Language of document : ECLI:EU:T:2022:650

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

19 octobre 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne figurative représentant des caractères chinois – Usage sérieux de la marque – Article 18, paragraphe 1, du règlement (UE) 2017/1001 – Article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 – Altération du caractère distinctif »

Dans l’affaire T‑323/21,

Castel Frères, établie à Blanquefort (France), représentée par Me T. de Haan, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Crespo Carrillo, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Shanghai Panati Co., établie à Shanghai (Chine),

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé, lors des délibérations, de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen et J. Schwarcz (rapporteur), juges,

greffier : Mme R. Ūkelytė, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 6 juillet 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Castel Frères, demande l’annulation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 22 mars 2021 (affaire R 753/2020‑5) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 29 mai 2018, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande de déchéance de la marque de l’Union européenne ayant été enregistrée à la suite d’une demande déposée le 17 mars 2008 pour le signe figuratif suivant :

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3        Les produits couverts par la marque contestée pour lesquels la déchéance était demandée relevaient notamment de la classe 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient à la description suivante : « Vins tranquilles ».

4        La cause invoquée à l’appui de la demande de déchéance était celle visée à l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), à savoir l’absence d’usage sérieux de la marque contestée pendant une période ininterrompue de cinq ans.

5        Le 3 avril 2020, la division d’annulation a rejeté la demande en déchéance.

6        Le 24 avril 2020, Shanghai Panati Co. a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

7        Par la décision attaquée, la chambre de recours a fait droit au recours et a prononcé la déchéance de la marque contestée. La chambre de recours a, en substance, considéré que les différences entre la marque contestée et la marque telle qu’utilisée étaient de nature à altérer le caractère distinctif de la marque contestée.

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et Shanghai Panati aux dépens, y compris ceux découlant de la procédure devant la chambre de recours.

9        L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

10      À l’appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 et de l’article 18, paragraphe 1, sous a), du même règlement. En particulier, la requérante conteste la définition du public pertinent et l’appréciation de la nature de l’usage de la marque contestée.

11      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

12      Tout d’abord, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’EUIPO, si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union européenne pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage.

13      Par ailleurs, il y a lieu de relever que la question de savoir si une marque a fait l’objet d’un usage sérieux doit être appréciée globalement en prenant en compte l’ensemble des éléments disponibles. Il ne s’agit donc pas d’analyser chacune des preuves de façon isolée, mais de les analyser conjointement, afin d’en identifier le sens le plus probable et cohérent [voir arrêt du 21 novembre 2013, Recaro/OHMI – Certino Mode (RECARO), T‑524/12, non publié, EU:T:2013:604, point 31 et jurisprudence citée].

14      Selon la jurisprudence, il n’existe aucune règle en matière de marque de l’Union européenne obligeant à prouver l’usage de la marque de manière isolée, indépendamment de toute autre marque ou de tout autre signe. Dès lors, il est possible que deux ou plusieurs marques fassent l’objet d’un usage conjoint et autonome avec ou sans le nom de la société du fabricant [arrêt du 6 novembre 2014, Popp et Zech/OHMI – Müller-Boré & Partner (MB), T‑463/12, non publié, EU:T:2014:935, point 43 ; voir également, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2005, Castellblanch/OHMI – Champagne Roederer (CRISTAL CASTELLBLANCH), T‑29/04, EU:T:2005:438, points 33 et 34, et du 14 décembre 2011, Völkl/OHMI – Marker Völkl (VÖLKL), T‑504/09, EU:T:2011:739, point 100]. Ainsi, l’emploi conjoint du nom de la société ou d’une marque avec la marque antérieure ne saurait, par lui-même, porter atteinte à la fonction d’identification remplie par la marque à l’égard des produits en cause (voir, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2005, CRISTAL CASTELLBLANCH, T‑29/04, EU:T:2005:438, point 36, et du 6 novembre 2014, MB, T‑463/12, non publié, EU:T:2014:935, point 43).

15      Toutefois, il découle directement des termes de l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 que l’usage de la marque sous une forme qui diffère de la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée est considéré comme un usage au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement pour autant que le caractère distinctif de la marque sous la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée ne soit pas altéré [voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Specsavers International Healthcare e.a., C‑252/12, EU:C:2013:497, point 21 ; du 8 décembre 2005, CRISTAL CASTELLBLANCH, T‑29/04, EU:T:2005:438, point 30, et du 13 septembre 2016, hyphen/EUIPO – Skylotec (Représentation d’un polygone), T‑146/15, EU:T:2016:469, point 25].

16      Le caractère distinctif d’une marque au sens du règlement 2017/1001 signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 18 juillet 2013, Specsavers International Healthcare e.a., C‑252/12, EU:C:2013:497, point 22 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Procter & Gamble/OHMI, C‑468/01 P à C‑472/01 P, EU:C:2004:259, point 32).

17      La Cour a déjà jugé également que la condition de l’usage sérieux d’une marque au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 peut être remplie lorsque la marque n’est utilisée que par l’intermédiaire d’une autre marque complexe ou lorsqu’elle n’est utilisée que conjointement avec une autre marque, la combinaison de ces deux marques étant, de surcroît, elle-même enregistrée comme marque, pour autant que la marque continue d’être perçue comme une indication de l’origine du produit en cause (voir arrêt du 18 juillet 2013, Specsavers International Healthcare e.a., C‑252/12, EU:C:2013:497, point 26 et jurisprudence citée).

18      En outre, il ressort du point 57 de l’arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone (T‑146/15, EU:T:2016:469), que, en cas d’utilisation simultanée de plusieurs signes, il y a lieu de s’assurer, aux fins de l’application de l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, qu’une telle utilisation n’altère pas le caractère distinctif du signe enregistré, eu égard notamment aux pratiques commerciales du secteur.

19      L’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 vise l’hypothèse où, notamment, une marque enregistrée nationale ou de l’Union européenne est utilisée dans le commerce sous une forme légèrement différente par rapport à la forme sous laquelle l’enregistrement a été effectué. L’objet de cette disposition, qui évite d’imposer une conformité stricte entre la forme utilisée de la marque et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, est de permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en altérer le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. Conformément à son objet, le champ d’application matériel de cette disposition doit être considéré comme limité aux situations dans lesquelles le signe concrètement utilisé par le titulaire d’une marque pour désigner les produits ou les services pour lesquels celle-ci a été enregistrée constitue la forme sous laquelle cette même marque est commercialement exploitée. Dans de pareilles situations, lorsque la forme du signe utilisé dans le commerce diffère de la forme sous laquelle celui-ci a été enregistré uniquement par des éléments négligeables, de sorte que les deux signes peuvent être considérés comme globalement équivalents, la disposition susvisée prévoit que l’obligation d’usage de la marque enregistrée peut être remplie en rapportant la preuve de l’usage du signe qui en constitue la forme utilisée dans le commerce (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, point 27 et jurisprudence citée).

20      Ainsi, le constat d’une altération du caractère distinctif de la marque enregistrée requiert un examen du caractère distinctif et dominant des éléments ajoutés en se fondant sur les qualités intrinsèques de chacun de ces éléments ainsi que sur la position relative des différents éléments dans la configuration de la marque (arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, points 28 et 37).

21      Il convient, aux fins d’un tel constat, de tenir compte également des qualités intrinsèques et, en particulier, du degré plus ou moins élevé du caractère distinctif de la marque antérieure uniquement utilisée en tant que partie d’une marque complexe ou conjointement avec une autre marque. En effet, plus le caractère distinctif de celle-ci est faible, plus il sera aisément altéré par l’adjonction d’un élément lui-même distinctif, et plus la marque en question perdra son aptitude à être perçue comme une indication de l’origine du produit qu’elle désigne. La considération inverse s’impose également (arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, point 29).

22      De plus, il convient de rappeler que, pour que soit appliqué l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, il est nécessaire que les ajouts à la marque enregistrée n’altèrent pas le caractère distinctif de la marque sous la forme sous laquelle elle a été enregistrée, notamment en raison de leur position accessoire dans le signe ou de leur faible caractère distinctif (voir arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, point 31 et jurisprudence citée).

23      Enfin, il ressort également de la jurisprudence que le fait que la marque enregistrée soit parfois utilisée avec des éléments additionnels et parfois sans de tels éléments peut constituer l’un des critères permettant de conclure à l’absence d’altération du caractère distinctif [voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2016, Victor International/EUIPO – Ovejero Jiménez et Becerra Guibert (VICTOR), T‑204/14, non publié, EU:T:2016:448, point 42 et jurisprudence citée].

24      C’est à la lumière des considérations rappelées ci-dessus qu’il convient d’examiner si c’est à juste titre que la chambre de recours a conclu, en substance, au point 92 de la décision attaquée, que la requérante n’avait pas prouvé l’usage sérieux de la marque contestée, ni sous la forme enregistrée ni sous une forme qui constituait une différence acceptable, conformément à l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, et partant, a accueilli le recours formé devant elle.

 Sur le premier grief, relatif à la définition du public pertinent et à sa perception de la marque contestée

25      En ce qui concerne le public pertinent, la chambre de recours a considéré, au point 29 de la décision attaquée, qu’il était composé du grand public dès lors que les produits en cause faisaient en principe l’objet d’une distribution généralisée allant du rayon d’alimentation des grands magasins aux restaurants et aux cafés. Elle a ajouté, au point 35 de la décision attaquée, que les « vins tranquilles » relevant de la classe 33 s’adressaient au grand public et que le libellé de ces produits ne contenait aucune indication qui limiterait le public pertinent aux consommateurs qui connaissaient le chinois. Par ailleurs, au point 39 de la décision attaquée, elle a estimé, en substance, que ce public ne serait pas en mesure de prononcer ni de mémoriser les caractères chinois composant la marque contestée. Selon elle, ces caractères seraient plutôt perçus comme des signes abstraits dépourvus de signification ou comme des éléments décoratifs possédant un caractère distinctif inférieur à la moyenne.

26      La requérante conteste cette appréciation en faisant valoir, en substance, que le public pertinent n’était pas le grand public, mais était composé des consommateurs chinois. La chambre de recours aurait commis une erreur dans le profil linguistique du public pertinent qu’elle a retenu dans son analyse. En effet, dès lors que sa stratégie commerciale consiste à vendre ses produits principalement aux restaurants chinois en France, le public réellement confronté à la marque contestée est composé de personnes parlant ou comprenant le chinois, ou ayant une connaissance de base du chinois. Elle ajoute qu’il est bien connu, dans le secteur de l’alimentation et des boissons, que les produits locaux ou ethniques sont achetés et consommés principalement par un segment particulier du public pertinent, à savoir le public connaissant la langue du pays d’origine des produits, en l’occurrence le consommateur chinois. Ce public considérerait donc la marque contestée comme une indication de l’origine de ses produits et non comme des signes abstraits dépourvus de signification ou comme des éléments décoratifs.

27      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

28      Il convient de relever d’emblée que, à supposer qu’il y ait lieu de considérer que la requérante a fait usage de sa marque auprès de restaurateurs chinois et d’un public sinophone ainsi que l’a soutenu l’EUIPO lors de l’audience, il ne saurait pour autant en être déduit que seul le public sinophone est réellement et effectivement confronté à la marque contestée.

29      En effet, premièrement, aucune précision dans le libellé de la demande d’enregistrement de la marque figurative ne permet de considérer que les « vins tranquilles » pour lesquels la marque contestée est enregistrée sont exclusivement destinés à une clientèle d’origine chinoise et sinophone. En effet, les termes généraux utilisés pour la désignation des produits dans cette demande suggèrent plutôt qu’ils sont destinés à la clientèle moyenne habituelle de ces produits [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 novembre 2003, Oriental Kitchen/OHMI – Mou Dybfrost (KIAP MOU), T‑286/02, EU:T:2003:311, point 32]. Par ailleurs, il convient de constater que le simple fait que les caractères chinois composant la marque contestée puissent être identifiés par le public sinophone ne suffit pas à lui seul pour établir et définir une catégorie particulière de consommateurs visée par la marque contestée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 novembre 2003, KIAP MOU, T‑286/02, EU:T:2003:311, point 33).

30      Deuxièmement, bien que la stratégie commerciale de la requérante consiste à vendre ses produits principalement aux restaurants chinois en France, il n’en demeure pas moins que ses produits sont vendus par d’autre canaux commerciaux, ainsi que la requérante l’a elle-même indiqué au point 38 de la requête. Ce constat est au demeurant corroboré par certaines factures présentées par la requérante devant les instances de l’EUIPO, dont il ressort que les produits en cause sont vendus par certains grossistes qui ne s’adressent pas spécifiquement à des restaurateurs chinois ni à un public sinophone.

31      Troisièmement, il y a lieu de relever que, ainsi que cela ressort du point 9 de la décision attaquée, même si la requérante fait valoir que sa stratégie commerciale consiste à cibler environ 600 000 consommateurs chinois en vendant son vin par l’intermédiaire des restaurants chinois, il n’en demeure pas moins qu’elle a reconnu, dans le cadre du recours devant la chambre de recours à l’encontre de la décision de la division d’annulation, que ses produits s’adressaient également à d’autres consommateurs non sinophones qui fréquentaient régulièrement des restaurants chinois.

32      Quatrièmement, en tout état de cause, la requérante n’a pas produit d’éléments de preuve démontrant que les « vins tranquilles » étaient exclusivement destinés à un marché de niche composé des seuls consommateurs sinophones, de sorte qu’il doit être considéré que ces produits sont accessibles à l’achat pour des millions de consommateurs non sinophones en France, issus du grand public, qui fréquentent les restaurants chinois ou d’autres restaurants, notamment asiatiques, ou qui sont susceptibles de s’approvisionner auprès d’autres canaux commerciaux.

33      Partant, la requérante ne saurait valablement soutenir que la chambre de recours a fondé à tort la décision attaquée sur une supposition concernant la perception de « consommateurs généraux » au motif que ces derniers ne seraient pas réellement et effectivement confrontés à la marque contestée.

34      Il résulte de ce qui précède que doit être rejeté l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours a commis une erreur en considérant que le public pertinent était composé du grand public, qui ne serait pas en mesure de prononcer ni de mémoriser les caractères chinois composant la marque contestée, et non des consommateurs chinois qui seraient réellement confrontés à la marque contestée.

35      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les trois arrêts cités ci-après, d’ores et déjà invoqués par la requérante devant la chambre de recours et dont la pertinence a été rejetée à juste titre par cette dernière.

36      S’agissant de l’arrêt du 25 juin 2015, Loutfi Management Propriété intellectuelle (C‑147/14, EU:C:2015:420), force est de constater que la requérante fait une lecture et une interprétation erronées de la décision attaquée ainsi que de cet arrêt.

37      Premièrement, la requérante ne saurait valablement soutenir que, au point 34 de la décision attaquée, la chambre de recours a présenté les faits de cette affaire de manière inexacte en indiquant que les « produits en cause étaient des produits “halal” très spécifiques, préparés conformément à un rituel prescrit par la religion musulmane et, par conséquent, principalement destinés à un public musulman » et que « des produits spécifiques désignés par les marques en conflit justifiaient donc le caractère pertinent des consommateurs arabophones ». Il suffit de constater, à cet égard, que la chambre de recours s’est limitée à résumer la définition du public pertinent faite par la juridiction de renvoi ayant posé la question préjudicielle à la Cour. Aux points 13 et 14 de l’arrêt du 25 juin 2015, Loutfi Management Propriété intellectuelle (C‑147/14, EU:C:2015:420), la Cour a en effet indiqué, d’une part, que « [l]a juridiction de renvoi observ[ait] […] que les produits commercialisés […] [étaie]nt des produits “halal”, préparés conformément au rituel prévu par la religion musulmane et, en conséquence, essentiellement destinés à un public musulman » et, d’autre part, que « [l]a juridiction de renvoi en conclu[ai]t que le public pertinent d[eva]it, en l’occurrence, être défini comme étant le public composé de consommateurs musulmans d’origine arabe, qui consomm[ai]ent des produits alimentaires “halal” dans l’Union […] et qui [avaie]nt au moins une connaissance de base de la langue arabe écrite ».

38      Deuxièmement, la requérante ne saurait valablement soutenir que la Cour a jugé que le public pertinent devait inclure les consommateurs arabophones, non pas du fait des produits spécifiques désignés par les marques en cause, mais parce que ces marques contenaient des caractères arabes et faisaient l’objet d’un usage sérieux sur le marché auprès du public arabophone en Belgique. Une telle allégation ne trouve en effet aucun fondement dans l’arrêt du 25 juin 2015, Loutfi Management Propriété intellectuelle (C‑147/14, EU:C:2015:420). La Cour a uniquement répondu à la question préjudicielle en tenant compte du fait établi par la juridiction de renvoi selon lequel, en substance, « eu égard aux produits contestés le public pertinent était composé de consommateurs musulmans d’origine arabe, qui [avaie]nt au moins une connaissance de base de la langue arabe écrite ». Or, contrairement à ce que prétend la requérante, il n’en découle nullement que la Cour a jugé que dès lors qu’une marque contenait des caractères d’une langue étrangère, il convenait systématiquement d’inclure dans le public pertinent les consommateurs ayant une connaissance de cette langue.

39      Enfin, s’agissant des arrêts du 19 juillet 2017, Lackmann Fleisch - und Feinkostfabrik/EUIPO (медведь) (T‑432/16, non publié, EU:T:2017:527), et du 13 décembre 2018, Monolith Frost/EUIPO – Dovgan (PLOMBIR) (T‑830/16, EU:T:2018:941), force est de constater que la requérante fait une lecture erronée, ou à tout le moins partielle, de la décision attaquée.

40      Contrairement à ce que fait valoir la requérante au point 34 de la requête, la chambre de recours n’a pas écarté la pertinence de ces deux affaires au seul motif « qu’une partie importante des ressortissants des États baltes parl[ait] et compren[ait] le russe, et que la proportion du public qui parl[ait] et compren[ait] le chinois n’[étai]t pas aussi importante dans l’Union […], pas plus qu’en France, pays qui compt[ait] environ 600 000 citoyens chinois ». La requérante omet de préciser que la chambre de recours a souligné, au point 36 de la décision attaquée, qu’il ressortait de ces deux affaires que le Tribunal avait « confirmé qu’il était notoire qu’une partie importante des ressortissants des États baltes connaiss[ai]ent le russe ou le parl[ai]ent en tant que langue maternelle ». Or, il est difficilement contestable qu’une grande partie des ressortissants français ou plus largement de l’Union ne connaissent pas le chinois ou ne le parlent pas en tant que langue maternelle. C’est ce qui a conduit la chambre de recours à considérer en substance, en réponse à l’allégation non étayée de la requérante selon laquelle la France comptait environ 600 000 citoyens chinois, que la proportion du public qui parlait et comprenait le chinois par rapport à la population totale de la France ne pouvait être considérée comme une partie substantielle des consommateurs moyens français, justifiant que ne soit pas suivi le raisonnement retenu dans les deux arrêts cités au point 39 ci-dessus. Les chiffres avancés par la requérante aux points 35 et 36 de la requête, outre leur caractère non étayé, ne sauraient remettre en cause ce constat.

41      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier grief invoqué par la requérante.

 Sur le second grief, relatif à la nature de l’usage

42      Aux points 41 à 62 de la décision attaquée, la chambre de recours a, en substance, considéré que, dans la forme sous laquelle la marque était utilisée, il était manifeste que les éléments verbaux distinctifs et dominants « dragon de chine » et la représentation d’un dragon altéraient le caractère distinctif de la marque contestée.

43      La requérante conteste cette appréciation. Premièrement, elle fait, en substance, valoir que le constat de l’altération du caractère distinctif de la marque contestée est fondé sur la prémisse erronée selon laquelle il convient de tenir compte de la perception du grand public, qui ne sera pas en mesure de prononcer ni de mémoriser les caractères chinois composant la marque contestée, et non des consommateurs chinois qui seraient réellement confrontés à la marque contestée. Deuxièmement, elle prétend, en substance, que n’altère pas le caractère distinctif de la marque contestée l’usage du signe suivant sur ses produits ou dans les publicités :

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44      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante en renvoyant au raisonnement et aux conclusions de la chambre de recours.

45      En premier lieu, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel le constat de l’altération du caractère distinctif de la marque contestée est fondé sur une prémisse erronée. En effet, ainsi qu’il a été indiqué au point 34 ci-dessus, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en considérant que le public pertinent était composé du grand public, qui ne serait pas en mesure de prononcer ni de mémoriser les caractères chinois composant la marque contestée, et non des consommateurs chinois.

46      En deuxième lieu, il convient de relever que, la demande de déchéance de la marque contestée ayant été déposée le 29 mai 2018, la période de cinq années visée à l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 s’étend, ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours au point 24 de la décision attaquée, du 29 mai 2013 au 28 mai 2018.

47      En troisième lieu, il convient de rappeler que la marque contestée sous sa forme enregistrée est une marque figurative composée de trois caractères de l’alphabet chinois. Ainsi que la chambre de recours le note à juste titre au point 39 de la décision attaquée, le public pertinent ne sera pas en mesure de prononcer ni de mémoriser ces caractères chinois, lesquels seront plutôt perçus comme des signes abstraits dépourvus de signification ou comme des éléments décoratifs faisant référence à la Chine ou à l’Asie. Il convient donc de considérer que, eu égard aux produits en cause, les caractères chinois composant la marque contestée possèdent un caractère distinctif inférieur à la moyenne.

48      En quatrième lieu, il convient de constater que la chambre de recours a tenu compte, aux fins de son raisonnement relatif à l’altération du caractère distinctif de la marque contestée, de l’ensemble des éléments de preuve présentés par la requérante tels que mentionnés au point 5 de la décision attaquée (annexes 1 à 11) ainsi qu’au point 9 de la décision attaquée (annexes 12 à 18).

49      Parmi les éléments de preuve présentés par la requérante dans lesquels la marque contestée apparaît, la chambre de recours a souligné, au point 45 de la décision attaquée, qu’il ressortait des annexes 8 à 11 que la marque contestée telle qu’utilisée sur les produits de la requérante était représentée de la façon suivante :

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50      Au point 46 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté à juste titre que les éléments de preuve figurant dans les annexes 7 et 7 bis et consistant, d’une part, en des factures émises par un grossiste attestant la vente du vin KASITE et, d’autre part, en des factures émises par la requérante concernant des ventes du vin KASITE à un grossiste faisaient référence à l’usage de la marque Dragon de Chine KASITE. Par ailleurs, il convient de constater, s’agissant des autres éléments de preuve présentés par la requérante aux annexes 9 à 11, consistant en des catalogues et des fiches d’information des produits représentant l’image d’une bouteille de vin, que les caractères chinois composant la marque contestée apparaissent systématiquement en combinaison avec d’autres termes tels que « dragon de chine » ou « kasite » ainsi qu’avec la représentation d’un dragon. Ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours au point 51 de la décision attaquée, aucun des éléments de preuve ne montre l’utilisation de la marque contestée sous une forme isolée ou, à tout le moins, clairement à l’écart des éléments verbaux « dragon de chine » ou « kasite ». Il y a donc lieu de constater que la manière dont la combinaison mentionnée ci-dessus est utilisée dans les éléments de preuve rapportés en l’espèce modifie le caractère distinctif de la marque contestée telle qu’elle est enregistrée.

51      À cet égard, il convient de souligner que sur les emballages des produits ou dans les publicités (voir points 43 et 49 ci-dessus), la marque contestée, qui apparaît dans une très petite taille, est quasi systématiquement accompagnée des éléments verbaux « dragon de chine » et de la représentation d’un dragon, lesquels figurent ensemble et sont très proches l’un de l’autre. Par ailleurs, dans la mesure où la marque contestée est composée de trois caractères de l’alphabet chinois de très petite taille, les éléments ajoutés sont toujours clairement visibles et dominent l’impression d’ensemble.

52      C’est donc à juste titre que la chambre de recours a conclu, aux points 60 et 61 de la décision attaquée, que la marque contestée telle qu’utilisée, c’est-à-dire dans une position secondaire et dans une taille beaucoup plus petite que les éléments verbaux distinctifs et dominants « dragon de chine » et la représentation d’un dragon, serait perçue par le public pertinent comme un élément décoratif et non comme une indication d’origine des produits.

53      Ce constat ne saurait être remis en cause par l’argument selon lequel, en substance, il est courant dans le secteur du vin que deux ou plusieurs marques fassent l’objet d’un usage conjoint et autonome sur les étiquettes, avec ou sans le nom de la société du fabricant comme cela est le cas en l’espèce avec la marque Dragon de Chine. En effet, force est de constater que les éléments verbaux « dragon de chine » sont toujours clairement visibles en ce qu’ils occupent une position dominante dans l’impression d’ensemble produite par la marque telle qu’utilisée. En tout état de cause, à supposer établi que ces éléments soient une marque, il n’en demeure pas moins que cela n’est pas de nature à infirmer l’altération par ces termes du caractère distinctif de la marque contestée, dès lors que le public pertinent ne perçoit plus ces trois caractères de l’alphabet chinois comme une indication de l’origine des produits en cause, conformément à la jurisprudence citée au point 17 ci-dessus.

54      Dès lors, la situation en l’espèce n’est pas la même que celle dans laquelle la forme du signe utilisé dans le commerce diffère uniquement par des éléments négligeables de la forme sous laquelle celui-ci a été enregistré. Partant, ne peuvent pas être considérées comme globalement équivalentes, d’une part, la marque contestée et, d’autre part, la combinaison suivante :

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55      Eu égard à l’examen ci-dessus du caractère distinctif et dominant des éléments ajoutés, fondé sur les qualités intrinsèques de chacun de ces éléments ainsi que sur la position relative des différents éléments, il y a lieu de considérer que les variations de l’usage démontrées altèrent le caractère distinctif de la marque contestée telle qu’elle est enregistrée, ainsi que la chambre de recours l’a constaté à juste titre.

56      Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas méconnu l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 ni l’article 18, paragraphe 1, sous a), du même règlement, compte tenu de l’altération de la marque contestée dans les éléments de preuve produits par la requérante.

57      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument selon lequel, en substance, les comparaisons effectuées par la chambre de recours avec différents arrêts du Tribunal seraient erronées au motif qu’elles seraient toutes fondées sur des prémisses incorrectes relevées par la requérante dans le cadre de son recours. En effet, il suffit de relever, à cet égard, que l’examen du moyen unique n’a permis de constater aucune prémisse erronée à la base de l’analyse de la décision attaquée.

58      Il y a lieu d’ajouter que cette conclusion n’est pas non plus remise en cause par l’arrêt du tribunal judiciaire de Bordeaux (France) du 13 avril 2021, invoqué par la requérante, lequel aurait correctement appliqué le droit de l’Union en considérant que la marque contestée avait fait l’objet d’un usage sérieux.

59      Force est de constater que cette décision nationale n’est pas de nature à remettre en cause la légalité des conclusions de la décision attaquée. En effet, il suffit de rappeler que le régime des marques de l’Union européenne est autonome et que la légalité des décisions des chambres de recours s’apprécie uniquement sur la base du règlement 2017/1001, de sorte que l’EUIPO ou, sur recours, le Tribunal ne sont pas tenus de parvenir à des résultats identiques à ceux atteints par les administrations ou les juridictions nationales dans une situation similaire [voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2015, LTJ Diffusion/OHMI – Arthur et Aston (ARTHUR & ASTON), T‑83/14, EU:T:2015:974, point 37 et jurisprudence citée].

60      Dès lors, la décision nationale invoquée par la requérante n’est pas susceptible de remettre en cause la légalité des appréciations de la chambre de recours.

61      Enfin, il y a lieu d’ajouter que, à supposer qu’il ait fallu considérer que le public réellement confronté à la marque contestée était composé de personnes parlant ou comprenant le chinois, ou ayant une connaissance de base du chinois comme le soutient la requérante, un tel constat n’aurait pas infirmé la conclusion selon laquelle les variations de l’usage démontrées altèrent le caractère distinctif de la marque contestée telle qu’elle est enregistrée. En effet, quand bien même le public sinophone serait en mesure de prononcer et de mémoriser les caractères chinois composant la marque contestée, il n’en demeure pas moins que, compte tenu notamment de la très petite taille de ces caractères sur les emballages des produits ou dans les publicités, les éléments verbaux distinctifs et dominants « dragon de chine » et la représentation d’un dragon ajoutés aux caractères chinois altèrent le caractère distinctif de la marque contestée, y compris pour ce public.

62      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le moyen unique soulevé par la requérante.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Castel Frères est condamnée aux dépens.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 octobre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.