Language of document : ECLI:EU:T:2001:50

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

13 février 2001 (1)

«Fonctionnaires - Sécurité sociale - Assurance accidents - Article 73 du statut - Notion d'accident - Contamination par le VIH»

Dans l'affaire T-2/00,

N, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes J.-L. Dupont, et M.-A. Lucas, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Valsesia, et J. Currall, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision de la Commission refusant de considérer comme accident, au sens des articles 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et 2 de la réglementation relative à la couverture des risques d'accidents et de maladies professionnelles, la contamination du requérant par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et, d'autre part, une demande de dommages-intérêts,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas et J. D. Cooke, juges,

greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 7 novembre 2000,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

Statut des fonctionnaires

1.
    L'article 72, paragraphe 1, premier alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») énonce:

«Dans la limite de 80 % des frais exposés, et sur la base d'une réglementation établie d'un commun accord par les institutions des Communautés après avis du comité du statut, le fonctionnaire, son conjoint, lorsque celui-ci ne peut pas bénéficier de prestations de même nature et de même niveau en application de toutes autres dispositions légales ou réglementaires, ses enfants et les autres personnes à sa charge au sens de l'article 2 de l'annexe VII sont couverts contre les risques de maladie. Ce taux est relevé à 85 % pour les prestations suivantes: consultations et visites, interventions chirurgicales, hospitalisation, produits pharmaceutiques, radiologie, analyses, examen de laboratoire et prothèses sur prescription médicale à l'exception des prothèses dentaires. Il est porté à 100 % en cas de tuberculose, poliomyélite, cancer, maladie mentale et autres maladies reconnues de gravité comparable par l'autorité investie du pouvoir de nomination,ainsi que pour les examens de dépistage et en cas d'accouchement. Toutefois, les remboursements prévus à 100 % ne s'appliquent pas en cas de maladie professionnelle ou d'accident ayant entraîné l'application de l'article 73.»

2.
    Selon l'article 73, paragraphe 1, du statut, le fonctionnaire est couvert contre les risques d'accident dans les conditions fixées par une réglementation établie d'un commun accord des institutions des Communautés, à savoir la réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après la «réglementation accident»).

3.
    L'article 73, paragraphe 2, du statut prévoit, au titre des prestations servies en cas de décès ou d'invalidité permanente totale ou partielle, le paiement aux ayants droit de l'intéressé ou à celui-ci d'un capital auquel peut être substituée une rente viagère.

Réglementation accident

4.
    La réglementation accident définit dans son article 2 la notion d'accident comme suit:

«1.     Est considéré comme accident tout événement ou facteur extérieur et soudain ou violent ou anormal ayant porté atteinte à l'intégrité physique ou psychique du fonctionnaire.

2.     Sont considérés comme accidents, entre autres:

    -     la noyade, l'empoisonnement,

    -     les infections, maladies et blessures et toutes autres suites de morsures d'animaux ou piqûres d'insectes,

    -     les brûlures,

    -     les refroidissements, congélations, insolations et tous autres effets de la température s'ils sont la conséquence d'un accident,

    -     les distorsions, déchirures, ruptures musculaires et tendineuses résultant d'un effort,

    -     la disparition inexpliquée du fonctionnaire si, à l'expiration d'un délai d'un an et après examen des circonstances de la disparition, le fonctionnaire est présumé décédé à moins qu'il ne puisse être présumé que le décès n'a pas d'origine accidentelle.»

5.
    L'article 4 de ladite réglementation dispose:

«1.    Ne sont pas couverts par l'article 73 du statut les accidents résultant:

a)    de la participation volontaire à des rixes sous réserve du paragraphe 2;

b)    -     d'actes notoirement téméraires,

    -    de la participation, à l'aide d'engins motorisés, à des compétitions sportives, des épreuves sportives de vitesse et des essais officiels,

    -    de la pratique de sports réputés dangereux tels que la boxe, le karaté, le parachutisme, la spéléologie, la pêche ou l'exploration sous-marines avec équipement respiratoire comprenant des réservoirs d'alimentation d'air ou d'oxygène;

c)    de l'escalade de parois ou d'aiguilles rocheuses ou de sommets de montagne hors de voies frayées, sauf état de nécessité, et sous réserve du paragraphe 2;

d)    de la navigation de plaisance à plus de cinq milles marins des côtes;

e)    de l'ivresse ou de l'usage de stupéfiants non prescrits médicalement, sauf erreur;

f)    de la manipulation consciente d'engins ou de munitions de guerre, sauf état de nécessité.

2.    Toutefois, les accidents énumérés au paragraphe 1, points a) et c), sont couverts lorsqu'ils sont survenus dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ou sur le chemin du travail, sauf faute inexcusable du fonctionnaire.»

6.
    L'article 7, paragraphe 1, premier alinéa, de la réglementation accident énonce:

«Les prestations prévues à l'article 73 du statut ne sont pas dues lorsque l'accident ou la maladie a été provoqué intentionnellement par le fonctionnaire.»

7.
    Selon l'article 10, paragraphe 1, de la réglementation accident, le fonctionnaire victime d'un accident a droit au remboursement de tous les frais nécessités pour le rétablissement aussi complet que possible de son intégrité physique ou psychique et pour tous les soins et traitements nécessités par les suites des lésions subies et leurs manifestations, et s'il y a lieu, des frais nécessités par sa réadaptation fonctionnelle et professionnelle.

8.
    En ce qui concerne la procédure administrative à suivre, l'accident doit être déclaré à l'administration de l'institution dont relève l'intéressé par le fonctionnaire ou sesayants droit, cette déclaration devant indiquer de façon détaillée le jour et l'heure, les causes et les circonstances de l'accident, ainsi que les noms des témoins et du tiers responsable éventuels. Un certificat médical spécifiant la nature des lésions et les suites probables de l'accident doit être joint à la déclaration (article 16, paragraphe 1, de la réglementation accident).

9.
    L'article 19 de ladite réglementation prévoit que les décisions relatives à la reconnaissance de l'origine accidentelle d'un événement ainsi qu'à la fixation du degré d'invalidité permanente sont prises par l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN»), suivant la procédure prévue à l'article 21 sur la base des conclusions émises par le ou les médecins désignés par l'institution et, si le fonctionnaire le requiert, après consultation de la commission médicale prévue à l'article 23.

Faits à l'origine du recours

10.
    Le requérant, fonctionnaire de la Commission, a, par lettre du 9 février 1996, fait savoir à l'administration que de récents examens cliniques avaient révélé qu'il avait été contaminé par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Le requérant a joint en annexe à cette lettre une déclaration d'accident du 6 février 1996 et un certificat médical du docteur Vandercam.

11.
    Dans cette lettre, considérant que sa contamination devait être qualifiée d'accident au sens de l'article 2 de la réglementation accident, le requérant demandait que lui soient appliquées les dispositions de l'article 73 du statut ainsi que le remboursement à 100 % de ses frais médicaux en application de l'article 10 de la réglementation accident ou, jusqu'à la reconnaissance de l'origine accidentelle de son affection, sur le fondement des dispositions de l'article 72, paragraphe 1, premier alinéa, du statut, relatives aux maladies d'une gravité particulière.

12.
    Par lettre du 21 février 1996 du chef de l'unité 5 «Assurance maladie et accidents» de la direction B «Droits et obligations» de la direction générale «Personnel et administration» (DG IX) de la Commission (ci-après l'«unité IX.B.5»), le requérant a été informé que, concernant les frais médicaux découlant de sa maladie, son dossier devait être soumis au médecin-conseil du régime commun d'assurance maladie (RCAM) mais qu'il pourrait vraisemblablement bénéficier, conformément à l'article 72 du statut et à la réglementation prise pour son exécution, d'un remboursement à 100 %. Concernant l'application de l'article 73 du statut, le chef de l'unité IX.B.5 a toutefois indiqué au requérant qu'il ne lui semblait pas évident que le cas d'espèce relevait de cet article et qu'il allait soumettre son dossier au service juridique.

13.
    Le requérant a fourni à l'administration une nouvelle attestation du docteur Vandercam datée du 6 février 1996.

14.
    En vue d'un éventuel remboursement à 100 % des frais médicaux, le médecin-conseil de la caisse maladie a demandé au requérant la production d'un rapport médical plus détaillé par lettre du 22 février 1996. Le requérant a déféré à cette demande par lettre du 20 mai 1996.

15.
    Par lettre du même jour, le requérant a également informé le chef de l'unité IX.B.5 qu'il n'avait pas reçu de réponse à sa demande du 9 février 1996.

16.
    Par décision du 4 juin 1996, il a été accordé au requérant, en application de l'article 72, paragraphe 1, du statut, le remboursement à 100 % de ses frais médicaux.

17.
    Par lettre du 17 juin 1996, le chef de l'unité IX.B.5 a informé le requérant qu'il ne pouvait faire droit à sa demande relative à l'application de l'article 73 du statut.

18.
    Le 29 août 1996, le requérant a introduit une réclamation à l'encontre de cette décision.

19.
    Par lettre du 7 novembre 1996, l'AIPN a informé le requérant que la décision du 17 juin 1996 était annulée et que la Commission avait désigné le docteur Dalem afin qu'il établisse les conclusions prévues à l'article 19 de la réglementation accident. Il y était également mentionné qu'un projet de décision relatif à l'éventuelle reconnaissance de l'origine accidentelle de l'événement en cause lui serait notifié et que, dans ces conditions, la réclamation qu'il avait introduite était devenue sans objet.

20.
    Un projet de décision refusant de considérer comme accident au sens de l'article 73 du statut et de la réglementation accident sa contamination par le VIH a été transmis au requérant le 18 novembre 1996. Ce projet était fondé sur les conclusions du docteur Dalem du 18 octobre 1996.

21.
    Il était également mentionné que si le requérant ne déposait aucune demande de consultation de la commission médicale, prévue à l'article 23 de la réglementation accident, dans un délai de 60 jours, ce projet serait à considérer comme une décision définitive.

22.
    Par courrier du 10 janvier 1997, le requérant a demandé que soit consultée la commission médicale.

23.
    Conformément à l'article 23 de la réglementation accident, la commission médicale a été constituée de trois médecins, les docteurs Dalem et Joppart, désignés, respectivement, par la Commission et le requérant, et le professeur Clumeck, choisi du commun accord des deux premiers nommés. La Commission lui a notamment demandé de définir l'affection dont est atteint le requérant et la nature de celle-ci et de déterminer si cette affection et/ou l'origine de celle-ci pouvait être considérée comme un accident au sens de l'article 2 de la réglementation accident. Lacommission médicale s'est réunie les 2 juillet et 11 août 1998. Elle a entendu le requérant lors de cette seconde réunion.

24.
    Le rapport de la commission médicale, en date du 4 décembre 1998, énonce notamment:

«S'agissant de relations sexuelles entre adultes consentants pratiquant un comportement à risque reconnu de transmission du VIH, même si la contamination par le VIH s'est peut-être déroulée à l'occasion de la rupture d'un préservatif lors du rapport sexuel passif de février 1995, deux membres de la commission médicale estiment que sur le plan médical cette contamination ne peut être considérée comme un 'accident‘ pour les raisons suivantes:

-    l'acte sexuel consentant ne peut être considéré comme un 'événement ou facteur extérieur et soudain ou violent ou anormal ayant porté atteinte à l'intégrité physique ou psychique du fonctionnaire‘. Dans la problématique de l'acquisition sexuelle d'un agent pathogène, seul le viol rentre dans cette catégorie;

-    [le requérant] ayant eu d'autres partenaires sexuels durant la même période, il est impossible, même en cas d'usage de préservatif, de certifier que l'affection actuelle résulte bien du (et uniquement du) contact sexuel avec le partenaire incriminé. En effet, une autre rupture (passée inaperçue ou non notifiée par le patient) de préservatif peut avoir eu lieu à un autre moment et avoir conduit à la contamination.

    Pour relier la contamination à l'épisode incriminé, il aurait fallu, dans les heures qui ont suivi cet épisode, pratiquer un test de dépistage VIH (qui aurait dû être négatif) et, ensuite, contrôler à intervalle régulier, pendant un minimum de trois mois, l'apparition de la séropositivité. Cette procédure est celle qui est appliquée en cas de piqûre accidentelle avec des aiguilles contaminées. Ne pouvant établir avec certitude la relation de cause à effet entre l'événement incriminé et l'infection [par le] VIH, il est 'a fortiori‘ impossible de considérer cet événement comme un 'accident‘.»

25.
    En conclusion, la commission médicale considère:

«Après avoir entendu [le requérant] et avoir examiné tous les documents en sa possession, en ce [...] compris les copies des différents rapports médicaux et lettres au médecin traitant, la commission médicale estime à la majorité de deux membres sur trois (Pr N. Clumeck et Dr J. Dalem) que l'affection [due au] VIH dont souffre [le requérant] ne peut être considérée comme un 'accident‘. Il s'agit d'un événement de la vie privée survenu lors de rapports sexuels entre adultes consentants, au même titre que les autres affections sexuellement transmissibles que le patient a présentées dans ses antécédents.

Un membre de la commission (Dr P. Joppart) estime, quant à lui, que l'infection [par le] VIH répond bien à la définition d'un accident et résulte d'un facteur extérieur, soudain et anormal portant atteinte à l'intégrité physique et psychique [du requérant].»

26.
    Par lettre du 2 décembre 1998, le docteur Joppart a transmis au professeur Clumeck diverses remarques et précisions sur le rapport de la commission médicale. Il demandait également dans cette lettre que ces observations soient incluses dans ledit rapport ou qu'une copie de sa lettre soit envoyée à la Commission afin d'y être annexée.

27.
    Cette lettre, qui a été annexée au rapport de la commission médicale, énonce, notamment, ce qui suit:

«-    à la page 3, in fine [du rapport]:

je propose de modifier la dernière phrase de la manière suivante: ”un membre de la Commission (docteur P. Joppart) estime que c'est la contamination lors de l'acte sexuel, en ce cas provoquée par la rupture du préservatif, qui constitue l''accident‘; l'infection [par le] VIH est ainsi la conséquence d'un facteur extérieur et soudain, ou violent ou anormal, ayant porté atteinte à l'intégrité physique et psychique [du requérant]”».

28.
    Par lettre du 15 mars 1999, l'AIPN a notifié au requérant sa décision de considérer comme définitif son projet du 18 novembre 1996 (ci-après la «décision attaquée»). Les conclusions de la commission médicale étaient jointes à cette lettre ainsi que l'intégralité de son rapport.

29.
    Le 10 juin 1999, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision attaquée. Le 15 juin 1999, les conseils du requérant ont déposé en son nom une réclamation. La Commission a considéré que la réclamation du 15 juin 1999 constituait un complément de celle du 10 juin 1999.

30.
    Une réunion interservices a eu lieu le 22 septembre 1999. La réclamation a été rejetée par décision transmise au requérant le 7 janvier 2000.

Procédure et conclusions des parties

31.
    Par requête du 6 janvier 2000, déposée le 10 janvier 2000 au greffe du Tribunal, le requérant a introduit le présent recours.

32.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

33.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience à huis clos du 7 novembre 2000.

34.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    pour autant que de besoin, annuler les décisions implicites de rejet des réclamations administratives des 10 et 15 juin 1999 à l'encontre de cette décision;

-    lui permettre d'apporter la preuve, notamment par le biais des témoignages des membres de la commission médicale, que celle-ci n'a pas tenu compte, à la suite de son audition et des explications qu'il a fournies concernant les circonstances de sa contamination, du caractère incomplet de sa déclaration d'accident;

-    condamner la défenderesse à lui rembourser les honoraires médicaux qu'il a payés en exécution de la décision attaquée;

-    condamner la défenderesse à lui payer des dommages et intérêts, dont le Tribunal décidera le montant, en réparation de son préjudice moral;

-    condamner la défenderesse aux dépens,

35.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

En droit

36.
    Le requérant invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique tiré de la violation de l'article 2 de la réglementation accident. Ce moyen est divisé en trois branches tirées, premièrement, d'une erreur de droit quant au lien de causalité requis entre l'événement dommageable et le facteur extérieur y ayant donné lieu, deuxièmement, d'une erreur de droit quant à la définition des critères de l'accident et, troisièmement, d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des critères de l'accident. Les parties ont également formulé des observations relatives à l'interprétation du rapport de la commission médicale.

Considérations liminaires

37.
    Il convient de rappeler que, selon l'article 19 de la réglementation accident, les décisions relatives à la reconnaissance de l'origine accidentelle d'un événement sont prises par l'AIPN, suivant la procédure prévue à l'article 21, sur la base des conclusions émises par le ou les médecins désignés par l'institution et, si le fonctionnaire le requiert, après consultation de la commission médicale prévue à l'article 23.

38.
    Il y a également lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les appréciations médicales proprement dites formulées par la commission médicale doivent être considérées comme définitives lorsqu'elles ont été émises dans des conditions régulières. Le contrôle juridictionnel ne peut s'exercer que sur la régularité de la constitution et du fonctionnement d'une telle commission ainsi que sur la régularité des avis qu'elle émet (voir arrêts du Tribunal du 21 mars 1996, Chehab/Commission, T-10/95, RecFP p. I-A-135 et II-419, point 41, et du 29 janvier 1998, de Corte/Commission, T-62/96, RecFP p. I-A-31 et II-71, point 73). Toutefois, le juge communautaire est compétent pour examiner si l'avis de la commission médicale contient une motivation permettant d'apprécier les considérations sur lesquelles sont fondées les conclusions qu'il contient et s'il a été établi un lien compréhensible entre les constations médicales qu'il comporte et les conclusions auxquelles aboutit la commission médicale (voir arrêts du Tribunal du 12 juillet 1990, Vidrányi/Commission, T-154/89, Rec. p. II-445, point 48, et de la Cour du 24 octobre 1996, Commission/Royale belge, C-76/95, Rec. p. I-5501, point 67).

39.
    En l'espèce, la régularité de la constitution et du fonctionnement de la commission médicale n'a pas été contestée par le requérant. Les appréciations médicales contenues dans son rapport doivent dès lors être considérées comme définitives.

40.
    Toutefois, le requérant allègue que la Commission a commis une erreur en donnant mandat à la commission médicale de répondre à des questions juridiques et, plus particulièrement, de définir si l'événement incriminé pouvait être qualifié d'accident au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la réglementation accident.

41.
    À cet égard, il convient de constater que, l'intervention de la commission médicale traduisant l'intention d'aboutir, en cas de litige, à un arbitrage définitif de toutes les questions médicales (voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 1997, S/Cour de justice, T-4/96, Rec. p. II-1125, point 40), la tâche qui lui incombe se limite à émettre des avis de nature purement scientifique, à l'exception de toute appréciation d'ordre juridique (voir arrêt de la Cour du 21 janvier 1987, Rienzi/Commission, 76/84, Rec. p. 315, points 9 à 12, et arrêts du Tribunal du 26 septembre 1990, F./Commission, T-122/89, Rec. p. II-517, point 15, et S/Cour de justice, précité, point 59). En outre, selon une jurisprudence constante, la question de savoir si l'événement incriminé peut être qualifié d'accident au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la réglementation accident relève de la seule compétence de l'administration sous lecontrôle du juge communautaire (voir, en ce sens, arrêt de Corte/Commission, précité, point 78).

42.
    Or, en l'espèce, il y a lieu de relever que, en considération du mandat qui lui avait été confié par la Commission, la commission médicale a été appelée à se prononcer sur des questions d'ordre juridique. En effet, la Commission a demandé à la commission médicale, dans le cadre de la deuxième question qu'elle lui a posée, de définir si l'affection en cause, et/ou l'origine de celle-ci, peut être considérée comme un accident au sens de l'article 2 de la réglementation accident.

43.
    Toutefois, cet état de fait ne saurait affecter la validité de la décision attaquée. En effet, l'AIPN ayant entériné le rapport de la commission médicale et fait sien l'ensemble de ses conclusions, il convient seulement de constater que les appréciations d'ordre juridique portées par la commission médicale ne revêtent pas, contrairement à ses appréciations médicales, de caractère définitif.

44.
    Il s'ensuit que le Tribunal est compétent pour examiner si l'AIPN, en entérinant l'avis de la commission médicale qui se réfère dans ses conclusions à la notion d'«accident», a respecté la portée des dispositions réglementaires pertinentes.

Sur le moyen unique, tiré d'une violation de l'article 2 de la réglementation accident

45.
    Avant d'aborder les différentes branches du moyen invoquées par le requérant, il convient d'interpréter le rapport de la commission médicale.

46.
    Le requérant allègue, en substance, que l'accident dont il a été victime est constitué par la rupture de préservatif qui serait intervenue au cours d'une relation sexuelle de février 1995 et qui aurait provoqué le contact entre le sperme ou le sang porteur du VIH et son organisme. À cet égard, il affirme que la commission médicale a effectivement considéré, dans son rapport, que sa contamination résulte d'une rupture de préservatif, que ce soit ou non celle de février 1995.

47.
    Il convient de constater que la commission médicale expose dans son rapport, concernant les circonstances de la contamination du requérant:

«[Le requérant] situe l'épisode de contamination par le VIH au début de l'année 1995 (probablement en février) où, lors d'un rapport passif avec un partenaire occasionnel, une rupture de préservatif a eu lieu. À la même époque, le patient fait état de rapports sexuels actifs, passifs ou oraux avec d'autres partenaires occasionnels. Le préservatif n'étant pas utilisé systématiquement en cas de rapport oral.»

48.
    Ces informations ont été recueillies par la commission médicale lors de sa réunion du 11 août 1998, au cours de laquelle le requérant a été entendu sur lescirconstances précises de sa contamination. À cet égard, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande du requérant d'être autorisé à apporter la preuve, notamment par des témoignages, que la commission médicale n'a pas tenu compte, à la suite de son audition et des explications qu'il a fournies concernant les circonstances de la contamination, du caractère incomplet de sa déclaration d'accident.

49.
    Le rapport de la commission médicale mentionne également ce qui suit:

«S'agissant de relations sexuelles entre adultes consentants pratiquant un comportement à risque reconnu de transmission du VIH, même si la contamination s'est peut-être déroulée à l'occasion de la rupture de préservatif lors du rapport sexuel passif de février 1995, deux membres de la commission médicale estiment que, sur le plan médical, cette contamination ne peut être considérée comme un 'accident‘ pour les raisons suivantes:

[...]

-    [le requérant] ayant eu d'autres partenaires sexuels durant la même période, il est impossible, même en cas d'usage de préservatif, de certifier que l'affection résulte bien du (et uniquement du) contact sexuel avec le partenaire incriminé. En effet, une autre rupture (passée inaperçue ou non notifiée par le patient) de préservatif peut avoir eu lieu à un autre moment et avoir conduit à la contamination.»

50.
    Or, il ressort de ces passages que, contrairement, à l'affirmation du requérant, la commission médicale n'a pas considéré que seule une rupture de préservatif pouvait être la cause de la contamination mais s'est contentée de l'envisager comme étant l'une des causes possibles.

51.
    S'il est vrai que la commission médicale envisage qu'une autre rupture ait pu se produire lors d'un autre rapport sexuel afin de répondre à l'exposé du requérant sur les circonstances de sa contamination, selon lequel la rupture de préservatif contaminante a eu lieu en février 1995, il n'en demeure pas moins que les circonstances précises de la contamination lors d'un rapport sexuel restent, selon la commission médicale et en considération de l'anamnèse sexuelle du requérant, indéterminables.

52.
    Dès lors, la commission médicale n'ayant pu déterminer la cause de nature accidentelle à l'origine de la contamination du requérant, la Commission était fondée à entériner l'appréciation juridique de ladite commission, à savoir que, «[n]e pouvant établir avec certitude la relation de cause à effet entre l'événement incriminé et l'infection [par le] VIH, il est 'a fortiori‘ impossible de considérer cet événement comme un 'accident‘».

Sur la première branche du moyen, tirée de l'existence d'une erreur de droit quant au lien de causalité requis

53.
    Le requérant soutient que, la commission médicale ayant estimé que la contamination résultait d'une rupture de préservatif, il n'était pas nécessaire d'identifier précisément le rapport sexuel au cours duquel la rupture est intervenue.

54.
    Toutefois, il a été précédemment constaté que la commission médicale n'a pas considéré que la contamination du requérant par le VIH s'était nécessairement déroulée à l'occasion d'une rupture de préservatif.

55.
    Dès lors, la prémisse sur laquelle le requérant fonde son grief étant erronée, la première branche du moyen est inopérante.

56.
    Il y a donc lieu d'écarter la première branche du moyen.

Sur la deuxième branche du moyen, tirée d'une erreur de droit quant aux critères de l'accident

57.
    Le requérant soutient que les notions de risque assumé et de faute contenues dans les articles 4 et 7 de la réglementation accident sont étrangères à la définition de l'accident visée à l'article 2, paragraphe 1, de ladite réglementation et que la commission médicale ne devait, par conséquent, pas les appliquer en l'espèce.

58.
    Il convient de rappeler que la commission médicale se réfère également, dans son rapport, à la circonstance selon laquelle sont en cause, en l'espèce, des «relations sexuelles entre adultes consentants pratiquant un comportement à risque reconnu de transmission du VIH» et affirme que l'«acte sexuel consentant» ne peut être considéré comme un accident (voir extraits pertinents au point 24 ci-dessus).

59.
    Il est vrai, comme l'allègue le requérant, que les notions d'acceptation d'un risque ou de faute ne ressortent pas de la définition de l'accident visée à l'article 2, paragraphe 1, de la réglementation accident. Leur application à un cas d'espèce ne peut donc conduire à empêcher qu'un événement ou un facteur extérieur soit qualifié d'accident, mais seulement à exclure un accident au sens de la dite réglementation de la couverture prévue à l'article 73 du statut.

60.
    Toutefois, il convient de rappeler que la commission médicale ayant constaté que les circonstances précises de la contamination ne pouvaient être déterminées, il est, en l'absence d'accident identifié, sans pertinence de s'interroger sur l'existence d'un comportement à risque ou d'une faute intentionnelle du requérant. Partant, l'argument du requérant est dénué de pertinence.

61.
    En tout état de cause, l'utilisation par la commission médicale des expressions «risque assumé» et «acte sexuel consentant» constituent des appréciations générales ne tendant qu'à souligner le caractère volontaire du rapport sexuel invoqué par le requérant.

62.
    Il échet, par conséquent, de rejeter la deuxième branche du moyen.

Sur la troisième branche du moyen, tirée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des critères de l'accident

63.
    Dans ses mémoires, le requérant affirme, à titre principal, que le fait qu'il ait été contaminé lors d'une relation sexuelle au cours de laquelle le préservatif s'est rompu est un accident au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la réglementation accident. Lors de l'audience, le requérant a toutefois soutenu que la rupture de préservatif ne pouvait en soi être qualifiée d'accident au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la réglementation accident. Ce sont la rupture de préservatif et la contamination, prises ensemble, qui constitueraient l'accident.

64.
    Or, comme il a été indiqué ci-dessus, la commission médicale a constaté qu'il est impossible de conclure que la contamination du requérant s'était nécessairement déroulée à l'occasion d'une rupture de préservatif.

65.
    Dès lors, il est inopérant d'alléguer que la rupture de préservatif lors d'une relation sexuelle satisfait aux critères de l'accident de l'article 2, paragraphe 1, de ladite réglementation.

66.
    À titre subsidiaire, le requérant affirme que la contamination par le VIH pourrait en elle-même constituer l'accident, même si les circonstances de cette contamination ne sont pas précisées.

67.
    Cependant, il ne saurait être considéré que la contamination par le VIH ou par tout autre virus infectieux dont les modes de transmission sont multiples constitue, en elle-même, un événement ou un facteur extérieur au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la réglementation accident. Cette contamination constitue une affection, une lésion de nature infectieuse pour laquelle il convient d'identifier l'origine exacte et les circonstances précises de sa transmission afin de déterminer si le fonctionnaire concerné a été victime d'un accident. D'ailleurs, il y a lieu, à cet égard, de relever que, à l'article 2, paragraphe 2, de la réglementation accident, qui énumère une série de cas spéciaux qui sont considérés comme des accidents, les seules infections visées sont celles résultant de morsures d'animaux ou de piqûres d'insectes.

68.
    Partant, cette troisième branche du moyen doit être rejetée.

69.
    Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que les conclusions en annulation doivent être rejetées dans leur entièreté.

70.
    Le requérant ayant succombé en ses conclusions en annulation, il n'y pas lieu d'ordonner à la Commission de lui rembourser les honoraires médicaux qu'il a payés en exécution de la décision attaquée en application de l'article 23, paragraphe 2, troisième alinéa, de la réglementation accident.

Sur les conclusions en indemnité

71.
    Le requérant soutient que la décision attaquée constitue une décision illégale et donc fautive. En outre, il se prévaut de vices de forme dans le déroulement de la procédure administrative. Ainsi, la Commission aurait commis une faute, tout d'abord, en prenant une première décision de rejet sans procéder préalablement à une enquête médicale appropriée, ensuite, en ne priant pas le médecin chargé de lui soumettre ses conclusions d'examiner et d'entendre le requérant et, enfin, en demandant à la commission médicale de prendre position sur des questions de nature juridique ne relevant pas de sa compétence. La Commission aurait également commis une faute en ne répondant pas explicitement aux réclamations administratives du requérant des 10 et 15 juin 1999.

72.
    Il considère que ces fautes lui ont causé un préjudice moral dont la gravité, dans les présentes circonstances, ne peut être compensée par la seule annulation de la décision attaquée. Il s'en remet donc au Tribunal quant à l'évaluation de ce préjudice.

73.
    Il convient liminairement de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions constituées par l'illégalité du comportement reproché à l'institution communautaire, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice invoqué (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 16 septembre 1998, Rasmussen/Commission, T-234/97, RecFP p. I-A-507 et II-1533, point 71).

74.
    Or, concernant l'examen des griefs soulevés à l'appui de la demande en annulation et repris par le requérant à l'appui de sa demande en réparation, ce dernier n'a fourni aucune preuve d'illégalités commises par la Commission. La demande en indemnité doit donc être rejetée sur ce point.

75.
    S'agissant de la circonstance que la Commission a rejeté, une première fois, par décision du 17 juin 1996, la demande du requérant de considérer sa contamination comme un accident sans procéder à une enquête médicale préalable, il y a lieu de constater que la Commission l'a annulée, comme l'indique sa lettre du 7 novembre 1996. Partant, bien que, en violation de l'article 19 de la réglementation accident,il n'ait pas été procédé à une enquête médicale à ce stade de la procédure administrative, cette omission n'est pas de nature à constituer un préjudice pour le requérant dès lors que la Commission a, par la suite, suivi la procédure idoine.

76.
    Quant au fait que la Commission a demandé à la commission médicale de prendre position sur des questions juridiques, il convient de constater que, bien que l'institution soit tenue de ne poser à la commission médicale que des questions d'ordre purement médical, le requérant n'a pas démontré avoir subi de ce fait un quelconque préjudice.

77.
    Concernant le fait que le docteur Dalem n'a pas examiné ou entendu le requérant, il y a lieu de constater que le médecin chargé par la Commission de l'enquête médicale est juge de la nécessité d'une audition et d'un examen de l'intéressé, et ce, notamment, au regard du caractère plus ou moins complet du dossier médical dont il dispose. Il convient de relever que le requérant n'a pas, en l'espèce, invoqué que son audition ou son examen était rendu nécessaire par le caractère incomplet de son dossier médical (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 19 janvier 1988, Biedermann/Cour des comptes, 2/87, Rec. p. 143, point 16, et arrêt Vidrányi/Commission, précité, point 42).

78.
    Enfin, s'agissant de l'argument du requérant tiré du préjudice causé par le défaut de réponses de la Commission à ses réclamations, il suffit de relever que le statut n'impose pas aux institutions communautaires de transmettre de réponses explicites aux réclamations de leurs fonctionnaires. À cet égard, il est d'ailleurs mentionné à l'article 90, paragraphe 2, deuxième alinéa, du statut que le défaut de réponse à la réclamation du requérant vaut décision implicite de rejet susceptible de faire l'objet d'un recours au sens de l'article 91 du statut.

79.
    Il s'ensuit que la demande en indemnité doit être rejetée sur ces points.

80.
    Il ressort de tout ce qui précède que les conclusions en indemnité doivent être rejetées dans leur intégralité.

Sur les dépens

81.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entres les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Chaque partie supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Lindh García-Valdecasas Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 février 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1: Langue de procédure: le français.