Language of document : ECLI:EU:C:2021:633

ORDONNANCE DE LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR

16 juillet 2021 (*)

« Référé – Pourvoi – Articles 278 et 279 TFUE – Demande de sursis à exécution – Demande de mesures provisoires – Règlement (CE) no 714/2009 – Conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité – Article 17 – Décision de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) rejetant une demande de dérogation relative aux nouvelles interconnexions électriques – Recours formé devant la commission de recours de l’ACER – Annulation de la décision statuant sur ce recours »

Dans l’affaire C‑46/21 P‑R,

ayant pour objet une demande de sursis à exécution et d’autres mesures provisoires au titre des articles 278 et 279 TFUE, introduite le 26 avril 2021,

Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), représentée par MM. P. Martinet et E. Tremmel, en qualité d’agents, assistés de Me B. Creve, advocaat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Aquind Ltd, établie à Wallsend (Royaume-Uni), représentée par Mme S. Goldberg ainsi que par MM. E. White, C. Davis et J. Bille, solicitors,

partie demanderesse en première instance,

LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR,

l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande en référé, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) demande à la Cour d’ordonner le sursis à l’exécution de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 18 novembre 2020, Aquind/ACER (T‑735/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2020:542), par lequel celui-ci a annulé la décision A‑001‑2018 de la commission de recours de l’ACER, du 17 octobre 2018 (ci-après la « décision litigieuse »), par laquelle a été confirmée la décision no 05/2018 de l’ACER, du 19 juin 2018, rejetant une demande de dérogation relative à une interconnexion électrique reliant les réseaux de transport d’électricité du Royaume-Uni et français.

2        Cette demande a été présentée parallèlement à l’introduction, le 27 janvier 2021, par l’ACER, d’un pourvoi, au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, tendant à l’annulation de l’arrêt attaqué.

 Le cadre juridique

3        L’article 17 du règlement (CE) no 714/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité et abrogeant le règlement (CE) no 1228/2003 (JO 2009, L 211, p. 15), intitulé « Nouvelles interconnexions », dispose :

« 1.      Les nouvelles interconnexions en courant continu peuvent, sur demande, bénéficier, pendant une durée limitée, d’une dérogation à l’article 16, paragraphe 6, du présent règlement, ainsi qu’aux articles 9 et 32 et à l’article 37, paragraphes 6 et 10, de la directive 2009/72/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55),] dans les conditions suivantes :

a)      l’investissement doit accroître la concurrence en matière de fourniture d’électricité ;

b)      le degré de risque associé à l’investissement est tel que l’investissement ne serait pas effectué si la dérogation n’était pas accordée ;

c)      l’interconnexion doit être la propriété d’une personne physique ou morale distincte, du moins en ce qui concerne son statut juridique, des gestionnaires de réseau dans les réseaux desquels cette interconnexion sera construite ;

d)      des redevances sont perçues auprès des utilisateurs de cette interconnexion ;

e)      depuis l’ouverture partielle du marché visée à l’article 19 de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil[,] du 19 décembre 1996[,] concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité [(JO 1997, L 27, p. 20)], il n’a été procédé au recouvrement d’aucune partie du capital ou des coûts d’exploitation de l’interconnexion au moyen d’une fraction quelconque des redevances prélevées pour l’utilisation des réseaux de transport ou de distribution reliés par cette interconnexion ; et

f)      la dérogation ne doit pas porter atteinte à la concurrence ni au bon fonctionnement du marché intérieur de l’électricité, ni au bon fonctionnement du réseau réglementé auquel l’interconnexion est reliée.

[...]

4.      La décision relative à la dérogation au titre des paragraphes 1, 2 et 3 est prise au cas par cas par les autorités de régulation des États membres concernés. Une dérogation peut couvrir tout ou partie de la capacité de la nouvelle interconnexion ou de l’interconnexion existante qui connaît une augmentation importante.

[...]

5.      La décision visée au paragraphe 4 est prise par l’agence :

a)      si toutes les autorités de régulation concernées ne sont pas parvenues à un accord dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la dérogation a été demandée à la dernière de ces autorités ; ou

b)      à la demande conjointe des autorités de régulation concernées.

Avant de prendre une telle décision, l’agence consulte les autorités de régulation concernées et les demandeurs.

[...] »

 Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

4        Les faits à l’origine du litige, tels qu’ils figurent aux points 1 à 13 de l’arrêt attaqué, sont, en substance, les suivants.

5        Aquind Ltd est le promoteur d’un projet d’interconnexion électrique reliant les réseaux de transport d’électricité du Royaume-Uni et français.

6        Le 17 mai 2017, Aquind a présenté une demande au titre de l’article 17 du règlement no 714/2009 en vue d’obtenir une dérogation pour ce projet d’interconnexion. Cette demande a été soumise aux autorités de régulation française et du Royaume-Uni, qui, n’étant pas parvenues à un accord sur ladite demande, ont, respectivement, le 29 novembre et le 19 décembre 2017, transmis celle-ci à l’ACER, conformément à l’article 17, paragraphe 5, du règlement no 714/2009, afin que cette dernière prenne elle-même une décision.

7        Par sa décision no 05/2018, du 19 juin 2018, l’ACER a rejeté la demande d’Aquind, au motif que l’une des conditions nécessaires à l’obtention d’une telle dérogation n’était pas remplie, en l’occurrence celle énoncée à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, selon laquelle le degré de risque associé à l’investissement est tel que l’investissement ne serait pas effectué si la dérogation n’était pas accordée.

8        Le 17 août 2018, Aquind a formé un recours contre cette décision auprès de la commission de recours de l’ACER (ci-après la « commission de recours »), qui, par la décision litigieuse, l’a confirmée.

9        Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 14 décembre 2018, Aquind a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

10      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a annulé la décision litigieuse.

11      Le 5 février 2021, la commission de recours a décidé de relancer la procédure de recours et a, par sa décision A‑001‑2018_R, du 4 juin 2021, rejeté le recours d’Aquind comme étant irrecevable.

 Les conclusions des parties

12      L’ACER demande à la Cour :

–        de surseoir à l’exécution de l’arrêt attaqué jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’instance principale ;

–        de surseoir immédiatement à l’exécution de l’arrêt attaqué, avant la présentation des observations de l’autre partie, jusqu’à l’adoption d’une ordonnance mettant fin à l’instance en référé ou jusqu’à la clôture de l’instance principale dans l’affaire C‑46/21 P, si celle-ci intervient en premier ;

–        d’adopter toute autre mesure provisoire que la Cour jugerait appropriée afin de préserver la pleine efficacité de la décision mettant fin à l’instance principale, et

–        de condamner Aquind aux dépens de l’instance.

13      Aquind demande à la Cour de rejeter la demande en référé et de condamner l’ACER aux dépens de la procédure en référé.

 Sur la demande en référé

14      Conformément à l’article 160, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, les demandes de sursis à l’exécution d’un acte d’une institution de l’Union spécifient l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent.

15      Selon une jurisprudence constante, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que la demande de mesures provisoires doit être rejetée dès lors que l’une de ces conditions fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil, C‑541/20 R, non publiée, EU:C:2021:264, point 12 ainsi que jurisprudence citée).

16      Dans le cadre de l’examen desdites conditions, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle du droit de l’Union ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement (ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil, C‑541/20 R, non publiée, EU:C:2021:264, point 13 ainsi que jurisprudence citée).

17      S’agissant de la condition relative à l’urgence, l’ACER soutient, en substance, que l’exécution de l’arrêt attaqué est susceptible de causer un préjudice grave et irréparable à l’intérêt général de l’Union, en l’occurrence au bon fonctionnement de son ordre juridique et de son marché intérieur de l’énergie, au motif qu’il est très probable que, après la reprise de la procédure de recours devant la commission de recours, cette dernière adoptera, avant le prononcé de l’arrêt de la Cour mettant fin à la procédure de pourvoi dans l’affaire C‑46/21 P, une nouvelle décision exécutant l’arrêt attaqué.

18      Or, d’une part, l’ACER estime que, dans cette hypothèse, cette nouvelle décision remplacera la décision litigieuse, ce qui pourrait conduire la Cour à considérer ce pourvoi comme étant devenu sans objet et à décider qu’il n’y a plus lieu de statuer sur celui-ci, conformément à l’article 149 du règlement de procédure.

19      Selon l’ACER, une telle conséquence porterait gravement préjudice à l’ordre juridique de l’Union et à son marché intérieur de l’énergie en raison de l’absence, qui en résulterait, d’un contrôle juridictionnel complet par le juge de l’Union des questions juridiques de principe soulevées par ledit pourvoi.

20      Par ailleurs, l’ACER considère que, même si la Cour statuait sur son pourvoi dans l’affaire C‑46/21 P, l’efficacité de l’arrêt de la Cour serait, dans l’hypothèse où celle-ci annulerait l’arrêt attaqué, gravement et irrémédiablement compromise par la nouvelle décision de la commission de recours, dès lors que cette dernière devrait suivre le raisonnement adopté dans l’arrêt attaqué et que cette nouvelle décision deviendrait définitive, puisque l’ACER serait dans l’impossibilité de former un recours contre celle-ci.

21      D’autre part, l’ACER fait valoir que le maintien de deux procédures de recours parallèles, résultant de la reprise, après l’introduction de ce pourvoi, de la procédure de recours devant la commission de recours, porterait un préjudice grave et irrémédiable à l’intégrité du contrôle, par le juge de l’Union, de la légalité des actes des agences de l’Union, telles que l’ACER.

22      Par une lettre du 7 juin 2021, l’ACER a informé la Cour que, à la suite de la reprise de la procédure de recours devant la commission de recours, cette dernière a, par sa décision A‑001‑2018_R, du 4 juin 2021, rejeté le recours d’Aquind comme étant irrecevable.

23      Selon l’ACER, à la suite de l’adoption de cette décision, l’exécution de l’arrêt attaqué ne risque plus de causer un préjudice grave et irréparable à l’intérêt général de l’Union, notamment à la pleine efficacité de l’arrêt de la Cour qui mettra fin à la procédure de pourvoi dans l’affaire C‑46/21 P, de telle sorte qu’il n’est plus nécessaire de statuer sur la demande en référé.

24      Par une lettre du 14 juin 2021, l’ACER a précisé qu’elle n’entendait pas renoncer à l’instance, mais qu’elle laissait à la Cour la liberté d’apprécier si, au regard de ladite décision, il convenait, conformément à l’article 149 du règlement de procédure, de constater qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande en référé.

25      Invitée par la Cour à se prononcer à cet égard, Aquind a, par un courrier du 18 juin 2021, indiqué que, si elle pouvait admettre que la demande en référé soit devenue sans objet, la disparition de l’objet de celle-ci a été le résultat de l’attitude de l’ACER.

26      Par ailleurs, Aquind fait valoir que, ainsi qu’elle l’a soutenu dans ses observations écrites relatives à la demande en référé, cette dernière étant, pour d’autres motifs, totalement dépourvue de fondement, elle aurait sûrement été rejetée par la Cour.

27      Selon une jurisprudence constante, la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. C’est pour atteindre cet objectif que l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. S’il est exact que, pour établir l’existence de ce préjudice, il n’est pas nécessaire d’exiger que la survenance et l’imminence de celui-ci soient établies avec une certitude absolue et qu’il suffit que ledit préjudice soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il n’en reste pas moins que la partie qui sollicite une mesure provisoire demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel préjudice (ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil, C‑541/20 R, non publiée, EU:C:2021:264, point 18 ainsi que jurisprudence citée).

28      En l’espèce, il suffit de constater que le préjudice grave et irréparable allégué par l’ACER présente un caractère purement hypothétique et que, partant, il ne saurait, conformément à la jurisprudence rappelée au point précédent de la présente ordonnance, justifier l’octroi du sursis à exécution demandé.

29      En effet, ce préjudice repose, notamment, sur le postulat selon lequel la commission de recours rendrait une nouvelle décision suivant le raisonnement adopté dans l’arrêt attaqué, contre laquelle elle serait privée de la possibilité de former un recours, ainsi que sur la double hypothèse selon laquelle la Cour déciderait que, de ce fait, il n’y aurait plus lieu de statuer sur le pourvoi dans l’affaire C‑46/21 P ou qu’elle statuerait sur celui-ci en annulant l’arrêt attaqué.

30      En tout état de cause, à supposer que l’exécution de l’arrêt attaqué fût susceptible de causer un préjudice grave et irréparable à l’intérêt général de l’Union, tel n’est plus le cas depuis que la commission de recours a, le 4 juin 2021, adopté la décision A‑001‑2018_R.

31      En effet, dans la mesure où, par cette décision, la commission de recours a rejeté le recours d’Aquind comme étant irrecevable et où, ainsi qu’il a été relevé au point 29 de la présente ordonnance, le préjudice allégué par l’ACER repose, notamment, sur le postulat selon lequel la commission de recours rendrait une nouvelle décision suivant le raisonnement adopté dans l’arrêt attaqué, contre laquelle elle serait privée de la possibilité de former un recours, la demande en référé est devenue sans objet.

32      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la condition relative à l’urgence n’est pas satisfaite.

33      Les conditions visées aux points 15 et 16 de la présente ordonnance étant cumulatives, il n’y a pas lieu d’examiner la condition relative au fumus boni juris ni de procéder à la mise en balance des intérêts en présence.

34      Par conséquent, la demande en référé doit être rejetée.

35      Conformément à l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il sera statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui mettra fin à l’instance.

Par ces motifs, la vice-présidente de la Cour ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.