Language of document : ECLI:EU:T:2015:5

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

14 janvier 2015 (*)

« Marchés publics de services – Prestations de services de traduction vers le grec au Parlement – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire – Obligation de motivation – Responsabilité non contractuelle »

Dans l’affaire T‑667/11,

Veloss International SA, établie à Bruxelles (Belgique),

Attimedia SA, établie à Bruxelles,

représentées par Me N. Korogiannakis, avocat,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par Mmes P. López-Carceller, L. Darie et M. P. Biström, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision du Parlement de sélectionner, en deuxième position, l’offre soumise par les requérantes dans le cadre de la procédure d’appel d’offres EL/2011/UE concernant la prestation de services de traduction vers le grec (JO 2011/S 56‑090374), communiquée aux requérantes par lettre du 18 octobre 2011, ainsi que de toute décision connexe prise par le Parlement et, d’autre part, une demande de réparation du préjudice prétendument subi,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, N. J. Forwood et E. Bieliūnas (rapporteur), juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juillet 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les requérantes, Veloss International SA et sa filiale Attimedia SA, sont des sociétés de droit belge exerçant leur activité dans le secteur de la traduction et de la révision professionnelles.

2        Après avoir figuré en première position lors de deux précédentes procédures de passation de marché, en 2004 et en 2008, les requérantes ont fait office de contractant principal du Parlement européen pour les services de traduction vers le grec.

3        Par un avis de marché publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne du 22 mars 2011 (JO S 56), le Parlement, agissant en son nom et en celui de la Cour des comptes de l’Union européenne, du Comité des régions de l’Union européenne et du Comité économique et social européen, a lancé l’appel d’offres EL/2011/UE concernant la prestation de services de traduction vers le grec (ci-après l’« appel d’offres »). Ce dernier comprenait l’invitation à soumissionner, le projet de contrat principal, le projet de contrat secondaire et le cahier des charges.

4        L’appel d’offres visait à la conclusion d’un contrat principal et d’un à quatre contrats-cadres secondaires. Le ou les contrats-cadres secondaires devaient être actualisés en cas de suspension du contrat principal, en cas de refus d’un travail par le contractant principal ou encore si le contrat principal devenait inopérant pour toute autre raison.

5        Il était prévu que les contrats seraient attribués à l’offre économiquement la plus avantageuse, en fonction d’un rapport qualité-prix retenant une pondération de 60 % pour la qualité et de 40 % pour le prix.

6        Par lettre du 18 octobre 2011, le Parlement a informé les requérantes de sa décision selon laquelle leur offre avait été retenue et qu’elles figuraient en deuxième position sur la liste des soumissionnaires concernant la traduction vers le grec (ci-après la « décision attaquée »). Conformément aux articles 23 et 24 du cahier des charges, les requérantes ont été invitées à fournir les preuves relatives aux critères d’exclusion prévus à l’article 93 du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier »), dans un délai de dix jours ouvrables à partir de la réception de cette lettre.

7        Par lettre du 31 octobre 2011, les requérantes ont d’abord demandé au Parlement de leur communiquer, d’une part, les motifs du rejet de leur offre pour le contrat principal et, d’autre part, les noms des autres candidats retenus pour signer un contrat principal ou secondaire ainsi que les points qui leur avaient été attribués. Ensuite, elles ont sollicité la communication des motifs et des points attribués pour chacun des critères en comparaison de ceux de l’offre de l’attributaire du contrat principal ainsi que les points attribués pour chacun des critères par chaque personne du comité ayant évalué leur dossier. Enfin, les requérantes ont également demandé des informations relatives au nombre de personnes de langue maternelle grecque qualifiées ayant participé à l’évaluation de leur offre.

8        Le Parlement a répondu aux requérantes par lettre du 11 novembre 2011, en fournissant, d’une part, les noms des huit soumissionnaires les mieux classés ainsi que leurs notes qualitatives, qui montraient que les requérantes avaient obtenu la note qualitative la plus élevée, et, d’autre part, un tableau relatif à l’offre des requérantes contenant les notes et les commentaires du comité d’évaluation sur les différents critères qualitatifs. Le Parlement a également communiqué aux requérantes les noms des huit membres du comité d’évaluation ainsi que les noms des deux experts grecs attachés au comité d’évaluation.

9        Par lettre du 17 novembre 2011, les requérantes ont reproché au Parlement de ne pas avoir répondu à l’intégralité de leurs demandes et ont sollicité les informations qu’elles considéraient comme manquantes, à savoir, notamment, le nom du soumissionnaire attributaire du contrat principal, le classement final de tous les candidats et les tableaux contenant l’évaluation des autres candidats ainsi que les points attribués pour chacun des critères. En ce qui concerne la composition du comité d’évaluation, les requérantes ont demandé de préciser par langue de dossier de candidature le nom des personnes ayant attribué les points selon les critères d’attribution énoncés dans le cahier des charges.

10      Dans sa réponse aux requérantes du 24 novembre 2011, le Parlement a présenté, d’une part, un tableau faisant apparaître les notes totales des offres attribuées aux requérantes et au soumissionnaire figurant en première position et, d’autre part, un tableau contenant les notes et les commentaires du comité d’évaluation sur les différents critères qualitatifs relatif à l’offre du soumissionnaire classé premier. En outre, les requérantes ont été informées que toutes les décisions du comité d’évaluation avaient été prises de manière collective, hormis les questions linguistiques spécifiques, lesquelles avaient été tranchées par les deux experts linguistiques.

11      Par lettre du 2 décembre 2011, les requérantes ont indiqué au Parlement que les informations communiquées par ce dernier à cette date ne permettaient pas de comprendre les raisons qui avaient conduit à l’adoption de la décision d’attribution. Elles ont fait part de leurs interrogations sur le degré de connaissance de la langue grecque par les membres du comité d’évaluation et le rôle joué par lesdits experts. Les requérantes ont également souligné ne pas avoir reçu l’évaluation du volet financier de l’offre. Elles ont en outre demandé à recevoir les notes attribuées aux différentes offres sur la proposition financière qu’elles contenaient, particulièrement en ce qui concerne l’offre classée première, ainsi que les informations nécessaires sur les prix proposés par les offres évaluées, y compris (mais pas seulement) le prix minimal et le prix maximal proposés par les différents soumissionnaires. Les requérantes ont également sollicité de plus amples informations concernant les mérites de l’adjudicataire classé en première position relatifs à la couverture de la langue, à l’expérience ou à la spécialisation de ses traducteurs/réviseurs. Les requérantes ont enfin sollicité du Parlement qu’il ne signe pas les contrats en cause avant l’examen des arguments présentés.

12      Par lettre du 12 décembre 2011, les avocats des requérantes ont adressé au Parlement un nouveau courrier reprenant pour l’essentiel le contenu de la lettre de ces dernières du 2 décembre 2011.

13      Le procès-verbal d’évaluation finale et de classement des offres a été établi le 12 décembre 2011.

14      Par lettre du 14 décembre 2011, le Parlement a invité les requérantes à signer un contrat-cadre secondaire.

15      Par télécopie datée du 20 décembre 2011, le Parlement a rappelé aux requérantes que le point 26 du cahier des charges précisait que les marchés seraient attribués aux offres économiquement les plus avantageuses et que les soumissionnaires seraient évalués sur la base de deux critères, à savoir la qualité et le prix. Il a également souligné que tous les membres, qualifiés, du comité d’évaluation avaient mené leurs travaux de manière professionnelle et a assuré qu’aucun sous-critère, autre que ceux publiés aux points 25 et 26 du cahier des charges, n’avait été utilisé, garantissant ainsi le respect des principes de transparence et d’égalité de traitement.

16      Postérieurement à l’introduction du recours, par lettre du 5 janvier 2012, les requérantes ont été informées du prix exact proposé par le soumissionnaire figurant en première position.

 Procédure

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 décembre 2011, les requérantes ont introduit le présent recours.

18      La composition des chambres ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

19      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

20      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 8 juillet 2014.

 Conclusions des parties

21      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ainsi que toute décision connexe prise par le Parlement, notamment celle d’attribuer le contrat principal à l’adjudicataire classé en première position ;

–        condamner le Parlement à leur verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte d’une chance et de l’atteinte à leur réputation ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

22      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité de la demande en annulation

23      Par leur premier chef de conclusions, les requérantes demandent au Tribunal d’annuler la décision de sélectionner leur offre en tant que deuxième sur la liste des adjudicataires ainsi que toute décision connexe prise par le Parlement, notamment celle d’attribuer le contrat principal à l’adjudicataire classé en première position.

24      Or, la demande d’annulation est irrecevable en ce qu’elle vise d’autres décisions liées à la décision du 18 octobre 2011. En effet, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (arrêt du 17 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki/Cour de justice, T‑447/10, EU:T:2012:553, point 27).

25      Or, en l’espèce, les requérantes ne précisent pas quelles autres décisions sont visées en dehors de la décision du 18 octobre 2011, à l’exception de la décision d’attribuer le contrat principal à l’adjudicataire classé en première position. Par ailleurs, elles ne développent aucune argumentation au soutien de leur demande d’annulation de ces autres décisions, y compris celle d’attribuer le contrat principal audit adjudicataire.

26      Par conséquent, il convient d’examiner uniquement le bien-fondé de la demande d’annulation visant la décision du 18 octobre 2011, par laquelle le Parlement a sélectionné l’offre des requérantes en tant que deuxième offre.

 Sur le bien-fondé de la demande en annulation

27      À l’appui de leur demande d’annulation de la décision attaquée, les requérantes soulèvent cinq moyens tirés, le premier, d’une confusion entre les critères de sélection et ceux d’attribution ainsi que d’un amalgame entre les différentes phases de la procédure d’adjudication, le deuxième, du non-respect de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, le troisième, de la composition du comité d’évaluation, le quatrième, du caractère imprécis et inapproprié des critères de sélection et d’attribution ainsi que de la prise en compte de critères qui n’ont pas été notifiés à tous les soumissionnaires et, le cinquième, de l’absence de demande, par le comité d’évaluation, de preuves de la formation et de l’expérience du personnel des soumissionnaires en matière de traduction.

28      Le Tribunal considère qu’il convient d’examiner d’abord le deuxième moyen.

29      Par celui-ci, les requérantes font valoir, en substance, que le Parlement ne leur a pas communiqué les informations qu’il était tenu de leur communiquer dans le cadre de la procédure d’appel d’offres en cause et qui leur auraient permis, en particulier, de juger de l’opportunité de former un recours.

30      Premièrement, les requérantes soutiennent que le Parlement n’a pas fourni d’explication adéquate concernant les points qu’il a fait figurer dans son rapport d’évaluation, en ce qu’il aurait employé des termes vagues comportant des informations très succinctes relatives à l’évaluation de leur offre et à celle de l’adjudicataire classé en première position. Les commentaires du comité d’évaluation seraient loin de donner une motivation permettant de comprendre pourquoi la décision d’attribution a été prise.

31      Deuxièmement, les requérantes reprochent au comité d’évaluation de ne pas avoir vérifié si les offres soumises respectaient les critères de sélection. Elles indiquent qu’aucune communication échangée entre elles et le Parlement ne mentionne l’évaluation des critères de sélection. Les requérantes font également valoir que, à supposer même qu’il ait été procédé à une telle évaluation, l’obligation de motiver la décision d’attribution n’est pas respectée lorsqu’il n’en est fait aucune mention.

32      Troisièmement, selon les requérantes, les informations fournies par le Parlement ne leur permettent pas d’avoir une bonne compréhension des mérites de l’attributaire du contrat principal relatifs à l’expérience ou à la spécialisation de ses traducteurs et de ses réviseurs dans les matières couvertes par l’appel d’offres en cause.

33      Quatrièmement, les requérantes relèvent que le Parlement a refusé de leur fournir des informations sur l’offre financière de l’adjudicataire classé en première position, alors même que le prix constituait l’un des principaux critères ayant conduit à classer les requérantes en deuxième position. Dans un contexte de transparence, il serait tout à fait logique qu’un soumissionnaire écarté ait connaissance de cet élément afin d’être en mesure d’évaluer les raisons qui ont présidé au rejet de son offre.

34      À cet égard, les requérantes soutiennent qu’aucun soumissionnaire n’était en mesure, à la fois, de formuler une offre susceptible de recevoir une note qualitative aussi élevée que celle attribuée à l’adjudicataire classé en première position et de proposer un prix si bas qu’il a permis d’inverser l’ordre dans l’évaluation des offres. En effet, elles remettent en cause les notes attribuées à la qualité de l’équipe de l’attributaire du contrat principal, estimant que soit ladite équipe a été largement surévaluée, soit la formule d’évaluation a été incorrectement appliquée. Or, le Parlement refuserait de dévoiler le prix proposé par l’adjudicataire classé en première position ainsi que le prix le plus faible proposé par les soumissionnaires, ce qui aurait justement permis de vérifier l’application de la formule d’évaluation.

35      Les requérantes concluent que le prix proposé par l’adjudicataire classé en première position aurait en tout état de cause dû être divulgué afin de leur permettre d’exercer leurs droits de la défense et de former un recours.

36      Le Parlement conteste les arguments des requérantes.

37      Il soutient, en substance, que les motifs sur lesquels reposaient la décision attaquée ainsi que les caractéristiques et les avantages relatifs à l’offre de l’attributaire ont bien été fournis aux requérantes. Le Parlement fait valoir que, par leur lettre du 17 novembre 2011, les requérantes ont demandé le classement final de tous les candidats et les points attribués pour chacun des critères et qu’elles ont reçu en réponse, par lettre datée du 24 novembre 2011, les informations relatives aux points qualitatifs et au total des points attribués (y compris pour le prix) à l’adjudicataire classé en première position et aux requérantes elles-mêmes.

38      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le Parlement, à l’instar des autres institutions, dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise de décision relative à la passation d’un marché sur appel d’offres. Le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite, dès lors, à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir, par analogie, arrêts du 27 septembre 2002, Tideland Signal/Commission, T‑211/02, Rec, EU:T:2002:232, point 33, et du 10 septembre 2008, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑465/04, EU:T:2008:324, point 45).

39      Lorsque le Parlement, à l’instar des autres institutions, dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figure, notamment, l’obligation pour l’institution compétente de motiver de façon suffisante ses décisions. C’est seulement ainsi que le juge de l’Union est en mesure de vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis (arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec, EU:C:1991:438, point 14 ; arrêts Evropaïki Dynamiki/Commission, point 38 supra, EU:T:2008:324, point 54, et du 20 mai 2009, VIP Car Solutions/Parlement, T‑89/07, Rec, EU:T:2009:163, point 61).

40      L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du 6 mai 2013, Kieffer Omnitec/Commission, T‑288/11, EU:T:2013:228, point 81 et jurisprudence citée).

41      L’article 100, paragraphe 2, du règlement financier impose à l’administration une obligation de motivation complémentaire envers les soumissionnaires ayant présenté une offre recevable et qui en font la demande expresse (voir, par analogie, arrêts du 8 mai 1996, Adia Interim/Commission, T‑19/95, Rec, EU:T:1996:59, point 31, et du 25 février 2003, Strabag Benelux/Conseil, T‑183/00, Rec, EU:T:2003:36, point 54). Ainsi, il résulte de cet article et de l’article 149 du règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement financier (JO L 357, p. 1, ci-après les « modalités d’exécution »), de même que de la jurisprudence du Tribunal, que le Parlement, à l’instar des autres institutions, satisfait à son obligation de motivation si, tout d’abord, il se contente de communiquer immédiatement à tout soumissionnaire écarté les motifs du rejet de son offre et, ensuite, fournit aux soumissionnaires ayant présenté une offre recevable et qui en font la demande expresse les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire dans un délai de quinze jours de calendrier à compter de la réception d’une demande écrite (voir arrêt Kieffer Omnitec/Commission, point 40 supra, EU:T:2013:228, point 79 et jurisprudence citée).

42      Cette façon de procéder est conforme à la finalité de l’obligation de motivation inscrite à l’article 296 TFUE, selon laquelle il convient de faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte, de façon, d’une part, à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de faire valoir leurs droits et, d’autre part, à permettre au juge d’exercer son contrôle (arrêts du 14 juillet 1995, Koyo Seiko/Conseil, T‑166/94, Rec, EU:T:1995:140, point 103, et du 19 mars 2010, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑50/05, Rec, EU:T:2010:101, point 134).

43      Enfin, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec, EU:C:2001:178, point 35, et VIP Car Solutions/Parlement, point 39 supra, EU:T:2009:163, point 63).

44      C’est à la lumière de ces considérations que doivent être examinés les arguments des requérantes.

45      En l’espèce, dans la décision attaquée, le Parlement a informé les requérantes que leur offre avait été retenue et qu’elles figuraient en deuxième position sur la liste des soumissionnaires. La décision attaquée a également indiqué que, conformément aux articles 23 et 24 du cahier des charges, les requérantes étaient invitées à fournir les preuves relatives aux critères d’exclusion prévus à l’article 93 du règlement financier.

46      À titre liminaire, il y a lieu d’observer que, dans son mémoire en défense, ainsi que dans son mémoire en duplique, le Parlement soutient en substance, sans soulever une fin de non-recevoir, que la décision attaquée avait pour but d’informer de l’ouverture prochaine de la phase des critères d’exclusion et que l’acte déterminant, qui suscite les obligations découlant de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, était la décision finale d’attribution et le procès-verbal d’évaluation du 12 décembre 2011, conformément à l’article 147 des modalités d’exécution. En d’autres termes, pendant la phase écrite de la procédure, le Parlement a soutenu que la décision attaquée était une décision préliminaire d’attribution. Toutefois, lors de l’audience, le Parlement a indiqué, en substance, qu’il ne considérait plus la décision attaquée comme étant une décision préliminaire d’attribution, mais bien la décision finale, et que la décision du 12 décembre 2011 n’était qu’une décision qui avait confirmé la décision attaquée, à la suite de la vérification des critères d’exclusion.

47      Il convient de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante et eu égard à l’objectif de protection juridictionnelle efficace et rapide, notamment par des mesures provisoires, la possibilité de recours ne peut pas être subordonnée au fait que la procédure de marché public en cause a formellement atteint un stade déterminé. Sur la base de la considération selon laquelle le respect des règles de passation des marchés doit être assuré en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées, il y a lieu de conclure qu’est susceptible de recours la manifestation de la volonté du pouvoir adjudicateur en rapport avec un marché, qui parvient d’une manière quelconque à la connaissance des personnes intéressées, dès lors que cette manifestation a dépassé le stade des agissements qui constituent une simple étude préliminaire du marché ou qui sont purement préparatoires et s’insèrent dans le cadre de la réflexion interne du pouvoir adjudicateur en vue de la passation d’un marché public et est susceptible de comporter des effets juridiques (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C‑26/03, Rec, EU:C:2005:5, points 38 et 39).

48      En l’espèce, il y a lieu de considérer que, par la décision attaquée, les requérantes ont été informées que leur offre avait été classée en deuxième position sur la liste des soumissionnaires et qu’elles avaient été retenues pour la signature du contrat-cadre secondaire. Cela implique nécessairement le rejet de leur offre s’agissant du contrat principal. La décision attaquée annonce donc bien, en substance, le rejet de leur offre pour le contrat principal et le fait qu’il a été décidé d’attribuer ce contrat à un autre soumissionnaire.

49      Il en résulte que la décision attaquée est bien l’acte qui suscite des obligations découlant de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier.

50      Or, il convient tout d’abord de constater que, dans la décision attaquée, le Parlement n’a communiqué aux requérantes aucun motif du rejet de leur offre au titre du contrat principal, contrairement à ce que prévoit l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier.

51      En outre, par lettre du 31 octobre 2011, les requérantes ont sollicité du Parlement, notamment, les motifs du rejet de leur offre et les noms des autres candidats retenus ainsi que les points qui avaient été attribués à ces derniers. Cette lettre peut donc être considérée comme une demande d’informations supplémentaires formulée conformément à l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, même si elle ne mentionne expressément ni la demande du nom de l’adjudicataire classé en première position ni celle des caractéristiques ainsi que des avantages relatifs à l’offre retenue. Sur ce point, il y a lieu de considérer que cela ressort de l’intitulé « les motifs du rejet », employé par les requérantes.

52      En réponse, le Parlement a transmis aux requérantes, par lettre du 11 novembre 2011, les noms des huit soumissionnaires les mieux classés ainsi que leurs notes qualitatives et un tableau contenant les notes et les commentaires du comité d’évaluation sur les différents critères qualitatifs relatifs à l’offre des requérantes. Le Parlement a précisé dans sa lettre que l’offre des requérantes avait recueilli la note la plus élevée à l’issue de l’évaluation sur la base des critères qualitatifs, mais que, pour l’établissement de la liste finale d’attribution, le prix avait encore été pris en considération.

53      Par conséquent, si le Parlement a répondu dans le délai de quinze jours de calendrier à compter de la réception de la demande tel que fixé par l’article 149, paragraphe 3, des modalités d’exécution, il n’a donné aux requérantes ni le nom de l’attributaire, ni la moindre information sur les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, alors qu’il était pourtant tenu de le faire aux termes du règlement financier et des modalités d’exécution.

54      Ensuite, par plusieurs courriers subséquents du 17 novembre et des 2 et 12 décembre 2011, les requérantes ont demandé au Parlement, notamment, le nom de l’adjudicataire classé en première position et des informations sur les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre de l’attributaire.

55      Le Parlement a répondu aux courriers des requérantes notamment par les lettres du 24 novembre et du 20 décembre 2011 mentionnées aux points 10 et 15 ci-dessus.

56      Selon la jurisprudence, lorsque l’institution concernée envoie une lettre, à la suite d’une demande d’explications supplémentaires au sujet d’une décision, avant l’introduction d’un recours, mais après le délai fixé à l’article 149, paragraphe 3, des modalités d’exécution, cette lettre peut aussi être prise en considération pour examiner si la motivation en l’espèce était suffisante. En effet, l’obligation de motivation doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la requérante disposait au moment de l’introduction du recours, étant entendu, toutefois, que l’institution n’est pas autorisée à substituer une motivation entièrement nouvelle à la motivation initiale (voir arrêt VIP Car Solutions/Parlement, point 39 supra, EU:T:2009:163, point 73 et jurisprudence citée). Par conséquent, pour déterminer si le Parlement a satisfait à son obligation de motivation, il convient d’examiner, outre la décision attaquée et la lettre du 11 novembre 2011, les lettres du 24 novembre et du 20 décembre 2011.

57      Les requérantes font essentiellement valoir que le Parlement a refusé de leur fournir des informations sur l’offre financière de l’adjudicataire classé en première position, y compris sur le prix.

58      Certes, par lettre du 24 novembre 2011, le Parlement a communiqué aux requérantes la note totale attribuée à l’offre de l’adjudicataire classé en première position en plus de la note attribuée pour les critères qualitatifs. Toutefois, il n’a communiqué aucune information sur l’offre financière de celui-ci.

59      Or, aux termes de l’article 100, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement financier, le Parlement était tenu de communiquer au soumissionnaire évincé, sur demande écrite, les caractéristiques et les avantages relatifs à l’offre retenue.

60      Dès lors, à la suite de la demande écrite des requérantes, le Parlement avait l’obligation de leur communiquer le prix proposé par le soumissionnaire retenu, qui constituait l’une des caractéristiques et l’un des avantages clés relatifs à l’offre retenue, d’autant plus que, dans les circonstances de l’espèce, ce critère comptait pour 40 % dans l’évaluation des offres et que l’offre des requérantes était la première sur la liste des soumissionnaires après l’évaluation des critères qualitatifs.

61      Il ressort de ce qui précède que les requérantes n’avaient pas, en leur possession, tous les éléments leur permettant de comprendre pourquoi leur offre avait été finalement classée à la deuxième position sur la liste des soumissionnaires. Par conséquent, les réponses apportées par le Parlement ne font pas apparaître de façon claire et non équivoque son raisonnement, de manière à permettre, d’une part, aux requérantes de connaître les justifications de la mesure prise afin de faire valoir leurs droits et, d’autre part, au juge d’exercer son contrôle.

62      Enfin, il convient de relever que le Parlement a communiqué aux requérantes le prix exact proposé par l’adjudicataire classé en première position dans la lettre du 5 janvier 2012.

63      Cependant, le fait que le Parlement ait fourni les raisons de cette décision en cours d’instance ne compense pas l’insuffisance de la motivation initiale de la décision attaquée. En effet, il est de jurisprudence constante que la motivation ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge, sauf circonstances exceptionnelles qui, en l’absence de toute urgence, ne sont pas réunies en l’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T‑61/89, Rec, EU:T:1992:79, point 131, et VIP Car Solutions/Parlement, point 39 supra, EU:T:2009:163, point 76).

64      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument avancé par le Parlement lors de l’audience, selon lequel les requérantes auraient pu établir le prix minimal proposé par l’un des soumissionnaires et le prix proposé par l’adjudicataire classé en première position sur la base des éléments d’information à leur disposition et en procédant à une déduction à rebours sur la base de la formule mentionnée au point 34 ci-dessus.

65      À cet égard, il suffit de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, pour se conformer à l’obligation de motivation inscrite à l’article 296 TFUE, le raisonnement de l’auteur de l’acte doit apparaître de façon claire et non équivoque (voir, en ce sens, arrêts Koyo Seiko/Conseil, point 42 supra, EU:T:1995:140, point 103, et Evropaïki Dynamiki/Commission, point 42 supra, EU:T:2010:101, point 134). Or, l’argument du Parlement selon lequel les requérantes auraient pu, en procédant à une déduction à rebours, calculer le prix minimal proposé par l’un des soumissionnaires et, par conséquent, le prix proposé par l’adjudicataire classé en première position ne peut être accepté. En effet, il y a lieu de considérer que, même si les requérantes avaient procédé à une telle déduction, elles n’auraient eu aucune certitude s’agissant de l’application correcte de cette formule et de l’exactitude du résultat obtenu. Un tel constat est corroboré par l’attitude du Parlement, qui a évoqué la possibilité de procéder à une telle déduction uniquement lors de l’audience et non lors de la procédure écrite.

66      Il découle de l’ensemble de ce qui précède que le deuxième moyen doit être accueilli et la décision attaquée annulée, sans qu’il soit dès lors nécessaire de se prononcer sur les quatre autres moyens du recours.

 Sur la demande de réparation du préjudice

67      Les requérantes sollicitent l’allocation de dommages et intérêts en réparation de la perte d’une chance et du préjudice infligé à leur réputation ainsi qu’à leur crédibilité, découlant des violations par le Parlement des règles du droit de l’Union relatives à la passation des marchés publics. Les requérantes n’ayant pas été mises en mesure d’acquérir l’expérience afférente à l’exécution du marché, elles auraient également perdu l’avantage concurrentiel et la renommée associée à l’exécution de marchés aussi prestigieux que ceux en cause.

68      Les requérantes estiment que le montant du préjudice subi au titre de la perte d’une chance de se voir attribuer le marché et le préjudice causé à leur réputation ainsi qu’à leur crédibilité s’élève à 118 000 euros. Toutefois, elles déclarent limiter leur demande de dédommagement à la somme symbolique de 10 000 euros.

69      Le Parlement invoque, en substance, l’absence de lien de causalité, car il ressort clairement des faits que les requérantes n’ont pas obtenu le nombre de points maximal en raison de leurs tarifs plus élevés. Par conséquent, même si les griefs des requérantes invoqués dans leurs moyens étaient accueillis, les infractions n’auraient pas eu un effet décisif sur les résultats finaux de la procédure de marché public en cause. Enfin, le Parlement soutient que, en tout état de cause, il convient de juger négligeable toute perte subie par les requérantes et de considérer toute éventuelle violation des règles du droit de l’Union relatives à la passation des marchés publics comme mineure.

70      Selon une jurisprudence constante, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution de l’Union doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (arrêts du 10 juillet 1997, Guérin automobiles/Commission, T‑38/96, Rec, EU:T:1997:110, et du 3 février 2005, Chiquita Brands e.a./Commission, T‑19/01, Rec, EU:T:2005:31, point 65).

71      Or, en l’espèce, il y a lieu de constater que la demande en indemnité est fondée sur les mêmes moyens que ceux invoqués à l’appui de la demande d’annulation de la décision attaquée. Par ailleurs, il a déjà été relevé, dans le cadre de l’examen de cette demande, que la décision attaquée était entachée d’un défaut de motivation et devait être annulée pour ce motif.

72      Force est toutefois de constater que, même si le Parlement n’a pas suffisamment motivé la décision attaquée, cela n’établit pas pour autant que l’attribution du marché au soumissionnaire retenu constitue une faute ni qu’il existe un lien de causalité entre ce fait et la perte invoquée par les requérantes (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2003, Renco/Conseil, T‑4/01, Rec, EU:T:2003:37, point 89). En effet, rien ne permet de considérer que le Parlement aurait attribué le marché en cause aux requérantes si la décision attaquée avait été suffisamment motivée.

73      Il s’ensuit que la demande en indemnité pour le prétendu dommage subi du fait de la décision attaquée doit, dans la mesure où elle est fondée sur l’absence de motivation de cette même décision, être rejetée comme non fondée.

74      Dans la mesure où cette même demande est fondée sur les autres moyens, non examinés dans le cadre de la demande en annulation, elle est prématurée et doit être rejetée pour ce motif (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 1995, Wafer Zoo/Commission, T‑478/93, Rec, EU:T:1995:92, points 49 et 50). En effet, au regard du défaut de motivation de la décision attaquée, le Tribunal n’est pas en mesure d’examiner si celui-ci résulte, notamment, de la confusion entre les critères de sélection et ceux d’attribution, de l’amalgame entre les différentes phases de la procédure d’adjudication, de la composition du comité d’évaluation ou du caractère imprécis et inapproprié des critères de sélection et d’attribution, comme le font valoir les requérantes. Une demande d’annulation fondée sur ces moyens ne saurait, le cas échéant, être examinée qu’à la lumière des motifs de la décision qui se substituera à la décision attaquée, après son annulation par le Tribunal.

75      Il s’ensuit que la demande indemnitaire doit être rejetée dans son intégralité.

 Sur les dépens

76      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du Parlement européen du 18 octobre 2011 de sélectionner, en deuxième position, l’offre soumise par Veloss International SA et Attimedia SA dans le cadre de la procédure d’appel d’offres EL/2011/UE concernant la prestation de services de traduction vers le grec est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le Parlement est condamné aux dépens.

Papasavvas

Forwood

Bieliūnas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 janvier 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.