Language of document : ECLI:EU:T:2021:662

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

6 octobre 2021 (*)

« Produits phytopharmaceutiques – Substance active chlorothalonil – Non-renouvellement de l’inscription à l’annexe du règlement d’exécution (UE) no 540/2011 – Procédure d’évaluation – Droits de la défense – Proposition de classification d’une substance active – Sécurité juridique – Proportionnalité – Principe de précaution »

Dans l’affaire T‑518/19,

Sipcam Oxon SpA, établie à Milan (Italie), représentée par Mes C. Mereu et P. Sellar, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme F. Castilla Contreras, MM. A. Dawes et I. Naglis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2019/677 de la Commission, du 29 avril 2019, concernant le non-renouvellement de l’approbation de la substance active chlorothalonil, conformément au règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et modifiant le règlement d’exécution (UE) no 540/2011 de la Commission (JO 2019, L 114, p. 15),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Spielmann, président, Mme O. Spineanu‑Matei et M. R. Mastroianni (rapporteur), juges,

greffier : Mme S. Jund, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 28 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le chlorothalonil est une substance active utilisée notamment comme fongicide pour les céréales, pour les pommes de terre et pour les légumes.

2        La requérante, Sipcam Oxon SpA, est une société qui commercialise notamment du chlorothalonil et des produits phytopharmaceutiques contenant du chlorothalonil dans l’Union européenne. La requérante ainsi que deux autres sociétés faisaient partie du « groupe de travail sur le chlorothalonil » qui collaborait dans le but de présenter des renseignements pertinents aux autorités compétentes de l’Union dans le cadre du renouvellement de l’approbation du chlorothalonil.

3        Le chlorothalonil a été inscrit à l’annexe I de la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1), par la directive 2005/53/CE de la Commission, du 16 septembre 2005, modifiant la directive 91/414 en vue d’y inscrire les substances actives chlorothalonil, chlorotoluron, cyperméthrine, daminozide et thiophanate-méthyl (JO 2005, L 241, p. 51).

4        Les substances actives figurant à l’annexe I de la directive 91/414 sont réputées être approuvées en vertu du règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414 (JO 2009, L 309, p. 1), et sont répertoriées dans la partie A de l’annexe du règlement d’exécution (UE) no 540/2011 de la Commission, du 25 mai 2011, portant application du règlement no 1107/2009 en ce qui concerne la liste des substances actives approuvées (JO 2011, L 153, p. 1). L’approbation du chlorothalonil, telle que résultant de son inclusion dans ladite annexe, expirait le 31 octobre 2019.

5        Le 26 février 2013, la requérante a présenté une demande de renouvellement de l’approbation du chlorothalonil conformément à l’article 1er du règlement d’exécution (UE) no 844/2012 de la Commission, du 18 septembre 2012, établissant les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de la procédure de renouvellement des substances actives, conformément au règlement  no 1107/2009 (JO 2012, L 252, p. 26), et dans les délais qui y sont prescrits. La requérante était l’une des trois sociétés ayant présenté une demande de renouvellement du chlorothalonil.

6        En avril 2015, la requérante a soumis les dossiers complémentaires requis conformément à l’article 6 du règlement d’exécution no 844/2012. L’État membre rapporteur (ci-après l’« EMR »), le Royaume des Pays-Bas, a confirmé que le dossier était complet.

7        Le 2 septembre 2016, l’EMR en concertation avec l’État membre corapporteur, le Royaume de Belgique, a présenté un projet de rapport d’évaluation du renouvellement (ci-après le « rapport d’évaluation de l’EMR »), qu’il a transmis à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et à la Commission.

8        Le 24 octobre 2016, l’EFSA a diffusé, en vertu de l’article 12 du règlement d’exécution no 844/2012, l’évaluation initiale pour observations à l’ensemble des États membres ainsi qu’à la requérante.

9        Le 21 décembre 2016 la requérante a soumis ses commentaires.

10      La période de consultation a pris fin le 24 décembre 2016.

11      Le 4 janvier 2017, l’EFSA a transmis l’ensemble des observations à la Commission. Les observations recueillies ont été transmises à l’EMR afin que celui‑ci les compile et les évalue sous la forme d’un tableau de déclaration, ainsi qu’à la requérante qui a été invitée à y répondre au plus tard le 20 janvier 2017.

12      Le 24 février 2017, l’EFSA et l’EMR sont convenus qu’il était nécessaire de procéder à une consultation d’experts et que la requérante devait fournir des informations supplémentaires en vertu de l’article 13, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 844/2012.

13      La requérante a reçu cette demande d’informations supplémentaires le 28 février 2017.

14      Conformément à l’article 13, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 844/2012, la procédure « arrêt de l’horloge » d’un mois a débuté le 28 février 2017 et pris fin le 28 mars 2017.

15      Le 24 mars 2017, les membres du groupe de travail sur le chlorothalonil ont répondu à la demande d’informations supplémentaires.

16      En août 2017, le rapport révisé d’évaluation du renouvellement établi par l’EMR a été présenté en vue de la réunion d’experts de l’EFSA.

17      Des réunions d’experts se sont tenues du 11 au 14 septembre 2017, du 13 au 15 septembre 2017, du 19 au 21 septembre 2017 et du 18 au 22 septembre 2017, en matière de toxicologie pour les mammifères, de devenir de la substance dans l’environnement (e-fate), de résidus et d’écotoxicologie. L’avis délivré par la réunion d’experts a conclu qu’il n’était pas à exclure que le chlorothalonil soit classé en tant que cancérogène de catégorie 1B. Les experts ont par ailleurs estimé que le risque aigu pour les amphibiens et le risque chronique pour les poissons n’étaient pas acceptables. Il a, en outre, été considéré que tous les métabolites présents dans les eaux souterraines étaient pertinents en raison du potentiel cancérogène de la substance et qu’une méthode fondée sur les références croisées était inappropriée. Une préoccupation liée à la génotoxicité des métabolites R417888 et SDS 3701 n’était pas à exclure et des données lacunaires concernant l’évaluation des risques pour le consommateur ont été mises en évidence.

18      Le 6 décembre 2017, l’EFSA a communiqué à la Commission ses conclusions sur l’examen par les pairs de l’évaluation du risque lié à la substance active chlorothalonil (ci-après les « conclusions de l’EFSA »).

19      Le 29 janvier 2018, la Commission a demandé à la requérante de présenter ses commentaires sur les conclusions de l’EFSA au plus tard le 19 février 2018.

20      Le 19 février 2018, la requérante a communiqué à la Commission ses commentaires sur les conclusions de l’EFSA.

21      Le 17 avril 2018, la requérante a demandé à la Commission de réviser ses positions eu égard à ses commentaires.

22      Le 18 juin 2018, la Commission a délivré le projet de rapport sur le renouvellement de l’approbation de la substance litigieuse et l’a envoyé à la requérante en invitant cette dernière à formuler dans un délai de 14 jours des observations sur ce projet de rapport.

23      Le 1er juillet 2018, la requérante a présenté des observations sur le projet de rapport sur le renouvellement de l’approbation de la substance litigieuse.

24      La proposition de ne pas renouveler la substance litigieuse a été évoquée au cours des réunions du « Scopaff » [comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale (Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed)] des 19 et 20 juillet 2018. D’autres discussions ont eu lieu lors du Scopaff ultérieur des 23 et 24 octobre 2018. Par un vote du 22 mars 2019, le Scopaff s’est prononcé en faveur d’une décision de ne pas renouveler la substance litigieuse.

25      En février 2019, la requérante a envoyé à la Commission des déclarations supplémentaires.

26      Le 29 avril 2019 la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2019/677, concernant le non-renouvellement de l’approbation de la substance active chlorothalonil, conformément au règlement no 1107/2009, et modifiant le règlement d’exécution no 540/2011 (JO 2019, L 114, p. 15) (ci-après le « règlement attaqué »). Les considérants 9 à 11 de celui‑ci énoncent ce qui suit :

« 9      L’[EFSA] a relevé une préoccupation essentielle en ce qui concerne la contamination des eaux souterraines par les métabolites du chlorothalonil. En particulier, les métabolites R417888, R419492, R471811, SYN507900, M3, M11, M2, M7 et M10 devraient dépasser la valeur paramétrique de 0,1 μg/L dans tous les scénarios pertinents pour toutes les utilisations proposées du chlorothalonil. Il est donc impossible à ce jour d’établir que la présence de métabolites du chlorothalonil dans les eaux souterraines n’aura pas d’effets nocifs sur la santé humaine ni d’effets inacceptables sur lesdites eaux comme l’exige l’article 4, paragraphe 3, [sous] b), du règlement […] no 1107/2009. En outre, l’[EFSA] n’a pas pu exclure un problème de génotoxicité concernant les résidus auxquels les consommateurs seront exposés et a mis en évidence l’existence d’un risque élevé pour les amphibiens et les poissons pour toutes les utilisations évaluées.

10      Qui plus est, l’évaluation des risques n’a pas pu être menée à terme sur plusieurs aspects en raison de données insuffisantes dans le dossier. En particulier, l’évaluation du risque, pour les consommateurs, lié à l’exposition par voie alimentaire n’a pas pu être réalisée faute de données permettant de confirmer la définition des résidus dans les végétaux et l’évaluation de l’exposition du bétail, y compris l’évaluation toxicologique d’un métabolite.

11      En outre, le chlorothalonil est classé comme cancérogène de catégorie 2 conformément au règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil […], alors que l’[EFSA] indique dans ses conclusions que le chlorothalonil devrait être classé comme cancérogène de catégorie 1B. Pour les utilisations représentatives envisagées, les niveaux de résidus visés à l’article 18, paragraphe 1, [sous] b), du règlement (CE) no 396/2005 n’ont pas pu être confirmés pour les produits d’origine végétale et animale en raison de l’absence de données sur l’ampleur et la toxicité des métabolites inclus dans la définition des résidus pour l’évaluation des risques. Dès lors, les exigences énoncées à l’annexe II, point 3.6.3, du règlement […] no 1107/2009 ne sont donc pas satisfaites. »

 Procédure et conclusions des parties

27      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 juillet 2019, la requérante a introduit le présent recours.

28      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 juillet 2019, la requérante a introduit une demande en référé, visant à ce qu’il soit sursis à l’exécution du règlement attaqué et à ce que soit adoptée toute mesure provisoire appropriée.

29      Le 10 octobre 2019, la Commission a déposé son mémoire en défense.

30      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 9 décembre 2019. La duplique est parvenue à ce dernier le 7 février 2020.

31      Par ordonnance du 26 septembre 2019, Sipcam Oxon/Commission (T‑518/19 R, non publiée, EU:T:2019:696), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé et a réservé les dépens.

32      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

33      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 28 avril 2021.

34      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué ;

–        condamner la Commission aux dépens.

35      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

36      À l’appui de son recours, la requérante invoque six moyens, tirés, le premier, d’erreurs manifestes d’appréciation commises par la Commission, le deuxième, de la violation des droits de la défense, le troisième, de l’interdiction d’agir ultra vires, le quatrième, de la violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, le cinquième, de la violation du principe de proportionnalité et, le sixième, de la violation du principe de précaution.

 Sur le premier moyen, tiré derreurs manifestes d’appréciation commises par la Commission

37      La requérante fait valoir que le règlement attaqué est entaché d’erreurs manifestes d’appréciation, en ce que la Commission a mis erronément en évidence des préoccupations concernant la substance litigieuse, ainsi que des données lacunaires dans l’évaluation de celle‑ci. Ce moyen peut être divisé en quatre branches concernant, respectivement, l’appréciation de la pertinence des métabolites contaminant les eaux souterraines, les préoccupations quant à la génotoxicité des résidus, les risques pour les amphibiens et les poissons et les données lacunaires.

 Sur l’appréciation de la pertinence des métabolites contaminant les eaux souterraines

38      La requérante allègue une erreur manifeste d’appréciation concernant la pertinence des métabolites du chlorothalonil qui sont susceptibles de contaminer les eaux souterraines à la suite de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant du chlorothalonil.

39      Premièrement, la requérante fait valoir que le rejet de la méthode des références croisées a été fondé sur les commentaires de ce qui s’est avéré n’être qu’une minorité d’experts des 28 États membres. Aucune majorité simple ne se serait dégagée de l’ensemble des États membres, mais tout au plus une majorité de ceux ayant soumis des commentaires.

40      Deuxièmement, selon la requérante, le document d’orientation pertinent avait expressément autorisé la méthode fondée sur les références croisées et tant l’EMR que l’EFSA ont considéré que ladite méthode, retenue par la requérante, était valide.

41      Troisièmement, la requérante fait valoir que la Commission aurait dû, en sa qualité de gardienne des traités, examiner si le rejet de la méthode fondée sur les références croisées était scientifiquement justifié et, sous l’angle tant scientifique que juridique, adapté. Elle y aurait été d’autant plus tenue dès lors qu’elle avait adopté le guide indiquant que cette méthode était valide, ainsi que l’EMR, l’EFSA et les autres États membres l’auraient confirmé. Dans l’hypothèse où la définition de la méthode fondée sur les références croisées n’était pas claire, le doute aurait dû profiter à la méthode choisie par la requérante.

42      Enfin, la requérante soutient que, en recourant à la méthode fondée sur les références croisées, elle a démontré que les métabolites liés à la substance litigieuse n’étaient pas pertinents dans les eaux souterraines.

43      La Commission conteste les arguments de la requérante.

44      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon le considérant 9 du règlement attaqué, l’EFSA « a relevé une préoccupation essentielle en ce qui concerne la contamination des eaux souterraines par les métabolites du chlorothalonil [ ; e]n particulier, les métabolites R417888, R419492, R471811, SYN507900, M3, M11, M2, M7 et M10 devraient dépasser la valeur paramétrique de 0,1 μg/L dans tous les scénarios pertinents pour toutes les utilisations proposées du chlorothalonil [ ; i]l est donc impossible à ce jour d’établir que la présence de métabolites du chlorothalonil dans les eaux souterraines n’aura pas d’effets nocifs sur la santé humaine ni d’effets inacceptables sur lesdites eaux comme l’exige l’article 4, paragraphe 3, [sous] b), du règlement […] no 1107/2009 ».

45      En outre, il convient de rappeler que le document d’orientation applicable en l’espèce (Sanco/221/2000 – rev. 10 – final, 25 février 2003) indique que, « [p]our les substances mères actives classées parmi les substances cancérogènes de catégorie 1 ou 2 (Car. Cat. 1 ; R45) ou (Car. Cat. 2 ; R45), tous les métabolites sont considérés comme “pertinents”  ; pour les substances mères actives classées parmi les substances cancérogènes de catégorie 3 (Car. Cat. 3 ; R40), des éléments probants doivent être fournis pour prouver que le métabolite n’entraînera aucun risque de cancérogénicité [ ; i]l peut s’agir de tests appropriés de dépistage de la cancérogénicité, d’éléments de preuve mécanistiques (par exemple, l’absence d’effet mécanistique probable conduisant à la cancérogénicité avec la molécule mère, comme la pathologie d’un organe cible, la prolifération des peroxisomes, l’induction des cytochromes P450 ou le métabolisme des hormones thyroïdiennes) ou d’une évaluation toxicologique probante tenant compte de toutes les données disponibles ».

46      Il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que la terminologie utilisée dans le document d’orientation se réfère aux classifications prévues par la directive 67/548/CEE du Conseil, du 27 juin 1967, concernant le rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses (JO 1967, 196, p. 1), et non à la législation actuellement en vigueur sur la classification des substances, c’est-à-dire le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548 et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1). La classification du chlorothalonil comme substance cancérogène de catégorie 2 au sens du règlement no 1272/2008 correspond aux substances cancérogènes de catégorie 3 [Carc. Cat.3 (R40)] au sens de la directive 67/548.

47      Par conséquent, il doit être constaté que, sur la base de la classification harmonisée applicable à la substance litigieuse aux fins du document d’orientation applicable (Sanco/221/2000 – rev. 10 – final, 25 février 2003), la requérante était tenue de produire les éléments de preuve permettant d’établir l’absence de cancérogénicité des métabolites du chlorothalonil.

48      Or, l’examen par les pairs a conclu que la requérante n’était pas parvenue à démontrer l’absence de cancérogénicité desdits métabolites.

49      S’agissant de la méthode des références croisées, il y a lieu de relever, ainsi qu’il a été confirmé par les parties lors de l’audience, que, si le document d’orientation pertinent permettait le recours à ladite méthode, l’utilisation de cette méthode n’était, contrairement à ce que soutient la requérante, pas obligatoire. En l’espèce, les experts se sont interrogés sur l’utilisation de la méthode des références croisées proposée par la requérante, mais la plupart des experts participants ne l’ont pas jugée appropriée pour confirmer l’absence de cancérogénicité des métabolites du chlorothalonil. En outre, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le rejet de la méthode des références croisées a été fondé sur les commentaires d’une minorité d’experts des 28 États membres, il convient de noter qu’elle n’indique la disposition de la règlementation applicable qui obligerait tous les États membres à être nécessairement représentés au processus d’examen par les pairs. La requérante n’explique pas non plus en quoi le fait que la Commission a suivi l’avis exprimé par la majorité des experts ayant soumis des commentaires constituerait une erreur manifeste d’appréciation.

50      Dans ces conditions, cette branche du premier moyen doit être rejetée.

 Sur les préoccupations quant à la génotoxicité des résidus

51      La requérante allègue une erreur manifeste d’appréciation concernant les préoccupations liées à la génotoxicité. Elle considère que, sur la base des données scientifiques figurant dans le dossier de renouvellement, aucune préoccupation n’aurait dû être relevée par la Commission dans le règlement attaqué.

52      En particulier, selon la requérante, compte tenu des indices scientifiques surabondants au soutien du potentiel non génotoxique des métabolites de la substance litigieuse, la Commission a omis de prendre en considération, d’une part, l’ensemble des informations disponibles qu’elle a soumises concernant la génotoxicité liée aux métabolites de la substance litigieuse, qui sont constituées à la fois d’études in vivo et d’études in vitro, et, d’autre part, d’autres informations disponibles – parmi lesquelles l’ensemble des essais de mutation réverse sur bactéries et les trois autres essais de mutation génique sur mammifères, utilisés à des concentrations similaires et plus élevées. L’ensemble de ces informations démontrerait sans conteste que les métabolites de la substance litigieuse ne présentent aucun potentiel génotoxique.

53      S’agissant des métabolites R417888, R613636 et R182281, la requérante indique avoir communiqué au cours de la procédure « arrêt de l’horloge » des données adéquates permettant d’exclure toute préoccupation quant à la génotoxicité.

54      La requérante considère que de nouvelles préoccupations ont été évoquées au cours de la réunion d’experts de l’EFSA, préoccupations qu’elle, tout comme l’EMR, ne pouvait pas anticiper et au sujet desquelles elle n’a pas été autorisée à répondre par la soumission de données complémentaires.

55      La Commission conteste les arguments de la requérante.

56      À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que, contrairement à ce que soutient, en substance, la requérante, un désaccord entre l’avis de l’EMR et les conclusions de l’EFSA ne constitue pas une erreur manifeste d’appréciation. En effet, il ressort clairement du cadre réglementaire que la position de l’EMR dans le processus d’évaluation n’est pas décisive. Il collecte les données et propose une décision, mais c’est la Commission qui décide, en dernier ressort [voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2008, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑75/06, EU:T:2008:317, point 164, et du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 269]. Le processus d’examen par les pairs garantit que l’évaluation de l’EMR fasse l’objet d’un examen minutieux par les experts d’autres États membres et l’EFSA et que ces autres avis soient pris en compte.

57      S’agissant des informations soumises par la requérante concernant la génotoxicité des métabolites pertinents, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, qu’il ressort des conclusions de l’EFSA, en ce qui concerne le métabolite R417888, que la requérante a fourni des données insuffisantes sur la mutation génique et l’aneugénicité, deux des trois paramètres qui doivent être examinés aux fins de la détermination du potentiel génotoxique conformément aux exigences de l’Union en matière de données applicables aux substances actives. En outre, dans les mêmes conclusions, il est indiqué que les experts ont estimé, lors de l’examen par les pairs, que les études fournies par la requérante n’abordaient pas l’aneugénicité en ce qui concerne le métabolite R613636 et que, pour le métabolite R182281, le suivi in vivo s’imposait étant donné que les essais in vitro de mutations géniques avaient donné des résultats positifs et équivoques.

58      La requérante fait valoir, dans sa réplique, que les préoccupations liées à la génotoxicité avaient été évoquées pour la première fois au cours de la réunion d’experts de l’EFSA, qu’elle ne pouvait pas les anticiper et qu’elle n’a pas été autorisée à répondre par la soumission de données complémentaires.

59      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, contrairement à ce que soutient la requérante, l’avis initial de l’EMR concernant le caractère suffisant des données ne démontre aucune erreur manifeste d’appréciation. En effet, la finalité de la phase d’examen par les pairs est précisément d’examiner l’avis initial de l’EMR et de parvenir à une conclusion générale sur la question de savoir si une substance répond aux critères d’approbation. S’agissant du grief tiré du fait que la requérante n’a pas été autorisée à soumettre de données complémentaires, il sera examiné dans le cadre du deuxième moyen du recours.

60      En tout état de cause, il convient de constater, en ce qui concerne le potentiel génotoxique du métabolite R417888, que des doutes concernant ce métabolite avaient déjà été soulevés au moment de la procédure « arrêt de l’horloge » et ont été confirmés par une demande d’informations complémentaires à l’égard de ce métabolite, envoyée au cours de cette période de ladite procédure.

61      À la lumière de ce qui précède, cette branche du premier moyen doit être rejetée.

 Sur les risques pour les amphibiens et les poissons

62      La requérante allègue que, en concluant à l’existence d’un risque pour les amphibiens et pour les poissons, la Commission a fait abstraction des informations scientifiques disponibles et valables qui avaient été présentées au cours du processus de renouvellement de la substance litigieuse.

63      Premièrement, selon la requérante, les experts auraient dû conclure, tout comme l’EMR, que l’étude réalisée au moyen de la méthode par exposition pulsée qu’elle avait présentée excluait tout risque pour les amphibiens et les poissons.

64      Deuxièmement, contrairement à ce qui serait préconisé dans le document d’orientation pertinent, l’EFSA aurait eu tort de rejeter l’approche privilégiant une évaluation combinée des risques. En particulier, elle aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle aurait exigé la production de données relatives aux amphibiens, alors que cette production n’aurait pas été juridiquement requise, et en ce qu’elle aurait refusé de prendre en considération les renseignements fondés sur une évaluation combinée des amphibiens et des poissons.

65      La requérante ajoute que la Commission sous-estime le rôle joué par l’EMR, qui a été son interlocuteur principal tout au long de la procédure. Cette approche serait confirmée par le document d’orientation Sanco/10387/2010 (Rev. 8 – 28 octobre 2010) ainsi que par les « Orientations administratives sur la soumission de dossiers et de rapports d’évaluation pour l’examen par les pairs de substances actives pesticides » (Administrative guidance on submission of dossiers and assessment reports for the peer-review of pesticide active substances) de l’EFSA.

66      Enfin, la requérante fait valoir que l’EFSA aurait, en substance, constaté que le risque pour les amphibiens et les poissons était faible.

67      La Commission conteste les arguments de la requérante.

68      En l’espèce, tout d’abord, il y a lieu de considérer que, ainsi qu’il a déjà été relevé dans le cadre de la deuxième branche du présent moyen, un éventuel désaccord entre l’EMR et la majorité des experts ne constitue pas une preuve d’une erreur manifeste d’appréciation, l’avis de l’EMR n’étant qu’une première étape dans l’évaluation.

69      En outre, s’agissant du passage du document d’orientation pertinent concernant les organismes aquatiques invoqué par la requérante, il convient de relever que, contrairement à ce que celle-ci soutient, ce document confirme que la pertinence d’une évaluation combinée des risques couvrant à la fois les amphibiens et les poissons est une question qui relève de l’appréciation des experts. À cet égard, il y a lieu de relever que les experts ont estimé que, sur la base des données disponibles, une évaluation combinée n’était pas possible, notamment parce que les données sur les amphibiens montraient que la sensibilité de ces derniers était supérieure à celle des poissons. Il convient, par conséquent, de rejeter le grief de la requérante selon lequel l’EFSA aurait eu tort de rejeter l’approche privilégiant une évaluation combinée des risques.

70      Enfin, s’agissant de l’affirmation de la requérante selon laquelle l’EFSA aurait, en substance, constaté que le risque pour les amphibiens et les poissons était faible, il convient de relever qu’elle est erronée. Au contraire, l’EFSA, dans ses conclusions, a conclu que ce risque était élevé : « Un risque élevé pour les amphibiens (aigu et chronique) et pour les poissons (chronique) lié au chlorothalonil a été mis en évidence pour toutes les utilisations représentatives. »

71      À la lumière de ce qui précède, il convient de rejeter cette branche du premier moyen.

 Sur les données lacunaires

72      La requérante allègue une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’existence de lacunes dans les données. Premièrement, elle considère que l’EMR a déclaré que le dossier soumis en juillet 2015 était « complet », que des données suffisantes avaient été communiquées dans le dossier du renouvellement afférent à la substance litigieuse afin de démontrer qu’il ne découlait, de la consommation de denrées telles que les tomates, l’orge, le blé et les pommes de terre traités en conformité avec les utilisations envisagées pour la substance litigieuse, aucun risque chronique inacceptable pour la santé humaine et que d’éventuelles lacunes n’étaient apparues qu’à un stade tardif de la procédure, en septembre 2017. En outre, aucune donnée supplémentaire ne lui aurait été demandée après la réunion d’experts de l’EFSA.

73      Deuxièmement, en ce qui concerne les méthodes d’analyse utilisées dans les études toxicologiques, la requérante soutient, d’une part, que les informations toxicologiques disponibles ont en réalité toutes été fournies dans le dossier actualisé de renouvellement, mais qu’elles n’ont pas été prises en compte et, d’autre part, que cette prétendue donnée lacunaire, prise isolément ou en association avec d’autres données lacunaires alléguées, n’est pas suffisante pour justifier le non‑renouvellement de la substance litigieuse. En effet, les données lacunaires n’empêcheraient pas, à elles seules, l’approbation d’une substance.

74      La Commission conteste les arguments de la requérante.

75      À cet égard, il convient, tout d’abord, de rappeler que, selon le considérant 10 du règlement attaqué, « l’évaluation des risques n’a pas pu être menée à terme sur plusieurs aspects en raison de données insuffisantes dans le dossier [ ; e]n particulier, l’évaluation du risque, pour les consommateurs, lié à l’exposition par voie alimentaire n’a pas pu être réalisée faute de données permettant de confirmer la définition des résidus dans les végétaux et l’évaluation de l’exposition du bétail, y compris l’évaluation toxicologique d’un métabolite ».

76      Il convient, en outre, de rappeler, ainsi qu’il a été relevé dans le cadre de la deuxième branche du présent moyen, que les études fournies par la requérante étaient insuffisantes pour exclure le potentiel génotoxique des métabolites, ce qui est pertinent aux fins de l’évaluation des risques pour les consommateurs.

77      Premièrement, s’agissant de l’argument de la requérante tiré du fait qu’aucune lacune dans les données n’a été relevée par l’EMR, il convient de rappeler, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 56 ci-dessus, que l’opinion de l’EMR ne constitue qu’une première étape de la procédure d’évaluation. La circonstance, qui n’est pas contestée par la Commission, selon laquelle le dossier que la requérante a soumis en juillet 2015 a été considéré comme complet par l’EMR n’est pas déterminante. En effet, ainsi que le relève la Commission, le contrôle de l’exhaustivité effectué par l’EMR n’est qu’un contrôle visant à vérifier que tous les rapports d’étude requis sont disponibles. Ce n’est qu’au cours de l’évaluation ultérieure par l’EMR et lors de l’examen par les pairs de cette même évaluation qu’un contrôle qualitatif des données communiquées est réalisé.

78      S’agissant, en outre, de l’argument de la requérante selon lequel la question des lacunes dans les données ne s’est posée qu’en septembre 2017, il suffit de constater que, en février 2017, l’EFSA avait déjà demandé des informations complémentaires à la requérante concernant 120 points au sujet desquels davantage de données étaient nécessaires, conformément à l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 844/2012. Au moment de la finalisation de l’évaluation, à la fin de 2017, des lacunes considérables dans les données demeuraient. En effet, les conclusions de l’EFSA font état de 38 lacunes dans les données.

79      Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante tiré du fait que les méthodes d’analyse utilisées dans les études toxicologiques disponibles ont toutes été fournies dans le dossier actualisé de renouvellement, mais qu’elles n’ont pas été prises en compte, il y a lieu de relever que le rapport final de renouvellement pour la substance active chlorothalonil indique que les méthodes analytiques utilisées dans les études toxicologiques n’avaient pas été identifiées.

80      À cet égard, il est certes vrai, ainsi que le soutient la requérante, qu’elle a communiqué, en mars 2017, une présentation générale de l’ensemble des méthodes d’analyse utilisées dans les études toxicologiques (voir annexe C.13). Toutefois, il convient de constater que ce même document indique, d’une part, qu’il s’agit d’un aperçu desdites méthodes et, d’autre part, que « les éventuelles omissions qui, à l’aune des exigences actuelles en matière de publications analytiques, entacheraient la méthode analytique publiée, ne sont dues qu’à des exigences changeantes et ne trahissent pas un défaut de rigueur scientifique chez les directeurs de l’étude ». Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a pu considérer, comme l’EFSA, que lesdites informations n’étaient pas suffisantes pour combler les lacunes concernant les méthodes analytiques utilisées dans les études toxicologiques.

81      S’agissant, enfin, de l’argument de la requérante selon lequel cette prétendue donnée lacunaire, prise isolément ou en association avec d’autres données lacunaires alléguées, n’est pas suffisante pour justifier le non‑renouvellement de la substance litigieuse, il suffit de constater que les lacunes dans les données ne constituent pas la seule raison qui a conduit au non-renouvellement de ladite substance. Les lacunes dans les données, mentionnées au considérant 10 du règlement attaqué, s’ajoutent aux préoccupations concernant, premièrement, la contamination des eaux souterraines par les métabolites du chlorothalonil, deuxièmement, la génotoxicité des résidus auxquels les consommateurs seront exposés et, troisièmement, le risque élevé pour les amphibiens et les poissons pour toutes les utilisations évaluées, toutes mentionnées au considérant 9 du même règlement.

82      Dans ces conditions, il convient de rejeter la présente branche du premier moyen et, partant, celui-ci dans son intégralité.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des droits de la défenseet du droit d’être entendu

83      Par son deuxième moyen, la requérante affirme que la Commission a violé ses droits de la défense au cours de la procédure de renouvellement.

84      En particulier, la requérante fait valoir qu’elle n’a pas pu faire utilement connaître son point de vue sur des questions complexes soulevées à un stade tardif de la procédure de renouvellement, c’est-à-dire plus de quatre ans après le dépôt du dossier de renouvellement.

85      De plus, la requérante souligne que la Commission n’a pas réagi à ses observations sur les conclusions de l’EFSA ni sur le projet de rapport sur le renouvellement de l’approbation de la substance litigieuse. Elle se demande, à ce propos, si la Commission a pris ou non en compte de manière adéquate ses commentaires.

86      Enfin, la requérante fait valoir qu’elle aurait dû avoir le droit d’exprimer son avis lors d’une audition orale afin de discuter des nouveaux sujets soulevés. La seule rencontre en personne qui aurait eu lieu aurait été avec un autre membre du groupe de travail sur le chlorothalonil, afin de discuter de ses propres produits. Cette réunion n’aurait pas eu de lien direct avec la procédure de renouvellement de la substance litigieuse.

87      La Commission conteste les arguments de la requérante.

88      À cet égard, il convient, tout d’abord, de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans les cas où une institution de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figure, notamment, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 171 et jurisprudence citée).

89      Il s’ensuit que l’accomplissement d’une évaluation scientifique des risques aussi exhaustive que possible sur la base d’avis scientifiques fondés sur les principes d’excellence, de transparence et d’indépendance constitue une garantie procédurale importante en vue d’assurer l’objectivité scientifique des mesures et d’éviter la prise de mesures arbitraires (arrêt du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 172).

90      Il y a lieu, en outre, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense, dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci, constitue un principe fondamental du droit de l’Union et doit être assuré, même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure en cause. Ce principe exige que les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts soient mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2006, Dokter e.a., C‑28/05, EU:C:2006:408, point 74, et du 9 septembre 2008, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑75/06, EU:T:2008:317, point 130). Le droit d’être entendu, dans le contexte d’une procédure administrative visant une personne spécifique, constitue un corollaire des droits de la défense qui doit être respecté même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2002, Alpharma/Conseil, T‑70/99, EU:T:2002:210, point 388 et jurisprudence citée).

91      À la lumière des éléments mentionnés ci-dessus, en premier lieu, il y a lieu de relever que, en l’espèce, la procédure de renouvellement de la substance litigieuse a duré de février 2013 à avril 2019, c’est-à-dire plus de six ans.

92      Il importe de relever, en outre, que, durant cette période, la requérante a pu formuler ses observations en temps utile. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 5 à 26 ci-dessus, la Commission a recueilli ses observations tant sur le rapport d’évaluation de l’EMR que sur les conclusions de l’EFSA et sur le projet de rapport sur le renouvellement de l’approbation de la substance litigieuse.

93      Il s’ensuit que la requérante a été invitée à formuler ses observations et qu’elle les a formulées par écrit à plusieurs reprises. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la requérante a effectivement exercé ses droits de la défense.

94      En deuxième lieu, s’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle de nouvelles questions ont été soulevées pour la première fois à la fin de 2017, elle ne saurait prospérer.

95      En effet, premièrement, il y a lieu de relever que l’EMR n’a pas initialement recommandé le renouvellement de l’approbation du chlorothalonil. Au contraire, il a indiqué qu’« aucune conclusion ne p[ouvait] encore être rendue quant à l’approbation ou non du chlorothalonil au titre du règlement no 1107/2009 [ ; d]es informations complémentaires (qui peuvent être fournies au cours de l’examen par les pairs) [étaient] nécessaires afin de finaliser l’évaluation des risques ».

96      Deuxièmement, le rapport d’évaluation de l’EMR avait déjà identifié ces questions comme générant un risque chronique élevé pour les poissons dans toutes les utilisations représentatives, et l’évaluation des risques n’avait pas pu être terminée pour les amphibiens.

97      Troisièmement, en février 2017, l’EFSA a envoyé une demande d’informations complémentaires concernant 120 points pour lesquels davantage de données étaient nécessaires. Plusieurs parties de cette demande portent sur les motifs du non-renouvellement.

98      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’a pris en considération aucune autre preuve scientifique produite par le demandeur de renouvellement, il convient de constater, que, en vertu de l’article 16, paragraphe 4, du règlement (UE) no 1141/2010 de la Commission, du 7 décembre 2010, relatif à l’établissement de la procédure de renouvellement de l’inscription d’un deuxième groupe de substances actives à l’annexe I de la directive 91/414 et à l’établissement de la liste de ces substances (JO 2010, L 322, p. 10), de nouvelles données soumises sans avoir été sollicitées ou soumises à la fin du processus d’approbation et après l’examen par les pairs ne pouvaient être prises en considération par la Commission.

99      Même s’il est vrai qu’aucune disposition du règlement no 1107/2009 n’interdit expressément à la Commission d’examiner des données supplémentaires communiquées après la fin de l’examen par les pairs, il y a lieu de relever que, selon le considérant 14 dudit règlement, « des échéances strictes devraient être fixées pour chaque étape de la procédure afin que l’approbation des substances actives se déroule dans les plus brefs délais ». Le règlement no 1107/2009 prévoit, en effet, des délais assez stricts pour chaque étape de la procédure d’approbation. À cet égard, il convient de constater que le règlement no 1141/2010 utilise la même approche pour réguler la procédure de renouvellement.

100    Il convient de considérer, en outre, qu’une prolongation indéfinie de la période d’évaluation d’une substance active serait contraire à l’objectif poursuivi par le règlement no 1107/2009 consistant à garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale ainsi que de l’environnement.

101    Le cadre juridique applicable au processus de renouvellement ne corrobore donc pas l’affirmation de la requérante selon laquelle il existe un droit de présenter des observations et des informations complémentaires lorsque des questions subsistent à l’issue du processus d’évaluation.

102    Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir refusé d’examiner des données supplémentaires communiquées après la fin de l’examen par les pairs.

103    En troisième lieu, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la Commission ne lui a pas donné l’occasion de discuter oralement des conclusions de l’EFSA et du projet de rapport de renouvellement au cours d’une audition, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que la requérante ne dispose pas d’un droit général ou absolu de présenter des observations orales en plus de la possibilité prévue par le règlement n° 1107/2009 et par le règlement d’exécution n° 844/2012 pour envoyer des observations écrites (voir, par analogie, ordonnances du 21 mars 2019, Troszczynski/Parlement, C‑462/18 P, non publiée, EU:C:2019:239, points 51 à 55 ; du 21 mars 2019, Gollnisch/Parlement, C‑330/18 P, non publiée, EU:C:2019:240, points 59 à 61, et du 21 mai 2019, Le Pen/Parlement, C‑525/18 P, non publiée, EU:C:2019:435, points 65 à 69).

104    En outre, il convient de relever que la Commission a rencontré, en décembre 2018, dans une réunion, Syngenta, un autre membre du groupe de travail « chlorothalonil », lequel a agi tout au long du processus de renouvellement en tant que porte-parole du groupe de travail, rassemblant et soumettant des observations au nom de tous les membres dudit groupe de travail, y compris la requérante. Lors de cette réunion, le processus de renouvellement du chlorothalonil a été discuté ainsi qu’il a été confirmé par un courrier électronique de la même Syngenta du 11 février 2019.

105    Enfin, les allégations de la requérante selon lesquelles la Commission n’aurait pas partagé ses observations avec les États membres et lesdites observations n’auraient pas été sérieusement prises en considération ne sauraient non plus prospérer. À cet égard, d’une part, il convient de relever que cette allégation n’est pas étayée. D’autre part, lesdites observations ont notamment conduit la Commission à adresser une demande de renseignement à l’EFSA concernant un point soulevé quant à la contamination des eaux souterraines (voir annexe D.1).

106    À la lumière des circonstances qui précèdent, il y a lieu de conclure que le règlement attaqué ne viole pas les droits de la défense ou le droit d’être entendu de la requérante. Partant, le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’interdiction d’agir ultra vires

107    La requérante fait valoir que le règlement attaqué a été adopté ultra vires en ce que la Commission a suivi la proposition de classification formulée par l’EFSA. Elle se serait en effet prévalue, au soutien du règlement attaqué, d’une recommandation de classification du chlorothalonil en tant que substance cancérogène de catégorie 1B effectuée par l’EFSA qui n’aurait ni le mandat ni la compétence de proposer la classification d’une substance.

108    La requérante souligne qu’il ne fait aucun doute que l’EFSA a proposé une nouvelle classification et a donc agi ultra vires. Selon elle, la question pertinente n’est pas de savoir si la catégorie de la substance a été modifiée, mais réside dans le fait que l’EFSA, et, partant, la Commission, a agi ultra vires en proposant une nouvelle classification. Selon la requérante, c’est en réalité exclusivement à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) qu’il incombe de proposer une nouvelle classification à la suite d’une procédure d’évaluation du danger.

109    De plus, la requérante fait valoir que l’affirmation selon laquelle l’« EFSA indique clairement qu’une telle suggestion de classification ne constitue pas une proposition formelle de classification harmonisée en vertu du règlement no 1272/2008 » est erronée en ce que l’EFSA ne peut pas intervenir dans la procédure de classification.

110    Enfin la requérante soutient que l’argument de la Commission selon lequel ce moyen est inopérant n’est pas étayé, dans la mesure où celle-ci ne le développe pas ni ne fournit la moindre base légale pour l’étayer.

111    La Commission conteste les arguments de la requérante.

112    Il convient d’emblée de considérer, à l’instar de la Commission, que le présent moyen est inopérant en ce que, même si la Commission ne pouvait se fonder sur une proposition de classification du chlorothalonil en tant que substance cancérogène de catégorie 1B effectuée par l’EFSA, les autres motifs de non‑renouvellement du chlorothalonil mentionnés aux considérants 9 et 10 du règlement attaqué suffisent à eux seuls à fonder le dispositif de l’acte attaqué et ne sont pas entachés d’illégalité, ainsi qu’il a été relevé dans le cadre du premier moyen (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Nike European Operations Netherlands et Converse Netherlands/Commission, T‑648/19, non publié, EU:T:2021:428, points 140 et 141). Il y a lieu de relever, à cet égard, que le règlement attaqué, après avoir exposé les motifs principaux du non‑renouvellement du chlorothalonil, fait référence, au considérant 11, à titre accessoire à la classification potentiellement obsolète du chlorothalonil en tant que substance cancérogène de catégorie 2.

113    En tout état de cause, s’agissant du bien-fondé de l’argument soulevé par la requérante, il convient de relever que le considérant 11 du règlement attaqué indique que, même si le chlorothalonil est classé comme cancérogène de catégorie 2 conformément au règlement no 1272/2008, l’EFSA considère dans ses conclusions que le chlorothalonil devrait être classé comme cancérogène de catégorie 1B. Sur la base de cette circonstance, le règlement attaqué conclut que les exigences énoncées à l’annexe II, point 3.6.3, du règlement no 1107/2009 ne sont pas satisfaites.

114    Le point 3.6.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 indique qu’« [u]ne substance active, un phytoprotecteur ou un synergiste n’est approuvé(e) que si, sur la base de l’évaluation de tests de carcinogénicité effectués conformément aux exigences en matière de données pour les substances actives, les phytoprotecteurs ou les synergistes et d’autres données et informations disponibles, notamment une analyse de la documentation scientifique examinée par l’[EFSA], il/elle n’est pas – ou ne doit pas être – classé(e) cancérogène de catégorie 1A ou 1B conformément aux dispositions du règlement […] no 1272/2008, à moins que l’exposition de l’homme à cette substance active, ce phytoprotecteur ou ce synergiste contenu dans un produit phytopharmaceutique ne soit négligeable dans les conditions d’utilisation réalistes proposées, c’est-à-dire si le produit est mis en œuvre dans des systèmes fermés ou dans d’autres conditions excluant tout contact avec l’homme et si les résidus de la substance active, du phytoprotecteur ou du synergiste en question dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux ne dépassent pas la valeur par défaut fixée conformément à l’article 18, paragraphe 1, [sous b)], du règlement (CE) no 396/2005 ».

115    Il est certes vrai, comme le soutient la requérante, que l’EFSA n’est pas compétente pour proposer ou décider de la classification des dangers associés aux substances incorporées aux produits phytopharmaceutiques. En effet, en vertu des dispositions du règlement no 1272/2008, l’EFSA n’a aucun rôle à jouer que ce soit dans le cadre de l’autoclassification, qui est réservée à tout fabricant, importateur et utilisateur en aval de la substance concernée, ou dans le cadre de la classification harmonisée qui peut être proposée par les sujets susmentionnés ou par l’autorité compétente d’un État membre et est soumise à un avis de l’ECHA. Il est d’ailleurs trompeur de faire référence à une « proposition de classification », l’EFSA n’ayant aucune compétence pour proposer formellement ladite classification (arrêt du 17 mars 2021, FMC/Commission, T‑719/17, EU:T:2021:143, points 119 et 120).

116    Toutefois, il y a lieu de relever que, en l’espèce, le point 3.6.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 reconnaît à « l’analyse de la documentation scientifique examinée par l’[EFSA] » un rôle dans la détermination du fait que la substance en cause « n’est pas – ou ne doit pas être – classé(e) cancérogène de catégorie 1A ou 1B conformément aux dispositions du règlement […] no 1272/2008 ».

117    Il ne s’agit dès lors pas, en l’espèce, d’une véritable proposition de classification de la substance litigeuse par l’EFSA, mais plutôt de la prise en compte, dans l’exercice des compétences attribuées à la Commission par le règlement no 1107/2009, de l’analyse de la documentation scientifique examinée par l’EFSA selon laquelle ladite substance devrait être classée cancérogène de catégorie 1A ou 1B.

118    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’allégation de la requérante tirée du fait que le règlement attaqué a été adopté ultra vires n’est, en tout état de cause, pas fondée.

119    Dans ces conditions, il convient de rejeter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

120    La requérante invoque une violation du principe de sécurité juridique. Selon elle, premièrement, l’évaluation de la pertinence des métabolites du chlorothalonil est contraire au document d’orientation pertinent et, deuxièmement, le risque élevé identifié pour les amphibiens et les poissons est également contraire au document d’orientation pertinent.

121    La violation du principe de sécurité juridique serait donc corrélée au fait que la requérante avait la confiance légitime que ses données seraient évaluées sur la base des normes et des critères exposés dans les orientations applicables en vigueur au moment du dépôt du dossier.

122    La Commission conteste les arguments de la requérante.

123    À cet égard, il suffit de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé dans le cadre de l’analyse du premier moyen, aux points 45 à 49 et au point 69 ci-dessus, ni l’évaluation de la pertinence des métabolites du chlorothalonil, ni l’identification d’un risque élevé pour les amphibiens et les poissons ne sont contraires aux documents d’orientation pertinents. Les allégations de la requérante sont, par conséquent, dénuées de fondement.

124    S’agissant de la prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime, il est de jurisprudence constante que peut se prévaloir de ce principe tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies [voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, 265/85, EU:C:1987:121, point 44 ; voir, également, arrêt du 8 septembre 2010, Deltafina/Commission, T‑29/05, EU:T:2010:355, point 427 et jurisprudence citée].

125    À cet égard, il suffit de relever que la requérante, dans ses écritures, ne fait état d’aucune assurance que lui aurait fournie la Commission quant au fait qu’elle aurait obtenu le renouvellement de la substance active en cause.

126    Dans ces conditions, il convient de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

127    La requérante fait valoir que le règlement attaqué est disproportionné, puisque la Commission aurait pu atteindre le même objectif en adoptant des mesures moins restrictives.

128    Selon la requérante, l’application du principe de proportionnalité à la procédure de renouvellement d’une substance active suppose que, avant de prendre quelque décision que ce soit concernant la substance litigieuse, toutes les options relatives au renouvellement de la substance litigieuse soient examinées avec soin et diligence, de même que toute autre solution raisonnable pour préserver le renouvellement de la substance litigieuse sur la base d’une évaluation des risques adéquate.

129    La requérante considère en particulier que la Commission aurait pu renouveler l’approbation du chlorothalonil et lui permettre de bénéficier de la procédure relative aux données confirmatives (ci-après la « PDC ») en vertu de l’article 6, sous f), du règlement no 1107/2009. Elle indique que, par le passé, la Commission a renouvelé certaines substances actives sous réserve que des informations confirmatives soient présentées.

130    La Commission aurait également pu évaluer s’il était possible, afin de traiter les risques pour les amphibiens et pour les poissons, de subordonner le renouvellement de la substance litigieuse à l’institution de mesures d’atténuation des risques.

131    Enfin, la requérante fait valoir qu’aucune mesure d’atténuation des risques supplémentaire au regard de celles déjà proposées n’aurait été nécessaire si de nouvelles préoccupations n’avaient pas été mises à jour à un stade tardif de la procédure de renouvellement. En tout état de cause, elle soutient que la Commission a, en sa qualité de gestionnaire des risques et en conformité avec le principe de proportionnalité, la capacité de proposer elle‑même des mesures d’atténuation des risques.

132    La Commission conteste les arguments de la requérante.

133    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui constitue l’un des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 411, et du 7 mars 2013, Acino/Commission, T‑539/10, non publié, EU:T:2013:110, point 85 ; voir également, en ce sens, arrêt du 18 novembre 1987, Maizena e.a., 137/85, EU:C:1987:493, point 15).

134    Toutefois, il convient de noter que, en matière agricole, le contrôle juridictionnel du principe de proportionnalité est particulier, en ce que la Cour et le Tribunal reconnaissent au législateur de l’Union un pouvoir discrétionnaire qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 à 43 TFUE lui attribuent dans ce domaine. En l’espèce, le règlement attaqué est fondé sur le règlement no 1107/2009 qui a pour base juridique, notamment, les articles 43 et 114 TFUE. Par conséquent, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêts du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a., C‑157/96, EU:C:1998:191, point 61, et du 3 septembre 2009, Cheminova e.a./Commission, T‑326/07, EU:T:2009:299, point 195).

135    La requérante fait valoir que la Commission aurait pu opter pour d’autres approches ayant des conséquences moins graves, telles que celles de recourir à la PDC, plutôt que d’adopter une décision de non-renouvellement de l’approbation du chlorothalonil.

136    À cet égard, il convient de relever que l’article 6, sous f), du règlement no 1107/2009 prévoit effectivement que l’approbation peut être subordonnée à des conditions et à des restrictions telles que la communication d’informations confirmatives supplémentaires aux États membres, à la Commission et à l’EFSA, lorsque de nouvelles prescriptions sont établies durant le processus d’évaluation ou sur la base de nouvelles connaissances scientifiques et techniques. Le point 2.2 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 prévoit la possibilité, dans certains cas exceptionnels, que l’approbation de la substance active soit accordée bien que certaines informations n’aient pas encore été communiquées « lorsque les exigences relatives aux données visées ont été modifiées ou précisées après le dépôt du dossier » ou « lorsque ces informations sont considérées comme étant de nature confirmative et comme requises pour accroître la confiance dans la décision ».

137    En vertu de ces dispositions, il n’est pas possible de recourir à la PDC lorsque les données doivent figurer dans le dossier de renouvellement au moment du dépôt de celui-ci et lorsque des orientations adéquates sont disponibles pour effectuer l’évaluation requise. En effet, ces dispositions ne peuvent pas être utilisées afin de combler des lacunes dans les données détectées au cours du processus d’approbation. De plus, ces dispositions n’autorisent pas l’approbation de substances actives pour lesquelles l’absence d’effets nocifs sur la santé humaine ou animale ou d’effets inacceptables sur l’environnement ou les eaux souterraines n’a pas été démontrée.

138    Or, en ce qui concerne le risque pour les eaux souterraines, il a déjà été relevé dans le cadre de l’examen du premier moyen que la Commission, en application du principe de précaution et en sa qualité de gestionnaire des risques, avait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, considéré la pertinence au sens du règlement n° 1107/2009 des métabolites du chlorothalonil et avait jugé qu’ils étaient susceptibles de contaminer les eaux souterraines à la suite de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant du chlorothalonil.

139    Par conséquent, c’est à juste titre que la Commission n’a pas eu recours à la PDC.

140    S’agissant de l’allégation concernant les mesures d’atténuation des risques, il suffit de relever, à l’instar de la Commission, que la requérante n’indique aucune mesure d’atténuation des risques susceptible de réduire le risque pour les poissons et les amphibiens ni de résoudre le problème lié à la contamination des eaux souterraines par les métabolites pertinents. De plus, compte tenu du large pouvoir d’appréciation qui doit être reconnu à la Commission afin de lui permettre de poursuivre efficacement l’objectif qui lui est assigné par le règlement no 1107/2009, elle ne saurait être obligée de proposer elle‑même des mesures d’atténuation des risques.

141    Dans ces conditions, compte tenu du large pouvoir d’appréciation qui doit être reconnu à la Commission dans l’application du règlement no 1107/2009 et en considération des évaluations techniques complexes qu’elle doit opérer, force est de constater que le règlement attaqué n’apparaît pas manifestement disproportionné tant en ce qui concerne le risque pour les eaux souterraines qu’en ce qui concerne le risque pour les poissons et les amphibiens.

142    Il convient, par conséquent, de rejeter le cinquième moyen.

 Sur le sixième moyen, tiré de la violation du principe de précaution

143    Par son sixième moyen, la requérante affirme qu’en ne procédant pas à une analyse d’impact adéquate, c’est‑à‑dire une évaluation approfondie des conséquences positives ou négatives les plus probables du non‑renouvellement de la substance litigieuse, avant d’adopter le règlement attaqué, la Commission a violé le principe de précaution. Elle considère que la nécessité de procéder à une analyse d’impact n’a rien à voir avec la charge de la preuve, mais oblige les institutions, avant d’adopter toute décision, à prendre en considération les circonstances particulières de l’espèce, puis à mettre en balance toutes les options qui s’offrent à elles afin d’appliquer la mesure la moins contraignante. Enfin, la requérante émet des doutes quant au niveau d’approfondissement de l’éventuelle analyse d’impact prétendument effectuée par la Commission.

144    La Commission conteste les arguments de la requérante.

145    Il importe de relever, à titre liminaire, que, si l’article 191, paragraphe 2, TFUE prévoit que la politique de l’environnement est fondée, notamment, sur le principe de précaution, ce principe a également vocation à s’appliquer dans le cadre d’autres politiques de l’Union, en particulier de la politique de protection de la santé publique ainsi que lorsque les institutions de l’Union adoptent, au titre de la politique agricole commune ou de la politique du marché intérieur, des mesures de protection de la santé humaine (voir arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 41 et jurisprudence citée).

146    Il incombe donc au législateur de l’Union, lorsqu’il adopte des règles régissant la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques, telles que celles énoncées par le règlement no 1107/2009, de se conformer au principe de précaution, en vue notamment d’assurer, conformément à l’article 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’à l’article 9 et à l’article 168, paragraphe 1, TFUE, un niveau élevé de protection de la santé humaine (voir arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 42 et jurisprudence citée).

147    Ce principe implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées (voir arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 43 et jurisprudence citée).

148    Selon une jurisprudence constante, les institutions de l’Union jouissent, dans la mise en œuvre des mesures à prendre pour la protection de la santé humaine, d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition des objectifs poursuivis et le choix des instruments d’action appropriés (voir arrêt du 11 février 2015, Espagne/Commission, T‑204/11, EU:T:2015:91, point 30 et jurisprudence citée).

149    Pour autant que la requérante fait valoir que la Commission n’a réalisé aucune analyse des coûts et des bénéfices de l’impact d’un renouvellement ou d’un non-renouvellement de l’approbation du chlorothalonil avant d’arrêter sa décision, comme cela serait requis par le point 6.3.4 de la communication COM(2000) 1 final de la Commission, du 2 février 2000, sur le recours au principe de précaution, il convient de relever que ledit point 6.3.4, intitulé « Examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action », est libellé comme suit :

« Il faudrait établir une comparaison entre les conséquences positives ou négatives les plus probables de l’action envisagée et celles de l’inaction en termes de coût global pour l[’Union], tant à court terme qu’à long terme. Les mesures envisagées devraient être en mesure d’apporter un bénéfice global en matière de réduction du risque à un niveau acceptable.

L’examen des avantages et des charges ne peut pas se réduire seulement à une analyse économique coût/bénéfices. Il est plus vaste dans sa portée, intégrant des considérations non économiques.

L’examen des avantages et des charges devrait cependant inclure une analyse économique coût/bénéfices lorsque cela est approprié et réalisable.

Toutefois, d’autres méthodes d’analyse, telles que celles tenant à l’efficacité des options possibles et à leur acceptabilité par la population, pourraient entrer en ligne de compte. En effet, il se peut qu’une société soit prête à payer un coût plus élevé afin de garantir un intérêt, tel que l’environnement ou la santé, reconnu par elle comme majeur.

La Commission affirme que les exigences liées à la protection de la santé publique, conformément à la jurisprudence de la Cour, devraient incontestablement se voir reconnaître un caractère prépondérant par rapport aux considérations économiques.

Les mesures adoptées présupposent l’examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action. Cet examen devrait inclure une analyse économique coût/bénéfices lorsque cela est approprié et réalisable. Toutefois, d’autres méthodes d’analyse, telles que celles tenant à l’efficacité et à l’impact socio-économique des options possibles, peuvent entrer en ligne de compte. Par ailleurs, le décideur peut aussi être guidé par des considérations non économiques, telles que la protection de la santé. »

150    Tout d’abord, à cet égard, il convient de constater que le point 6.3.4 de la communication sur le recours au principe de précaution prévoit que soit effectué un examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action. En revanche, le format et l’envergure de cet examen ne sont pas précisés. En particulier, il n’en découle nullement que l’autorité concernée serait obligée de lancer une procédure d’évaluation spécifique aboutissant, par exemple, à un rapport formel d’évaluation écrit. En outre, il découle du texte que l’autorité appliquant le principe de précaution jouit d’une marge d’appréciation considérable quant aux méthodes d’analyse. En effet, si la communication indique que l’examen « devrait » inclure une analyse économique, l’autorité concernée doit en tout état de cause également intégrer des considérations non économiques. De plus, il est expressément souligné qu’il se peut, dans certaines circonstances, que des considérations économiques doivent être considérées comme moins importantes que d’autres intérêts reconnus comme majeurs : sont expressément mentionnés, à titre d’exemple, des intérêts tels que l’environnement ou la santé (arrêt du 17 mai 2018, BASF Agro e.a./Commission, T‑584/13, EU:T:2018:279, point 162).

151    Par ailleurs, il est satisfait aux exigences de la communication sur le recours au principe de précaution dès lors que l’autorité concernée, en l’espèce la Commission, a effectivement pris connaissance des effets, positifs et négatifs, économiques et autres, susceptibles d’être induits par l’action envisagée ainsi que par l’abstention d’agir, et qu’elle en a tenu compte lors de sa décision. En revanche, il n’est pas nécessaire que ces effets soient chiffrés avec précision, si cela n’est pas possible ou nécessite des efforts disproportionnés (arrêt du 17 mai 2018, BASF Agro e.a./Commission, T‑584/13, EU:T:2018:279, point 163).

152    Il convient de constater que la Commission a effectivement pris, en l’espèce, connaissance des effets, positifs et négatifs, économiques et autres, susceptibles d’être induits par le renouvellement ou le non-renouvellement de l’approbation du chlorothalonil et qu’elle en a tenu compte lors de sa décision.

153    Ainsi, il ressort d’une note au dossier de la Commission du 5 décembre 2018 que celle-ci a tenu compte des coûts et des avantages du non-renouvellement de l’approbation du chlorothalonil avant d’arrêter la décision de non-renouvellement. En effet, la Commission a indiqué que, « compte tenu des risques et des lacunes dans les données relevées, la nature des risques l’emport[ait] sur les considérations économiques ». Elle était donc consciente des enjeux, tant économiques qu’environnementaux, liés à l’utilisation des substances visées (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 461).

154    Il est certes vrai que, comme le soutient la requérante, le dossier ne contient pas d’éléments sur le niveau d’approfondissement de ladite analyse. Toutefois, il y a lieu de rappeler que le format et l’envergure de cet examen ne sont pas précisés au point 6.3.4 de la communication sur le recours au principe de précaution et qu’il ne découle nullement de ce point que l’autorité concernée serait obligée de fournir des éléments détaillés sur son analyse. Par conséquent ce grief doit être rejeté.

155    Eu égard à ce qui précède, le sixième moyen doit être rejeté ainsi que le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

156    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Sipcam Oxon SpA est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Spielmann

Spineanu-Matei

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 octobre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.