Language of document : ECLI:EU:C:2022:384

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 12 mai 2022 (1)

Affaire C883/19 P

HSBC Holdings plc,

HSBC Bank plc,

HSBC Continental Europe, anciennement HSBC France

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Concurrence – Article 101 TFUE – Manipulation des taux de référence interbancaires de l’Euribor – Échange d’informations confidentielles – Restriction “par objet” – Infraction unique et continue – Transaction – Procédure hybride – Présomption d’innocence – Droit à une bonne administration – Devoir d’impartialité »






I.      Introduction

1.        Les produits dérivés de taux d’intérêt en euro (ci-après les « EIRD ») sont souvent utilisés comme couvertures par les banques, les investisseurs institutionnels, les entreprises et les particuliers pour se prémunir contre les modifications des taux d’intérêt du marché. Les taux Euro Interbank Offered Rate (ci-après l’« Euribor ») sont importants parce qu’ils fournissent des taux de référence pour le prix des taux d’intérêt de tous types de produits financiers, tels que les contrats d’échange de taux d’intérêt, les contrats à terme sur taux d’intérêt, les comptes épargne et les hypothèques. Par ailleurs, l’Euro Over-Night Index Average (ci-après l’« EONIA ») était utilisé comme taux de référence au jour le jour pour l’euro. L’EONIA a été supprimé avec effet au 3 janvier 2022.

2.        Dans le cadre du présent pourvoi, certaines sociétés du groupe bancaire HSBC demandent à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal (2), rejetant partiellement leur recours tendant à l’annulation d’une décision de la Commission qui leur a infligé une amende pour leur participation, du 12 février au 27 mars 2007, à une entente sur le marché des EIRD liés à l’Euribor ou à l’EONIA (3).

3.        Ce pourvoi soulève un certain nombre de questions d’ordre procédural et de fond concernant le droit de la concurrence de l’Union. Parmi ces questions, d’une importance particulière, figurent les obligations de la Commission européenne, dans le cadre de procédures hybrides, d’agir de manière impartiale et de respecter le principe de la présomption d’innocence des parties n’ayant pas transigé (4) ainsi que la notion d’« infraction par objet ».

II.    Les faits et le cadre juridique

4.        Les faits et le cadre juridique de l’espèce, tels qu’exposés dans l’arrêt attaqué (5), peuvent se résumer comme suit.

5.        Le 14 juin 2011, le groupe bancaire Barclays (ci-après « Barclays ») a demandé à la Commission l’octroi d’un marqueur au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (6), l’informant de l’existence d’une entente dans le secteur des EIRD et exprimant son souhait de coopérer. Le 14 octobre 2011, Barclays s’est vu accorder une immunité conditionnelle.

6.        Les 5 mars et 29 octobre 2013, en application de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, la Commission a engagé une procédure d’infraction à l’encontre de HSBC Holdings plc, HSBC Bank plc et HSBC Continental Europe (auparavant HSBC France) (ci-après désignées conjointement « HSBC » ou les « requérantes au pourvoi ») et de Barclays, du Crédit Agricole SA et du Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (ci-après désignées conjointement le « Crédit Agricole »), de Deutsche Bank AG, de Deutsche Bank Services (Jersey) Ltd et de DB Group Services (UK) Ltd (ci-après désignées conjointement « Deutsche Bank »), de JP Morgan Chase & Co., de JP Morgan Chase Bank National Association et de JP Morgan Services LLP (ci-après désignées conjointement « JP Morgan »), de Royal Bank of Scotland plc et de Royal Bank of Scotland Group plc (ci-après désignées conjointement « RBS ») et de la Société Générale.

7.        Barclays, Deutsche Bank, la Société Générale et RBS ont souhaité participer à une procédure de transaction conformément à l’article 10 bis du règlement no 773/2004. Les requérantes au pourvoi, le Crédit Agricole et JP Morgan ont décidé de ne pas participer à cette procédure de transaction.

8.        Le 4 décembre 2013, la Commission a adopté, à l’égard de Barclays, Deutsche Bank, la Société Générale et RBS, la décision C(2013) 8512 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen [affaire AT.39914 – Produits dérivés sur taux d’intérêt en euros (EIRD) (règlement)] (ci-après la « décision de règlement ») par laquelle elle a conclu que ces entreprises avaient enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen en participant à une infraction unique et continue ayant pour objet de fausser le cours normal des prix sur le marché des EIRD.

9.        Le 19 mars 2014, la Commission a adressé une communication des griefs aux requérantes au pourvoi ainsi qu’au Crédit Agricole et à JP Morgan.

10.      Les requérantes au pourvoi ont pu consulter les parties accessibles du dossier de la Commission et leurs représentants légaux ont reçu un nouvel accès au dossier dans les locaux de la Commission. Les requérantes au pourvoi ont également eu accès à la communication des griefs adressée aux parties à la transaction, aux réponses de ces parties et à la décision de transaction.

11.      Le 14 novembre 2014, les requérantes au pourvoi ont présenté leurs observations écrites sur la communication des griefs et ont été entendues oralement lors de l’audition qui s’est déroulée entre le 15 et le 17 juin 2015.

12.      Le 7 décembre 2016, la Commission a adopté la décision litigieuse sur la base des articles 7 et 23 du règlement no 1/2003.

13.      L’article 1er de la décision litigieuse énonçait, notamment, que les requérantes avaient enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen en participant, entre le 12 février 2007 et le 27 mars 2007, « à une infraction unique et continue concernant des [EIRD]. Cette infraction, qui s’étendait à l’ensemble de l’[Espace économique européen], a consisté en des accords et/ou des pratiques concertées ayant pour objet de fausser le cours normal des composantes des prix dans le secteur des produits dérivés de taux d’intérêt en euros ».

14.      L’article 2 de la décision litigieuse inflige aux requérantes une amende d’un montant de 33 606 000 euros, dont elles sont solidairement responsables.

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

15.      Par leur recours au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 17 février 2017, les requérantes au pourvoi ont demandé au Tribunal, en substance, d’annuler la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, de modifier le montant de l’amende infligée.

16.      Dans son arrêt du 24 septembre 2019, le Tribunal a rejeté les moyens des requérantes au pourvoi qui portaient, en premier lieu, sur le constat par la Commission d’une violation par objet ; en deuxième lieu, sur la constatation par la Commission d’une infraction unique et continue ; et, en troisième lieu, sur une prétendue erreur de droit et violation des exigences procédurales essentielles durant la procédure administrative. Or, le Tribunal a considéré que la décision litigieuse était entachée d’une insuffisance de motivation en ce qui concerne la détermination du montant de l’amende.

17.      Par conséquent, le Tribunal a partiellement annulé (point 1 du dispositif) et partiellement confirmé (point 2 du dispositif) la décision litigieuse, en condamnant tant les requérantes au pourvoi que la Commission à supporter leurs propres dépens (points 3 et 4 du dispositif).

IV.    La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

18.      Dans leur pourvoi devant la Cour, formé le 3 décembre 2019, les requérantes au pourvoi demandent à la Cour, en premier lieu, d’annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué ; en deuxième lieu, d’annuler l’article 1er, point b), de la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, d’annuler l’article 1er, point b), en ce qu’il vise la participation de HSBC à une infraction unique et continue après le 19 mars 2007, et, en troisième lieu, de condamner la Commission aux dépens.

19.      Pour sa part, la Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les requérantes au pourvoi aux dépens.

20.      Par ordonnances du président de la Cour du 16 juillet 2020, le Crédit Agricole et JP Morgan (ci-après les « intervenantes ») ont été admis à intervenir au soutien des conclusions des requérantes au pourvoi.

21.      Par décision du 28 juin 2021, la Commission a modifié et adopté à nouveau la décision litigieuse afin de remédier à l’insuffisance de motivation en ce qui concerne l’amende infligée aux requérantes (ci-après la « décision de 2021 ») (7).

22.      Le 7 septembre 2021, par une mesure d’organisation de la procédure adoptée au titre de l’article 62 du règlement de procédure de la Cour, la Commission a été invitée à produire une copie de la décision de 2021 et à répondre à trois questions concernant les effets de cette décision à l’égard de la décision litigieuse qui faisait l’objet de l’arrêt attaqué. Par lettre du 16 septembre 2021, la Commission a informé le Tribunal que la décision de 2021 ne modifiait que les considérants et le dispositif de la décision litigieuse concernant le montant de l’amende infligée aux requérantes au pourvoi. En revanche, la décision de 2021 n’a pas modifié les parties de la décision litigieuse qui font l’objet de la présente procédure de pourvoi.

23.      Les requérantes au pourvoi, les intervenantes et la Commission ont été entendues lors de l’audience devant la Cour, qui s’est tenue le 26 janvier 2022.

V.      Appréciation

24.      Les présentes conclusions examineront chacun des six moyens dans l’ordre dans lequel ils ont été présentés par les requérantes au pourvoi et traiteront ensemble les moyens relatifs à la même question.

25.      Par conséquent, j’aborderai, en premier lieu, les griefs tirés de la violation, par la Commission, de certains droits et garanties procéduraux des requérantes au pourvoi (section A). En deuxième lieu, j’examinerai les moyens des requérantes au pourvoi portant sur la qualification, par le Tribunal, du comportement des requérantes au pourvoi en tant qu’infraction « par objet » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (section B). En troisième et dernier lieu, j’aborderai les arguments des requérantes au pourvoi concernant les constatations du Tribunal selon lesquelles elles ont participé à une « infraction unique et continue » (section C).

26.      Compte tenu du nombre et de l’importance des questions soulevées par le présent pourvoi, ces conclusions aborderont plus en détail celles qui semblent soulever de nouvelles questions de droit ou, en tout état de cause, présenter un certain degré de complexité. En revanche, je traiterai les autres questions plus succinctement puisque, selon moi, il est possible de les résoudre sur la base d’une jurisprudence constante.

A.      Sur le premier moyen, tiré de la présomption d’innocence et du droit à une bonne administration

1.      Argumentation des parties

27.      Par leur premier moyen, dirigé contre les points 287 à 292 de l’arrêt attaqué, les requérantes au pourvoi font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’appréciation de leurs moyens tirés de violations, par la Commission, du principe de la présomption d’innocence, de leur droit à une bonne administration et du respect de leur droit de la défense.

28.      Les requérantes au pourvoi font valoir que, en adoptant une procédure hybride échelonnée (8), la Commission a irrémédiablement porté atteinte à leur position avant l’adoption effective de la décision litigieuse, violant ainsi le principe de la présomption d’innocence. En effet, la décision de transaction, bien que non adressée à HSBC, a constaté que HSBC était partie à des pratiques bilatérales avec une autre banque ayant pour objet de restreindre la concurrence. Selon les requérantes au pourvoi, ce constat ne pouvait pas être infirmé dans le cadre de la procédure (ordinaire) suivante qui concernait les parties n’ayant pas transigé, dont les requérantes au pourvoi.

29.      Les requérantes au pourvoi font également valoir que la Commission a violé leur droit à une bonne administration en n’ayant pas agi de manière impartiale lors de l’appréciation de leur cas. Selon elles, cette carence a été confirmée par la Médiatrice européenne. En 2015, cette dernière a constaté que le commissaire en charge des questions de concurrence (ci-après le « commissaire alors en charge ») avait, en 2012 et en 2014, fait des déclarations publiques qui pouvaient raisonnablement laisser penser que la Commission (ou le commissaire alors en charge lui-même) avait déjà décidé du résultat de l’enquête en cours, ce qui constituait un cas de mauvaise administration (9).

30.      Les requérantes au pourvoi soutiennent que, en appréciant les arguments soulevés concernant la présomption d’innocence et le droit à une bonne administration, le Tribunal a adopté un critère juridique erroné, en leur imposant de fournir la preuve que, en l’absence de l’infraction, la décision aurait été différente (10) (ci-après le « critère Suiker Unie » (11)). Le critère juridique correct qui aurait dû être retenu, selon les requérantes au pourvoi, est celui de savoir s’il existait une « chance, même réduite », que la décision pertinente aurait pu être différente (12).

31.      Les intervenantes ont avancé des arguments similaires à cet égard. En particulier, le Crédit Agricole considère que, lorsque le respect du principe de la présomption d’innocence des parties n’ayant pas transigé ne peut être pleinement garanti dans une décision de transaction, la Commission devrait adopter simultanément les différentes décisions (à savoir la décision de transaction et les décisions ordinaires). S’agissant du devoir d’impartialité de la Commission, le Crédit Agricole fait valoir que l’arrêt attaqué est entaché d’une insuffisance de motivation en ce qu’il porte sur la violation alléguée de l’impartialité objective, mais non sur celle de l’impartialité subjective. JP Morgan considère que, en appliquant le critère Suiker Unie, le Tribunal a fait peser sur les requérantes au pourvoi une charge de la preuve impossible, ce qui entraînerait ainsi une violation de leur droit à un recours effectif, prévu à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

32.      La Commission, pour sa part, rejette la critique formulée par les requérantes au pourvoi à l’encontre de l’arrêt attaqué. Elle soutient avoir respecté tant son devoir d’impartialité objective que le principe de la présomption d’innocence lorsqu’elle a adopté la décision de transaction avant la décision litigieuse. À cet égard, la Commission souligne qu’une procédure de transaction hybride échelonnée n’est exclue ni par la réglementation pertinente (13), ni par la jurisprudence des juridictions de l’Union (14). La Commission estime que le Tribunal a jugé à bon droit que la décision de transaction, d’une part, ne contenait aucun constat de responsabilité ni aucun constat défavorable à l’encontre de HSBC et, d’autre part, qu’elle ne comportait que quelques références à HSBC, limitées à ce qui était strictement nécessaire pour décrire et établir l’affaire contre les parties à la transaction.

33.      En outre, la Commission fait valoir que, en adoptant le critère Suiker Unie, le Tribunal a dûment suivi la jurisprudence selon laquelle toute irrégularité concernant l’impartialité objective de la Commission (ou d’un membre de son personnel) entraînerait l’annulation de la décision pertinente s’il était établi que cette décision aurait eu un contenu différent en l’absence de cette irrégularité (15). Le critère proposé par les requérantes au pourvoi concerne, selon la Commission, une autre erreur de procédure (la violation des droits de la défense d’une entreprise), différente de celle soulevée en l’espèce (le défaut d’impartialité).

2.      Analyse

34.      En substance, les arguments avancés par les requérantes au pourvoi portent sur deux points, que j’aborderai successivement ci‑après.

a)      Les conséquences d’erreurs procédurales

35.      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les moyens des requérantes au pourvoi relatifs au principe de la présomption d’innocence et au droit à une bonne administration comme étant inopérants. Le Tribunal a précisé que, même si une violation avait été commise à cet égard, l’irrégularité procédurale commise par la Commission n’entraînerait l’annulation de la décision litigieuse que s’il était satisfait au critère Suiker Unie. Toutefois, dans la mesure où il avait déjà constaté que la décision litigieuse établissait, à suffisance de droit, la participation de HSBC aux comportements anticoncurrentiels en cause, le Tribunal a considéré que ce critère n’était pas rempli.

36.      Les requérantes au pourvoi critiquent ce raisonnement en faisant valoir que le Tribunal a adopté un critère juridique erroné en ce qui concerne les conséquences découlant des manquements de la Commission.

37.      Je suis de cet avis.

38.      Un bref aperçu de la jurisprudence relative aux conséquences d’éventuelles erreurs procédurales commises par la Commission dans la mise en œuvre de procédures en matière de concurrence peut être utile pour expliquer la raison pour laquelle je partage cette position. En effet, l’Union ne dispose pas, jusqu’à présent, d’une législation exhaustive qui détermine les conséquences des erreurs procédurales commises par la Commission au cours de la procédure administrative (16). Le règlement no 1/2003 ne comporte pas non plus de règles spécifiques à cet égard. Il appartenait ainsi au juge de l’Union de combler cette lacune.

39.      A priori, la jurisprudence peut paraître assez diversifiée, voire quelque peu confuse (17). Il est vrai que les raisons pour lesquelles le juge de l’Union a, par exemple, adopté des critères juridiques différents afin de déterminer les conséquences découlant des erreurs procédurales et/ou a suivi des principes différents en ce qui concerne la charge et le niveau de preuve à cet égard n’apparaissent pas clairement.

40.      Or, si l’on va au-delà de la simple terminologie des différentes décisions en la matière, qui s’étalent sur plusieurs décennies d’activité judiciaire, et bien que toutes les décisions ne se prêtent pas aisément à une classification dans des groupes définis, deux corpus jurisprudentiels principaux peuvent être identifiés.

41.      Dans un premier corpus jurisprudentiel, le juge de l’Union a, sans autre forme, annulé des décisions adoptées à l’issue d’une procédure dans laquelle la Commission avait violé une « forme substantielle ». Dans ces affaires, la Cour a estimé qu’il n’était pas nécessaire que les entreprises invoquant une erreur de procédure démontrent qu’une telle erreur aurait pu influencer, à leur détriment, le déroulement de la procédure et le contenu des décisions en cause (18).

42.      Une approche rigoureuse dans les cas où la Commission ne respecte pas les formes substantielles – c’est-à-dire des dispositions fondamentales de nature procédurale énoncées par le droit primaire ou dérivé de l’Union – est, à mon avis, pleinement justifiée. Dans de tels cas, la Commission agit essentiellement en dehors du cadre juridique prévu par les traités, en violation des principes de légalité et d’attribution des compétences (19).

43.      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, TUE, les institutions de l’Union « agi[ssent] dans les limites des attributions qui [leur] sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux‑ci » (20). En outre, conformément à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, « [l]es actes juridiques [de l’Union] sont motivés ». Dès lors, en adoptant des actes produisant des effets juridiques obligatoires, les institutions de l’Union ne sauraient méconnaître les règles procédurales les plus élémentaires, notamment en suivant des procédures sui generis (21) ou en adoptant des actes qui, insuffisamment motivés, rendent impossible le contrôle juridictionnel (22).

44.      Par conséquent, lorsque la Commission ne respecte pas les formes substantielles, il existe un intérêt public clair (et impératif) à débarrasser l’ordre juridique de l’Union des actes entachés de telles causes graves d’invalidité. Cet intérêt public justifie l’annulation immédiate des actes en cause, indépendamment du fait qu’il coexiste (et coïncide) avec l’intérêt privé de certaines entreprises dont les droits procéduraux ont été violés. C’est la raison pour laquelle les entreprises qui invoquent une violation d’une forme substantielle n’ont pas à prouver l’existence d’un préjudice subi du fait de l’irrégularité : le simple constat de l’irrégularité entraîne l’annulation de la décision concernée.

45.      Dans un second corpus de jurisprudence, le juge de l’Union a traité des irrégularités de procédure pour lesquelles il n’est pas possible d’identifier un intérêt public supérieur à l’annulation de l’acte en cause. Dans ces cas, il appartient aux entreprises concernées d’invoquer la violation, de la prouver à suffisance et – habituellement – d’expliquer les conséquences possibles qui en découlent. En fait, dans ces affaires, le juge de l’Union a généralement adopté ce que l’on pourrait appeler – pour emprunter un terme utilisé aux États-Unis d’Amérique – un critère d’« erreur bénigne ». Exprimé simplement, une irrégularité de procédure n’entraîne l’annulation de l’acte attaqué que si cette irrégularité a influencé ou a pu influencer le résultat de la procédure.

46.      Toutefois, la formulation précise du critère de l’erreur bénigne dans les différentes décisions différait, fluctuant, selon les circonstances spécifiques de chaque espèce, entre une forme moins stricte et une forme plus stricte. En outre, dans certains cas, la Cour semble avoir fait usage d’une présomption à cet égard. Ainsi, dans le cadre du corpus de jurisprudence relative à des irrégularités affectant principalement les droits des particuliers, trois axes distincts peuvent être trouvés.

47.      Dans le premier, la Cour a suivi la forme la plus stricte du critère de l’erreur bénigne qui, comme nous l’avons vu, a été formulée pour la première fois, du moins dans le domaine du droit de la concurrence, dans l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission (23). C’est également le critère appliqué par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. Selon cette formulation du critère, une erreur de procédure n’entraîne l’annulation de la décision de la Commission que lorsque le requérant est en mesure de prouver que, en l’absence de l’irrégularité, la procédure aurait abouti à un résultat différent. En vertu de ce critère, la charge de la preuve du scénario « le cas échéant » pèse sur le requérant et le seuil qui déclenche l’annulation de la décision litigieuse est celui de la « quasi-certitude » ou, à tout le moins, d’une « forte probabilité ».

48.      Par la suite, dans un deuxième axe de jurisprudence, le critère de l’erreur bénigne semble avoir évolué sous une forme plus légère. En effet, dans plusieurs affaires, le juge de l’Union a indiqué que les décisions attaquées devaient être annulées si les requérants établissaient que, en l’absence de l’irrégularité procédurale, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent (24). Là encore, la charge de la preuve pèse sur le requérant, au moins dans un premier temps. Toutefois, le niveau de preuve requis est moins élevé (une simple « possibilité » suffit normalement) avec pour conséquence que, une fois satisfaite par la requérante, la charge est transférée à la Commission.

49.      Enfin, dans un troisième axe de jurisprudence, la Cour, après avoir constaté une irrégularité de la procédure ayant conduit à une violation grave et manifeste de certains droits procéduraux des entreprises en cause, a présumé que cette irrégularité affectait, ou était susceptible d’affecter, le résultat de la procédure. Dès lors, la Cour n’a pas exigé des entreprises en cause qu’elles fournissent des éléments de preuve à cet égard (25).

50.      Pourquoi ces trois formes du critère de l’erreur bénigne existent-elles dans la jurisprudence et à quels types d’erreurs de procédure s’appliquent-elles ?

51.      Pour répondre à ces questions, il convient de s’interroger sur la raison d’être du critère de l’erreur bénigne.

52.      L’adoption d’un tel critère par le juge de l’Union s’explique par le fait que toute irrégularité de procédure n’entraîne pas ipso facto une violation des droits d’une entreprise. Certaines erreurs de procédure n’affectent tout simplement pas (et ne sauraient affecter) les intérêts juridiques protégés par les dispositions de l’Union qui octroient certains droits aux parties faisant l’objet d’une enquête. Une approche draconienne des irrégularités de procédure susciterait, notamment, le formalisme et des « lourdeurs » dans le processus administratif (26), au détriment de la poursuite efficace de l’intérêt général.

53.      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la mise en œuvre efficace de la politique de concurrence constitue un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union. En effet, les dispositions du traité en matière de droit de la concurrence constituent des dispositions fondamentales indispensables à l’accomplissement des missions confiées à l’Union et, en particulier, au fonctionnement du marché intérieur (27). Dès lors, la mise en œuvre des règles de concurrence doit respecter les droits fondamentaux des entreprises impliquées, mais les droits fondamentaux doivent également être interprétés et appliqués de manière à ne pas faire obstacle à l’application effective des règles de concurrence (28).

54.      En outre, même lorsque la Commission viole, au cours de la procédure administrative, certains droits procéduraux d’une entreprise, il est évident que la solution la plus appropriée n’est pas toujours d’annuler la décision en cause. S’il est évident que, malgré la violation des droits de l’entreprise, l’irrégularité de procédure en cause n’a pu avoir une quelconque incidence sur l’issue de l’affaire, l’annulation de la décision apparaît tout à la fois inappropriée (puisqu’elle ne remédie pas à la violation qui s’est produite) (29) et disproportionnée (la sanction n’étant pas proportionnée à l’erreur) (30). Les entreprises en cause disposent d’autres voies de recours plus adaptées aux circonstances (31).

55.      Cette logique vaut également lorsque les droits violés ont le statut de droits fondamentaux. Compte tenu de la large portée conférée, tant par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») que par les juridictions de l’Union, à plusieurs de ces droits, il est évident que toutes les violations ne sont pas comparables. Certaines violations sont manifestement plus graves et plus importantes que d’autres.

56.      Dans ces conditions, il me paraît logique que le critère de l’erreur bénigne puisse prendre différentes formes dans différents cas, en fonction principalement de la gravité de l’infraction et de la probabilité qu’une telle violation puisse influer sur l’issue de la procédure. En particulier, plus le degré de probabilité est élevé, moins le seuil à atteindre par la requérante est élevé et vice versa (32). En outre, s’agissant du niveau de preuve exigé du requérant, il doit être également tenu compte de la capacité de celui-ci à obtenir et à produire (certains) éléments de preuve à l’appui de ses allégations. C’est pourquoi, lorsque la répartition de la charge de la preuve (partielle ou totale) entre les entreprises en cause peut constituer une probatio diabolica, une erreur dommageable peut être présumée (33).

57.      Au vu de la jurisprudence la plus récente des juridictions de l’Union, il me semble que le critère moins strict de l’erreur bénigne est devenu le critère « ordinaire », du moins lorsqu’il existe un véritable problème de droit fondamental en l’espèce. Cela me paraît raisonnable, principalement pour deux raisons. D’une part, il est constant que la charge de la preuve d’une infraction aux règles de concurrence incombe à la Commission et que les doutes fondés doivent profiter aux entreprises visées par une enquête (34). D’autre part, il peut souvent s’avérer particulièrement difficile pour une entreprise de démontrer positivement un scénario alternatif et hypothétique (le résultat de la procédure en l’absence de l’irrégularité procédurale), surtout au regard de la marge d’appréciation que les règles de concurrence de l’Union accordent à la Commission dans le cadre du contrôle du respect et de la mise en œuvre de ces règles.

58.      La forme stricte du critère (c’est-à-dire celle du critère Suiker Unie) devrait donc être réservée aux situations dans lesquelles les erreurs de procédure invoquées semblent concerner des irrégularités moindres.

59.      Enfin, il existe certainement des cas où les répercussions sur la régularité et l’équité globales de la procédure découlant d’une irrégularité peuvent être présumées. Il s’agit d’erreurs de procédure qui sont non seulement particulièrement graves, mais également de nature structurelle : des erreurs affectant le cadre dans lequel se déroule la procédure, et pas simplement des erreurs qui se produisent dans le cadre d’une procédure par ailleurs correctement menée (35).

60.      Dans ce contexte, je conviens avec les requérantes au pourvoi que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur en soumettant leurs allégations relatives à une violation du devoir d’impartialité et du principe de la présomption d’innocence à un critère strict d’erreur bénigne (critère Suiker Unie), exigeant ainsi des preuves concrètes de ce que la décision litigieuse aurait eu un contenu différent en l’absence de cette irrégularité.

61.      Une carence de la Commission d’agir comme une administration publique impartiale dans l’appréciation d’une affaire donnée, parce qu’elle a été partiale ou parce qu’elle avait une idée préconçue de la culpabilité des entreprises poursuivies, constituerait une grave violation de ses devoirs susceptible d’avoir des répercussions sur l’issue de la procédure.

62.      On peut soutenir qu’une telle erreur ne saurait être comparée aux formalités ou prescriptions de la procédure, ni être considérée comme comparable au type d’erreurs dont la gravité est susceptible de n’avoir que peu d’influence sur la décision finale. Dès lors, s’agissant de telles erreurs, il devrait être suffisant d’exiger des entreprises en cause qu’elles fournissent des éléments démontrant que ces erreurs peuvent avoir eu  une influence sur l’issue de la procédure.

63.      Au vu de ce qui précède, je conclus que le Tribunal a commis une erreur en appliquant un critère juridique erroné lors du contrôle des allégations des requérantes au pourvoi relatives à un manquement de la Commission à son devoir d’impartialité et au principe de la présomption d’innocence.

b)      Une procédure hybride échelonnée

64.      Ensuite, les requérantes au pourvoi font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il n’a pas vérifié si la procédure de transaction comportait l’expression expresse ou implicite de leur culpabilité.

65.      Sur ce point, je partage également l’avis des requérantes au pourvoi. En effet, cette conclusion me semble découler du récent arrêt Pometon rendu par la Cour.

66.      Dans cet arrêt, la Cour a d’abord rappelé sa jurisprudence (ainsi que celle de la Cour EDH) relative à la présomption d’innocence, selon laquelle, dans le cadre de procédures pénales complexes impliquant plusieurs personnes ne pouvant être jugées ensemble, il arrive que la « juridiction compétente doive impérativement, pour apprécier la culpabilité des prévenus, faire mention de la participation de tiers qui seront peut-être jugés séparément par la suite. Toutefois, si des faits relatifs à l’implication de tiers doivent être introduits, la juridiction concernée devrait éviter de communiquer plus d’informations qu’il n’est nécessaire à l’analyse de la responsabilité juridique des personnes passant en jugement devant elle. En outre, la motivation de décisions judiciaires doit être formulée en des termes qui sont de nature à éviter un jugement prématuré potentiel relatif à la culpabilité des personnes tierces concernées, susceptible de compromettre l’examen équitable des charges retenues contre celles-ci dans le cadre d’une procédure distincte » (36).

67.      La Cour a ensuite jugé que ces principes sont, mutatis mutandis, également pertinents lorsque la Commission suit, s’agissant d’une même entente, une procédure hybride échelonnée impliquant deux décisions distinctes. Dans le cadre d’une telle procédure, il peut être objectivement nécessaire que la Commission aborde, dans la décision de transaction, certains faits et comportements concernant des participants à l’entente présumée faisant l’objet d’une procédure ordinaire. Toutefois, si tel est le cas, la Commission doit veiller, dans la décision de transaction, à ce que « la présomption d’innocence des entreprises qui ont refusé de transiger et qui font l’objet d’une procédure ordinaire » soit préservée (37).

68.      Enfin, la Cour a également constaté que, « [a]fin de contrôler le respect de la présomption d’innocence par la Commission, il appartient au juge de l’Union d’analyser une décision mettant un terme à la procédure de transaction et sa motivation dans son ensemble et à la lumière des circonstances particulières dans lesquelles celle-ci a été adoptée. En effet, toute référence explicite, dans certains passages de cette décision, à l’absence de responsabilité des autres participants à l’entente alléguée serait vidée de son sens si d’autres passages de ladite décision étaient susceptibles d’être compris comme une expression prématurée de leur responsabilité » (38).

69.      Il est constant que, dans l’arrêt attaqué, il n’a été procédé à aucune analyse telle que celle exigée par la Cour dans l’arrêt Pometon.

70.      Toutefois, la Commission fait valoir que, bien que le Tribunal n’ait pas suivi la « lettre » de l’arrêt Pometon, celui-ci ayant été rendu après le prononcé de l’arrêt attaqué, il s’est conformé à son « esprit ». Selon elle, le Tribunal a, de facto, vérifié qu’il n’y avait pas eu violation du principe de la présomption d’innocence à l’égard des requérantes au pourvoi.

71.      Je ne partage pas ce point de vue.

72.      Le Tribunal n’a procédé à aucune forme de contrôle, ni explicitement ni implicitement. Ainsi qu’il a été mentionné au point 35 des présentes conclusions, cette juridiction n’a pas examiné le bien-fondé des moyens des requérantes au pourvoi sur ce point dès lors que ces moyens ont été considérés comme inopérants.

73.      Ainsi, abstraction faite de la question relative au bien-fondé du critère juridique appliqué par le Tribunal dans ce contexte, force est de constater que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a aucunement analysé le texte de la décision de transaction afin de vérifier si celle-ci avait respecté le principe de la présomption d’innocence de HSBC.

74.      Sur ce fondement, je suis d’avis que, en contrôlant les griefs des requérantes au pourvoi quant aux effets de la décision de transaction sur leur position, le Tribunal a commis une erreur de droit.

75.      Au vu de ce qui précède, je suis d’avis que le premier moyen soulevé par les requérantes au pourvoi est, en principe, fondé.

B.      Sur les deuxième et troisième moyens, tirés de l’infraction « par objet »

76.      Les deuxième et troisième moyens invoqués par les requérantes au pourvoi concernent la notion d’« infraction par objet » et la manière dont le Tribunal est parvenu à la conclusion que leur comportement a donné lieu à une telle infraction.

1.      Argumentation des parties

77.      Par leur deuxième moyen, les requérantes au pourvoi soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en faisant une application erronée de l’article 101 TFUE dans sa qualification de l’objectif de la manipulation de l’Euribor du 19 mars 2007 ou en dénaturant les éléments de preuve pertinents.

78.      Les requérantes au pourvoi, soutenues par les intervenantes, font notamment valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant, aux points 101 et 102 de l’arrêt attaqué, que la simple possibilité que les parties à la manipulation offrent de meilleures conditions que leurs concurrents (en raison de l’asymétrie informationnelle sur les niveaux de l’Euribor) révèle un degré suffisant d’atteinte à la concurrence à l’origine d’une infraction « par objet ». Le Tribunal aurait dû censurer la Commission pour ne pas avoir examiné la question clé de savoir si la connaissance de la manipulation du 19 mars 2007 avait incité les traders à offrir des tarifs plus compétitifs que leurs concurrents. À cet égard, HSBC a présenté, devant le Tribunal, un rapport d’expertise selon lequel les traders participants n’étaient pas incités à proposer des tarifs plus compétitifs, car cela aurait réduit leurs bénéfices. La constatation du Tribunal, au point 101 de l’arrêt attaqué, selon laquelle ce rapport « ne cont[enait] que des considérations générales », constitue, selon les requérantes au pourvoi, une dénaturation manifeste desdits éléments de preuve.

79.      En outre, par leur troisième moyen, les requérantes au pourvoi, là encore soutenues par les intervenantes, font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que les deux discussions sur les prix médians (39) constituaient des infractions « par objet ». En particulier, le Tribunal a commis une erreur en déclarant que les effets pro-concurrentiels de ces discussions ne pouvaient être pris en compte que dans le cadre de restrictions accessoires à une opération principale ou d’une évaluation au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. En particulier, aux points 149 à 160 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a appliqué la théorie des « restrictions accessoires » pour apprécier l’argument, avancé par les requérantes au pourvoi, selon lequel l’échange d’informations sur les prix médians ne pouvait être considéré comme étant, par sa nature même, nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence.

80.      Ce faisant, le Tribunal a, selon les requérantes au pourvoi, omis de répondre à l’argument même qu’elles avaient avancé en première instance. Devant cette juridiction, les requérantes au pourvoi avaient fait valoir que, appréciées dans le contexte économique et juridique pertinent, les discussions sur les prix médians étaient effectivement pro-concurrentielles. Selon les requérantes au pourvoi, ces discussions ont réduit l’incertitude quant au niveau des prix médians sur le marché, permettant ainsi aux traders de fixer une offre plus restreinte au bénéfice de leurs clients. Dès lors, les comportements litigieux ne pouvaient pas être considérés comme contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, et encore moins constituer une infraction « par objet ».

81.      La Commission défend la motivation contenue dans l’arrêt attaqué. Selon elle, la critique des requérantes au pourvoi ne se focalise que sur une partie des constatations du Tribunal, sans remettre en cause l’aspect le plus fondamental consistant dans le fait que le comportement en cause a modifié la structure de la concurrence sur le marché. La Commission conteste également que le Tribunal ait dénaturé le rapport d’expertise présenté en première instance par les requérantes au pourvoi. Selon elle, le Tribunal s’est limité à constater que ce rapport n’était pas convaincant.

2.      Analyse

82.      Tout d’abord, je ne suis pas convaincu par les arguments soulevés par les requérantes au pourvoi dans le cadre de leur deuxième moyen.

83.      En effet, d’une part, la notion de restriction de concurrence « par objet » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE vise, selon une jurisprudence constante, des types de comportements collusoires considérés, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, de sorte qu’il serait redondant de prouver qu’ils ont des effets concrets sur le marché (40). En tant que tel, si une autorité de concurrence, après avoir examiné les dispositions et objectifs d’un accord, ainsi que le contexte juridique et économique dans lequel cet accord a été approuvé et mis en œuvre, parvient à la conclusion qu’un tel accord appartient à une catégorie d’accords dont le caractère nocif est, au regard de l’expérience, communément admis et facilement identifiable, cette autorité n’a pas à vérifier si cet accord a effectivement faussé la concurrence.

84.      Cette autorité doit seulement exclure que l’accord en cause, « bien que répondant aux caractéristiques d’une catégorie d’accords considérés d’ordinaire comme anticoncurrentiels, n’est néanmoins, en raison de certaines circonstances, absolument pas de nature à produire le moindre effet nocif sur le marché, voire est favorable à la concurrence » (41). En d’autres termes, face à une forme de comportement intrinsèquement anticoncurrentiel, l’autorité est simplement tenue de vérifier, dans le cas concret, « si des circonstances d’ordre juridique ou factuel excluent que l’accord ou la pratique examinée restreigne la concurrence » (42).

85.      Dès lors, des éléments tenant à la connaissance des entreprises concernées et à leur volonté de restreindre la concurrence ou à leur intérêt économique à le faire sont normalement d’une importance limitée pour l’appréciation par une autorité de la concurrence du point de savoir si leur comportement peut être qualifié de restriction de concurrence par « objet » (43). Une vérification de la capacité du comportement à restreindre la concurrence est, en principe, suffisante à elle seule à cette fin.

86.      Dans ce contexte, je rappelle également que, selon une jurisprudence constante, il y a lieu de présumer que les entreprises participant à une concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. Il n’y a donc pas lieu de prouver, pour établir une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, qu’un tel échange d’informations confidentielles a effectivement affecté la concurrence sur le marché (44).

87.      Pour ces raisons, je ne constate aucune erreur de droit aux points 101 et 102 de l’arrêt attaqué. C’est, à mon sens, à bon droit que le Tribunal a considéré que, aux fins de qualifier les comportements en cause de « restrictions par objet », la prétendue absence de volonté ou d’incitation des opérateurs impliqués à proposer de meilleurs tarifs n’était pas déterminante.

88.      D’autre part, eu égard aux considérations qui précèdent, l’argument des requérantes au pourvoi tiré d’une prétendue dénaturation, par le Tribunal, d’éléments de preuve en ce qui concerne le rapport économique d’expert produit en première instance peut être rejeté comme étant inopérant. En effet, à supposer même que ce rapport contienne, comme le prétendent les requérantes au pourvoi, « des données économiques spécifiques explorant en détail les incitations des traders qui ont participé à la manipulation », cela n’aurait aucune incidence sur la qualification des comportements en cause de « restrictions par objet ».

89.      Dans un souci d’exhaustivité, j’ajoute que, en tout état de cause, je partage l’avis de la Commission selon lequel le Tribunal semble simplement avoir considéré que le rapport n’était pas convaincant. Or, il ne s’agit pas d’une constatation susceptible de faire l’objet d’un pourvoi. Je ne décèle aucune erreur de droit dans l’exposé (regrettablement succinct) du Tribunal que les requérantes au pourvoi critiquent.

90.      En revanche, je partage l’argumentation développée par les requérantes au pourvoi dans le cadre de leur troisième moyen. En effet, je considère que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’évaluation des allégations des requérantes au pourvoi relatives au caractère pro-concurrentiel du comportement en cause.

91.      Au point 154 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a d’abord indiqué que, « à l’exception des restrictions accessoires à une opération principale [...], ce n’est que dans le seul cadre de l’appréciation de l’article 101, paragraphe 3, TFUE que d’éventuels effets pro-concurrentiels peuvent être pris en compte ». Le Tribunal a ensuite expliqué que l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne contient aucune « règle de raison » permettant une mise en balance des effets pro – et anticoncurrentiels d’un accord, afin de déterminer si cet accord doit être qualifié de « restriction de la concurrence ».

92.      Toutefois, cette position est infirmée par une jurisprudence récente. En particulier, ainsi que la Cour l’a précisé dans l’arrêt Generics (UK) e.a., lorsque les parties à cet accord se prévalent d’effets pro-concurrentiels attachés à celui-ci, ces effets doivent, en tant qu’éléments du contexte de cet accord, être dûment pris en compte aux fins de sa qualification de « restriction par objet » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où ils sont susceptibles de remettre en cause l’appréciation globale du degré suffisamment nocif de la pratique collusoire concernée à l’égard de la concurrence (45).

93.      Ainsi que la Cour l’a expliqué, l’évaluation des prétendus effets pro‑concurrentiels d’un accord ne constitue pas une règle de raison, mais vise uniquement à évaluer la gravité objective de la pratique concernée. En effet, lorsque les entreprises en cause démontrent que ces effets sont pertinents, spécifiquement liés à l’accord concerné, et suffisamment importants, cela permet « de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de l’accord [...] concerné, et, partant, de son objet anticoncurrentiel » (46).

94.      Force est de constater que le Tribunal n’a pas procédé à une telle appréciation, puisqu’il a examiné uniquement si les échanges d’informations sur les prix médians pouvaient être justifiés au titre de la doctrine dite des « restrictions accessoires ». Toutefois, cette doctrine se rapporte à un type d’analyse différent, visant à vérifier si certaines restrictions au comportement des parties à un accord, qui ne constituent pas l’objet de l’accord, peuvent être justifiées, même si elles sont restrictives de concurrence, parce qu’elles sont directement liées et nécessaires à la mise en œuvre d’un accord non anticoncurrentiel (47).

95.      Il s’ensuit que l’arrêt attaqué est, sur ce point, entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a adopté un cadre juridique erroné pour apprécier, puis rejeter, les arguments des requérantes.

96.      J’en conclus que le deuxième moyen doit être rejeté, tandis que le troisième moyen doit être accueilli.

C.      Sur les quatrième, cinquième et sixième moyens, tirés d’une infraction unique et continue

97.      Les quatrième, cinquième et sixième moyens concernent la constatation du Tribunal selon laquelle les requérantes au pourvoi ont participé à une « infraction unique et continue ».

1.      Argumentation des parties

98.      Les requérantes au pourvoi, soutenues par les intervenantes, font valoir que la constatation relative à leur participation à une infraction unique et continue repose sur plusieurs erreurs.

99.      Tout d’abord, par leur quatrième moyen, les requérantes au pourvoi soutiennent que le Tribunal a manifestement dénaturé les faits et les éléments de preuve en ce qui concerne les discussions du 12 février 2007. Les requérantes au pourvoi font valoir que, le même jour, il y a eu deux discussions séparées et indépendantes entre les mêmes traders. Or, contrairement à ce qui est indiqué dans l’arrêt attaqué, la première de ces discussions ne concernait pas une manipulation de l’Euribor. Les requérantes au pourvoi soutiennent que seule la seconde discussion a porté sur la manipulation prévue de l’Euribor le 19 mars 2007.

100. Les requérantes au pourvoi ajoutent que le Tribunal a commis une erreur similaire s’agissant des discussions qui ont eu lieu le 16 février 2007. Ce jour-là également, deux discussions distinctes ont eu lieu entre traders. Seule la première discussion portait sur les prix médians, tandis que la seconde concernait une opération historique unique. Selon les requérantes au pourvoi, le Tribunal aurait ainsi dénaturé les éléments de preuve lorsqu’il a qualifié la seconde discussion de « même occurrence de comportement » que la précédente. Selon elles, la première discussion n’a donné lieu à aucune violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

101. Par ailleurs, par leur cinquième moyen, les requérantes au pourvoi reprochent au Tribunal d’avoir conclu, aux points 214 à 229 de l’arrêt attaqué, que les différents comportements identifiés dans la décision litigieuse poursuivaient un objectif unique. Le Tribunal aurait fondé cette conclusion sur plusieurs appréciations erronées.

102. Enfin, dans leur sixième moyen, les requérantes au pourvoi critiquent la conclusion du Tribunal, aux points 255 à 262 de l’arrêt attaqué, selon laquelle HSBC savait qu’elle participait à une infraction unique et continue qui englobait non seulement la manipulation du 19 mars 2007, mais aussi les discussions des 19 et 27 mars 2007 sur la possibilité de réitérer cette manipulation. Les requérantes au pourvoi estiment que, sur ce point, l’arrêt attaqué est allé au-delà des constatations figurant dans la décision litigieuse.

103. La Commission considère que les quatrième, cinquième et sixième moyens sont irrecevables ou inopérants et, en tout état de cause, non fondés.

104. En ce qui concerne le quatrième moyen, la Commission considère que le Tribunal a correctement apprécié l’objet des discussions des 12 et 16 février 2007. Selon elle, les tentatives de HSBC de scinder ces conversations en échanges distincts, ayant chacun un objet différent, sont artificielles. La Commission ajoute que ce moyen est, en tout état de cause, inopérant, dans la mesure où, même si les arguments des requérantes devaient être accueillis, les constatations du Tribunal relatives aux échanges anticoncurrentiels intervenus entre le 12 février 2007 et le 27 mars 2007 demeureraient exactes.

105. La Commission fait également valoir que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en confirmant son analyse selon laquelle les différents comportements identifiés dans la décision litigieuse avaient un objectif unique. Cet objectif a été précisé au considérant 445 de la décision litigieuse, qui n’est pas remis en cause par l’arrêt attaqué : la « [réduction des] flux de trésorerie [que les parties à l’entente] auraient à payer (ou [l’augmentation de] ceux qu’elles recevraient) et par conséquent [l’augmentation de] la valeur des EIRD qu’elles détenaient dans leur portefeuille, au détriment des contreparties à ces EIRD ». La Commission ajoute que, en tout état de cause, les arguments des requérantes au pourvoi sur ce point sont irrecevables dès lors qu’ils se bornent à contester certaines appréciations factuelles du Tribunal.

106. En outre, la Commission estime que le sixième moyen est à la fois irrecevable et non fondé. Elle fait valoir que, sur ce point également, les requérantes au pourvoi contestent l’appréciation des faits et des éléments de preuve par le Tribunal concernant la connaissance par HSBC de la participation d’autres banques aux comportements incriminés. En tout état de cause, la Commission soutient que l’appréciation du Tribunal était correcte et pleinement cohérente avec les constatations effectuées dans la décision litigieuse.

2.      Analyse

107. Les arguments avancés par les requérantes au pourvoi et les intervenantes pour contester le bien-fondé de l’appréciation du Tribunal quant à la participation de HSBC à une infraction unique et continue ne me convainquent pas.

108. À cet égard, je rappelle qu’il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est, en principe, seul compétent pour constater les faits et pour les apprécier. Seule une dénaturation des éléments de preuve par le Tribunal constitue une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (48).

109. Les requérantes au pourvoi invoquent une dénaturation des éléments de preuve uniquement dans le cadre de leur quatrième moyen. Elles ne formulent pas une telle allégation en ce qui concerne les cinquième et sixième moyens, bien que ces moyens ne soulèvent aucune véritable question de droit.

110. Les requérantes au pourvoi et les intervenantes ne critiquent ni l’interprétation de la notion d’infraction « unique et continue » (ou de ses éléments constitutifs, tels que le « but unique ») retenue par le Tribunal ni, plus généralement, le cadre juridique appliqué dans l’arrêt attaqué. En substance, elles contestent des constatations concrètes effectuées par le Tribunal en ce qui concerne l’objet, la nature et le contexte de plusieurs discussions entre traders.

111. Dès lors, comme le fait valoir à juste titre la Commission, les requérantes au pourvoi et les intervenantes demandent, de facto, à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve en ce qui concerne la participation des requérantes au pourvoi à une infraction unique et continue. Or, cela serait irrecevable au stade du pourvoi.

112. Les cinquième et sixième moyens devraient, dès lors, être déclarés irrecevables. Par ailleurs, en ce qui concerne le quatrième moyen, je suis d’avis qu’il doit être rejeté comme non fondé.

113. À cet égard, je rappelle que, selon une jurisprudence constante, une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (49). Il ne suffit pas, afin de démontrer l’existence d’une dénaturation, de proposer une lecture desdits éléments de preuve différente de celle retenue par le Tribunal (50).

114. En l’espèce, la détermination du contenu et de la signification « réels » des conversations des 12 et 16 février 2007 n’est, certes, pas aisée. Elle exige de déchiffrer les messages écrits échangés entre traders et de tenir compte du fait que l’échange de ces messages a été interrompu par des périodes pendant lesquelles les traders se sont entretenus au téléphone.

115. Les requérantes au pourvoi proposent une explication de ces conversations différente de celle retenue par le Tribunal. Or, il ne m’apparaît nullement que les explications des requérantes au pourvoi soient plus crédibles ou plus probables que celles du Tribunal, et encore moins susceptibles d’établir une erreur matérielle dans l’appréciation des faits et des éléments de preuve qui serait requise pour démontrer une dénaturation.

116. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu, à mon sens, de rejeter les quatrième, cinquième et sixième moyens.

VI.    Les conséquences de l’appréciation

117. Dans les présentes conclusions, j’ai conclu au bien-fondé des premier et troisième moyens.

118. Néanmoins, il est de jurisprudence constante que, si les motifs d’une décision du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (51). Dans un tel cas, le pourvoi doit être rejeté (52).

119. Pour les raisons que j’exposerai dans les présentes conclusions, tel est le cas en l’espèce.

A.      Le droit à une bonne administration, la présomption d’innocence et les droits de la défense

120. À titre liminaire, il convient de rappeler que le droit à une bonne administration est consacré à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, aux termes duquel « [t]oute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union » (53). Ainsi que l’a constaté le Tribunal dans l’arrêt attaqué, cette exigence d’impartialité recouvre, d’une part, l’impartialité subjective, en ce sens qu’aucun membre de l’institution concernée qui est en charge de l’affaire ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel et, d’autre part, l’impartialité objective, en ce sens que l’institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (54).

121. Pour sa part, le principe de la présomption d’innocence est énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte qui, faisant écho à l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, dispose que « [t]out accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Il est de jurisprudence constante que, compte tenu de la nature des infractions en cause ainsi que de la nature et du degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, ce principe s’applique également aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes (55).

122. Enfin, la Cour a constamment rappelé que le principe du respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union. Ce serait violer ce principe que de fonder une décision juridictionnelle sur des faits et des documents dont les parties elles-mêmes, ou l’une d’entre elles, n’ont pu prendre connaissance et sur lesquels elles n’ont donc pas été en mesure de prendre position (56).

123. Les requérantes au pourvoi, soutenues par les intervenantes, font valoir que la Commission a violé ces droits, en substance, de deux manières. En premier lieu, les requérantes au pourvoi affirment que la Commission l’aurait fait en suivant une procédure hybride échelonnée et en adoptant une décision de transaction qui constaterait de facto la responsabilité de HSBC pour une infraction à l’article 101 TFUE. En second lieu, les requérantes au pourvoi font grief de certaines déclarations que le commissaire alors en charge a faites antérieurement à l’adoption de la décision litigieuse.

124. Aucune argumentation n’emporte, à mon sens, la conviction. Comme je l’exposerai dans les présentes conclusions, ces principes et ces droits n’ont pas été violés. En tout état de cause, les requérantes au pourvoi n’ont fourni aucun élément permettant de considérer que, en l’absence des irrégularités reprochées, la décision litigieuse aurait pu être différente.

1.      Une procédure hybride

125. En substance, les requérantes au pourvoi font valoir que, en adoptant une procédure hybride échelonnée, la Commission a irrémédiablement porté atteinte à leur position avant l’adoption effective de la décision litigieuse. En effet, la décision de transaction, même si elle ne leur était pas adressée, contenait plusieurs références inutiles à HSBC, de sorte que, de facto, la responsabilité de HSBC avait déjà été établie.

126. Je ne suis pas convaincu par l’argumentation des requérantes au pourvoi.

127. Tout d’abord, il convient de rappeler que la Cour a déjà constaté que rien ne s’oppose à ce que la Commission applique une procédure hybride échelonnée à l’égard des différents participants à une entente (57). Il serait contraire à l’objectif de la procédure de transaction, à savoir simplifier et accélérer les procédures administratives et réduire le nombre d’affaires portées devant les juridictions de l’Union, permettant ainsi à la Commission de traiter davantage d’affaires avec les mêmes ressources (58), d’obliger la Commission à adopter à la fois la décision de transaction et les décisions ordinaires y afférentes.

128. Le Crédit Agricole fait toutefois valoir que la Commission devrait le faire lorsqu’il n’existe pas de garanties suffisantes permettant de respecter la présomption d’innocence des parties n’ayant pas transigé dans le cadre d’une procédure hybride échelonnée.

129. Si, en théorie, je pourrais me rallier à une telle hypothèse, je peine, en pratique, à imaginer les circonstances dans lesquelles l’adoption d’une décision de transaction par la Commission, même si toutes les garanties et précautions possibles sont adoptées, conduirait inévitablement à engager la responsabilité des parties n’ayant pas transigé.

130. En effet, ainsi que le Tribunal l’a relevé à juste titre dans un arrêt récent, dans le cadre d’une procédure régie par les dispositions du règlement no 1/2003, tant les entreprises concernées que la Commission se trouvent, dans le cadre d’une procédure de transaction précédente, dans une situation de « table rase », où les responsabilités doivent encore être déterminées. Dans le cadre de cette procédure, la Commission est uniquement liée par la communication des griefs adressée aux entreprises en cause et doit, sans qu’il soit besoin de le souligner, donner à ces entreprises toutes les possibilités d’être entendues en tenant dûment compte des éléments de droit et de fait fournis par celles-ci (59).

131. Rien ne s’oppose à ce que, malgré des constatations factuelles et juridiques différentes dans la décision de transaction, la Commission parvienne à une conclusion différente dans la décision ordinaire subséquente, lorsqu’on lui a soumis de nouveaux arguments ou de nouveaux éléments de preuve. Autrement dit, dans la décision ultérieure, la Commission ne saurait se contenter de se fonder sur les constatations effectuées dans la décision de transaction. Toute décision adoptée par la Commission sur la base des dispositions du règlement no 1/2003 doit être, par principe, une décision autonome dans laquelle les conclusions des autorités sont suffisamment et raisonnablement justifiées et étayées (60).

132. S’agissant maintenant de l’argument principal des requérantes au pourvoi, je dois préciser d’emblée que je ne vois pas comment les références à HSBC figurant dans la décision de transaction pourraient être considérées comme ayant irrémédiablement porté atteinte à la position des requérantes au pourvoi dans le cadre de la procédure parallèle.

133. Sur le plan formel, il est constant entre les parties que la décision de transaction n’est pas censée et ne peut déployer le moindre effet juridique, du moins directement, à l’égard des requérantes au pourvoi, dès lors qu’elles ne sont pas destinataires de cette décision (61) et qu’elles ne sont pas mentionnées dans le dispositif de celle-ci.

134. En outre, le considérant 3 de la décision de transaction indique sans équivoque que celle-ci n’est fondée que sur des faits acceptés par les parties à la transaction et qu’elle « n’établit aucune responsabilité à l’égard des parties à la transaction pour toute participation à une infraction au droit de la concurrence de l’Union en l’espèce ». Ce considérant comporte également une note en bas de page (note 4) dans laquelle il est indiqué que les comportements visés dans cette décision « impliquant les parties n’ayant pas transigé sont exclusivement utilisés pour établir la responsabilité des parties à la transaction ».

135. Il est vrai que l’existence de ces « limitations de responsabilité » ne suffit pas à écarter la violation alléguée par les requérantes au pourvoi, dès lors que, ainsi qu’il ressort de l’arrêt Pometon, la Commission devrait éviter, dans une décision de transaction, de fournir davantage de renseignements que ce qui est nécessaire pour apprécier la responsabilité juridique des entreprises qui ne participent pas à cette procédure. En outre, la motivation des décisions de transaction devrait être rédigée de manière à éviter un préjugé éventuel quant à la culpabilité des parties n’ayant pas transigé, ce qui devrait faire l’objet de procédures distinctes.

136. Dès lors, il convient, dans l’affaire en cause, d’examiner la décision de transaction dans son ensemble, afin de vérifier si, malgré les éléments énumérés aux points 133 et 134 des présentes conclusions, les références à HSBC qui y sont contenues peuvent, de facto, être comprises comme des expressions prématurées de leur culpabilité. En d’autres termes, pour utiliser les expressions employées par les requérantes au pourvoi dans leur requête, la décision de transaction « cristallise »-t-elle la position de HSBC dans une mesure telle que cet aspect ne pourrait pas être « rectifié » dans le cadre de la procédure ultérieure ?

137. À cet égard, les requérantes au pourvoi critiquent le fait que, à la note 4 de la décision de transaction, la Commission a défini le terme « parties » comme « toutes les entreprises faisant l’objet de la procédure », ce qui inclut donc également les parties n’ayant pas transigé. Par la suite, la Commission a décrit les pratiques en cause (au point 4 de la décision de transaction) et les a imputées aux « parties » (62). Dans ce contexte, la Commission s’est également référée aux contacts bilatéraux entre Barclays et, entre autres, HSBC (63). En outre, dans le cadre de l’appréciation du caractère restrictif des pratiques en cause, la décision de transaction se réfère à celles décrites au point 4 de celle-ci.

138. Or, aucune de ces références, seule ou combinée, ne me semble problématique.

139. En effet, d’une part, les références aux parties n’ayant pas transigé dans la décision de transaction sont plutôt peu nombreuses et ne sont pas incluses dans la partie « appréciation juridique » de celle-ci (64). D’autre part, et surtout, toutes ces références ont un caractère descriptif et n’impliquent pas, explicitement ou implicitement, une appréciation de la situation juridique de HSBC.

140. Il est vrai que, dans le cadre de l’appréciation juridique de la partie de la décision de transaction, la Commission opère certaines références croisées à la partie descriptive de cette décision, dans laquelle HSBC est mentionnée soit directement, soit indirectement.

141. Toutefois, dans la mesure où le comportement des parties à la transaction qui fait l’objet de la décision de transaction incluait des contacts avec les parties n’ayant pas transigé et que ces contacts ont une certaine importance dans le système de la décision, il ne saurait être attendu de la Commission qu’elle omette ces informations. L’intérêt de HSBC à cet égard doit être mis en balance avec l’obligation de la Commission d’adopter une décision aussi complète et aussi transparente que possible et comportant une motivation suffisante, tant en fait qu’en droit. Ces références sont donc « objectivement nécessaires » pour engager la responsabilité des parties à la transaction, au sens de l’arrêt Pometon.

142. Partant, il me semble qu’il n’y a pas d’appréciation dissimulée ou incidente de la responsabilité de HSBC dans la décision de transaction. Cette décision ne comporte pas non plus de référence à HSBC qui apparaît inutile ou redondante.

143. L’examen de la décision litigieuse confirme ma conclusion. En effet, les références à la décision de transaction se limitent – encore une fois – aux parties descriptives de la décision litigieuse. L’appréciation juridique des comportements en cause, ainsi que la responsabilité des parties n’ayant pas transigé à cet égard, reposent sur une analyse autonome qui ne s’appuie à aucun moment sur les constatations effectuées dans la décision de transaction. L’ensemble de l’appréciation est effectué ex novo, à la lumière des arguments et des éléments de preuve fournis par le destinataire de la décision litigieuse. Les constatations de la Commission sont, par conséquent, justifiées et étayées de manière autonome.

144. Au vu de ce qui précède, je ne vois aucun argument convaincant qui m’amène à conclure que la responsabilité des requérantes au pourvoi a été, de jure ou de facto, établie dans la décision de transaction, de sorte que la Commission n’était pas, à toutes fins pratiques, en mesure de modifier ses conclusions dans la décision ultérieure. Il y a donc lieu de rejeter les arguments tirés d’une violation du principe de la présomption d’innocence découlant de l’adoption d’une procédure hybride échelonnée.

2.      Sur les déclarations du commissaire alors en charge

145. Selon une jurisprudence constante, le principe de la présomption d’innocence exige, avant tout, que les membres d’un tribunal ne partent pas, dans l’exercice de leurs fonctions, d’une idée préconçue que le prévenu a commis l’infraction reprochée ; et que la charge de la preuve incombe à l’accusation, tout doute à cet égard bénéficiant au prévenu (65).

146. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante de la Cour EDH, le principe de la présomption d’innocence s’oppose également à l’expression prématurée, par les autorités publiques, de l’opinion selon laquelle la personne poursuivie est coupable, alors que la culpabilité de cette dernière n’a pas été préalablement légalement établie. Ces expressions peuvent, en effet, inciter le public à croire en la culpabilité de la personne concernée, affectant ainsi sa réputation et sa dignité, et nuire à une appréciation sereine et impartiale du dossier par les autorités compétentes (66).

147. Les pouvoirs publics en question comprennent non seulement les juges, mais également d’autres agents publics (tels que, par exemple, les autorités chargées de l’enquête et d’autres représentants de l’État) (67). Toutefois, les déclarations faites par ces dernières font l’objet d’un contrôle moins strict que celles des autorités judiciaires (68).

148. En outre, la Cour EDH a considéré que, eu égard à la liberté d’expression – et, j’ajouterais, aux exigences d’ouverture et de transparence de l’administration publique (69) –, le principe de la présomption d’innocence ne saurait être compris comme empêchant les autorités publiques d’informer le public sur des enquêtes en cours. Il en est ainsi à la condition que les autorités disposent du pouvoir d’appréciation et de circonspection nécessaire (70).

149. Une distinction fondamentale a été systématiquement établie dans la jurisprudence entre, d’une part, les déclarations selon lesquelles une personne est simplement soupçonnée d’avoir commis un crime et, d’autre part, des déclarations claires, en l’absence d’une condamnation définitive, qu’une personne a effectivement commis l’infraction en cause. Les premières ont généralement été considérées comme légitimes, tandis que les secondes violeraient le principe de la présomption d’innocence (71).

150. Le choix des termes par les autorités pour leurs déclarations revêt, à l’évidence, une importance déterminante à cet égard (72). Néanmoins, ce qui importe le plus, surtout dans les situations « limites », c’est le sens réel des déclarations des autorités et non leur forme littérale (73).

151. Dans certaines circonstances, l’utilisation de propos malheureux, susceptibles d’être critiquables, a été jugée, par la Cour EDH, comme n’étant pas déterminante en ce qui concerne de prétendues violations de la présomption d’innocence (74). En effet, selon une jurisprudence constante, la question de savoir si la déclaration d’une autorité publique constitue une violation du principe de la présomption d’innocence doit être résolue dans le cadre des circonstances particulières dans lesquelles cette déclaration est faite (75).

152. Dans ce contexte, le principe de la présomption d’innocence a-t-il été violé à l’égard des requérantes au pourvoi en raison des déclarations faites en 2012 et 2014 par le commissaire alors en charge ?

153. Si je suis sensible aux arguments des requérantes au pourvoi, je suis d’avis qu’une telle violation n’a pas eu lieu.

154. À titre liminaire, il y a lieu de relever que le commissaire alors en charge était membre d’une institution administrative (la Commission) qui, en l’espèce, agissait en tant qu’autorité d’enquête. Dès lors, le critère à appliquer à ses déclarations n’est pas aussi strict qu’il l’aurait été si le commissaire alors en charge avait appartenu au pouvoir judiciaire.

155. Cela étant précisé, il y a lieu d’admettre que ces déclarations, en raison des termes employés et de la manière dont elles ont été faites, se trouvent à la limite entre les déclarations de simples soupçons et des déclarations de culpabilité prématurées. Au vu de plusieurs éléments, je suis néanmoins enclin à considérer que ces déclarations sont malheureuses, mais relativement « inoffensives ».

156. Premièrement, s’agissant du contenu des déclarations en cause, il est vrai que plusieurs remarques faites étaient ambiguës et que certaines d’entre elles pouvaient être perçues par une partie du public comme une insinuation que toutes les entreprises faisant l’objet de l’enquête (ou une partie d’en elles) étaient susceptibles d’avoir commis une infraction aux règles de concurrence de l’Union (76). Or, il ne saurait être nié que ces déclarations sont restées plutôt vagues et génériques et ne sont pas allées jusqu’à déclarer la culpabilité des entreprises faisant l’objet de l’enquête. Ces déclarations n’ont pas non plus employé un langage désobligeant ou acrimonieux à l’égard des entreprises faisant l’objet de l’enquête. Elles n’ont pas non plus fait référence à une ou à plusieurs entreprises en particulier, n’ont donné aucune précision particulière susceptible de permettre l’identification d’une ou de plusieurs entreprises déterminées, ou communiqué des informations confidentielles ou des secrets d’affaires qui auraient pu nuire à ces dernières.

157. Deuxièmement, s’agissant du contexte dans lequel les déclarations en cause ont été faites, le « lieu », les « raisons » et « le moment » me semblent particulièrement pertinents. Ces déclarations ont été faites, respectivement, d’une part, au Parlement européen, d’autre part, au Sénat français, et, enfin, lors d’un entretien avec la presse spécialisée. Les déclarations en cause avaient pour objet d’informer d’autres institutions (de l’Union ou nationales) et les opérateurs des secteurs concernés de l’état d’une enquête en cours. Dans un monde qui se remet encore des effets dévastateurs de la crise financière de 2007‑2008 (qui trouve son origine dans la conduite imprudente d’un certain nombre d’institutions financières internationales), et alors que l’Union fait l’objet d’une réforme importante du secteur des services financiers, une telle information présentait un intérêt majeur pour le public. En outre, les déclarations sont intervenues après que l’existence d’une enquête dans le secteur des EIRD a déjà été rendue publique (77).

158. Troisièmement, s’agissant des conséquences éventuelles des déclarations en cause, je ne vois pas – et les requérantes au pourvoi n’ont pas non plus cherché à l’expliquer de manière circonstanciée – comment ces déclarations ont pu affecter la réputation et la dignité des requérantes au pourvoi ou porter atteinte à une appréciation sereine et impartiale de l’affaire par la Commission (78).

159. En particulier, les requérantes au pourvoi ne contestent pas que, en premier lieu, elles ont bénéficié, dans le cadre de la procédure administrative, de toutes les garanties procédurales prévues par la réglementation de l’Union ; que, en deuxième lieu, tant la décision de transaction que la décision litigieuse sont des actes adoptés par la Commission (c’est-à-dire par le collège des commissaires) et non par le commissaire en charge ; et que, en troisième lieu, au moment de l’adoption de la décision litigieuse, la personne qui a fait les déclarations en cause n’était plus commissaire en charge.

160. Au vu de ce qui précède, il me semble que les déclarations en cause, qui sont en effet critiquables, comme l’a souligné la Médiatrice européenne, ne sont toutefois pas d’une nature et d’une gravité à mettre en doute le degré d’impartialité avec lequel la Commission a mené son enquête et a apprécié leur position dans la décision litigieuse.

161. En tout état de cause, je suis d’avis que, même si la Cour devait considérer que les déclarations en cause ont entraîné une violation du principe de la présomption d’innocence, les requérantes au pourvoi n’ont fourni aucun élément démontrant que ces déclarations ont pu avoir une influence sur l’issue de la procédure.

162. Enfin, je me contenterai d’ajouter que les autres allégations formulées, dans ce contexte, par les requérantes au pourvoi quant à une violation de leurs droits de la défense ne soulèvent pas de questions qui iraient au-delà de celles visées ci‑dessus. Il n’y a donc pas lieu d’examiner séparément ces allégations.

163. Partant, les allégations des requérantes au pourvoi relatives aux violations du principe de la présomption d’innocence, le droit à une bonne administration et les droits de la défense devraient, à mon sens, être écartées.

B.      La restriction par objet

164. En substance, les requérantes au pourvoi font valoir que, en réduisant l’incertitude des traders quant au niveau des prix médians du marché, l’échange d’informations en cause leur a permis de fixer une offre plus restreinte en faveur des clients, ce qui entraînerait une concurrence accrue sur le marché en cause.

165. Selon moi, cet argument n’est pas convaincant. La jurisprudence à cet égard est relativement claire et, partant, je limiterai mon analyse à quelques brèves remarques.

166. Tout d’abord, je doute que le comportement en cause, en raison de son effet, puisse être considéré comme étant pro-concurrentiel. À cet égard, j’observe que des informations sur les prix médians sont, du moins pour certains produits dérivés, généralement confidentielles et ne sont pas accessibles au public. En effet, HSBC et JP Morgan elles-mêmes ont, au cours de l’enquête, confirmé le manque de transparence sur le marché des EIRD (79). En outre, et surtout, les informations relatives aux prix médians sont particulièrement pertinentes pour les prix dans le secteur des EIRD. En effet, un trader qui a connaissance des prix médians de ses concurrents est dans une position plus favorable pour déterminer plus précisément les prix de l’offre finale ou des prix d’offre de ces concurrents (80).

167. Je ne perçois pas d’aspect pro-concurrentiel de ce comportement. L’échange d’informations confidentielles sur les prix médians n’a pas permis aux banques en cause, pour donner quelques exemples d’effets pro-concurrentiels, d’offrir des services nouveaux ou améliorés, d’entrer sur de nouveaux marchés, d’ouvrir le marché à de nouveaux clients ou, plus généralement, d’améliorer le fonctionnement du marché ou de corriger ses défaillances. En effet, en échangeant les informations en cause, certaines banques ont mis fin à l’incertitude quant à leur comportement futur en matière de prix, au bénéfice des banques participant à la collusion, et au détriment de celles qui n’y participaient pas (81).

168. Par ailleurs, le fait que les banques en question aient éventuellement transféré certains avantages à leurs clients n’exclut pas le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause. En effet, il est de jurisprudence constante que le droit de la concurrence de l’Union vise à protéger non seulement les intérêts directs des consommateurs, mais également la structure du marché (82). Cela implique que, lorsque les conditions pertinentes de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE sont remplies, un comportement susceptible d’affecter également l’incitation et la capacité de concurrents (aussi efficaces) à entrer en concurrence sur le marché peut être considéré comme anticoncurrentiel.

169. Ainsi, pour constater qu’un comportement donné a un objet anticoncurrentiel, il n’existe pas de nécessité d’un lien immédiat et direct entre ce comportement et une augmentation des prix à la consommation (83). Même un comportement susceptible d’entraîner une certaine baisse du prix des produits ou des services concernés peut, dans certaines circonstances, être considéré comme intrinsèquement anticoncurrentiel (84).

170. Au vu de ce qui précède, je suis d’avis qu’il convient de rejeter le moyen des requérantes au pourvoi tiré du caractère pro-concurrentiel de l’échange d’informations sur les prix médians, ce qui exclurait sa qualification d’« infraction par objet » au sens de l’article 101 TFUE.

VII. Sur les dépens

171. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour de justice, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

172. La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes au pourvoi et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu, en principe, de les condamner aux dépens afférents à la présente procédure de pourvoi. Toutefois, étant donné que les requérantes au pourvoi ont contesté avec succès plusieurs erreurs de droit, figurant dans l’arrêt attaqué, je suis d’avis que, en application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, il apparaît justifié de condamner les requérantes au pourvoi et la Commission à supporter leurs propres dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

173. En l’espèce, il apparaît également justifié de faire application de l’article 140, paragraphe 3, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, en vertu duquel la Cour peut décider que les parties privées qui sont intervenues dans le cadre d’un pourvoi supportent leurs propres dépens.

174. Enfin, je ne vois aucune raison de réformer la décision du Tribunal quant aux dépens de première instance.

VIII. Conclusion

175. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour :

–        de rejeter les pourvois ;

–        d’ordonner que HSBC Holdings plc, HSBC Bank plc, HSBC Continental Europe (anciennement HSBC France) et la Commission européenne supportent chacune leurs propres dépens afférents à la présente procédure de pourvoi, et

–        de condamner le Crédit Agricole SA et le Crédit Agricole Corporate and Investment Bank ainsi que JP Morgan Chase & Co., JP Morgan Chase Bank National Association et JP Morgan Services à supporter leurs propres dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:675, points 1 à 12).


3      Décision C(2016) 8530 final, du 7 décembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (Affaire AT.39914 – Produits dérivés sur taux d’intérêt en euros) (ci-après la « décision litigieuse »).


4      Une « procédure hybride » est une procédure dans laquelle une procédure de transaction au titre de l’article 10 bis du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), tel que modifié par le règlement (CE) no 622/2008 de la Commission, du 30 juin 2008 (JO 2008, L 171, p. 3), et une procédure ordinaire au titre de l’article 7 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) sont menées parallèlement par la Commission.


5      Arrêt attaqué, points 1 à 11.


6      JO 2006, C 298, p. 17.


7      Décision C(2021) 4600 final de la Commission, du 28 juin 2021, modifiant la décision C(2016) 8530 final.


8      Une procédure hybride est dite « échelonnée » lorsque la décision de transaction et la ou les décision(s) ordinaire(s) ne sont pas adoptées en même temps, mais échelonnées dans le temps.


9      Décision de la Médiatrice européenne dans l’enquête sur l’affaire 1021/2014/PD contre la Commission, du 11 novembre 2015 (ci-après la « décision de la Médiatrice »).


10      Arrêt attaqué, points 289 et 291.


11      Formulé pour la première fois dans l’arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, EU:C:1975:174, points 90 et 91).


12      À cet égard, les requérantes au pourvoi se réfèrent principalement à l’arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service (C‑265/17 P, EU:C:2019:23, point 56).


13      La Commission renvoie à l’article 10 bis du règlement no 773/2004, ainsi qu’au point 9 de la communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du [règlement no 1/2003] dans les affaires d’entente (JO 2008, C 167, p. 1).


14      Voir, en particulier, arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission (C‑440/19 P, ci-après l’« arrêt Pometon », EU:C:2021:214).


15      La Commission rappelle deux arrêts du Tribunal confirmant ce critère : arrêts du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission (T‑62/98, EU:T:2000:180, points 281 et 283), ainsi que du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission (T‑180/15, EU:T:2017:795, point 278).


16      À ce sujet, voir, en détail, Lenaerts, K., et Vanhamme, J., « Procedural Rights of Private Parties in the Community Administrative Process », Common Market Law Review, vol. 34, no 3, 1997, p. 531 et 568.


17      Pour un aperçu, et d’autres références à la doctrine, voir, entre autres, Barbier de La Serre, É., « Procedural Justice in the European Community Case-law concerning the Rights of the Defence : Essentialist and Instrumental Trends », European Public Law, vol. 12, no 2, 2006, p. 225 à 250 ; et Nehl, H. P., Principles of Administrative Procedure in EC Law, Hart Publishing, Oxford, 1999, p. 167 à 170.


18      Voir, notamment, arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C‑137/92 P, EU:C:1994:247, points 75 et 76), du 6 avril 2000, Commission /ICI (C‑286/95 P, EU:C:2000:188, points 40, 41 et 51), ainsi que du 21 septembre 2017, Feralpi/Commission (C‑85/15 P, EU:C:2017:709, points 45 et 46).


19      Sur le principe des compétences conférées, voir arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, point 84 et jurisprudence citée). Dans la doctrine, voir Schwarze, J., European Administrative Law, Sweet & Maxwell, Luxembourg, 1992, p. 253 à 256.


20      Mise en italique par mes soins.


21      Dans le domaine du droit de la concurrence, voir, de manière similaire, conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires Feralpi e.a./Commission (C‑85/15 P, C‑86/15 P et C‑87/15 P, C‑88/15 P et C‑89/15 P, EU:C:2016:940, point 60).


22      Voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2016:149, point 16 et jurisprudence citée).


23      Arrêt du 16 décembre 1975 (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, EU:C:1975:174). Voir point 30 des présentes conclusions.


24      Voir, entre autres, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission (C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 78 et jurisprudence citée). Dans certains cas, le critère est (en raison de la nature du droit prétendument violé) formulé différemment, mais sa substance est équivalente : voir arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission (C‑609/13 P, EU:C:2017:46, point 100 et jurisprudence citée).


25      Voir, notamment, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:686, points 62 à 65).


26      Voir, sur cette question, Hartley, T. C., The Foundations of European Union Law, 8e éd., Oxford University Press, Oxford, 2014, p. 421.


27      Voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465, point 20 et jurisprudence citée).


28      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Commission/SGL Carbon (C‑301/04 P, EU:C:2006:53, point 67). En doctrine, voir Wils, W., « Fundamental Procedural Rights and Effective Enforcement of Articles 101 and 102 TFEU in the European Competition Network », World Competition, vol. 43, no 1, 2020, p. 15 à 18.


29      Voir, par analogie, arrêt du 26 novembre 2013, Gascogne Sack Deutschland/Commission (C‑40/12 P, EU:C:2013:768, point 82).


30      Voir, de même, arrêt du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission (C‑51/92 P, EU:C:1999:357, point 68).


31      Comme, par exemple, une action en responsabilité non contractuelle contre l’Union européenne : voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2003, Volkswagen/Commission (C‑338/00 P, EU:C:2003:473, point 165). Selon l’article 340 TFUE, deuxième alinéa, « [e]n matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer [...] les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions » (mise en italique par mes soins). À cet égard, il convient de relever que la notion d’« agents » couvre également les membres de la Commission : voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, OH (Immunité de juridiction) (C‑758/19, EU:C:2021:603).


32      Voir, par exemple, approche adoptée à l’égard des prétendues violations des droits de la défense (arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 78 et jurisprudence citée) et à l’égard de prétendues violations de la confidentialité (arrêt du 3 décembre 2009, Evropaïki Dynamiki/Commission, C‑476/08 P, non publié, EU:C:2009:752, points 33 à 35).


33      Voir, de même, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Solvay/Commission (C‑110/10 P, EU:C:2011:257, points 37 et 47).


34      Article 2 du règlement no 1/2003. Voir aussi, parmi de nombreux autres, arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission (C‑89/11 P, EU:C:2012:738, points 71 et 72).


35      Je paraphrase ici un passage de l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique du 26 mars 1991, Arizona c. Fulminante, 499 U.S. 279 (1991), à la page 316.


36      Arrêt Pometon, point 63.


37      Arrêt Pometon, points 64 et 65.


38      Arrêt Pometon, point 66.


39      Le considérant 34 de la décision litigieuse (reproduit au point 128 de l’arrêt attaqué) explique que le terme « mids » « fait référence au prix médian ou moyen entre les prix acheteurs et vendeurs (par exemple perçus, modélisés, cotés ou négociés) pour un produit spécifique [; i]ls constituent souvent une approximation fiable du prix auquel un teneur de marché négocierait avec un client, en particulier lorsque le marché est liquide et que l’écart acheteur/vendeur [...] est restreint ».


40      Voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a. (C‑228/18, EU:C:2020:265, point 36).


41      Conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Budapest Bank e.a. (C‑228/18, EU:C:2019:678, point 45) (mise en italique par mes soins).


42      Conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Budapest Bank e.a. (C‑228/18, EU:C:2019:678, point 49) (mise en italique par mes soins).


43      Voir, notamment, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 335).


44      Voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 127 et jurisprudence citée).


45      Arrêt du 30 janvier 2020 (C‑307/18, EU:C:2020:52, point 103).


46      Arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52, points 104 à 107).


47      Voir, entre autres, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, points 89 à 91 et jurisprudence citée).


48      Voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission (C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 42 et jurisprudence citée).


49      Voir arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen (C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 83 et jurisprudence citée).


50      Voir arrêt du 25 juillet 2018, QuaMa Quality Management/EUIPO (C‑139/17 P, non publié, EU:C:2018:608, point 35 et jurisprudence citée).


51      Voir, récemment, arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne (C‑933/19 P, EU:C:2021:905, point 58 et jurisprudence citée).


52      Voir arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 47 et jurisprudence citée).


53      Mise en italique par mes soins.


54      Voir arrêt attaqué, point 286 et jurisprudence citée.


55      Voir, entre autres, arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission (C‑89/11 P, EU:C:2012:738, point 73 et jurisprudence citée).


56      Voir, notamment, arrêt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 30 et jurisprudence citée).


57      Voir, en particulier, arrêt Pometon, point 63.


58      Voir arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission (T‑456/10, EU:T:2015:296, point 60).


59      Arrêt du 2 février 2022, Scania e.a./Commission (T‑799/17, EU:T:2022:48, point 129).


60      Voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Glencore Agriculture Hungary (C‑189/18, EU:C:2019:462, points 42 et 48).


61      Voir, en particulier, considérants 1 et 2 de la décision de transaction.


62      Considérant 32 de la décision de transaction.


63      Considérant 36 de la décision de transaction.


64      Considérants 42 à 109 de la décision de transaction.


65      Voir, notamment, Cour EDH, 6 décembre 1988, Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne (CE:ECHR:1988:1206JUD001059083, § 77).


66      Voir Cour EDH, 24 avril 2008, Ismoilov et autres c. Russie (CE:ECHR:2008:0424JUD000294706, § 161 et jurisprudence citée.)


67      Voir, notamment, Cour EDH, 10 février 1995, Allenet de Ribemont c. France (CE:ECHR:1995:0210JUD001517589, § 35).


68      Voir, entre autres, Cour EDH, 21 septembre 2006, Pandy c. Belgique (CE:ECHR:2006:0921JUD001358302, § 43).


69      Voir, en particulier, article 10, paragraphe 3, et article 11, paragraphe 2, TUE.


70      Voir Cour EDH, 10 février 1995, Allenet de Ribemont c. France (CE:ECHR:1995:0210JUD00151789, § 38).


71      Voir, parmi de nombreux autres arrêts, Cour EDH, 12 novembre 2015, El Kaada c. Allemagne (CE:ECHR:2015:1112JUD000213010, § 54).


72      Voir, notamment, Cour EDH, 27 mars 2014, Müller c. Allemagne (CE:ECHR:2014:0327JUD005496308, § 46).


73      Voir, entre autres, Cour EDH, 28 novembre 2002, Lavents c. Lettonie (CE:ECHR:2002:1128JUD005844200, § 126).


74      Voir Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne (CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, § 63 et jurisprudence citée).


75      Voir Cour EDH, 28 octobre 2004, Y.B. et autres c. Turquie (CE:ECHR:2004:1028JUD004817399, § 44), et 24 mai 2011, Konstas c. Grèce (CE:ECHR:2011:0524JUD005346607, § 33).


76      Voir décision de la Médiatrice, p. 1 et 5.


77      Voir, par exemple, Commission européenne, communiqué de presse du 19 octobre 2011, « Antitrust : Commission confirms inspections in suspected cartel in the sector of Euro interest rate derivatives » (MEMO/11/711).


78      Sur ce point, voir également décision de la Médiatrice, p. 4.


79      Voir considérants 45 et 46 de la décision litigieuse.


80      Voir, en particulier, considérant 34 de la décision litigieuse.


81      Voir, en ce sens, arrêt attaqué, point 132, qui reproduit, en substance, le considérant 395 de la décision litigieuse.


82      Voir, notamment, arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 125 et jurisprudence citée).


83      Voir arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C‑286/13 P, EU:C:2015:184, points 123 à 125 et jurisprudence citée).


84      Arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52, points 109 et 110).