Language of document : ECLI:EU:T:2022:649

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

19 octobre 2022 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un poteau – Motif de nullité – Non-respect des conditions de protection – Article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 – Caractéristiques de l’apparence d’un produit exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci – Article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑231/21,

Praesidiad Holding, établie à Zwevegem (Belgique), représentée par Mes M. Rieger-Jansen et D. Op de Beeck, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Ivanauskas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Zaun Ltd, établie à Wolverhampton (Royaume-Uni), représentée par Mes O. Petter et J. Saladin, avocates,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé, lors des délibérations, de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur) et R. Norkus, juges,

greffier : M. G. Mitrev, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 22 juin 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Praesidiad Holding, demande l’annulation et la réformation de la décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 15 février 2021 (affaire R 2068/2019‑3) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 27 mars 2018, l’intervenante, Zaun Ltd, a présenté à l’EUIPO une demande en nullité du dessin ou modèle communautaire enregistré sous le numéro 127204‑0001 à la suite d’une demande déposée par la requérante le 26 janvier 2004, et qui est représenté dans les vues suivantes :

Image not found      

3        Le produit auquel le dessin ou modèle dont la nullité a été demandée est destiné à être appliqué relève de la classe 25.02 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspond à la description suivante : « Poteaux ».

4        Les motifs invoqués à l’appui de la demande en nullité étaient, notamment, ceux visés à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, du même règlement.

5        La demande en nullité était notamment fondée sur le non-respect des conditions de protection de l’apparence d’un dessin ou modèle communautaire. En effet, l’intervenante a considéré que les caractéristiques de l’apparence du produit concerné étaient exclusivement imposées par la fonction technique du produit concerné.

6        Le 19 juillet 2019, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité.

7        Le 16 septembre 2019, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation. Le recours était limité au motif de nullité visé à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

8        Par la décision attaquée, la chambre de recours de l’EUIPO a accueilli le recours. En particulier, après avoir examiné la demande de brevet européen EP 1564351B1 (ci-après « la demande de brevet ») et les éléments de preuve présentés par la requérante, la chambre de recours a considéré que ces derniers n’étaient pas assez convaincants pour prouver que les caractéristiques de l’apparence du produit concerné avaient été dictées par des considérations autres que techniques. Ainsi, elle a conclu que le dessin ou modèle contesté devait être déclaré nul, conformément à l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement.

 Conclusions des parties

9        La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        rejeter la demande en nullité dans son intégralité ;

–        condamner l’intervenante et l’EUIPO aux dépens.

10      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur le premier chef de conclusions, tendant à l’annulation de la décision attaquée

11      La requérante invoque en substance cinq moyens, tirés, les premier, deuxième, troisième et cinquième, de la violation de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 et, le quatrième, de la violation de l’article 62, dudit règlement.

12      Par ailleurs, si la requérante soulève, formellement, au titre de ses premier, deuxième, troisième et cinquième moyens, la violation du seul article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, il convient de comprendre, compte tenu de l’argumentation de la requête, présentée dans le cadre d’un litige relatif à une procédure de nullité, que celle-ci entend soulever la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, du même règlement.

13      En vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, un dessin ou modèle communautaire peut être déclaré nul s’il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 dudit règlement.

14      L’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 prévoit qu’un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique.

15      Le considérant 10 du règlement no 6/2002 précise ce qui suit :

« L’innovation technologique ne devrait pas être entravée par l’octroi de la protection des dessins ou modèles à des caractéristiques imposées exclusivement par une fonction technique, étant entendu qu’il n’en résulte pas qu’un dessin ou modèle doit présenter un caractère esthétique. De même, l’interopérabilité de produits de fabrications différentes ne devrait pas être entravée par l’extension de la protection aux dessins ou modèles des raccords mécaniques. Par conséquent, les caractéristiques d’un dessin ou modèle qui sont exclues de la protection pour ces motifs ne devraient pas être prises en considération pour apprécier si d’autres caractéristiques de ce dessin ou modèle remplissent les conditions d’obtention de la protection. »

16      En ce qui concerne les caractéristiques de l’apparence d’un produit exclusivement imposées par sa fonction technique, la Cour a jugé que l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 excluait la protection au titre du droit des dessins ou modèles communautaires des caractéristiques de l’apparence d’un produit lorsque des considérations d’une autre nature que la nécessité pour ledit produit de remplir sa fonction technique, en particulier celles liées à l’aspect visuel, n’avaient joué aucun rôle lors du choix desdites caractéristiques, et ce même s’il existait d’autres dessins ou modèles permettant d’assurer cette même fonction (arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM, C‑395/16, EU:C:2018:172, point 31). Par ailleurs, afin de déterminer si les caractéristiques concernées de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, il incombe au juge de tenir compte de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque cas d’espèce et il n’y a pas lieu, à cet égard, de se fonder sur la perception d’un « observateur objectif » (arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM, C‑395/16, EU:C:2018:172, point 38). Cette appréciation doit, notamment, être effectuée au regard du dessin ou modèle en cause, des circonstances objectives révélatrices des motifs qui ont présidé au choix des caractéristiques de l’apparence du produit concerné, des données relatives à son utilisation ou encore de l’existence de dessins ou modèles alternatifs permettant de réaliser la même fonction technique, pour autant que ces circonstances, ces données ou cette existence soient étayées par des éléments de preuve fiables (arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM, C‑395/16, EU:C:2018:172, points 36 et 37).

17      C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient d’apprécier les moyens invoqués par la requérante.

18      Il y a lieu de considérer, en substance, que, au soutien de son recours, et dans le cadre de ses deux premiers moyens, la requérante invoque un argument transversal, fondé sur l’existence de caractéristiques de l’apparence du produit concerné n’ayant pas été exclusivement dictées par la fonction technique dudit produit. Il conviendra donc d’analyser si c’est à juste titre que la chambre de recours a conclu à l’absence de considérations autres que techniques ayant été prises en compte lors de la création du dessin ou modèle contesté.

19      Il y a donc lieu d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens dans le cadre desquels la requérante fait valoir, en substance, que, eu égard à l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172), la chambre de recours a associé à tort au dessin ou modèle contesté des caractéristiques décrites dans la demande de brevet, ce qui l’aurait amenée à conclure à tort que les caractéristiques du dessin ou modèle contesté étaient exclusivement imposées par la fonction technique du produit concerné. De plus, la requérante soutient que la chambre de recours a considéré que chacune des caractéristiques du dessin ou modèle contesté, à savoir la « bride et le tube ouvert », le « profil en U » et la « plaque de recouvrement », répondait exclusivement à une fonction technique, sans procéder à une évaluation suffisante des éléments de preuve soumis devant elle.

20      L’EUIPO soutient, en substance, premièrement, que la demande de brevet constitue un élément de preuve, dont il ressort, à première vue, que les caractéristiques du produit concerné sont exclusivement imposées par sa fonction technique. Deuxièmement, la chambre de recours aurait considéré, à juste titre, en tenant compte de tous les arguments et éléments de preuve présentés par la requérante, qu’ils n’auraient pas permis de prouver le contraire.

21      L’intervenante fait valoir, premièrement, que la chambre de recours ne s’est pas appuyée de manière excessive sur la demande de brevet et qu’elle n’a pas ignoré les éléments de preuve rapportés par la requérante.  Deuxièmement, elle considère que la chambre de recours a soigneusement examiné et pris en compte tous les éléments de preuve présentés par la requérante, mais n’a pas été convaincue, à juste titre, que des considérations visuelles avaient joué un rôle lors de la création du dessin ou modèle contesté.

 Remarques liminaires

22      Tout d’abord, la requérante allègue que la chambre de recours n’a pas reconnu la possibilité qu’une caractéristique puisse présenter à la fois une fonction technique et avoir été conçue en prenant en compte des considérations visuelles. Toutefois, ce raisonnement procède d’une lecture erronée de la décision attaquée. Il résulte du contexte de ladite décision et, en particulier, des points 33, 36, 40 et 41 de celle-ci que la chambre de recours n’a pas adopté une approche selon laquelle la fonction technique et les considérations visuelles s’excluaient mutuellement, mais a conclu qu’il n’avait pas été prouvé que les caractéristiques de l’apparence du produit concerné n’avaient pas été uniquement dictées par la fonction technique dudit produit.

23      Ensuite, la requérante fait valoir que la chambre de recours a instauré un seuil qualitatif en constatant que les éléments de preuve qu’elle avait présentés n’étaient pas suffisants pour infirmer la conclusion selon laquelle toutes les caractéristiques de l’apparence du dessin ou modèle contesté étaient imposées par la fonction technique du produit concerné.

24      Or, il ne ressort pas de l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172), que, dès lors que des éléments de preuve, convaincants ou non, sont produits par la titulaire du dessin ou modèle en cause, il doit être automatiquement considéré que des considérations autres que techniques ont joué un rôle lors du choix des caractéristiques de l’apparence du produit concerné. Cette absence d’automaticité ne revient pas à instaurer un seuil qualitatif, mais traduit la nécessité que les éléments de preuve apportés soient convaincants et de nature à démontrer l’argumentation avancée par les parties. À cet égard, la chambre de recours, aux points 40 et 41 de la décision attaquée, a considéré que les éléments de preuve fournis par la requérante ne permettaient pas de défendre la position soutenue par celle-ci. C’est ainsi à tort que la requérante a estimé que la chambre de recours avait instauré un tel seuil qualitatif.

25      Il convient donc d’écarter ces deux arguments.

 En ce qui concerne la demande de brevet

26      Lors de l’appréciation des considérations ayant été prises en compte lors de la création du dessin ou modèle contesté, la chambre de recours s’est appuyée sur la demande de brevet afin de déterminer quelles étaient les fonctions techniques de chaque caractéristique du dessin ou modèle contesté, comme cela ressort des points 31, 33, 36 et 38 de la décision attaquée.

27      La requérante estime, dans le cadre de son premier moyen, que la chambre de recours s’est fondée de manière excessive sur la demande de brevet et en a conclu, de manière prématurée, que le dessin ou modèle contesté avait été élaboré en ne tenant compte que de considérations techniques. Elle aurait évalué les éléments de preuve qu’elle a fournis seulement dans un second temps, et non pour parvenir à une conclusion d’ensemble résultant d’un examen global de la totalité des éléments pertinents.

28      À cet égard, selon la jurisprudence, il résulte de l’article 36, paragraphe 6, du règlement no 6/2002 que, pour déterminer le produit auquel un dessin ou modèle communautaire est destiné à être appliqué, il convient de tenir compte de l’indication qui est relative à ce produit dans la demande d’enregistrement dudit dessin ou modèle, mais également, le cas échéant, du dessin ou modèle lui-même, dans la mesure où il précise la nature du produit, sa destination ou sa fonction [arrêt du 18 mars 2010, Grupo Promer Mon Graphic/OHMI – PepsiCo (Représentation d’un support promotionnel circulaire), T‑9/07, EU:T:2010:96, point 56].

29      Toutefois, il est possible, pour l’EUIPO, de s’appuyer, eu égard au degré de difficulté du dessin ou modèle en cause, sur d’autres éléments pertinents, et notamment sur des données relatives à des droits de propriété intellectuelle conférés antérieurement en rapport avec le produit concerné (voir, par analogie, arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 71 ; du 10 novembre 2016, Simba Toys/EUIPO, C‑30/15 P, EU:C:2016:849, points 48 à 50, et du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry, C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129, point 54).

30      En l’espèce, le dessin ou modèle contesté est constitué d’une représentation graphique d’un poteau de clôture de sécurité, sans explications quant au fonctionnement du produit concerné. Comme l’EUIPO l’avance dans le mémoire en réponse, une demande de brevet telle que celle examinée en l’espèce constitue un élément pertinent sur lequel la chambre de recours pouvait s’appuyer, même si le dessin ou modèle contesté ne concerne qu’une partie d’une clôture de sécurité et n’inclut pas les panneaux ou les moyens de fixations, également représentés dans la demande de brevet.

31      Néanmoins, il convient de rappeler que, dans le cadre de son analyse, la chambre de recours ne pouvait se limiter à prendre en compte seulement la demande de brevet, mais devait également prendre en considération les autres éléments pertinents produits par les parties. En effet, comme le soutient la requérante, bien qu’il existe une demande de brevet représentant le dessin ou modèle contesté, cette circonstance ne saurait, à elle seule, exclure toute possibilité que des considérations autres que techniques aient joué un rôle lors de la création du dessin ou modèle contesté.

32      En l’espèce, il ressort des points 33, 37 et 38 de la décision attaquée que la chambre de recours a déduit de la demande de brevet que seules des considérations techniques avaient été prises en compte lors de la création du dessin ou modèle contesté. Or, un brevet est un document expliquant les spécificités techniques d’un produit. Un tel document, en raison de sa finalité exclusivement technique, ne saurait cependant permettre automatiquement d’exclure que des considérations autres que techniques, par exemple de nature visuelle, aient pu également être prises en compte lors de la création d’un dessin et modèle s’y trouvant, par ailleurs, représenté.

 En ce qui concerne les éléments de preuve de l’existence de considérations autres que techniques produits par la requérante

33      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que les éléments de preuve apportés par la requérante étaient de nature à renforcer la conclusion selon laquelle seules des considérations techniques avaient été prises en compte dans le processus de création du dessin ou modèle contesté. Tout d’abord, à l’égard des avis des quatre experts produits par la requérante, la chambre de recours a considéré qu’ils étaient constitués d’affirmations vagues et ne suffisaient pas à étayer l’argument de la requérante selon lequel des considérations visuelles avaient joué un rôle lors de la création du dessin ou modèle contesté. Ensuite, elle a considéré que la simple existence de dessins ou modèles alternatifs n’était pas déterminante, dans la mesure où les avis d’experts ne démontraient pas le rôle joué par les considérations visuelles. Enfin, à l’égard des catalogues, brochures et éléments de preuve connexes, la chambre de recours a constaté qu’ils ne suffisaient pas à établir que des considérations autres que techniques avaient joué un rôle lors de la création du dessin ou modèle contesté. Cette conclusion serait corroborée par le matériel promotionnel de la requérante relatif au produit concerné qui vanterait uniquement ses qualités techniques.

34      Dans le cadre du deuxième moyen, la requérante critique, en substance, les appréciations opérées par la chambre de recours en ce qui concerne le dessin ou modèle contesté, et ce par rapport aux avis d’experts, à l’existence de dessins ou modèles alternatifs et à la visibilité, par le public, du produit concerné.

–       Sur les avis d’experts

35      À titre liminaire, il convient de rappeler que, comme les parties l’ont confirmé lors de l’audience, ni l’indépendance, l’impartialité et la crédibilité des quatre experts ni la valeur probante de leurs avis n’ont été remises en cause par la chambre de recours.

36      Il y a également lieu de relever qu’il est constant entre les parties que les caractéristiques du dessin ou modèle contesté sont les suivantes : une bride et un tube ouvert, un « profil en U » et une plaque de recouvrement. La fonction du produit concerné est de servir de point de fixation pour les panneaux à mailles de la clôture et donc de soutenir la clôture.

37      Tout d’abord, au regard de la bride et du tube ouvert, la requérante a produit des avis d’experts qui confirment notamment que les doubles pliures de la bride et du tube ouvert rendent le produit concerné plus agréable sur le plan visuel et renforcent l’aspect visuel du dessin ou modèle contesté. En effet, selon un expert, « l’effet résultant de l’ensemble du poteau me fait penser que cela aurait été une considération esthétique [visuelle] ». Un autre expert fait valoir que cette caractéristique a été conçue pour rendre probablement la structure plus robuste, certes, « mais aussi manifestement parce qu’elle renforce l’aspect visuel souhaité du dessin ou modèle [contesté] considéré dans son ensemble ». Un troisième expert fait état des éléments qu’il considère comme n’ayant pas été dictés par la fonction technique du produit concerné, dont cette bride et ce tube ouvert, qui, selon lui, sont « agréable[s] sur le plan visuel et produi[sent] un autre détail semi-circulaire ».

38      Ensuite, en ce qui concerne le « profil en U », un expert estime qu’il est probable que cette caractéristique découle « également d’une considération esthétique [visuelle] du créateur, car cela donne un profil plus agréable sur le plan visuel que si une forme de boîte à bords droits avait été utilisée ». De plus, un second expert ajoute que « le fait qu’un poteau en forme de U a été choisi suggère que les considérations visuelles ont joué un rôle non négligeable ». Un autre expert affirme qu’il s’agit d’une caractéristique « que le créateur a probablement adoptée pour des raisons visuelles ou esthétiques plutôt que pour des raisons purement fonctionnelles et dont on peut dire qu’elle constitue une esthétique unique ».

39      En prenant le dessin ou modèle contesté dans sa globalité, un autre expert estime que, « si les considérations fonctionnelles ont nécessairement joué un rôle important dans la création [du] produit [concerné], elles n’ont pas été, à [son] avis, les seules à entrer en ligne de compte lors du processus de conception [dudit produit] ». Il ajoute aussi, en substance, que, si seules des considérations techniques avaient été prises en compte, alors le résultat attendu n’aurait pas été celui effectivement obtenu.

40      Ainsi, tous les avis d’experts produits par la requérante confirment, certes, le rôle important, voire prépondérant, joué par des considérations techniques lors du processus de création, mais, en même temps, ils font état de considérations visuelles ayant été prises en compte lors de la création d’au moins deux des trois caractéristiques du dessin ou modèle contesté. Or, la chambre de recours a écarté de telles considérations en observant que les avis d’experts renforçaient la conclusion selon laquelle des considérations techniques avaient été prises en compte. Toutefois, l’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 ne dépend pas de la question de savoir si des considérations techniques ont été prises en compte lors de la création du dessin ou modèle en cause, ce qui n’est pas contesté, mais de l’absence totale d’autres considérations.

41      La chambre de recours a également écarté l’existence de considérations autres que techniques en précisant que les avis d’experts contenaient des affirmations vagues, ne suffisant pas à indiquer que des considérations visuelles avaient joué un rôle lors de la création du dessin ou modèle contesté. Or, au contraire, ces avis d’experts démontrent l’importance de l’esthétisme dans la création de poteaux de clôture de sécurité et se rapportent aux caractéristiques mêmes du dessin ou modèle contesté pour évoquer le rôle joué par des considérations visuelles dans sa création, ainsi qu’il ressort des points 37 et 38 ci-dessus. De plus, la position d’un expert, formulant un avis sur un dessin ou modèle communautaire, ne saurait être écartée pour la seule raison de l’utilisation, dans l’avis de cet expert, du conditionnel ou d’expressions telles que « à mon avis » ou « je pense que ».

42      Cette conclusion ne saurait être contredite par l’argument de l’intervenante qui remet en cause la compréhension par les experts de la fonction du produit concerné et donc leur capacité à fournir une opinion pertinente sur le dessin ou modèle contesté. L’intervenante estime que les experts n’ont pas pu comprendre la manière dont les caractéristiques du dessin ou modèle contesté interagissaient avec les caractéristiques des panneaux à mailles fixés au produit concerné, notamment car la demande de brevet ne leur avait pas été présentée. Toutefois, comme cela a été rappelé au point 40 ci-dessus, pour être protégé, un dessin ou modèle communautaire peut avoir été conçu en prenant en compte des considérations techniques, tant qu’elles n’ont pas été les seules. Ainsi, si les experts ont constaté l’existence de considérations visuelles, bien que n’ayant pas pris connaissance de la demande de brevet, l’existence d’éventuelles considérations techniques qui pourraient être déduites de cette demande ne peut pas remettre en cause leurs constatations.

43      De plus, le fait qu’il ressorte des avis d’experts repris aux points 37 et 38 ci-dessus que seules deux caractéristiques sur trois, soit la bride et le tube ouvert et le « profil en U », n’ont pas été dictées uniquement pas la fonction technique du produit concerné ne saurait remettre en cause cette conclusion. En effet, le Tribunal a déjà considéré que, si au moins une des caractéristiques de l’apparence du produit concerné par un dessin ou modèle communautaire n’était pas exclusivement imposée par la fonction technique de ce produit, le dessin ou modèle en cause ne saurait être annulé en application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 [arrêt du 24 mars 2021, Lego/EUIPO – Delta Sport Handelskontor (Élément de construction d’une boîte de jeu de construction), T‑515/19, non publié, EU:T:2021:155, point 96].

–       Sur l’existence de dessins ou modèles alternatifs

44      Il ressort des points 32, 36 et 37 de l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172), que l’existence de dessins ou modèles alternatifs permettant de réaliser la même fonction technique relève des circonstances objectives révélatrices des motifs qui ont présidé aux choix des caractéristiques de l’apparence du produit concerné, mais qu’une telle existence ne saurait conduire, à elle seule, à conclure que l’apparence de la caractéristique en cause a été imposée par des considérations autres que techniques.

45      À cet égard, dans la décision attaquée, la chambre de recours écarte tout argument relatif à l’existence de dessins ou modèles alternatifs comme insuffisant. Toutefois, comme cela a été établi par la jurisprudence rappelée au point 44 ci-dessus, l’existence de dessins ou modèles alternatifs, bien que ne constituant pas un élément de preuve permettant, à lui seul et dans tous les cas, d’établir que des considérations autres que techniques ont été prises en compte lors de la création du dessin ou modèle en cause, constitue une circonstance pertinente pouvant être prise en compte. En effet, l’existence de dessins ou modèles alternatifs peut venir corroborer d’autres éléments de preuve produits, comme, par exemple, des avis d’experts.

46      En l’espèce, la requérante s’appuie sur les éléments de preuve fournis par l’intervenante lors de la procédure devant l’EUIPO (annexes 3, 4 et 5 de la demande en nullité) qui montrent l’existence de poteaux de clôture de sécurité ayant des formes différentes que celle du dessin ou modèle contesté. Ainsi, quand bien même l’existence de dessins ou modèles alternatifs n’est pas à elle seule déterminante, la chambre de recours n’aurait pas dû l’exclure de son appréciation des considérations ayant dicté les caractéristiques de l’apparence du produit concerné.

–       Sur la visibilité, par le public, du produit concerné

47      La requérante fait valoir qu’il est rare qu’un créateur conçoive un produit sans aucunement se soucier de son apparence, et ce d’autant plus lorsque le produit est destiné à être au contact d’êtres humains et perçus par ceux-ci. Il convient donc d’examiner la question de savoir si la visibilité, par le public, du produit concerné relève des circonstances objectives au sens de l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172).

48      Comme il a été rappelé au point 16 ci-dessus, afin de déterminer si les caractéristiques concernées de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, il incombe au juge de tenir compte de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque cas d’espèce, et il doit notamment s’appuyer sur « des données relatives à son utilisation » (arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM, C‑395/16, EU:C:2018:172, points 37 et 38).

49      En l’espèce, il y a lieu de considérer que la visibilité, par le public, du produit concerné, d’autant plus lorsqu’il est d’une taille particulièrement imposante, comme un poteau de clôture de sécurité, revêt une certaine importance lors de la conception de son design. En effet, comme en témoignent, en substance, les avis d’experts produits par la requérante, quand des produits sont très visibles dans leur environnement extérieur en raison de leur taille, le créateur est conduit à réfléchir à la manière dont le produit pourrait se fondre dans son environnement afin d’être le plus discret possible. Ainsi, la perception du produit en cause par le public sera prise en compte par le créateur dudit produit. Les avis d’experts, en faisant état des qualités visuelles du produit concerné en particulier et en admettant que l’aspect visuel est un facteur important dans la création d’un poteau de clôture de sécurité, constituent des éléments de preuve objectifs de l’existence de considérations autres que techniques lors de la création du dessin ou modèle contesté.

50      De plus, les conclusions des experts sont corroborées par les catalogues, brochures et autres éléments de preuve connexes produits par la requérante. À cet égard, la chambre de recours, au point 41 de la décision attaquée, a considéré que ces éléments de preuve contenaient des informations sur les spécificités techniques du produit concerné, faisaient globalement référence à des informations générales et n’établissaient pas que des considérations autres que techniques avaient joué un rôle lors de la création du dessin ou modèle contesté.

51      Toutefois, en l’espèce, ces éléments de preuve ne sauraient être ignorés, dans la mesure où ils confirment que l’aspect esthétique est un facteur important dans la création de poteaux de clôtures de sécurité en général. En effet, il ressort, par exemple, d’un article de journal en ligne que l’utilisateur d’une clôture de sécurité aura certaines exigences esthétiques afin que le produit se fonde dans l’environnement. Les différents matériels marketing d’entreprises concurrentes de la requérante vantent les qualités esthétiques, en plus des qualités techniques, des poteaux et clôtures de sécurité qu’elles proposent. Des guides ou un manuel pour la création de produits tels que le produit concerné indiquent aux créateurs que l’intégration du produit dans l’environnement est un facteur tout aussi important que les fonctions techniques qu’il doit remplir.

52      Lors de l’audience, l’intervenante a fait valoir qu’il n’était pas indiqué dans la brochure représentant le produit concerné que ce dernier possédait des qualités visuelles. Toutefois, les catalogues, brochures et autres éléments de preuve connexes servent à prouver l’importance de l’esthétisme dans la création de poteaux de clôture de sécurité en général, et non à l’établir précisément pour le produit concerné. Une telle importance est d’ailleurs établie par les avis d’experts ainsi que par la circonstance selon laquelle le produit concerné est fortement visible par le public. Ainsi, l’absence d’indication des qualités visuelles du produit concerné dans les brochures produites par la requérante n’est pas de nature à remettre en cause les conclusions tirées du reste des éléments de preuve produits par la requérante.

53      Ainsi, la circonstance que le produit concerné est visible par le public fait partie des circonstances objectives permettant de prouver que les caractéristiques de l’apparence du produit concerné n’ont pas été uniquement dictées par la fonction technique dudit produit, bien que, à l’instar de l’existence de dessins ou modèles alternatifs, cette circonstance, à elle seule, ne saurait suffire à prouver cela.

54      Il ressort de tout ce qui précède que la chambre de recours a conclu à tort que toutes les caractéristiques de l’apparence du dessin ou modèle contesté avaient été uniquement dictées par la fonction technique du produit concerné. En effet, elle ne pouvait ignorer qu’il ressort de l’analyse globale des éléments de preuve produits, et donc des circonstances objectives pertinentes du cas d’espèce, et, en particulier, des avis d’experts, de l’existence de dessins ou modèles alternatifs et de la visibilité, par le public, du produit concerné, ainsi que de sa taille importante, que deux des trois caractéristiques de l’apparence du produit concerné n’ont pas été uniquement imposées par la fonction technique dudit produit et que l’aspect visuel du produit concerné a été pris en compte par son créateur.

55      Ainsi, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir les premier et deuxième moyens, tirés, en substance, de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, de ce même règlement, en ce que la chambre de recours a considéré que les caractéristiques de l’apparence du produit concerné n’avaient été dictées que par la fonction technique dudit produit, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs de la requérante, et d’annuler la décision attaquée dans son ensemble.

 Sur le deuxième chef de conclusions, tendant à la réformation de la décision attaquée

56      Par son deuxième chef de conclusions, la requérante conclut à ce que le Tribunal rejette la demande en nullité du dessin ou modèle contesté. Il convient de considérer, comme cela a été confirmé par la requérante lors de l’audience que, par cette demande, la requérante a formulé une demande de réformation visant à ce que le Tribunal adopte la décision que la chambre de recours aurait dû prendre, en vertu de l’article 61, paragraphe 3, du règlement no 6/2002 [voir, par analogie, arrêt du 7 février 2018, Şölen Çikolata Gıda Sanayi ve Ticaret/EUIPO – Zaharieva (Emballage pour cornets à glace), T‑794/16, non publié, EU:T:2018:70, point 84 et jurisprudence citée].

57      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le pouvoir de réformation, reconnu au Tribunal en vertu de l’article 61, paragraphe 3, du règlement no 6/2002, n’a pas pour effet de conférer à celui-ci le pouvoir de procéder à une appréciation sur laquelle la chambre de recours n’a pas encore pris position. L’exercice du pouvoir de réformation doit, par conséquent, en principe, être limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par ladite chambre, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre (voir, par analogie, arrêt du 7 février 2018, Emballage pour cornets à glace, T‑794/16, non publié, EU:T:2018:70, point 85 et jurisprudence citée).

58      En effet, la demande de réformation ne consiste pas à solliciter du Tribunal qu’il condamne l’EUIPO à une quelconque obligation de faire ou de ne pas faire, ce qui constituerait une injonction adressée à ce dernier. Elle vise, au contraire, à ce que le Tribunal décide, au même titre que la chambre de recours, si le dessin ou modèle contesté doit être annulé au regard de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002. Une telle décision figure parmi les mesures qui, en principe, peuvent être prises par le Tribunal au titre de son pouvoir de réformation (voir, par analogie, arrêt du 7 février 2018, Emballage pour cornets à glace, T‑794/16, non publié, EU:T:2018:70, point 86 et jurisprudence citée).

59      En l’espèce, la chambre de recours a pris position, dans la décision attaquée, sur l’existence ou non de considérations autres que techniques prises en compte lors de la création du dessin ou modèle contesté, de sorte que le Tribunal dispose du pouvoir de réformer ladite décision sur ce point.

60      Or, il résulte du point 54 ci-dessus que la chambre de recours était tenue de constater que deux des trois caractéristiques de l’apparence du produit concerné n’avaient pas été exclusivement dictées par la fonction technique dudit produit. Ainsi, force est de constater, au regard de l’ensemble de ce qui précède, que les conditions pour l’exercice du pouvoir de réformation du Tribunal sont réunies, ce que les parties ont d’ailleurs confirmé lors de l’audience.

61      Partant, il y a lieu de réformer la décision attaquée en rejetant la demande en nullité du dessin ou modèle contesté sur le fondement de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement.

 Sur les dépens

62      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, dudit règlement, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

63      La requérante a conclu à ce que l’EUIPO et l’intervenante soient condamnés aux dépens.

64      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses dépens, ceux exposés par la requérante.

65      L’intervenante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 15 février 2021 (affaire R 2068/2019-3) est annulée.

2)      La demande en nullité du dessin ou modèle enregistré sous le numéro 127204-0001 présentée par Zaun Ltd le 27 mars 2018 est rejetée.

3)      L’EUIPO supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Praesidiad Holding.

4)      Zaun supportera ses propres dépens.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 octobre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.