Language of document : ECLI:EU:T:2014:106

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DUTRIBUNAL

7 mars 2014 (*)

«  Référé – Aides d’État – Aide accordée par les autorités espagnoles en faveur de certains groupements d’intérêt économique (GIE) et de leurs investisseurs – Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement pour l’acquisition de navires (régime de leasing fiscal espagnol) – Demande de sursis à exécution – Méconnaissance des exigences de forme – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑1/14 R,

Aluminios Cortizo, SA, établie à Padrón (Espagne),

Cortizo Cartera, SL, établie à Padrón,

représentées par Me A. Beiras Cal, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. V. Di Bucci, Mme M. Afonso, M. É. Gippini Fournier et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution, notamment, de la décision C (2013) 4426 final de la Commission, du 17 juillet 2013, relative à l’aide d’État SA.21233 C/2011 (ex NN/2011, ex CP 137/2006) – Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La présente affaire concerne des aides d’État qui auraient été accordées par les autorités espagnoles dans l’application du régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, appelé « Sistema Espagnol de Arredamiento financiero » (régime de leasing fiscal espagnol, ci-après le « Tax lease »), dans le cadre du financement de la construction de navires et de l’acquisition de ceux-ci par des compagnies maritimes.

2        Le Tax lease se fondait sur une structure juridique et financière ad hoc, sur l’application de plusieurs mesures fiscales et sur un réseau complexe de contrats conclus entre les différentes parties à l’opération. Concrètement, une société de crédit-bail signait un contrat de construction du navire avec un chantier naval et louait le navire à un groupement d’intérêt économique (GIE) et à ses investisseurs pour une période allant de trois à cinq ans. Lorsque le navire était livré (un à trois ans plus tard), le GIE le louait à une compagnie maritime sous couvert d’un contrat d’affrètement coque nue assorti d’une option d’achat. À la fin du contrat de location, le GIE achetait le navire à la société de crédit-bail (option prévue par le contrat de leasing) et la compagnie maritime achetait le navire au GIE (option prévue par le contrat d’affrètement coque nue).

3        En substance, le Tax lease permettait une forme de réduction des bénéfices imposables au titre de l’impôt sur les sociétés pour certains investissements réalisés par l’intermédiaire des GIE. Au moyen d’une structure juridique et financière ad hoc, les investisseurs pouvaient éviter de payer, ou réduire considérablement, leurs contributions au titre de l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Ce régime a été appliqué dans le cadre de 273 opérations, entre le 1er janvier 2002 et le 30 juin 2010, pour un montant total de plus de 8 milliards d’euros.

4        Le 17 juillet 2013, la Commission européenne a adopté la décision C (2013) 4426 final relative à l’aide d’État SA.21233 (C/2011) (ex NN/2011, ex CP 137/2006) (ci-après « la décision attaquée »), par laquelle elle a conclu que les mesures nationales examinées, à savoir le Tax lease, constituaient des aides d’État en faveur des GIE et de leurs investisseurs et que, sauf à certaines conditions, il s’agissait d’aides incompatibles avec le marché intérieur. Par cette décision, la Commission a ordonné également la récupération des aides illégales par l’Agencia Estatal de Administración Tributaria Española (ci-après « les services fiscaux espagnols »).

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 janvier 2014, les requérantes, Aluminios Cortizo, SA – qui fait ou a fait partie des GIE Naviera San Francisco GIE, Naviera Rosamas GIE, Naviera Belice GIE et Naviera Winch GIE – et Cortizo Cartera, SL, société qui contrôle Aluminios Cortizo et qui est la société principale du groupe fiscal Cortizo, ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

6        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 10 janvier 2014, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution de la décision attaquée et des mesures d’exécution qui en découlent en vue de la récupération des aides, et de condamner la Commission aux dépens.

7        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 27 janvier 2014, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        déclarer la demande de mesures provisoires irrecevable, en totalité ou en partie,

–        à titre subsidiaire, rejeter la demande de mesures provisoires comme dénuée de fondement,

–         condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

8        En premier lieu, il convient de rejeter la demande en référé en ce qu’elle vise la suspension des mesures d’exécution en vue de la récupération des aides mises en œuvre par les services fiscaux espagnols, dès lors qu’il n’appartient qu’à la juridiction nationale compétente de contrôler la validité des mesures nationales d’exécution des actes de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, Branco/Commission, T‑271/94, Rec. 1996 p. II‑749, point 53, et du 4 février 1998, Laga/Commission, T‑93/95, Rec. 1998 p. II‑195, points 41 à 43).

9        En deuxième lieu, il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 104 du règlement de procédure du Tribunal.

10      Dès lors que le non-respect du règlement de procédure constitue une fin de non-recevoir d’ordre public, il appartient au juge des référés d’examiner d’office, in limine litis, si les dispositions applicables de ce règlement ont été respectées (voir ordonnance du président du Tribunal du 29 juillet 2010, Cross Czech/Commission, T‑252/10 R, non publiée au Recueil, point 7, et la jurisprudence citée).

11      En vertu de l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnances du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30, et du 12 mai 2010, Torresan/OHMI, C‑5/10 P‑R, non publiée au Recueil, points 14 et 15].

12      En outre, en vertu de l’article 104, paragraphe 3, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la demande en référé doit notamment être présentée par acte séparé, indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués.

13      Il découle d’une lecture combinée de ces dispositions du règlement de procédure qu’une demande relative à des mesures provisoires doit, à elle seule, permettre à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’une telle demande soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé. Si ce texte peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la demande en référé, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels dans celle-ci [voir ordonnance Cross Czech/Commission, précitée, point 10, et la jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13].

14      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient de vérifier si la demande en référé est recevable en ce qu’elle contient un exposé suffisamment précis des éléments permettant l’examen de la condition relative à l’urgence. Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur cette question de recevabilité, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

15      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires, étant précisé qu’un préjudice de caractère purement financier n’est normalement pas irréparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure, à moins qu’il apparaisse que, en l’absence de ces mesures, ladite partie se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure principale (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 16 novembre 2007, Dimos Peramatos/Commission, T‑312/07 R, non publiée au Recueil, points 34 et 35, et la jurisprudence citée).

16      Pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation financière de la partie qui sollicite les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière [ordonnance du président du Tribunal du 27 avril 2010, Parlement/U, T‑103/10 P(R), non publiée au Recueil, points 37 et 39 ; voir également, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 20 avril 2012, Fabricela/Commission, C‑507/11 P(R), non publiée au Recueil, point 35].

17      En l’espèce, dans la demande en référé, les requérantes se limitent à affirmer que les services fiscaux espagnols ont déjà mis en œuvre les mesures d’exécution qui résultent des articles 4, 5 et suivants de la décision attaquée et que, partant, il est indubitable que lesdits services pourraient exiger qu’elles restituent certaines aides qu’elles n’ont pas perçues ou, à titre subsidiaire, qu’elles ont transférées à d’autres opérateurs, au moment de la vente d’un bateau à l’armateur. Les requérantes soulignent également que le processus d’enquête et le remboursement des aides ont déjà causé d’énormes pertes au secteur naval.

18      Force est de constater que ces affirmations vagues et laconiques ne suffisent, à l’évidence, pas à établir qu’une exécution immédiate de la décision attaquée serait de nature à mettre en péril la viabilité financière des requérantes avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale. De plus, les requérantes ont omis de fournir la moindre indication concrète relative à leur situation financière permettant au juge des référés d’apprécier la gravité du préjudice financier allégué, alors qu’elles auraient dû démontrer cette gravité dans la demande en référé elle-même.

19      Par ailleurs, les requérantes ont omis de se prononcer sur le caractère irréparable du préjudice financier allégué. Notamment, elles n’ont pas exposé ce qui les empêcheraient, en cas d’annulation de la décision attaquée, d’obtenir une compensation financière ultérieure par la voie d’un recours en indemnité au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE, la seule possibilité de former un tel recours étant suffisante pour attester du caractère en principe réparable d’un tel préjudice (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 51, et la jurisprudence citée).

20      Enfin, les requérantes n’ont produit aucun élément susceptible d’établir qu’elles seraient empêchées de contester devant le juge national les mesures de récupération litigieuses et d’exciper, devant ce juge, de l’illégalité de la décision attaquée. En effet, selon une jurisprudence bien établie, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que le juge national ordonne le sursis à l’exécution d’une demande de recouvrement en attendant le règlement de l’affaire au fond devant le Tribunal ni à ce qu’il adresse une question préjudicielle à la Cour au titre de l’article 267 TFUE. Compte tenu de cette jurisprudence, les requérantes étaient tenues de démontrer en quoi les voies de recours internes que leur offre le droit espagnol pour s’opposer à une restitution immédiate de l’aide litigieuse ne leur permettraient pas d’éviter de subir un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, points 105 à 109, et la jurisprudence citée).

21      Il s’ensuit que les requérantes sont restées en défaut de présenter les éléments nécessaires pour permettre au juge des référés d’apprécier l’urgence à prononcer le sursis à exécution sollicité.

22      Par conséquent, la demande en référé doit être rejetée comme irrecevable, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les conditions d’octroi du sursis à l’exécution sollicité sont réunies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 7 mars 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’espagnol.