Language of document : ECLI:EU:T:2022:319

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

1er juin 2022 (*) 

« Subventions – Importations de tubes et de tuyaux en fonte ductile originaires de l’Inde – Exécution de l’arrêt du Tribunal dans l’affaire T‑300/16 – Réinstitution d’un droit compensateur définitif – Non-remboursement intégral du droit compensateur définitif initial – Base juridique – Non-rétroactivité – Sécurité juridique – Article 266 TFUE – Proportionnalité – Droit à une protection juridictionnelle effective – Article 103 du code des douanes de l’Union – Règlement d’enregistrement – Exception d’illégalité – Recevabilité »

Dans l’affaire T‑441/20,

Jindal Saw Ltd, établie à New Delhi (Inde),

Jindal Saw Italia SpA, établie à Trieste (Italie),

représentées par Mes R. Antonini, E. Monard et B. Maniatis, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme K. Blanck et M. G. Luengo, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen (rapporteur), président, C. Mac Eochaidh et Mme T. Pynnä, juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 30 novembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Jindal Saw Ltd et Jindal Saw Italia SpA, demandent l’annulation partielle du règlement d’exécution (UE) 2020/526 de la Commission, du 15 avril 2020, réinstituant un droit compensateur définitif sur les importations de tubes et de tuyaux en fonte ductile (également dénommée « fonte à graphite sphéroïdal ») originaires de l’Inde en ce qui concerne Jindal Saw Ltd, à la suite de l’arrêt du Tribunal dans l’affaire T‑300/16 (JO 2020, L 118, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »).

 Antécédents du litige

2        Les requérantes sont actives dans la production et la vente, notamment, de tubes et de tuyaux en fonte ductile destinés au marché indien et à l’exportation. Durant la période pertinente en l’espèce, trois sociétés liées sont intervenues pour la commercialisation des produits de Jindal Saw dans l’Union européenne, à savoir, outre Jindal Saw Italia, Jindal Saw España SL et Jindal Saw Pipeline Solutions, UK.

3        Le 26 janvier 2015, Saint-Gobain Pam, Saint-Gobain Pam Deutschland GmbH et Saint-Gobain Pam España S.A. ont, conformément au règlement (CE) no 597/2009 du Conseil, du 11 juin 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de [l’Union européenne] (JO 2009, L 188, p. 93), tel que modifié par le règlement (UE) no 37/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2014, modifiant certains règlements relatifs à la politique commerciale commune en ce qui concerne les procédures d’adoption de certaines mesures (JO 2014, L 18, p. 1) (ci-après le « règlement de base antisubventions de 2009 ») [remplacé par le règlement (UE) 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 55, ci-après le « règlement de base antisubventions de 2016 »)], et, plus particulièrement, conformément à l’article 10 du règlement de base antisubventions de 2009 (devenu article 10 du règlement de base antisubventions de 2016), introduit une plainte auprès de la Commission européenne afin qu’elle engage une enquête antisubventions concernant les importations de tubes et de tuyaux en fonte ductile originaires de l’Inde (ci-après les « produits concernés »), en excipant de l’existence de diverses subventions dont bénéficieraient les producteurs indiens, notamment d’une subvention liée à l’acquisition de minerai de fer.

4        Par l’avis d’ouverture d’une procédure antisubventions concernant les importations de tubes et tuyaux en fonte ductile (également dénommée fonte à graphite sphéroïdal) originaires de l’Inde, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 11 mars 2015 (JO 2015, C 83, p. 4), la Commission a ouvert une procédure antisubventions concernant ces importations.

5        À l’issue de la procédure initiale, dont les étapes sont rappelées aux points 5 à 14 de arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2016/387, du 17 mars 2016, instituant un droit compensateur définitif sur les importations de tubes et de tuyaux en fonte ductile (également dénommée « fonte à graphite sphéroïdal ») originaires de l’Inde (JO 2016, L 73, p. 1, ci-après le « règlement initial »).

6        Par l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), le Tribunal a annulé le règlement initial, en tant qu’il concernait Jindal Saw.

7        D’une part, aux points 223 à 226 de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), le Tribunal a jugé que la Commission avait déterminé l’existence d’un avantage découlant des restrictions à l’exportation en cause, en ce qui concernait Jindal Saw, en violation de l’article 6, sous d), du règlement de base antisubventions de 2009 (devenu article 6, sous d), du règlement de base antisubventions de 2016) et que cette erreur était susceptible d’avoir conduit à la conclusion que Jindal Saw avait obtenu un avantage par suite de l’instauration desdites restrictions à l’exportation en l’absence d’un tel avantage. Dans ces conditions, il a estimé que ladite erreur était susceptible de mettre en question la légalité du règlement initial en invalidant l’ensemble de l’analyse de la Commission relative à l’existence même d’une subvention, de sorte que la Commission n’avait pas légalement justifié sa conclusion selon laquelle un droit compensateur devait être imposé sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw.

8        D’autre part, aux points 253 et 254  de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), le Tribunal a jugé, en substance, que le calcul de la sous-cotation du prix du produit tel que réalisé par la Commission dans le cadre du règlement initial méconnaissait l’article 8, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2009 (devenu article 8, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016) et que, par conséquent, la contestation, par les requérantes, du calcul de la sous-cotation du prix en ce qui concernait les produits concernés fabriqués par Jindal Saw était fondée.

9        Aux points 255 à 259 de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), le Tribunal a également jugé que, compte tenu du fait que la sous-cotation telle que calculée dans le règlement initial était à la base de la conclusion selon laquelle les importations des produits concernés étaient à l’origine du préjudice de l’industrie de l’Union, laquelle fondait l’imposition du  droit compensateur définitif sur les importations de ces produits, l’erreur constatée invalidait l’ensemble de l’analyse de la Commission relative au lien de causalité entre les importations faisant l’objet de subventions et le préjudice de l’industrie de l’Union.

10      Le Tribunal a encore précisé dans l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), qu’il ne saurait être exclu que, si la sous‑cotation du prix avait été calculée correctement, la marge de préjudice de l’industrie de l’Union aurait été établie à un niveau inférieur à celui du taux de subvention et que, dans cette hypothèse, conformément à l’article 15, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement de base antisubventions de 2009 (devenu article 15, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement de base antisubventions de 2016), le montant du droit compensateur définitif devrait être réduit à un taux qui suffirait à éliminer ledit préjudice.

11      À la suite de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), par l’avis de réouverture des enquêtes à la suite des arrêts du 10 avril 2019 dans les affaires T‑300/16 et T‑301/16 en ce qui concerne les règlements d’exécution 2016/387 et (UE) 2016/388 de la Commission instituant un droit compensateur définitif et un droit antidumping définitif sur les importations de tubes et de tuyaux en fonte ductile (également dénommée « fonte à graphite sphéroïdal ») originaires de l’Inde (JO 2019, C 209, p. 35, ci-après l’« avis de réouverture des enquêtes »), la Commission a rouvert partiellement l’enquête initiale aux fins de l’exécution de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), en ce qui concernait Jindal Saw, puis adopté le règlement d’exécution (UE) 2019/1250, du 22 juillet 2019, soumettant à enregistrement certaines importations de tubes et de tuyaux en fonte ductile (également dénommée « fonte à graphite sphéroïdal ») originaires de l’Inde, à la suite de la réouverture de l’enquête afin de mettre en œuvre les arrêts du 10 avril 2019 dans les affaires T‑300/16 et T‑301/16 en ce qui concerne les règlements d’exécution 2016/387 et (UE) 2016/388 instituant un droit compensateur définitif et un droit antidumping définitif sur les importations de tubes et de tuyaux en fonte ductile (également dénommée « fonte à graphite sphéroïdal ») originaires de l’Inde (JO 2019, L 195, p. 13, ci-après le « règlement d’enregistrement de 2019 »).

12      Le dispositif du règlement d’enregistrement de 2019 se lit comme suit :

« Article premier

1. Conformément […] à l’article 24, paragraphe 5, du règlement [de base antisubventions de 2016], les autorités douanières prennent les mesures appropriées pour enregistrer les importations dans l’Union [des produits concernés], fabriqués par Jindal Saw […]

2. L’enregistrement prend fin neuf mois après la date d’entrée en vigueur du présent règlement.

3. Les taux de droits [...] compensateurs qui peuvent être perçus sur les importations [des produits concernés], fabriqués par Jindal Saw […], de la réouverture des enquêtes à la date d’entrée en vigueur des résultats de ces enquêtes de réouverture[,] ne dépassent pas ceux qui ont été institués par [le règlement initial].

4. Les autorités douanières nationales attendent la publication du règlement d’exécution de la Commission pertinent réinstituant les droits avant de se prononcer sur les demandes de remboursement et de remise des droits [...] compensateurs relatifs aux importations concernant Jindal Saw […] »

13      À l’issue de la procédure rouverte aux fins de l’exécution de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), la Commission a adopté, sur le fondement du règlement de base antisubventions de 2016, le règlement attaqué par lequel, notamment, elle réinstitue un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw et impose aux autorités douanières nationales la perception de celui-ci.

14      Aux considérants 11 et 12 du règlement attaqué, la Commission explique que, selon elle, les conclusions exposées dans le règlement initial, qui n’ont pas été contestées ou qui ont été contestées, mais que le Tribunal a rejetées ou n’a pas examinées de sorte qu’elles n’ont pas entraîné l’annulation du règlement initial, conservent toute leur validité. Elle y indique également que, à la suite de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), elle a décidé de rouvrir partiellement l’enquête antisubventions concernant les importations des produits concernés qui avaient conduit à l’adoption du règlement initial et de la reprendre au point précis auquel l’illégalité était intervenue et que la portée de cette réouverture était limitée à l’exécution dudit arrêt en ce qui concernait Jindal Saw.

15      Le dispositif du règlement attaqué se lit comme suit :

« Article premier

1. Il est institué un droit compensateur définitif sur les importations [des produits concernés] fabriqués par Jindal Saw […], à compter du 19 mars 2016.

2. Le taux du droit compensateur définitif applicable au prix net franco frontière de l’Union, avant dédouanement, pour les produits décrits au paragraphe 1 et fabriqués par Jindal Saw […], s’établit à 6,0 % […]

Article 2

Tout droit compensateur définitif payé par Jindal Saw […] en vertu du règlement [initial], qui excède le droit [compensateur] définitif établi à l’article 1er, doit être remboursé ou remis.

Les demandes de remboursement ou de remise sont introduites auprès des autorités douanières nationales conformément à la législation douanière applicable. Tout remboursement effectué à la suite de [l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235)], est recouvré à hauteur du montant indiqué à l’article 1er, paragraphe 2, par les autorités qui ont effectué le remboursement.

Article 3

Le droit compensateur définitif institué par l’article 1er est également perçu sur les importations enregistrées conformément à l’article 1er du règlement [d’enregistrement de 2019].

[...] »

 Conclusions des parties

16      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué ;

–        condamner la Commission aux dépens.

17      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

18      À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent sept moyens.

19      Par leur premier et leur deuxième moyens, les requérantes font valoir que le règlement attaqué viole l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016, le principe général de non-rétroactivité et le principe de sécurité juridique. Par leur troisième moyen, elles avancent que ledit règlement viole les articles 264 et 266 TFUE. Par leur quatrième moyen, elles se prévalent du fait que ce même règlement viole le principe de proportionnalité et l’article 5, paragraphes 1 et 4, TUE. Par leur cinquième moyen, elles font valoir que le règlement attaqué viole le droit à un recours juridictionnel effectif et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Par leur sixième moyen, elles soutiennent que ce règlement viole l’article 103 du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1 ; ci-après le « code des douanes de l’Union ») ainsi que l’article 296 TFUE.

20      Enfin, par leur septième moyen, qui se compose de deux branches, les requérantes font valoir, d’une part, que l’enregistrement des importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw imposé par le règlement d’enregistrement de 2019 n’offre pas de fondement pour réinstituer rétroactivement un droit compensateur définitif et, d’autre part, que la Commission a violé l’article 24, paragraphe 5, du règlement de base antisubventions de 2016 en imposant par le règlement d’enregistrement de 2019 un tel enregistrement.

 Remarques liminaires sur l’objet du recours et la portée des moyens

21      En introduction de leur requête, les requérantes ont expressément précisé que le présent recours n’était pas dirigé contre le règlement attaqué en ce qu’il instituait ex nunc, à savoir à compter du 17 avril 2020, un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw.

22      Les requérantes ont également indiqué que leur recours était dirigé contre le règlement attaqué uniquement en ce que, d’une part, il réinstituait un droit compensateur définitif sur ces importations à compter du 19 mars 2016 et jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement d’enregistrement de 2019, à savoir le 24 juillet 2019, et, d’autre part, en ce qu’il imposait la perception dudit droit sur les importations des produits concernés enregistrées conformément au règlement d’enregistrement de 2019.

23      Outre cette distinction entre l’institution et la perception de ce droit, qui ne trouve pas de reflet dans l’exposé de leurs moyens, par lesquels elles contestent essentiellement l’institution dudit droit, les requérantes ont précisé, en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, que les six premiers moyens visaient essentiellement la période du 19 mars 2016 au 24 juillet 2019, tandis que le septième moyen visait plutôt la période allant du 24 juillet 2019 au 17 avril 2020, date d’entrée en vigueur du règlement attaqué.

24      Dans ce contexte, il convient de comprendre le présent recours ainsi que ses sept moyens comme étant dirigés contre le règlement attaqué en ce qu’il institue un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw ou impose leur perception pour la période allant de l’entrée en vigueur, le 19 mars 2016, du règlement initial à l’entrée en vigueur, le 17 avril 2020, du règlement attaqué.

 Sur les premier et deuxième moyens ainsi que sur la première branche du septième moyen, tirés de la violation de l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016, ainsi que des principes de nonrétroactivité et de sécurité juridique

25      Par leur premier moyen, les requérantes font valoir que le règlement attaqué viole l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016. Selon elles, conformément à cette disposition, aucun droit ne peut être appliqué à des produits mis en libre pratique avant l’entrée en vigueur de la mesure les instituant, sauf exceptions devant être interprétées strictement et dont aucune ne serait satisfaite en l’espèce.

26      Ce premier moyen est divisé en deux branches, dans lesquelles les requérantes distinguent la présente affaire de celles ayant donné lieu aux arrêts du 15 mars 2018, Deichmann (C‑256/16, EU:C:2018:187), du 19 juin 2019, C & J Clark International (C‑612/16, non publié, EU:C:2019:508), du 9 juin 2021, Puma e.a./Commission (T‑781/16, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:328), et du 9 juin 2021, Roland/Commission (T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329).

27      Au titre de la première branche du premier moyen, les requérantes estiment que le règlement attaqué viole l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016 dans la mesure où le Tribunal a annulé intégralement et en tant que tel le droit compensateur définitif institué par le règlement initial, le rendant nul et non avenu. En effet, les deux erreurs constatées par le Tribunal dans l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), toucheraient à la substance même des conditions requises pour l’institution d’un droit compensateur définitif, dès lors que ces erreurs ont invalidé l’ensemble de l’analyse relative à l’existence même d’un avantage ainsi que celle relative au lien de causalité.

28      Partant, le règlement attaqué serait appliqué à une situation juridique déjà consolidée, puisque le Tribunal aurait conclu que le règlement initial était « totalement illégal ». Ainsi, le constat de l’existence d’une subvention découlerait non pas du règlement initial annulé, mais uniquement et exclusivement du règlement attaqué.

29      À cet égard, les requérantes font valoir que, si, à l’occasion des arrêts cités au point 26 ci‑dessus, la Cour et le Tribunal ont certes admis la possibilité pour la Commission de réinstituer des droits antidumping définitifs à compter de la date d’entrée en vigueur d’un règlement invalidé, la solution dégagée dans ces arrêts devrait être strictement cantonnée aux situations d’espèce, dans lesquelles il ne faisait pas de doute que, initialement, les droits avaient été institués légitimement.

30      En effet, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts cités au point 26 ci‑dessus, le juge de l’Union n’aurait pas considéré que le droit antidumping en cause était invalide, mais aurait uniquement constaté une invalidité concernant l’attribution des différents taux à différents exportateurs. Dès lors, l’invalidité constatée n’était pas liée à l’institution erronée du droit antidumping en tant que telle, mais était seulement liée au niveau de ce droit.

31      Ainsi, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts cités au point 26 ci‑dessus et contrairement à la situation d’espèce, la Commission n’aurait pas véritablement institué rétroactivement un droit, mais, aux fins de la liquidation de celui-ci, uniquement réinstitué, à un bon niveau, un droit dont la validité, en soi, n’avait pas été remise en cause.

32      Au titre de la seconde branche du premier moyen, les requérantes font valoir que le règlement attaqué viole l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016 dans la mesure où le Tribunal a, par le jeu de l’annulation prononcée, fait disparaître de l’ordre juridique de l’Union le règlement initial ayant institué le droit compensateur litigieux. Cela impliquerait que jamais aucun droit n’aurait été institué sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw et que la réinstitution du droit par le règlement attaqué aurait donc été effectuée rétroactivement, en violation de l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016, sans satisfaire à aucune des exceptions prévues par ce règlement. Pour les mêmes raisons, la Commission n’aurait pas non plus pu enjoindre aux autorités douanières nationales de ne pas rembourser ou remettre les droits versés par Jindal Italia et de recouvrer tout remboursement effectué.

33      À cet égard, les requérantes relèvent que, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts cités au point 26 ci‑dessus, était en cause un constat d’invalidité effectué dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE et non, comme en l’espèce, une annulation prononcée dans le cadre d’un recours au titre de l’article 263 TFUE. Or, dans ces premières affaires, l’acte dont l’invalidité avait été constatée n’aurait pas disparu de l’ordonnancement juridique tant qu’il n’avait pas été abrogé par un nouveau texte. Cela impliquerait que les règlements réinstituant des droits dans ces affaires auraient été adoptés pendant la période d’application des règlements précédemment invalidés, ce qui ne serait pas le cas du règlement attaqué.

34      Par leur deuxième moyen, les requérantes font valoir, dans le même sens, que le règlement attaqué en tant que tel viole les principes de non‑rétroactivité et de sécurité juridique.

35      Au soutien de leur allégation de violation du principe de non‑rétroactivité, les requérantes soulignent que, notamment dans les arrêts du 9 juin 2021, Puma e.a./Commission (T‑781/16, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:328, point 99), et du 9 juin 2021, Roland/Commission (T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, point 106), le Tribunal a rappelé que l’application rétroactive d’actes instituant des mesures de défense commerciale n’était permise qu’à titre très exceptionnel, à la double condition, non remplie en l’espèce, que le principe de protection de la confiance légitime soit respecté et que la rétroactivité soit nécessaire pour que l’acte de l’Union atteigne son objectif.

36      S’agissant du respect du principe de protection de la confiance légitime, les requérantes font valoir que, de jurisprudence constante, la conséquence de l’annulation d’un règlement instituant un droit compensateur définitif est le remboursement des droits payés sur cette base. L’obligation de procéder à un tel remboursement serait confirmée par la pratique décisionnelle de la Commission.

37      S’agissant de la nécessité d’adopter le règlement attaqué, les requérantes avancent que celui-ci n’aurait été nécessaire ni pour se conformer à l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), ni pour satisfaire à l’objectif de protéger l’industrie de l’Union du préjudice causé par les importations faisant l’objet de subventions, lequel objectif aurait pu être atteint par l’imposition d’un droit uniquement pour l’avenir.

38      À ce dernier égard, les requérantes font état du fait que, en raison du règlement initial, les exportations de Jindal Saw vers l’Union auraient baissé de près de 90 % et que, corrélativement, les ventes de l’industrie de l’Union auraient augmenté. L’industrie de l’Union aurait ainsi tiré du règlement initial annulé un profit excédant de loin ce à quoi elle avait droit. Par ailleurs, les requérantes ajoutent que, contrairement à ce que soutient la Commission, le remboursement intégral des droits illégalement perçus en vertu du règlement initial ne saurait être utilisé par elles pour infliger un nouveau préjudice à l’industrie de l’Union. Ce remboursement intégral ne ferait que compenser une fraction du préjudice causé par l’illégalité de ce règlement.

39      Enfin, par la première branche du septième moyen, les requérantes font valoir, en renvoyant à leur premier moyen, que le simple fait que la Commission ait imposé aux autorités douanières nationales de procéder à l’enregistrement des importations n’offre pas de fondement pour réinstituer rétroactivement un droit compensateur définitif. En effet, le fait de procéder à un tel enregistrement ne créerait pas en soi une exception supplémentaire au principe de non-rétroactivité visé à l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016.

40      La Commission estime que les premier et deuxième moyens ainsi que la première branche du septième moyen doivent être rejetés comme étant non fondés.

41      À titre liminaire, d’une part, il convient de relever, comme l’a fait valoir la Commission et comme l’ont reconnu implicitement les requérantes en ayant présenté, dans la présente affaire et dans l’affaire T‑440/20, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission, des écritures pour l’essentiel identiques, que l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2009 [auquel a succédé, dans les mêmes termes, l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016], d’une part, et l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de [l’Union européenne] (JO 2009, L 343, p. 51), tel que modifié par le règlement no 37/2014 (ci-après le « règlement de base antidumping de 2009 ») [, auquel a succédé, dans les mêmes termes, l’article 10, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21) (ci-après le « règlement de base antidumping de 2016 »], d’autre part, régissent la même question sans différences notables.

42      Partant, la jurisprudence relative à l’article 10, paragraphe 1, du règlement de base antidumping de 2009 et de 2016 a vocation à s’appliquer mutatis mutandis aux mesures en cause adoptées sur le fondement du règlement de base antisubventions de 2009 et de 2016.

43      Il en découle que, à l’instar de l’article 10, paragraphe 1, du règlement de base antidumping de 2009 et de 2016, l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2009 et de 2016 consacre, dans le domaine des mesures antisubventions, le principe général de non‑rétroactivité (voir, par analogie, arrêts du 19 juin 2019, C & J Clark International, C‑612/16, non publié, EU:C:2019:508, point 53, et du 9 juin 2021, Roland/Commission, T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, point 94 et jurisprudence citée) et que, dans ce domaine, le respect de ce principe doit être apprécié au regard de cet article (voir, par analogie, arrêts du 19 juin 2019, C & J Clark International, C‑612/16, non publié, EU:C:2019:508, point 55, et du 9 juin 2021, Roland/Commission, T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, point 96 et jurisprudence citée).

44      D’autre part, à la suite d’une question du Tribunal lors de l’audience, les requérantes ont relevé, à juste titre, que le principe de sécurité juridique, dont elles allèguent également la violation, et le principe de non‑rétroactivité étaient intimement liés.

45      Il y a donc lieu d’examiner ensemble le premier moyen pris avec la première branche du septième moyen et le deuxième moyen, tirés d’une violation de l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2009 et de 2016 ainsi que des principes de non‑rétroactivité et de sécurité juridique, en ce que le règlement attaqué institue et impose la perception d’un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw, à compter du 19 mars 2016, date à laquelle le règlement initial serait entré en vigueur s’il n’avait pas été annulé par l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), et non uniquement à compter du 24 juillet 2019 ou du 17 avril 2020, date à laquelle sont entrés en vigueur respectivement le règlement d’enregistrement de 2019 et le règlement attaqué.

46      À cet égard, il importe de rappeler que, lorsque le juge de l’Union annule un règlement instituant un droit compensateur définitif, et sauf à ce que l’irrégularité constatée ait entaché d’illégalité l’ensemble de la procédure, la Commission a la faculté, de reprendre la procédure à l’origine dudit règlement au stade où cette irrégularité a été commise, même si cette faculté n’est pas expressément prévue par la réglementation applicable (voir, par analogie, arrêt du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, points 73 et 74 et jurisprudence citée).

47      Dans la continuité de la reprise de la procédure, la Commission a la faculté d’adopter un acte visant à remplacer l’acte annulé et, partant, de procéder à la réinstitution d’un droit compensateur définitif en remédiant, dans ce cadre, aux illégalités constatées (voir, par analogie, arrêts du 19 juin 2019, C & J Clark International, C‑612/16, non publié, EU:C:2019:508, point 43 ; du 3 décembre 2020, Changmao Biochemical Engineering/Distillerie Bonollo e.a., C‑461/18 P, EU:C:2020:979, point 97, et du 9 juin 2021, Roland/Commission, T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, point 76).

48      Si l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2009 et de 2016 n’exclut donc pas que la Commission réinstitue un droit compensateur définitif, la reprise de la procédure ne saurait toutefois aboutir à ce que le règlement qui sera adopté au terme de celle-ci, en remplacement du règlement annulé, réinstitue un droit compensateur définitif qui serait appliqué à des produits mis en libre pratique avant la date à laquelle ce règlement annulé est entré en vigueur. Partant, le droit compensateur réinstitué ne peut s’appliquer qu’à l’égard de produits mis en libre pratique après l’entrée en vigueur de celui-ci (voir, par analogie, arrêts du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, points 77 et 78, et du 9 juin 2021, Roland/Commission, T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, points 97 et 98).

49      Par ailleurs, lorsque la Commission reprend la procédure au stade où l’irrégularité a été commise, elle doit, conformément aux principes gouvernant l’application de la loi dans le temps, respecter les règles matérielles en vigueur à la date des faits visés par le règlement qui a été annulé (voir, par analogie, arrêt du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, point 76 et jurisprudence citée).

50      Dès lors, en l’espèce, la Commission pouvait, sans violer l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2016, non seulement rouvrir la procédure ayant abouti à l’adoption du règlement initial annulé, mais également réinstituer et imposer la perception, par le règlement attaqué, d’un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw, à compter du 19 mars 2016.

51      S’agissant, en premier lieu, de la réouverture de la procédure ayant abouti à l’adoption du règlement initial, il convient de relever que les irrégularités constatées dans l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), n’ont nullement entaché d’illégalité l’ensemble de la procédure ouverte par la Commission le 11 mars 2015 à l’encontre des importations dans l’Union des produits concernés.

52      En effet, premièrement, il ressort des motifs de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), et, en particulier, des points 223 à 226 et 255 à 259 de cet arrêt que, d’une part, le Tribunal a constaté que l’erreur commise par la Commission dans la détermination de l’avantage qu’aurait obtenu Jindal Saw du fait de l’instauration des restrictions à l’importation en cause était uniquement « susceptible » de mettre en cause la légalité de ce règlement. D’autre part, s’agissant de l’erreur dans le calcul de la sous‑cotation du prix des produits concernés en ce qui concernait les produits de cette société, il a estimé qu’il ne saurait être exclu que, si cette sous-cotation du prix avait été calculée correctement, la marge de préjudice de l’industrie de l’Union aurait été établie à un niveau inférieur à celui de la marge de subvention, ce qui supposerait que le montant du droit compensateur définitif institué sur les produits concernés fabriqués par Jindal Saw devrait être réduit à un taux qui suffirait à éliminer le préjudice de l’industrie de l’Union.

53      Deuxièmement, il convient de rappeler que, en vertu du point 1 du dispositif de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), le règlement initial a été annulé uniquement « en tant qu’il concern[ait] Jindal Saw ».

54      Ainsi, compte tenu de la double nature des règlements instituant des droits compensateurs (voir, par analogie, arrêts du 15 février 2001, Nachi Europe, C‑239/99, EU:C:2001:101, points 21 et 37, et du 10 juillet 2003, Commission/BCE, C‑11/00, EU:C:2003:395, point 75) ainsi que de l’absence de recours des autres sociétés visées par le règlement initial, ce règlement est demeuré en vigueur même après le prononcé de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), notamment en ce qu’il constate l’existence d’avantages et institue un droit compensateur définitif sur les importation des produits concernés fabriqués par ces autres sociétés.

55      C’est donc à tort que les requérantes déduisent de l’annulation du règlement initial en ce qu’il concerne Jindal Saw que l’ensemble de la procédure administrative qui l’a précédée a également été annulée (voir, par analogie, arrêt du 15 octobre 1998, Industrie des poudres sphériques/Conseil, T‑2/95, EU:T:1998:242, point 92).

56      En conséquence, à la suite de l’annulation du règlement initial, la Commission n’était pas privée de la faculté de rouvrir la procédure initiale en ce qui concernait uniquement Jindal Saw afin d’éventuellement réinstituer un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par cette société.

57      Ainsi, la Commission pouvait valablement considérer, dans l’avis de réouverture des enquêtes, auquel renvoie le considérant 14 du règlement d’enregistrement de 2019, que l’illégalité constatée par le Tribunal n’était pas intervenue au stade de l’ouverture de la procédure, mais à celui de l’enquête.

58      De même, à la suite de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), la Commission pouvait, sans commettre d’erreur de droit, décider de rouvrir partiellement l’enquête antisubventions concernant les importations des produits concernés, qui avait conduit à l’adoption du règlement initial, et de la reprendre au point précis auquel l’illégalité était intervenue, comme cela est indiqué au considérant 12 du règlement attaqué.

59      S’agissant, en second lieu, de la faculté pour la Commission de réinstituer et d’imposer la perception d’un tel droit, il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 3 du règlement attaqué qu’elle n’a réinstitué le droit litigieux et n’en a ordonné la perception qu’à compter du 19 mars 2016. Ce faisant, elle a réinstitué et ordonné la perception de ce droit uniquement à compter de la date d’entrée en vigueur du règlement initial annulé par l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), et non pour une période antérieure à la période d’application initiale de ce règlement.

60      En outre, il ressort des points 223 à 226 et 255 à 259 de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), que, malgré le constat de deux erreurs de la Commission, respectivement, dans la détermination de l’existence d’un avantage découlant des restrictions à l’exportation en cause en ce qui concernait Jindal Saw et dans le calcul de la sous-cotation du prix en ce qui concernait les produits concernés fabriqués par Jindal Saw, le Tribunal n’a pas entendu priver cette institution de la possibilité de réinstituer un droit compensateur définitif à l’égard de ces produits et, ainsi, n’a pas mis un terme définitif à la procédure ayant donné lieu à l’adoption du règlement initial. De plus, il ressort expressément des points 224 et 226 de cet arrêt que l’erreur constatée par le Tribunal au point 214 dudit arrêt est uniquement « susceptible » de mettre en question la légalité du règlement initial. De même, au point 258 de ce même arrêt, le Tribunal a considéré que le montant du droit compensateur définitif pouvait être réduit à un taux qui suffirait à éliminer ledit préjudice. Ce faisant, il a non seulement envisagé la possibilité de la reprise de la procédure, mais également celle du bien-fondé de tout ou partie du quantum du droit compensateur définitif institué par le règlement initial sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw.

61      Par ailleurs et s’agissant plus particulièrement de la contestation par les requérantes de l’obligation pour les autorités douanières nationales de percevoir le droit compensateur définitif réinstitué, il doit être constaté, par analogie avec la situation prévalant dans le domaine des mesures antidumping, que, au regard du libellé de l’article 24, paragraphe 1, première phrase, du règlement de base antisubventions de 2016, dont le libellé est mutatis mutandis identique à celui de l’article 14, paragraphe 1, première phrase, du règlement de base antidumping de 2016, le législateur de l’Union n’a pas entendu déterminer de manière limitative les éléments relatifs à la perception des droits compensateurs, qui peuvent être fixés par la Commission, et que cette institution est habilitée à adopter des injonctions portant sur la perception des droits compensateurs par les États membres (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, points 58 à 60).

62      En conséquence, en reprenant la procédure ayant donné lieu au règlement initial, en réinstituant un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw, puis en ordonnant la perception de ce droit, la Commission n’a pas appliqué rétroactivement un droit compensateur définitif à une situation définitivement acquise antérieurement à l’entrée en vigueur du règlement initial.

63      C’est donc à tort que les requérantes font valoir que, par le règlement attaqué, la Commission a violé l’article 16, paragraphe 1, du règlement de base antisubventions de 2009 et de 2016 ainsi que les principes de non‑rétroactivité et de sécurité juridique.

64      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments soulevés par les requérantes.

65      Premièrement, les requérantes ne sauraient utilement se prévaloir du fait que les erreurs constatées par le Tribunal dans l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), seraient intervenues à un stade plus précoce du raisonnement de la Commission que celles constatées dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts cités au point 26 ci‑dessus, à savoir au stade de l’examen de l’existence d’un avantage découlant des restrictions à l’exportation en cause ainsi que du calcul de la sous-cotation du prix du produit concerné.

66      En effet, en dépit de cette différence et comme cela a déjà été relevé aux points 51 et 56 ci-dessus, l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), n’a pas emporté l’annulation de l’ensemble de la procédure initiale, laquelle concernait par ailleurs toutes les importations des produits concernés originaires de l’Inde et non pas uniquement celles des produits concernés fabriqués par Jindal Saw.

67      Deuxièmement et pour les mêmes motifs, est également dépourvue de fondement l’allégation des requérantes selon laquelle l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235) aurait invalidé l’ensemble de l’analyse de la Commission et aurait conduit à une annulation intégrale du droit compensateur définitif institué à leur égard.

68      Troisièmement, ne saurait non plus prospérer l’argumentation des requérantes selon laquelle la présente affaire se distinguerait de celles ayant donné lieu aux arrêts cités au point 26 ci‑dessus, en raison du fait que ces arrêts concernent la réinstitution de droits antidumping définitifs à la suite d’un constat d’invalidité d’un règlement initial dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE alors que, en l’espèce, l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), a annulé le règlement initial dans le cadre de la procédure prévue à l’article 263 TFUE.

69      Tout d’abord, cet argument, qui repose en substance sur la prémisse selon laquelle un arrêt préjudiciel constatant l’invalidité d’un acte ne conduit pas à l’anéantissement rétroactif de celui-ci, se heurte à la jurisprudence constante selon laquelle un arrêt de la Cour constatant à titre préjudiciel l’invalidité d’un acte de l’Union a, en principe, un effet rétroactif, à l’instar d’un arrêt d’annulation (arrêt du 26 avril 1994, Roquette Frères, C‑228/92, EU:C:1994:168, point 17, et ordonnance du 11 juin 2015, PST CLC, C‑405/14, non publiée, EU:C:2015:402, point 30).

70      Ensuite, reconnaître en l’espèce une distinction telle que celle suggérée par les requérantes porterait atteinte à la nécessaire cohérence entre le renvoi préjudiciel en appréciation de validité et le recours en annulation, qui constituent les deux modalités du contrôle de légalité organisé par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 1985, Société des produits de maïs, 112/83, EU:C:1985:86, point 17, et du 26 avril 1994, Roquette Frères, C‑228/92, EU:C:1994:168, point 19).

71      Cela aurait également pour conséquence, comme le relève à juste titre la Commission, de faire dépendre l’étendue de son pouvoir de réinstituer un droit compensateur définitif de la qualité de l’auteur du recours ayant conduit à l’annulation d’un règlement initial et de la voie de droit qu’il a dû emprunter à cet effet.

72      Ainsi, les producteurs-exportateurs, dont les produits sont visés par un règlement instituant un droit compensateur définitif, qui doivent en principe saisir le juge de l’Union sur le fondement de l’article 263 TFUE, ne pourraient pas se voir réinstituer un droit compensateur définitif, car l’éventuelle erreur de la Commission aurait donné lieu, au préalable, à l’annulation de ce règlement. En revanche, les importateurs des mêmes produits, qui en principe ne sont pas recevables à saisir directement le juge de l’Union et doivent de ce fait susciter un renvoi préjudiciel en appréciation de validité au titre de l’article 267 TFUE de la part d’une juridiction nationale, pourraient se voir réinstituer un tel droit car l’éventuelle erreur de la Commission aurait au préalable donné lieu à un constat d’invalidité d’un règlement instituant un droit compensateur définitif.

73      Enfin, le défaut de fondement de l’argumentation des requérantes est confirmée par la jurisprudence de la Cour, applicable par analogie en l’espèce, selon laquelle les pouvoirs de la Commission en matière de réinstitution de droits antidumping définitifs sont envisagés sans distinction, que le juge de l’Union ait annulé un règlement instituant des droits antidumping définitifs ou déclaré celui-ci invalide (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, points 73 et 74, et du 19 juin 2019, C & J Clark International, C‑612/16, non publié, EU:C:2019:508, point 43).

74      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter les premier et deuxième moyens ainsi que la première branche du septième moyen comme étant non fondés.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation des articles 264 et 266 TFUE

75      Par leur troisième moyen, les requérantes font valoir que, en adoptant le règlement attaqué qui réinstitue un droit compensateur définitif à compter du 19 mars 2016 et non pas uniquement ex nunc, la Commission a privé d’effet l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), et ainsi violé les articles 264 et 266 TFUE.

76      S’agissant de la violation de l’article 266 TFUE, les requérantes estiment que la Commission n’était pas en droit de réinstituer à leur égard un droit compensateur définitif avec effet à la date d’entrée en vigueur du règlement initial, dans la mesure où ce dernier aurait été annulé et, partant, n’aurait jamais existé.

77      Or, en réinstituant ce droit de manière rétroactive, la Commission ne remettrait pas en état la situation des requérantes, comme l’exige la jurisprudence. Au contraire, elle interdirait définitivement le remboursement du droit versé indument, alors que ce remboursement constituerait la conséquence de l’annulation du règlement initial par l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235). De plus, par le règlement attaqué, elle adopterait une solution incompatible avec le dispositif de cet arrêt, lequel annule dans son intégralité le règlement initial.

78      S’agissant de la violation de l’article 264 TFUE, les requérantes relèvent que cette disposition prévoit la faculté pour le Tribunal de limiter les effets dans le temps de l’annulation d’un acte et que cette compétence appartient exclusivement à cette juridiction. Or, dans la mesure où le Tribunal n’aurait pas fait usage de cette faculté dans l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), la Commission aurait été tenue de respecter l’absence d’une telle limitation et ne pouvait réinstituer rétroactivement un droit compensateur définitif à l’égard des requérantes, sauf à empiéter sur la compétence exclusive du Tribunal.

79      La Commission estime que le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

80      S’agissant, en premier lieu, de la violation alléguée de l’article 266 TFUE, il convient de rappeler que cette disposition prévoit, notamment à son premier alinéa, que l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union dont émane un acte qui a été annulé par la Cour ou par le Tribunal est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de cette juridiction.

81      Or, ainsi qu’il ressort des motifs de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), tels que rappelés au point 52 ci-dessus, c’est uniquement en raison d’une erreur dans la détermination de l’avantage qu’aurait obtenu Jindal Saw du fait de l’instauration des restrictions à l’importation en cause et d’une erreur dans le calcul de la sous-cotation du prix des produits concernés en ce qui concernait cette société que le Tribunal a annulé le règlement initial.

82      Il en découle que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, le Tribunal n’a pas jugé que l’institution par la Commission du droit compensateur définitif à leur égard par le règlement initial était en tout état de cause dépourvue de fondement ab initio. Seul un tel constat aurait pu priver la Commission de la faculté de réinstituer un droit compensateur définitif, conformément à l’autorité de chose jugée attachée aux dispositifs des arrêts d’annulation ainsi qu’aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire et en sont, de ce fait, indissociables (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 49 et jurisprudence citée).

83      Au contraire, il ressort des motifs, qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), que le Tribunal s’est limité à juger que, en raison des erreurs constatées, le montant du droit compensateur définitif imposé sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw par le règlement initial était susceptible d’être réduit à un taux qui suffirait à éliminer le préjudice de l’industrie de l’Union. Ce faisant, nonobstant le fait que le Tribunal a annulé le règlement initial en ce qu’il concernait Jindal Saw, il a implicitement mais nécessairement admis que les produits concernés fabriqués par cette société pouvaient donner lieu à la réinstitution d’un droit compensateur définitif, éventuellement d’un montant réduit par rapport à celui imposé sur le fondement de ce règlement initial.

84      Dès lors et compte tenu de la faculté dont disposait en l’espèce la Commission de procéder, à la suite de l’annulation du règlement initial, à la réinstitution d’un droit compensateur sur les importations des produits concernés de Jindal Saw (ainsi qu’il résulte du rejet des premier et deuxième moyens et de la première branche du septième moyen), les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission était, en vertu de l’article 266 TFUE, privée de la faculté de procéder à une telle réinstitution à compter de la date d’entrée en vigueur du règlement initial, à savoir le 19 mars 2016. De même, elles ne sauraient valablement prétendre que la Commission n’avait pas d’autre choix que de leur permettre d’obtenir le remboursement intégral des montants perçus par les autorités douanières nationales sur le fondement du règlement initial à compter de cette date.

85      Une telle conclusion est d’autant plus fondée dans le cas d’espèce que, d’une part, le droit compensateur définitif réinstitué par le règlement attaqué a non pas été maintenu au même niveau, mais a été sensiblement réduit par rapport à celui imposé par le règlement initial, afin de tenir compte des erreurs constatées par le Tribunal et de leurs implications et, d’autre part, il doit être constaté que, par l’article 2 du règlement attaqué, la Commission a imposé aux autorités douanières nationales de procéder au remboursement ou à la remise du droit compensateur définitif initial qui excédait celui réinstitué par le règlement attaqué.

86      Est également dépourvue de fondement l’allégation des requérantes selon laquelle, en réinstituant un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw, la Commission aurait interdit définitivement le remboursement du droit indument versé sur celles-ci en application du règlement initial annulé.

87      Outre le fait que l’interdiction évoquée par les requérantes ne découle pas expressément du règlement attaqué (voir, par analogie, arrêt du 9 juin 2021, Roland/Commission, T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, point 89), la Commission a, au contraire, imposé aux autorités douanières nationales de procéder au remboursement ou à la remise des montants excédentaires payés au titre du règlement initial annulé, à l’article 2 du règlement attaqué.

88      Par ailleurs, le fait que, par le règlement attaqué, l’importation des produits concernés fabriqués par Jindal Saw se trouve à nouveau soumise à un droit compensateur définitif n’implique pas que la Commission a privé d’effet l’annulation du règlement initial et, partant, violé l’article 266 TFUE. Cela signifie seulement que, par le règlement attaqué, la Commission a estimé, après avoir rouvert la procédure initiale au stade de l’enquête et après avoir effectué un nouveau calcul des subventions passibles de mesures compensatoires et de la sous-cotation des prix pour les produits concernés fabriqués par Jindal Saw, qu’un tel droit devait être réinstitué, et cela à compter de la date d’entrée en vigueur du règlement initial. Un tel constat est d’ailleurs confirmé par le fait, relevé au point 85 ci-dessus, que le droit compensateur définitif réinstitué par le règlement attaqué est sensiblement inférieur à celui imposé par le règlement initial et s’avère fondé sur une motivation différente tirant les conséquences des erreurs contenues dans le règlement initial et constatées par le Tribunal dans l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235).

89      S’agissant, en second lieu, de l’allégation de violation de l’article 264 TFUE, il convient de rappeler que le second alinéa de cette disposition permet certes au juge de l’Union d’apporter une limitation à l’effet rétroactif des annulations qu’il prononce en l’autorisant, s’il l’estime nécessaire, à indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs pour le passé.

90      Cependant, la circonstance que le Tribunal n’a pas estimé nécessaire de limiter l’effet rétroactif d’un arrêt annulant un acte de l’Union ne signifie pas qu’il ait considéré que la Commission ne devrait pas être en mesure d’adopter, en remplacement de l’acte annulé, un nouvel acte qui prend effet à compter de la date d’entrée en vigueur de l’acte annulé (voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑471/11, EU:T:2014:739, point 111), tout particulièrement lorsque ce dernier n’a été annulé qu’en ce qui concernait certaines des sociétés concernées.

91      En effet, d’une part, la modulation dans le temps des effets d’une annulation ne constitue qu’une faculté pour le juge et non une obligation (arrêt du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑471/11, EU:T:2014:739, point 111). D’autre part, ainsi que cela a été relevé au point 85 ci-dessus, le règlement attaqué – s’il réinstitue un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw à compter de la date d’entrée en vigueur du règlement initial – réduit sensiblement le taux de celui-ci et ne saurait donc être considéré comme maintenant les effets du règlement initial en dépit de l’annulation de ce règlement par le Tribunal.

92      Dès lors, les requérantes ne peuvent utilement se prévaloir de l’article 264 TFUE.

93      Eu égard à ce qui précède, le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité et de l’article 5, paragraphes 1 et 4, TUE

94      Par leur quatrième moyen, les  requérantes font valoir que, en cherchant à exécuter l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), par la réinstitution rétroactive d’un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw, la Commission a adopté une solution qui, à la supposer légale, est manifestement inappropriée et va au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre son objectif, à savoir la défense de l’industrie de l’Union. La Commission aurait ainsi retenu une solution trop contraignante pour les requérantes et dépourvue d’avantages pour l’industrie de l’Union, qui avait déjà bénéficié pendant quatre années de la protection de son marché par l’instauration d’un droit indu, lequel a considérablement limité l’exportation vers l’Union des produits concernés. Or, selon les requérantes, il était loisible à la Commission de ne pas rouvrir la procédure initiale et ainsi de se conformer à sa pratique décisionnelle antérieure constante.

95      La Commission estime que le quatrième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

96      À cet égard, d’une part, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, tel que consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE, et qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêts du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil, C‑128/17, EU:C:2019:194, point 94 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Roland/Commission, T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, point 117 et jurisprudence citée).

97      D’autre part, dans le contexte de l’exécution d’un arrêt d’annulation régie par l’article 266 TFUE, l’institution dont émane un acte annulé dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider des moyens à mettre en œuvre afin de tirer les conséquences d’un arrêt d’annulation, sous réserve que ces moyens soient compatibles avec le dispositif de l’arrêt en cause et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2017, Léon Van Parys/Commission, T‑125/16, EU:T:2017:884, point 49).

98      Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié desdites mesures, par rapport à l’objectif poursuivi, peut affecter leur légalité (voir, par analogie, arrêts du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, point 88 et jurisprudence citée).

99      En l’espèce, il convient, d’emblée, de rappeler que le grief tiré de la violation de l’article 266 TFUE a été rejeté comme étant non fondé au point 84 ci-dessus.

100    De plus, ainsi que cela ressort de l’avis de réouverture des enquêtes comme des considérants 11 et 12 du règlement attaqué, l’objectif de ce règlement est de procéder à l’exécution de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), en reprenant la procédure ayant conduit à l’adoption du règlement initial au point précis auquel l’illégalité constatée par la Tribunal est intervenue, et cela afin de remédier complètement aux erreurs constatées par le Tribunal et d’évaluer si la correcte application des règles pourrait justifier, ou non, la réinstitution des mesures au niveau d’origine ou à un niveau révisé à compter de la date à laquelle le règlement initial est entré en vigueur.

101    Or, d’une part, comme cela est indiqué aux points 46 à 49 et 62 ci‑dessus, la Commission est en droit d’exécuter un arrêt d’annulation d’un règlement instituant un droit compensateur définitif en procédant, par un acte de substitution tel que le règlement attaqué, à la réinstitution d’un droit compensateur définitif au taux d’imposition approprié.

102    D’autre part, il y a lieu de relever que le règlement attaqué procède à la réinstitution d’un droit compensateur définitif, tout en réduisant sensiblement le taux applicable aux importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw, de 8,7 % à 6 % – taux réduit que les requérantes ne contestent d’ailleurs pas – et en ordonnant le remboursement ou la remise des montants excédentaires perçus en application du règlement initial.

103    Dès lors, le règlement attaqué ne va pas manifestement au-delà de ce qui était nécessaire pour exécuter l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235) (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 juin 2021, Roland/Commission, T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, point 122) et, partant, ne viole pas le principe de proportionnalité, tel que consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE.

104    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments avancés par les requérantes.

105    S’agissant de l’argument selon lequel le remboursement intégral du droit compensateur définitif imposé par le règlement initial serait une mesure moins contraignante, il suffit d’observer que, même si un tel choix aurait assurément été moins contraignant pour les requérantes, cela ne signifie pas que la solution retenue par la Commission s’avèrerait disproportionnée, compte tenu des objectifs poursuivis par celle-ci dans la cadre de la procédure ayant abouti au règlement attaqué.

106    Un tel remboursement intégral n’aurait pas été aussi apte à réaliser l’objectif d’exécuter l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), que l’approche retenue par la Commission dans le règlement attaqué. En effet, ce n’est que la différence entre le taux fixé par le règlement initial et le taux fixé par le règlement attaqué, d’ailleurs non contesté par les requérantes, qui devrait, le cas échéant, être remboursée aux intéressés. Un remboursement intégral du droit compensateur définitif institué par le règlement initial, tel qu’il est revendiqué par les requérantes, n’était donc pas requis et serait même allé à l’encontre de l’exécution de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235), et plus particulièrement de son point 258, en ne permettant pas d’éliminer le préjudice causé à l’industrie de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 9 juin 2021, Roland/Commission, T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, points 127 et 128).

107    De plus, l’allégation des requérantes selon laquelle la réinstitution du droit compensateur définitif litigieux serait dépourvue d’avantages pour l’industrie de l’Union n’est pas de nature à établir à suffisance de droit que la réinstitution d’un droit compensateur définitif sensiblement réduit par le règlement attaqué s’avèrerait en l’espèce disproportionnée.

108    Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par l’affirmation de la Commission, non contredite par les requérantes, selon laquelle un remboursement intégral du droit imposé par le règlement initial permettrait aux requérantes d’absorber le droit fixé par le règlement attaqué, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de ce règlement et de l’intérêt de l’industrie de l’Union de rester protégée à hauteur du niveau de subventions constaté en l’espèce.

109    S’agissant, enfin, de l’argument selon lequel, par le règlement attaqué, la Commission serait allée à l’encontre de sa pratique décisionnelle antérieure constante, il suffit de rappeler que la légalité du règlement attaqué doit s’apprécier au regard des règles de droit et, notamment, des dispositions du règlement de base antisubventions de 2009 et de 2016, et non sur le fondement d’une prétendue pratique décisionnelle antérieure (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 juin 2021, Roland/Commission, T‑132/18, non publié, EU:T:2021:329, points 110 et 111 et jurisprudence citée).

110    Eu égard à ce qui précède, le quatrième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit à un recours juridictionnel effectif et de l’article 47 de la Charte

111    Par leur cinquième moyen, les requérantes font valoir que le règlement attaqué viole leur droit à un recours juridictionnel effectif et l’article 47 de la Charte pour deux motifs.

112    Premièrement, les requérantes font valoir que Jindal Saw Italia a connu un recul massif de ses volumes d’importation et de ventes en raison du droit illégalement perçu en application du règlement initial. Ce recul impliquerait que le remède effectif le plus proche du statu quo ante serait le remboursement ou la remise intégrale des droits illégalement perçus en vertu du règlement initial.

113    À cet égard, les requérantes indiquent que, en raison des illégalités commises par la Commission, elles ont injustement perdu des sommes importantes, qui s’avéreraient de très loin supérieures à celles qu’elles recevraient à la suite du remboursement intégral du droit illégalement perçu sur leurs importations.

114    Deuxièmement, les requérantes soutiennent que l’approche retenue par la Commission en matière de réinstitution de droits définitifs à la suite de l’arrêt du 15 mars 2018, Deichmann (C‑256/16, EU:C:2018:187), a des effets systémiques érodant la protection juridictionnelle effective des parties concernées ainsi que l’autorité de la Cour. De plus, elle conduirait à une absence de responsabilité de la Commission ainsi qu’à une remise en cause de l’effet rétroactif des constats d’annulation.

115    En effet, si la Commission devait se voir reconnaître, à la suite de l’annulation d’un règlement instituant un droit compensateur définitif, le droit de rouvrir la procédure et de réinstituer rétroactivement exactement le même droit, les sociétés visées par cette procédure n’auraient aucun intérêt à introduire un recours pour faire respecter leurs droits substantiels ou procéduraux.

116    La Commission estime que le cinquième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

117    S’agissant du premier argument des requérantes, il convient de rappeler que le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit, qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte. Cet article assure, dans le droit de l’Union, la protection conférée par l’article 6, paragraphe 1, et l’article 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. L’article 47, premier alinéa, de la Charte exige que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés ait droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues à cet article (arrêt du 29 novembre 2018, Bank Tejarat/Conseil, C‑248/17 P, EU:C:2018:967, point 79).

118    Si le principe de protection juridictionnelle effective vise à garantir qu’un acte faisant grief puisse être attaqué devant le juge, il est de jurisprudence constante que ce principe ne saurait empêcher une institution de l’Union dont un acte a été préalablement annulé d’adopter un nouvel acte faisant grief, fondé sur des motifs différents (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2018, Bank Tejarat/Conseil, C‑248/17 P, EU:C:2018:967, points 80 et 81 et jurisprudence citée).

119    Or, en l’espèce, il convient de constater que le règlement attaqué est fondé sur des motifs différents de ceux pour lesquels le règlement initial a été annulé. Dès lors, les requérantes ne sauraient se prévaloir à juste titre d’une violation du principe de protection juridictionnelle effective au motif que, par le règlement attaqué, la Commission a réinstitué à leur égard un droit compensateur définitif, à la suite de l’annulation par le Tribunal du règlement initial.

120    Il y a encore lieu de constater que les requérantes ont été en mesure de contester avec succès le règlement initial, ainsi que le démontre l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235). Elles ont également été en mesure, par le présent recours, de contester le règlement par lequel la Commission a réinstitué à leur égard un droit compensateur définitif sensiblement réduit, confirmant le caractère effectif de leurs recours portés devant les juridictions de l’Union.

121    Par ailleurs, la Cour, tout comme la Cour européenne des droits de l’homme, a déjà eu l’occasion de juger que l’effectivité du droit de recours ne dépendait pas de la certitude d’une issue favorable pour la partie requérante (voir, en ce sens, ordonnance du 8 février 2018, CBA Spielapparate- und Restaurantbetrieb/Commission, C‑508/17 P, non publiée, EU:C:2018:72, point 24 et jurisprudence citée, et Cour EDH, 26 octobre 2000, Kudła c. Pologne, CE:ECHR:2000:1026JUD003021096, § 157).

122    Ainsi, le fait que les requérantes estiment que les conséquences à tirer par la Commission des erreurs constatées par le Tribunal dans l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235) auraient dues être différentes de celles retenues dans le règlement attaqué est en tant que tel dépourvu de pertinence pour apprécier une éventuelle violation du principe de protection juridictionnelle effective et de l’article 47 de la Charte. Une telle critique porte sur la légalité de ce règlement, que les requérantes ont eu la faculté de contester, ainsi que l’atteste le présent recours.

123    Dès lors, le règlement attaqué ne viole ni le principe de protection juridictionnelle effective ni l’article 47 de la Charte.

124    Enfin, si, par le premier argument du cinquième moyen, les requérantes se prévalent d’un dommage découlant du recul massif des volumes d’importations et de ventes de Jindal Saw Italia en raison des droits illégalement perçus en application du règlement initial, il convient de relever que leur recours est fondé uniquement sur l’article 263 TFUE et non sur l’article 268 TFUE éventuellement pris ensemble avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE (voir, par analogie, ordonnance du 22 janvier 2018, Ostvesta/Commission, T‑175/17, non publiée, EU:T:2018:49, points 39 et 47).

125    Or, il est de jurisprudence constante que le recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE et l’action en indemnité fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE constituent des voies de recours autonomes, ayant chacune une fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et sont subordonnées à des conditions d’exercice conçues en vue de leur objet spécifique, la première tendant à la suppression d’une mesure déterminée et la seconde à la réparation du préjudice causé par une institution, un organe ou un organisme de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schöppenstedt/Conseil, 5/71, EU:C:1971:116, point 3 ; du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 83, et du 9 septembre 2009, Brink’s Security Luxembourg/Commission, T‑437/05, EU:T:2009:318, point 231 et jurisprudence citée).

126    S’agissant du second argument des requérantes, par lequel celles-ci font notamment valoir que le règlement attaqué avaliserait une nouvelle pratique de la Commission érodant la protection juridictionnelle effective des sociétés visées par les procédures antisubventions, il suffit de relever que le recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE a pour objet de contrôler la légalité de l’acte attaqué devant le juge de l’Union et non de contester les implications éventuelles du possible rejet du recours dirigé contre celui-ci quant à la pratique administrative ou décisionnelle ultérieure de son auteur, tout particulièrement à l’égard des tiers.

127    Enfin, il y a lieu de relever que les allégations des requérantes quant à la violation des articles 264 et 266 TFUE ainsi que du principe de protection juridictionnelle effective par le règlement attaqué ont déjà été rejetées dans le cadre du troisième moyen ainsi qu’aux points 117 à 126 ci-dessus.

128    Eu égard à ce qui précède, le cinquième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le sixième moyen, tiré de la violation de l’article 103 du code des douanes de l’Union et de l’article 296 TFUE

129    Par leur sixième moyen, les requérantes font valoir que, par le règlement attaqué, la Commission a institué un droit compensateur définitif pour une période pour laquelle un tel droit était prescrit, violant ainsi non seulement l’article 103, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union lu ensemble avec l’article 77, paragraphe 2, et l’article 104, paragraphe 2, dudit code, mais également l’article 296 TFUE, en ce que ce règlement ne motive pas la raison pour laquelle il a écarté le délai de prescription prévu par cet article 103, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union.

130    Compte tenu de l’annulation du règlement initial, qui aurait rétroactivement privé de base légale la perception par les autorités douanières nationales du droit compensateur définitif établi par ce règlement, le règlement attaqué aurait institué, le 17 avril 2020, un droit compensateur définitif sur des importations qui avaient été dédouanées et donc mises en libre pratique à compter du 19 mars 2016.

131    Il en découlerait que, à tout le moins pour la période allant du 19 mars 2016 au 17 avril 2017, la Commission a institué, de manière incohérente, des droits que les autorités douanières nationales ne pouvaient percevoir en application de la prescription triennale prévue à l’article 103, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union. En effet, cette prescription commencerait à courir à compter de la date de naissance de la dette douanière, à savoir à compter de la date de dédouanement des importations.

132    Par ailleurs, les requérantes font valoir que le règlement attaqué, tout comme le comportement des autorités douanières nationales, pourrait conduire à ce que ces dernières remboursent non pas l’intégralité du droit perçu sur le fondement du règlement initial, mais uniquement la différence entre le montant du droit prévu par le règlement initial et celui prévu par le règlement attaqué.

133    La Commission estime que le sixième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

134    À cet égard, il convient de relever qu’il ressort expressément du considérant 75 du règlement attaqué ainsi que de l’article 2 de ce règlement que la perception des montants appropriés sur les importations concernant Jindal Saw ainsi que le remboursement ou la remise des montants excédentaires perçus en application du règlement initial s’effectuent « conformément à la législation douanière applicable ».

135    Ces opérations doivent ainsi s’effectuer conformément, notamment, à l’article 101, paragraphe 1, à l’article 102, paragraphe 1, premier alinéa, à l’article 103, paragraphe 1, et à l’article 104, paragraphe 2, du code des douanes de l’Union.

136    Selon ces dispositions, le montant des droits exigibles est déterminé par les autorités douanières compétentes, auxquels il revient de notifier les dettes douanières, à moins qu’un délai de trois ans à compter de la date de la naissance de cette dette ait expiré.

137    Il en découle que la règle énoncée à l’article 103, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union a certes pour effet, non seulement de faire obstacle à ce que le montant des droits de douane puisse être communiqué au débiteur après l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la naissance de sa dette douanière, mais également de prescrire cette dette douanière elle-même à l’expiration dudit délai. Néanmoins, cette règle ne s’applique qu’à la communication du montant des droits de douane au débiteur et sa mise en œuvre incombe, à ce titre, aux seules autorités douanières nationales, compétentes pour effectuer une telle communication. Dès lors, elle n’est pas susceptible de faire obstacle à ce que la Commission adopte un règlement instituant ou réinstituant un droit compensateur définitif [voir, par analogie, arrêt du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, points 80, 81 et 83 et jurisprudence citée].

138    C’est donc à tort que les requérantes soutiennent que le règlement attaqué, en ce qu’il réinstitue un droit compensateur définitif sur les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw à compter du 19 mars 2016, viole l’article 103, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union. En effet, ce règlement ne s’oppose pas à l’application de cette disposition par les autorités douanières des États membres.

139    En ce que les requérantes font également grief au règlement attaqué d’avoir violé l’article 296 TFUE en ce qu’il ne motiverait pas le fait d’avoir écarté le délai de prescription prévu par l’article 103, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union, il suffit de relever qu’il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir exposé, dans le règlement attaqué, les raisons pour lesquelles elle n’avait pas appliqué une disposition qui ne lui était pas opposable.

140    Eu égard à ce qui précède, le sixième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur la seconde branche du septième moyen, tirée de l’incompétence de la Commission pour adopter le règlement d’enregistrement de 2019 et de la violation concomitante de l’article 24, paragraphe 5, du règlement de base antisubventions de 2016

141    Les requérantes indiquent que la seconde branche du septième moyen, tirée de l’incompétence de la Commission pour adopter le règlement d’enregistrement de 2019, est invoquée sur le fondement de l’article 277 TFUE. À cet égard, elles précisent, à toutes fins utiles, que leur exception d’illégalité est recevable dans la mesure où elles n’étaient pas en droit d’introduire un recours en annulation contre ledit règlement d’enregistrement, ce qui découlerait, par analogie, de la jurisprudence selon laquelle les recours contre les règlements instituant des droits antidumping provisoires sont irrecevables.

142    Au soutien de cette branche, les requérantes font valoir que l’enregistrement des importations des produits potentiellement concernés par des droits compensateurs, conformément à l’article 24, paragraphe 5, du règlement de base antisubventions de 2016, suppose l’existence de circonstances très particulières visées à l’article 16, paragraphe 2, 4 et 5, et à l’article 23, paragraphe 4, de ce règlement. Or, de telles circonstances feraient défaut en l’espèce, rendant illégaux tant l’enregistrement imposé par le règlement d’enregistrement 2019 que le droit perçu sur les importations soumises audit enregistrement.

143    En effet, le règlement de base antisubventions de 2016 ne prévoirait pas la possibilité de réinstituer rétroactivement un droit compensateur définitif sur les importations. De même, il ne prévoirait pas expressément que la réouverture d’une enquête permet l’enregistrement des importations. Or, en tant qu’exception à une règle générale interdisant l’institution rétroactive de droits sur les importations soumises à enregistrement, la faculté de procéder à cet enregistrement devrait être interprétée restrictivement.

144    La Commission fait valoir que l’exception d’illégalité soulevée par les requérantes doit être rejetée comme étant irrecevable et, subsidiairement, comme étant non fondée.

145    Quant à la recevabilité de l’exception d’illégalité soulevée par les requérantes, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 277 TFUE, nonobstant l’expiration du délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant le Tribunal l’inapplicabilité de cet acte.

146    À cet égard, la Cour juge que le principe général dont l’article 277 TFUE constitue l’expression et qui tend à garantir que toute personne dispose ou ait disposé d’une possibilité de contester un acte de l’Union qui sert de fondement à une décision qui lui est opposée ne s’oppose nullement à ce qu’un règlement devienne définitif pour un particulier, à l’égard duquel il doit être regardé comme une décision individuelle et qui aurait pu sans aucun doute en demander l’annulation en vertu de l’article 263 TFUE (arrêt du 10 juillet 2003, Commission/BCE, C‑11/00, EU:C:2003:395, point 75).

147    Afin d’apprécier la recevabilité de l’exception d’illégalité soulevée par les requérantes, il convient donc de déterminer si le règlement d’enregistrement de 2019 doit être regardé comme un acte de portée générale dont les requérantes auraient pu sans aucun doute demander l’annulation en vertu de l’article 263 TFUE.

148    En l’occurrence et s’agissant de la qualification du règlement d’enregistrement de 2019, il découle de l’article 288 TFUE que ce règlement constitue, à l’instar de tous les règlements, un acte de portée générale.

149    De plus, il est de jurisprudence constante que les règlements instituant des droits compensateurs définitifs présentent une double nature d’actes à caractère normatif et d’actes susceptibles de concerner directement et individuellement certains opérateurs économiques (voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2003, Commission/BCE, C‑11/00, EU:C:2003:395, point 75 et jurisprudence citée).

150    S’agissant, ensuite, de la question de savoir si les requérantes auraient sans aucun doute disposé du droit d’introduire un recours en annulation à l’encontre du règlement d’enregistrement de 2019, il convient de relever que, certes, certains éléments tendent à établir la recevabilité d’un tel recours.

151    Ainsi, comme l’a admis la Commission en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, le règlement d’enregistrement de 2019 identifie les produits qu’il vise, à savoir ceux fabriqués par Jindal Saw, et produit, dès le moment de son adoption, certains effets juridiques à l’égard de cette société en retardant le traitement par les autorités douanières nationales des demandes de remboursement et de remise du droit compensateur définitif institué par le règlement initial, à la suite de l’arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission (T‑300/16, EU:T:2019:235).

152    Toutefois, tant les requérantes que la Commission soutiennent qu’un recours en annulation contre le règlement d’enregistrement de 2019 aurait été rejeté comme étant irrecevable. À cet égard, cette dernière fait essentiellement valoir que le règlement d’enregistrement de 2019 constitue un acte préparatoire, insusceptible de recours.

153    De plus, il ressort du point 70 de l’ordonnance du 28 septembre 2021, Airoldi Metalli/Commission (T‑611/20, non publiée, EU:T:2021:641), prononcée dans un contexte certes différent, mais proche de celui d’espèce, qu’un importateur de produits faisant l’objet d’un règlement d’enregistrement est irrecevable à introduire un recours en annulation contre ce règlement, à défaut d’intérêt à agir.

154    Compte tenu de ce qui précède, il ne saurait être considéré que le règlement d’enregistrement de 2019 doit être regardé comme un acte de porte générale, dont les requérantes auraient pu sans aucun doute demander l’annulation en vertu de l’article 263 TFUE, au sens de la jurisprudence rappelée au point 146 ci-dessus.

155    En conséquence, l’exception d’illégalité soulevée par les requérantes doit être déclarée recevable.

156    Quant au fond, en ce que les requérantes se prévalent du défaut de compétence de la Commission pour adopter le règlement d’enregistrement de 2019 afin de conférer un effet rétroactif à la réinstitution du droit compensateur définitif sur les produits concernés fabriqués par Jindal Saw, il convient de relever que cette critique repose sur une prémisse erronée.

157    Il ressort en effet du considérant 21 du règlement d’enregistrement de 2019 que, contrairement à l’enregistrement effectué pendant la période précédant l’adoption de mesures provisoires, la finalité de l’enregistrement au cas d’espèce, dans le contexte des enquêtes visant à appliquer des arrêts du Tribunal, n’est pas de permettre la perception rétroactive éventuelle au titre de mesures de défense commerciale.

158    En tout état de cause, il ne découle ni du libellé de l’article 16, paragraphe 5, du règlement de base antisubventions de 2016 ni de l’économie générale de ce règlement que la Commission serait habilitée à adopter un règlement d’enregistrement uniquement dans les situations visées à l’article 16, paragraphes 2, 4 et 5, et à l’article 23, paragraphe 4, du règlement de base antisubventions de 2016, à l’exclusion du cas de la réinstitution d’un droit préalablement annulé par le Tribunal.

159    En effet, la faculté reconnue à la Commission d’imposer aux autorités nationales de prendre les mesures appropriées pour enregistrer les importations s’avère de portée générale, comme l’atteste le titre « Dispositions générales » de l’article 24 du règlement de base antisubventions de 2016. De plus, l’article 24, paragraphe 5, de ce règlement n’est assorti d’aucune limitation quant aux circonstances dans lesquelles la Commission est habilitée à enjoindre aux autorités douanières nationales de procéder à l’enregistrement de produits.

160    Au surplus, priver la Commission de la faculté de recourir à l’enregistrement dans le contexte d’une procédure de réinstitution d’un droit compensateur définitif est de nature à porter atteinte à l’effet utile des règlements susceptibles d’aboutir à une telle réinstitution. En effet, cela imposerait le remboursement ou la remise immédiat d’un droit qui pourrait, par la suite, être réinstitué ab initio en risquant, de ce fait, de rendre plus difficile la nouvelle perception de ce droit.

161    Par ailleurs, il y a lieu de relever que le règlement d’enregistrement de 2019 avait non seulement pour objet d’imposer aux autorités douanières nationales de prendre les mesures appropriées pour enregistrer les importations des produits concernés fabriqués par Jindal Saw, mais également d’enjoindre à ces autorités d’attendre la publication du règlement attaqué avant de se prononcer sur les demandes de remboursement et de remise des droits compensateurs relatifs aux importations de ces produits.

162    Or, la Cour a déjà eu l’occasion de juger, dans le domaine des mesures antidumping, que la Commission était habilitée à adopter des injonctions visant à préserver la perception d’un droit antidumping définitif institué par un règlement dont la légalité avait été mise en cause par le juge de l’Union et qui obligeaient les autorités douanières nationales à attendre que la Commission ait déterminé les taux auxquels ces droits auraient dû être fixés, avant de se prononcer sur les demandes de remboursement présentées par les opérateurs ayant acquitté lesdits droits (arrêt du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, points 56 à 60).

163    Dès lors, il ne saurait être valablement soutenu que la Commission n’était pas habilitée à adopter le règlement d’enregistrement de 2019 et, partant, aurait violé l’article 24, paragraphe 5, du règlement de base antisubventions de 2016.

164    En ce que les requérantes se prévalent, en substance, du défaut de justification ou de motivation de l’enregistrement imposé par le règlement d’enregistrement de 2019, force est de constater que cette critique est dépourvue de fondement. Il ressort en effet des considérants 17 à 22 du règlement d’enregistrement de 2019 que cet enregistrement est motivé par la nécessité de garantir l’effectivité des mesures de défense commerciale et, à cette fin, de s’assurer, dans la mesure du possible, que les importations sont soumises au montant correct de droit compensateur définitif, et ce sans interruption, de la date d’entrée en vigueur du règlement initial jusqu’à la réinstitution du droit rectifié, le cas échéant.

165    Or, les requérantes ni n’allèguent, ni a fortiori n’établissent le défaut de fondement de ces énonciations.

166    Eu égard à ce qui précède, la seconde branche du septième moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

167    Par conséquent, le présent recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

168    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Jindal Saw Ltd et Jindal Saw Italia SpA sont condamnées aux dépens.

Svenningsen

Mac Eochaidh

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er juin 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.