Language of document : ECLI:EU:C:2020:731

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

17 septembre 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Biens d’investissement immobiliers –Déduction de la taxe payée en amont – Régularisation de la déduction initialement opérée – Régularisation en une seule fois de l’intégralité de cette déduction à la suite de la première utilisation du bien concerné – Période de régularisation »

Dans l’affaire C‑791/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par décision du 14 décembre 2018, parvenue à la Cour le 17 décembre 2018, dans la procédure

Stichting Schoonzicht

contre

Staatssecretaris van Financiën,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz et A. Kumin (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Stichting Schoonzicht, par M. B. G. van Zadelhoff, en qualité de conseil,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. A. M. de Ree, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, initialement par Mmes A. Falk et J. Lundberg ainsi que par Mmes C. Meyer-Seitz, H. Shev et H. Eklinder, puis par ces trois dernières, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. W. Roels et Mme N. Gossement, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 184 à 187 et 189 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1) (ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Stichting Schoonzicht au Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays-Bas), au sujet de la régularisation, en raison de l’utilisation d’une partie d’un complexe immobilier pour une activité exonérée, en une seule fois de l’intégralité de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) initialement acquittée pour la construction de ce complexe immobilier.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Conformément à l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA, les États membres peuvent considérer comme livraison de biens la délivrance de certains travaux immobiliers.

4        L’article 167 de cette directive dispose que le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

5        L’article 168, sous a), de ladite directive dispose :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ».

6        L’article 184 de la même directive prévoit :

« La déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. »

7        Aux termes de l’article 185 de la directive TVA :

« 1.      La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus.

2.       Par dérogation au paragraphe 1, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 16.

En cas d’opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol, les États membres peuvent toutefois exiger la régularisation. »

8        L’article 186 de cette directive prévoit que les États membres déterminent les modalités d’application des articles 184 et 185 de celle-ci.

9        L’article 187 de ladite directive est libellé comme suit :

« 1.      En ce qui concerne les biens d’investissement, la régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué.

Toutefois, les États membres peuvent, lors de la régularisation, se baser sur une période de cinq années entières à compter du début de l’utilisation du bien.

En ce qui concerne les biens d’investissement immobiliers, la durée de la période servant de base au calcul des régularisations peut être prolongée jusqu’à vingt ans.

2.      Chaque année, la régularisation ne porte que sur le cinquième ou, dans le cas où la période de régularisation a été prolongée, sur la fraction correspondante de la TVA dont les biens d’investissement ont été grevés.

La régularisation visée au premier alinéa est effectuée en fonction des modifications du droit à déduction intervenues au cours des années suivantes, par rapport à celui de l’année au cours de laquelle le bien a été acquis, fabriqué ou, le cas échéant, utilisé pour la première fois. »

10      Conformément à l’article 189 de la même directive :

« Pour l’application des articles 187 et 188, les États membres peuvent prendre les mesures suivantes :

a)      définir la notion de biens d’investissement ;

b)      préciser quel est le montant de TVA qui est à prendre en considération pour la régularisation ;

c)      prendre toutes dispositions utiles afin d’éviter que les régularisations ne procurent aucun avantage injustifié ;

d)      autoriser des simplifications administratives. »

 Le droit néerlandais

11      La Wet houdende vervanging van de bestaande omzetbelasting door een omzetbelasting volgens het stelsel van heffing over de toegevoegde waarde (loi portant remplacement de l’impôt existant sur le chiffre d’affaires par un impôt sur le chiffre d’affaires selon le système de taxe sur la valeur ajoutée), du 28 juin 1968 (Stb. 1968, no 329), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative à la TVA »), prévoit à son article 15, paragraphe 4 :

« La déduction de la taxe a lieu conformément à l’affectation des biens et des services à la date où cette taxe est portée au compte de l’entrepreneur ou à la date où ladite taxe est due. S’il apparaît, lorsque l’entrepreneur commence à utiliser ces biens et ces services, qu’il a déduit la même taxe à concurrence d’un montant excessif ou insuffisant par rapport au droit ouvert par l’utilisation concernée, il est redevable à partir de cette date de l’excédent de taxe déduite. La taxe dont il est redevable est acquittée conformément à l’article 14. La taxe qui a donné lieu à une déduction insuffisante lui est restituée à sa demande. »

12      L’Uitvoeringsbeschikking omzetbelasting (décision d’exécution de la loi relative à la TVA), du 12 août 1968 (Stb. 1968, no 423), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « décision d’exécution »), dispose à son article 12, paragraphes 2 et 3 :

« 2.      La régularisation visée à l’article 15, paragraphe 4, de la loi [relative à la TVA] s’effectue sur la base des informations relatives à la période d’imposition au cours de laquelle l’entrepreneur a commencé à utiliser les biens ou les services.

3.      Dans la déclaration relative à la dernière période d’imposition de l’exercice de référence, la régularisation de la déduction a lieu sur la base des informations relatives à l’exercice comptable. »

13      Conformément à l’article 13 de la décision d’exécution :

« l.      Par dérogation à l’article 11, il est, aux fins de la déduction, tenu compte séparément :

a.      des biens immobiliers et des droits portant sur de tels biens ;

b.      des biens meubles que l’entrepreneur amortit au titre de l’impôt sur les revenus ou de l’impôt sur les sociétés, ou qu’il pourrait amortir s’il était soumis à l’un de ces impôts.

2.      En ce qui concerne les biens immobiliers et les droits portant sur de tels biens, il est procédé à la régularisation des déductions opérées lors de chacun des neuf exercices suivant celui où l’entrepreneur a commencé à utiliser le bien concerné. À chaque fois, la régularisation porte sur un dixième de la taxe acquittée en amont, compte tenu des informations relatives à l’exercice de référence, et intervient au moment de la déclaration afférant à la dernière période d’imposition de cet exercice. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      La requérante au principal a fait construire un complexe immobilier composé de sept appartements à usage résidentiel sur un terrain dont elle est propriétaire. Les travaux de construction ont commencé au cours de l’année 2013 et ce complexe a été réceptionné par celle-ci au mois de juillet de l’année suivante.

15      La requérante au principal a directement et intégralement procédé à la déduction de la TVA qui avait été portée à son compte au cours de l’exercice 2013 pour la construction dudit complexe, puisque, à cette époque, le même complexe était destiné à des affectations taxées.

16      À partir du 1er août 2014, la requérante au principal a mis en location quatre des sept appartements du complexe immobilier concerné en exonération de la TVA, alors que les trois autres appartements sont restés inoccupés au cours de l’année 2014.

17      En raison de cette exonération, la requérante au principal a dû opérer une régularisation de la TVA et ainsi dû acquitter, par voie de déclaration, conformément à l’article 15, paragraphe 4, deuxième et troisième phrases, de la loi relative à la TVA, en une seule fois l’intégralité de la partie de cette taxe attribuable à ces quatre appartements pendant la période au cours de laquelle ils avaient été occupés, pour un montant total de 79 587 euros.

18      Toutefois, estimant que l’article 187 de la directive TVA s’opposait à l’article 15, paragraphe 4, de la loi relative à la TVA en ce que ce dernier prévoit que, lors du début de l’utilisation d’un bien d’investissement, l’intégralité de la déduction initialement opérée doit être régularisée, la requérante au principal a introduit une réclamation contre la régularisation qu’elle a ainsi dû effectuer.

19      Cette réclamation ayant été rejetée, la requérante au principal a saisi le rechtbank Noord-Holland (tribunal de la province de Hollande du Nord, Pays-Bas) d’un recours contre la décision portant rejet de ladite réclamation, lequel a également été rejeté comme étant non fondé. Elle a, par conséquent, interjeté appel du jugement de cette juridiction devant le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam, Pays-Bas).

20      Le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) ayant rejeté l’appel interjeté par la requérante au principal par l’arrêt du 11 janvier 2017, cette dernière a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, devant la juridiction de renvoi, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), en réitérant l’argumentation selon laquelle une régularisation en une seule fois, à la suite de la première utilisation des biens d’investissement, de la déduction initialement opérée est contraire à l’article 187 de la directive TVA et que la régularisation à laquelle elle avait été soumise aurait ainsi dû être étalée sur plusieurs années.

21      Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les articles 184 à 187 de la directive [TVA] s’opposent-ils à un régime national de régularisation relatif aux biens d’investissement prévoyant une régularisation étalée sur plusieurs années, dans lequel, au cours de l’année pendant laquelle le bien est utilisé pour la première fois (qui correspond également à la première année de régularisation), l’intégralité de la déduction initialement opérée pour ce bien d’investissement fait l’objet d’un ajustement (une régularisation) en une seule fois, lorsque, lors de la première utilisation dudit bien, il apparaît que cette déduction initialement opérée ne correspond pas à la déduction que l’assujetti est en droit d’opérer sur la base de l’utilisation effective du bien d’investissement ?

Si la [première question] appelle une réponse affirmative :

2)      L’article 189, sous b) ou c), de la directive [TVA] doit-il être interprété en ce sens que l’ajustement en une seule fois au cours de la première année de la période de régularisation de la déduction initialement opérée, qui est visé à la [première question], constitue une mesure pouvant être adoptée par [le Royaume des] Pays-Bas aux fins de l’application de l’article 187 de la directive [TVA] ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

22      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 184 à 187 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui comporte un régime de régularisation applicable aux biens d’investissement prévoyant un étalement de la régularisation sur plusieurs années, en vertu duquel, au cours de l’année de la première utilisation du bien concerné, correspondant également à la première année de régularisation, l’intégralité de la déduction initialement opérée pour ce bien fait l’objet d’une régularisation en une seule fois, lorsque, lors de cette première utilisation, il apparaît que cette déduction ne correspond pas à celle que l’assujetti était en droit d’opérer sur la base de l’utilisation effective dudit bien.

23      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon la logique du système mis en place par la directive TVA, les taxes ayant grevé en amont les biens ou les services utilisés par un assujetti aux fins de ses opérations taxées peuvent être déduites. La déduction des taxes en amont est liée à la perception des taxes en aval. Lorsque des biens ou des services acquis par un assujetti sont utilisés pour les besoins d’opérations exonérées ou ne relevant pas du champ d’application de la TVA, il ne saurait y avoir ni perception de taxe en aval ni déduction de la taxe en amont (arrêts du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C‑184/04, EU:C:2006:214, point 24, et du 28 février 2018, Imofloresmira – Investimentos Imobiliários, C‑672/16, EU:C:2018:134, point 30).

24      Il ressort du libellé de l’article 168 de la directive TVA que, afin qu’un intéressé puisse accéder au droit à déduction, il faut, d’une part, qu’il soit un « assujetti », au sens de cette directive, et, d’autre part, que les biens et les services en question soient utilisés pour les besoins de ses opérations taxées (arrêts du 15 décembre 2005, Centralan Property, C‑63/04, EU:C:2005:773, point 52, et du 28 février 2018, Imofloresmira – Investimentos Imobiliários, C‑672/16, EU:C:2018:134, point 33).

25      L’utilisation qui est faite des biens ou des services, ou qui est envisagée pour ceux-ci, détermine l’étendue de la déduction initiale à laquelle l’assujetti a droit et l’étendue des éventuelles régularisations au cours des périodes suivantes (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 2005, Centralan Property, C‑63/04, EU:C:2005:773, point 54, et jurisprudence citée, ainsi que du 18 octobre 2012, TETS Haskovo, C‑234/11, EU:C:2012:644, point 29).

26      En effet, le mécanisme de régularisation fait partie intégrante du régime de déduction établi par la directive TVA et vise à accroître la précision des déductions de TVA de manière à assurer la neutralité fiscale, laquelle constitue un principe fondamental du système commun de TVA mis en place par le législateur de l’Union en la matière (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2006, Halifax e.a., C‑255/02, EU:C:2006:121, point 92, et jurisprudence citée, ainsi que du 11 avril 2018, SEB bankas, C‑532/16, EU:C:2018:228, point 37). En vertu de ce principe, les opérations effectuées au stade antérieur continuent à donner lieu au droit à déduction dans la seule mesure où elles servent à fournir des prestations soumises à la TVA. La directive TVA a ainsi pour objectif d’établir une relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation des biens ou des services concernés pour des opérations taxées en aval (arrêt du 18 octobre 2012, TETS Haskovo, C‑234/11, EU:C:2012:644, points 30 et 31 ainsi que jurisprudence citée).

27      À cet égard, il convient de relever que les articles 184 et 185 de la directive TVA énoncent de manière générale les conditions dans lesquelles l’administration fiscale nationale doit exiger une régularisation de la TVA initialement déduite, sans prévoir, toutefois, de quelle manière cette régularisation doit être opérée (arrêt du 11 avril 2018, SEB bankas, C‑532/16, EU:C:2018:228, point 26).

28      En revanche, l’article 186 de la directive TVA charge expressément les États membres de définir les conditions de ladite régularisation, en prévoyant que ceux-ci déterminent les modalités d’application des articles 184 et 185 de la directive TVA (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2018, SEB bankas, C‑532/16, EU:C:2018:228, point 27).

29      Ce n’est qu’en ce qui concerne les biens d’investissement que les articles 187 à 192 de la directive TVA prévoient certaines modalités de la régularisation de la déduction de la TVA (arrêt du 11 avril 2018, SEB bankas, C‑532/16, EU:C:2018:228, point 27).

30      S’agissant, en premier lieu, de la naissance de l’obligation de régularisation, il importe de relever que celle-ci est définie à l’article 184 de la directive TVA de la manière la plus large possible, dans la mesure où « [l]a déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer » (arrêt du 11 avril 2018, SEB bankas, C‑532/16, EU:C:2018:228, point 32).

31      Cette formulation n’exclut a priori aucune hypothèse envisageable de déduction indue. La portée générale de l’obligation de régularisation est confortée par l’énumération expresse des exceptions prévues à l’article 185, paragraphe 2, de la directive TVA (arrêt du 11 avril 2018, SEB bankas, C‑532/16, EU:C:2018:228, point 33).

32      En vertu de l’article 185, paragraphe 1, de cette directive une telle régularisation doit notamment être opérée lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant de cette déduction sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA (arrêt du 18 octobre 2012, TETS Haskovo, C‑234/11, EU:C:2012:644, point 32).

33      Ces dispositions constituent le régime applicable à la naissance d’un éventuel droit de l’administration fiscale à exiger d’un assujetti une régularisation de TVA, y compris en ce qui concerne la régularisation de déductions relatives à des biens d’investissement (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2012, TETS Haskovo, C‑234/11, EU:C:2012:644, point 26).

34      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’assujetti a fait construire un complexe immobilier composé de sept appartements et que celui-ci a opéré une déduction de la TVA relative à la construction de ce complexe en raison de l’affectation de ce dernier à des opérations taxées. À la suite de la réception dudit complexe, constituant, aux fins de la perception de la TVA, une livraison de biens, au sens de la réglementation nationale mettant en œuvre la faculté prévue à l’article 14, paragraphe 3, de la directive TVA, l’assujetti a mis en location quatre de ces appartements en exonération de TVA.

35      Dans la mesure où la déduction initiale a été calculée en prenant en considération l’affectation du même complexe à des opérations taxées, la location des quatre appartements en exonération de TVA a entraîné une modification des éléments qui doivent être pris en considération pour la détermination du montant de cette déduction et a conduit à ce que ladite déduction s’avère supérieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer en raison de l’utilisation effective du bien concerné.

36      Par conséquent, une telle situation relève de celles envisagées à l’article 184 et à l’article 185, paragraphe 1, de la directive TVA dans lesquelles l’administration fiscale doit exiger de l’assujetti la régularisation de la déduction de la TVA initialement opérée.

37      Il convient, dès lors, de déterminer, en deuxième lieu, si la régularisation de la déduction initiale à la date de la première utilisation du bien concerné, lorsqu’il apparaît à cette date que cette déduction était supérieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer compte tenu de l’utilisation effective de ce bien, relève des modalités d’application des articles 184 et 185 de la directive TVA que l’État membre est chargé de déterminer en vertu de l’article 186 de cette directive ou bien des modalités prévues à l’article 187 de la directive TVA concernant les biens d’investissement.

38      À cet égard, l’article 187 de la directive TVA, qui est rédigé en des termes qui ne laissent aucun doute sur son caractère obligatoire (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C‑184/04, EU:C:2006:214, point 26, et ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje, C‑500/13, EU:C:2014:1750, point 24), prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa, pour les biens d’investissement, une période de régularisation de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien concerné a été acquis ou fabriqué. L’article 187, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette directive permet cependant aux États membres de se fonder sur une période de régularisation de cinq années entières à compter du début de l’utilisation de ce bien. L’article 187, paragraphe 1, troisième alinéa, prévoit que la période de régularisation peut être prolongée jusqu’à vingt ans en ce qui concerne les biens d’investissement immobiliers.

39      L’article 187, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA dispose que, chaque année, la régularisation ne porte que sur le cinquième ou, dans le cas où la période de régularisation a été prolongée, sur la fraction correspondante de la TVA dont les biens d’investissement ont été grevés. L’article 187, paragraphe 2, second alinéa, de cette directive précise que cette régularisation est effectuée en fonction des modifications du droit à déduction intervenues au cours des années suivantes, par rapport à celui de l’année au cours de laquelle le bien concerné a été acquis, fabriqué ou, le cas échéant, utilisé pour la première fois.

40      Il ressort de l’article 187, paragraphe 1, deuxième et troisième alinéas, de ladite directive que l’État membre concerné peut décider que le point de départ de la période de régularisation, qui peut s’étaler sur 20 ans, lorsqu’il s’agit d’un bien d’investissement immobilier, est la première utilisation du bien d’investissement concerné.

41      Par conséquent, dans l’hypothèse où un État membre a usé de cette faculté, l’article 187, paragraphe 2, de la directive TVA prévoit l’obligation de vérifier, pour chaque année écoulée jusqu’à la fin de la période de régularisation, si des modifications du droit à déduction sont intervenues par rapport au droit à déduction se rapportant à l’année de la première utilisation de ce bien d’investissement et, dans l’affirmative, de procéder à la régularisation qui porte sur la fraction correspondante de la TVA dont ledit bien d’investissement a été grevé.

42      Il s’ensuit que, dans une telle hypothèse, l’élément de référence est constitué par le droit à déduction se rapportant à l’année de la première utilisation du bien d’investissement concerné et que la régularisation fractionnée prévue à l’article 187 de la directive TVA vise les modifications intervenues postérieurement à cette première utilisation, par rapport au droit à déduction se rapportant à l’année de ladite première utilisation.

43      Toutefois, l’article 187 de la directive TVA ne régit pas les modalités de régularisation qu’il convient d’appliquer si, au moment même de la première utilisation, le droit à déduction s’avère supérieur ou inférieur à la déduction initialement opérée.

44      Une telle interprétation est confortée par l’objectif et la finalité de la régularisation prévue aux articles 187 et suivants de la directive TVA.

45      En effet, la période de régularisation et la régularisation fractionnée prévues à l’article 187 de la directive TVA pour les biens d’investissement s’expliquent et se justifient notamment par l’utilisation de ces biens durant une période de plusieurs années au cours de laquelle leur affectation peut varier (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 2005, Centralan Property, C‑63/04, EU:C:2005:773, point 55, et du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C‑184/04, EU:C:2006:214, point 25, ainsi que ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje, C‑500/13, EU:C:2014:1750, point 20).

46      La période de régularisation des déductions prévue à l’article 187 de la directive TVA permet ainsi d’éviter des inexactitudes dans le calcul des déductions et des avantages ou des désavantages injustifiés pour l’assujetti lorsque, notamment, des modifications des éléments initialement pris en considération pour la détermination du montant des déductions interviennent postérieurement à la déclaration ou, le cas échéant, postérieurement à la première utilisation (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C‑184/04, EU:C:2006:214, point 25, et ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje, C‑500/13, EU:C:2014:1750, point 20).

47      Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 47 de ses conclusions, la logique qui gouverne la régularisation qui doit être effectuée lorsque les modifications des éléments initialement pris en considération pour la détermination du montant des déductions surviennent pendant l’utilisation du bien d’investissement concerné est différente de celle qui gouverne la régularisation qui doit être effectuée lorsque la déduction initiale est inférieure ou supérieure à celle à laquelle l’assujetti a droit au moment de la première utilisation de ce bien, compte tenu de l’utilisation effective dudit bien.

48      Par conséquent, l’établissement des modalités relatives à la régularisation de la déduction initiale à la date de la première utilisation du bien d’investissement concerné, lorsqu’il apparaît que, à cette date, ladite déduction était supérieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer compte tenu de l’utilisation effective de ce bien, relève non pas de l’article 187 de la directive TVA, mais bien des modalités d’application des articles 184 et 185 de cette directive  que les États membres sont chargés de définir en vertu de l’article 186 de ladite directive.

49      À cet égard, il convient de rappeler, en troisième lieu, que, dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation lors de l’adoption des modalités d’application des articles 184 et 185 de la directive TVA, les États membres doivent tenir compte de la finalité et de l’économie de cette directive et, en particulier du principe de la neutralité fiscale sur lequel repose le système commun de la TVA (voir, par analogie, arrêts du 13 mars 2008, Securenta, C‑437/06, EU:C:2008:166, points 35 et 36, ainsi que du 25 juillet 2018, Gmina Ryjewo, C‑140/17, EU:C:2018:595, point 58 et jurisprudence citée).

50      Or, il convient de relever, d’une part, qu’une réglementation nationale qui, à l’instar de la réglementation nationale en cause au principal, se fonde sur la date du début de l’utilisation d’un bien d’investissement comme date de référence pour apprécier si la déduction de la TVA initialement opérée correspond à celle que l’assujetti était en droit d’opérer compte tenu de l’utilisation effective de ce bien et qui prévoit que celui-ci est redevable, à cette date, de l’intégralité de l’excédent de taxe déduite si la déduction initiale était supérieure à celle qu’il était en droit d’opérer, est conforme au principe de neutralité fiscale, tel que rappelé au point 26 du présent arrêt, dans la mesure où ce principe impose que les déductions indues soient rectifiées en toute hypothèse (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2018, SEB bankas, C‑532/16, EU:C:2018:228, point 38).

51      D’autre part, cette réglementation nationale ne fait pas obstacle à la régularisation fractionnée des modifications intervenues postérieurement à la première utilisation dudit bien, telle que l’article 187 de la directive TVA la prévoit.

52      En effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, conformément à l’article 13 de la décision d’exécution, après le premier exercice de régularisation, l’entrepreneur doit, à l’issue de chacun des neufs exercices comptables ultérieurs, vérifier, sur la base des informations relatives à cet exercice comptable ultérieur, si des modifications sont intervenues dans l’utilisation du bien d’investissement concerné par rapport au premier exercice de régularisation et que, dans l’affirmative, cette régularisation porte, au cours de chacun de ces neufs exercices comptables, sur un dixième de la TVA afférente à l’acquisition de ce bien d’investissement qui a été portée au compte de cet entrepreneur.

53      En quatrième et dernier lieu, il importe de relever que la conclusion selon laquelle les modalités relatives à la régularisation de la déduction initiale à la date de la première utilisation du bien d’investissement, lorsqu’il apparaît à cette date que cette déduction initiale était supérieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer compte tenu de l’utilisation effective de ce bien, ne relèvent pas de l’article 187 de la directive TVA n’est pas remise en cause par les considérations développées dans l’ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje (C‑500/13, EU:C:2014:1750).

54      Certes, dans cette ordonnance, la Cour a considéré que l’article 187 de la directive TVA s’opposerait à un régime permettant une régularisation des déductions sur une période inférieure à cinq ans et, partant, également à un régime de régularisation unique, tel que celui dont la partie requérante au principal se prévalait dans l’affaire ayant donné lieu à ladite ordonnance (ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje, C‑500/13, EU:C:2014:1750, point 27).

55      Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 61 de ses conclusions, la Cour est parvenue à cette conclusion dans un contexte juridique et factuel différent de celui découlant de l’application de la réglementation nationale en cause au principal. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje (C‑500/13, EU:C:2014:1750), d’une part, le bien d’investissement concerné était affecté, dans un premier temps, à l’exercice d’une activité n’ouvrant pas droit à déduction de la TVA et, dans un second temps, à l’exercice d’une activité y ouvrant droit. D’autre part, la modification de l’affectation de ce bien était intervenue alors que ce dernier était déjà utilisé pour des activités ne donnant pas droit à déduction (ordonnance du 5 juin 2014, Gmina Międzyzdroje, C‑500/13, EU:C:2014:1750, points 12 et 13).

56      Or, tel n’est pas le cas dans l’affaire au principal, dans le cadre de laquelle la modification de l’affectation du bien immobilier concerné est intervenue à l’occasion de la première utilisation de ce bien.

57      En outre, ainsi qu’il découle des points 51 et 52 du présent arrêt, la réglementation en cause au principal ne fait pas obstacle à la régularisation fractionnée des modifications intervenues postérieurement à la première utilisation dudit bien, telle que l’article 187 de la directive TVA la prévoit.

58      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question posée que les articles 184 à 187 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui comporte un régime de régularisation applicable aux biens d’investissement prévoyant un étalement de la régularisation sur plusieurs années, en vertu duquel, au cours de l’année de la première utilisation du bien concerné, correspondant également à la première année de régularisation, l’intégralité de la déduction initialement opérée pour ce bien fait l’objet d’une régularisation en une seule fois, lorsque, lors de cette première utilisation, il apparaît que cette déduction ne correspond pas à celle que l’assujetti était en droit d’opérer sur la base de l’utilisation effective dudit bien.

 Sur la seconde question

59      Eu égard à la réponse apportée à la première question préjudicielle posée, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question posée.

 Sur les dépens

60      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

Les articles 184 à 187 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui comporte un régime de régularisation applicable aux biens d’investissement prévoyant un étalement de la régularisation sur plusieurs années, en vertu duquel, au cours de l’année de la première utilisation du bien concerné, correspondant également à la première année de régularisation, l’intégralité de la déduction initialement opérée pour ce bien fait l’objet d’une régularisation en une seule fois, lorsque, lors de cette première utilisation, il apparaît que cette déduction ne correspond pas à celle que l’assujetti était en droit d’opérer sur la base de l’utilisation effective dudit bien.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.