Language of document : ECLI:EU:C:2005:327

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

26 mai 2005 (*)

«Convention de Bruxelles – Demande d’interprétation de l’article 6, point 2, et des dispositions de la section 3 du titre II – Compétence en matière d’assurances – Appel en garantie ou en intervention entre assureurs – Situation d’un cumul d’assurances»

Dans l’affaire C-77/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre du protocole du 3 juin 1971 relatif à l’interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 20 janvier 2004, parvenue à la Cour le 17 février 2004, dans la procédure

Groupement d’intérêt économique (GIE) Réunion européenne e.a.

contre

Zurich España, 

Société pyrénéenne de transit d’automobiles (Soptrans),

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, Mme N. Colneric, MM. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), M. Ilešič et E. Levits, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme K. H. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 décembre 2004,

considérant les observations présentées:

–       pour le Groupement d’intérêt économique (GIE) Réunion européenne e.a., par Me M. Levis, avocat,

–       pour Zurich España, par Mes P. Alfredo et G. Thouvenin, avocats,

–       pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme A. Bodard-Hermant, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement italien, par MM. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mme A.‑M. Rouchaud-Joët, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 24 février 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, point 2, et des dispositions de la section 3 du titre II de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige ayant pour objet un appel en garantie formé par les assureurs de la société pyrénéenne de transit d’automobiles (ci-après «Soptrans») contre la société Zurich Seguros, devenue Zurich España (ci-après «Zurich»), en vue de la répartition entre ces compagnies d’assurances des indemnités dues par Soptrans à la société General Motors Espagne (ci-après «GME»).

 Le cadre juridique

3       L’article 2, premier alinéa, de la convention dispose:

«Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.»

4       L’article 6, point 2, figurant dans la section 2, intitulée «Compétences spéciales», du titre II de la convention est libellé comme suit:

«Ce même défendeur peut aussi être attrait:

[…]

2.       s’il s’agit d’une demande en garantie ou d’une demande en intervention, devant le tribunal saisi de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire hors de son tribunal celui qui a été appelé;

[…]»

5       Les articles 7 à 12 bis forment la section 3, intitulée «Compétences en matière d’assurances», du titre II de la convention.

6       L’article 7 de la convention stipule:

«En matière d’assurances, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions des articles 4 et 5 point 5.»

7       Aux termes de l’article 11 de la convention:

«Sous réserve des dispositions de l’article 10 troisième alinéa, l’action de l’assureur ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État contractant sur le territoire duquel est domicilié le défendeur, qu’il soit preneur d’assurance, assuré ou bénéficiaire. […]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8       Le litige au principal trouve son origine dans un sinistre survenu le 13 août 1990 dans le parc de stationnement sur lequel Soptrans, société établie en France, assure le stockage de véhicules automobiles neufs.

9       Soptrans est assurée, en ce qui concerne les dommages causés à ces véhicules, auprès du GIE Réunion européenne, des sociétés Axa, venant aux droits de l’Union des assurances de Paris, Winterthur, venant aux droits de la Neuchâteloise, Le Continent et Assurances mutuelles de France (ci-après, ensemble, «les assureurs»), ayant toutes leur siège ou une succursale en France.

10     Certains véhicules endommagés appartenaient à GME et étaient assurés auprès de Zurich, établie en Espagne. À la suite d’une transaction, intervenue au cours d’une procédure devant le tribunal de Saragosse (Espagne), Soptrans s’est engagée à payer 120 000 000 ESP à GME à titre d’indemnité en réparation des dommages subis par les véhicules dont cette dernière était propriétaire.

11     Parallèlement à cette procédure, Soptrans a assigné les assureurs devant le tribunal de grande instance de Perpignan en vue de les faire condamner à garantir les conséquences de l’action intentée contre elle devant la juridiction espagnole.

12     Les assureurs ont à leur tour appelé en garantie Zurich devant ledit tribunal de grande instance, sur le fondement de l’article L. 121-4 du code des assurances français qui prévoit, dans les situations de cumul d’assurances, une répartition proportionnelle entre les différents assureurs de l’indemnisation à payer à l’assuré. Zurich a contesté la compétence de la juridiction française saisie au profit du Tribunal de Barcelona (Espagne), lieu de son siège social.

13     Par jugement du 2 février 1999, le tribunal de grande instance de Perpignan a considéré que les juridictions françaises étaient compétentes sur le fondement de l’article 6, point 2, de la convention. Zurich a fait appel de cette décision devant la cour d’appel de Montpellier, laquelle, considérant que, en l’espèce, seules les dispositions de la section 3 du titre II de la convention étaient applicables, a déclaré lesdites juridictions incompétentes pour connaître de l’appel en garantie introduit par les assureurs.

14     Ces derniers ont alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation, au motif, d’une part que l’action en garantie fondée sur le cumul d’assurances n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 11 de la convention et, d’autre part, que l’existence d’un lien de connexité entre la demande principale et la demande en garantie ne figurait pas au nombre des conditions d’application de l’article 6, point 2, de la convention.

15     Estimant que, dans ces conditions, la solution du litige nécessitait une interprétation de la convention, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«1)       Un appel en garantie ou en intervention entre assureurs, fondé non sur un traité de réassurance mais sur l’allégation d’un cumul d’assurances ou d’une situation de co-assurance, ressortissant de la matière des assurances, est-il soumis aux dispositions de la section 3 du titre II de la convention de Bruxelles [...]?

2)       Pour déterminer la juridiction compétente en cas d’appel en garantie ou en intervention formée entre assureurs, l’article 6, point 2, est-il applicable, et dans l’affirmative, cette application est-elle subordonnée à l’exigence d’un lien de connexité entre les différentes demandes au sens de l’article 22 de la convention, ou, à tout le moins, à la preuve de l’existence d’un lien suffisant entre ces demandes caractérisant l’absence de détournement de for?»

 Sur les questions préjudicielles

 En ce qui concerne la première question

16     La section 3 du titre II de la convention est consacrée aux règles de compétences spéciales en matière d’assurances.

17     Selon une jurisprudence constante, il ressort de l’examen des dispositions de ladite section, éclairées par leurs travaux préparatoires, que, en offrant à l’assuré une gamme de compétences plus étendue que celle dont dispose l’assureur et en excluant toute possibilité de clause de prorogation de compétence au profit de ce dernier, elles ont été inspirées par un souci de protection de l’assuré, lequel, le plus souvent, se trouve confronté à un contrat prédéterminé dont les clauses ne sont plus négociables et constitue la personne économiquement la plus faible (arrêts du 14 juillet 1983, Gerling e.a., 201/82, Rec. p. 2503, point 17, et du 13 juillet 2000, Group Josi, C-412/98, Rec. p. I-5925, point 64).

18     Cette fonction de protection de la partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée implique cependant que l’application des règles de compétence spéciale prévues à cet effet par la convention ne soit pas étendue à des personnes pour lesquelles cette protection ne se justifie pas (arrêt Group Josi, précité, point 65).

19     En l’occurrence, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, les assureurs ont attrait Zurich devant le tribunal de grande instance de Perpignan sur le fondement de l’article L. 121-4 du code des assurances français qui permet à l’assureur, défendeur dans l’instance introduite par l’assuré, d’appeler en garantie, sur le fondement d’un cumul d’assurances, les autres assureurs afin d’obtenir leur contribution à l’indemnisation de l’assuré.

20     Dans ces conditions, aucune protection spéciale ne se justifie s’agissant des rapports entre des professionnels du secteur des assurances, dont aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre.

21     Ainsi que l’a relevé à bon droit M. l’avocat général, au point 17 de ses conclusions, cette interprétation est confortée, en particulier, par les articles 8, 10 et 12 de la convention, qui visent clairement le recours introduit par un preneur d’assurances, un assuré ou une personne lésée et par l’article 11 de la même convention qui se réfère au recours formé contre un preneur d’assurance, un assuré ou un bénéficiaire.

22     En effet, les auteurs de la convention se sont fondés sur la prémisse que les dispositions de la section 3 du titre II de celle-ci ne seraient applicables qu’aux rapports caractérisés par une situation de déséquilibre entre les intervenants et ont établi, pour cette raison, un régime de compétences spéciales favorable à la partie considérée comme économiquement la plus faible et juridiquement la moins expérimentée. Au demeurant, l’article 12, point 5, de la convention a exclu d’un tel régime protecteur les contrats d’assurance dans lesquels l’assuré bénéficie d’une puissance économique importante.

23     Il est ainsi conforme tant à la lettre qu’à l’esprit et à la finalité des dispositions en cause de conclure que celles-ci ne sont pas applicables aux rapports entre assureurs dans le cadre d’un appel en garantie.

24      Il y a donc lieu de répondre à la première question posée qu’un appel en garantie entre assureurs, fondé sur un cumul d’assurances, n’est pas soumis aux dispositions de la section 3 du titre II de la convention.

 En ce qui concerne la seconde question

25     En vertu de l’article 6, point 2, de la convention, dans le cas d’une demande en garantie ou d’une demande en intervention, un défendeur peut être attrait devant le tribunal saisi de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire hors de son tribunal celui qui a été appelé.

26     Dans l’affaire au principal, Zurich a été appelée en garantie par les assureurs devant le tribunal saisi par Soptrans en vue de la condamnation de ceux-ci à garantir cette dernière de l’ensemble des conséquences de l’action intentée contre elle par GME.

27     Les demandes introduites par Soptrans et par les assureurs devant le tribunal de grande instance de Perpignan doivent ainsi être considérées respectivement comme une demande originaire et une demande en garantie, au sens de l’article 6, point 2, de la convention.

28     Cette qualification est corroborée par le rapport sur la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, élaboré par M. Jenard (JO 1979, C 59, p. 1, 27), selon lequel la demande en garantie est définie comme l’action «qui est intentée contre un tiers par le défendeur à un procès en vue d’être tenu indemne de conséquences de ce procès».

29     L’applicabilité, en l’espèce, de l’article 6, point 2, de la convention reste néanmoins soumise au respect de la condition exigeant que la demande en garantie ne soit pas formée que dans le but de traduire hors de son tribunal celui qui a été appelé.

30     Or, ainsi que l’ont souligné, d’une part, la Commission et, d’autre part, M. l’avocat général aux points 32 et 33 de ses conclusions, l’existence d’un lien entre les deux demandes en cause au principal est inhérente à la notion même de demande en garantie.

31     En effet, il existe une relation intrinsèque entre une action dirigée contre un assureur en vue de l’indemnisation des conséquences d’un événement couvert par celui-ci et la procédure par laquelle cet assureur cherche à faire contribuer un autre assureur réputé avoir couvert le même événement.

32     Il appartient au juge national saisi de la demande originaire de vérifier l’existence d’un tel lien, en ce sens qu’il doit s’assurer que la demande en garantie ne vise pas qu'à traduire le défendeur hors de son tribunal.

33     Il s’ensuit que l’article 6, point 2, de la convention n’exige l’existence d’aucun lien autre que celui qui est suffisant pour constater l’absence de détournement de for.

34     Il y a lieu d’ajouter à cet égard que, en matière de demande en garantie, l’article 6, point 2, de la convention se borne à déterminer le juge compétent et ne vise aucunement les conditions de recevabilité proprement dites et que, s’agissant des règles de procédure, il convient de se reporter aux règles nationales applicables par la juridiction nationale (arrêt du 15 mai 1990, Hagen, C-365/88, Rec. p. I-1845, points 18 et 19).

35     Toutefois, l’application des règles de procédure nationales ne saurait porter atteinte à l’effet utile de la convention. Le juge ne saurait appliquer des conditions de recevabilité prévues par le droit national qui auraient pour effet de limiter la mise en œuvre des règles de compétence prévues par la convention (arrêt Hagen, précité, point 20).

36     À la lumière des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question posée que l’article 6, point 2, de la convention est applicable à un appel en garantie, fondé sur un cumul d’assurances, pour autant qu’il existe un lien entre la demande originaire et la demande en garantie permettant de conclure à l’absence de détournement de for.

 Sur les dépens

37     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      Un appel en garantie entre assureurs, fondé sur un cumul d’assurances, n’est pas soumis aux dispositions de la section 3 du titre II de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique, par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède.

2)      L’article 6, point 2, de ladite convention est applicable à un appel en garantie, fondé sur un cumul d’assurances, pour autant qu’il existe un lien entre la demande originaire et la demande en garantie permettant de conclure à l’absence de détournement de for.

Signatures


* Langue de procédure: le français.