Language of document : ECLI:EU:C:2007:442

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

18 juillet 2007 (*)

«Association CEE-Turquie – Article 59 du protocole additionnel – Articles 6, 7 et 14 de la décision nº 1/80 du conseil d’association – Droit de libre accès à l’emploi au titre de l’article 7, premier alinéa, second tiret – Droit de séjour qui en est le corollaire – Ressortissant turc âgé de plus de 21 ans et qui n’est plus à la charge de ses parents − Condamnations pénales − Conditions de la perte des droits acquis − Compatibilité avec la règle selon laquelle la République de Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui applicable entre États membres»

Dans l’affaire C‑325/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Verwaltungsgericht Darmstadt (Allemagne), par décisions des 17 août et 21 septembre 2005, parvenues à la Cour respectivement les 26 août et 29 septembre 2005, dans la procédure

Ismail Derin

contre

Landkreis Darmstadt-Dieburg,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. R. Schintgen (rapporteur), A. Tizzano, M. Ilešič et E. Levits, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 novembre 2006,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. W. Ferrante, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. Nwaokolo, en qualité d’agent, assistée de M. T. Ward, barrister,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. G. Rozet et Mme I. Kaufmann-Bühler, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 janvier 2007,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 59 du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) nº 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 293, p. 1, ci-après le «protocole additionnel»), ainsi que des articles 6, 7 et 14 de la décision nº 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (ci-après la «décision nº 1/80»). Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’«accord d’association»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Derin, ressortissant turc, au Landkreis Darmstadt-Dieburg au sujet d’une procédure d’expulsion du territoire allemand.

 Le cadre juridique

 L’association CEE-Turquie

3        Conformément à son article 2, paragraphe 1, l’accord d’association a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, y compris dans le domaine de la main-d’œuvre, notamment par la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs (article 12 de cet accord), en vue d’améliorer le niveau de vie du peuple turc et de faciliter ultérieurement l’adhésion de la République de Turquie à la Communauté (quatrième considérant du préambule et article 28 du même accord).

4        À cet effet, l’accord d’association comporte une phase préparatoire, permettant à la République de Turquie de renforcer son économie avec l’aide de la Communauté (article 3 de cet accord), une phase transitoire, au cours de laquelle sont assurés la mise en place progressive d’une union douanière et le rapprochement des politiques économiques (article 4 dudit accord), et une phase définitive qui est fondée sur l’union douanière et implique le renforcement de la coordination des politiques économiques des parties contractantes (article 5 du même accord).

5        L’article 6 de l’accord d’association est libellé comme suit:

«Pour assurer l’application et le développement progressif du régime d’association, les Parties contractantes se réunissent au sein d’un Conseil d’association qui agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées par l’accord.»

6        L’article 12 de l’accord d’association, qui figure sous le titre II de celui-ci, consacré à la «Mise en œuvre de la phrase transitoire», chapitre 3, intitulé «Autres dispositions de caractère économique», énonce:

«Les Parties contractantes conviennent de s’inspirer des articles [39 CE], [40 CE] et [41 CE] pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles.»

7        Aux termes de l’article 22, paragraphe 1, de l’accord d’association:

«Pour la réalisation des objets fixés par l’accord et dans les cas prévus par celui-ci, le Conseil d’association dispose d’un pouvoir de décision. Chacune des deux parties est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution des décisions prises. [...]»

8        Le protocole additionnel qui, conformément à son article 62, fait partie intégrante de l’accord d’association, arrête, aux termes de son article 1er, les conditions, modalités et rythmes de réalisation de la phase transitoire visée à l’article 4 dudit accord.

9        Le protocole additionnel comporte un titre II, intitulé «Circulation des personnes et des services», dont le chapitre I vise «[l]es travailleurs».

10      L’article 36 du protocole additionnel, qui fait partie dudit chapitre I, prévoit que la libre circulation des travailleurs entre les États membres de la Communauté et la Turquie sera réalisée graduellement, conformément aux principes énoncés à l’article 12 de l’accord d’association, entre la fin de la douzième et de la vingt‑deuxième année après l’entrée en vigueur de celui-ci et que le conseil d’association décidera des modalités nécessaires à cet effet.

11      L’article 59 du protocole additionnel, qui figure sous le titre IV de celui-ci, intitulé «Dispositions générales et finales», est libellé comme suit:

«Dans les domaines couverts par le présent protocole, la Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du traité instituant la Communauté.»

12      La décision nº 1/80 vise, selon son troisième considérant, à améliorer, dans le domaine social, le régime dont bénéficient les travailleurs et les membres de leur famille par rapport au régime prévu par la décision nº 2/76 que le conseil d’association avait adoptée le 20 décembre 1976.

13      Les articles 6, 7 et 14 de la décision n° 1/80 figurent dans le chapitre II de celle-ci, consacré aux «Dispositions sociales», section 1, intitulée «Questions relatives à l’emploi et à la libre circulation des travailleurs».

14      Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la décision nº 1/80:

«Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:

–        a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi;

–        a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre;

–        bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.»

15      L’article 7 de la décision n° 1/80 prévoit:

«Les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:

–        ont le droit de répondre – sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté – à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;

–        y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.

Les enfants des travailleurs turcs ayant accompli une formation professionnelle dans le pays d’accueil pourront, indépendamment de leur durée de résidence dans cet État membre, à condition qu’un des parents ait légalement exercé un emploi dans l’État membre intéressé depuis trois ans au moins, répondre dans ledit État membre à toute offre d’emploi.»

16      L’article 14, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 énonce:

«Les dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques.»

 Les autres dispositions du droit communautaire

17      L’article 10, paragraphes 1 et 2, du règlement (CEE) nº 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), tel que modifié par le règlement (CEE) nº 2434/92 du Conseil, du 27 juillet 1992 (JO L 245, p. 1, ci-après le «règlement nº 1612/68»), dispose:

«1.      Ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un État membre employé sur le territoire d’un autre État membre, quelle que soit leur nationalité:

a)      son conjoint et leurs descendants de moins de vingt et un ans ou à charge;

b)      les ascendants de ce travailleur et de son conjoint qui sont à sa charge.

2.      Les États membres favorisent l’admission de tout membre de la famille qui ne bénéficie pas des dispositions du paragraphe 1 s’il se trouve à la charge ou vit, dans le pays de provenance, sous le toit du travailleur visé ci-dessus.

18      Aux termes de l’article 11 du règlement nº 1612/68:

«Le conjoint et les enfants de moins de vingt et un ans ou à charge d’un ressortissant d’un État membre exerçant sur le territoire d’un État membre une activité salariée ou non salariée ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même État, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un État membre.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

19      Il ressort de la décision de renvoi que M. Derin, né le 30 septembre 1973, a été autorisé à rejoindre, le 1er juillet 1982, ses parents sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne au titre du regroupement familial.

20      Les père et mère de M. Derin ont légalement exercé une activité salariée dans cet État membre pendant 6 et 24 ans respectivement.

21      Après son arrivée en Allemagne, M. Derin a fréquenté, du mois d’août 1982 au mois de juillet 1988, l’école primaire et, du mois d’août 1988 au mois de juillet 1990, une école professionnelle. Il a terminé sa scolarité au cours de l’année 1991 avec l’obtention d’un diplôme de fin d’études secondaires de niveau moyen inférieur («mittlere Reife»).

22      À l’issue de sa formation, l’intéressé a régulièrement travaillé pour le compte de plusieurs employeurs successivement, mais la durée de ses occupations a toujours été inférieure à un an auprès d’un même employeur.

23      Au cours des années 1992 à 1996, M. Derin a légalement exercé une activité de travailleur indépendant.

24      Le 3 septembre 2001, il a entamé une formation en vue de sa reconversion comme chauffeur professionnel, mais il a dû l’interrompre en raison de son incarcération. Toutefois, il a été embauché de nouveau à compter du 17 janvier 2005.

25      Depuis le 10 décembre 1990, M. Derin est titulaire en Allemagne d’un permis de séjour à durée illimitée.

26      Au cours de l’automne de l’année 1994, M. Derin a quitté le toit familial et fondé son propre foyer. Son épouse, de nationalité turque, a été autorisée à le rejoindre en Allemagne le 24 février 2002.

27      Depuis le mois d’août de l’année 1994, M. Derin a été condamné à plusieurs reprises à des amendes pour diverses infractions et, par jugement du 13 décembre 2002, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de plus de deux ans et demi pour avoir introduit clandestinement des étrangers en Allemagne.

28      Le 24 novembre 2003, une décision d’expulsion du territoire allemand a été prise à son encontre pour une durée illimitée. Il aurait dû être reconduit à la frontière dès sa sortie de prison.

29      L’administration nationale compétente estime que M. Derin remplit les conditions pour faire l’objet d’une expulsion de principe au titre de l’article 47, paragraphe 2, point 1, de la loi sur les étrangers (Ausländergesetz, ci-après l’«AuslG»), disposition selon laquelle un étranger est, en règle générale, expulsé s’il a été condamné par un jugement ayant acquis autorité de chose jugée à une peine d’emprisonnement, non assortie du sursis, pour une ou plusieurs infractions intentionnelles. Toutefois, puisque le requérant au principal est en possession d’un permis de séjour d’une durée de validité illimitée en Allemagne et qu’il est entré dans cet État membre lorsqu’il était mineur, il bénéficierait d’une protection accrue contre l’expulsion au titre de l’article 48, paragraphe 1, point 2, de l’AuslG et il ne pourrait dès lors faire l’objet d’une mesure d’éloignement que pour de graves raisons de sécurité et d’ordre publics. Ladite administration aurait en l’occurrence été tenue de prendre la décision relative à l’expulsion en faisant usage de son pouvoir d’appréciation discrétionnaire, conformément à l’article 47, paragraphe 3, deuxième phrase, de l’AuslG.

30      À cet égard, l’administration nationale compétente a considéré que, si M. Derin séjourne certes depuis son enfance sur le territoire allemand, il n’a toutefois pas réussi à s’intégrer à la société allemande. Il aurait été condamné pour la première fois en 1994 et aurait constamment récidivé par la suite. Tout sentiment de commettre une faute lui serait étranger, puisque les peines qui ont été prononcées à son encontre n’auraient pas conduit à une modification de son comportement. Il y aurait dès lors lieu de penser que sa première condamnation à une peine d’emprisonnement n’entraînera pas non plus d’amélioration de ce comportement. L’expulsion de M. Derin pourrait également avoir un effet dissuasif sur d’autres ressortissants étrangers qui se rendraient ainsi compte des graves conséquences qu’entraîne l’introduction clandestine d’étrangers dans un État membre. Il importerait en effet de prendre des mesures strictes contre les passeurs, eu égard au problème que représenterait la présence en Allemagne d’un nombre important d’étrangers en situation irrégulière. En outre, le requérant au principal ne bénéficierait d’aucun droit au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 ou de l’article 7 de celle-ci, puisque, d’une part, il n’aurait jamais été employé de manière ininterrompue pendant plus d’un an auprès du même employeur et que, d’autre part, il ne vivrait plus sous le même toit que ses parents et ne serait plus à la charge de ces derniers.

31      La réclamation que M. Derin a introduite contre ladite décision d’expulsion ayant été rejetée le 15 septembre 2004, ce dernier a, le 5 octobre 2004, formé un recours devant le Verwaltungsgericht Darmstadt, en faisant valoir qu’il relève du cercle des personnes protégées au titre de l’article 7 de la décision nº 1/80. Il relèverait dès lors du champ d’application de l’article 14 de celle-ci, qui ferait dépendre l’expulsion de l’existence d’un danger concret de nouvelles perturbations graves de l’ordre public, condition qui ne serait cependant pas remplie en l’occurrence.

32      En revanche, selon le défendeur au principal, l’article 7 de la décision nº 1/80 ne protège que les enfants de travailleurs turcs âgés de moins de 21 ans et qui sont à la charge de leurs parents.

33      La juridiction de renvoi considère que M. Derin remplit effectivement les conditions pour acquérir les droits prévus à l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80, du fait de sa résidence régulière pendant plus de cinq ans sous le toit de ses parents, qui sont travailleurs turcs résidant dans l’État membre d’accueil.

34      Ladite juridiction s’interroge cependant sur les conditions dans lesquelles un ressortissant turc dans une situation telle que celle de M. Derin est susceptible de perdre les droits qu’il a acquis au titre dudit article 7, premier alinéa, second tiret.

35      En premier lieu, la juridiction de renvoi fait référence à l’arrêt du 7 juillet 2005, Aydinli (C-373/03, Rec. p. I-6181), en considérant que la Cour aurait jugé que les motifs de la perte des droits conférés par ladite disposition sont limités à deux seulement, à savoir, d’une part, la circonstance que la présence du migrant turc sur le territoire de l’État membre d’accueil constitue, en raison de son comportement personnel, un danger réel et grave pour l’ordre public, la sécurité ou la santé publiques, conformément à l’article 14, paragraphe 1, de la décision nº 1/80, et, d’autre part, le fait que l’intéressé a quitté le territoire de cet État membre pendant une période significative et sans motifs légitimes.

36      En l’occurrence, la situation de M. Derin ne relèverait d’aucun de ces deux motifs de perte des droits conférés par l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n° 1/80.

37      Toutefois, la juridiction de renvoi considère que, conformément à l’article 59 du protocole additionnel, il importe de vérifier si une telle limitation des motifs de la perte des droits acquis au titre de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80 n’est pas susceptible d’avantager les ressortissants turcs par rapport aux membres de la famille d’un travailleur ressortissant d’un État membre qui, en application de l’article 10 du règlement nº 1612/68, ont le droit de s’installer avec ce travailleur, dès lors qu’ils ont moins de 21 ans ou sont à la charge de ce dernier. En l’occurrence, en l’absence d’autres possibilités de limiter ses droits en application de la décision nº 1/80, M. Derin, qui ne vit plus sous le toit de ses parents depuis l’automne de l’année 1994, est âgé de plus de 30 ans et n’est plus à la charge de sa famille, se trouverait dans une position plus favorable que le descendant d’un travailleur migrant communautaire.

38      En second lieu, dans l’hypothèse où M. Derin aurait effectivement perdu les droits qu’il tire de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80, du fait qu’il est âgé de plus de 21 ans, qu’il ne vit plus avec ses parents et que ceux-ci ne subviennent plus à ses besoins, la juridiction de renvoi se demande si l’intéressé ne pourrait pas se fonder sur une autre disposition de cette décision, aux fins d’obtenir une protection contre la mesure d’expulsion prise au titre de l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci, et elle demande plus particulièrement dans quelle mesure M. Derin pourrait être assimilé aux personnes ayant acquis des droits en application de l’article 6, paragraphe 1, de la même décision.

39      C’est dans ces conditions que le Verwaltungsgericht Darmstadt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Est-il compatible avec l’article 59 du protocole additionnel […] qu’un ressortissant turc qui est entré alors qu’il était un enfant dans le cadre du regroupement familial avec ses parents occupés sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne ne perde pas le droit au séjour qui est le corollaire du droit de libre accès à toute activité salariée de son choix qu’il tire de l’article 7, [premier alinéa], second tiret, de la décision nº 1/80 […], − sauf dans les cas prévus par l’article 14 de [cette] décision […] et lorsqu’il quitte le territoire de l’État membre d’accueil pour une période significative, sans motifs légitimes −, même lorsqu’il ne vit plus avec ses parents, après l’âge de 21 ans et que ces derniers ne subviennent plus à ses besoins?

2)      Ce ressortissant turc continue-t-il − en dépit de la perte des droits qu’il tire de l’article 7, [premier alinéa], second tiret, de la décision nº 1/80 […] − à bénéficier de la protection spéciale contre l’expulsion que lui confère l’article 14 de [cette] décision […], lorsque, après qu’il a cessé de vivre sous le même toit que ses parents, il a été employé comme travailleur salarié de manière discontinue, sans obtenir en qualité de salarié le bénéfice des droits résultant de l’article 6, paragraphe 1, de la décision nº 1/80, et a exercé exclusivement une activité indépendante durant une période de plusieurs années?»

 Sur la première question

40      À titre liminaire, il importe de relever que la première question fait référence à la situation d’un ressortissant turc qui remplit les conditions requises pour bénéficier du droit de libre accès à toute activité salariée de son choix ainsi que du droit de séjour qui en est le corollaire conférés par l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80.

41      S’il est constant que le requérant au principal a effectivement acquis de tels droits au titre de ladite disposition de la décision nº 1/80, les gouvernements italien et du Royaume-Uni ont cependant soulevé le point de savoir si la situation de l’intéressé ne relève pas plutôt de l’article 7, second alinéa, de la même décision.

42      Au regard des faits du litige au principal tels que rapportés dans la décision de renvoi, il est en effet probable que M. Derin, qui, en sa qualité d’enfant d’un père et d’une mère turcs ayant exercé une activité professionnelle régulière pendant 6 et 24 ans respectivement dans l’État membre d’accueil, a accompli sur le territoire de celui-ci une formation professionnelle, peut se prévaloir des droits d’accès à l’emploi ainsi que de séjour dans cet État membre en application du second alinéa dudit article 7, lequel constitue, par rapport au premier alinéa du même article, une disposition plus favorable (voir arrêts du 19 novembre 1998, Akman, C-210/97, Rec. p. I-7519, points 35 et 38, et du 16 février 2006, Torun, C‑502/04, Rec. p. I‑1563, points 22 à 24).

43      Toutefois, il incombe à la seule juridiction de renvoi de constater les faits qui sont à la base du litige dont elle est saisie et d’apprécier quelle est celle des deux dispositions mentionnées au point précédent qui trouve à s’appliquer dans l’affaire au principal.

44      Il convient d’ajouter que la question posée vise en substance à déterminer les raisons pour lesquelles un ressortissant turc tel que M. Derin peut perdre les droits qui lui sont conférés, dans l’État membre d’accueil, par l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80 en matière de libre accès à toute activité salariée de son choix et, corrélativement, de séjour.

45      Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé à bon droit aux points 35 et 78 de ses conclusions, les droits acquis au titre de l’article 7 de ladite décision se perdent dans les mêmes conditions, indépendamment du point de savoir si la situation concrète ayant donné lieu à un litige relève du premier ou du second alinéa de cet article (voir, en ce sens, arrêt Torun, précité, points 21 à 25).

46      Dans ces conditions, la circonstance qu’un ressortissant turc tel que le requérant au principal relève du champ d’application du premier ou du second alinéa de l’article 7 de la décision nº 1/80 est dépourvue de pertinence pour l’examen de la première question posée par la juridiction de renvoi.

47      Afin de répondre utilement à cette question, il convient de constater d’emblée qu’il n’est pas contesté que, d’une part, tout comme les articles 6, paragraphe 1, et 7, second alinéa, de la décision nº 1/80, le premier alinéa de ce même article 7 a un effet direct dans les États membres, de sorte que les ressortissants turcs qui en remplissent les conditions peuvent se prévaloir directement des droits qu’il leur confère (voir, notamment, arrêt Torun, précité, point 19), et que, d’autre part, les droits que cette dernière disposition octroie à l’enfant d’un travailleur turc sur le plan de l’emploi dans l’État membre concerné impliquent nécessairement, sous peine de priver de tout effet le droit d’accéder au marché du travail et d’exercer effectivement une activité salariée, l’existence d’un droit corrélatif de séjour au profit de l’intéressé (voir, notamment, arrêt du 11 novembre 2004, Cetinkaya, C‑467/02, Rec. p. I‑10895, point 31).

48      L’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 vise la situation d’un ressortissant turc qui, en sa qualité de membre de la famille d’un travailleur turc appartenant ou ayant appartenu au marché régulier de l’emploi de l’État membre d’accueil, soit a été autorisé à y rejoindre ledit travailleur au titre du regroupement familial, soit est né et a toujours résidé dans cet État (voir, notamment, arrêt Aydinli, précité, point 22).

49      À cet égard, il importe de rappeler, en premier lieu, que la Cour a déjà jugé que l’applicabilité de ladite disposition à ce type de situations est indépendante de la circonstance que, à la date des faits ayant donné lieu au litige, l’intéressé est majeur et n’habite plus en communauté domestique avec sa famille, mais mène une existence indépendante du travailleur dans l’État membre concerné (voir, notamment, arrêts précités Aydinli, point 22, ainsi que, par analogie, Torun, points 27 et 28).

50      Un tel ressortissant turc ne saurait dès lors perdre un droit acquis sur le fondement de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 en raison de la survenance de circonstances du type de celles visées au point précédent. En effet, le droit des membres de la famille d’un travailleur turc d’accéder, après un certain temps, à un emploi dans l’État membre d’accueil vise précisément à consolider leur position dans cet État en leur offrant la possibilité de devenir autonomes (voir arrêt Aydinli, précité, point 23).

51      Au surplus, si l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision nº 1/80 exige, en principe, que le membre de la famille d’un travailleur turc mène effectivement avec ce dernier une vie commune pendant la période de trois ans durant laquelle l’intéressé ne remplit pas lui-même les conditions pour accéder au marché du travail dans l’État membre d’accueil (voir arrêts du 17 avril 1997, Kadiman, C‑351/95, Rec. p. I‑2133, points 33, 37, 40, 41 et 44; du 16 mars 2000, Ergat, C‑329/97, Rec. p. I-1487, points 36 et 37; du 22 juin 2000, Eyüp, C‑65/98, Rec. p. I-4747, points 28 et 29, ainsi que Cetinkaya, précité, point 30), il n’en reste pas moins que les États membres ne sont plus en droit d’assortir de conditions le séjour d’un membre de la famille d’un travailleur turc au-delà de cette période de trois ans et, à plus forte raison, il doit en être ainsi pour un migrant turc qui remplit les conditions énoncées audit article 7, premier alinéa, second tiret (voir arrêts précités Ergat, points 37 à 39; Cetinkaya, point 30, et Aydinli, point 24).

52      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 30 et 31 ainsi que 120 à 123 de ses conclusions, la Cour a plus particulièrement jugé à cet égard, s’agissant des membres de la famille d’un travailleur turc visés à l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80, qui, comme M. Derin, bénéficient, après cinq années de résidence régulière, du droit de libre accès à l’emploi dans l’État membre d’accueil conformément au second tiret de cette disposition, que non seulement l’effet direct attaché à celle-ci a pour conséquence que les intéressés tirent un droit individuel en matière d’emploi directement de la décision nº 1/80, mais, en outre, l’effet utile de ce droit implique nécessairement l’existence d’un droit corrélatif de séjour qui est indépendant du maintien des conditions d’accès à ces droits (voir, notamment, arrêts précités Ergat, point 40; Cetinkaya, point 31, et Aydinli, point 25).

53      En conséquence, la circonstance que la condition d’ouverture du droit en cause, en l’occurrence la vie commune avec le travailleur turc pendant une certaine durée, disparaît après que le membre de la famille de ce travailleur a acquis le droit dont il s’agit n’est pas susceptible de remettre en cause le bénéfice de ce dernier (voir arrêt Aydinli, précité, point 26). Une interprétation différente dudit article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 ne serait pas conforme à l’économie et à l’objectif de celle-ci, qui vise à favoriser l’intégration graduelle dans l’État membre d’accueil des ressortissants turcs remplissant les conditions prévues à l’une des dispositions de cette décision et qui, partant, bénéficient des droits que celle-ci leur confère (voir, notamment, arrêt du 8 mai 2003, Wählergruppe Gemeinsam, C-171/01, Rec. p. I‑4301, point 79).

54      En second lieu, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que les limites aux droits que l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80 reconnaît aux membres de la famille de travailleurs turcs qui remplissent les conditions énoncées audit alinéa ne peuvent être que de deux ordres, à savoir soit le fait que la présence du migrant turc sur le territoire de l’État membre d’accueil constitue, en raison de son comportement personnel, un danger réel et grave pour l’ordre public, la sécurité ou la santé publiques, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la même décision, soit la circonstance que l’intéressé a quitté le territoire de cet État pendant une période significative et sans motifs légitimes (voir arrêts précités Ergat, points 45, 46 et 48; Cetinkaya, points 36 et 38; Aydinli, point 27, et Torun, point 21).

55      Étant donné que la décision nº 1/80 opère une distinction nette entre la situation des travailleurs turcs ayant exercé dans l’État membre d’accueil un emploi régulier pendant une période déterminée (article 6 de cette décision) et celle des membres de la famille de ces travailleurs légalement présents sur le territoire de l’État membre concerné (article 7 de la même décision) et que, dans le système de ladite décision, ce dernier article constitue une lex specialis par rapport aux droits graduellement plus étendus en fonction de la durée d’exercice d’une activité salariée régulière, énoncés aux trois tirets du paragraphe 1 dudit article 6 (voir arrêts du 21 octobre 2003, Abatay e.a., C-317/01 et C‑369/01, Rec. p. I-12301, point 78; Aydinli, précité, point 19, et Torun, précité, point 17), les droits conférés par l’article 7 de la décision nº 1/80 ne sauraient être limités dans les mêmes circonstances que ceux accordés par l’article 6 de celle-ci (voir arrêts précités Aydinli, point 31, et Torun, point 26).

56      Plus particulièrement, le ressortissant turc auquel des droits ont été reconnus au titre dudit article 7 ne saurait être déchu de ceux-ci en raison du défaut d’exercice d’un emploi dû à une condamnation à une peine d’emprisonnement, même de plusieurs années et prononcée sans sursis, ni en raison du fait qu’il n’a à aucun moment acquis des droits en matière d’emploi et de séjour en application de l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 (voir, en ce sens, arrêts précités Aydinli, point 28, et Torun, point 26). En effet, à la différence des travailleurs turcs auxquels s’applique cette dernière disposition, le statut des membres de leur famille visés à l’article 7 de la même décision ne dépend pas de l’exercice d’une activité salariée.

57      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a dès lors lieu de conclure qu’il résulte du système ainsi que de la finalité de la décision nº 1/80 qu’un ressortissant turc dans une situation telle que celle du requérant au principal, qui bénéficie du droit de libre accès à toute activité salariée de son choix au titre de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de cette décision, ne perd le droit au séjour qui est le corollaire dudit droit de libre accès que dans deux hypothèses, à savoir dans les cas prévus à l’article 14, paragraphe 1, de la même décision ou lorsqu’il quitte le territoire de l’État membre d’accueil pour une période significative et sans motifs légitimes. En revanche, un tel ressortissant turc ne perd ce droit au séjour ni du fait d’une absence prolongée du marché de l’emploi due à une incarcération, même pendant plusieurs années et sans le bénéfice du sursis, ni en raison de la circonstance que, à la date de la décision d’expulsion, il était âgé de plus de 21 ans, ne résidait plus avec le travailleur turc dont il tire son droit de séjour et n’était plus à la charge de celui-ci, mais menait une existence indépendante de ce travailleur (voir arrêts précités Aydinli, point 32, et, par analogie, Torun, point 29).

58      La juridiction de renvoi s’interroge cependant sur le point de savoir si l’interprétation énoncée au point précédent est compatible avec l’article 59 du protocole additionnel.

59      N’étant pas convaincue du caractère exhaustif des causes de déchéance des droits conférés au titre de l’article 7 de la décision nº 1/80 résultant d’une telle interprétation, ladite juridiction suggère en effet que, outre les conditions posées par la jurisprudence mentionnée au point 57 du présent arrêt aux fins du maintien des droits acquis, l’enfant d’un travailleur turc devrait également répondre aux critères prévus par le droit communautaire dérivé et, en particulier, les articles 10, paragraphe 1, et 11 du règlement nº 1612/68 qui couvrent les seuls enfants âgés de moins de 21 ans ou à la charge du travailleur.

60      En conséquence, l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80 doit, selon la juridiction de renvoi, être interprété en ce sens qu’un ressortissant turc, qui a été autorisé à entrer, avant l’âge de 21 ans, sur le territoire de l’État membre d’accueil au titre du regroupement familial avec ses parents occupés dans cet État, perd le droit à l’emploi ainsi que le droit de séjour dans ce dernier qui en est le corollaire lorsqu’il atteint l’âge de 21 ans ou qu’il n’est plus à la charge de sa famille.

61      Une interprétation différente de ladite disposition aurait pour conséquence que le membre de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre se trouverait dans une situation plus favorable que le descendant d’un travailleur communautaire.

62      À cet égard, force est, tout d’abord, de constater que, conformément à l’article 10, paragraphe 1, du règlement nº 1612/68, les enfants âgés de moins de 21 ans ou à la charge d’un travailleur ressortissant d’un État membre employé sur le territoire d’un autre État membre bénéficient du droit inconditionnel de s’installer avec ce travailleur migrant communautaire.

63      En revanche, l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80 soumet expressément le regroupement familial à l’autorisation de rejoindre le travailleur migrant turc accordée conformément aux prescriptions de la réglementation de l’État membre d’accueil (voir arrêt du 30 septembre 2004, Ayaz, C‑275/02, Rec. p. I-8765, points 34 et 35).

64      Dès lors, dans le cadre de l’association CEE-Turquie − hormis l’hypothèse particulière où le ressortissant turc est né et a toujours résidé dans l’État membre d’accueil − le regroupement familial ne constitue pas un droit pour les membres de la famille du travailleur migrant turc, mais dépend au contraire d’une décision des autorités nationales prise en application du seul droit de l’État membre concerné, sous réserve de l’exigence du respect des droits fondamentaux tels qu’énoncés, notamment, à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (voir, par analogie, arrêt du 17 septembre 2002, Baumbast et R, C-413/99, Rec. p. I-7091, point 72).

65      Ensuite, en application de l’article 11 du règlement nº 1612/68, les enfants qui ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un État membre employé sur le territoire d’un autre État membre bénéficient, de ce seul fait, du droit d’accéder à toute activité salariée dans l’État membre d’accueil, tandis que le droit des enfants d’un travailleur migrant turc d’exercer un emploi est réglementé de manière précise à l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80, disposition qui prévoit à cet égard différentes conditions variant en fonction de la durée de la résidence régulière avec ce travailleur migrant dont ils tirent des droits. Ainsi, pendant les trois premières années de résidence, aucun droit de cette nature n’est accordé aux ressortissants turcs, alors que, après trois ans de résidence régulière avec leur famille, ils ont le droit de répondre à une offre d’emploi, sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres. Ce n’est qu’après cinq ans de résidence régulière qu’ils bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix.

66      Enfin, la Cour a itérativement jugé que, à la différence des travailleurs des États membres, les ressortissants turcs ne bénéficient pas de la libre circulation à l’intérieur de la Communauté, mais ne peuvent se prévaloir que de certains droits sur le territoire du seul État membre d’accueil (voir en ce sens, notamment, arrêts du 23 janvier 1997, Tetik, C-171/95, Rec. p. I-329, point 29; du 11 mai 2000, Savas, C-37/98, Rec. p. I-2927, point 59, et Wählergruppe Gemeinsam, précité, point 89).

67      Au surplus, la jurisprudence de la Cour relative aux conditions dans lesquelles les droits tirés de l’article 7 de la décision nº 1/80 peuvent être restreints énonce, en sus de l’exception tirée de l’ordre public, de la sécurité et de la santé publiques, laquelle est applicable de la même manière aux ressortissants turcs et aux ressortissants communautaires (voir, notamment, arrêt du 10 février 2000, Nazli, C‑340/97, Rec. p. I‑957, points 55, 56 et 63), une seconde cause de déchéance desdits droits affectant uniquement les migrants turcs, à savoir le fait pour ceux-ci de quitter l’État membre d’accueil pendant une période significative et sans motifs légitimes (voir points 54 et 57 du présent arrêt). Dans un tel cas de figure, les autorités de l’État membre concerné sont en droit d’exiger que, dans l’hypothèse où l’intéressé souhaite ultérieurement se réinstaller dans ledit État, il présente une nouvelle demande aux fins d’être autorisé soit à rejoindre le travailleur turc s’il dépend toujours de ce dernier, soit à être admis en vue d’y exercer un emploi sur le fondement de l’article 6 de la même décision (voir arrêt Ergat, précité, point 49).

68      Dans ces conditions, la situation de l’enfant d’un travailleur migrant turc ne peut pas être utilement comparée à celle d’un descendant d’un ressortissant d’un État membre, eu égard aux différences sensibles existant entre leur situation juridique respective, le caractère plus favorable de celle dont bénéficie ce dernier résultant du reste du libellé même de la réglementation applicable.

69      Partant, contrairement à l’interprétation préconisée par la juridiction de renvoi, il ne saurait être valablement soutenu que, du fait de la limitation des causes de la perte de son droit de séjour telle qu’elle résulte de la jurisprudence de la Cour (voir points 54 et 57 du présent arrêt), un membre de la famille d’un travailleur migrant turc qui a été autorisé à rejoindre ce dernier dans un État membre se trouverait dans une situation plus favorable que celle réservée à un membre de la famille d’un ressortissant d’un État membre, de telle sorte que la règle énoncée à l’article 59 du protocole additionnel serait méconnue.

70      Par ailleurs, l’interprétation suggérée par la juridiction de renvoi ne prend pas en considération la circonstance que les articles 7 de la décision nº 1/80 et 10 du règlement nº 1612/68 sont rédigés de manière différente.

71      Au surplus, une telle interprétation aurait inéluctablement pour effet de rendre le statut juridique des enfants de travailleurs migrants turcs plus précaire au fur et à mesure de leur intégration dans l’État membre d’accueil, alors que l’article 7 de la décision nº 1/80 poursuit au contraire l’objectif d’une consolidation progressive de la situation des membres de la famille de ces travailleurs dans l’État membre concerné en leur permettant, après un certain temps, d’y mener une existence indépendante.

72      En outre, ainsi qu’il ressort des motifs de la décision de renvoi, l’interprétation de ladite juridiction, telle qu’énoncée au point 60 du présent arrêt, est fondée essentiellement sur les considérations figurant au point 52 des conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ayaz, précité, alors que des considérations de cette nature ne sont pas reprises dans la motivation dudit arrêt.

73      La juridiction de renvoi ayant expressément reformulé sa première question à la suite du prononcé de l’arrêt Aydinli, précité, dans le but d’amener la Cour à réexaminer la pertinence de celui-ci, il convient encore de relever que, d’une part, l’interprétation donnée dans ledit arrêt de la portée de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80 ne fait que confirmer celle déjà consacrée au sujet de la même disposition dans la jurisprudence antérieure de la Cour (arrêts précités Ergat et Cetinkaya). D’autre part, cette même interprétation a été étendue par la Cour, sur le fondement de motifs identiques, à l’article 7, second alinéa, ladite décision (arrêt Torun, précité). Par ailleurs, il n’est invoqué aucun élément de nature à distinguer de manière significative la situation factuelle et juridique de l’affaire au principal de celles des affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Ergat, Cetinkaya, Aydinli et Torun, de sorte qu’il n’existe en l’occurrence aucun motif valable justifiant que la Cour reconsidère sa jurisprudence sur ce point.

74      Enfin, s’agissant d’une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un ressortissant turc a fait l’objet d’une décision d’expulsion prise par les autorités compétentes de l’État membre d’accueil après y avoir été condamné pour diverses infractions à la législation nationale, il convient de préciser que c’est l’article 14, paragraphe 1, de la décision nº 1/80 qui fournit le cadre juridique approprié habilitant les États membres à prendre les mesures qui s’imposent, étant toutefois entendu que lesdites autorités sont tenues de procéder à une appréciation du comportement personnel de l’auteur d’une infraction ainsi que du caractère actuel, réel et suffisamment grave du danger qu’il représente pour l’ordre et la sécurité publics et que, en outre, elles doivent respecter le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts Nazli, précité, points 57 à 61, et, par analogie, du 26 novembre 2002, Oteiza Olazabal, C-100/01, Rec. p. I-10981, points 39, 43 et 44). Plus particulièrement, une mesure d’expulsion fondée sur l’article 14, paragraphe 1, de ladite décision ne peut être décidée que si le comportement individuel de l’intéressé révélait un risque concret de nouvelles perturbations graves de l’ordre public. Une telle mesure ne saurait donc être ordonnée automatiquement à la suite d’une condamnation pénale et dans un but de prévention générale (voir arrêt du 7 juillet 2005, Dogan, C-383/03, Rec. p. I-6237, point 24).

75      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question posée qu’un ressortissant turc, autorisé à entrer lorsqu’il était enfant sur le territoire d’un État membre dans le cadre du regroupement familial et qui a acquis le droit de libre accès à toute activité salariée de son choix au titre de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80, ne perd le droit de séjour dans l’État membre d’accueil qui est le corollaire dudit droit de libre accès que dans deux hypothèses, à savoir

–        dans les cas prévus à l’article 14, paragraphe 1, de cette décision ou

–        lorsqu’il quitte le territoire de l’État membre concerné pour une période significative et sans motifs légitimes,

alors même qu’il est âgé de plus de 21 ans, qu’il n’est plus à la charge de ses parents, mais mène une existence autonome dans l’État membre concerné, et qu’il n’était pas à la disposition du marché de l’emploi durant plusieurs années en raison de l’accomplissement d’une peine d’emprisonnement d’une telle durée prononcée à son encontre et non assortie du sursis.

Dans une situation telle que celle du requérant au principal, l’interprétation qui précède n’est pas incompatible avec les exigences de l’article 59 du protocole additionnel.

 Sur la seconde question

76      Eu égard à la réponse apportée à la première question posée par la juridiction de renvoi, il n’y a pas lieu de statuer sur la seconde question préjudicielle.

 Sur les dépens

77      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Un ressortissant turc, autorisé à entrer lorsqu’il était enfant sur le territoire d’un État membre dans le cadre du regroupement familial et qui a acquis le droit de libre accès à toute activité salariée de son choix au titre de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, adoptée par le conseil d’association institué par l’accord d’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, ne perd le droit de séjour dans l’État membre d’accueil qui est le corollaire dudit droit de libre accès que dans deux hypothèses, à savoir

–        dans les cas prévus à l’article 14, paragraphe 1, de cette décision ou

–        lorsqu’il quitte le territoire de l’État membre concerné pour une période significative et sans motifs légitimes,

alors même qu’il est âgé de plus de 21 ans, qu’il n’est plus à la charge de ses parents, mais mène une existence autonome dans l’État membre concerné, et qu’il n’était pas à la disposition du marché de l’emploi durant plusieurs années en raison de l’accomplissement d’une peine d’emprisonnement d’une telle durée prononcée à son encontre et non assortie du sursis.

Dans une situation telle que celle du requérant au principal, l’interprétation qui précède n’est pas incompatible avec les exigences de l’article 59 du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) nº 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972.

Signatures


* Langue de procédure: l'allemand.