Language of document : ECLI:EU:C:2024:62

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 18 janvier 2024 (1)

Affaire C601/22

Umweltverband WWF Österreich,

ÖKOBÜRO – Allianz der Umweltbewegung,

Naturschutzbund Österreich,

Umweltdachverband,

Wiener Tierschutzverein

contre

Tiroler Landesregierung

[demande de décision préjudicielle formée par le Landesverwaltungsgericht Tirol (tribunal administratif régional du Tyrol, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 92/43/CEE – Conservation de la faune sauvage – Chasse au loup – Validité – Article 12, paragraphe 1, et Annexe IV – Système de protection stricte de certaines espèces animales – Exception – Égalité de traitement entre les États membres – Incidence de la réponse de la Cour sur le litige au principal – Recevabilité de cette question – Interprétation – Article 16, paragraphe 1 – Conditions d’une dérogation au système de protection stricte – Étendue territoriale de la déclaration de l’“état de conservation” – Article 16, paragraphe 1, sous b) – Notion de “dommages importants” – Article 16, paragraphe 1 – Notion d’“autre solution satisfaisante” – Considérations économiques »






I.      Introduction

1.        Les loups sont des personnages récurrents dans les récits (2). Le loup de notre récit se nomme 158MATK. Il est tenu responsable de la mort d’un nombre important de moutons élevés dans les pâturages alpins du Tyrol, en Autriche.

2.        Pour cette raison, la Tiroler Landesregierung (gouvernement du land du Tyrol, Autriche) a adopté une décision autorisant l’abattage de ce loup. Plusieurs organisations de protection des animaux et de l’environnement ont introduit un recours en annulation de cette décision devant la juridiction de renvoi, le Landesverwaltungsgericht Tirol (tribunal administratif régional du Tyrol, Autriche).

3.        Le loup (canis lupus) est une espèce qui nécessite une protection stricte au titre de la directive « habitats » (3). Par conséquent, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour de clarifier plusieurs enjeux découlant de cette directive. Cela devrait lui permettre de décider si la décision du gouvernement du land du Tyrol peut être maintenue.

II.    Les faits du litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

4.        Dans son rapport du 25 juillet 2022 (ci-après le « rapport d’experts »), le comité d’experts « Loup-Ours-Lynx » (Tyrol, Autriche) (4) a conclu que le loup 158MATK était responsable de la mort d’au moins 20 moutons, dans une zone géographique définie, au cours de la période comprise entre le 10 juin et le 2 juillet 2022. En outre, le même loup était probablement responsable de la mort de 17 autres moutons au cours de la période comprise entre le 22 et le 24 juillet 2022.

5.        Le même rapport a conclu que la protection du bétail n’est actuellement pas possible dans la zone concernée. Il est, dès lors, arrivé à la conclusion que le loup 158MATK représente un danger immédiat et important pour les animaux en pâturage.

6.        Par une ordonnance du 26 juillet 2022 (ci-après l’« ordonnance 158MATK »), le gouvernement du land du Tyrol a déclaré que le loup portant la désignation 158MATK représentait un danger important imminent pour les animaux en pâturage ainsi que pour les cultures et les installations agricoles. L’ordonnance est entrée en vigueur le 29 juillet 2022 et s’applique pour une durée illimitée.

7.        Le même jour, le gouvernement du land du Tyrol a adopté une décision (ci-après la « décision attaquée ») exceptant le loup 158MATK de l’interdiction de chasser les loups applicable tout au long de l’année (5). Il a expliqué que cela était nécessaire pour prévenir des dommages importants aux cultures et à l’élevage dans des zones de chasse déterminées où le loup 158MATK a été repéré. L’exception applicable au loup 158MATK était valable jusqu’au 31 octobre 2022 (la fin de la saison d’élevage en alpage) ou devait expirer plus tôt si les techniques de traçage de biologie moléculaire détectaient clairement le loup 158MATK en dehors de la zone cible à plusieurs reprises.

8.        La motivation de la décision attaquée reposait sur les conclusions du comité d’experts « Loup-Ours-Lynx » et, plus précisément, sur les réponses fournies par divers experts dans les domaines de la chasse, de l’agriculture, de la biologie vétérinaire et des espèces sauvages ainsi que du secteur de la gestion cynégétique.

9.        La décision attaquée a justifié l’abattage du loup 158MATK comme étant nécessaire pour prévenir non seulement des dommages importants consistant en des dommages directs, économiques et non économiques, résultant d’attaques concrètes, mais également des dommages à long terme pour l’économie.

10.      En outre, il a été expliqué qu’il n’existait pas de mesures satisfaisantes alternatives à l’abattage de ce spécimen étant donné que les troupeaux de bétail dans les pâturages alpins sont de petite taille et que leur protection n’est pas possible. Le rapport d’experts a démontré que 61 alpages situés dans la zone où le loup en cause avait été détecté devaient être considérés comme impossibles à protéger ou comme impossibles à protéger par des mesures raisonnables et proportionnées. Dans le même temps, prélever le loup 158MATK dans la nature et le maintenir en captivité permanente n’a pas été considéré comme une alternative appropriée étant donné que les loups ayant jusque-là vécu en liberté ne peuvent s’adapter à la vie en captivité, car la captivité leur cause des souffrances considérables.

11.      Selon l’avis d’un des experts consultés, le prélèvement d’un loup n’affecterait pas l’état de conservation favorable de la sous-population alpine de loups en général. En Autriche, toutefois, l’état de conservation favorable des loups n’avait pas encore été atteint. Le rapport a néanmoins conclu que, même lorsque l’Autriche était envisagée isolément, on ne devait s’attendre à aucune détérioration de l’état de conservation ou entrave au rétablissement d’un état favorable.

12.      Cinq organisations environnementales, à savoir Umweltverband WWF Österreich, ÖKOBÜRO – Allianz der Umweltbewegung, Naturschutzbund Österreich, Umweltdachverband et Wiener Tierschutzverein (ci-après les « ONG requérantes »), ont formé un recours contre la décision attaquée devant le Landesverwaltungsgericht Tirol (tribunal administratif régional du Tyrol), la juridiction de renvoi dans la présente affaire. En substance, elles ont fait valoir que la décision du 29 juillet 2022 ne remplit pas les critères de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats ».

13.      La partie pertinente de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » est libellée comme suit :

« À condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b) :

[…]

b)      pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;

[…] »

14.      En plus des questions soulevées par les parties devant la juridiction de renvoi, qui portent sur l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats », la juridiction de renvoi soulève une question additionnelle. Elle semble considérer que l’article 12 de la directive « habitats », qui constitue la base juridique de la protection stricte des loups, lu en combinaison avec l’annexe IV de ladite directive, est invalide. La raison avancée pour une telle invalidité est l’inégalité de traitement de l’Autriche, contraire à l’article 4, paragraphe 2, TUE, en comparaison des États membres qui bénéficient, en vertu de l’annexe IV, d’exceptions à la protection stricte des loups sur l’ensemble ou une partie de leurs territoires, traitement dont ne bénéficie pas l’Autriche.

15.      Dans ces conditions, le Landesverwaltungsgericht Tirol (tribunal administratif régional du Tyrol) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions combinées de l’article 12 et de l’annexe IV de la directive [“habitats”] [...] en vertu desquelles le loup relève du système de protection stricte, mais des populations dans plusieurs États membres sont exceptées de ce régime, aucune exception en ce sens n’étant toutefois prévue en ce qui concerne l’Autriche, violent-elles le “principe d’égalité de traitement des États membres” inscrit à l’article 4, paragraphe 2, TUE ?

2)      Convient-il d’interpréter l’article 16, paragraphe 1, de la directive [“habitats”], en vertu duquel il n’est permis de déroger au système de protection stricte du loup qu’à condition, entre autres, que la dérogation ne nuise pas au maintien, “dans un état de conservation favorable”, des populations des espèces concernées “dans leur aire de répartition naturelle”, en ce sens que c’est non pas sur le territoire d’un État membre, mais sur l’aire de répartition naturelle d’une population, laquelle peut couvrir une région biogéographique considérablement plus étendue qui dépasse les frontières d’un seul pays, que l’état de conservation favorable doit être maintenu ou rétabli ?

3)      Convient-il d’interpréter l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive [“habitats”] en ce sens qu’il convient de retenir, à titre de “dommage important”, outre le dommage direct causé par un loup déterminé, également le dommage indirect (futur) à l’économie nationale, qui ne peut être attribué à un loup déterminé ?

4)      Convient-il d’interpréter l’article 16, paragraphe 1, de la directive [“habitats”] en ce sens qu’il convient d’examiner les “autres solutions satisfaisantes”, compte tenu de la topographie ainsi que de la structure de l’agriculture en alpage et des exploitations dans le Land de Tyrol, uniquement quant à leur faisabilité effective ou également au regard de critères économiques ? »

16.      Des observations écrites ont été présentées à la Cour par Umweltdachverband, ÖKOBÜRO – Allianz der Umweltbewegung, Umweltverband WWF Österreich, le gouvernement du land du Tyrol, les gouvernements autrichien et danois, le Conseil de l’Union européenne ainsi que la Commission européenne.

17.      Une audience s’est tenue le 25 octobre 2023, durant laquelle Umweltverband WWF Österreich, ÖKÖBURO – Allianz der Umweltbewegung et Umweltdachverband, Wiener Tierschutzverein, le gouvernement du land du Tyrol, les gouvernements autrichien, français, finlandais et suédois, le Conseil et la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries.

III. Analyse

A.      Sur la recevabilité

18.      Avant d’entamer l’analyse, il y a lieu d’aborder la question relative à la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle.

19.      La décision attaquée a entre-temps expiré. Elle ne permettait l’abattage du loup 158MATK que jusqu’au 30 octobre 2022, de sorte que les questions relatives à sa validité peuvent sembler hypothétiques.

20.      Toutefois, et cela a été expliqué clairement dans l’ordonnance de renvoi, cette décision était fondée sur l’ordonnance 158MATK, qui a déclaré le loup en cause comme étant une menace pour les animaux en pâturage, et ce sans aucune limitation dans le temps. Par conséquent, sur le fondement de cette ordonnance, une autre décision autorisant l’abattage de ce loup spécifique pourrait être adoptée à tout moment.

21.      Par conséquent, je considère que la demande de décision préjudicielle est recevable.

B.      Remarques liminaires et structure des présentes conclusions

22.      La directive « habitats » vise à sauvegarder la biodiversité (6). Une manière dont elle s’efforce d’atteindre cet objectif est de soumettre certaines espèces végétales et animales à un régime de protection stricte. Les espèces animales qui nécessitent une protection stricte, au titre de l’article 12 de la directive, sont énumérées à l’annexe IV de ladite directive. Ce régime de protection stricte exige, entre autres, que les États membres interdisent, sur l’ensemble de leurs territoires, toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature, telles qu’énumérées à l’annexe IV (7).

23.      Les loups figurent, en tant qu’espèce (canis lupus), à l’annexe IV de la directive « habitats » (8). Toutefois, certains États membres (ou une partie de leurs territoires) sont exemptés de l’obligation de fournir une protection stricte des loups, par leur exclusion expresse de l’annexe IV (9). L’Autriche n’en fait pas partie.

24.      Les États membres peuvent exceptionnellement déroger aux exigences de protection stricte prévues à l’article 12 de la directive « habitats », conformément à l’article 16, paragraphe 1, de celle-ci.

25.      En Autriche, les loups sont présents dans deux régions biogéographiques : la région continentale et la région alpine.

26.      Comme l’ont noté les organisations environnementales prenant part à la présente affaire, il est nécessaire, pour éviter toute confusion, d’expliquer que la région biogéographique alpine est différente de la région des Alpes peuplée par la sous-population de loups à laquelle appartient le loup 158MATK. D’une part, la région des Alpes comprend le massif montagneux couvrant le sud-est de la France, Monaco, le nord de l’Italie, la Suisse, le Liechtenstein, le sud de l’Allemagne, l’Autriche et la Slovénie. D’autre part, la région biogéographique alpine est l’une des régions biogéographiques européennes du réseau Natura 2000 (10), qui est plus étendue que les Alpes elles-mêmes et couvre différents massifs montagneux de l’Union, et pas seulement les Alpes (11).

27.      Le loup en cause, le loup 158MATK, fait partie d’une sous‑population de loups dont l’aire de répartition naturelle se situe dans la région des Alpes. Selon les données soumises par le gouvernement autrichien dans la présente affaire (12), en 2022, 57 loups au total ont été repérés sur l’ensemble du territoire autrichien. Dans la partie autrichienne de la région des Alpes, il n’y a que deux meutes, alors qu’on estime que, pour la pérennité de la sous-population de loups des Alpes, il devrait y avoir au moins 39 meutes en Autriche (13). Par conséquent, l’état de conservation des loups en Autriche ne saurait actuellement être considéré comme favorable.

28.      La présente affaire pose des questions relatives à la protection stricte d’un spécimen de loup qui doit être protégé par l’Autriche au titre de l’article 12 de la directive « habitats » et à la possibilité de déroger à une telle protection stricte en vertu de l’article 16 de ladite directive.

29.      La juridiction de renvoi a saisi la Cour de deux types de questions. Par sa première question, elle met en doute la validité de la protection stricte exigée pour les loups en tant qu’espèce, sur le fondement de l’article 12, lu en combinaison avec l’annexe IV, de la directive « habitats ». Le motif possible d’invalidité soulevé par la juridiction de renvoi est l’inégalité de traitement entre les États membres, contraire à l’article 4, paragraphe 2, TUE. Par ses autres questions, la juridiction de renvoi demande à être éclairée sur l’interprétation soit des conditions générales d’application de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats », soit de l’article 16, paragraphe 1, sous b), de celle-ci.

30.      Dans les présentes conclusions, j’aborderai d’abord la question de la validité (Section C).

31.      Je passerai, ensuite, aux questions relatives à l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » (Section D). Premièrement, je proposerai une réponse à la question de savoir si la situation des loups dans d’autres pays peut, ou doit, être prise en considération par un organisme qui évalue le respect des exigences aux fins de l’octroi d’une dérogation au titre de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » (Sous-section 1). Ensuite, j’interpréterai la notion de « dommages importants », qui justifie une dérogation à la protection stricte, prévue à l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive « habitats », en vue d’apporter une réponse à la question de savoir quels types de dommages peuvent être pris en considération aux fins d’apprécier si un dommage donné est important (Sous-section 2). Enfin, j’examinerai de quelle manière il y a lieu d’évaluer s’il existe une autre solution satisfaisante, alternative à la mesure dérogatoire proposée et si des considérations économiques peuvent être prises en compte dans le cadre de cette évaluation (Sous-section 3).

C.      Sur la validité de l’article 12, lu en combinaison avec l’annexe IV, de la directive « habitats » (la première question préjudicielle)

32.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats », lu en combinaison avec l’annexe IV de cette directive, doit être considéré comme invalide en tant qu’il méconnaît le principe d’égalité entre les États membres, tel qu’il est consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE. L’inégalité, comme cela est suggéré, existerait dans la mesure où l’annexe IV excepte certaines populations de loups, situées sur le territoire d’autres États membres, du système de protection stricte établi par l’article 12 de ladite directive, mais n’en excepte pas la population de loups en Autriche.

33.      Neuf États membres sont exemptés de l’obligation de protection stricte des loups. L’Espagne et la Grèce ont été partiellement exclues de l’annexe IV de la directive « habitats » à l’époque de l’adoption de celle-ci (14). Sept autres États membres ont négocié leurs exemptions au moment de leur adhésion à l’Union européenne (15). Depuis l’élargissement de 2007, l’annexe IV de la directive « habitats » n’a pas été modifiée en ce qui concerne les loups (16).

34.      L’Autriche, qui n’a pas été exemptée de l’application de l’annexe IV, est donc tenue à une protection stricte des loups sur l’ensemble de son territoire.

35.      Lors de son adhésion à l’Union, l’Autriche n’a pas demandé une exclusion de l’annexe IV pour les loups. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où, comme l’ont souligné le gouvernement du land du Tyrol et le gouvernement autrichien, à cette époque, il n’y avait pas de loups au Tyrol ou en Autriche. Toutefois, les loups ont commencé à y revenir, ce qui, comme le démontre la présente affaire, entre parfois en conflit avec les intérêts et les habitudes des populations agricoles pratiquant l’élevage de bétail dans les Alpes.

36.      Dans ces circonstances, l’Autriche se trouve-t-elle dans une position inégale par rapport aux États membres qui bénéficient de l’exception prévue à l’annexe IV ?

1.      Sur la recevabilité

37.      Avant d’examiner le bien-fondé d’une telle allégation, il y a d’abord lieu d’aborder brièvement la question de la recevabilité de la première question, qui a fait l’objet d’un débat lors de l’audience.

38.      Les ONG requérantes considèrent que la réponse à la première question n’aurait pas d’incidence sur le litige au principal. Le Conseil considère, lui aussi, la question comme irrecevable. Selon lui, le litige au principal porte sur l’article 16 de la directive « habitats », plutôt que sur l’article 12 de celle-ci, ce qui rend cette dernière disposition inapplicable au litige au principal.

39.      En revanche, le gouvernement du land du Tyrol, les gouvernements autrichien, finlandais et suédois ainsi que la Commission ont plaidé en faveur de la recevabilité de la première question.

40.      Plus particulièrement, le gouvernement autrichien a fait valoir qu’une éventuelle conclusion de la Cour selon laquelle l’article 12, lu en combinaison avec l’annexe IV, de la directive « habitats » est invalide, aurait certainement une incidence sur le litige devant la juridiction nationale étant donné que cette disposition ne serait alors pas applicable.

41.      Je suis d’accord avec le gouvernement autrichien sur ce point. La première question est, dès lors, recevable.

2.      Les arguments relatifs à la violation de l’égalité

42.      L’article 4, paragraphe 2, TUE prévoit que « l’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités […] ».

43.      La jurisprudence concernant l’exigence d’égalité, lorsqu’elle est appliquée aux États membres, est peu abondante (17).

44.      Selon moi, l’égalité des États membres au titre du droit de l’Union doit être comprise comme une expression spécifique du principe général d’égalité de traitement, lequel exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée (18).

45.      En matière de politique de l’environnement, l’article 191, paragraphe 3, TFUE requiert, comme l’a souligné la Commission, que l’Union tienne compte de différents aspects de l’environnement dans les diverses régions de l’Union. Par conséquent, la réalisation des objectifs de la politique environnementale de l’Union nécessite un traitement de chaque État membre qui soit adapté à sa situation spécifique (19).

46.      Toutefois, si deux États membres se trouvent dans une situation similaire, mais sont traités de manière différente, cela donnerait lieu à une violation du principe d’égalité (20).

47.      Les exclusions prévues à l’annexe IV de la directive « habitats » reflètent la situation spécifique dans chacun des États membres exemptés (21). En outre, dans la plupart des cas, comme cela a été expliqué au point 33 des présentes conclusions, les exemptions sont le résultat de négociations d’adhésion (22).

48.      La constatation d’une inégalité de traitement requiert qu’un État membre se trouve dans une situation comparable à celle d’un autre État membre, mais soit traité de manière différente.

49.      Pourtant, ni le gouvernement autrichien ni le gouvernement du land du Tyrol n’ont fourni un quelconque élément de preuve quant à la raison pour laquelle la Cour devrait considérer que l’Autriche se trouve dans une situation comparable à celle d’un autre État membre exempté de l’application de l’annexe IV. Le seul argument qu’ils ont avancé est que les loups ont commencé à revenir en Autriche, ce qui, somme toute, est l’un des objectifs de la directive « habitats ».

50.      Par conséquent, je ne considère pas que, dans la présente affaire, une quelconque inégalité de traitement de l’Autriche par rapport à d’autres États membres a été établie.

3.      Les arguments relatifs à la violation de l’article 19 de la directive « habitats »

51.      Un autre argument d’invalidité concernant la protection stricte des loups en Autriche, tiré de l’article 19 de la directive « habitats » plutôt que de la violation du principe d’égalité, a été soulevé et doit donc être abordé dans les présentes conclusions.

52.      En vertu de l’article 19 de la directive « habitats », le Conseil, sur proposition de la Commission, doit adapter les annexes de cette directive au progrès technique et scientifique. Ne pas initier ce processus et ne pas adapter l’annexe IV à la situation actuelle en Autriche conduit, selon le gouvernement autrichien et le gouvernement du land du Tyrol, à l’invalidité de cette annexe, que la Cour devrait déclarer en la présente affaire.

53.      Il est vrai que, grâce à la directive « habitats » (23), les loups reviennent effectivement en Autriche. Aujourd’hui, cela pose des problèmes pour l’élevage de bétail en alpage, où il serait, comme cela est avancé, difficile, voire impossible, de prendre des mesures efficaces pour la protection des moutons et autre bétail contre les attaques des loups. Dans ces conditions, la Commission a-t-elle, comme le fait valoir le gouvernement autrichien, l’obligation d’initier une procédure au titre de l’article 19 de la directive « habitats » aux fins d’exempter l’Autriche de l’application de l’annexe IV ?

54.      Je ne suis pas convaincue par cet argument.

55.      Si une espèce pouvait, à la rigueur, être retirée de l’annexe prévoyant la protection, son état de conservation devrait être favorable. En outre, afin de respecter le principe de précaution, le retrait d’une espèce de l’annexe prévoyant la protection pourrait avoir lieu une fois que son état de conservation favorable est certain (c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une fluctuation à court terme) et qu’il existerait des éléments de preuve raisonnables du fait que les facteurs qui ont amené l’espèce à se trouver dans un état défavorable ne valent plus (24). Au contraire, comme cela a été mentionné précédemment, l’état de conservation des loups en Autriche est loin d’être favorable (voir point 27 des présentes conclusions). Dans de telles circonstances, la Commission pourrait donc simplement ne pas avoir trouvé de raison valable d’initier la procédure prévue à l’article 19 de la directive « habitats » et de retirer l’Autriche de l’annexe IV de celle-ci.

56.      En outre, comme le font valoir la Commission et le Conseil, ni l’Union ni l’Autriche n’ont formulé, s’agissant des loups en Autriche, de réserve à l’annexe II de la convention de Berne (25), en vertu de laquelle les loups font l’objet d’une protection stricte. Étant donné que l’Union est partie à cette convention (26), exempter l’Autriche de l’application de l’annexe IV de la directive « habitats » pourrait entraîner une violation des obligations de l’Union au titre du droit international.

57.      Je considère, dès lors, que dans les circonstances actuelles, l’Autriche, ou une partie de son territoire, ne peut être exclue de l’annexe IV de la directive « habitats ».

58.      Toutefois, si un État membre considère que la Commission avait l’obligation d’initier une procédure en vue de la modification de l’annexe IV de la directive « habitats », mais qu’elle ne l’a pas fait, il dispose d’une voie de recours prévue par le traité – un recours en carence, prévu à l’article 265 TFUE. L’Autriche n’a toutefois pas engagé cette procédure.

59.      La jurisprudence a déjà expliqué qu’une juridiction nationale ne peut pas demander à la Cour de constater, à titre préjudiciel, la carence d’une institution (27).

60.      Par conséquent, la carence éventuelle de la Commission, en ce que cette dernière n’aurait pas initié, sur le fondement de l’article 19 de la directive « habitats », la procédure de modification de l’annexe IV de cette directive en ce qui concerne l’Autriche, ne saurait constituer un motif pour conclure à l’invalidité de cette annexe dans le cadre de la procédure préjudicielle.

61.      Il pourrait y avoir des raisons de repenser les modalités de cohabitation entre l’homme et les grands carnivores (28). La Cour n’est toutefois pas le forum approprié à cet égard. Ce type de question devrait être abordé dans le cadre d’un processus législatif et la Commission semble avoir fait la première démarche dans cette direction (29).

62.      Le choix législatif exprimé dans la directive « habitats », telle qu’elle est actuellement en vigueur, impose à l’Autriche de respecter les obligations exigeant la protection stricte de la population de loups sur l’ensemble de son territoire. Il n’est pas de la compétence de la Cour de réécrire des dispositions légales, y compris des annexes telles que celles faisant partie de la directive « habitats », ou de contourner les procédures existantes, telles que celle prévue par l’article 19.

63.      Je propose, dès lors, à la Cour de répondre comme suit à la première question : exempter certains États membres de l’application de l’annexe IV de la directive « habitats » ne constitue pas, en soi, une inégalité de traitement à l’égard d’un État membre qui ne bénéficie pas d’une telle exemption. La présente affaire n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats », lu en combinaison avec l’annexe IV de ladite directive, en raison d’une violation de l’article 4, paragraphe 2, TUE.

D.      Sur l’interprétation de l’article 16 de la directive « habitats »

64.      Par ses deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi a demandé une clarification de l’article 16 de la directive « habitats ».

65.      Cette disposition établit les conditions dans lesquelles les États membres peuvent déroger à la protection stricte des loups exigée par l’article 12 de ladite directive (30).

66.      L’article 16 de la directive « habitats » constitue une exception au système de protection établi par cet acte. Il doit, dès lors, être interprété de manière stricte. La Cour a également jugé qu’il revient à l’autorité nationale qui autorise une telle dérogation d’établir que les conditions fixées par cette disposition sont remplies (31).

67.      J’examinerai ces dernières questions de la juridiction de renvoi à la lumière de ce qui précède.

1.      L’étendue territoriale de l’appréciation de l’état de conservation d’une espèce dans une aire de répartition naturelle au titre de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » (la deuxième question préjudicielle)

68.      La deuxième question de la juridiction de renvoi requiert une interprétation de la condition liminaire posée par l’article 16 de la directive « habitats » aux fins d’autoriser une dérogation, selon laquelle des mesures dérogatoires ne sont possibles que si elles ne nuisent pas au maintien, dans un état de conservation favorable, de la population de loups dans leur aire de répartition naturelle. La juridiction de renvoi souhaite savoir si elle doit, lorsqu’elle apprécie le respect de cette condition, prendre en considération uniquement le territoire de l’État membre concerné ou bien la région plus étendue, qui dépasse les frontières d’un seul pays, dans laquelle vit la population de loups concernée, en l’occurrence la région des Alpes (voir point 26 des présentes conclusions).

69.      Dans son arrêt LSL Tapiola, la Cour a expliqué que l’autorité nationale qui accorde une dérogation doit procéder à une appréciation en deux temps (32). La première étape consiste à établir l’état de conservation d’une espèce et la seconde à apprécier l’incidence que la dérogation exercera sur l’état de conservation de cette espèce (33).

70.      En principe, la dérogation ne peut être accordée que si l’état de conservation d’une espèce (établi à la première étape) est favorable (34). Toutefois, la Cour a également reconnu qu’à titre exceptionnel, la dérogation peut être accordée même si l’état de conservation d’une espèce n’est pas favorable, lorsqu’il est dûment établi que cette dérogation n’est pas de nature à aggraver cet état défavorable ou à empêcher le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’une espèce (35). Ainsi, exceptionnellement, l’autorité compétente peut passer à la seconde étape même si, à la première étape, elle n’a pas conclu que l’état de conservation d’une espèce est favorable.

71.      La question posée par la juridiction de renvoi quant au territoire à prendre en considération aux fins d’évaluer la possibilité de mesures dérogatoires me semble pertinente pour chacune des deux étapes séparément.

72.      En ce qui concerne la première étape, le gouvernement du land du Tyrol et les gouvernements autrichien et finlandais soutiennent que les territoires de pays tiers, tels que la Suisse et le Liechtenstein, devraient être pris en compte pour déterminer l’état de conservation des loups dans la région des Alpes. En tenant compte de l’ensemble de l’aire de répartition naturelle de la sous-population de loups en cause, qui comprend la population dans ces deux pays, l’état de conservation de cette sous-population serait favorable. Une telle constatation conduirait à la conclusion qu’il est dénué d’importance que, en Autriche, prise isolément, cet état ne soit pas favorable.

73.      À mon sens, dans son arrêt LSL Tapiola, la Cour a expliqué que même s’il est préférable de tenir également compte d’un territoire transfrontalier, la conclusion concernant l’état favorable ne peut être tirée sans établir un tel état sur le territoire national (36). En d’autres termes, l’état favorable doit exister, en premier lieu et inévitablement, au niveau national. Si un état favorable existe au niveau national, un état défavorable au niveau transfrontalier plus large pourrait toujours remettre en cause la possibilité d’adopter une mesure dérogatoire. Inversement, il ne saurait cependant être remédié à l’état national défavorable par un état favorable au niveau transfrontalier.

74.      Ma lecture de cet arrêt n’est donc pas que la Cour aurait voulu dire, comme l’a compris la juridiction de renvoi, que si l’état favorable existe, s’agissant de l’espèce, lorsqu’il est évalué dans l’ensemble de son aire de répartition naturelle, qui englobe plusieurs pays, il est dénué d’importance que l’état de conservation soit encore défavorable en Autriche. À mon avis, la Cour n’a jamais voulu dire qu’il peut être remédié à l’état défavorable de la population de loups en Autriche par l’état de conservation favorable lorsqu’il est envisagé dans la région, plus étendue, des Alpes (37).

75.      Une interprétation différente pourrait avoir une incidence négative sur les efforts déployés par les États membres pour adopter des mesures adéquates en vue d’améliorer l’état de conservation d’une espèce sur leur territoire. Cela pourrait avoir pour effet de dissimuler un état défavorable dans un État membre et de donner la fausse impression que la conservation d’une espèce est assurée.

76.      En outre, comme la Commission l’a souligné lors de l’audience, le niveau national est le seul niveau pour lequel les États membres disposent de données fiables (38). La Commission a admis que, dans une situation idéale, l’état de conservation d’une espèce devrait être évalué dans son aire de répartition géographique naturelle, mais que cela ne semble toutefois pas encore possible. C’est la raison supplémentaire pour laquelle l’état favorable doit d’abord valoir à un niveau local et national, avant que ne soit évaluée la situation à un niveau plus large.

77.      Ainsi, ce n’est que lorsque l’échelle nationale d’évaluation indique un état de conservation favorable que la perspective d’évaluation peut être élargie.

78.      La prise en considération de l’état de conservation à un niveau transfrontalier vise à empêcher un État membre de déroger même si l’état d’une espèce est favorable sur son territoire. À cet égard, la question de savoir si un pays tiers est, ou non, partie à la convention de Berne ne devrait pas jouer de rôle. L’intérêt de la directive « habitats » est de préserver la biodiversité, ce qui dépend également de l’état de la nature dans des pays tiers et du point de savoir si ceux-ci se sont engagés, ou non, à un niveau élevé de protection de la nature. Par conséquent, l’état défavorable d’une espèce dans un pays tiers peut influencer une décision de (ne pas) prendre la mesure dérogatoire malgré l’existence d’un état de conservation national favorable. Dans cette circonstance, je ne vois pas pourquoi les données en provenance de la Suisse et du Liechtenstein ne seraient pas prises en compte à cette fin, si les autorités nationales y ont accès.

79.      Étant donné que les données soumises à la Cour ne permettent pas de penser que la conservation des loups en Autriche se trouve à un niveau favorable (voir point 27 des présentes conclusions), il n’est possible de passer à la seconde étape qu’au titre de l’exception introduite dans l’arrêt Commission/Finlande et réaffirmée dans l’arrêt LSL Tapiola (voir point 69 des présentes conclusions). Cette exception permet à un État membre de déroger à la protection stricte des loups bien que l’état de conservation des loups dans cet État soit défavorable, si une telle mesure n’est pas de nature à altérer l’état de conservation, c’est-à-dire si la mesure est neutre pour la population de loups.

80.      Lors de l’application de cette exception, il est nécessaire de répondre, dans un deuxième temps, à la question de savoir quel territoire doit être pris en considération aux fins de conclure si les incidences de la dérogation n’aggraveraient pas un état déjà non favorable ou si elles empêcheraient le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’une espèce à l’avenir.

81.      La Cour a déjà donné quelques indications sur cette question dans son arrêt LSL Tapiola. Se fondant sur les conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe (39), la Cour a expliqué que l’évaluation de l’impact d’une dérogation au niveau du territoire d’une population locale s’avère généralement nécessaire en vue de déterminer son incidence sur l’état de conservation de la population en cause à plus grande échelle (40).

82.      Par conséquent, il est, de nouveau, nécessaire d’évaluer, d’abord, l’incidence de l’abattage d’un seul loup sur la population alpine locale au Tyrol. L’adoption d’une mesure dérogatoire n’est possible que si cela aboutit à la conclusion qu’une telle mesure est neutre par rapport à l’état de la population de loups dans les Alpes autrichiennes.

83.      Cela est-il suffisant ? Ou bien est-il encore nécessaire d’évaluer, dans la mesure du possible, l’incidence qu’une telle mesure aurait sur la sous-population à laquelle appartient ce loup dans l’ensemble de son aire de répartition naturelle transfrontalière ? En effet, les dérogations dans une juridiction peuvent être préjudiciables à la même espèce dans une juridiction voisine (41).

84.      La réponse à cette question doit prendre en considération la réalité actuelle, dans laquelle des informations fiables sur l’état des loups dans d’autres pays ne peuvent pas encore être recueillies. Dans ces circonstances, je suis d’avis qu’une obligation ne peut être imposée aux autorités nationales que lorsqu’elles évaluent l’incidence de la mesure dérogatoire sur la population locale/nationale.

85.      Toutefois, si ces autorités disposent de données leur permettant de conclure que la mesure proposée pourrait ajouter à la détérioration de l’état de conservation de la sous-population dans un autre pays ou en général, même si elle est neutre pour l’état de conservation local, elles ne peuvent ignorer ces données, mais doivent les prendre en considération et refuser la mesure dérogatoire.

86.      En l’occurrence, si les données disponibles révélaient que l’abattage du loup 158MATK n’aurait aucune incidence sur la population en Autriche (parce que ce loup n’était, par exemple, que de passage), mais qu’il pourrait avoir un impact négatif sur une meute qui vit au-delà de la frontière, une telle connaissance devrait empêcher l’adoption de la mesure dérogatoire.

87.      Je propose, dès lors, à la Cour de répondre que l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que l’évaluation visant à déterminer si une espèce se trouve dans un état de conservation favorable et si des mesures dérogatoires ont une incidence négative sur la possibilité d’atteindre ou de maintenir un état de conservation favorable doit être effectuée sur la base d’un territoire local et national, même si l’aire de répartition naturelle de la population en cause couvre une région biogéographique plus étendue, qui dépasse les frontières d’un seul pays. Toutefois, si ces autorités disposent de données leur permettant de conclure que la mesure proposée pourrait détériorer l’état de conservation de la sous-population dans un autre pays ou en général, même si elle est neutre pour l’état de conservation local, elles ne peuvent ignorer ces données, mais doivent les prendre en considération et refuser la mesure dérogatoire.

2.      Les dommages importants comprennent-ils également les dommages indirects à l’économie ? (la troisième question préjudicielle)

88.      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « dommages importants » figurant à l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive « habitats » comprend des dommages futurs qui ne peuvent être attribués au spécimen qui fait l’objet d’une dérogation.

89.      Il y a, d’emblée, lieu de rappeler qu’une mesure dérogatoire ne peut être adoptée que pour atteindre un ou plusieurs objectifs prévus à l’article 16, paragraphe 1, sous a) à e). La mesure en cause dans la présente affaire a été adoptée pour prévenir des dommages importants, comme l’envisage le littera b).

90.      L’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive « habitats » autorise des dérogations « pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ».

91.      C’est, par conséquent, dans le contexte de cet objectif qu’il y a lieu de répondre à la question de savoir si les dommages importants comprennent également des dommages futurs qui ne peuvent être attribués à un spécimen particulier.

92.      La jurisprudence a déjà expliqué que les dommages au sens du littera b) pouvaient consister en un dommage futur étant donné que la disposition vise à prévenir des dommages (42). Ce dommage futur ne saurait toutefois être purement hypothétique. Je suis donc d’accord avec la Commission pour dire que la simple possibilité qu’un dommage puisse survenir ne suffit pas. Au lieu de cela, la probabilité qu’un dommage puisse se produire doit être élevée (43). Par conséquent, les « dommages importants » au sens de l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive « habitats » comprennent les dommages futurs dont la survenance est hautement probable.

93.      Dans la présente affaire, dans laquelle il a été établi que le loup 158MATK a déjà attaqué et tué ou blessé des moutons dans les pâturages alpins à deux occasions distinctes, on peut admettre qu’il est hautement probable que cela se reproduise (44). L’ordonnance 158MATK, qui prévoit que ce spécimen constitue une menace immédiate et importante pour les animaux en pâturage, semble adopter une telle position.

94.      Seuls des dommages futurs hautement probables peuvent être pris en considération aux fins d’évaluer si les dommages en question sont importants. La juridiction de renvoi se demande quel type de dommage futur peut être pris en compte aux fins de conclure si le dommage est important. Cette juridiction a mentionné dans la décision de renvoi trois types distincts de dommages, le premier étant le dommage matériel, direct ou indirect, causé par les déprédations d’un loup donné (perte de moutons, coût de l’organisation d’une descente d’alpages prématurée, ou augmentation du coût exposé pour nourrir les animaux après la descente d’alpages). Il ne fait aucun doute qu’un tel dommage doit être pris en considération.

95.      Le deuxième type de dommage mentionné est le dommage moral imputable aux attaques d’un loup particulier, subi par les éleveurs, qui ne se plaisent plus à élever des moutons ou sont soumis à un stress psychologique. Comme le souligne la Commission, le libellé de la disposition au littéra b) permet l’inclusion de tels dommages. L’objectif principal de cette disposition est de prévenir des dommages importants. Les dommages à l’élevage ou à la propriété mentionnés dans le reste de cette phrase ne sont qu’exemplatifs. La prévention d’autres types de dommages, tels que les dommages moraux, n’est donc pas exclue. Toutefois, ces dommages doivent être la conséquence des attaques d’un loup particulier, qui fait l’objet des mesures dérogatoires en cause.

96.      La juridiction de renvoi semble principalement préoccupée par le troisième type de dommage, à savoir le dommage indirect futur à l’économie. Elle mentionne les développements macroéconomiques à long terme résultant de la disparition éventuelle du pâturage alpin, qui peut avoir des conséquences sur les activités de loisirs ou le tourisme.

97.      Comme le souligne la Commission, de telles conséquences ne peuvent être considérées comme hautement probables (il est loin d’être certain que le pâturage alpin sera abandonné si des loups sont présents et attaquent occasionnellement des moutons (45), ou que le tourisme diminuerait plutôt qu’il n’augmenterait s’il y a des loups dans les montagnes (46)).

98.      Si ces conséquences se produisent, elles seront très probablement le résultat de multiples causes et de divers facteurs. Il me semble difficile d’imaginer que le destin du pâturage alpin autrichien repose dans les pattes du loup 158MATK.

99.      De tels développements macroéconomiques indirects à long terme, non attribuables à un loup donné, ne sauraient, dès lors, être pris en considération dans la notion de « dommages importants », telle que prévue à l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive « habitats », aux fins de justifier la décision d’abattre un spécimen de loup.

100. De telles préoccupations devraient être abordées dans le cadre des mesures et plans systémiques que les États membres doivent adopter pour se conformer à l’article 12 de la directive « habitats » (47).

101. En réponse à la troisième question, je propose à la Cour d’interpréter la notion de « dommages importants » au sens de l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive « habitats » en ce sens qu’elle ne couvre pas les dommages économiques (futurs) indirects qu’il est impossible d’attribuer à un seul loup.

3.      Les considérations économiques lorsqu’il s’agit de se prononcer sur la disponibilité d’une autre solution satisfaisante (la quatrième question préjudicielle)

102. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si l’existence d’« autres solutions satisfaisantes » au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » doit être examinée uniquement sur la base de la faisabilité réelle d’une mesure ou si des critères économiques sont également pertinents.

103. Toute évaluation de l’existence d’une autre solution satisfaisante doit commencer par la détermination des possibilités disponibles aux fins d’atteindre l’objectif de la dérogation. Lorsque l’autorité de décision choisit l’une de ces possibilités, elle doit expliquer ce choix, y compris les raisons pour lesquelles d’autres options ont été écartées.

104. Dans la présente affaire, l’objectif d’une dérogation est de prévenir des dommages importants dont la survenance est hautement probable en raison des déprédations répétées du loup 158MATK. Le gouvernement du land du Tyrol a décidé que la mesure appropriée est de permettre l’abattage de ce spécimen, tandis que les autres mesures disponibles ne sont pas satisfaisantes. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi souhaite, en substance, savoir si des coûts économiques peuvent constituer une raison d’écarter d’autres options techniquement possibles.

105. À mon avis, les coûts économiques de la mesure techniquement disponible peuvent être pris en compte en tant que l’un des éléments de l’évaluation quant au point de savoir si une telle mesure constitue une autre solution satisfaisante. Cette conclusion peut être tirée du libellé et de l’économie de la directive « habitats ». Par exemple, l’article 16, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, en cause au principal, permet de prendre en considération des préoccupations économiques étant donné qu’il permet des dérogations en vue de prévenir des dommages importants. L’article 2, paragraphe 3, de la directive « habitats » dispose également que « [l]es mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales » (48).

106. Toutefois, même si des préoccupations économiques peuvent être prises en considération, les mesures alternatives ne sauraient être rejetées d’emblée au motif qu’elles coûteraient trop cher (49).

107. Le contrôle de proportionnalité entrepris pour justifier la solution choisie doit être une mise en balance au sens strict (50), ce qui exige de peser tous les intérêts pertinents en jeu : ceux des éleveurs de bétail et ceux formulés dans la directive « habitats » en vue de préserver la diversité par le biais, entre autres, de la protection stricte de certaines espèces.

108. À cet égard, il est nécessaire de rappeler qu’au titre de la directive « habitats », et plus particulièrement au titre de son article 12, les États membres ont l’obligation d’élaborer des programmes de prévention qui permettront aux espèces protégées d’atteindre un état de conservation favorable (voir point 100 des présentes conclusions). Si les coûts économiques de l’élevage de chiens de berger (ci-après les « CB ») ou de l’éducation des bergers sont évalués dans le contexte de chaque décision individuelle relative à un danger posé par un seul spécimen, ils seront toujours estimés comme étant trop élevés (51). En revanche, s’ils font partie d’un plan national de prévention, la conclusion pourrait être différente. Par conséquent, les coûts économiques dans le cadre de l’évaluation de l’existence d’une autre solution satisfaisante doivent être placés dans le contexte des obligations des États membres de mettre en place les mesures et plans nécessaires à la protection stricte des loups.

109. Le rapport d’experts sur lequel se fonde la décision attaquée a conclu que les trois autres solutions qui ont été prises en considération – la mise en place de clôtures, l’utilisation de CB ou l’accompagnement des troupeaux par des bergers – ne sont pas disponibles à des conditions raisonnables et proportionnées (52). Cette conclusion a été tirée sur la base des règles générales (53) qui avaient déterminé à l’avance quels types de pâturages ne pouvaient pas raisonnablement être protégés, non seulement parce que cela était techniquement impossible, mais aussi parce que cela était jugé trop coûteux (54). Le rapport d’experts a examiné 61 pâturages dans lesquels le loup 158MATK a été considéré comme représentant un danger pour le bétail, et a conclu que tous présentaient au moins un critère expliquant pourquoi il n’était pas raisonnable d’utiliser ces mesures de protection des troupeaux. Dans le même temps, la décision attaquée n’a pas placé une telle conclusion dans le contexte d’un quelconque des plans, que ce soit du gouvernement du land du Tyrol ou du gouvernement autrichien, qui ont été adoptés pour régler le problème de la protection du bétail dans les pâturages alpins contre les attaques de loups.

110. L’absence de tout plan pour la gestion de la situation nouvelle résultant du retour des loups ainsi que les critères généraux établis à l’avance en ce qui concerne les pâturages qui ne peuvent bénéficier des mesures pour la protection du bétail, aboutissent à la possibilité de justifier toute décision autorisant l’abattage d’un loup solitaire en raison de l’absence d’une autre solution économiquement raisonnable. Il s’agit d’une autorisation généralisée de tuer tout loup apparaissant dans la zone avant même qu’il n’ait formellement été déclaré comme une exception au régime de protection stricte applicable aux loups en général.

111. Telle n’était pas l’intention poursuivie par l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Les dérogations prévues sont des mesures exceptionnelles et ne devraient pas devenir un instrument permettant d’empêcher la présence de loups dans certaines zones. Cohabiter avec les loups nécessite certains ajustements et les coûts liés doivent également être supportés par les éleveurs alpins (55). De tels coûts inévitables ne sauraient être ignorés dans l’évaluation de la proportionnalité des mesures alternatives.

112. La Cour a déjà jugé que l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive « habitats » ne permet pas aux autorités de déroger aux interdictions prévues à l’article 12 de ladite directive au seul motif que le respect de ces interdictions donne lieu à un changement dans les activités agricoles, forestières ou piscicoles (56). Ces changements ne sont pas sans coûts. Par conséquent, certains coûts permettant le retour des loups doivent être acceptés comme étant intrinsèques aux objectifs de la directive « habitats ». Ils s’inscrivent dans ce que le gouvernement autrichien a appelé lors de l’audience un processus de réapprentissage de la manière de vivre avec les loups.

113. Dans la présente affaire, par exemple, les coûts pour faire descendre les troupeaux plus tôt des alpages au cours d’une seule année pourraient ne pas être suffisants pour conclure qu’il ne s’agit pas d’une mesure constituant une autre solution satisfaisante. L’organisation de la protection, en érigeant des clôtures là où cela est possible ou en dressant des CB et éventuellement en les regroupant pour plusieurs troupeaux (57), prend du temps et peut ne pas être en place l’année où un loup solitaire traverse certains pâturages alpins. Toutefois, de telles mesures pourraient être en place pour l’année suivante de pâturage alpin, s’il existait des plans pour l’introduction de telles mesures. Les coûts de telles mesures pourraient même être atténués par différentes sources de financement public, y compris au niveau de l’Union (58).

114. Ainsi, les coûts économiques des mesures disponibles ne sauraient être évalués de manière isolée des plans de prévention nécessaires pour permettre une protection stricte au titre de l’article 12 de la directive « habitats ». L’autorité qui accorde une dérogation doit clairement expliquer en quoi les facteurs économiques ont influencé la décision selon laquelle d’autres mesures ne constituent pas une autre solution satisfaisante, en plaçant sa décision dans le contexte plus large des obligations qui incombent aux États membres au titre de la directive « habitats ».

115. Dans son arrêt Commission/Finlande, la Cour a considéré que « de telles décisions, qui [...] ne comportent pas une motivation précise et adéquate quant à l’absence d’une autre solution satisfaisante, sont contraires à l’article 16, paragraphe 1, de la directive “habitats” » (59). C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’établir si la décision attaquée a clairement expliqué en quoi les facteurs économiques ont influencé sa conclusion quant à l’absence d’une autre solution satisfaisante, alternative à l’abattage d’un loup.

116. Je propose, dès lors, à la Cour de répondre comme suit à la quatrième question : l’évaluation de l’existence d’une autre solution satisfaisante peut prendre en considération les coûts économiques de mesures alternatives. Lors de l’évaluation de l’impact des coûts économiques des mesures disponibles, tous les intérêts en jeu doivent être mis en balance. L’appréciation de l’influence des facteurs économiques sur la conclusion selon laquelle une autre solution satisfaisante n’existe pas doit prendre en considération le fait que certains coûts et ajustements sont inévitables si les objectifs de cette directive doivent être atteints. L’évaluation doit être effectuée au cas par cas et ne peut être fondée sur des critères fixés de manière générale et à l’avance, et elle doit être placée dans le contexte plus large des mesures et des plans d’un État membre visant à permettre la protection stricte des loups.

IV.    Conclusion

117. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Landesverwaltungsgericht Tirol (tribunal administratif régional du Tyrol, Autriche) de la manière suivante :

1)      Exempter certains États membres de l’application de l’annexe IV de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ne constitue pas, en soi, une inégalité de traitement d’un État membre qui ne bénéficie pas d’une telle exemption. La présente affaire ne révèle aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 92/43, lu en combinaison avec l’annexe IV de ladite directive, en raison d’une violation de l’article 4, paragraphe 2, TUE.

2)      L’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43 doit être interprété en ce sens qu’il exige que l’évaluation visant à déterminer si une espèce se trouve dans un état de conservation favorable et si des mesures dérogatoires ont une incidence négative sur la possibilité d’atteindre ou de maintenir un état de conservation favorable doit être effectuée sur la base du territoire local et national, même si l’aire de répartition naturelle de la population en cause couvre une région biogéographique plus étendue, qui dépasse les frontières d’un seul pays. Toutefois, si ces autorités disposent de données leur permettant de conclure que la mesure proposée pourrait détériorer l’état de conservation de la sous-population dans un autre pays ou en général, même si elle est neutre pour l’état de conservation local, elles ne peuvent ignorer ces données, mais doivent les prendre en considération et refuser la mesure dérogatoire.

3)      La notion de « dommages importants », telle que visée à l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/43, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne couvre pas les dommages économiques (futurs) indirects qu’il est impossible d’attribuer à un seul loup. 

4)      L’évaluation de l’existence d’une autre solution satisfaisante, requise par l’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43, peut prendre en considération les coûts économiques de mesures alternatives. Lors de l’évaluation de l’impact des coûts économiques des mesures disponibles, tous les intérêts en jeu doivent être mis en balance. L’appréciation de l’influence des facteurs économiques sur la conclusion selon laquelle une autre solution satisfaisante n’existe pas doit prendre en considération le fait que certains coûts et ajustements sont inévitables si les objectifs de cette directive doivent être atteints. L’évaluation doit être effectuée au cas par cas et ne peut être fondée sur des critères fixés de manière générale et à l’avance, et elle doit être placée dans le contexte plus large des mesures et des plans d’un État membre visant à permettre la protection stricte des loups.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Nous avons tous grandi avec l’histoire du Petit chaperon rouge et du grand méchant loup qui a mangé sa grand-mère. Toutefois, les loups ne sont pas toujours les méchants dans les livres pour enfants. Par exemple, dans l’histoire de Baruzzi, A., Der Wolf hat Hunger (Minedition, 2020), un loup envisage de se convertir au végétarisme après avoir mangé un hérisson. Dans l’histoire de Ramos, M., Le loup qui voulait devenir un mouton (Pastel, 2008), un loup aimerait faire l’expérience de ce que serait la vie en tant que mouton. Selon la légende ancienne de Romulus et Rémus, les fondateurs de Rome ont été élevés par des louves, tout comme Mowgli, le personnage principal de Kipling, R., The Jungle Book (Macmillan, 1894).


3      Annexe IV, sous a), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée en dernier lieu par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013, portant adaptation de certaines directives dans le domaine de l’environnement, du fait de l’adhésion de la République de Croatie (JO 2013, L 158, p. 193) (ci-après la « directive “habitats” »).


4      L’article 52a, paragraphe 1, du Tiroler Jagdgesetz (loi du Land du Tyrol de 2004 relative à la chasse ; ci-après le « TJG 2004 ») dispose qu’« [u]n comité d’experts “loup-ours-lynx” indépendant est créé près l’[administration du Land du Tyrol] ».


5      L’interdiction générale de chasser les loups est énoncée à l’article 36, paragraphe 2, du TJG 2004, « Périodes d’ouverture et de fermeture de la chasse ».


6      Article 2, paragraphe 1, de la directive « habitats ».


7      Article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive « habitats ».


8      Il mérite d’être noté que les loups sont également énumérés à l’annexe II de la directive « habitats », en tant qu’animaux d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite, en vertu de l’article 4 de ladite directive, la désignation de zones spéciales de conservation (ZSC), dans le cadre du réseau Natura 2000. En vue du maintien ou de la réalisation de l’état de conservation favorable des loups présents dans les ZSC, les États membres doivent adopter des mesures de conservation spécifiques (article 6 de la directive « habitats »). Pour une description plus détaillée du réseau Natura 2000 et des exigences que la directive « habitats » impose aux États membres en lien avec les ZSC, voir mes conclusions dans l’affaire Commission/Irlande (Protection des zones spéciales de conservation) (C‑444/21, EU:C:2023:90). Toutefois, l’obligation des États membres d’inclure les loups dans le champ d’application des règles de protection stricte au titre de l’article 12 de la directive « habitats » ne se cantonne pas aux ZSC, mais vaut pour l’ensemble de leurs territoires.


9      Cela concerne les populations grecques au nord du 39e parallèle ; les populations estoniennes ; les populations espagnoles au nord du Duero ; les populations bulgares, lettones, lituaniennes, polonaises et slovaques et les populations finlandaises à l’intérieur de la zone de gestion des rennes telle que définie au paragraphe 2 de la loi finlandaise no 848/90 du 14 septembre 1990 relative à la gestion des rennes. Les États membres (ou une partie des territoires des États membres) qui sont exemptés, s’agissant des loups, de l’application de l’annexe IV de la directive « habitats » sont inclus à l’annexe V de ladite directive. Les animaux énumérés dans cette annexe bénéficient d’un niveau de protection moins strict au titre de l’article 14 de la directive « habitats ».


10      Voir https://www.eea.europa.eu/data-and-maps/figures/biogeographical-regions-in-europe-2.


11      Cette région biogéographique comprend les Apennins (épine dorsale de l’Italie), les Pyrénées (frontière entre l’Espagne et la France), les Montagnes scandinaves (qui s’étendent sur la Suède, la Finlande et la Norvège), les Carpates (de la Slovaquie à la Roumanie), le massif montagneux du Grand Balkan, le massif montagneux des Rhodopes (Bulgarie) et les Alpes dinariques (y compris des parties de la Slovénie et de la Croatie).


12      L’Autriche n’a soumis aucune donnée sur l’état de conservation des loups sur son territoire au cours de la dernière période de référence, allant de l’année 2013 à l’année 2018, aux fins de l’établissement du rapport sur le fondement de l’article 17 de la directive « habitats ».


13      Voir, à cet égard, l’Initiative pour les grands carnivores en Europe, « Assessment of the conservation status of the Wolf (Canis lupus) in Europe », Conseil de l’Europe, 2022, p. 17, que le gouvernement autrichien a citée dans ses observations.


14      L’Espagne est exemptée pour sa population de loups au nord du Duero et la Grèce pour sa population au nord du 39e parallèle.


15      Cela concerne l’ensemble des populations bulgares, estoniennes, lettones, lituaniennes, polonaises et slovaques de loups ainsi que la population finlandaise dans la zone de gestion des rennes.


16      Voir, à cet égard, directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013, portant adaptation de certaines directives dans le domaine de l’environnement, du fait de l’adhésion de la République de Croatie (JO 2013, L 2013, p. 193).


17      Dans le récent arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 249), la Cour a expliqué que le respect de la primauté du droit de l’Union est important pour assurer l’égalité des États membres devant les traités, comme l’exige l’article 4, paragraphe 2, TUE. Cette affaire n’est toutefois pas pertinente pour la situation en l’espèce. Dans deux autres affaires récentes dans lesquelles la Hongrie et la Pologne ont contesté la validité du règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 94), la possibilité que les institutions de l’Union prennent en considération la situation particulière de chaque État membre lorsqu’elles décident de débloquer des fonds de l’Union n’a pas été jugée problématique au regard de l’égalité des États membres [arrêts du 16 février 2022, Pologne/Parlement et Conseil (C‑157/21, EU:C:2022:98, points 280 à 310), et du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2022:97, points 310 à 318)].


18      Voir, par analogie, arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen) (C‑611/17, EU:C:2019:332, point 129 et jurisprudence citée).


19      La Cour a adopté très tôt une approche similaire dans le domaine du marché intérieur. Voir, par exemple, arrêt du 17 juillet 1963, Italie/Commission (13/63, EU:C:1963:20, point 4).


20      Voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153, point 108).


21      À cet égard, je ne peux souscrire à l’affirmation du gouvernement autrichien selon laquelle l’octroi d’une exclusion de l’annexe IV à certains États au moment de leur adhésion à l’Union européenne a été rendu possible afin de les placer dans une position égale à celle dont jouissaient l’Espagne et la Grèce, pays auxquels une telle exemption a été accordée au moment de l’adoption de la directive « habitats ». Ils ont plutôt négocié leurs exemptions pour des raisons spécifiques à chacun d’entre eux.


22      À cet égard, la Cour a jugé que les dispositions de l’Union résultant d’un acte d’adhésion ne constituent pas un acte d’une institution, mais sont des dispositions de droit primaire, qui ne sont, dès lors, pas susceptibles d’un contrôle de légalité. Voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 1988, LAISA et CPC España/Conseil (31/86 et 35/86, non publié, EU:C:1988:211, points 12 et 17), et du 5 octobre 2016, F. Hoffmann-La Roche (C‑572/15, EU:C:2016:739, points 30 et 31).


23      Chapon, G., Epstein, Y., Ouro-Ortmark, M., Helmius, L., Ramirez Loza, J.P., Bétaille, J., López-Bao, J.V., « European Commission may gut the wolf protection », Science, 20 octobre 2023, vol. 382, p. 275 et références citées.


24      Milieu, IEEP et ICF, Evaluation Study to support the Fitness Check of the Birds and Habitats Directives, 2016, p. 334.


25      Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, adoptée le 19 septembre 1979 et entrée en vigueur le 6 juin 1982. Une telle réserve peut être formulée sur le fondement de l’article 22 de cette convention.


26      Décision 82/72/CEE du Conseil, du 3 décembre 1981, concernant la conclusion de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe (JO 1982, L 38, p. 1).


27      Voir arrêt du 26 novembre 1996, T. Port (C‑68/95, EU:C:1996:452, point 53).


28      Sur la cohabitation et les questions que cela pose, voir Nochy, A., La bête qui mangeait le monde, 2018, (Arthaud, Paris), et De Witte, F., « Where the Wild Things are : Animal Autonomy in EU Law », CMLR, 2023, p. 391 à 430.


29      Communiqué de presse de la Commission, du 4 septembre 2023, « Loups en Europe : La Commission invite les autorités locales à utiliser pleinement les dérogations existantes et recueille des données en vue de l’examen de leur état de conservation ». Voir également https://www.politico.eu/article/ursula-von-der-leyen-wolf-attack-protection-conservation-farming-livestock-animal-welfare-germany/ (consulté en dernier lieu le 11 octobre 2023). Cela a conduit certaines ONG à exprimer de vives préoccupations quant aux informations trompeuses que cette communication diffuse au sujet des loups en Europe, disponible à l’adresse : https://www.wwf.eu/?11704941/Open-letter-to-Commission-President-von-der-Leyen-on-protection-status-of-wolves (consulté en dernier lieu le 21 novembre 2023).


30      L’article 16 de la directive « habitats » régit également les dérogations au régime gouvernant la protection moins stricte prévue à l’article 14 de la directive.


31      Voir arrêts du 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola (C‑674/17, EU:C:2019:851, point 30, ci-après l’arrêt « LSL Tapiola ») ; et du 11 juin 2020, Alianța pentru combaterea abuzurilor (C‑88/19, EU:C:2020:458, point 25).


32      Point 61 de cet arrêt.


33       Un tel critère en deux temps est également proposé par la Commission,  voir Commission européenne, Document d’orientation sur la protection stricte des espèces animales d’intérêt communautaire en vertu de la directive «Habitats», C/2021/7301 final  (ci-après le « document d’orientation », point 3-63).


34      Dans son arrêt LSL Tapiola, la Cour a jugé ce qui suit, au point 55 : « l’état de conservation favorable desdites populations dans leur aire de répartition naturelle est une condition nécessaire et préalable à l’octroi des dérogations que ledit article 16, paragraphe 1, prévoit ».


35      Voir arrêt du 14 juin 2007, Commission/Finlande (C‑342/05, EU:C:2007:341, point 29). Voir, également, point 68 de l’arrêt LSL Tapiola.


36      Points 58 et 61 de cet arrêt.


37      À cet égard, il y a également lieu de signaler qu’aucune donnée indiquant un état favorable des loups dans les Alpes n’a été soumise à la Cour.


38      Il se peut que cela ne soit même pas le cas. Les ONG prenant part à l’affaire ont fait valoir que la communication de données entre les Länder en Autriche peut être problématique.


39      Conclusions dans l’affaire Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola (C‑674/17, EU:C:2019:394, point 83).


40      Arrêt LSL Tapiola, point 59.


41      Voir, Linell, J.D.C., Boitani, L., « Building biological realism into wolf management policy : the development of the population approach in Europe », Hystrix, Ital J Mammal, 2012, p. 80 à 91, et les exemples donnés entre la Pologne et l’Ukraine, ainsi qu’entre la Suède et la Norvège.


42      Voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2007, Commission/Finlande (C‑342/05, EU:C:2007:341, point 40).


43      Voir document d’orientation, point 3‑24.


44      Selon une étude, il existait un risque, environ 55 fois plus élevé, de répétition des prédations dans les exploitations dans lesquelles un loup a déjà attaqué, par rapport à toute autre exploitation située dans la même zone ; voir Karlsson, J., et Johansson, Ö., « Predictability of repeated carnivore attacks on livestock favours reactive use of mitigation measures », Journal of Applied Ecology, 2010, vol. 47, p.166 à 171.


45      Voir, à cet égard, Mink, S., Loginova, D., Mann, S., « Wolves’ contribution to structural change in grazing systems among Swiss alpine summer farms : The evidence from causal random forest » Journal of Agricultural Economics, 2023, p. 1 à 17 (« la réduction […] du nombre d’éleveurs est faiblement corrélée, entre autres facteurs, à la charge causée par les loups », p. 3).


46      Martin, J.-L., Chamaillé-Jammes, S., et Waller, D.M., « Deer, wolves, and people: costs, benefits and challenges of living together », Biol Rev, 2020, p. 782 à 801. p. 792.


47      Voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Alianța pentru combaterea abuzurilor (C‑88/19, EU:C:2020:458, point 23 et jurisprudence citée). La Cour a expliqué dans cet arrêt que, aux fins de se conformer à l’article 12 de la directive « habitats », les États membres doivent adopter un cadre législatif complet et mettre en œuvre des mesures concrètes et spécifiques de protection. Ils doivent également envisager des mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif.


48      C’est moi qui souligne.


49      À cet égard, voir document d’orientation, point 3‑56.


50      Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Commission/Finlande (C‑342/05, EU:C:2006:752, points 24 et 27).


51      Voir groupe de travail Grands carnivores, ongulés sauvages et société (WISO) de la Convention alpine et le projet Life Wolfalps EU, Prevention of damages caused by large carnivores in the Alps, 2020, p. 20 (décrivant qu’il n’existe pas de programme officiel d’élevage de CB en Autriche et que les éleveurs doivent les trouver eux-mêmes ; indiquant que « de nombreux bergers ne savent pas comment travailler avec des CB »).


52      Il peut également être ajouté qu’il n’a pas du tout été discuté d’autres mesures possibles mentionnées par les requérantes au principal, telles que des abris de nuit pour les moutons ou des émetteurs attachés au loup.


53      À cet égard, il semble que la décision attaquée se fonde sur les recommandations du groupe de travail de 2021 pour les Länder fédéraux quant à la question de savoir quand les mesures de protection des troupeaux contre les grands carnivores, tels que les loups, sont satisfaisantes. Elle contient une série de critères pour la « désignation de zones de protection des pâturages alpins » (concernant la pente des pâturages, la présence de routes ou de cours d’eau, la géométrie du terrain, le nombre de têtes de bétail, etc.). Si un seul des pâturages dans la zone visitée par le loup en cause ne satisfait pas aux critères de protection ainsi déterminés, il est automatiquement considéré qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante pour protéger les troupeaux.


54      Par exemple, l’un des critères invoqués était que le fait de mener en troupeau le bétail en question avec des CB n’est pas raisonnable ni proportionné si le troupeau compte moins de 500 moutons ou chèvres.


55      Sur cette nécessité d’adaptation, dans le cadre de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1), abrogée par la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7, ci-après la « directive “oiseaux” »), la directive « oiseaux » inclut, en son article 9, paragraphe 1, un critère d’absence d’« autre solution satisfaisante » analogue à celui de l’absence d’« autre solution satisfaisante » de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » ; voir arrêt du 17 mars 2021, One Voice et Ligue pour la protection des oiseaux (C‑900/19, EU:C:2021:211, point 43 et jurisprudence citée).


56      Voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, Commission/Pologne (C‑46/11, EU:C:2012:146, points 31, 42 et 49).


57      À cet égard, certains projets concrets dans le land du Tyrol ont déjà permis la mise en commun de ressources pour permettre la protection du bétail. En 2021, 850 moutons provenant de 35 éleveurs ont été menés en troupeau en provenance de plusieurs communautés. Le troupeau de moutons est, en permanence, gardé par deux bergers, avec l’intervention de trois CB également, à consulter à l’adresse https://tirol.orf.at/stories/3111539/.


58      Comme le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) ou Life Wolfalps EU ; de plus amples informations sont disponibles à l’adresse https://www.lifewolfalps.eu/.


59      Arrêt du 14 juin 2007, Commission/Finlande (C‑342/05, EU:C:2007:341, point 31). Voir, également, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola (C‑674/17, EU:C:2019:394, point 70).