Language of document : ECLI:EU:T:2021:204

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

21 avril 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale GRILLOUMI – Marque collective de l’Union européenne verbale antérieure HALLOUMI – Motif relatif de refus – Risque de confusion – Atteinte à la renommée – Article 8, paragraphe 1, sous b), et article 8, paragraphe 5, du règlement (CE) no 207/2009 [devenus article 8, paragraphe 1, sous b), et article 8, paragraphe 5, du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑555/19,

Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi, établie à Nicosie (Chypre), représentée par MM. S. Malynicz, QC, S. Baran, barrister, et Mme V. Marsland, solicitor,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Fontana Food AB, établie à Tyresö (Suède), représentée par Mes P. Nihlmark et L. Zacharoff, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 29 mai 2019 (affaire R 1355/2018‑4), relative à une procédure d’opposition entre Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi et Fontana Food,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, M. F. Schalin (rapporteur) et Mme P. Škvařilová-Pelzl, juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 9 août 2019,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 18 octobre 2019,

vu la décision du 23 octobre 2019 de suspendre la procédure,

vu la question écrite du Tribunal aux parties et leurs réponses à cette question déposées au greffe du Tribunal les 25, 27 et 30 mars 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 25 mai 2020,

vu la modification de la composition des chambres du Tribunal,

à la suite de l’audience du 20 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 25 octobre 2016, l’intervenante, Fontana Food AB, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal GRILLOUMI.

3        Les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Services de restauration (alimentation) ; services de coffee-shop ; services de restauration (alimentation) ».

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 207/2016, du 2 novembre 2016.

5        Le 2 février 2017, la requérante, Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement de la marque demandée pour les services visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur la marque collective de l’Union européenne verbale antérieure HALLOUMI, enregistrée le 14 juillet 2000 sous le numéro 1082965, désignant les produits relevant de la classe 29 et correspondant à la description suivante : « Fromages ».

7        Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 1, sous b), et à l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 [devenus article 8, paragraphe 1, sous b), et article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001].

8        Le 15 mai 2018, la division d’opposition a rejeté l’opposition et condamné la requérante aux dépens.

9        Le 13 juillet 2018, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 29 mai 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours et condamné la requérante à supporter les frais exposés aux fins des procédures d’opposition et de recours.

11      Premièrement, s’agissant de l’évaluation du risque de confusion en vertu de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, la chambre de recours a estimé que les produits et les services couverts par les marques en conflit étaient différents, de sorte que l’opposition n’était pas fondée au regard de cette disposition. En particulier, elle a estimé que, si les services couverts par la marque demandée pouvaient sans doute être considérés comme similaires à des produits alimentaires au motif d’un lien de complémentarité, l’existence d’un tel lien n’avait toutefois pas été démontrée en ce qui concernait les fromages.

12      Deuxièmement, s’agissant de l’évaluation du risque d’un profit indu tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou d’un préjudice porté à ceux-ci en vertu de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, la chambre de recours a estimé que les preuves produites par la requérante étaient insuffisantes pour démontrer le caractère distinctif accru et, a fortiori, la renommée de la marque antérieure en tant que marque collective présentant un caractère distinctif pour désigner des fromages, que ce soit à Chypre ou dans tout autre État membre de l’Union européenne. En outre, la requérante n’aurait pas démontré, ne serait-ce qu’à première vue, l’existence d’un risque futur et non hypothétique de profit indu tiré de la renommée ou du caractère distinctif de la marque antérieure ni d’un préjudice porté à sa renommée ou à son caractère distinctif.

 Conclusions des parties

13      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

14      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

15      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 25 octobre 2016, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2014, Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 12, et du 18 juin 2020, Primart/EUIPO, C‑702/18 P, EU:C:2020:489, point 2 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le présent litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

16      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties à l’instance dans leurs écritures soit à l’article 8, paragraphe 1, sous b), soit à l’article 8, paragraphe 5, soit à l’article 74, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 comme visant soit l’article 8, paragraphe 1, sous b), soit l’article 8, paragraphe 5, soit l’article 66, paragraphe 2, du règlement no 207/2009.

17      Au soutien du recours, la requérante invoque en substance deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 et, le second, de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du même règlement.

18      Le premier moyen, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, se décompose, en substance, en trois branches.

19      Premièrement, la requérante invoque une erreur d’appréciation de la chambre de recours en ce qu’elle a considéré que les services couverts par la marque demandée et les fromages couverts par la marque antérieure n’étaient pas similaires, alors qu’il existerait entre eux un lien de complémentarité. Le raisonnement de la chambre de recours serait erroné au regard de quatre éléments.

20      Tout d’abord, elle aurait appliqué à tort un critère tenant au caractère mutuellement indispensable des services et des produits en cause dans le cadre de la recherche d’un lien de complémentarité entre ces derniers, alors qu’il aurait suffi de constater qu’ils pouvaient être utilisés ou proposés ensemble. Ensuite, elle aurait négligé la jurisprudence du Tribunal selon laquelle, concernant les denrées alimentaires, y compris le lait et les produits laitiers, les services de restauration utiliseraient nécessairement de tels produits, de sorte qu’il existerait un lien de complémentarité entre ces services et ces produits. Par ailleurs, elle aurait fait une application erronée de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 février 2011, Yorma’s/OHMI – Norma Lebensmittelfilialbetrieb (YORMA’S) (T‑213/09, non publié, EU:T:2011:37), en ce qui concernait le critère de complémentarité. Enfin, elle se serait fondée sur la considération erronée et non étayée selon laquelle il n’existait pas de restaurants de fromage. La chambre de recours aurait dès lors commis une erreur de droit, puisque, à partir du constat erroné de l’absence de similitude des services et des produits en cause, elle aurait estimé qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une appréciation globale du risque de confusion. Dans l’arrêt du 5 mars 2020, Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi/EUIPO (C‑766/18 P, EU:C:2020:170), la Cour aurait d’ailleurs confirmé la nécessité de procéder, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, à une appréciation globale du risque de confusion, laquelle aurait dû aboutir à la constatation de l’existence d’un risque de confusion, compte tenu du degré de similitude des produits et des services en cause, qui serait élevé.

21      Deuxièmement, la chambre de recours aurait également commis une erreur en ce que, pour évaluer le caractère distinctif de la marque collective antérieure, elle se serait référée à la jurisprudence du Tribunal relative à des demandes de marque individuelle de l’Union européenne. Or, les marques collectives de l’Union européenne constitueraient une catégorie distincte et qui remplirait des fonctions différentes de celles des marques individuelles. En se limitant à mentionner cette jurisprudence et en s’abstenant de fournir une motivation spécifique, la chambre de recours aurait également manqué à son obligation de motivation.

22      Troisièmement, la chambre de recours, en se fondant à tort sur le régime des marques individuelles, aurait estimé que la marque collective antérieure était descriptive et se limitait à décrire une « spécialité fromagère de Chypre », lui déniant ainsi tout caractère distinctif. Dans ces conditions, la chambre de recours aurait fait échec à l’application du régime des marques collectives tel qu’il résulterait du règlement no 207/2009, et plus particulièrement de l’article 66, paragraphe 2, dudit règlement, en vertu duquel une marque collective pourrait valablement désigner une provenance géographique. Or, selon la requérante, si cet aspect de cette disposition ne s’applique pas directement à la marque antérieure, puisque le terme « halloumi » n’est pas le nom d’un lieu, ledit terme indiquerait néanmoins une origine géographique, dès lors que la marque antérieure se rapporte au fromage de Chypre produit par des fabricants membres de la requérante. L’approche de la chambre de recours reviendrait en définitive à priver d’effet toutes les marques collectives, puisque, alors qu’il est permis de les enregistrer, l’EUIPO leur dénierait ensuite tout caractère distinctif et les priverait de caractère opposable. Au surplus, la chambre de recours aurait analysé erronément les éléments de preuve comportant la marque HALLOUMI suivie de la description du type de produits couvert par celle-ci. En effet, ils démontreraient précisément que le terme « halloumi » n’est pas descriptif, puisque la description à laquelle ledit terme est associé aurait été inutile si ce terme était lui-même descriptif des produits en cause.

23      L’EUIPO fait valoir en réponse que la complémentarité tenant au fait que les produits et les services en cause peuvent être utilisés ensemble n’est pas déterminante en elle-même pour établir une similitude. En effet, seul un lien de complémentarité suffisamment prononcé amènerait les consommateurs à penser à une origine commerciale commune.

24      À cet égard, le simple fait que des denrées alimentaires soient consommées dans un restaurant ne constituerait pas un motif suffisant pour conclure à l’existence d’une similitude entre les produits et les services en cause. En ce qui concerne plus particulièrement les denrées alimentaires non transformées telles que les fromages, il serait peu probable que le public pense qu’elles sont produites par des entreprises spécialisées dans les services de restauration et de confection de plats préparés, voire qu’elles proviennent de restaurants exploités par des producteurs de fromage, même s’il existe des restaurants spécialisés dans les plats à base de fromage. Une telle situation ne serait envisageable que pour d’autres produits que les fromages, dont les consommateurs pourraient légitimement penser qu’ils sont issus de l’entreprise qui les distribue, comme du café dans un coffee-shop, de la crème glacée chez un glacier, de la bière dans un pub ou des plats préparés dans des restaurants proposant des plats à emporter.

25      Si, comme le fait valoir la requérante, dans l’arrêt du 15 février 2011, YORMA’S (T‑213/09, non publié, EU:T:2011:37), le Tribunal a pu estimer qu’une vaste gamme de produits alimentaires, dont les fromages, présentait une similitude avec des services de « restaurant, brasserie et café » compris dans la classe 43, en se fondant sur le fait que ces services « utilis[ai]ent nécessairement » ces denrées alimentaires et que ces dernières « p[ouvai]ent être proposées à la vente dans les lieux de restauration », il se serait toutefois agi d’une considération excessive ne correspondant pas à la réalité. En effet, dans l’hypothèse où les consommateurs achèteraient dans ces lieux un service de restauration pouvant inclure ces produits, ils ignoreraient le plus souvent sous quelle marque lesdits produits sont vendus et ils ne se rendraient pas dans ces établissements pour y acheter des produits tels que de la viande crue, une douzaine d’œufs ou une meule de fromage.

26      En outre, l’arrêt susmentionné ne prendrait pas en considération la question de la perception par le consommateur de l’origine commune des services et des produits concernés, alors que  ce critère serait déterminant eu égard aux faits de l’espèce. Cela ne signifierait pas que des marques désignant des fromages ne bénéficieraient d’aucune protection contre des demandes d’enregistrement de marques désignant des services de restauration, mais le titulaire de ces marques devrait se fonder sur d’autres motifs d’opposition, d’annulation ou de violation, comme ceux découlant des dispositions de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009.

27      L’appréciation de la chambre de recours relative à l’absence de similitude des produits et des services en cause serait donc correcte, de sorte que la première branche du premier moyen devrait être rejetée ainsi que ce moyen dans son ensemble, les autres branches au soutien de celui-ci devant être considérées comme inopérantes.

28      L’intervenante expose quant à elle tout d’abord que, pour conclure à la complémentarité de produits et de services, la condition tenant à l’existence d’un lien étroit entre ces produits et ces services doit être remplie. Or, la chambre de recours aurait en l’espèce fait une application correcte de ce critère. L’arrêt du 10 septembre 2008, Boston Scientific/OHMI – Terumo (CAPIO) (T‑325/06, non publié, EU:T:2008:338), auquel se réfère la requérante, viendrait d’ailleurs conforter cette analyse en retenant la nécessité d’un lien étroit entre des produits complémentaires, et pas seulement la possibilité d’un lien ou l’existence d’un lien fortuit, comme le simple fait que les denrées alimentaires seraient nécessaires à la préparation de nourriture ou aux services de restauration. En outre, à supposer que le Tribunal ait déjà jugé que le lait et les produits laitiers, d’une part, et les services de restauration, d’autre part, étaient complémentaires, une telle appréciation ne serait pas transposable au cas d’espèce, où la catégorie de produits en cause serait plus étroite.

29      L’intervenante fait ensuite valoir que, s’agissant de la jurisprudence du Tribunal, ce dernier a déjà considéré à plusieurs reprises que le caractère distinctif intrinsèque de la marque HALLOUMI était faible en raison de son caractère descriptif et qu’une marque descriptive n’avait pas de caractère distinctif, qu’elle fût individuelle ou collective. En outre, à défaut d’emplacement géographique appelé Halloumi, l’exception relative à l’article 66, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 serait inapplicable en l’espèce.

30      L’intervenante fait enfin valoir le caractère non pertinent de l’argument de la requérante selon lequel, si le terme « halloumi » avait été un emplacement géographique et que son enregistrement en tant que marque collective de l’Union européenne eût été accepté sur le fondement de l’exception en faveur des indications géographiques visées à l’article 66, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, le raisonnement adopté par la chambre de recours aurait eu pour conséquence que ladite marque se serait vu dénier tout caractère opposable compte tenu de son caractère distinctif faible. En effet, le caractère distinctif de toute marque antérieure devrait être apprécié dans le cadre de toute opposition et il n’existerait pas d’exception à cette appréciation en faveur des marques collectives. La chambre de recours aurait par ailleurs procédé à une exacte appréciation des éléments de preuve produits par la requérante et se rapportant au caractère distinctif allégué de la marque antérieure. Ces éléments démontreraient tout au plus que le terme « halloumi » serait perçu comme étant la désignation d’un type de fromage. Par ailleurs, l’usage d’un terme descriptif auprès des consommateurs n’aurait pas pour effet de le rendre plus distinctif aux yeux de ces derniers.

31      Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec une marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire sur lequel la marque antérieure est protégée. Le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure.

32      Lorsque la marque antérieure est une marque collective de l’Union européenne, le risque de confusion doit s’entendre comme étant le risque que le public puisse croire que les produits ou les services visés par la marque antérieure et ceux visés par la marque demandée proviennent tous de membres de l’association qui est le titulaire de la marque antérieure ou, le cas échéant, d’entreprises économiquement liées à ces membres ou à cette association (arrêt du 5 mars 2020, Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi/EUIPO, C‑766/18 P, EU:C:2020:170, point 64).

33      En outre, en cas d’opposition formée par le titulaire d’une marque collective, s’il y a lieu de tenir compte de la fonction essentielle de ce type de marque, telle qu’énoncée à l’article 66, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, afin d’appréhender ce qu’il convient d’entendre par risque de confusion, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du même règlement, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence établissant les critères au regard desquels il doit concrètement être apprécié si un tel risque existe est transposable aux affaires concernant une marque collective antérieure (arrêt du 5 mars 2020, Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi/EUIPO, C‑766/18 P, EU:C:2020:170, point 65).

34      Aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, un risque de confusion présuppose à la fois une identité ou une similitude des marques en conflit et une identité ou une similitude des produits ou des services qu’elles désignent. Il s’agit là de conditions cumulatives [voir arrêt du 22 septembre 2016, Sun Cali/EUIPO – Abercrombie & Fitch Europe (SUN CALI), T‑512/15, EU:T:2016:527, point 45 et jurisprudence citée].

35      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner si la chambre de recours a estimé à juste titre qu’il n’existait pas de risque de confusion dans l’esprit du public pertinent, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

36      S’agissant de la définition du public pertinent, au point 12 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que les produits et les services désignés par les marques en conflit étaient destinés au consommateur final, qui était censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Elle a estimé par conséquent que le public pertinent était composé du grand public dans l’Union européenne, dont le niveau d’attention était tout au plus moyen lors de l’achat des produits et des services en cause.

37      À cet égard, il convient de relever que la marque demandée désigne des services d’usage courant et que la marque antérieure est quant à elle enregistrée pour des produits de consommation courante, en l’occurrence des fromages, et que lesdits services et produits s’adressent tous au grand public, lequel, lors de leur achat, fera preuve d’un niveau d’attention généralement moyen. Il convient donc de confirmer, en ce qu’elles apparaissent bien fondées eu égard aux éléments du dossier, les conclusions de la chambre de recours en ce qui concerne la définition du public pertinent, au demeurant non contestées par les parties.

38      S’agissant de la comparaison des produits et des services en cause, au point 20 de la décision attaquée, la chambre de recours a conclu que les produits et les services désignés par les marques en conflit étaient différents, après avoir exposé, au point 17 de cette même décision, que, si les services désignés par la marque demandée pouvaient sans doute être considérés comme semblables à des produits alimentaires, notamment quand des restaurants vendaient de la nourriture à emporter ou à consommer au comptoir, cela ne s’appliquait pas aux fromages. Selon elle, si la différence entre un point de vente de nourriture et un restaurant en libre-service peut être floue, toutefois, s’agissant des services relevant de la classe 43, c’est davantage la nature de service d’un restaurant qui importe, et non la vente d’un produit alimentaire en elle-même. À cet égard, si un établissement comportant un restaurant ou une zone semblable à un restaurant en libre-service devait vendre du fromage au comptoir, cette situation concernerait non pas des « services de restaurant », mais les produits en tant que tels.

39      Au point 18 de la décision attaquée, la chambre de recours a en outre considéré, en substance, que les pièces produites par la requérante afin de démontrer que certains restaurants et établissements de restauration servaient essentiellement des repas à base de fromage ou proposaient de tels repas en vue d’une consommation immédiate étaient insuffisantes pour prouver, du point de vue du public pertinent, la similitude, eu égard à leur complémentarité, des services de restauration en question et des fromages servis dans ces lieux. En effet, en substance, rien n’indiquerait que les consommateurs percevraient une origine commune entre les services fournis par ces prestataires et les fromages qu’ils servent.

40      La chambre de recours a également exposé, au point 14 de la décision attaquée, que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 septembre 2018, Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi/EUIPO – M. J. Dairies (BBQLOUMI) (T‑328/17, non publié, EU:T:2018:594), qui concernait une opposition fondée sur le même droit antérieur, à savoir la marque collective de l’Union européenne verbale HALLOUMI, la requérante n’avait pas contesté devant le Tribunal la constatation selon laquelle les produits désignés par cette marque et des services semblables à ceux en cause en l’espèce étaient différents.

41      En l’espèce, il y a lieu d’examiner si la chambre de recours a conclu à juste titre que les services désignés par la marque demandée et les produits désignés par la marque antérieure ne présentaient pas de similitude, de sorte qu’il y avait lieu d’exclure l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

42      Selon la jurisprudence, pour apprécier la similitude entre des produits et des services, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre eux et qui incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire. D’autres facteurs peuvent également être pris en compte, tels que, par exemple, les canaux de distribution des produits et des services concernés [voir arrêt du 11 juillet 2007, El Corte Inglés/OHMI – Bolaños Sabri (PiraÑAM diseño original Juan Bolaños), T‑443/05, EU:T:2007:219, point 37 et jurisprudence citée].

43      Dans la mesure où la comparaison porte, d’une part, sur les services désignés par la marque demandée, qui correspondent à des services de restauration et de coffee-shops compris dans la classe 43, et, d’autre part, sur les produits désignés par la marque antérieure, en l’occurrence des fromages, qui relèvent de la catégorie plus large des produits alimentaires compris dans la classe 29, la chambre de recours a pu, sans commettre d’erreur et ainsi qu’elle y avait d’ailleurs été invitée par la requérante, rechercher l’existence d’une similitude en raison de leur complémentarité plutôt que de facteurs tels que leur nature, leur destination ou leur utilisation. En effet, les produits et les services en cause ne sont pas identiques et il est incontestable que, au regard des facteurs relatifs à leur nature, à leur destination ou à leur utilisation, ils ne sont pas semblables [voir, en ce sens, arrêt du 18 février 2016, Harrys Pubar et Harry’s New York Bar/OHMI – Harry’s New York Bar et Harrys Pubar (HARRY’S BAR), T‑711/13 et T‑716/13, non publié, EU:T:2016:82, point 58 et jurisprudence citée].

44      À cet égard, il convient de rappeler que des produits ou des services sont complémentaires lorsqu’il existe entre eux un lien étroit, en ce sens que l’un est indispensable ou important pour l’usage de l’autre, de sorte que les consommateurs peuvent penser que la responsabilité de la fabrication de ces produits ou de l’offre de ces services incombe à la même entreprise [voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2013, Hartmann/OHMI – Protecsom (DIGNITUDE), T‑504/11, non publié, EU:T:2013:57, point 44 et jurisprudence citée].

45      Or, ainsi que cela résulte de la jurisprudence du Tribunal, il y a lieu de constater que les services de restauration utilisent nécessairement les produits compris dans la classe 29, notamment les fromages, de sorte qu’il existe une complémentarité entre ces services et ces produits. Premièrement, les fromages peuvent être proposés à la clientèle de nombreux restaurants, voire de coffee-shops, en étant incorporés comme ingrédient dans des plats destinés à la vente sur place ou à emporter. Deuxièmement, les fromages, sans être transformés comme ingrédients, peuvent être vendus en l’état aux consommateurs, notamment dans les restaurants dont l’activité ne se limite pas à préparer et servir des plats cuisinés, mais consiste également à vendre de la nourriture destinée à la consommation hors du lieu de vente. De tels produits sont donc utilisés et proposés dans le cadre des services de restauration ou de coffee-shop. Ces produits sont par conséquent étroitement liés auxdits services [voir, en ce sens, arrêts du 13 avril 2011, Bodegas y Viñedos Puerta de Labastida/OHMI – Unión de Cosecheros de Labastida (PUERTA DE LABASTIDA), T‑345/09, non publié, EU:T:2011:173, point 52, et du 18 février 2016, HARRY’S BAR, T‑711/13 et T‑716/13, non publié, EU:T:2016:82, point 59 et jurisprudence citée].

46      S’agissant de l’affirmation de la chambre de recours selon laquelle, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 septembre 2018, BBQLOUMI (T‑328/17, non publié, EU:T:2018:594), la requérante n’avait pas contesté le constat effectué par cette même chambre tenant à l’absence de similitude entre, d’une part, les « [s]ervices de restaurants ; services de restauration rapide ; cafétérias ; restauration » relevant de la classe 43 et, d’autre part, les « fromages » relevant de la classe 29, il y a lieu de relever que rien ne s’opposait à ce que, en l’espèce, la requérante ne remît en cause un tel constat, notamment parce qu’elle considérait que certains éléments, déjà mentionnés à l’appui de la jurisprudence issue de l’arrêt du 18 février 2016, HARRY’S BAR (T‑711/13 et T‑716/13, non publié, EU:T:2016:82), le justifiaient.

47      En effet, dénier une telle possibilité à la requérante reviendrait à la considérer comme étant liée par les constatations effectuées par la chambre de recours dans une affaire précédente. Or, il convient de rappeler que les décisions concernant les demandes d’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne que les chambres de recours sont amenées à prendre en vertu du règlement no 207/2009 relèvent d’une compétence liée et non d’un pouvoir discrétionnaire. Dès lors, à l’instar du caractère enregistrable d’un signe en tant que marque de l’Union européenne, la comparaison entre des produits et des services désignés par des droits concurrents ne doit être appréciée que sur la base de ce règlement, tel qu’interprété par le juge de l’Union, et non sur la base d’une pratique antérieure des chambres de recours [voir, par analogie, arrêt du 6 juillet 2011, i-content/OHMI (BETWIN), T‑258/09, EU:T:2011:329, point 77 et jurisprudence citée].

48      Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence constante qu’un recours porté devant le Tribunal en vertu de l’article 65, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (devenu article 72, paragraphe 2, du règlement 2017/1001) vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours. Dans le cadre du règlement no 207/2009, en application de l’article 76 dudit règlement (devenu article 95 du règlement 2017/1001), ce contrôle doit se faire au regard du cadre factuel et juridique du litige tel qu’il a été porté devant la chambre de recours [voir arrêt du 1er février 2005, SPAG/OHMI – Dann et Backer (HOOLIGAN), T‑57/03, EU:T:2005:29, point 17 et jurisprudence citée].

49      En l’espèce, il appartient par conséquent au Tribunal, saisi par la requérante d’un recours en annulation de la décision attaquée, d’apprécier la légalité de celle-ci en prenant en considération l’ensemble des arguments de la requérante tels qu’ils ont été portés devant la chambre de recours. Ces arguments doivent donc être examinés par le Tribunal, même s’ils portent sur des appréciations qui sont semblables à celles déjà effectuées par la chambre de recours dans une précédente décision dont la légalité a été soumise à son contrôle et qui, alors même qu’elles n’auraient pas été formellement contestées devant lui, ont néanmoins été entérinées par le Tribunal comme étant bien fondées, ainsi que cela est le cas, en l’espèce, des appréciations relatives à la comparaison des produits et des services en cause entérinées dans l’arrêt du 25 septembre 2018, BBQLOUMI (T‑328/17, non publié, EU:T:2018:594), puis dans l’arrêt du 20 janvier 2021, Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi/EUIPO ‑ M. J. Dairies (BBQLOUMI) (T‑328/17 RENV, non publié, EU:T:2021:16). En effet, le Tribunal ne saurait être lié par une appréciation erronée des faits par cette chambre, dans la mesure où ladite appréciation fait partie des conclusions dont la légalité est contestée devant lui (voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2008, Les Éditions Albert René/OHMI, C‑16/06 P, EU:C:2008:739, point 48). Il en va de même lorsque, dans une précédente décision dans une autre affaire, le Tribunal a entériné une appréciation erronée de la chambre de recours.

50      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de considérer, contrairement à ce qu’a estimé la chambre de recours, que le lien de complémentarité entre les fromages et les services de restauration et de coffee-shop doit amener au constat qu’il existe un certain degré de similitude entre, d’une part, les « [s]ervices de restauration (alimentation) ; services de coffee-shop ; services de restauration (alimentation) » relevant de la classe 43 et visés par la marque demandée et, d’autre part, les « fromages » relevant de la classe 29 et visés par la marque antérieure.

51      Or, l’existence d’une telle similitude ne permet pas d’exclure d’emblée que le public pertinent soit amené à penser que les services et les produits en cause ont une même origine commerciale.

52      Par conséquent, la chambre de recours ayant commis une erreur en considérant que ces produits et ces services n’étaient pas similaires, elle a conclu à tort que l’une des conditions cumulatives de l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 n’était pas remplie (voir la jurisprudence citée au point 34 ci-dessus). Dès lors, elle ne pouvait pas s’abstenir de procéder à l’examen des autres facteurs susceptibles de concourir à l’existence d’un tel risque, avant, le cas échéant, de procéder à une appréciation globale de ce risque.

53      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer la première branche du premier moyen comme fondée et, partant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les deuxième et troisième branches du premier moyen ni le second moyen, de faire droit aux conclusions de la requérante en annulant la décision attaquée.

 Sur les dépens

54      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

55      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

56      En application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 29 mai 2019 (affaire R 1355/20184), relative à une procédure d’opposition entre Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi et Fontana Food AB, est annulée.

2)      L’EUIPO est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi.

3)      Fontana Food supportera ses propres dépens.

Tomljenović

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 avril 2021.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais