès, sans pour autant expliquer pourquoi un document, tel que le document demandé, contiendrait des informations commerciales confidentielles.

80      La décision initiale, il est vrai, indique que, dans la « Politique [de l’EMA] sur l’accès aux documents », l’Agence définit l’information commerciale confidentielle comme étant une information n’étant pas dans le domaine public.

81      Cependant, la circonstance que les informations figurant dans un document ne sont pas dans le domaine public ne constitue pas une motivation suffisante du refus d’accès audit document. En effet, la motivation devant s’apprécier au regard de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir point 56 ci-dessus), il y a lieu de relever qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 1049/2001 que l’objet de ce règlement est de fixer les principes, les conditions et les limites du droit d’accès aux documents des institutions, précisément dans le cas où ceux-ci ne sont pas directement accessibles au public.

82      En quatrième lieu, la décision attaquée ajoute que le document demandé contenait des informations qui étaient le résultat d’accords contractuels et opérationnels.

83      Il est certes vrai que des données qui mettent en avant l’expertise des entreprises constituent a priori une catégorie d’informations commerciales sensibles (arrêts du 5 février 2018, PTC Therapeutics International/EMA, T‑718/15, EU:T:2018:66, point 85, et du 5 février 2018, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA, T‑729/15, EU:T:2018:67, point 68).

84      Néanmoins, il convient de rappeler que toute information relative à une société et à ses relations d’affaires ne saurait être considérée comme relevant de la protection garantie aux intérêts commerciaux, sauf à tenir en échec l’application du principe général consistant à conférer au public le plus large accès possible aux documents détenus par les institutions ou les agences (voir arrêt du 5 février 2018, PTC Therapeutics International/EMA, T‑718/15, EU:T:2018:66, point 84 et jurisprudence citée).

85      Partant, la seule allusion au fait que le document demandé contenait des informations qui étaient le résultat d’accords contractuels et opérationnels ne suffit pas à expliquer de quelle manière il mettrait en avant l’expertise des entreprises au sens de la jurisprudence citée au point 83 ci-dessus, et, dès lors, en quoi l’accès audit document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte (voir point 55 ci-dessus) aux intérêts commerciaux des intervenantes.

86      En cinquième lieu, la décision attaquée évoque aussi le fait que la divulgation d’informations dans le cadre d’une demande d’accès aux documents au titre du règlement no 1049/2001 a un effet erga omnes et que cet effet justifie que, même si le demandeur a déjà connaissance de tout ou partie de ces informations, le titulaire du DPP conserve un intérêt à maintenir leur caractère confidentiel vis-à-vis d’autres concurrents.

87      Cependant, à défaut d’autres justifications circonstanciées, cette motivation ne permet pas non plus de comprendre pourquoi la divulgation du document demandé pouvait porter concrètement et effectivement atteinte en l’espèce (voir point 55 ci-dessus) aux intérêts commerciaux des intervenantes.

88      De plus, les références au formulaire 3.2.S (principe actif), aux lignes directrices concernant l’identification d’informations commerciales confidentielles, à la « Politique de l’[EMA] sur l’accès aux documents », à l’existence d’informations en rapport avec des accords contractuels et opérationnels et à l’effet erga omnes d’une divulgation au titre du règlement no 1049/2001 n’expliquent pas les raisons pour lesquelles une divulgation partielle n’était pas envisageable.

89      Or, il résulte de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001, qui est une expression particulière de l’obligation générale de motivation (arrêt du 19 novembre 2014, Ntouvas/ECDC, T‑223/12, non publié, EU:T:2014:975, point 19), que l’institution, l’organe ou l’organisme concerné doit expliquer de façon circonstanciée dans sa motivation les raisons pour lesquelles une divulgation partielle est écartée (voir point 55 ci-dessus).

90      En sixième lieu, certes, la décision initiale souligne également que le secteur industriel concerné par les DPP s’est opposé, en 2004 et en 2012, à la publication ou au partage de toute liste de centres qui permettrait d’identifier les centres contenus dans ses DPP, et ce en raison du risque qu’un avantage commercial indu ne soit conféré aux concurrents.

91      Cependant, ainsi que l’EMA l’a admis lors de l’audience, l’institution concernée ne peut pas se considérer liée par l’opposition de tiers, mais doit analyser de manière indépendante toutes les circonstances pertinentes et prendre une décision dans le cadre de sa marge d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2008, Terezakis/Commission, T‑380/04, non publié, EU:T:2008:19, points 60 et 61 ; du 23 septembre 2015, ClientEarth et International Chemical Secretariat/ECHA, T‑245/11, EU:T:2015:675, point 223, et du 25 novembre 2020, Bronckers/Commission, T‑166/19, EU:T:2020:557, point 46). Partant, la référence faite par l’EMA à la position du secteur des entreprises titulaires de DPP ne saurait suffire à la compréhension des raisons qui ont conduit l’Agence, à la suite de sa propre analyse, à refuser personnellement de divulguer le document demandé, que ce soit le DPP ou la liste des centres de Takeda.

92      Enfin, l’allégation selon laquelle la publication ou le partage de la liste de centres de collecte et de traitement du plasma risquerait de procurer un avantage commercial aux concurrents constitue, en tout état de cause, une simple clause de style paraphrasant la définition abstraite de l’information commerciale confidentielle établie par l’EMA dans sa « Politique sur l’accès aux documents ».

93      Dans ses écrits de procédure, l’EMA allègue encore que la décision attaquée précise que la divulgation des informations sollicitées pouvait affecter directement la concurrence pour la production et la fourniture de biens et de services dans le segment du marché des produits dérivés du plasma . Toutefois, cette affirmation ne figure pas comme telle dans la décision attaquée et ne fait donc pas partie de sa motivation. De plus, une affirmation à ce point générale pourrait être utilisée non seulement dans ce segment, mais aussi dans presque tous les secteurs d’activité de l’EMA, ce qui serait en contradiction totale avec le principe d’ouverture exprimé tant dans le traité UE et dans la charte des droits fondamentaux que dans le règlement no 1049/2001 (voir points 57 et 58 ci-dessus).

94      En septième lieu, la décision initiale indique que les informations relatives à la liste des centres de Takeda ne permettraient pas de répondre aux préoccupations de la requérante quant à une éventuelle interruption de la continuité des activités de collecte et de traitement du plasma.

95      Cependant, compte tenu de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001, le fait que, selon l’EMA, la liste des centres de Takeda n’aurait précisément pas présenté d’intérêt pour la requérante ne permet pas de comprendre et de vérifier si le document dont l’accès est sollicité relève effectivement de l’exception en cause (voir points 56, 65 et 70 ci-dessus) et donc n’apporte pas plus de motivation que les autres explications contenues dans la décision initiale et dans la décision attaquée.

96      La décision initiale et la décision attaquée exposent, en huitième lieu, qu’il n’existait aucun intérêt public supérieur justifiant l’accès au document demandé.

97      Toutefois, il ressort de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, du règlement no 1049/2001 que la question de savoir si un intérêt public supérieur justifie la divulgation d’un document ne se pose que lorsque celle-ci peut porter atteinte à un intérêt protégé, tel que, en l’espèce, les intérêts commerciaux des intervenantes.

98      Aussi, les développements consacrés par l’EMA à cette absence d’intérêt public supérieur ne peuvent contribuer à établir que la décision attaquée comportait une motivation suffisante de l’existence d’un intérêt s’opposant à la divulgation du document demandé.

99      Lors de l’audience, l’EMA et les intervenantes ont en définitive fait valoir que la question de la suffisance de la motivation devait s’apprécier à la lumière du fait que la requérante est une entreprise professionnelle du secteur qui ne pouvait ignorer les motifs sous-jacents de la décision attaquée.

100    Il y a lieu de rappeler à cet égard que l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction notamment du contexte de l’acte en question (voir point 62 ci-dessus) et notamment de l’intérêt que ses destinataires peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du 4 juin 2015, Versorgungswerk der Zahnärztekammer Schleswig-Holstein/BCE, T‑376/13, EU:T:2015:361, point 33 et jurisprudence citée). Aussi, l’autorité qui refuse l’accès à un document ne doit pas fournir des renseignements allant au-delà de ce qui est nécessaire à la compréhension, par le demandeur, des raisons justifiant ce refus (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Bronckers/Commission, T‑166/19, EU:T:2020:557, point 24 et jurisprudence citée).

101    Or, en l’espèce, et contrairement à ce que l’EMA a soutenu lors de l’audience, sans au demeurant développer son point de vue, il ne ressort pas de la requête que la requérante avait, lors du dépôt de son recours, une connaissance claire et circonstanciée des motifs de la décision attaquée.

102    La requérante, dans son acte introductif d’instance, a fait valoir qu’elle peinait à comprendre quels intérêts commerciaux pouvaient être affectés par la divulgation du document demandé, qu’il ne suffisait pas à l’EMA d’indiquer qu’elle était parvenue à la conclusion qu’il était confidentiel à l’issue de consultations et, en définitive, qu’elle ne pouvait identifier aucune motivation spécifique et circonstanciée dans la décision attaquée. Ces affirmations sont corroborées par le reste de la requête.

103    Ainsi, le fait que la requérante a contesté le motif selon lequel l’accès au document demandé devait être refusé parce que les informations qu’il contenait ne faisaient pas partie du domaine public, qu’elle a soutenu qu’il appartenait à l’EMA de procéder à un examen circonstancié et précis, de sorte que l’Agence ne pouvait se borner à tirer argument du formulaire 3.2.S (principe actif) ni invoquer de manière générale la protection d’accords ou d’arrangements commerciaux et, enfin, qu’elle ait prétendu que, en Italie, le sang collecté est une propriété publique qui ne peut faire l’objet de négociations entre particuliers révèlent une large incompréhension des motifs qui, à lire les écrits de procédure, justifieraient concrètement la décision attaquée.

104    De même, pour les raisons exposées aux points 97 et 98 ci-dessus, la circonstance que la requérante a contesté, dans son deuxième moyen, les motifs pour lesquels l’EMA a considéré qu’il n’existait aucun intérêt public supérieur justifiant l’accès au document demandé ne permet pas de conclure qu’elle avait une connaissance suffisante des raisons pour lesquelles celui-ci contenait des informations confidentielles.

105    Au demeurant, l’argument de l’EMA et des intervenantes tiré de ce que la requérante est une professionnelle qui connait bien le secteur omet que la motivation d’une décision refusant l’accès à un document doit également permettre au Tribunal de contrôler la légalité de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2018, Bristol-Myers Squibb Pharma/Commission et EMA, T‑329/16, non publié, EU:T:2018:878, point 52, et du 25 novembre 2020, Bronckers/Commission, T‑166/19, EU:T:2020:557, point 24 et jurisprudence citée).

106    Il découle de tout ce qui précède que, même si l’EMA soutient, à juste titre, qu’elle n’était pas tenue de mentionner dans la décision attaquée tous les arguments concevables dans l’abstrait et susceptibles de justifier la décision attaquée, celle-ci, fût-elle lue au regard de son contexte, n’est pas assortie d’une motivation suffisante quant au fait, essentiel en l’espèce, que les intérêts commerciaux des intervenantes se seraient opposés à la divulgation, éventuellement partielle, du document demandé.

 Sur la possibilité de compléter la motivation a posteriori

107    L’EMA soutient que, en toute hypothèse, lorsqu’une décision fait l’objet d’un recours en annulation, il est loisible à son auteur de la défendre en faisant valoir des arguments supplémentaires au regard des moyens et des arguments présentés par la partie requérante.

108    Il importe toutefois de rappeler que la motivation doit figurer dans le corps même de la décision et que, si celle-ci ne présente qu’un début de motivation, comme en l’espèce, ce dernier ne peut être développé et explicité pour la première fois et a posteriori devant le juge de l’Union, sauf circonstances exceptionnelles (voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 2007, Pitsiorlas/Conseil et BCE, T‑3/00 et T‑337/04, EU:T:2007:357, point 278 ; du 20 mai 2015, Yuanping Changyuan Chemicals/Conseil, T‑310/12, non publié, EU:T:2015:295, point 174, et du 11 juillet 2017, Viraj Profiles/Conseil, T‑67/14, non publié, EU:T:2017:481, point 128).

109    Or, si la jurisprudence admet que, confrontées à une charge de travail importante, les institutions ou les agences puissent se trouver dans l’impossibilité pratique d’apporter une motivation suffisante dans une décision faisant grief, de sorte qu’il leur peut être permis, à titre tout à fait dérogatoire, d’apporter des éléments devant le juge de l’Union pour compléter la motivation (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, points 53 et 59 et jurisprudence citée), l’EMA n’a invoqué en l’espèce aucune difficulté de cette nature.

110    Ainsi, lors de l’audience, l’EMA a certes fait allusion à sa charge de travail, mais, en réponse à une question du Tribunal, elle a précisé qu’elle ne l’invoquait qu’en ce qui concerne la possibilité de créer un nouveau document expurgé de tous les éléments confidentiels du DPP de Takeda et non en ce qui concerne la motivation du refus d’octroyer l’accès au document demandé. Au demeurant, ainsi que cela a été exposé ci-dessus, la charge de travail ainsi alléguée par l’EMA n’est elle-même pas convaincante (voir point 47 ci-dessus).

111    De plus, même si la requérante avait indiqué dans sa demande du 20 avril 2020 qu’elle avait besoin des informations sollicitées pour savoir à l’avance si elle devait poursuivre ses prestations après le 19 juin 2020, l’EMA ne se prévaut d’aucune urgence qui serait susceptible d’expliquer l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2007, Pitsiorlas/Conseil et BCE, T‑3/00 et T‑337/04, EU:T:2007:357, point 278).

112    Une circonstance exceptionnelle peut enfin d’autant moins être relevée qu’il convient, en l’occurrence, de tenir compte de l’importance du principe de transparence dans l’ordre juridique de l’Union et du fait que l’obligation de motivation formelle contribue à celui-ci, ainsi que cela ressort des points 55 à 58 ci-dessus.

113    Dès lors, les écrits de procédure, dans lesquels l’EMA a expliqué pour la première fois les raisons concrètes qui s’opposeraient à la divulgation de toute information figurant dans le document demandé, ne sauraient remédier aux insuffisances de la motivation de la décision attaquée.

114    Il s’ensuit que la seconde branche du premier moyen est fondée.

115    Il y a par conséquent lieu d’annuler la décision attaquée sur la base du premier moyen, d’une part, parce que, au vu de l’examen de sa première branche, il apparait que l’EMA a donné à la décision attaquée un objet qui ne correspondait pas à la demande de la requérante et, d’autre part, parce que, au vu de l’examen de la seconde branche, l’Agence n’a pas, en toute hypothèse, suffisamment explicité les raisons de cette décision dans la motivation de celle-ci.

116    Partant, il n’est pas besoin d’examiner le second moyen qui, contestant l’absence d’intérêt public supérieur, ne devrait être examiné qu’à titre subsidiaire (voir point 104 ci-dessus), dans l’hypothèse où, au vu d’une décision suffisamment motivée et correspondant à l’objet de la demande, il aurait été établi que la divulgation du document demandé se heurtait effectivement au caractère confidentiel des informations commerciales auxquelles la requérante voulait accéder.

 Sur les dépens

117    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EMA ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

118    En application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, Baxter AG et Baxter Manufacturing SpA supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de l’Agence européenne des médicaments (EMA) du 10 juillet 2020 refusant à Kedrion SpA l’accès à la liste des centres de collecte et de traitement du sang figurant dans le dossier permanent du plasma de la société pharmaceutique Takeda est annulée.

2)      L’EMA est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Kedrion.

3)      Baxter AG et Baxter Manufacturing SpA supporteront chacune leurs propres dépens.

Gervasoni

Nihoul

Frendo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 janvier 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.