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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

20 décembre 2021 (*)

« Recours en annulation – Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Missions spécifiques de surveillance confiées à la BCE – Décision de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Remplacement de l’acte attaqué en cours d’instance – Disparition de l’objet du litige – Perte de l’intérêt à agir – Non-lieu à statuer – Recours en indemnité – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑321/17,

Heikki Niemelä, demeurant à Ohain (Belgique),

Mika Lehto, demeurant à Espoo (Finlande),

Nemea plc, établie à St. Julians (Malte),

Nevestor SA, établie à Ohain,

Nemea Bank plc, établie à St. Julians,

représentés Me A. Meriläinen, avocat,

parties requérantes,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mme C. Hernández Saseta et M. A. Witte, en qualité d’agents, assistés de Me B. Schneider, avocat,

partie défenderesse,

soutenue par

Commission européenne, représentée par Mme A. Steiblytė et M. A. Nijenhuis, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet, d’une part, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision ECB/SSM/2017 -213800JENPXTUY75VSO/1 WHD‑2017‑0003 de la Banque centrale européenne du 23 mars 2017, procédant au retrait de l’agrément pour l’accès aux activités d’établissement de crédit de Nemea Bank plc et, d’autre part, une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir en réparation des préjudices prétendument subis par les requérants,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de MM. M. Van der Woude, président, S. Papasavvas, Mmes M. J. Costeira, M. Kancheva (rapporteure) et T. Perišin, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La cinquième requérante, Nemea Bank plc, est un établissement de crédit de droit maltais moins important fournissant des services financiers en vertu d’une autorisation qui lui avait été accordée par la Malta Financial Services Authority (autorité maltaise des services financiers, ci-après la « MFSA ») et qui était soumis, en tant que tel, à la surveillance directe de l’autorité compétente nationale maltaise, à savoir la MFSA.

2        Les troisièmes et quatrième requérantes, Nemea plc et Nevestor SA, sont deux actionnaires directs de la cinquième requérante. Les première et deuxième requérantes, MM. H. Niemelä et M. Lehto, sont deux actionnaires indirects, par le biais de leur participation dans les deux actionnaires directs susmentionnés, en leur qualité de membres du conseil de direction et de propriétaires ou bénéficiaires effectifs de la cinquième requérante.

3        Le 25 janvier 2017, après avoir consulté l’autorité nationale de résolution, la MFSA a soumis à la Banque centrale européenne (BCE) un projet de décision de retrait de l’agrément pour l’accès aux activités d’établissement de crédit de la cinquième requérante, en application de l’article 80 du règlement no 468/2014 de la BCE, du 16 avril 2014, établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la BCE, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (le « règlement-cadre MSU ») (JO 2014, L 141, p. 1).

4        Le 13 mars 2017, le Conseil de surveillance de la BCE a approuvé le projet de décision de retrait de l’agrément pour l’accès aux activités d’établissement de crédit de la cinquième requérante et a imparti à cette dernière un délai de trois jours pour présenter ses observations sur ledit projet, conformément à l’article 31 du règlement-cadre MSU.

5        Le 15 mars 2017, la cinquième requérante a présenté ses observations sur le projet de décision de retrait de son agrément pour l’accès aux activités d’établissement de crédit.

6        Le 23 mars 2017, la BCE a adopté la décision ECB/SSM/2017 – 213800JENPXTUY75VSO/1 WHD-2017-0003, par laquelle elle a retiré l’agrément de l’agrément pour l’accès aux activités d’établissement de crédit de la cinquième requérante (ci-après la « décision attaquée ») en application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), et de l’article 14, paragraphe 5, du règlement no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63) (ci-après le « règlement MSU »).

7        Le 22 avril 2017, la commission administrative de réexamen de la BCE (ci-après la « CAR ») a reçu une demande de réexamen de la décision attaquée de la part des requérants.

 Faits postérieurs à la décision attaquée

8        Le 19 juin 2017, la CAR a adopté un avis, par lequel elle proposait que la décision attaquée soit remplacée par une décision identique. Le 30 juin 2017, le Conseil des gouverneurs de la BCE, suivant l’avis de la CAR et sur la base d’une proposition du conseil de surveillance prudentielle, a adopté la décision, ECB/SSM/2017 – 213800JENPXTUY75VS 07/2 (ci-après, la « décision du 30 juin 2017 ») qui, comme il est indiqué dans son dispositif, a remplacé la décision attaquée, conformément à l’article 24, paragraphe 7, du règlement MSU.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2017, les requérants ont introduit le présent recours.

10      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 25 octobre 2017, la BCE a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal.

11      Les requérants ont présenté leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité le 19 décembre 2017.

12      Par ordonnance du 13 juillet 2018, le Tribunal a joint l’exception d’irrecevabilité au fond, sur le fondement de l’article 130, paragraphe 7, du règlement de procédure.

13      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 octobre 2017, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la BCE. Les requérants ont présenté leurs observations sur cette demande le 16 novembre 2017.

14      Par décision du 23 juillet 2018, le président de la deuxième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 aout 2018, la BCE a déposé le mémoire en défense.

16      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 octobre 2018, la Commission a déposé le mémoire en intervention, sur lequel les requérants ont déposé leurs observations le 9 novembre 2018.

17      Les requérants ont déposé la réplique le 22 octobre 2018. La BCE a déposé la duplique le 28 janvier 2019.

18      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 février 2019, les requérants ont demandé la tenue d’une audience.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal du 27 février 2019, les requérants ont sollicité la suspension de la procédure jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour sur le pourvoi formé à l’encontre de l’ordonnance du 12 septembre 2017, Fursin e.a./BCE (T‑247/16, non publiée, EU:T:2017:623). La BCE a présenté ses observations sur cette demande le 22 mars 2019.

20      Par décision du président de la deuxième chambre du Tribunal du 1er avril 2019, la procédure a été suspendue.

21      À la suite du renouvellement partiel du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la neuvième chambre, à laquelle la présente affaire a été attribuée.

22      À la suite du prononcé de l’arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a. (C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923), le Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations sur les conséquences à tirer de cet arrêt dans la présente affaire. La Commission a répondu le 8 janvier 2020, les requérants et la BCE, le 9 janvier 2020.

23      Sur proposition de la neuvième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

24      Par décision du Tribunal du 27 août 2021, la présente affaire a été attribuée à une nouvelle juge rapporteure, siégeant dans la neuvième chambre, et un nouveau juge assesseur a été désigné pour compléter la formation.

25      Les requérants concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        modifier ladite décision afin d’en suspendre l’exécution et permettre ou enjoindre aux actionnaires de céder leur participation dans la cinquième requérante dans un délai raisonnable ;

–        condamner la BCE à les indemniser pour les dommages subis du fait de l’adoption de cette décision ;

–        condamner la BCE aux dépens.

26      La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la demande en annulation comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondée ;

–        rejeter la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée comme irrecevable ;

–        rejeter la demande indemnitaire comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme manifestement non fondée ;

–        condamner les requérants aux dépens.

27      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable en ce qui concerne le deuxième requérant ;

–        en tout état de cause, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

28      À titre liminaire, s’agissant du deuxième chef de conclusions, visant à modifier la décision attaquée afin de suspendre l’exécution et permettre ou enjoindre aux actionnaires de céder leur participation dans la cinquième requérante dans un délai raisonnable, force est de constater qu’il n’appartient pas au Tribunal de modifier une décision soumise à son contrôle de légalité sur le fondement de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 4 mai 2020, Comprojecto-Projectos e Construções e.a./BCE et Banco de Portugal, T‑90/20, non publiée, EU:T:2020:204, point 10 et jurisprudence citée).

 Sur la demande d’annulation

29      Aux termes de l’article 131, paragraphe 1, du règlement de procédure, si le Tribunal constate que le recours est devenu sans objet et qu’il n’y a plus lieu de statuer, il peut, à tout moment, d’office, sur proposition du juge rapporteur, les parties entendues, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

30      En l’espèce, il convient de relever que la BCE soutient que, compte tenu de l’adoption de la décision du 30 juin 2017, le recours est devenu sans objet et les requérants n’ont plus d’intérêt à agir en annulation de la décision attaquée.

31      Selon les requérants, dès lors que la BCE n’a pas retiré sa décision de retrait de l’agrément pour l’accès aux activités d’établissement de crédit de la cinquième requérante, le contenu et les effets de la décision attaquée seraient restés inchangés depuis le 23 mars 2017.

32      En outre, en réponse à la mesure d’organisation de la procédure du 2 juillet 2021, les requérants, au même titre que la Commission, maintiennent qu’ils disposent d’un intérêt à l’annulation de la décision attaquée et ajoutent qu’ils auraient dû être informés depuis 2017 de la perte d’intérêt en raison de l’adoption de la décision du 30 juin 2017 et de la nécessité d’introduire un recours contre cette dernière.

33      Dans sa réponse à la question posée par le Tribunal, la BCE s’oppose à ces arguments.

34      À cet égard, il convient de rappeler qu’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt, condition essentielle et première de tout recours en justice, suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 55 et 58).

35      Cet intérêt doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 42 et jurisprudence citée).

36      Ainsi qu’il ressort de l’article 24, paragraphe 1, du règlement n° 1024/2013, la BCE met en place une CAR chargée de procéder au réexamen administratif interne des décisions prises par la BCE dans l’exercice des compétences que lui confère ledit règlement. Selon le paragraphe 2 de cet article, la CAR comprend cinq personnes d’une grande honorabilité, qui sont des ressortissants des États membres et dont il est attesté qu’elles ont les connaissances et l’expérience professionnelle requises et qui ne font pas partie du personnel en poste de la BCE, des autorités compétentes ni d’autres institutions, organes, organismes ou agences des États membres ou de l’Union. Par sa décision 2014/360/UE, du 14 avril 2014, concernant la mise en place d’une commission administrative de réexamen et ses règles de fonctionnement (JO 2014, L 175, p. 47), adoptée sur le fondement de l’article 24 du règlement MSU, la BCE a institué la CAR.

37      Il ressort de l’article 24 du règlement MSU que les décisions de la BCE en matière de surveillance prudentielle peuvent faire l’objet d’un réexamen administratif, qui, selon le paragraphe 7 de cet article, comporte trois phases. En premier lieu, la CAR émet un avis à l’attention du conseil de surveillance prudentielle en vue de l’élaboration d’un nouveau projet de décision. En deuxième lieu, le conseil de surveillance prudentielle tient compte de l’avis de la CAR et soumet un nouveau projet de décision au conseil des gouverneurs dans les délais prévus à l’article 17, paragraphe 2, de la décision 2014/360. Le nouveau projet de décision « abroge la décision initiale, la remplace par une décision dont le contenu est identique, ou la remplace par une décision modifiée ». En troisième lieu, le nouveau projet de décision est réputé adopté à moins que le conseil des gouverneurs ne s’y oppose dans un délai maximal de dix jours ouvrables.

38      Enfin, selon l’article 24, paragraphe 1, du règlement MSU, le réexamen administratif interne porte sur la conformité formelle et matérielle, audit règlement, des décisions prises par la BCE dans l’exercice des compétences que lui confère ce règlement. Il est vrai que, en vertu de l’article 10, paragraphe 2, de la décision 2014/360, la CAR se limite à l’examen des motifs invoqués par les requérants tels qu’ils sont énoncés dans la demande de réexamen. Toutefois, selon l’article 17, paragraphe 1, de la même décision, l’évaluation du conseil de surveillance prudentielle ne se limite pas à l’examen des motifs invoqués par les requérants tels qu’exposés dans la demande de réexamen, mais elle peut également tenir compte d’autres éléments dans sa proposition d’un nouveau projet de décision.

39      Il ressort d’une lecture combinée des dispositions mentionnées aux points 36 à 38 ci-dessus que le réexamen administratif interne des décisions prises par la BCE dans l’exercice des compétences que lui confère le règlement MSU consiste, pris dans son ensemble, en une nouvelle évaluation complète de l’affaire, non limitée aux motifs invoqués à l’appui de la demande de réexamen. Cette particularité de la procédure de réexamen administratif est reflétée dans le fait que, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, de la décision 2014/360, le conseil de surveillance prudentielle, après avoir tenu compte de l’avis de la CAR, mise en place aux fins d’un réexamen des décisions de la BCE dans des conditions accrues d’indépendance et d’expertise (voir point 36 ci‑dessus), est lui-même doté d’une compétence élargie.

40      Dans ce contexte, l’article 24, paragraphe 7, du règlement MSU, prévoit que la procédure de réexamen peut aboutir à trois résultats. Le premier consiste en l’abrogation pure et simple de la décision initiale. Le deuxième consiste en un remplacement de la décision initiale par une décision identique. Le troisième consiste en un remplacement de la décision initiale par une décision modifiée.

41      L’article 24, paragraphe 7, du règlement MSU établit une obligation pesant sur la BCE de faire rétroagir la décision adoptée à l’issue du réexamen au moment de la prise d’effet de la décision initiale, quel que soit le résultat dudit réexamen.

42      En particulier, si le conseil de surveillance prudentielle et le conseil des gouverneurs estiment que la décision initiale, en vertu de laquelle il a été procédé au retrait de l’agrément de l’établissement de crédit est valide, le conseil des gouverneurs ne procède pas à un simple rejet de la demande de réexamen au fond, mais, conformément à l’article 24, paragraphe 7, du règlement MSU, à l’adoption d’une décision identique à celle faisant l’objet dudit réexamen. Or, dans une telle hypothèse, il n’est pas concevable de procéder à un second retrait du même agrément. La décision ayant un contenu identique à la décision réexaminée ne peut donc remplacer cette dernière qu’avec effet rétroactif au moment de la prise d’effet de la décision ayant fait l’objet du réexamen.

43      Cette interprétation, imposée par la nature des mesures en cause, est également valable lorsque le conseil de surveillance prudentielle et le conseil des gouverneurs estiment que le retrait de l’agrément n’est pas justifié ou qu’il peut être remédié aux défaillances constatées au moyen de mesures moins contraignantes. En effet, dans une telle hypothèse, l’acte abrogeant le retrait de l’agrément ou imposant ces mesures doit obligatoirement rétroagir de sorte à supprimer ex tunc le retrait de l’agrément de l’établissement de crédit et, le cas échéant, le remplacer par la mesure considérée comme étant la plus appropriée. À défaut d’un tel effet rétroactif, la décision rendue sur réexamen ne pourrait déployer ses effets qu’à condition d’octroyer un nouvel agrément, conformément à la procédure prévue à l’article 14 du règlement MSU.

44      Cette appréciation est indirectement mais nécessairement confirmée par l’article 24, paragraphe 8, du règlement MSU ainsi que par l’article 9, paragraphe 1, de la décision 2014/360, selon lesquels la demande de réexamen n’a pas d’effet suspensif à l’égard de l’application de la décision contestée. Il s’ensuit que le remplacement de la décision réexaminée par une décision modifiée doit se faire avec effet rétroagissant au moment de la prise d’effet de la décision réexaminée, à défaut de quoi la décision finale ne pourrait déployer son effet utile.

45      Il ressort également de l’analyse qui précède que le remplacement de la décision initiale par une décision identique ou modifiée à l’issue de la procédure de réexamen entraîne la disparition définitive de la décision initiale de l’ordre juridique.

46      En l’espèce, d’une part, conformément à l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, la décision du 23 mars 2017 a pris effet le jour de sa notification aux requérants. D’autre part, il ressort du point 3 de la décision du 30 juin 2017 que, par cette décision, la BCE a décidé de remplacer entièrement la décision du 23 mars 2017, qu’elle a considérée comme abrogée à la date de sa notification à son destinataire.

47      Ainsi, la décision du 30 juin 2017 a abrogée et remplacé la décision du 23 mars 2017 à partir de cette date, à laquelle le retrait de l’agrément devait déployer ses effets.

48      En tout état de cause, il convient de relever que la décision du 30 juin 2017 a été adoptée à l’issue du réexamen administratif intenté contre la décision du 23 mars 2017 et a un contenu identique à cette dernière, au sens de l’article 24, paragraphe 7, du règlement MSU.

49      Il s’ensuit que, en vertu de la décision du 30 juin 2017, la BCE a procédé, en conformité avec le cadre juridique régissant la procédure de réexamen administratif (voir points 36 à 42 ci-dessus), au remplacement de la décision attaquée avec effet rétroactif au moment de la prise d’effet de cette dernière.

50      Or, la disparition de l’objet du litige peut notamment provenir du retrait ou du remplacement de l’acte attaqué en cours d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 1961, Meroni e.a./Haute Autorité, 5/60, 7/60 et 8/60, EU:C:1961:10, p. 211 à 213 ; ordonnances du 17 septembre 1997, Antillean Rice Mills/Commission, T‑26/97, EU:T:1997:131, points 14 et 15, et du 12 janvier 2011, Terezakis/Commission, T‑411/09, EU:T:2011:4, point 15).

51      En effet, un acte qui est retiré et remplacé disparaît complètement et ex tunc de l’ordre juridique de l’Union, de sorte qu’un arrêt qui annulerait l’acte retiré n’entraînerait aucune conséquence juridique supplémentaire par rapport aux conséquences du retrait opéré (voir, en ce sens, ordonnances du 28 mai 1997, Proderec/Commission, T‑145/95, EU:T:1997:74, point 26 ; du 6 décembre 1999, Elder/Commission, T‑178/99, EU:T:1999:307, point 20, et du 9 septembre 2010, Phoenix-Reisen et DRV/Commission, T‑120/09, non publiée, EU:T:2010:381, point 23).

52      Il s’ensuit que, en cas de retrait de l’acte contesté, les requérants ne conserve aucun intérêt à en obtenir l’annulation et que le recours contre cet acte devient sans objet, de sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer (arrêt du 1er juin 1961, Meroni e.a./Haute Autorité, 5/60, 7/60 et 8/60, EU:C:1961:10, p. 211 à 213 ; ordonnances du 9 septembre 2010, Phoenix-Reisen et DRV/Commission, T‑120/09, non publiée, EU:T:2010:381, points 24 à 26, et du 24 mars 2011, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑36/10, EU:T:2011:124, points 46, 50 et 51).

53      Cette conclusion est d’autant plus évidente lorsque, comme en l’espèce, l’acte attaqué a été remplacé, avec effet rétroactif, par un acte identique, qui ne serait pas affecté par l’éventuelle annulation du premier acte.

54      Par conséquent, dans un contexte juridique qui organise un réexamen administratif donnant lieu à l’adoption d’actes destinés à remplacer, avec effet rétroactif, les actes ayant fait l’objet dudit réexamen, les intérêts des parties affectées sont intégralement protégés grâce à la possibilité de demander l’annulation de l’acte adopté à l’issue du réexamen en question ainsi que la réparation de tout préjudice occasionné par l’adoption de celui-ci.

55      Il s’ensuit que le recours, en ce qu’il tend à l’annulation de la décision attaquée, n’a plus d’objet et que, par voie de conséquence il n’y a plus lieu de statuer sur la demande en annulation ni de se prononcer sur la demande de mesures d’instruction se rattachant à cette dernière, formulée par les requérants.

 Sur la demande indemnitaire

56      Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sur proposition du juge rapporteur, à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

57      Les requérants, dans la requête, formulent un chef de conclusions visant à condamner la BCE à les indemniser à hauteur de 10 millions d’euros majorés des intérêts légaux. Dans le cadre des moyens visant à l’annulation de la décision attaquée, ils mentionnent l’existence de dommages irréparables résultant de la mise en œuvre immédiate de la décision attaquée et de la non suspension des effets de cette décision. Puis, dans la réplique, ils portent leur demande indemnitaire à la somme de 100 millions d’euros.

58      La BCE invoque l’irrecevabilité de la demande indemnitaire.

59      Il ressort d’une jurisprudence constante, applicable mutatis mutandis à la responsabilité non contractuelle de la BCE prévue à l’article 340, troisième alinéa, TFUE, que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses institutions ou de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions présentant un caractère cumulatif, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution ou à l’organe de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 65 et jurisprudence citée).

60      En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal, conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (voir ordonnance du 11 mars 2021, Techniplan/Commission, T‑426/20, non publiée, EU:T:2021:129, point 19 et jurisprudence citée).

61      Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution doit indiquer avec une précision suffisante de quelle façon l’ensemble des conditions pour la réparation du préjudice prétendument subi sont réunies. Il s’ensuit qu’une telle requête doit contenir les éléments qui permettent d’identifier, premièrement, le comportement que la partie requérante reproche à l’institution, deuxièmement, les raisons pour lesquelles elle estime qu’un lien de causalité existe entre ce comportement et le préjudice qu’elle prétend avoir subi ainsi que, troisièmement, le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir ordonnance du 12 septembre 2018, RE/Commission, T‑257/17, non publiée, EU:T:2018:549, points 55 et 56 et jurisprudence citée).

62      En l’espèce, force est de constater que, dans la requête, les requérants ne développent ni n’étayent à suffisance de droit les comportements de la BCE dont devrait découler une illégalité permettant d’engager la responsabilité de l’Union européenne. Ils restent, notamment, en défaut de préciser le lien de causalité entre les dommages allégués et les effets que la décision attaquée aurait éventuellement pu produire avant d’être remplacée par la décision du 23 mars 2017. De même, les allégations, développées par les requérants au stade de la réplique ne sauraient aucunement combler cette carence évidente. Il ressort, en effet, de la jurisprudence que dans l’examen de la conformité de la requête avec les exigences de l’article 76, paragraphe 1, du règlement de procédure, le contenu de la réplique est, par hypothèse, dépourvu de pertinence. En particulier, la recevabilité, admise par la jurisprudence, des moyens et des arguments avancés dans la réplique à titre d’ampliation de moyens contenus dans la requête ne saurait être invoquée dans le but de pallier un manquement, intervenu lors de l’introduction du recours, auxdites exigences, sauf à vider cette dernière disposition de toute portée (voir, par analogie, arrêt du 25 octobre 2012, Arbos/Commission, T‑161/06, non publié, EU:T:2012:573, point 59 et jurisprudence citée).

63      Par conséquent, il y a lieu de conclure que la demande en indemnité est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

64      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens. En outre, aux termes de l’article 134, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

65      Compte tenu des considérations ayant amené le Tribunal à constater qu’il n’y a plus lieu à statuer sur la demande en annulation, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que chaque partie principale supportera ses propres dépens afférents à ladite demande.

66      Les requérants ayant succombé en leurs conclusions indemnitaires, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens et ceux de la BCE relatifs à la demande indemnitaire, conformément aux conclusions de cette dernière.

67      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dès lors, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

ordonne :

1)      Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande en annulation.

2)      La demande indemnitaire est rejetée comme manifestement irrecevable.

3)      Heikki Niemelä, Mika Lehto, Nemea plc, Nevestor SA et Nemea Bank plc et la Banque centrale européenne (BCE) sont condamnés chacun à supporter leurs propres dépens, relatifs à la demande en annulation.

4)      Heikki Niemelä, Mika Lehto, Nemea, Nevestor et Nemea Bank sont condamnés à supporter leurs propres dépens et ceux de la BCE relatifs à la demande indemnitaire.

5)      La Commission européenne supporte ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 20 décembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.