Language of document : ECLI:EU:T:2013:275

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

28 mai 2013 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie – Gel des fonds – Défaut de base juridique »

Dans l’affaire T‑200/11,

Fahed Mohamed Sakher Al Matri,demeurant à Doha (Qatar), représenté par Mme M. Lester, barrister, et M. G. Martin, solicitor,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et I. Gurov, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par MM. A. Bordes et M. Konstantinidis, en qualité d’agents,

et par

République tunisienne, représentée par Me W. Bourdon, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation, en premier lieu, de la décision d’exécution 2011/79/PESC du Conseil, du 4 février 2011, mettant en œuvre la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO L 31, p. 40), en deuxième lieu, du règlement (UE) n° 101/2011 du Conseil, du 4 février 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie (JO L 31, p. 1), et, en troisième lieu, de la décision 2012/50/PESC du Conseil, du 27 janvier 2012, modifiant la décision 2011/72 (JO L 27, p. 11), en tant que ces actes le visent,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka et M. D. Gratsias (rapporteur), juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 novembre 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        À la suite des événements politiques survenus en Tunisie au cours des mois de décembre 2010 et janvier 2011, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 31 janvier 2011, au visa, notamment, de l’article 29 TUE, la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO L 28, p. 62).

2        Les considérants 1 et 2 de la décision 2011/72 énoncent :

« Le 31 janvier 2011, le Conseil a réaffirmé à la Tunisie et au peuple tunisien toute sa solidarité et son soutien en faveur des efforts déployés pour établir une démocratie stable, l’État de droit, le pluralisme démocratique et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le Conseil a décidé, en outre, d’adopter des mesures restrictives à l’encontre de personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens, qui privent ainsi le peuple tunisien des avantages du développement durable de son économie et de sa société et compromettent l’évolution démocratique du pays. »

3        Aux termes de l’article 1er de la décision 2011/72 :

« 1.      Sont gelés tous les capitaux et ressources économiques qui appartiennent à des personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens et aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, de même que tous les capitaux et ressources économiques qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par ces personnes, entités ou organismes, dont la liste figure à l’annexe.

2.      Nuls capitaux ou ressources économiques ne peuvent être mis, directement ou indirectement, à la disposition de personnes physiques ou morales, d’entités ou d’organismes dont la liste figure à l’annexe ou utilisés à leur profit […] »

4        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2011/72, « [l]e Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit la liste qui figure à l’annexe et la modifie ».

5        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2011/72, « [l]’annexe indique les motifs de l’inscription sur la liste des personnes et entités ».

6        Aux termes de l’article 5 de la décision 2011/72 :

« La présente décision s’applique pendant une période de douze mois. Elle fait l’objet d’un suivi constant. Elle est prorogée ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. »

7        Dans la liste annexée à la décision 2011/72, figurait uniquement le nom de deux personnes physiques, à savoir M. Zine el‑Abidine Ben Hamda Ben Ali, ancien président de la République tunisienne, et Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi, son épouse.

8        Au visa de « la décision 2011/72 […], et notamment [de] son article 2, paragraphe 1, en liaison avec l’article 31, paragraphe 2, [TUE] », le Conseil a adopté, le 4 février 2011, la décision d’exécution 2011/79/PESC, mettant en œuvre la décision 2011/72 (JO L 31, p. 40).

9        L’article 1erde la décision 2011/79 énonçait que la liste annexée à la décision 2011/72 était remplacée par une nouvelle liste, reproduite en annexe. À la cinquième ligne de cette nouvelle liste, figurait, dans la colonne intitulée « Nom », la mention « Fahd Mohamed Sakher Ben Moncef Ben Mohamed Hfaiez MATERI ». Dans la colonne intitulée « Information d’identification », il était précisé : « Tunisien, né à Tunis le 2 décembre 1981, fils de Naïma BOUTIBA, marié à Nesrine BEN ALI, titulaire de la CNI n° 04682068 ». Enfin, dans la colonne intitulée « Motifs », était indiqué : « Personne faisant l’objet d’une enquête judiciaire des autorités tunisiennes pour acquisition de biens immobiliers et mobiliers, ouverture de comptes bancaires et détention d’avoirs financiers dans plusieurs pays dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent ».

10      La décision 2011/79 est entrée en vigueur, conformément à son article 2, le jour de son adoption.

11      Au visa de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et de la décision 2011/72, le Conseil a adopté le 4 février 2011, soit le même jour que la décision 2011/79, le règlement (UE) n° 101/2011 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie (JO L 31, p. 1). Ainsi qu’il ressort de son considérant 2, ce règlement a été adopté, car les mesures instaurées par la décision 2011/72 « entr[aient] dans le champ d’application du [TFUE, de sorte qu’]une action réglementaire au niveau de l’Union [était] nécessaire pour en assurer la mise en œuvre ».

12      L’article 2, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 101/2011 reprenait, en substance, les dispositions de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2011/72. Ce règlement comprenait par ailleurs une « annexe I », identique à l’annexe de la décision 2011/72, telle que modifiée par la décision 2011/79.

13      La décision 2012/50/PESC du Conseil, du 27 janvier 2012, modifiant la décision 2011/72 (JO L 27, p. 11), d’une part, et la décision 2013/72/PESC du Conseil, du 31 janvier 2013, modifiant la décision 2011/72 (JO L 32, p. 20), d’autre part, ont prorogé, respectivement, jusqu’au 31 janvier 2013 etjusqu’au 31 janvier 2014 l’application des mesures restrictives prévues par la décision 2011/72, telle que modifiée par la décision 2011/79.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er avril 2011, le requérant, M. Fahed Mohamed Sakher Al Matri a introduit le présent recours. Il a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision 2011/79 et le règlement n° 101/2011, en tant que ces actes le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

15      Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 27 avril 2011, le représentant du requérant a précisé la manière dont il convenait d’orthographier le nom de son client. Il en ressort que les noms figurant au point 9, d’une part, et au point précédent, d’autre part, désignent le requérant. Le Conseil n’a pas contesté cet état de fait.

16      Le 29 juillet 2011, le Conseil a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense, par lequel il a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal rejeter le recours et condamner le requérant aux dépens.

17      La réplique et la duplique ont été déposées au greffe du Tribunal, respectivement, par le requérant, le 27 septembre 2011 et, par le Conseil, le 14 novembre 2011.

18      Par ordonnance du 28 septembre 2011, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis l’intervention de la Commission européenne au soutien des conclusions du Conseil.

19      Par ordonnance du 24 novembre 2011, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis l’intervention de la République tunisienne au soutien des conclusions du Conseil.

20      Le 9 novembre 2011, la Commission a indiqué qu’elle n’entendait pas déposer de mémoire en intervention. Quant à la République tunisienne, elle a, certes, déposé au greffe du Tribunal un mémoire en intervention le 19 janvier 2012. Toutefois, celui-ci n’étant pas rédigé dans la langue de procédure, il n’a pas été versé au dossier.

21      L’application des mesures instaurées par la décision 2011/72, telle que modifiée par la décision 2011/79, ayant été prorogée par la décision 2012/50 (voir point 13 ci‑dessus), le requérant a demandé au Tribunal, par acte enregistré au greffe du Tribunal le 23 février 2012, d’annuler cette nouvelle décision, en tant qu’elle s’appliquait à lui. Il a été décidé de verser cet acte au dossier.

22      Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 23 avril 2012, le Conseil a déclaré que, dans un souci d’économie procédurale, il convenait d’étendre les conclusions de la requête, conformément à la demande du requérant en date du 23 février 2012. La Commission a, explicitement, renoncé à présenter des observations.

23      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Par la voie de mesures d’organisation de la procédure, il a invité le Conseil à produire divers documents. Celui-ci a pleinement répondu à cette invitation.

24      Lors de l’audience du 20 novembre 2012, le requérant, le Conseil et la Commission ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.

 En droit

 Sur les conclusions à fin d’annulation dirigées contre la décision 2011/79

25      À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision 2011/79, le requérant invoque dans sa requête cinq moyens. Le premier est tiré de la méconnaissance de l’obligation de motivation, le deuxième, du non-respect des critères posés à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, le troisième, de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, le quatrième, de la violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise et, le cinquième, d’une erreur manifeste d’appréciation.

 Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation

26      Le requérant fait valoir que la motivation de la décision 2011/79 est insuffisante. Au soutien de ce moyen, il expose, tout d’abord, que ladite motivation est, d’une part, trop vague et, d’autre part, stéréotypée.

27      Aux termes de l’article 296, alinéa 2, TFUE : « Les actes juridiques [adoptés par les institutions de l’Union] sont motivés ».

28      En vertu de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 389), le droit à une bonne administration comprend notamment « l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions ».

29      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE et l’article 41 de la charte des droits fondamentaux doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise, et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt de la Cour du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, non encore publié au Recueil, points 50 et 53, et la jurisprudence citée).

30      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt Conseil/Bamba, point 29 supra, points 53 et 54, et la jurisprudence citée). D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, Rec. p. II‑4665, point 141, et la jurisprudence citée).

31      En particulier, la motivation d’une mesure de gel d’avoirs ne saurait, en principe, consister seulement en une formulation générale et stéréotypée (voir, en ce sens, arrêt Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, point 30 supra, point 143). Sous les réserves énoncées au point précédent, une telle mesure doit, au contraire, indiquer les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que la réglementation pertinente est applicable à l’intéressé (voir arrêt Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, point 30 supra, point 143, et la jurisprudence citée ; et, en ce sens, arrêt Conseil/Bamba, point 29 supra, point 52).

32      En l’espèce, la décision 2011/79 indique, de manière univoque, les considérations de droit sur lesquelles elle repose. En effet, les visas de cette décision font référence à « la décision 2011/72 […], et notamment [à] son article 2, paragraphe 1, [lu en combinaison] avec l’article 31, paragraphe 2, [TUE] ». L’annexe à la décision 2011/79 renvoie, quant à elle, à l’article 1er de la décision 2011/72.

33      En outre, il ressort de l’annexe à la décision 2011/79, lue en combinaison avec le titre même de cette décision, que le requérant a été soumis à des mesures restrictives « au regard de la situation en Tunisie », au motif qu’il faisait « l’objet d’une enquête judiciaire des autorités tunisiennes pour acquisition de biens immobiliers et mobiliers, ouverture de comptes bancaires et détention d’avoirs financiers dans plusieurs pays dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent ». Les considérations de fait sur le fondement desquelles le requérant a été soumis à un gel d’avoirs sont ainsi mentionnées avec clarté et précision.

34      Contrairement aux allégations du requérant, ces considérations ne présentent d’ailleurs pas un caractère stéréotypé. En effet, elles ne calquent pas la rédaction d’une disposition de portée générale. En outre, elles sont, certes, les mêmes que celles sur le fondement desquelles les autres personnes physiques visées par la décision 2011/79 ont été soumises à un gel d’avoirs. Toutefois, elles ont trait à la situation concrète du requérant, qui, d’après le Conseil, a, au même titre que d’autres, fait l’objet d’une enquête judiciaire menée par les autorités tunisiennes pour des faits de blanchiment d’argent.

35      Il suit de là que la décision 2011/79 comporte l’énoncé des éléments de droit et de fait qui en constituent, d’après son auteur, le fondement. Autrement dit, son libellé fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement suivi par le Conseil.

36      Dans ces conditions, le moyen tiré du non‑respect de l’obligation de motivation doit être écarté.

37      Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argument tiré de ce que la motivation de la décision 2011/79 n’a pas été communiquée au requérant avant la publication de cette décision. En effet, par un tel argument, le requérant ne contesteni l’existence ni le caractère suffisant de la motivation de la décision 2011/79. Il se contente d’exposer qu’il n’a pas pu connaître en temps utile les motifs de son inclusion au nombre des personnes dont les fonds doivent être gelés en vertu de cette décision.

 Sur le moyen tiré du non-respect des critères posés à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72

38      Le requérant soutient, en substance, que la décision 2011/79 est dépourvue de base juridique.

39      Au soutien de ce moyen, il expose que le motif pour lequel la décision 2011/79 l’a inclus parmi les personnes devant être soumises à un gel d’avoirs n’est pas au nombre de ceux prévus par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72. En effet, selon lui, la décision 2011/79 doit respecter les critères posés par ce dernier article. Or, celui-ci prévoit que seules les personnes « responsables du détournement de fonds publics tunisiens » et celles leur étant associées peuvent faire l’objet d’un gel d’avoirs, tandis que la décision 2011/79 impose un gel d’avoirs au requérant au motif qu’il fait l’objet d’une « enquête judiciaire des autorités tunisiennes pour acquisition de biens immobiliers et mobiliers, ouverture de comptes bancaires et détention d’avoirs financiers dans plusieurs pays dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent ».

40      Pour répondre au présent moyen, il convient, au préalable, de mettre en évidence, tout d’abord, les rapports qu’entretiennent la décision 2011/72 et la décision 2011/79, et ensuite, de déterminer le sens et la portée de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, d’une part, et de la décision 2011/79, d’autre part.

–       Rapports que les décisions 2011/72 et 2011/79 entretiennent entre elles

41      Les dispositions des articles 1erà 3 et 5 de la décision 2011/72 définissent le régime du gel d’avoirs applicable à toutes les personnes, entités ou organismes répondant aux critères objectifs définis à l’article 1er, paragraphe 1, de ladite décision. Il s’agit des personnes « responsables du détournement de fonds publics tunisiens » et de leurs associés. Ainsi, ces dispositions visent une catégorie de personnes, d’entités et d’organismes définie de manière objective, générale et abstraite.

42      Pour sa part, l’annexe de la décision 2011/72 correspond à une « liste des personnes et entités visées à l’article 1er ». Or, dans sa rédaction originelle, cette liste vise à appliquer à deux personnes physiques mentionnées nominativement le gel d’avoirs dont le régime a été défini aux articles 1erà 3 et 5 de ladite décision (voir point 7 ci-dessus).

43      Ainsi qu’il ressort de son article 1er, la décision 2011/79 a, quant à elle, pour seul objet de modifier la liste annexée originellement à la décision 2011/72, afin d’y inclure 46 personnes supplémentaires dont le requérant.

44      Il en résulte que la décision 2011/79 doit, en particulier, être conforme à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, sur lequel elle se fonde.

–       Sens et portée de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72

45      Ainsi qu’il a été exposé au point 3 et rappelé au point 41 ci-dessus, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72 impose de geler l’ensemble des avoirs détenus par les personnes responsables du « détournement de fonds publics tunisiens » ou par les associés à ces personnes. En d’autres termes, cette disposition, dont le libellé est clair et précis, mentionne une catégorie spécifique de faits de nature à recevoir une qualification pénale en droit tunisien : il s’agit non pas de tout acte relevant de la délinquance ou de la criminalité économiques, mais uniquement des agissements susceptibles de recevoir la qualification de « détournement de fonds publics tunisiens ».

46      En cela, le libellé de ladite disposition est d’ailleurs en parfaite cohérence avec les objectifs poursuivis par le Conseil. En effet, il ressort des considérants de la décision 2011/72 que celle-ci tend à soutenir les efforts déployés par le peuple tunisien pour établir une « démocratie stable », tout en l’aidant à bénéficier des « avantages du développement durable de son économie et de sa société ». Or, de tels objectifs, qui sont au nombre de ceux mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et d), TUE, ont vocation à être atteints par un gel d’avoirs dont le champ d’application est, comme en l’espèce, restreint aux « responsables » de détournements de « fonds publics tunisiens » et à leurs associés, c’est-à-dire à des personnes dont les agissements sont susceptibles d’avoir obéré le bon fonctionnement des institutions publiques tunisiennes et des organismes leur étant liés.

–       Sens et portée de la décision 2011/79, en tant qu’elle concerne le requérant

47      Comme il a été dit au point 9ci-dessus, en vertu de la décision 2011/79, le nom du requérant a été inclus au nombre des personnes visées par le gel d’avoirs prévu par l’article 1er de la décision 2011/72, au motif qu’il faisait l’« objet d’une enquête judiciaire des autorités tunisiennes » pour des actes accomplis « dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent ».

48      Or, ce motif renvoie à une notion, celle de « blanchiment d’argent », qui n’est pas utilisée à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72. Dès lors, afin que ledit motif puisse être regardé comme étant au nombre de ceux prévus par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, il faut, à tout le moins, qu’il soit établi que, au regard du droit national applicable, à savoir le droit tunisien, la notion de « détournement de fonds publics », telle qu’employée à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, recouvre ou, à tout le moins, implique nécessairement celle de « blanchiment d’argent ». Toutefois, au cas particulier, le Conseil n’établit ni même d’ailleurs ne soutient que, en dépit de la divergence existant prima facie entre les notions de « blanchiment d’argent » et de « détournement de fonds publics », un individu puisse être qualifié, au regard du droit pénal tunisien, de « responsable du détournement de fonds publics » ou d’associé à un tel responsable pour la seule raison qu’il est l’objet d’une « enquête judiciaire » pour des faits de « blanchiment d’argent ».

49      À titre superfétatoire, il peut être noté que, dans le cadre du droit de l’Union, le « blanchiment d’argent » recouvre notamment la conversion et le transfert intentionnels de biens provenant d’une activité criminelle, quelle qu’elle soit, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes. Cela résulte, en particulier, de la définition donnée à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (JO L 309, p. 15), dont le libellé reprend, en substance, celui de l’article 9 de la convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme, ouverte à la signature le 16 mai 2005, signée par l’Union le 2 avril 2009, mais non encore approuvée par elle. Or, force est de constater que, ainsi défini, le « blanchiment d’argent » ne correspond pas aux seuls agissements permettant de dissimuler l’origine illicite d’avoirs issus de détournements de fonds publics.

50      Il suit de là que la décision 2011/79 a inclus le requérant au nombre des personnes dont les avoirs devaient être gelés en vertu de la décision2011/72, en faisant application d’un critère autre que celui prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de cette dernière décision.

–       Arguments de la défense

51      Pour tenter de remettre en cause la conclusion énoncée au point précédent, le Conseil, soutenu par la Commission, a fait valoir, en substance, qu’une interprétation littérale de la décision 2011/79 était exclue, celle-ci devant, au contraire, être lue à la lumière du contexte factuel dans lequel elle s’inscrivait.

52      Au soutien d’une telle thèse, il a avancé trois arguments.

53      Par un premier argument, sur lequel il a été insisté lors de l’audience, le Conseil, soutenu par la Commission, a allégué que les éléments de preuve sur le fondement desquels il avait été décidé d’inclure le requérant au nombre des personnes dont les avoirs devaient être gelés en vertu de la décision 2011/72 témoignaient de ce que celui-ci était considéré, par les autorités tunisiennes, comme « responsable du détournement de fonds publics tunisien » ou susceptible d’avoir été associé à une personne responsable de tels faits. Cela ressortirait, en particulier, d’indications fournies par les autorités tunisiennes au Conseil, en réponse à une demande de la délégation de l’Union en Tunisie, ces indications devant être comprises à la lumière de ladite demande.

54      Cet argument doit, en tout état de cause, être écarté.

55      En effet, il ressort d’une lettre adressée par le Conseil à l’avocat du requérant le 29 juillet 2011, ainsi que des documents annexés à ladite lettre, que la décision 2011/79 a été adoptée après prise en considération de deux documents.

56      Le premier document correspond à une note de la direction générale de la sûreté publique de la République tunisienne du 20 janvier 2011 destinée au doyen des juges d’instruction près le Tribunal de première instance de Tunis. Il ressort des termes mêmes de cette note qu’elle correspond à une liste des « parents et alliés » de l’ancien chef de l’État tunisien. Sur cette liste figure le nom du requérant.

57      Le second document est une note verbale adressée, le 29 janvier 2011, par le ministère des Affaires étrangères de la République tunisienne à la délégation de l’Union en Tunisie. Cette note indique que les personnes listées dans le premier document sont visées, en Tunisie, par une instruction judiciaire pour « blanchiment d’argent par suite d’utilisation abusive des fonctions et des activités professionnelles et sociales ».

58      Lors de l’audience, le Conseil a en outre allégué qu’il avait pris en considération un document supplémentaire lors de l’adoption de la décision 2011/79. Ce document, versé au dossier à la suite d’une demande en ce sens du Tribunal (voir point 23 ci-dessus), est une note verbale de la délégation de l’Union européenne en Tunisie datée du 25 janvier 2011. Il en ressort que, « en vue […] de préparer une décision [de] gel des avoirs des personnes [re]connues ou soupçonnées d’avoir agi contre les intérêts de l’État tunisien et/ou contre son peuple », la délégation de l’Union a demandé aux autorités tunisiennes de lui fournir une « liste des personnes physiques et/ou morales visées par le gouvernement tunisien ».

59      Or, le premier document, visé au point 56 ci-dessus, expose certes clairement les liens familiaux unissant le requérant à l’ancien chef de l’État tunisien. Mais, en tout état de cause, il ne ressort en aucun cas de ce document que le requérant ou des membres de la famille de ce dernier étaient poursuivis en Tunisie, à la date d’adoption de la décision 2011/79, pour des faits de « détournements de fonds publics ». Ainsi qu’il vient d’être dit, ce document est une liste détaillant uniquement les « identités complètes » des « parents et alliés » de l’ancien chef de l’État tunisien.

60      Quant à elle, la note verbale décrite au point57 ci-dessus ne mentionne pas la situation particulière du requérant. En outre, elle fait référence à une instruction judiciaire portant sur deux catégories de faits : des opérations de blanchiment consécutives à une « utilisation abusive [de] fonctions », d’une part, et des opérations de blanchiment consécutives à une utilisation abusive des « activités professionnelles et sociales », d’autre part.

61      Or, si ladite note verbale fait mention d’une instruction judiciaire portant sur des opérations de blanchiment d’argent consécutives à une « utilisation abusive [de] fonctions », elle ne précise pas si les fonctions en cause ont un caractère privé ou public.Ainsi, il ne saurait, certes, être exclu que, s’agissant de certaines des personnes figurant sur la liste comprise dans le premier document, l’instruction judiciaire mentionnée dans ladite note verbale vise effectivement des actes susceptibles de recevoir la qualification de « blanchiment d’argent par suite d’utilisation abusive [de] fonctions » publiques, actes dont les auteurs pourraient raisonnablement être qualifiés de responsables ou d’« associés » à des responsables de détournements de fonds publics. Toutefois, le Tribunal n’est pas à même de conclure, au vu des seuls documents décrits aux points 56 et 57 ci-dessus, que de tels actes étaient reprochés spécifiquement au requérant. Cette conclusion s’impose avec d’autant plus de force que le Conseil n’a ni soutenu ni même suggéré que le requérant avait exercé des fonctions publiques.

62      Par ailleurs, dans l’hypothèse où le requérant aurait été mis en cause du chef d’actes de blanchiment d’argent par suite de l’utilisation abusive des « activités professionnelles et sociales », aucun des documents susdécrits n’indique que les activités visées par une telle mise en cause étaient liées à l’exercice de prérogatives de puissance publique ou relevaient d’un service public tunisien.

63      Enfin, le document supplémentaire invoqué par le Conseil fait référence non pas, de manière spécifique, aux responsables de « détournements de fonds publics » ou à leurs associés, mais renvoie à une autre catégorie, celle des « personnes reconnues ou soupçonnées d’avoir agi contre les intérêts de l’État tunisien et/ou contre son peuple ».

64      Quoi qu’il en soit, quand bien même ces deux notions se confondraient, les premier et deuxième documents susévoqués ne sauraient être considérés comme visant des personnes « responsables du détournement de fonds publics tunisiens » ou des personnes associées à de tels responsables au seul motif qu’ils comportent une réponse à une question posée dans le document supplémentaire. En effet, il est certes exact que ces deux premiers documents visent à répondre à une question formulée dans le document supplémentaire. Toutefois, une telle circonstance n’implique pas que la réponse qu’ils apportent est appropriée. Il revenait au Conseil de vérifier que les documents qui lui ont été adressés par les autorités tunisiennes répondaient utilement à la question qui avait été formulée par la délégation de l’Union en Tunisie. Or, en l’espèce, force est de constater, ainsi qu’il a été dit aux points précédents, qu’il ressort de la lecture combinée des deux premiers documents susdécrits que les autorités tunisiennes ont transmis une liste de personnes visées par une instruction judiciaire pour « blanchiment d’argent par suite d’utilisation abusive des fonctions et des activités professionnelles et sociales », sans indiquer si ces personnes étaient, à ce titre, des personnes responsables de « détournements de fonds publics » ou des associés à de telles personnes, et sans même préciser si ces personnes devaient être considérées comme ayant « agi contre les intérêts de l’État tunisien et/ou contre son peuple ».

65      Au surplus, il convient de noter que le document supplémentaire ne mentionne pas spécifiquement le requérant. A fortiori, il ne contient aucune indication quant à l’objet de l’enquête menée à l’encontre de ce dernier en Tunisie.

66      Par suite, sur la base des trois documents décrits aux points 56 à 59 ci-dessus, il est impossible de conclure, avec certitude, que, à la date d’adoption de la décision 2011/79, le requérant faisait l’objet d’une enquête judiciaire pour des faits de blanchiment d’argent consécutifs à des détournements de fonds publics et pouvait être considéré, à ce titre, commeune personne « responsable du détournement de fonds publics tunisiens » ou comme un associé à une telle personne.

67      Par un deuxième argument, le Conseil a fait valoir, d’une part, qu’il ressortait de la décision 2011/79 et du document décrit au point 56 ci-dessus que le requérant était le gendre de l’ancien chef de l’État tunisien. Il a affirmé, d’autre part, que « rien n’indiqu[ait] que le requérant [avait] pris ses distances avec sa belle-famille et qu’il n’[avait] pas tiré un avantage important de sa relation étroite avec l’ancien couple présidentiel de Tunisie ». Lors de l’audience, le Conseil, soutenu par la Commission, en a conclu, en substance, que le motif pour lequel le requérant avait été soumis à un gel de ses avoirs entrait dans les prévisions de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72.

68      Toutefois, en tout état de cause, tel n’est pas le cas.

69      Tout d’abord, il convient de noter que, par son deuxième argument, le Conseil soutient, en substance, que, dès lors que le requérant appartient, d’une part, à la famille de l’ancien chef de l’État tunisien et fait, d’autre part, l’objet d’une enquête judiciaire pour des faits de blanchiment d’argent, il appartient à celui-ci de prouver qu’il a pris ses distances avec sa propre famille et qu’il n’a pas tiré un avantage de son lien familial avec l’ancien chef de l’État tunisien, faute de quoi il peut être soumis à un gel de ses avoirs en tant que personne « responsable du détournement de fonds publics tunisiens » ou en tant qu’associé à une telle personne. Or, c’est au Conseil qu’il revient de démontrer que le motif pour lequel le requérant a été soumis à un gel de ses avoirs entre dans les prévisions de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72. En effet, le Tribunal ne saurait présumer que tout acte de blanchiment d’argent commis par des membres de la famille de l’ancien chef de l’État tunisien est nécessairement en relation avec des détournements de fonds publics, une telle présomption n’étant prévue par aucun texte (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil, C‑376/10 P, non encore publié au Recueil, point 69).

70      Au surplus, eu égard à ce qui a été dit au point 48 ci-dessus, quand bien même le Conseil aurait démontré que l’ancien chef de l’État tunisien ou certains membres de son entourage familial autres que le requérant pouvaient être qualifiés, à la date d’adoption de la décision 2011/79, de « responsables du détournement de fonds publics tunisiens », le Tribunal ne pourrait en déduire, en l’absence d’éléments de preuve ou d’indices concordants en ce sens, que les « opérations de blanchiment d’argent » reprochées au requérant étaient liées, directement ou indirectement, aux « détournements de fonds publics tunisiens » susceptibles d’avoir été commis par ces personnes.

71      Par un troisième argument, se prévalant d’un télégramme diplomatique envoyé par l’ambassade des États‑Unis à Tunis, au demeurant non versé au dossier, le Conseil a soutenu, tout d’abord, que le requérant avait fait construire une « propriété gigantesque et somptueuse » sur un terrain de grande valeur, dont le propriétaire aurait été exproprié par le gouvernement tunisien au profit de l’administration des eaux et qui aurait été ultérieurement attribué au requérant pour son usage privé. Ensuite, invoquant un autre télégramme diplomatique de l’ambassade des États‑Unis à Tunis, qu’il n’a pas plus versé au dossier, le Conseil a allégué que le requérant avait également été très actif au sein de la communauté diplomatique et avait cherché à servir de « point de contact entre le régime et des ambassadeurs de premier plan ».

72      Toutefois, il n’est en toute hypothèse pas établi que les télégrammes diplomatiques auxquels fait référence le Conseil lui aient été accessibles à la date d’adoption de la décision 2011/79. À cet égard, il convient de souligner que, si ces télégrammes peuvent, comme l’indique le Conseil, être consultés sur des pages d’un site Internet mentionnant la date du 8 décembre 2010, il ne ressort pas du contenu de ces pages que cette date corresponde à celle de leur mise en ligne. Or, la légalité d’une décision de gel d’avoirs doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont le Conseil pouvait disposer au moment où il l’a arrêtée (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 168).

73      En tout état de cause, même si les éléments de fait décrits dans les télégrammes diplomatiques dont il s’agit avaient été portés à la connaissance du Conseil antérieurement à l’adoption de la décision 2011/79, ils ne seraient pas de nature à démontrer que les opérations de « blanchiment d’argent » visées par l’enquête judiciaire mentionnée dans la décision 2011/79 présentaient un lien avec des « détournements de fonds publics ».

74      Il résulte de tout ce qui précède que le présent moyen doit être accueilli, de sorte que la décision 2011/79 doit être annulée en tant qu’elle vise le requérant.

 Sur les conclusions à fin d’annulation dirigées contre le règlement n° 101/2011

75      Aux termes de l’article 215, paragraphe 2, TFUE :

« Lorsqu’une décision, adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité [UE], le prévoit, le Conseil peut adopter […] des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques. »

76      En l’espèce, conformément à ce qui a été dit au point 74 ci-dessus, il convient de considérer que la décision 2011/79 doit être réputée n’avoir jamais existé en tant qu’elle vise le requérant (voir point 74 ci‑dessus). Ainsi,aucune décision adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE ne peut être regardée comme ayant prévu, à la date à laquelle le règlement n° 101/2011 a été adopté, l’imposition de mesures restrictives au requérant. Dès lors, le Conseil n’était, à cette même date, pas habilité à imposer, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, un gel d’avoirs à l’encontre du requérant par la voie du règlement n° 101/2011.

77      Il suit de là que le règlement n° 101/2011 doit être annulé en tant qu’il vise le requérant, par voie de conséquence de l’annulation de la décision 2011/79.

78      Dès lors qu’il a été fait droit, dans leur intégralité, aux conclusions à fin d’annulation dirigées contre la décision 2011/79 et le règlement n° 101/2011, il n’est pas nécessaire de statuer sur les autres moyens du recours.

 Sur les conclusions à fin d’annulation dirigées contre la décision 2012/50

79      Le requérant a demandé au Tribunal, postérieurement au dépôt de la duplique, que tous ses moyens d’annulation « soient à présent étendus et s’appliquent [à la décision 2012/50], dans la mesure où celle‑ci lui [est] applicable ». Il a ainsi présenté de nouvelles conclusions à fin d’annulation, dirigées contre la décision 2012/50, alors même que la procédure écrite était close.

 Sur la nature et la recevabilité de ces conclusions

80      Lorsque l’acte attaqué initialement est, en cours de procédure, remplacé par un autre acte ayant le même objet, ce dernier doit être considéré comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il ne saurait en effet être admis qu’une institution ou qu’un organe de l’Union puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête dirigée contre un de ses actes, adapter cet acte ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux à l’acte ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui‑ci (arrêt de la Cour du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission, 14/81, Rec. p. 749, point 8 ; arrêt Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, point30supra, point 28).

81      En l’espèce, la décision 2012/50 s’est bornée à remplacer le libellé initial de l’article 5 de la décision 2011/72, tel que mentionné au point 6 ci-dessus, par le texte suivant : « La présente décision s’applique jusqu’au 31 janvier 2013. Elle fait l’objet d’un suivi constant. Elle est prorogée ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. » Ce faisant, ladite décision n’a remplacé ni la décision 2011/79, qui modifiait la liste annexée à la décision 2011/72, ni le règlement n° 101/2011 ou son annexe I. Elle n’a eu d’autre effet que de proroger la durée d’application du gel d’avoirs prévu par ces actes. Pour autant, force est de constater qu’il s’agit d’une « adaptation » desdits actes, au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Alpha Steel/Commission (point 80 supra, point 8), laquelle était destinée à en modifier le champ d’application ratione temporis. Or, une telle adaptation des actes faisant l’objet du litige constitue une cause d’adaptation des conclusions présentées par le requérant.

82      Dans ces conditions, il convient d’admettre la recevabilité des conclusions dirigées contre la décision 2012/50, lesquellesont été présentées par acte enregistré au greffe du Tribunal le 23 février 2012, c’est‑à‑dire dans le délai de recours contentieux contre cette décision.

 Sur l’exception de non-lieu à statuer

83      L’intérêt à agir doit, au vu de l’objet des conclusions, exister au stade de la présentation de ces conclusions, sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non‑lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt de la Cour du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, Rec. p. I‑4333, point 42, et la jurisprudence citée).

84      En l’espèce, ainsi qu’il a été dit au point 81 ci‑dessus, la décision 2012/50 n’a pour objet que de proroger jusqu’au 31 janvier 2013 l’application du gel d’avoirs prévu par la décision 2011/72 et le règlement n° 101/2011. Or, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation prononcée aux points 74 et 77 ci-dessus, le requérant est réputé n’avoir jamais été visé par ce gel d’avoirs. Par suite, le requérant n’a plus, à ce jour, d’intérêt à demander l’annulation de la décision 2012/50.

85      Les parties ayant été, lors de l’audience, entendues à cet égard, il n’y a donc pas lieu de statuer sur ces conclusions.

 Sur l’effet dans le temps de l’annulation partielle de la décision 2011/79 et du règlement n° 101/2011

86      L’article 60 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne indique que les effets d’un règlement annulé sont maintenus jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet de celui‑ci. En toute hypothèse, l’annulation du règlement n° 101/2011 ne saurait donc avoir un effet immédiat.

87      En revanche, l’annulation partielle de la décision 2011/79 présente en principe un effet immédiat, en ce sens que l’acte annulé est éliminé rétroactivement de l’ordre juridique et censé n’avoir jamais existé (voir, en ce sens, arrêt Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, point 30supra, point 35).

88      Toutefois, le Tribunal peut, sur le fondement de l’article 264 TFUE, maintenir provisoirement les effets de cette décision (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, points 373 à 376, et arrêt du Tribunal du 16 septembre 2011, Kadio Morokro/Conseil, T‑316/11, non publié au Recueil, point 39).

89      En l’espèce, une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement n° 101/2011 et celle de la décision 2011/79 serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt Kadio Morokro/Conseil, point 88 supra, point 39). Ne serait-ce que pour cette raison, l’usage de la faculté laissée au Tribunal par l’article 264 TFUE apparaît nécessaire.

90      Il convient donc, en ce qui concerne le requérant, de maintenir les effets de la décision 2011/79 jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement n° 101/2011.

 Sur les dépens

91      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, « [t]oute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens […] »

92      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure :

« Les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

Les États parties à l’accord EEE, autres que les États membres, ainsi que l’Autorité de surveillance de l’AELE supportent de même leurs propres dépens lorsqu’ils sont intervenus au litige.

Le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante autre que celles mentionnées à l’alinéa précédent supportera ses propres dépens. »

93      En l’espèce, dès lors que le Conseil a succombé pour l’essentiel, il convient de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant. Par ailleurs, en tant qu’institution intervenante, la Commission supportera ses propres dépens. Enfin, il en ira de même s’agissant de la République tunisienne.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution 2011/79/PESC du Conseil, du 4 février 2011, mettant en œuvre la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie et le règlement (UE) n° 101/2011 du Conseil, du 4 février 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie sont annulés en tant qu’ils visent M. Fahed Mohamed Sakher Al Matri.

2)      Les effets de la décision d’exécution 2011/79 à l’égard de M. Al Matri sont maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement n° 101/2011 en tant qu’il vise M. Al Matri.

3)      Il n’y a pas lieu de statuer sur le surplus du recours.

4)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Al Matri.

5)      La Commission européenne et la République tunisienne supporteront leurs propres dépens.

Czúcz

Labucka

Gratsias

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 mai 2013.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur les conclusions à fin d’annulation dirigées contre la décision 2011/79

Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation

Sur le moyen tiré du non-respect des critères posés à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72

– Rapports que les décisions 2011/72 et 2011/79 entretiennent entre elles

– Sens et portée de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72

– Sens et portée de la décision 2011/79, en tant qu’elle concerne le requérant

– Arguments de la défense

Sur les conclusions à fin d’annulation dirigées contre le règlement n° 101/2011

Sur les conclusions à fin d’annulation dirigées contre la décision 2012/50

Sur la nature et la recevabilité de ces conclusions

Sur l’exception de non-lieu à statuer

Sur l’effet dans le temps de l’annulation partielle de la décision 2011/79 et du règlement n° 101/2011

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.