Language of document : ECLI:EU:C:2023:974

ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

7 décembre 2023 (*)

« Pourvoi – Intervention – Concurrence – Concentrations – Marché de l’industrie pharmaceutique – Décision déclarant une concentration incompatible avec le marché intérieur et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen – Recours en annulation – Association d’entreprises actives dans le secteur concerné ayant pour objet la défense des intérêts de ses membres – Intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire C‑523/23 P(I),

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 11 août 2023,

Biocom California, établie à San Diego (États-Unis), représentée par Mes B. Armory, E. Barbier de La Serre, A. S. Perraut et L. Van Mullem, avocats,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Illumina Inc., établie à San Diego, représentée par Mes C. J. Blanco, F. González Díaz, abogados, N. Latronico, G. C. Rizza, M. Siragusa, avvocati, O. A. Magraner et T. Verheyden, avocats,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par M. P. Berghe, Mme A. Boitos, M. G. Conte, Mme B. Ernst et M. N. Khan, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,

l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Biocom California demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 19 juillet 2023, Illumina/Commission (T‑709/22, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2023:416), par laquelle celui-ci a rejeté sa demande d’intervention au soutien des conclusions d’Illumina Inc., partie demanderesse en première instance dans l’affaire T‑709/22.

 Le cadre juridique

2        L’article 22, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), énonce :

« 1.      Un ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration [...] qui n’est pas de dimension communautaire [...], mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande.

[...]

2.      La Commission informe sans délai les autorités compétentes des États membres et les entreprises concernées de toute demande reçue conformément au paragraphe 1.

Tout autre État membre a le droit de se joindre à la demande initiale dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date à laquelle la Commission l’a informé de la demande initiale.

[...] »

 Les antécédents du litige

3        Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 9 de l’ordonnance attaquée. Ils peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.

4        Le 20 septembre 2020, Illumina, qui offre des solutions en matière d’analyse génétique et génomique par séquençage, a conclu un accord et un plan de fusion visant l’acquisition du contrôle exclusif de Grail LLC, anciennement Grail Inc. (ci-après la « concentration en cause »), qui développe des tests sanguins de dépistage précoce des cancers.

5        Le 9 mars 2021, l’autorité de la concurrence française a demandé à la Commission européenne, au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, d’examiner la concentration en cause. Par lettres des 24, 26 et 31 mars 2021, les autorités de la concurrence belge, grecque, néerlandaise, islandaise et norvégienne ont demandé à se joindre à la demande de renvoi, conformément à l’article 22, paragraphe 2, de ce règlement.

6        Par décisions C(2021) 2847 final, C(2021) 2848 final, C(2021) 2849 final, C(2021) 2851 final, C(2021) 2854 final et C(2021) 2855 final, du 19 avril 2021, la Commission a accueilli cette demande de renvoi et ces demandes de jonction.

7        Par l’arrêt du 13 juillet 2022, Illumina/Commission (T‑227/21, EU:T:2022:447), le Tribunal a rejeté un recours par lequel Illumina a demandé l’annulation de ces décisions. Dans cet arrêt, le Tribunal a notamment rejeté un moyen tiré de l’incompétence de la Commission pour ouvrir, au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, une enquête sur une concentration qui ne remplit pas les conditions permettant à l’État membre ayant demandé son renvoi à cette institution de l’examiner en vertu de sa réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.

8        Par la décision C(2022) 6454 final, du 6 septembre 2022 (ci-après la « décision litigieuse »), la Commission a déclaré la concentration en cause incompatible avec le marché intérieur et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3).

9        Le 22 septembre 2022, Illumina a introduit un pourvoi contre l’arrêt du 13 juillet 2022, Illumina/Commission (T‑227/21, EU:T:2022:447), enregistré au greffe de la Cour sous le numéro C‑611/22 P. Par l’ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission (C‑611/22 P, EU:C:2023:205), Biocom California a été admise à intervenir au soutien des conclusions d’Illumina dans l’affaire C‑611/22 P.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 novembre 2022, Illumina a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro T‑709/22.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 mars 2023, Biocom California a demandé à intervenir dans l’affaire T‑709/22.

12      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté cette demande d’intervention.

13      Au point 28 de cette ordonnance, il a, tout d’abord, constaté que Biocom California représente un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné par la concentration en cause et que ses statuts lui permettent d’agir en justice pour défendre les intérêts de ses membres.

14      Ensuite, il a estimé, d’une part, aux points 34 et 49 de ladite ordonnance, que Biocom California n’établissait cependant pas que l’interprétation du principe de territorialité constitue une question de principe qui affecte spécifiquement le fonctionnement du secteur des sciences de la vie, ni que les intérêts des membres de Biocom California peuvent être affectés dans une mesure importante par la décision à intervenir dans l’affaire T‑709/22.

15      Le Tribunal a jugé, d’autre part, aux points 52 et 57 de la même ordonnance, que des constats du même ordre devaient être opérés en ce qui concerne la question du niveau de preuve à respecter par la Commission pour démontrer qu’une concentration est susceptible d’entraver de manière significative une concurrence effective.

16      Enfin, il a considéré, au point 58 de l’ordonnance attaquée, que les autres arguments avancés par Biocom California pour démontrer que les intérêts de ses membres sont directement affectés par la décision litigieuse et par la décision à intervenir dans l’affaire T‑709/22 reposaient sur des considérations générales et insuffisamment étayées.

17      En conséquence, le Tribunal a estimé, au point 59 de cette ordonnance, que Biocom California n’avait pas établi à suffisance de droit qu’elle avait un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions d’Illumina tendant à l’annulation de la décision litigieuse et, partant, un intérêt à la solution du litige qui fait l’objet de l’affaire T‑709/22.

 Les conclusions des parties

18      Par son pourvoi, Biocom California demande à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        d’admettre son intervention au soutien des conclusions d’Illumina dans l’affaire T‑709/22 ;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

19      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner Biocom California aux dépens afférents au pourvoi.

20      Illumina demande à la Cour de faire droit aux conclusions de Biocom California.

 Sur le pourvoi

21      À l’appui de son pourvoi, Biocom California présente quatre moyens tirés de diverses erreurs et violations du droit de l’Union en ce qui concerne, s’agissant des deux premiers moyens, le principe de territorialité et, s’agissant des troisième et quatrième moyens, le niveau de preuve des gains d’efficacité.

 Sur le premier moyen

 Argumentation

22      Par les deuxième et troisième branches de son premier moyen, qu’il convient d’examiner d’emblée, Biocom California soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que les questions juridiques de principe soulevées dans l’affaire T‑709/22 n’affectaient pas spécifiquement le secteur pharmaceutique.

23      Elle avance que le raisonnement du Tribunal relatif au principe de territorialité est fondé sur une analyse erronée des questions de principe pertinentes.

24      En effet, celles-ci auraient été artificiellement réduites, au point 33 de l’ordonnance attaquée, à la seule détermination de la compétence internationale de la Commission pour examiner la concentration en cause au regard du critère des effets qualifiés.

25      Or, d’une part, l’examen du premier moyen du recours en annulation dans l’affaire T‑709/22 serait directement lié à l’article 22 du règlement no 139/2004, en tant que l’examen de ce moyen devrait conduire le Tribunal à décider si l’exercice de la compétence de la Commission au titre de cet article est subordonné à l’exigence que les critères régissant la compétence internationale de la Commission sont remplis. D’autre part, ledit moyen serait directement lié au fait que la concentration en cause concerne l’acquisition d’une start-up américaine ne réalisant aucun chiffre d’affaires dans un État membre et qui, en tant que telle, ne nécessitait de notification ni au niveau national ni au niveau de l’Union européenne.

26      Dans ces conditions, au regard du lien entre les questions de principe soulevées dans l’affaire T‑709/22 et l’article 22 du règlement no 139/2004, le Tribunal aurait dû retenir la même logique que celle adoptée dans l’ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission (C‑611/22 P, EU:C:2023:205), et en déduire que la décision à intervenir dans cette affaire aura une influence particulière sur la manière dont certaines concentrations relevant du secteur pharmaceutique sont susceptibles d’être traitées au titre de cet article 22.

27      Illumina soutient l’argumentation exposée par Biocom California.

28      La Commission fait valoir que le premier moyen repose sur une lecture erronée du point 32 de l’ordonnance attaquée. En effet, ce point ne décrirait pas le premier moyen du recours en annulation dans l’affaire T‑709/22, mais résumerait la situation d’ensemble résultant des recours introduits par Illumina.

29      Le Tribunal aurait, dans ce contexte, considéré à juste titre que ce moyen n’était pas lié à l’article 22 du règlement no 139/2004, mais concernait uniquement le principe de territorialité. Ledit moyen reposerait ainsi sur l’idée selon laquelle la Commission devrait toujours se conformer à ce principe, y compris dans les situations où cette institution a pu, à juste titre, fonder sa compétence sur cet article. Dès lors, les considérations figurant dans l’ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission (C‑611/22 P, EU:C:2023:205), ne seraient pas pertinentes en l’espèce.

 Appréciation

30      À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 20 de l’ordonnance attaquée, une association peut être admise à intervenir dans une affaire si, premièrement, elle est représentative d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné, si, deuxièmement, son objet comprend la protection des intérêts de ses membres, si, troisièmement, l’affaire peut soulever des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné et si donc, quatrièmement, les intérêts de ses membres peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir (ordonnances du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission, C‑611/22 P, EU:C:2023:205, point 10, et du 21 juillet 2023, WhatsApp Ireland/Comité européen de la protection des données, C‑97/23 P, EU:C:2023:608, point 15).

31      Les deuxième et troisième branches du premier moyen du présent pourvoi se rapportent à la troisième de ces conditions, au regard des considérations juridiques en cause dans le premier moyen du recours en annulation dans l’affaire T‑709/22.

32      Au point 32 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a jugé que ce dernier moyen pose la question de savoir si la compétence de la Commission pour adopter la décision litigieuse est subordonnée à une double condition tenant, d’une part, à ce que l’article 22 du règlement no 139/2004 permet à cette institution de mener une enquête et, d’autre part, au respect du principe de territorialité, lequel suppose la démonstration de l’existence d’effets qualifiés sur le territoire de l’Union.

33      Le Tribunal a ainsi considéré que l’examen dudit moyen lui imposera de déterminer si l’étendue de la compétence de la Commission, lorsqu’elle adopte une décision au titre de cet article 22, est ou non limitée par le principe de territorialité.

34      À cet égard, il importe de souligner que, si la Commission soutient que le point 32 de l’ordonnance attaquée n’a pas pour objet d’analyser le premier moyen du recours en annulation dans l’affaire T‑709/22, il ressort des termes mêmes de ce point qu’une telle lecture de celui-ci ne saurait être retenue. En outre, à supposer qu’il faille comprendre l’argumentation de la Commission comme contestant la compréhension de ce moyen retenue par le Tribunal, il importe de souligner qu’une telle argumentation ne saurait prospérer, dès lors qu’il n’appartient pas au juge du pourvoi de remettre en cause des appréciations du Tribunal qui ne sont pas visées par un moyen d’un pourvoi ou d’un pourvoi incident.

35      Or, la question mentionnée au point 32 de l’ordonnance attaquée se rapporte non pas aux conditions générales d’application du principe de territorialité, dont l’absence de lien spécifique avec le secteur pharmaceutique a été affirmée par le Tribunal au point 33 de cette ordonnance, mais à l’applicabilité même de ce principe au contrôle d’une concentration mené par la Commission en application de l’article 22 du règlement no 139/2004.

36      Cette question ne se pose donc que dans des affaires où cet article est applicable et elle est susceptible d’avoir une influence déterminante sur le traitement de telles affaires par la Commission.

37      Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, ainsi que le souligne Biocom California, il ressort du point 16 de l’ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission (C‑611/22 P, EU:C:2023:205), qu’il découle des orientations de la Commission concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement sur les concentrations à certaines catégories d’affaires (JO 2021, C 113, p. 1), que le secteur pharmaceutique est l’un des secteurs spécifiques de l’économie pour lesquels la Commission envisage d’encourager et d’accepter davantage de renvois de la part des autorités de concurrence des États membres au titre de cet article 22.

38      Au regard du lien établi, au point 32 de l’ordonnance attaquée, entre le premier moyen du recours en annulation dans l’affaire T‑709/22 et les concentrations examinées au titre dudit article 22, cette spécificité du secteur pharmaceutique aux fins de l’application du même article ne saurait, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 40 de cette ordonnance, être regardée comme étant dépourvue de pertinence en l’espèce.

39      De même, en raison de ce lien, la circonstance, relevée au point 36 de ladite ordonnance, que les affaires C‑611/22 et T‑709/22 n’ont pas le même objet n’est pas de nature à établir que ladite spécificité du secteur pharmaceutique ne doit pas être prise en considération dans l’affaire T‑709/22.

40      Il découle des considérations qui précèdent que le Tribunal aurait dû déduire de son appréciation du premier moyen du recours en annulation dans l’affaire T‑709/22 que cette affaire aura une influence particulière sur la manière dont certaines concentrations relevant du secteur pharmaceutique sont susceptibles d’être traitées au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 à l’avenir et que ce constat était suffisant pour considérer que cette affaire soulève des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur spécifique dans lequel certains membres de Biocom California sont actifs (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission, C‑611/22 P, EU:C:2023:205, point 17).

41      Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en considérant, au point 34 de l’ordonnance attaquée, que Biocom California n’avait pas établi que la troisième condition mentionnée au point 30 de la présente ordonnance était remplie en l’espèce par rapport aux questions de principe soulevées par le premier moyen du recours en annulation dans l’affaire T‑709/22.

42      En conséquence, les deuxième et troisième branches du premier moyen du pourvoi sont fondées. Cela étant, l’erreur de droit ainsi commise par le Tribunal n’est pas suffisante pour justifier l’annulation de l’ordonnance attaquée, dès lors que les conditions mentionnées au point 30 de la présente ordonnance sont cumulatives et que le Tribunal a constaté, au point 49 de l’ordonnance attaquée, que la quatrième de ces conditions n’était pas remplie par rapport à ces questions de principe.

43      Il convient, dans ces conditions, d’examiner le deuxième moyen du pourvoi, qui tend à remettre en cause les constats opérés par le Tribunal à cet égard dans cette ordonnance.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation

44      Par les deux premières branches de son deuxième moyen, Biocom California soutient que les considérations relatives à la quatrième condition à laquelle est subordonnée l’admission de la demande d’intervention, figurant aux points 41 à 44 de l’ordonnance attaquée, sont trop vagues pour satisfaire à l’obligation de motivation.

45      En particulier, au point 41 de cette ordonnance, le Tribunal se serait borné à affirmer que Biocom California ne démontrait pas, sur la base d’éléments concrets et précis, que cette condition était satisfaite, sans expliquer pourquoi il a écarté les éléments avancés dans la demande d’intervention qui ont été considérés comme pertinents dans l’ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission (C‑611/22 P, EU:C:2023:205).

46      Illumina ne prend pas position sur le caractère suffisamment motivé de l’ordonnance attaquée, mais fait valoir que le raisonnement retenu par le Tribunal dans cette ordonnance est incompatible avec les motifs retenus par le président de la Cour dans l’ordonnance du 10 mars 2023, Illumina/Commission (C‑611/22 P, EU:C:2023:205).

47      La Commission considère que les deux premières branches du deuxième moyen de Biocom California doivent être rejetées en raison du fait qu’elles reposent sur la prémisse selon laquelle la procédure dans l’affaire T‑709/22 est liée à l’article 22 du règlement no 139/2004. En outre, Biocom California resterait en défaut d’exposer les éléments qui ont été, selon elle, négligés à tort par le Tribunal.

 Appréciation

48      Il convient de rappeler, d’une part, que, dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, notamment, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par le requérant et, d’autre part, que le moyen tiré d’un défaut de réponse du Tribunal à des arguments invoqués en première instance revient, en substance, à invoquer une violation de l’obligation de motivation qui découle de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce statut, et de l’article 117 du règlement de procédure du Tribunal [ordonnance du vice-président de la Cour du 12 juillet 2022, Cipla Europe/EUIPO et Glaxo Group, C‑245/22 P(I), EU:C:2022:549, point 28 ainsi que jurisprudence citée].

49      Cette obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la motivation du Tribunal pouvant dès lors être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle [ordonnance du vice-président de la Cour du 12 juillet 2022, Cipla Europe/EUIPO et Glaxo Group, C‑245/22 P(I), EU:C:2022:549, point 29 ainsi que jurisprudence citée].

50      En l’espèce, il ressort du point 26 de l’ordonnance attaquée que Biocom California a notamment fait valoir, devant le Tribunal, que les intérêts de ses membres seront affectés de manière spécifique et significative par la décision à intervenir dans l’affaire T‑709/22 en raison du fait que parmi les membres de Biocom California figurent notamment des entreprises actives dans le secteur des sciences de la vie en phase de démarrage de leurs activités, ne réalisant dès lors pas de chiffre d’affaires important, mais dont les opérations sur le marché et les stratégies pour trouver des investisseurs seront affectées par une éventuelle reconnaissance de la compétence de la Commission pour apprécier les concentrations d’entreprises de ce secteur impliquant des parties ne générant pas de chiffre d’affaires dans l’Union.

51      En vue de répondre à ces arguments, le Tribunal s’est borné à affirmer, au point 41 de l’ordonnance attaquée, que Biocom California n’avait pas démontré, sur la base d’éléments concrets et précis, que la décision à intervenir dans l’affaire T‑709/22 affectera les conditions dans lesquelles ses membres opèrent sur le marché concerné par la concentration en cause ainsi que leurs stratégies pour trouver des investisseurs.

52      Or, une telle motivation n’est pas de nature à permettre à Biocom California de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal a considéré que le rapport allégué entre les questions de principe identifiées par Biocom California et la situation économique spécifique de certains de ses membres n’était pas suffisant pour établir que la quatrième condition mentionnée au point 30 de la présente ordonnance était satisfaite. De même, cette motivation ne permet pas à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle sur l’appréciation portée par le Tribunal sur les arguments avancés par Biocom California.

53      En outre, si le Tribunal a retenu, aux points 42 à 44 de l’ordonnance attaquée, d’autres motifs relatifs à la répercussion de la décision litigieuse sur la situation des membres de Biocom California, ceux-ci ne visent pas à répondre aux arguments mentionnés au point 50 de la présente ordonnance, mais à une allégation selon laquelle une annulation de cette décision serait susceptible d’avoir des effets directs sur la situation de ces membres autres qu’Illumina et Grail.

54      Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen du pourvoi et, en conséquence, d’annuler l’ordonnance attaquée dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner les troisième et quatrième moyens du pourvoi.

 Sur la demande d’intervention

55      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

56      En l’espèce, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur la demande d’intervention de Biocom California.

57      En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis à la Cour, autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union européenne ou entre ces États, d’une part, et lesdites institutions, d’autre part, est en droit d’intervenir à ce litige.

58      Selon une jurisprudence constante, la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens de cet article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir [ordonnance du vice-président de la Cour du 24 juin 2021, ratiopharm e.a./Commission, C‑220/21 P(I), EU:C:2021:521, point 18].

59      Toutefois, il ressort également d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une association professionnelle représentative, ayant pour objet la protection des intérêts de ses membres, peut être admise à intervenir lorsque le litige soulève des questions de principe de nature à affecter lesdits intérêts. Dès lors, l’exigence tenant à ce qu’une telle association dispose d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige doit être considérée comme remplie lorsque cette association établit qu’elle se trouve dans une telle situation, et ce indépendamment de la question de savoir si la solution du litige est de nature à modifier la position juridique de l’association en tant que telle (ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission, C‑611/22 P, EU:C:2023:205, point 8).

60      En effet, une telle interprétation large du droit d’intervention en faveur des associations professionnelles représentatives vise à permettre de mieux apprécier le cadre dans lequel les affaires soumises au juge de l’Union se présentent tout en évitant une multiplicité d’interventions individuelles qui compromettraient l’efficacité et le bon déroulement de la procédure. Or, à la différence des personnes physiques et morales agissant pour leur propre compte, les associations professionnelles représentatives sont susceptibles de demander à intervenir à un litige soumis à la Cour non pas pour défendre des intérêts individuels, mais pour défendre les intérêts collectifs de leurs membres. En effet, l’intervention d’une telle association offre une perspective d’ensemble de ces intérêts collectifs, affectés par une question de principe dont dépend la solution du litige, et est ainsi de nature à permettre à la Cour de mieux apprécier le cadre dans lequel une affaire lui est soumise (ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission, C‑611/22 P, EU:C:2023:205, point 9).

61      Une telle association peut être admise à intervenir dans une affaire si les quatre conditions mentionnées au point 30 de la présente ordonnance sont satisfaites.

62      À cet égard, en premier lieu, il ressort des explications fournies par Biocom California qu’elle représente un nombre important d’entreprises actives dans le secteur des dispositifs pharmaceutiques et médicaux. Or, la concentration en cause concerne le secteur des tests sanguins de dépistage précoce des cancers utilisant la nouvelle génération de séquençage génomique et, plus largement, le secteur pharmaceutique et/ou le secteur des dispositifs médicaux. Biocom California représente donc un nombre important d’entreprises actives dans le secteur économique concerné par la concentration en cause et peut, dès lors, être considérée comme une association professionnelle représentative.

63      En deuxième lieu, il ressort de la demande d’intervention de Biocom California ainsi que des pièces qui y sont annexées que celle‑ci est dotée de la personnalité juridique et qu’elle peut agir en justice afin de défendre les intérêts de ses membres.

64      En troisième lieu, il découle des points 32 à 40 de la présente ordonnance que la troisième condition mentionnée au point 30 de la présente ordonnance est remplie en l’espèce au regard des questions de principe soulevées par le premier moyen du recours en annulation dans l’affaire T‑709/22.

65      À cet égard, il convient de relever que, si la Commission fait valoir que ce premier moyen est irrecevable, elle n’expose pas de manière détaillée les motifs qui fonderaient cette irrecevabilité. Partant, son allégation à cet égard ne saurait, en tout état de cause, remettre en cause le constat figurant au point précédent.

66      En quatrième lieu, il convient de souligner que, au point 18 de l’ordonnance du 10 mars 2023, Illumina/Commission (C‑611/22 P, EU:C:2023:205), le président de la Cour a constaté que l’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004 défendue par la Commission était davantage susceptible de viser les opérations de concentration d’entreprises non européennes, et notamment celles d’entreprises actives dans des secteurs tels que celui des sciences de la vie, qui sont caractérisés par la présence sur le marché d’un grand nombre de start-ups, c’est-à-dire des entreprises en phase de démarrage. Il a également relevé que les sociétés impliquées dans ces opérations sont généralement davantage susceptibles, aussi bien au vu de leur lieu d’établissement qu’en raison du fait qu’elles réalisent un chiffre d’affaires limité dans l’Union, de se situer sous les seuils de chiffre d’affaires impliquant la notification de telles opérations, tant au niveau de l’Union qu’au niveau national.

67      Partant, au regard du lien entre le premier moyen du recours en annulation dans l’affaire T‑709/22 et les concentrations examinées au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, la réponse qui pourrait être apportée aux questions de principe soulevées dans cette affaire présente un intérêt pour les membres de Biocom California, dans la mesure où celle-ci représente principalement des entreprises des sciences de la vie établies aux États-Unis, et plus particulièrement en Californie, y compris des start-ups à la recherche de financement et des grandes entreprises à la recherche d’opportunités commerciales pour investir dans de telles entreprises en phase de démarrage (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission, C‑611/22 P, EU:C:2023:205, point 19).

68      Il résulte de l’ensemble de ces considérations que, compte tenu de l’interprétation large du droit d’intervention des associations professionnelles représentatives d’entreprises du secteur concerné par une affaire, Biocom California doit être regardée comme ayant établi à suffisance de droit, en l’espèce, qu’elle a un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions d’Illumina visant à l’annulation de la décision litigieuse et, partant, qu’elle dispose d’un intérêt à la solution du litige soumis au Tribunal dans l’affaire T‑709/22, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

69      Partant, la demande d’intervention présentée par Biocom California dans l’affaire T‑709/22 doit être accueillie. Il appartient, dès lors, au Tribunal d’adopter les mesures procédurales qui découlent de cette décision.

 Sur les dépens

70      Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

71      En vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

72      En ce qui concerne les dépens afférents au pourvoi, d’une part, Biocom California ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Biocom California. D’autre part, Illumina n’ayant pas conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, elle supportera ses propres dépens.

73      S’agissant des dépens afférents à la procédure de première instance, aux termes de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance.

74      En l’espèce, la demande d’intervention de Biocom California étant accueillie, il y a lieu de réserver les dépens liés à son intervention.

Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne :

1)      L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 19 juillet 2023, Illumina/Commission (T709/22, EU:T:2023:416), est annulée.

2)      Biocom California est admise à intervenir dans l’affaire T709/22 au soutien des conclusions d’Illumina Inc.

3)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Biocom California afférents au présent pourvoi.

4)      Illumina Inc. supportera ses propres dépens afférents au présent pourvoi.

5)      Les dépens liés à la demande d’intervention de Biocom California sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.