Language of document : ECLI:EU:T:1998:34

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

12 novembre 1998 (1)

«Fonctionnaires — Recours en révision — Fait nouveau décisif — Absence — Irrecevabilité»

Dans l'affaire T-91/96 (125),

Conseil de l'Union européenne, représenté par Mme Thérèse Blanchet, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie demanderesse en révision,

contre

Nicole Hankart, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Rhode-Saint-Genèse (Belgique), représentée initialement par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure, Véronique Leclercq et Ariane Tornel, avocats au barreau de Bruxelles, puis uniquement par Mes Louis et Demaseure, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

partie défenderesse en révision,

ayant pour objet une demande en révision de l'arrêt du Tribunal du 17 février 1998, Hankart/Conseil (T-91/96, RecFP p. II-149),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. R. M. Moura Ramos, président, Mme V. Tiili et M. P. Mengozzi, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine de la demande

1.
    Mme Hankart, agent qualifié de grade D 3 auprès du service commun «interprétation-conférences» de la Commission a participé, le 17 novembre 1995, à la première série d'épreuves écrites du concours général Conseil/C/360 organisé par le Conseil en vue de constituer une réserve de recrutement de secrétaires d'expression française (avis de concours publié au JO 1994, C 345 A, p. 3, version française uniquement).

2.
    Par décision du jury du concours du 13 mars 1996, elle n'a pas été admise à participer à la suite des épreuves, au motif que, dans la première série d'épreuves, elle avait abandonné au stade de la troisième épreuve écrite.

3.
    Le 13 juin 1996, elle a introduit devant le Tribunal un recours en annulation de cette décision.

4.
    Par arrêt du 17 février 1998, Hankart/Conseil (T-91/96, RecFP p. II-149, ci-après «arrêt du 17 février 1998»), le Tribunal a annulé ladite décision.

5.
    Afin d'exécuter cet arrêt, le Conseil a décidé de reconvoquer le jury du concours. Celui-ci a, par lettre du 4 mars 1998, invité Mme Hankart à participer une nouvelle fois à la première partie des épreuves écrites, le 24 mars 1998.

6.
    Le conseil de Mme Hankart, dans une réponse datée du 11 mars 1998, a fait savoir au Conseil que, à la suite d'un autre concours communautaire, sa cliente avait été nommée fonctionnaire de grade C 5 à la Commission le 1er mai 1997 et qu'il ne voyait pas l'intérêt qu'elle pourrait avoir à participer aux épreuves du concours organisé par le Conseil. Il a toutefois souligné l'obligation de l'institution de

prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt et a proposé au Conseil de procéder à l'indemnisation du préjudice que sa cliente avait subi dans la perte d'une chance d'être nommée fonctionnaire du Conseil en même temps que ses collègues inscrits sur la liste des lauréats.

Procédure et conclusions

7.
    Par demande déposée au greffe du Tribunal le 2 juin 1998, le Conseil a introduit, en vertu de l'article 41 du statut (CE) de la Cour et de l'article 125 du règlement de procédure du Tribunal, un recours en révision de l'arrêt du 17 février 1998.

8.
    La partie défenderesse en révision a présenté ses observations par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 juillet 1998.

9.
    La partie demanderesse en révision conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    déclarer recevable la demande en révision;

—    réviser les points suivants de l'arrêt du Tribunal:

    Dans la partie «Faits à l'origine du litige» de l'arrêt,

    a)    le point 1, pour y constater que Mme Hankart avait, le 1er mai 1997, été nommée fonctionnaire de grade C 5 par la Commission, à la suite de sa réussite au concours interne C/1/95 et de son inscription sur la liste d'aptitude en date du 10 janvier 1997;

    Dans la partie «Sur le fond» de l'arrêt,

    b)    à titre principal, les points 14 à 21 (Argumentation des parties) et 22 à 33 (Appréciation du Tribunal) de l'arrêt et le point 1 du dispositif de l'arrêt, pour y constater que Mme Hankart avait, du fait de son inscription en date du 10 janvier 1997 sur la liste d'aptitude du concours C/1/95 et de sa nomination, le 1er mai 1997, en qualité de fonctionnaire de grade C 5 par la Commission, perdu tout intérêt à la continuation de l'instance dans l'affaire T-91/96, son action devant dès lors être rejetée ou le Tribunal devant déclarer qu'il n'y avait plus lieu à statuer;

    c)    à titre principal, au cas où la conclusion sous b) ci-dessus serait accueillie, et à titre subsidiaire, au cas où la conclusion sous b) ci-dessus ne serait pas accueillie, le point 34 de l'arrêt et le point 2 du dispositif de l'arrêt en ce sens que Mme Hankart soit condamnée à supporter l'intégralité des dépens de l'affaire T-91/96, ou, à tout le

moins ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par le Conseil à partir du 10 janvier 1997 ou du 1er mai 1997;

—    condamner Mme Hankart aux dépens de la procédure en révision.

10.
    La défenderesse en révision conclut à ce qui plaise au Tribunal:

—    rejeter la demande en révision;

—    condamner le Conseil aux dépens.

Sur la recevabilité de la demande en révision

11.
    Aux termes de l'article 41, premier et deuxième alinéas, du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 46, premier alinéa, dudit statut:

«La révision de l'arrêt ne peut être demandée à la Cour qu'en raison de la découverte d'un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision.

La procédure de révision s'ouvre par un arrêt de la Cour constatant expressément l'existence d'un fait nouveau, lui reconnaissant les caractères qui donnent ouverture à la révision, et déclarant de ce chef la demande recevable.»

12.
    Ces dispositions sont complétées par celles des articles 125 et 126 du règlement de procédure. Selon l'article 125, la révision doit être demandée au plus tard dans un délai de trois mois à compter du jour où le demandeur a eu connaissance du fait sur lequel la demande en révision est fondée. Aux termes de l'article 126, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la demande en révision doit articuler les faits sur lesquels la demande est basée.

13.
    Selon une jurisprudence constante, la révision n'est pas une voie d'appel, mais une voie de recours extraordinaire permettant de mettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée à un arrêt définitif en raison des constatations de fait sur lesquelles la juridiction s'est fondée. La révision présuppose la découverte d'éléments de nature factuelle, antérieurs au prononcé de l'arrêt, inconnus jusque-là de la juridiction qui a rendu cet arrêt, ainsi que de la partie demanderesse en révision et qui, si la juridiction avait pu les prendre en considération, auraient été susceptibles de l'amener à consacrer une solution différente de celle apportée au litige [ordonnance de la Cour du 25 février 1992, Gill/Commission, C-185/90 P-Rév., Rec. p. I-993, point 12, arrêt de la Cour du 16 janvier 1996, ISAE/VP et Interdata/Commission, C-130/91 REV II, Rec. p. I-65, point 6, et arrêt du Tribunal

du 5 novembre 1997, de Compte/Parlement, T-26/89 (125), RecFP p. II-847, point 15].

14.
    Conformément à cette jurisprudence et aux dispositions précitées, il y a donc lieu d'examiner la recevabilité de la demande en révision de l'arrêt du 17 février 1998.

15.
    Au soutien de cette demande, le Conseil invoque la lettre du conseil de Mme Hankart du 11 mars 1998 (voir ci-dessus point 6). Il est d'avis que si la circonstance révélée par ce document, à savoir la nomination de Mme Hankart comme fonctionnaire de grade C 5 à la Commission le 1er mai 1997, avait été connue du Tribunal et du Conseil avant l'audience du 27 novembre 1997 et avant le prononcé de l'arrêt le 17 février 1998, la solution apportée au litige aurait été différente, en ce sens que le recours aurait été rejeté ou, à tout le moins, n'aurait pas abouti à la condamnation du Conseil à supporter l'intégralité des dépens.

16.
    Il estime en effet que, après sa nomination en tant que fonctionnaire de grade C 5 au service de la Commission, intervenue le 1er mai 1997, Mme Hankart n'avait plus d'intérêt à poursuivre une action en justice qui visait précisément à lui ouvrir la possibilité de participer au concours Conseil/C/360 organisé en vue de constituer une réserve de recrutement de secrétaires de catégorie C.

17.
    Il fait valoir que les nominations consécutives au concours Conseil/C/360 sont intervenues le 1er novembre 1996 pour cinq personnes parmi les meilleures des 83 lauréats de la liste d'aptitude établie par mérite et que, par la suite, une nomination a eu lieu le 1er avril 1997 et une autre le 1er mai 1997. Il s'ensuivrait que Mme Hankart n'aurait pu être nommée au grade C 5 dans le premier groupe en novembre 1996 que si elle avait figuré parmi les cinq meilleurs lauréats. Si son nom avait figuré plus loin sur la liste, elle aurait pu être nommée soit en avril ou en mai 1997, soit plus tard.

18.
    Le Conseil fait remarquer que la liste d'aptitude relative au concours interne C/1/95 organisé par la Commission, auquel Mme Hankart avait participé, a été établie le 10 janvier 1997. Or, s'agissant d'un concours interne, les lauréats auraient été pratiquement certains d'être nommés. Ainsi, Mme Hankart aurait en réalité su, à partir du 10 janvier 1997, qu'elle serait nommée à un poste de catégorie C à la Commission. Par conséquent, dès cette date et, en tout état de cause, depuis sa nomination intervenue le 1er mai 1997, elle aurait perdu tout intérêt à poursuivre l'instance devant le Tribunal dans l'affaire T-91/96.

19.
    A titre principal, le Conseil estime que, si ces circonstances avaient été connues, le Tribunal ou bien aurait rejeté le recours de Mme Hankart au motif que celle-ci ne pouvait espérer aucun effet utile d'une annulation (voir arrêt de la Cour du 5 mars 1980, Simmenthal/Commission, 243/78, Rec. p. 593), ou bien aurait déclaré qu'il n'y avait plus lieu à statuer (voir arrêts de la Cour du 1er juin 1961, Meroni e.a./Haute Autorité, 5/60, 7/60 et 8/60, Rec. p. 199, du 19 octobre 1982, Roquette

frères/Conseil, 179/80, Rec. p. 3623, et ordonnance de la Cour du 11 novembre 1985, Eurasian Corporation/Commission, 82/85, Rec. p. 3603). Le Conseil ajoute que la seule éventualité d'un recours ultérieur en indemnité n'aurait pas été unecirconstance permettant de conclure que le recours en annulation avait conservé son objet (ordonnance Eurasian Corporation/Commission, précitée, point 12).

20.
    Par ailleurs, Mme Hankart aurait, à l'instar de la jurisprudence citée, été condamnée à supporter soit l'intégralité des dépens ou ses propres dépens, soit ceux postérieurs au 10 janvier 1997 (date d'établissement de la liste d'aptitude) ou au 1er mai 1997 (date de sa nomination à la Commission).

21.
    A titre subsidiaire, le Conseil considère que le recours de Mme Hankart aurait été accueilli au fond, mais que la requérante aurait été condamnée aux dépens en vertu de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, au motif que la poursuite de son action avait revêtu un caractère frustratoire.

22.
    La partie défenderesse en révision considère qu'elle avait conservé son intérêt à participer au concours organisé par le Conseil, à savoir l'espoir d'être nommée fonctionnaire de cette institution. A cet égard, elle souligne qu'un transfert entre institutions est soumis aux conditions strictes de l'article 29, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et que sa nomination à la Commission ne lui garantissait nullement une mutation à un emploi au Conseil.

23.
    Par ailleurs, du fait des irrégularités dans l'organisation du concours, elle aurait été privée d'une chance d'être nommée fonctionnaire du Conseil avant le 1er mai 1997. Or, il incomberait au Conseil de rapporter la preuve que l'échec du candidat au concours ainsi que le préjudice résultant de cet échec ne sont pas dus aux irrégularités constatées (arrêt de la Cour du 14 mai 1998, Conseil/de Nil et Impens, C-259/96 P, Rec. p. I-2915, point 29).

24.
    Le Tribunal rappelle que la révision présuppose la découverte d'éléments qui, si la juridiction avait pu les prendre en considération, auraient été susceptibles de l'amener à consacrer une solution différente de celle apportée au litige.

25.
    L'annulation de la décision du jury de concours a été prononcée par l'arrêt du 17 février 1998, en raison d'une erreur manifeste d'appréciation, au motif que, au moment où le jury s'était prononcé, il ne disposait d'aucune procédure fiable pour conclure à l'absence de participation de la requérante à la troisième épreuve (point 28 de l'arrêt). Ainsi a été sanctionnée une irrégularité dans les modalités pratiques du concours.

26.
    Il n'est pas contesté que Mme Hankart avait, lors de l'introduction de son recours, le 13 juin 1996, un intérêt à voir condamner cette irrégularité, parce que cette circonstance l'avait privée de la possibilité d'être éventuellement nommée fonctionnaire du Conseil à la suite du concours Conseil/C/360.

27.
    S'agissant des développements postérieurs à l'introduction du recours, Mme Hankart soutient à juste titre que le fait d'avoir été nommée fonctionnaire à la Commission le 1er mai 1997 n'avait pas fait disparaître son intérêt à faire constater l'irrégularité. En effet, si l'organisation pratique du concours Conseil/C/360 avait été irréprochable, elle aurait bénéficié d'une chance d'être nommée fonctionnaire dès le 1er novembre 1996, date des premiers recrutements intervenus à la suite de ce concours (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec. p. 23, points 11 et 12). De plus, à supposer qu'elle souhaitât devenir fonctionnaire du Conseil, sa nomination à la Commission ne lui garantissait pas la possibilité d'être transférée au Conseil (voir arrêt de la Cour du 10 juin 1980, M./Commission, 155/78, Rec. p. 1797, point 6, et arrêt du Tribunal du 27 juin 1991, Valverde Mordt/Cour de justice, T-156/89, Rec. p. II-407, points 34 et 36).

28.
    Dans ces circonstances, le recours de Mme Hankart ayant donné lieu à l'arrêt du 17 février 1998 n'aurait pu être considéré ni comme étant devenu sans objet en raison de sa nomination à la Commission, ni comme étant abusif.

29.
    Dès lors, la partie demanderesse n'a pas rapporté la preuve de l'existence d'éléments qui, si la juridiction avait pu les prendre en considération, auraient été susceptibles de l'amener à consacrer une solution différente de celle apportée au litige.

30.
    Dès lors, la demande en révision doit être rejetée comme irrecevable.

Sur les dépens

31.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en sa demande, il y a lieu de le condamner à supporter l'ensemble des dépens, conformément aux conclusions en ce sens de Mme Hankart.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    La demande en révision est rejetée comme irrecevable.

2)    Le Conseil est condamné aux dépens.

Moura Ramos
Tiili
Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 novembre 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: le français.