Language of document : ECLI:EU:T:2022:246

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

27 avril 2022 (*)

« Fonction publique – Personnel du CESE – Agents temporaires – Demande de reconstitution de carrière – Rejet de la demande – Recours en annulation – Régularité de la procédure précontentieuse – Délai de réclamation – Intérêt à agir – Recevabilité – Égalité de traitement – Sécurité juridique – Vocation à la carrière – Absence de droit à une reconstitution de la carrière – Obligation de procéder à un examen comparatif des mérites – Responsabilité – Préjudice moral »

Dans l’affaire T‑750/20,

Paula Correia, demeurant à Woluwe-Saint-Étienne (Belgique), représentée par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

contre

Comité économique et social européen (CESE), représenté par Mmes M. Pascua Mateo, K. Gambino, X. Chamodraka, MM. A. Carvajal García-Valdecasas et L. Camarena Januzec, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, P. Nihoul et Mme R. Frendo (rapporteure), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

la requête déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 2020,

le mémoire en défense déposé au greffe du Tribunal le 17 mars 2021,

la réplique et la duplique déposées au greffe du Tribunal le 10 mai et le 24 juin 2021,

la réponse de la requérante à la mesure d’organisation de la procédure du 15 décembre 2021 par laquelle celle-ci a été invitée à se prononcer sur l’existence d’un intérêt à agir,

vu l’échec de la tentative de règlement amiable du 15 novembre 2021,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, Mme Paula Correia, demande, premièrement, l’annulation de la décision du Comité économique et social européen (CESE) du 8 avril 2020 par laquelle celui-ci a rejeté sa demande de reconstitution de carrière, deuxièmement, la condamnation du CESE au paiement des arriérés de rémunération et des bénéfices financiers dérivés, augmentés des intérêts de retard, et, troisièmement, la réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi.

 Antécédents du litige

2        Le CESE est un organe consultatif représentant les organisations européennes d’employeurs, de salariés et d’autres acteurs représentatifs de la société civile, en particulier dans les domaines socio-économique, civique, professionnel et culturel. Il est composé de trois groupes, à savoir le groupe des employeurs, le groupe des travailleurs et le groupe « Diversité Europe ». Chacun de ces groupes dispose de son propre secrétariat pour lequel sont recrutés des agents temporaires au titre de l’article 2, sous c), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »).

3        Le 11 juillet 2000, la requérante a été engagée en qualité d’agent temporaire au sein du groupe I au grade C 3 (devenu AST 4) pour une entrée en fonctions le 1er septembre 2000, avec un contrat à durée indéterminée au sens de l’article 2, sous c), du RAA.

4        Le 9 janvier 2008, la requérante a été reclassée du grade AST 4, échelon 4, au grade AST 5, échelon 1, avec effet au 1er janvier 2007. Le 18 janvier 2016, elle a été reclassée du grade AST 5, échelon 3, au grade AST 6, échelon 1, avec effet au 1er janvier 2016.

5        Le 26 mars 2019, la requérante a envoyé un courriel à la direction du personnel du CESE, en vue de « faire avancer la reconstitution de [s]a carrière et [s]on reclassement ».

6        Le 28 mars 2019, la requérante a eu une entrevue avec un représentant de la direction du personnel.

7        Le 31 janvier 2020, le CESE a informé la requérante de la décision de la reclasser au grade AST 7 avec effet au 1er janvier 2020.

 Sur la première affaire, ayant donné lieu à l’arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE (T843/19)

8        Le 10 juillet 2019, la requérante a introduit une réclamation (ci-après la « première réclamation »), au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), contre la décision de ne pas la reclasser au grade AST 7 au titre de l’exercice 2019 (ci-après la « décision de non-reclassement »).

9        Le 12 décembre 2019, la requérante a introduit un recours devant le Tribunal, enregistré sous le numéro d’affaire T‑843/19, tendant, d’une part, à l’annulation de la décision de non-reclassement et, d’autre part, à la réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi du fait de cette décision.

10      Par l’arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE (T‑843/19, EU:T:2021:221)  (ci-après l’« arrêt Correia I »), premièrement, le Tribunal a annulé la décision de non-reclassement. Il a jugé, en substance, que le CESE avait commis une illégalité en ce qu’il avait omis de mettre en place des éléments d’analyse comparatifs clairs, objectifs et transparents en matière de reclassement des agents temporaires, méconnaissant ainsi les principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique. Deuxièmement, le Tribunal a condamné le CESE à verser à la requérante une indemnité évaluée ex æquo et bono à 2 000 euros au titre du préjudice moral subi par cette dernière du fait de la décision de non-reclassement.

11      L’arrêt Correia I n’a pas fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour.

 Sur la présente affaire

12      En parallèle à la première affaire, le 11 décembre 2019, la requérante a introduit une demande de reconstitution de carrière (ci-après la « demande de reconstitution de carrière »), au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

13      Le 8 avril 2020, l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC ») du CESE a rejeté la demande de reconstitution de carrière (ci-après la « décision attaquée ») au motif, en substance, que la requérante ne répondait pas aux critères de la « pratique bien établie » dont se prévalait le CESE en matière de reclassement des agents temporaires.

14      Le 8 juillet 2020, la requérante a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision attaquée. Celle-ci a fait l’objet d’un rejet implicite le 8 novembre 2020.

15      Par la suite, le 29 octobre 2021, le CESE a adopté la décision générale relative au reclassement des agents temporaires, ainsi qu’il ressort du document produit par la requérante le 3 janvier 2021 en réponse à une mesure d’organisation de la procédure adoptée dans le cadre de la présente instance.

 Conclusions des parties

16      La requérante demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et, pour autant que de besoin, la décision implicite de rejet de la réclamation intervenue le 8 novembre 2020 ;

–        condamner le CESE au paiement des arriérés de rémunération et des bénéfices financiers dérivés, augmentés des intérêts de retard fixés aux taux de la Banque centrale européenne (BCE), augmenté de deux points ;

–        condamner le CESE à la réparation du préjudice moral évalué à 2 000 euros ;

–        condamner le CESE aux dépens.

17      Le CESE demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du litige

18      Dans la requête, la requérante a demandé l’annulation de la décision attaquée et, pour autant que de besoin, de la décision explicite de rejet de la réclamation correspondante.

19      Selon une jurisprudence constante, la réclamation administrative, telle que visée à l’article 90, paragraphe 2, du statut, et son rejet, explicite ou implicite, font partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, le recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée, sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation a une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée (voir arrêt du 27 octobre 2016, CW/Parlement, T‑309/15 P, non publié, EU:T:2016:632, point 27 et jurisprudence citée).

20      En l’espèce, s’agissant d’un rejet implicite de la réclamation, celui-ci ne peut que confirmer la décision attaquée, et est de ce fait dépourvu de tout contenu autonome. Ainsi, en application de la jurisprudence citée au point 19 ci‑dessus, la conclusion en annulation doit être considérée comme n’ayant pour objet que la décision attaquée, seul acte faisant grief à la requérante.

 Sur le premier chef de conclusions, tendant à l’annulation de la décision attaquée

 Sur la recevabilité du premier chef de conclusions

21      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, le CESE conteste la recevabilité du présent recours en ce qu’il tend à l’annulation de la décision attaquée. À cette fin, le CESE soulève quatre fins de non-recevoir, la quatrième étant avancée au stade de la duplique.

–       Sur la première fin de non-recevoir, tirée de l’absence d’introduction de réclamations contre les décisions de non-reclassement antérieures

22      Le CESE conteste la recevabilité de la demande d’annulation de la décision attaquée au motif que, au cours de sa carrière, la requérante n’a pas introduit de réclamations contre les décisions de non-reclassement antérieures la concernant. Il rappelle que, dans la mesure où un non-reclassement résulte d’une décision implicite de refus, il revient à la requérante d’introduire une demande, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, contre une telle décision, ce que cette dernière n’a pas fait, sauf en 2019.

23      Selon le CESE, la requérante ne saurait dès lors, à ce stade, contourner cette inaction afin de faire courir de nouveaux délais.

24      À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’un fonctionnaire est conscient de l’existence d’une décision lui faisant grief, il ne peut négliger d’en demander la communication dans un délai raisonnable afin d’en prendre dûment connaissance (voir, en ce sens, arrêt du 9 janvier 2007, Van Neyghem/Comité des régions, T‑288/04, EU:T:2007:1, point 52).

25      En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 40 de l’arrêt Correia I, le CESE a méconnu l’obligation légale au titre de l’article 25, troisième alinéa, du statut, qui lui imposait la publication des décisions de reclassement des agents temporaires. Le CESE ne conteste pas, dans le cadre de la présente instance, que cette situation a perduré durant toute la période pendant laquelle la requérante était en fonctions en son sein.

26      Or, la publication a pour but d’assurer, notamment, la sécurité juridique, en permettant aux intéressés de prendre conscience des décisions qui les concernent (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 avril 2011, IPK International/Commission, T‑297/05, EU:T:2011:185, point 124).

27      Dans ces circonstances, force est de constater que la requérante était dans l’impossibilité de connaître les conditions de déroulement de carrière des autres agents temporaires au sein du CESE, pour pouvoir en déduire que sa carrière progressait de manière trop lente. Elle était tout autant dans l’impossibilité de supposer l’existence des décisions implicites de non-reclassement la concernant et, par voie de conséquence, de pouvoir utilement les contester en entamant la procédure visée par l’article 90, paragraphe 1, du statut.

28      Ainsi, aucune obligation au titre de la jurisprudence citée au point 24 ci‑dessus ne saurait être imposée à la requérante.

29      Dans ces circonstances, est également voué au rejet l’argument du CESE tiré du fait que les avenants au contrat de travail de la requérante à l’occasion des deux reclassements dont elle a bénéficié avant l’introduction de la réclamation du 8 juillet 2020 ont été établis au mois de janvier, de sorte qu’elle aurait été consciente que les décisions en matière de reclassement étaient prises au début de chaque année.

30      En effet, dans une situation où le CESE a violé son obligation statutaire de publication, ainsi qu’il ressort du point 22 ci-dessus, cette coïncidence quant à la date de prise de décision lors des deux reclassements antérieurs de la requérante ne permet pas de conclure, de manière suffisamment certaine, que la requérante a été ou aurait dû être consciente de l’existence des décisions implicites lui faisant grief au cours des années où elle n’a pas été reclassée.

31      Accueillir les arguments du CESE figurant aux points 22 et 29 ci-dessus reviendrait, d’une part, à permettre à celui-ci de se prévaloir de la violation de son obligation de publication des décisions de reclassement résultant de l’article 25, troisième alinéa, du statut, et, d’autre part, à créer une situation de déséquilibre entre les droits et les obligations de l’administration et de ses fonctionnaires ou agents.

32      Il s’ensuit que le CESE ne saurait utilement invoquer sa propre illégalité pour reprocher à la requérante de ne pas avoir contesté les décisions implicites de non-reclassement la concernant, prises à des dates inconnues, au cours des années précédant la demande de reconstitution de sa carrière, afin d’exciper de l’irrecevabilité du présent recours.

33      Dès lors, la première fin de non-recevoir doit être écartée.

–       Sur la deuxième fin de non-recevoir, tirée du fait que la demande de reconstitution de carrière aurait été introduite dans un délai déraisonnable

34      Le CESE fait valoir que les arguments de la requérante tirés d’une prétendue absence de transparence et de l’absence d’un quelconque acte lui faisant grief en ce qui concerne les décisions de non-reclassement, même à les supposer établis, ne justifient pas l’introduction d’une demande de reconstitution de carrière seulement en 2019. Il fait observer, à cet égard, que rien n’empêchait la requérante d’adresser, à tout moment, une demande à l’administration pour savoir si elle était reclassée et, par la suite, une demande de reconstitution de carrière.

35      En outre, pour autant que la requérante critique les décisions l’ayant reclassée en 2008 et en 2016, en ce qu’elle aurait attendu, à chaque occasion, d’atteindre un grade supérieur, le CESE souligne qu’il lui aurait été loisible de contester chaque reclassement, au moment de la prise de décision en question, ou, à tout le moins, de demander un reclassement aux grades supérieurs auxquels elle prétendait avoir droit, ce qu’elle n’a pas fait.

36      Il s’ensuivrait que la requérante n’aurait avancé aucune circonstance objective de nature à justifier le fait qu’il lui a fallu 19 ans pour introduire une demande de reconstitution de carrière. Ce délai serait d’autant plus frappant à la lumière de la prétention de la requérante selon laquelle sa carrière aurait dû évoluer de manière linéaire. Le CESE en conclut que la requérante ne saurait désormais se prévaloir de sa propre inaction pour contourner les délais.

37      S’il est vrai que l’article 90, paragraphe 1, du statut ne prévoit pas de délai dans lequel les demandes doivent être introduites, la jurisprudence est fixée en ce sens que, dans tous les cas autres que ceux pour lesquels le législateur a défini un délai ou l’a explicitement exclu, le respect d’un délai raisonnable est requis. En effet, la base juridique de la fixation d’un délai raisonnable en cas de silence des textes est le principe de sécurité juridique qui fait obstacle à ce que les institutions et les personnes physiques ou morales agissent sans limite temporelle, en risquant ainsi de mettre en péril la stabilité des situations juridiques acquises. Partant, l’absence de délai fixé par le statut ne peut pas être considérée en soi comme impliquant la possibilité d’introduire une demande sans respecter une telle limite (voir ordonnances du 2 mai 2011, Allen e.a./Commission, T‑433/10 P, non publiée, EU:T:2011:190, point 26 à 31 et jurisprudence citée, et du 22 juin 2017, Vankerckhoven-Kahmann/Commission, T‑582/16, non publiée, EU:T:2017:450, point 47 et jurisprudence citée).

38      Il est aussi de jurisprudence constante que le caractère raisonnable d’un délai s’apprécie en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties (voir arrêt du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, C‑334/12 RX–II, EU:C:2013:134, point 28 et jurisprudence citée ; arrêt du 22 mars 2018, HJ/EMA, T‑579/16, non publié, EU:T:2018:168, point 33).

39      En l’espèce, il est certes vrai que la requérante n’a introduit une demande de reconstitution de carrière qu’en 2019, ce qui pourrait être susceptible, à première vue, d’apparaître déraisonnable.

40      Il y a lieu, toutefois, d’apprécier si tel est le cas en l’espèce, au regard du contexte spécifique dans lequel s’inscrit la présente affaire.

41      Tout d’abord, au point 49 de l’arrêt Correia I, le Tribunal a relevé que le CESE ne disposait d’aucun texte contraignant ni d’aucun autre document précisant des éléments d’analyse comparatifs en matière de reclassement des agents temporaires. Le CESE ne conteste pas, dans le cadre de la présente instance, que cette situation a perduré durant toute la période pendant laquelle la requérante a été engagée en son sein. Cette situation a été aggravée, ainsi qu’il a été observé au point 25 ci-dessus, par le fait que les décisions en matière de reclassement des agents temporaires ne faisaient pas l’objet d’une publication, contrairement à l’obligation imposée par l’article 25, troisième alinéa, du statut.

42      Dès lors, la requérante était dans l’impossibilité de comprendre les modalités du déroulement de l’exercice de reclassement des agents temporaires au sein de CESE, et encore moins d’avoir la pleine connaissance de la situation dont elle se plaint dans le cadre du présent recours.

43      Ensuite, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du dossier, le 26 mars 2019, le président du groupe I (groupe des employeurs) a suggéré à la requérante d’envoyer un courriel à la direction du personnel du CESE en vue de discuter de la décision de non-reclassement et d’une éventuelle reconstitution de carrière. Au vu des considérations exposées aux points 41 et 42 ci-dessus, c’est uniquement cette information de la part du supérieur hiérarchique de la requérante qui peut être considérée comme l’élément déclencheur du délai raisonnable pour l’introduction de la demande de reconstitution de carrière par la requérante, au sens de la jurisprudence visée au point 37 ci-dessus.

44      Or, ainsi qu’il ressort du point 5 ci-dessus, la requérante a communiqué avec la direction du personnel du CESE le jour même de l’intervention de son supérieur hiérarchique, mentionnée au point 43 ci-dessus.

45      Par la suite, le 10 juillet 2019 la requérante a introduit la première réclamation, par laquelle elle a contesté la décision de non-reclassement, ce qui constituait une première démarche visant à faire avancer sa carrière. Or, il ne saurait être raisonnablement attendu de la requérante qu’elle introduise une demande de reconstitution de carrière avant la prise de la décision finale de l’AHCC sur la question de son reclassement en réponse à sa première réclamation, réponse donnée, en l’espèce, par le rejet implicite de ladite réclamation, intervenu le 10 novembre 2019 (voir point 8 de l’arrêt Correia I).

46      Enfin, il convient de relever que la requérante a introduit la demande formelle auprès de l’AHCC tendant à la reconstitution de sa carrière le 11 décembre 2019, à savoir moins de cinq semaines après le rejet de la première réclamation portant sur la décision de non-reclassement.

47      Eu égard aux circonstances de l’espèce figurant aux points 41 à 46 ci‑dessus, il ne peut être retenu que la demande de reconstitution de carrière aurait été introduite dans un délai déraisonnable.

48      Il s’ensuit que la deuxième fin de non-recevoir doit également être écartée.

–       Sur la troisième fin de non-recevoir, tirée du fait que la demande de reconstitution de carrière de la requérante n’aurait pas été suivie d’une réclamation

49      Le CESE fait valoir qu’il découlerait du libellé de la première réclamation, introduite contre la décision de non-reclassement, que, par cet acte, la requérante avait déjà présenté une demande de reconstitution de carrière. Il qualifie ainsi une partie de la première réclamation de demande de reconstitution de carrière, et fait valoir que, en l’absence d’introduction d’une réclamation contre le rejet implicite de cette dernière demande, qui serait intervenue le 11 novembre 2019, le présent recours serait irrecevable faute d’avoir été précédé de la procédure régulière prévue à l’article 90 du statut.

50      Le CESE se fonde sur un passage figurant dans la première réclamation, qui est libellé comme suit :

« La réclamante va introduire, par ailleurs, une demande de reconstitution de sa carrière. Elle se tient évidemment à la disposition de son AHCC pour définir une telle reconstitution, le cas échéant dans le cadre de l’examen de la présente réclamation. »

51      Force est toutefois de constater que le CESE se livre à une interprétation arbitraire et erronée de la mention de la reconstitution de carrière figurant dans la première réclamation.

52      En effet, s’il est certes vrai, ainsi que le soutient le CESE, que la qualification juridique d’une demande ou d’une réclamation relève de la seule appréciation du juge et non de la volonté des parties (arrêt du 30 avril 1998, Cordiale/Parlement, T‑205/95, EU:T:1998:76, point 34), l’analyse du passage visé au point 50 ci-dessus ne permet pas de le qualifier de demande de reconstitution de carrière au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

53      Premièrement, par ledit passage, la requérante a clairement indiqué son intention d’introduire une demande de reconstitution de carrière à un stade ultérieur, sans pour autant présenter une demande explicite en ce sens dans la première réclamation.

54      Deuxièmement, et en tout état de cause, le Tribunal relève l’absence, dans la première réclamation, d’un quelconque élément ou argument étayant une demande de reconstitution de carrière. Le seul fait que la requérante ait déclaré qu’elle se tenait à la disposition du CESE pour définir à l’amiable une telle reconstitution ne permet pas, en l’absence d’autres éléments figurant dans ce document, de conduire à la qualification juridique du passage cité au point 50 ci-dessus de demande de reconstitution de carrière, au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, ainsi que le propose le CESE.

55      Enfin, troisièmement, pour ce qui est de l’argument du CESE selon lequel la demande de reconstitution de carrière s’inscrivait dans la continuité, notamment, de la réunion du 28 mars 2019 mentionnée au point 6 ci-dessus, il convient d’observer que, au point 33 de l’arrêt Correia I, lequel en l’absence d’un pourvoi a acquis l’autorité de la chose jugée, le Tribunal a conclu qu’il n’était pas possible, en l’absence d’éléments de preuve, de déterminer l’objet précis de ladite réunion et que le CESE n’a pas communiqué davantage de précisions à cet égard au cours de la présente instance. Dès lors, aucun argument ne saurait être tiré de cet élément de preuve avancé par le CESE.

56      À la lumière des considérations qui précèdent, il convient également de rejeter la troisième fin de non-recevoir.

–       Sur la quatrième fin de non-recevoir, tirée de l’absence d’intérêt à agir au moment de l’introduction du recours

57      Au stade de la duplique, qui comporte également ses observations sur l’arrêt Correia I, le CESE a relevé que l’exécution dudit arrêt impliquerait, avec le temps, l’adoption de dispositifs internes en matière de reclassement des agents temporaires. Il a également fait valoir que, dans la mesure où, au moment de l’introduction de la demande de reconstitution de carrière, le CESE ne disposait pas de telles règles, celui-ci n’aurait pas pu procéder à l’examen d’une telle demande sans s’exposer au risque de commettre des erreurs.

58      Par conséquent, le CESE soulève, au stade de la duplique, une fin de non-recevoir tirée du caractère prématuré, voire précipité, de la demande en annulation de la décision attaquée, ainsi que de l’absence d’intérêt à agir de la requérante à cet égard. Ainsi, a également été soulevée la question de l’opportunité de suspendre la présente procédure pour la période nécessaire afin de permettre l’exécution de l’arrêt Correia I, bien qu’aucune demande explicite et formelle n’ait été formulée en ce sens.

59      À cet égard, il convient de rappeler que si le Tribunal peut soulever d’office et à tout moment de la procédure une question portant sur le défaut de l’intérêt à agir de la partie requérante, il peut aussi examiner une telle question lorsqu’elle a été soulevée en cours de procédure par une partie qui se prévaut à cet effet d’éléments suffisamment sérieux (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2018, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, C‑100/17 P, EU:C:2018:842, point 39).

60      Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’intérêt à agir de la requérante en ce qui concerne la demande en annulation de la décision attaquée n’est pas tardive.

61      Selon une jurisprudence constante, pour qu’une personne soit recevable à demander l’annulation d’un acte lui faisant grief, celle-ci doit posséder, au moment de l’introduction du recours, un intérêt, né et actuel, suffisamment caractérisé à voir annuler cet acte, un tel intérêt supposant que la demande soit susceptible, par son résultat, de lui procurer un bénéfice (voir arrêt du 9 décembre 2010, Commission/Strack, T‑526/08 P, EU:T:2010:506, point 43 et jurisprudence citée).

62      Or, le CESE fait valoir que, en vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE, il lui incombait de prendre les mesures qu’impliquait l’exécution de l’arrêt Correia I, notamment par l’adoption de dispositifs internes en matière de reclassement des agents temporaires, et qu’il lui serait possible uniquement à partir de cette adoption de faire droit à la demande de reconstitution de carrière introduite par la requérante. Il s’ensuit, selon le CESE, que, au moment de l’introduction de la présente instance, la demande en annulation de la décision attaquée n’était susceptible de procurer à la requérante, par son résultat, aucun bénéfice au sens de la jurisprudence citée au point 61 ci-dessus.

63      Il convient toutefois de considérer, que, contrairement à ce que soutient le CESE, en l’espèce, la requérante disposait d’un intérêt à demander l’annulation de la décision attaquée au moment de l’introduction du présent recours et elle a conservé cet intérêt tout au long de l’instance. En effet, un arrêt du Tribunal constatant dans la présente affaire que, ainsi que le fait valoir la requérante, la pratique du CESE en matière de reclassement des agents temporaires était entachée, notamment, d’une violation des principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique entraînerait l’annulation de la décision attaquée.

64      Par suite, le constat d’illégalité opéré par le Tribunal obligerait le CESE, à prendre toutes les mesures que comporte l’exécution d’un arrêt, en application de l’article 266 TFUE, et, notamment, à adopter des éléments d’analyse comparatifs clairs, objectifs et transparents en matière de reclassement de ses agents temporaires.

65      À cet égard, il convient également de rappeler que les mesures d’exécution d’un arrêt, au titre de l’article 266 TFUE, concernent surtout l’anéantissement des effets de toute illégalité constatée dans l’arrêt d’annulation. Ainsi, l’institution concernée peut être amenée, notamment, à effectuer une remise en état adéquate de la situation de la partie requérante (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission, T‑480/93 et T‑483/93, EU:T:1995:162, point 60 et jurisprudence citée).

66      Il s’ensuit que le constat de l’illégalité de la décision attaquée obligerait, en tout état de cause, le CESE à revoir, à la lumière des motifs d’annulation, sa réponse à la demande de reconstitution de carrière formée par la requérante, et de procéder à un réexamen de ladite demande à l’aune des éléments d’analyse comparatifs clairs, objectifs et transparents à adopter.

67      Dans ces circonstances, l’annulation de la décision attaquée sollicitée dans le cadre du premier chef de conclusions est, contrairement à ce qu’avance le CESE, susceptible de procurer un bénéfice à la requérante au sens de la jurisprudence citée au point 61 ci-dessus, de sorte que ledit chef de conclusions doit être considéré comme recevable.

68      Partant, il convient de rejeter les arguments du CESE tirés du caractère prématuré du présent recours et de l’absence d’un intérêt à agir de la requérante. Il n’y a pas davantage lieu de suspendre le traitement du présent recours pendant la période nécessaire pour l’exécution de l’arrêt Correia I.

69      Au vu des considérations qui précédent, il y a lieu d’écarter l’ensemble des fins de non-recevoir soulevées par le CESE et de déclarer, dès lors, la demande d’annulation de la décision attaquée recevable.

 Sur le fond

70      À l’appui de sa demande en annulation, la requérante invoque quatre moyens. Toutefois, à la lecture de la requête, il convient d’en identifier cinq, tirés respectivement :

–        le premier, de la violation de l’obligation de motivation des décisions relatives à l’évolution de la carrière de la requérante ;

–        le deuxième, de la violation du principe d’égalité de traitement ;

–        le troisième, de la violation du principe de sécurité juridique ;

–        le quatrième, d’une erreur manifeste d’appréciation ;

–        le cinquième, de la violation du devoir de sollicitude.

71      Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal estime opportun d’examiner, tout d’abord et de manière concomitante, les deuxième et troisième moyens, tirés, respectivement, de la violation des principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique.

72      La requérante, d’une part, reproche, en substance, au CESE d’avoir méconnu le principe d’égalité de traitement, en vertu duquel celui-ci aurait été tenu de fixer des critères objectifs et transparents permettant aux agents temporaires de connaître les modalités de leur reclassement, et, d’autre part, soutient que l’absence d’une procédure claire, précise, prévisible et transparente de reclassement porte atteinte au principe de sécurité juridique.

73      En premier lieu, le CESE rétorque que le moyen tiré de la violation du principe d’égalité de traitement doit être rejeté dès lors que la requérante n’a procédé à aucune comparaison concrète entre sa situation et celle d’un autre agent temporaire se trouvant dans la même situation, mais qui, en termes de reconstitution de carrière, aurait été traité différemment.

74      En deuxième lieu, selon le CESE, la requérante resterait en défaut d’établir en quoi l’absence de règles écrites, malgré l’existence d’une « pratique bien établie » en matière de reclassement, serait constitutive d’une illégalité susceptible d’avoir des conséquences sur sa situation juridique. Le CESE rappelle à cet égard que, dans le domaine du reclassement des agents temporaires, l’administration bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation.

75      En troisième lieu, le CESE fait observer que, dans la décision attaquée, il a expliqué de manière détaillée la pratique bien établie en matière de reclassement de ses agents temporaires ainsi que les éléments pris en compte par l’AHCC dans le cadre du rejet de la demande de reconstitution de carrière.

76      À cet égard, il doit être rappelé que, au point 49 de l’arrêt Correia I, le Tribunal a constaté qu’il n’existait, au sein du CESE, aucun texte contraignant ni aucun autre document précisant les éléments d’analyse au regard desquels ces agents pouvaient bénéficier d’un reclassement ou le lien pouvant exister entre le dispositif d’évaluation des agents temporaires mis en place par le CESE et les possibilités de reclassement ou encore les garanties entourant l’examen des situations individuelles avant l’adoption des décisions en ce domaine.

77      En outre, aux points 60 et 73 de l’arrêt Correia I, le Tribunal a également retenu, en substance, que la prétendue « pratique bien établie » en matière de reclassement des agents temporaires dont essayait de se prévaloir le CESE ne comportait aucun élément d’analyse comparatif clair, objectif et transparent afin de garantir que les décisions en matière de reclassement des agents temporaires adoptées par l’AHCC de cet organe soient respectueuses du principe d’égalité de traitement.

78      Le Tribunal en a conclu, aux points 80 et 81, que, n’ayant pas mis en place des tels éléments, le CESE avait commis une illégalité de nature à porter atteinte aux principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique et, par voie de conséquence, aux droits des agents temporaires affectés auprès du CESE.

79      Dans ces circonstances, c’est en vain que le CESE prétend se défendre contre le moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement en faisant valoir que la requérante n’a procédé à aucune comparaison concrète entre sa situation et celle d’un autre agent temporaire se trouvant dans la même situation.

80      Il est certes vrai que, ainsi qu’il ressort du point 55 de l’arrêt Correia I, les agents temporaires n’ont pas la même vocation que les fonctionnaires à faire carrière au sein leur institution. Il n’en reste pas moins que l’illégalité commise par le CESE a privé les agents temporaires recrutés au sein de celui-ci, dont la requérante, de voir leur carrière évoluer dans le respect des principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique. En particulier, lesdits agents n’avaient aucune garantie de bénéficier d’un traitement impartial, objectif et équitable lors des exercices de reclassement intervenus au cours des années. Il s’agit ainsi d’une illégalité susceptible d’avoir une incidence directe sur l’évolution de la carrière de la requérante.

81      Dans ces circonstances, il convient de conclure que la décision attaquée, qui rejette la demande de reconstitution de carrière formée par la requérante et qui repose sur la prétendue pratique bien établie en matière de reclassement des agents temporaires dont essaie de se prévaloir le CESE, est entachée d’une illégalité identique à celle relevée par le Tribunal dans l’arrêt Correia I.

82      À la lumière des considérations qui précédent, il convient d’accueillir les deuxième et troisième moyens, et, partant, le premier chef de conclusions, et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés à l’appui de la demande en annulation.

 Sur le deuxième chef de conclusions, tendant à la condamnation du CESE au paiement des arriérés de salaire

83      Par son deuxième chef de conclusions, la requérante demande la condamnation du CESE au paiement des arriérés de rémunération et des bénéfices financiers dérivés, augmentés des intérêts de retard fixés aux taux de la BCE, augmentés de deux points.

84      La requérante prétend que, par l’annulation de la décision attaquée, le CESE serait tenu, de manière automatique, de procéder à la reconstitution de sa carrière, selon un rythme d’évolution qu’elle dénomme la « règle de quatre ans ».

85      Toutefois, un tel automatisme de la reconstitution de la carrière de la requérante ne saurait être reconnu. En effet, ainsi que le soutient à juste titre le CESE, la reconnaissance statutaire de la vocation à la carrière des fonctionnaires ne leur confère pas un droit subjectif à une promotion, même s’ils réunissent toutes les conditions requises, dès lors qu’une décision de reclassement dépend non des seules qualifications et capacités du candidat, mais également de leur appréciation en comparaison de celles des autres candidats ayant vocation à être promus (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 13 avril 2005, Nielsen/Conseil, T‑353/03, EU:T:2005:127, point 57, et du 31 mai 2005, Dionyssopoulou/Conseil, T‑284/02, EU:T:2005:188, point 20 et jurisprudence citée). Il en va nécessairement de même, a fortiori, en ce qui concerne les agents temporaires, au sens de la jurisprudence citée au point 80 ci-dessus.

86      En l’espèce, le constat d’illégalité opéré par le Tribunal dans le présent arrêt obligera le CESE, dans un premier temps, ainsi qu’il a été exposé au point 64 ci-dessus, à prendre des mesures au titre de l’article 266 TFUE en adoptant des éléments d’analyse comparatifs clairs, objectifs et transparents. En l’occurrence, il ressort du dossier que, le 29 octobre 2021, à savoir avant le prononcé du présent arrêt, le CESE a adopté la décision relative au reclassement des agents temporaires, qui, selon lui, comporterait les éléments d’analyse requis par l’arrêt Correia I (voir point 15 ci-dessus).

87      Pour exécuter l’arrêt d’annulation de la décision attaquée au titre de l’article 266 TFUE, le CESE sera aussi tenu, dans un second temps, de réaliser un réexamen de la demande de reconstitution de carrière de la requérante, en procédant à une analyse comparative des mérites de l’ensemble des agents temporaires appartenant au même grade affectés au sein du CESE et ayant vocation à être reclassés. Cette analyse devra être effectuée à l’aune des éléments d’analyse comparatifs préalablement adoptés aux fins du reclassement des agents temporaires.

88      Il s’ensuit que, contrairement à ce que prétend la requérante, l’annulation de la décision attaquée ne lui confère pas un droit automatique à la reconstitution de sa carrière, car un tel exercice est subordonné à l’obligation, pour le CESE, de procéder à la comparaison des mérites de l’ensemble des agents temporaires ayant vocation à être reclassés. Cet exercice doit être mené selon des éléments d’analyse comparatifs clairs, objectifs et transparents qui respectent à la fois le principe d’égalité de traitement et le principe de sécurité juridique.

89      Accorder à la requérante une reconstitution automatique de sa carrière reviendrait nécessairement à porter atteinte au principe d’égalité de traitement à l’égard de l’ensemble des agents temporaires de même grade ayant vocation à être reclassés, ainsi qu’au principe de la comparaison des mérites, en procédant, dans les faits, à une discrimination en faveur de la requérante.

90      Eu égard aux considérations qui précèdent, dans la mesure où une éventuelle reconstitution de la carrière de la requérante doit résulter d’un examen comparatif des mérites à intervenir lors du réexamen de sa demande à cet égard, il convient d’écarter le deuxième chef de conclusions.

 Sur le troisième chef de conclusions, tendant à la réparation du préjudice moral

91      Par son troisième chef de conclusions, la requérante demande la réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi en raison de l’état d’incertitude et d’angoisse dans lequel elle aurait été placée du fait du comportement illégal du CESE, qui n’aurait pas garanti l’objectivité et la nature équitable de la procédure de reclassement. La requérante évalue son préjudice moral à cet égard, ex æquo et bono, à 2 000 euros.

92      Le CESE conteste les arguments avancés par la requérante.

93      En l’espèce, la requérante prétend, en substance, que le préjudice moral qu’elle aurait subi, sous forme de stress et d’incertitude, serait une conséquence directe du non-respect pendant 19 ans des garanties procédurales prévues à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, en particulier, du non-respect de l’obligation de motivation, de transparence et de diligence par le CESE.

94      À cet égard, il y a lieu d’observer que le fait de voir sa carrière stagner, ce dont la requérante se prévaut en substance, est, en principe, de nature à générer chez un agent ou un fonctionnaire un sentiment d’incertitude et de frustration en ce qui concerne ses perspectives professionnelles, susceptible de lui causer du stress et de l’angoisse.

95      Toutefois, une situation de stress et d’anxiété appelle de la part d’une personne qui s’estime lésée d’entreprendre des démarches visant à en faire cesser la cause, dans la mesure où la personne lésée doit faire preuve d’une diligence raisonnable pour éviter le préjudice ou en limiter la portée, au risque de devoir supporter elle-même le dommage (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 11 mars 1999, Herold/Commission, T‑257/97, EU:T:1999:55, point 71, et du 5 octobre 2004, Eagle e.a./Commission, T‑144/02, EU:T:2004:290, point 59).

96      Or, les éléments de preuve démontrent que ce n’est qu’à la suite d’une indication de son supérieur hiérarchique, lors d’une réunion du 26 mars 2019 (voir point 5 ci-dessus), que la requérante a entamé les démarches qui l’ont conduite à introduire formellement, le 11 décembre 2019, une demande de reconstitution de carrière. Dans ces circonstances, force est de constater qu’il n’apparaît pas que la requérante, qui, au demeurant, ainsi qu’il ressort du point 27 ci-dessus, n’était pas effectivement en mesure de connaître l’évolution de la carrière des autres agents temporaires, ait eu connaissance d’une progression anormalement lente de sa carrière avant le 26 mars 2019.

97      Ainsi faut-il considérer, par voie de conséquence, que ce n’est qu’à partir du 26 mars 2019 que la requérante a pu réellement ressentir les sentiments de stress et d’incertitude sur le plan professionnel qu’elle invoque.

98      En outre, pour ce qui est de la période postérieure au 26 mars 2019, il importe de rappeler que, dans l’arrêt Correia I, le Tribunal a déjà alloué à la requérante une indemnité évaluée ex æquo et bono, précisément en réparation du préjudice moral subi du fait de l’existence d’une incertitude quant aux perspectives de son reclassement de manière rétroactive, découlant de la non-adoption par le CESE des éléments d’analyse comparatifs en matière de reclassement des agents temporaires.

99      Au surplus, il ne saurait être perdu de vue que, ainsi qu’il ressort du point 7 ci-dessus, pendant la présente procédure, la requérante a été reclassée au grade AST 7 avec effet au 1er janvier 2020, ce qui était de nature à pallier la situation de stress et d’incertitude qu’elle avait invoquée.

100    Dans ces circonstances, il convient de rejeter le troisième chef de conclusions, visant à la réparation du préjudice moral subi par la requérante.

101    Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient d’accueillir le premier chef de conclusions, tendant à l’annulation de la décision attaquée, et de rejeter le recours pour le surplus.

 Sur les dépens

102    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Selon l’article 134, paragraphe 2, dudit règlement, le Tribunal décide du partage des dépens si plusieurs parties succombent.

103    Conformément à l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre. En outre, en vertu du paragraphe 2 de ce même article, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement, aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance, en particulier si elle a fait exposer à l’autre partie des frais que le Tribunal reconnaît comme frustratoires ou vexatoires.

104    En l’espèce, la requérante a certes succombé s’agissant des deuxième et troisième chefs de conclusions. Il convient toutefois de relever que, ainsi qu’il ressort du point 14 ci-dessus, le CESE n’a jamais donné suite à la réclamation introduite par la requérante contre la décision de rejet de sa demande de reconstitution de carrière, ce qui l’a obligée à introduire le présent recours en vue de faire valoir ses droits. En outre, étant donné l’illégalité commise par le CESE en matière de reclassement des agents temporaires, mentionnée au point 76 ci-dessus, qui a porté atteinte, notamment, au principe de sécurité juridique, la requérante a pu se croire fondée à introduire le présent recours.

105    Il s’ensuit que c’est l’attitude même du CESE avant et au cours de la procédure administrative qui a contraint la requérante à introduire le présent recours. Dans ces circonstances, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en condamnant le CESE à supporter l’ensemble des dépens, en application de l’article 135 du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du Comité économique et social européen (CESE) du 8 avril 2020 rejetant la demande de reconstitution de carrière formée par Mme Paula Correia est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le CESE est condamné aux dépens.

Gervasoni

Nihoul

Frendo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 avril 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.