Language of document : ECLI:EU:C:2022:423

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

2 juin 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Transport aérien – Règlement (CE) no 549/2004 – Règlement (CE) no 550/2004 – Prestataire de services de la circulation aérienne – Décision de fermer l’espace aérien – Exercice de prérogatives de puissance publique – Usager de l’espace aérien – Compagnies aériennes – Droit de recours contre une décision de fermeture de l’espace aérien – Article 58 TFUE – Libre circulation des services en matière de transports – Articles 16 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Liberté d’entreprise – Droit à un recours effectif »

Dans l’affaire C‑353/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Charleroi (Belgique), par décision du 23 juillet 2020, parvenue à la Cour le 31 juillet 2020, dans la procédure

Skeyes

contre

Ryanair DAC,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, MM. N. Jääskinen, M. Safjan, N. Piçarra et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 octobre 2021,

considérant les observations présentées :

–        pour Skeyes, par Mes N. Becker, R. Thüngen et K. De Vulder, avocats,

–        pour Ryanair DAC, par Mes A. Cassart, A.-V. Rensonnet et E. Vahida, avocats, Me S. Rating, abogado et Rechtsanwalt, ainsi que par Me I.-G. Metaxas-Maranghidis, dikigoros,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes L. Van den Broeck et C. Pochet, ainsi que par MM. S. Baeyens et P. Cottin, en qualité d’agents, assistés de Mes L. Delmotte et B. Van Hyfte, advocaten,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. J. Rodríguez de la Rúa Puig, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et T. Lisiewski ainsi que par Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. P. Berghe, T. Franchoo et W. Mölls, ainsi que par Mme B. Sasinowska, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 janvier 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 550/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 10 mars 2004, relatif à la fourniture de services de navigation aérienne dans le ciel unique européen (JO 2004, L 96, p. 10), tel que modifié par le règlement (CE) no 1070/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009 (JO 2009, L 300, p. 34) (ci-après le « règlement no 550/2004 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige entre l’entreprise publique autonome Skeyes et la compagnie aérienne Ryanair DAC au sujet d’une décision adoptée en extrême urgence par le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Charleroi (Belgique), enjoignant à Skeyes, à la suite d’une action collective de son personnel, d’assurer le service dont elle est le prestataire exclusif afin que le trafic aérien puisse être opéré normalement.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement no 549/2004

3        Aux termes du considérant 3 du règlement (CE) no 549/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 10 mars 2004, fixant le cadre pour la réalisation du ciel unique européen (« règlement-cadre ») (JO 2004, L 96, p. 1), tel que modifié par le règlement no 1070/2009 (ci-après le « règlement no 549/2004 ») :

« Le bon fonctionnement du système de transport aérien requiert un niveau uniforme élevé de sécurité dans les services de navigation aérienne permettant une utilisation optimale de l’espace aérien européen, ainsi qu’un niveau uniforme élevé de sécurité du trafic aérien, en conformité avec la mission d’intérêt général des services de navigation aérienne, y compris les obligations de service public. Il devrait donc correspondre au niveau le plus élevé de responsabilité et de compétence. »

4        L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :

« L’initiative “ciel unique européen” a pour objectif de renforcer les normes de sécurité actuelles de la circulation aérienne, de contribuer au développement durable du système de transport aérien et d’améliorer les performances globales du système de gestion du trafic aérien et des services de navigation aérienne pour la circulation aérienne générale en Europe afin de répondre aux besoins de tous les usagers de l’espace aérien. Le ciel unique européen comporte un réseau paneuropéen cohérent de routes ainsi que des systèmes de gestion du réseau et du trafic aérien, fondés uniquement sur des critères de sécurité, d’efficacité et techniques, au profit de tous les usagers de l’espace aérien. À cet effet, le présent règlement établit un cadre réglementaire harmonisé pour la création du ciel unique européen. »

5        Aux termes de l’article 2 dudit règlement, intitulé « Définitions », on entend par :

« 4)      “services de navigation aérienne” : les services de la circulation aérienne, les services de communication, de navigation et de surveillance, les services météorologiques destinés à la navigation aérienne et les services d’information aéronautique ;

[...]

8)      “usagers de l’espace aérien” : les exploitants d’aéronefs exploités selon les règles de la circulation aérienne générale ;

[...] »

 Le règlement no 550/2004

6        Aux termes des considérants 3 à 5, 10, 13 et 22 du règlement no 550/2004 :

« (3)      Le règlement no 549/2004 [...] établit le cadre de la création du ciel unique européen.

(4)      La création du ciel unique européen exige des mesures visant à assurer une fourniture sûre et efficace de services de navigation aérienne compatibles avec l’organisation et l’utilisation de l’espace aérien prévues par le [règlement (CE) no 551/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 10 mars 2004, relatif à l’organisation et à l’utilisation de l’espace aérien dans le ciel unique européen (“règlement sur l’espace aérien”) (JO 2004, L 96, p. 20)]. Il importe d’établir un cadre harmonisé pour la fourniture de tels services afin de répondre de manière adéquate à la demande des usagers de l’espace aérien et d’assurer un fonctionnement sûr et performant de la circulation aérienne.

(5)      La fourniture de services de navigation aérienne, envisagée dans le présent règlement, se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique, qui ne présentent pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité.

[...]

(10)      Tout en garantissant la continuité de la fourniture de services, il y a lieu d’instituer un régime commun de certification des prestataires de services de navigation aérienne, permettant de préciser les droits et obligations desdits prestataires et de contrôler régulièrement le respect de ces exigences.

[...]

(13)      La fourniture des services de communication, de navigation et de surveillance, ainsi que des services d’information aéronautique, devrait être organisée aux conditions du marché, tout en tenant compte des caractéristiques particulières de ces services et en maintenant un niveau élevé de sécurité.

[...]

(22)      Les prestataires de services de navigation aérienne proposent certaines installations et certains services directement liés à l’exploitation d’aéronefs, dont ils devraient pouvoir recouvrer les coûts selon le principe de “l’utilisateur-payeur”, c’est-à-dire qu’il faudrait imputer à l’usager de l’espace aérien les coûts qu’il occasionne à l’endroit de l’utilisation ou le plus près possible de cet endroit. »

7        L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application et objectif », dispose, à son paragraphe 1 :

« Dans le champ d’application [du règlement no 549/2004], le présent règlement porte sur la fourniture de services de navigation aérienne dans le ciel unique européen. Le présent règlement vise à établir des exigences communes pour garantir une fourniture sûre et efficace des services de navigation aérienne dans la Communauté. »

8        L’article 7 dudit règlement, intitulé « Certification des prestataires de services de navigation aérienne », énonce :

« 1.      La fourniture de tous les services de navigation aérienne dans [l’Union] est soumise à une certification par les États membres.

[...]

3.      Les autorités de surveillance nationales délivrent des certificats aux prestataires de services de navigation aérienne lorsqu’ils respectent les exigences communes visées à l’article 6. Des certificats peuvent être délivrés pour chacun des services de navigation aérienne définis à l’article 2 du [règlement no 549/2004] ou pour un ensemble de services, notamment lorsqu’un prestataire de services de la circulation aérienne, quel que soit son statut juridique, exploite et entretient ses propres systèmes de communication, de navigation et de surveillance. Les certificats sont régulièrement contrôlés.

4.      Les certificats précisent les droits et obligations des prestataires de services de navigation aérienne, notamment l’accès des usagers de l’espace aérien aux services sur une base non discriminatoire, concernant en particulier la sécurité. La certification ne peut être subordonnée qu’aux conditions définies à l’annexe II. Ces conditions sont objectivement justifiées, non discriminatoires, proportionnées et transparentes.

[...]

7.      Les autorités de surveillance nationales contrôlent le respect des exigences communes et des conditions liées à l’octroi des certificats. Les contrôles pratiqués sont exposés en détail dans les rapports annuels présentés par les États membres en vertu de l’article 12, paragraphe 1, du [règlement no 549/2004]. Si une autorité de surveillance nationale constate que le détenteur d’un certificat ne satisfait plus à ces exigences ou conditions, elle prend des mesures appropriées tout en assurant la continuité des services, pour autant que la sécurité ne soit pas compromise. Ces mesures peuvent comprendre le retrait du certificat.

[...] »

9        L’article 8 du même règlement, intitulé « Désignation des prestataires de services de la circulation aérienne », prévoit :

« 1.      Les États membres garantissent la fourniture des services de la circulation aérienne en exclusivité dans des blocs d’espace aérien spécifiques appartenant à l’espace aérien relevant de leur responsabilité. À cet effet, les États membres désignent un prestataire de services de la circulation aérienne détenteur d’un certificat valable dans [l’Union].

2.      En ce qui concerne la fourniture de services transfrontaliers, tout État membre s’assure que le respect du présent article et de l’article 10, paragraphe 3, n’est pas entravé par son système juridique national qui exigerait que les prestataires de services de la circulation aérienne fournissant des services dans l’espace aérien relevant de sa responsabilité :

a)      soient détenus, directement ou par participation majoritaire, par cet État membre ou ses ressortissants ;

b)      aient leur lieu d’exploitation principal ou leur siège social sur le territoire de cet État membre ; ou

c)      utilisent uniquement des installations dans cet État membre.

3.      Les États membres définissent les droits et obligations des prestataires de services de circulation aérienne désignés. Les obligations peuvent inclure des conditions relatives à la fourniture en temps voulu d’informations pertinentes permettant d’identifier tous les mouvements d’aéronefs dans l’espace aérien relevant de leur responsabilité.

4.      Les États membres ont un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne le choix d’un prestataire de services de circulation aérienne, à condition que ce dernier satisfasse aux exigences et aux conditions prévues aux articles 6 et 7.

5.      En ce qui concerne les blocs d’espace aérien fonctionnels définis conformément à l’article 9 bis et s’étendant sur l’espace aérien relevant de la responsabilité de plusieurs États membres, les États membres concernés désignent conjointement, conformément au paragraphe 1 du présent article, un ou plusieurs prestataires de services de la circulation aérienne, un mois au moins avant la mise en œuvre du bloc d’espace aérien.

6.      Les États membres informent immédiatement la Commission et les autres États membres de toute décision prise dans le cadre du présent article concernant la désignation de prestataires de services de la circulation aérienne dans des blocs d’espace aérien spécifiques pour ce qui concerne l’espace aérien relevant de leur responsabilité. »

10      Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 550/2004 :

« Le système de tarification repose sur la prise en considération des coûts des services de navigation aérienne supportés par les prestataires de services au profit des usagers de l’espace aérien. Le système répartit ces coûts entre les catégories d’usagers. »

 Le règlement (CE) no 1008/2008

11      L’article 2 du règlement (CE) no 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté (JO 2008, L 293, p. 3), est intitulé « Définitions ». Il dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

14)      “droit de trafic”: le droit d’exploiter un service aérien entre deux aéroports [de l’Union] ; 

[...] »

12      L’article 15, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :

« Les transporteurs aériens [de l’Union] sont autorisés à exploiter des services aériens [à l’intérieur de l’Union]. »

13      L’article 19, paragraphe 1, dudit règlement énonce :

« L’exercice des droits de trafic est soumis aux règles d’exploitation [de l’Union], nationales, régionales et locales publiées en ce qui concerne la sécurité, la sûreté, la protection de l’environnement et l’attribution des créneaux horaires. »

 Le droit belge

14      L’article 1, paragraphes 1 et 4, de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques (Moniteur belge du 27 mars 1991, p. 6155), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur les entreprises publiques »), prévoit :

« 1.      Chaque organisme d’intérêt public qui doit disposer d’une autonomie de gestion dans un secteur industriel ou commercial donné, peut, après adaptation par la loi de son statut organique aux dispositions du présent titre, obtenir une telle autonomie par la conclusion d’un contrat de gestion avec l’État aux conditions de la présente loi. 

[...]

4.      Les organismes classés parmi les entreprises publiques autonomes sont :

[...]

4°      Skeyes »

15      L’article 170 de la loi sur les entreprises publiques dispose :

« Skeyes a pour objet :

1°      d’assurer la sécurité de la navigation aérienne dans les espaces aériens dont l’État belge est responsable en vertu de la Convention relative à l’Aviation civile internationale du 7 décembre 1944, notamment son annexe 2, approuvée par la loi du 30 avril 1947, ou en vertu de tout autre accord international ;

2°      d’assurer à l’aéroport de Bruxelles-National le contrôle des mouvements des aéronefs en approche, à l’atterrissage, au décollage et sur les pistes et les voies de circulation, ainsi que le guidage des aéronefs sur les aires de trafic, et de continuer à assurer la sécurité du trafic aérien des aéroports et aérodromes publics régionaux conformément à l’accord de coopération conclu le 30 novembre 1989 avec les Régions ;

3°      de fournir aux services de police et d’inspection aéronautique et aéroportuaire des informations relatives aux aéronefs, à leur pilotage, à leurs mouvements et aux effets observables de ceux-ci ;

4°      de fournir des informations météorologiques pour la navigation aérienne, ainsi que des services de télécommunications ou autres services liés aux activités visées aux 1° ou 2°. »

16      L’article 171 de la loi sur les entreprises publiques prévoit :

« Les activités visées à l’article 170, 1° à 3°, constituent des missions de service public. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      Skeyes a été désignée par le Royaume de Belgique, conformément à l’article 8 du règlement no 550/2004, comme le prestataire de services de la circulation aérienne pour l’espace aérien relevant de la responsabilité de cet État membre (ci-après l’« espace aérien belge »). Sa mission consiste, notamment, à garantir la sécurité de la navigation aérienne dans l’espace aérien belge. Dans ce cadre, Skeyes est autorisée à prendre des mesures dites de « zero rate », impliquant qu’aucun décollage, atterrissage ou transit ne soient permis dans l’espace aérien belge ou dans certains secteurs de cet espace.

18      À la suite d’actions collectives de contrôleurs aériens, Skeyes a été amenée, à plusieurs reprises au cours de la période comprise entre le mois de février et le mois de mai 2019, à fermer l’espace aérien belge en raison du nombre insuffisant de personnel.

19      Le 16 mai 2019, Skeyes ayant décidé de fermer l’espace aérien belge en raison d’une grève des contrôleurs aériens, Ryanair, qui opère à partir d’aéroports situés en Belgique, a saisi le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Charleroi, qui est la juridiction de renvoi, d’une demande en extrême urgence visant à enjoindre à Skeyes d’assurer une opération normale du trafic aérien.

20      Cette juridiction a fait droit à la demande de Ryanair par une ordonnance du même jour, assortie d’une astreinte de 250 000 euros pour chaque heure pendant laquelle l’espace aérien belge resterait fermé du fait de la grève des contrôleurs aériens. Les effets de cette ordonnance étaient limités à la période du 16 au 24 mai 2019.

21      Ryanair a reçu ladite ordonnance le 16 mai 2019, après que l’espace aérien belge a été rouvert. En l’absence de nouvelle fermeture jusqu’au 24 mai 2019, cette ordonnance a cessé de produire ses effets juridiques sans que l’astreinte ait été mise en œuvre.

22      Le 21 juin 2019, Skeyes a formé tierce opposition contre l’ordonnance du 16 mai 2019, auprès de la juridiction de renvoi. Elle soutient, à titre principal, que la juridiction de renvoi n’était pas compétente pour connaître de la demande qui concerne sa fonction de contrôleur de l’espace aérien belge. En effet, Ryanair ne serait titulaire d’aucun droit subjectif lui permettant d’introduire une telle demande, dans la mesure où la régulation de l’espace aérien belge relèverait du seul pouvoir de Skeyes. À titre subsidiaire, celle-ci considère qu’elle ne peut, en sa qualité de société de droit public, ressortir à la compétence de la juridiction de renvoi, cette dernière étant une juridiction civile.

23      La juridiction de renvoi estime que la requête de Ryanair était fondée sur l’existence de droits subjectifs, tels que son droit de ne pas être entravée de manière disproportionnée dans l’exercice de son activité économique de compagnie aérienne, son droit d’introduire une action en dommages et intérêts contre Skeyes, ainsi que son droit de demander qu’il soit fait interdiction à cette dernière, sous peine d’astreinte, de fermer une nouvelle fois l’espace aérien.

24      Cette juridiction se demande si, malgré le pouvoir discrétionnaire dont dispose Skeyes pour décider de l’opportunité de la fermeture de l’espace aérien belge, des compagnies aériennes, telles que Ryanair, doivent disposer, en vertu du règlement no 550/2004, d’un recours effectif leur permettant de garantir la protection de leurs droits en cas de manquements de la part de Skeyes.

25      Dans ces conditions, le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Charleroi, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [r]èglement no 550/2004, et en particulier son article 8, doit-il être interprété dans ce sens qu’il autorise les États membres à soustraire au contrôle des juridictions de cet État membre, les manquements allégués à l’obligation de fourniture de services par le prestataire de services de la circulation aérienne, ou les dispositions du [règlement no 550/2004] doivent-elles être interprétées dans le sens qu’elles obligent les États membres à organiser un recours efficace contre les manquements allégués compte tenu de la nature des services à fournir ?

2)      Le règlement no 550/2004, en précisant que “la prestation de services de trafic aérien, telle qu’envisagée par le présent règlement, est liée à l’exercice des pouvoirs d’une autorité publique, qui ne sont pas de nature économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité”, doit-il être interprété comme excluant non seulement les règles de la concurrence proprement dite mais également toutes autres règles applicables aux entreprises publiques actives sur un marché de biens et de services, qui ont un effet indirect sur la concurrence, telles celles interdisant les entraves mises à la liberté d’entreprendre et de prestation de services ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

26      Le gouvernement belge estime que les deux questions préjudicielles sont irrecevables.

27      S’agissant de la première question, la juridiction de renvoi se serait limitée à reproduire la position de Skeyes. Elle aurait omis de préciser le cadre juridique national pertinent et d’expliquer l’utilité de cette question pour la solution du litige. S’agissant de la seconde question, celle-ci serait rédigée dans des termes trop généraux pour permettre aux parties et aux intéressés de formuler des observations écrites et ne respecterait pas, notamment, les exigences de l’article 94 du règlement de procédure de la Cour.

28      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Il n’est possible pour la Cour de refuser de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale, au sens de l’article 267 TFUE, que lorsque, notamment, les exigences concernant le contenu de la demande de décision préjudicielle figurant à l’article 94 du règlement de procédure ne sont pas respectées ou lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de la validité d’une règle de l’Union, demandées par la juridiction nationale, n’ont aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique (arrêt du 25 mars 2021, Obala i lučice, C‑307/19, EU:C:2021:236, point 48 et jurisprudence citée).

29      En l’occurrence, il ressort sans équivoque des explications fournies par la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle et, notamment, des développements consacrés à l’exposé de la jurisprudence nationale relative à la compétence des juridictions civiles, qu’elle estime que la réponse aux questions posées est nécessaire pour lui permettre de statuer sur le litige dont elle est saisie. En particulier, ces questions doivent lui permettre, d’une part, de statuer sur sa propre compétence au regard des attributions de Skeyes au titre du règlement no 550/2004, et, d’autre part, de déterminer si une compagnie aérienne peut se prévaloir de la liberté d’entreprendre ou de la libre prestation des services contre une décision prise par Skeyes dans le cadre de ses prérogatives de service public.

30      Il résulte de ce qui précède que les questions préjudicielles sont recevables.

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

31      Il convient de relever que le règlement no 550/2004, visé par les questions préjudicielles, s’inscrit, conformément aux considérants 3 et 4, ainsi qu’à l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, dans le contexte des dispositions du règlement no 549/2004 qui établit le cadre pour la réalisation du ciel unique européen.

32      Conformément à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 549/2004, le ciel unique européen vise à renforcer les normes de sécurité actuelles de la circulation aérienne, de contribuer au développement durable du système de transport aérien et d’améliorer les performances globales du système de gestion du trafic aérien et des services de navigation aérienne pour la circulation aérienne générale en Europe, afin de répondre aux besoins de tous les usagers de l’espace aérien. Ces usagers sont définis à l’article 2, point 8, de ce règlement comme étant les exploitants d’aéronefs exploités selon les règles de la circulation aérienne générale.

33      Il découle donc des dispositions visées au point précédent que les compagnies aériennes, en tant qu’exploitants d’aéronefs, sont des usagers de l’espace aérien.

34      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

 Sur la première question

35      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8 du règlement no 550/2004 doit être interprété en ce sens qu’il confère aux usagers de l’espace aérien, tels que les compagnies aériennes, un droit de recours effectif, devant les juridictions nationales, contre le prestataire de services de la circulation aérienne en vue de soumettre au contrôle juridictionnel les manquements allégués à l’obligation de fourniture de services incombant à ce dernier dans l’exercice de ses prérogatives de service public.

36      Afin de répondre à cette question, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 550/2004, les États membres garantissent la fourniture des services de la circulation aérienne en exclusivité dans des blocs d’espace aérien spécifiques appartenant à l’espace aérien relevant de leur responsabilité et qu’ils désignent, à cet effet, un prestataire de services de la circulation aérienne détenteur d’un certificat valable dans l’Union. L’article 8, paragraphe 3, de ce règlement précise expressément que ce sont les États membres qui définissent les droits, mais également les obligations du prestataire de services désigné.

37      Par ailleurs, ce règlement ne contient aucune disposition particulière ayant pour objet d’octroyer aux usagers de l’espace aérien un droit de recours juridictionnel contre les décisions dudit prestataire.

38      Dans ces conditions, aux fins de déterminer si, en dépit du silence de l’article 8 du règlement no 550/2004 à cet égard, ces usagers disposent néanmoins d’un tel droit de recours, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.

39      En effet, il ressort tant du contexte de l’article 8 du règlement no 550/2004 que de l’objectif de ce dernier que les usagers de l’espace aérien, tels que les compagnies aériennes, sont titulaires de certains droits qui peuvent être affectés par la fermeture de cet espace.

40      En premier lieu, s’agissant du contexte dans lequel s’insère l’article 8 du règlement no 550/2004, il convient, premièrement, d’observer que l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement énonce que les certificats nécessaires à la fourniture des services de navigation aérienne peuvent être délivrés par les autorités de surveillance nationales aux prestataires de services de navigation aérienne pour chacun des services définis à l’article 2 du règlement no 549/2004 ou pour un ensemble de services.

41      Conformément au point 4 de cette dernière disposition, ces services incluent, outre les services de la circulation aérienne, les services de communication, de navigation et de surveillance, les services météorologiques destinés à la navigation aérienne et les services d’information aéronautique. Il découle, par ailleurs, du considérant 3 du règlement no 549/2004 que ces services relèvent d’une mission d’intérêt général comprenant des obligations de service public.

42      Deuxièmement, l’article 7, paragraphe 4, du règlement no 550/2004 exige que les usagers de l’espace aérien puissent accéder auxdits services sur une base non discriminatoire. En outre, ce sont ces usagers qui doivent, conformément à l’article 15 de ce règlement, lu à la lumière du considérant 22 de celui-ci, supporter les coûts des services de navigation aérienne fournis à leur profit ou directement liés à l’exploitation d’aéronefs.

43      Ainsi, il ressort du contexte dans lequel l’article 8 du règlement no 550/2004 s’inscrit que les obligations du prestataire de services de la circulation aérienne désigné sur le fondement de cette disposition sont autant de services susceptibles d’être nécessaires à l’activité économique des usagers de l’espace aérien.

44      En second lieu, s’agissant des objectifs du règlement no 550/2004, il résulte du considérant 10 ainsi que de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphes 1 et 7, de ce règlement que celui-ci vise à assurer la continuité de la fourniture de tous les services de navigation aérienne dans le ciel unique européen.

45      Il s’ensuit que, eu égard au contexte dans lequel s’insère l’article 8 du règlement no 550/2004 et à l’objectif poursuivi par ce règlement, les obligations visées à l’article 8 dudit règlement, lu en combinaison avec l’article 2, point 4, du règlement no 549/2004, constituent des services fournis dans l’intérêt des usagers de l’espace aérien et sont donc susceptibles de leur conférer des droits que la fermeture de l’espace aérien pourrait affecter.

46      Toutefois, si les usagers de l’espace aérien, tels que les compagnies aériennes, disposent des droits conférés par le droit dérivé de l’Union applicable, ces derniers sont également soumis aux règles du droit de l’Union relatives à la sécurité, comme en attestent, d’une part, le considérant 3 du règlement no 549/2004 et, d’autre part, l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1008/2008. Comme M. l’avocat général le souligne au point 43 de ses conclusions, l’objectif de sécurité aérienne est au cœur des règlements nos 549/2004 et 550/2004. Il fait partie du contexte dans lequel une décision de fermeture de l’espace aérien est prise par un prestataire de services de la circulation aérienne.

47      Par ailleurs, ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général au point 38 de ses conclusions, ces usagers bénéficient aussi des droits et libertés conférés par le droit primaire de l’Union, dont la liberté d’entreprise reconnue à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

48      En effet, aux termes de l’article 16 de la Charte, la liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales. La protection conférée par cet article comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre [voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C‑283/11, EU:C:2013:28, points 41 et 42, ainsi que du 15 avril 2021, Federazione nazionale delle imprese elettrotecniche ed elettroniche (Anie) e.a., C‑798/18 et C‑799/18, EU:C:2021:280, points 55 ainsi que 56].

49      Il en résulte qu’un usager de l’espace aérien, tel que Ryanair, est titulaire de certains droits en vertu de l’article 8 du règlement no 550/2004, lu en combinaison avec l’article 2, point 4, du règlement no 549/2004, et doit être considéré comme étant potentiellement lésé dans ces droits par une décision de fermeture de l’espace aérien prise par un prestataire de services de la circulation aérienne.

50      Or, s’agissant de droits et de libertés garantis par le droit de l’Union, l’article 47 de la Charte énonce, à son premier alinéa, que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif, dans les conditions prévues à cet article.

51      À ce droit correspond l’obligation faite aux États membres, à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union [arrêts du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 44, et du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 47].

52      Cela étant, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales de ces voies de recours, à condition, toutefois, que ces modalités ne soient pas, dans les situations relevant du droit de l’Union, moins favorables que dans des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 58).

53      En outre, la procédure au principal s’inscrivant dans le cadre d’une demande formulée en extrême urgence, il convient également de rappeler que le juge national saisi d’un litige régi par le droit de l’Union doit être en mesure d’accorder des mesures provisoires en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués sur le fondement du droit de l’Union (arrêts du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, point 67, ainsi que du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 297).

54      Seul le principe d’effectivité étant en cause dans la présente affaire, il convient d’indiquer que le droit de l’Union n’a pas pour effet de contraindre les États membres à instituer des voies de droit autres que celles établies par le droit interne, à moins, toutefois, qu’il ne ressorte de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours juridictionnelle permettant, fût-ce de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, ou que la seule voie d’accès à un juge revient à contraindre les justiciables d’enfreindre le droit (arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 62).

55      S’agissant du litige au principal, il ressort de la décision de renvoi qu’une dualité existe à propos de la compétence des juridictions civiles et de celle du Conseil d’État. À cet égard, il est loisible, au titre du droit de l’Union, à l’État membre concerné de choisir de conférer à une juridiction administrative la compétence de statuer sur un litige ou d’attribuer cette compétence aux juridictions civiles, voire aux deux, selon les règles de répartition de compétences qu’il détermine, pour autant que ces règles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union.

56      En revanche, si le pouvoir discrétionnaire dont dispose, le cas échéant, une autorité administrative ou une entreprise publique autonome, telle que Skeyes, dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique peut être pris en compte afin de déterminer l’étendue du contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Association of Independent Meat Suppliers et Cleveland Meat Company, C‑579/19, EU:C:2021:665, points 78 et 79), il ne saurait entraîner l’incompétence du juge susceptible d’assurer l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union et l’effectivité du recours.

57      Au regard de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 8 du règlement no 550/2004, lu en combinaison avec l’article 2, point 4, du règlement no 549/2004 et à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il confère aux usagers de l’espace aérien, tels que les compagnies aériennes, un droit de recours effectif, devant les juridictions nationales, contre le prestataire de services de la circulation aérienne en vue de soumettre au contrôle juridictionnel les manquements allégués à l’obligation de prestation de services incombant à ce dernier.

 Sur la seconde question

58      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 550/2004, lu à la lumière de son considérant 5, ainsi que de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, et de l’article 16 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application des règles de concurrence prévue par le traité FUE aux prestations de services de navigation aérienne liées à l’exercice de prérogatives de puissance publique, telles que prévues par ce règlement, mais également l’application des règles relatives aux droits et libertés des usagers de l’espace aérien, telles que la libre prestation de services et la liberté d’entreprise.

59      Aux termes du considérant 5 du règlement no 550/2004, la fourniture de services de navigation aérienne, envisagée dans ce règlement, se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique, qui ne présentent pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité.

60      À cet égard, il convient, tout d’abord, de rappeler que le préambule d’un acte de l’Union est susceptible de préciser le contenu des dispositions dudit acte mais qu’il n’a pas de valeur juridique contraignante. Il ne saurait dès lors être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé (arrêt du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission, C‑418/18 P, EU:C:2019:1113, points 75 et 76).

61      Or, la substance du considérant 5 du règlement no 550/2004 n’est concrétisée par aucune disposition de ce règlement.

62      Ensuite, si ce considérant reflète, en substance, une jurisprudence de la Cour selon laquelle la fourniture de services de navigation aérienne, dès lors qu’elle se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique, ne présente pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft, C‑364/92, EU:C:1994:7, point 30, ainsi que du 26 mars 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑113/07 P, EU:C:2009:191, point 71), le considérant 13 de ce règlement indique, en revanche, que la fourniture des services de communication, de navigation et de surveillance, ainsi que des services d’information aéronautique, devrait être organisée aux conditions du marché.

63      Enfin, si la fourniture de services de navigation aérienne se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique, ce qui autorise les États membres à désigner, sur le fondement de l’article 8 du règlement no 550/2004, un prestataire de services de la circulation aérienne en dehors des règles de concurrence, cela ne signifie pas que les usagers de l’espace aérien se voient privés par la même occasion du bénéfice des droits et libertés reconnus par le droit de l’Union, tels que la libre circulation des services en matière de transports visée à l’article 58, paragraphe 1, TFUE.

64      En outre, comme indiqué aux points 47 et 48 du présent arrêt, les compagnies aériennes bénéficient également de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte et reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales.

65      Il convient, toutefois, de rappeler que la liberté d’entreprise ne constitue pas une prérogative absolue. Elle peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique [voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C‑283/11, EU:C:2013:28, points 45 et 46 ; du 16 juillet 2020, Adusbef e.a., C‑686/18, EU:C:2020:567, point 83, ainsi que du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre), C‑223/19, EU:C:2020:753, point 88].

66      Par ailleurs, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte autorise que des limitations soient apportées à l’exercice des droits et libertés consacrés par celle-ci, telles que la liberté d’entreprise, pour autant que ces limitations soient prévues par la loi, respectent le contenu essentiel de ces droits et libertés et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui [arrêts du 16 juillet 2020, Adusbef e.a., C‑686/18, EU:C:2020:567, point 86, ainsi que du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre), C‑223/19, EU:C:2020:753, point 88].

67      C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient, le cas échéant, de vérifier le respect de ces conditions. Il peut néanmoins être rappelé, à cet égard, ainsi que cela ressort du point 46 du présent arrêt, que l’exercice du droit des usagers de l’espace aérien, tels que les compagnies aériennes, d’exploiter des services aériens dans l’Union est subordonné aux impératifs de sécurité. En outre, la Cour a déjà eu l’occasion de confirmer que l’objectif tenant à l’établissement et au maintien d’un niveau uniforme et élevé de sécurité de l’aviation civile en Europe constituait un objectif d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2017, Fries, C‑190/16, EU:C:2017:513, point 43).

68      Au regard de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que le règlement no 550/2004, lu à la lumière de son considérant 5, ainsi que de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, et de l’article 16 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application des règles de concurrence prévues par le traité FUE aux prestations de services de navigation aérienne liées à l’exercice de prérogatives de puissance publique, telles que celles prévues par ce règlement, mais qu’il n’exclut pas l’application des règles du traité FUE et de la Charte relatives aux droits et libertés des usagers de l’espace aérien, tels que ceux liés à la libre prestation des services en matière de transport et à la liberté d’entreprise.

 Sur les dépens

69      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 8 du règlement (CE) no 550/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 10 mars 2004, relatif à la fourniture de services de navigation aérienne dans le ciel unique européen, tel que modifié par le règlement (CE) no 1070/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, lu en combinaison avec l’article 2, point 4, du règlement (CE) no 549/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 10 mars 2004, fixant le cadre pour la réalisation du ciel unique européen (« règlement-cadre »), tel que modifié par le règlement no 1070/2009, et à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il confère aux usagers de l’espace aérien, tels que les compagnies aériennes, un droit de recours effectif, devant les juridictions nationales, contre le prestataire de services de la circulation aérienne en vue de soumettre au contrôle juridictionnel les manquements allégués à l’obligation de prestation de services incombant à ce dernier.

2)      Le règlement no 550/2004, tel que modifié par le règlement no 1070/2009, lu à la lumière de son considérant 5, ainsi que de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, et de l’article 16 de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application des règles de concurrence prévues par le traité FUE aux prestations de services de navigation aérienne liées à l’exercice de prérogatives de puissance publique, telles que celles prévues par ce règlement, mais qu’il n’exclut pas l’application des règles du traité FUE et de cette charte relatives aux droits et libertés des usagers de l’espace aérien, tels que ceux liés à la libre prestation des services en matière de transport et à la liberté d’entreprise.

Jürimäe

Jääskinen

Safjan

Piçarra

 

Gavalec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 juin 2022.

Le greffier

La présidente de la IIIème chambre

A. Calot Escobar

 

K. Jürimäe


*      Langue de procédure : le français.