Language of document : ECLI:EU:T:1998:100

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

14 mai 1998 (1)

«Article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 — Responsabilité solidaire pour le paiement de l'amende»

Dans les affaires jointes T-339/94, T-340/94, T-341/94 et T-342/94,

Metsä-Serla Oy, société de droit finlandais, établie à Helsinki,

United Paper Mills Ltd, société de droit finlandais, établie à Valkeakoski (Finlande),

Tampella Corporation, société de droit finlandais, établie à Tampere (Finlande),

Oy Kyro AB, société de droit finlandais, établie à Kyröskoski (Finlande),

représentées initialement par Mes Hans Hellmann et Hans-Joachim Voges, avocats à Cologne, puis par Mes Hans Hellmann et Hans-Joachim Hellmann, avocat à Karlsruhe, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Loesch et Wolter, 11, rue Goethe,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. Bernd Langeheine et Richard Lyal, membres du service juridique, en qualité

d'agents, puis par M. Lyal, assisté de Me Dirk Schroeder, avocat à Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët, Mme P. Lindh, MM. A. Potocki et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 8 juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Les présentes affaires concernent la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après «décision»). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2.
    Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après «BPIF»), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le

contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.

3.
    Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.

4.
    Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après «règlement n° 17»), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

5.
    A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.

6.
    Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

7.
    En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

8.
    Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard — the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA

(anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

—    dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

—    dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

—    dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

—    dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

—    se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

—    ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

—    ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

—    se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

—    ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées,

—    ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:

[...]

v)    Finnboard — the Finnish Board Mills Association, une amende de 20 000 000 d'écus, pour laquelle Oy Kyro AB est solidairement responsable avec Finnboard à concurrence de 3 000 000 d'écus, Metsä-Serla Oy à concurrence de 7 000 000 d'écus, Tampella Corp. à concurrence de 5 000 000 d'écus et United Paper Mills à concurrence de 5 000 000 d'écus;

[...]»

9.
    Les requérantes, destinataires de la décision, sont des fabricants finlandais de carton. Elles commercialisent leurs produits dans la Communauté ainsi que sur d'autres marchés par l'intermédiaire de Finnish Board Mills Association — Finnboard (ci-après «Finnboard»). Finnboard est une association professionnelle de droit finlandais qui comptait, en 1991, six sociétés membres, dont les sociétés requérantes.

10.
    Il ressort du point 174 des considérants de la décision que la Commission a infligé une amende à Finnboard au motif que c'était elle, et non pas les sociétés requérantes, qui avait participé activement et directement à l'entente. Toutefois, elle a considéré les sociétés requérantes comme solidairement responsables avec Finnboard pour le paiement de la partie de l'amende correspondant approximativement aux ventes de carton réalisées pour le compte de chacune d'entre elles par Finnboard.

Procédure

11.
    Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 14 octobre 1994, les requérantes Metsä-Serla Oy, United Paper Mills Ltd, Tampella Corporation et Oy Kyro AB ont introduit leurs recours. Ils ont été respectivement enregistrés sous les numéros T-339/94, T-340/94, T-341/94 et T-342/94.

12.
    Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 30 mars 1995, les quatre affaires ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.

13.
    Par décision du Tribunal du 19 septembre 1995, le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre élargie, à laquelle l'affaire a, par conséquent, été attribuée.

14.
    La décision a fait l'objet de 17 autres recours (T-295/94, T-301/94, T-304/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94), introduits par tous les autres destinataires de ladite décision, à l'exception de Rena Kartonfabrik AS et des Papeteries de Lancey SA. La requérante dans l'affaire T-301/94, Laakmann Karton GmbH, s'est cependant désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par

ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301/94, non publiée au Recueil).

15.
    Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, elle s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard/Commission (T-312/94, non publiée au Recueil).

16.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties requérantes de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

17.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 8 juillet 1997.

Conclusions des parties

18.
    Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision dans la mesure où elle les concerne;

—    à titre subsidiaire, réduire le montant de l'amende;

—    condamner la Commission aux dépens.

19.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter les recours;

—    condamner les requérantes aux dépens.

Objet du litige

20.
    Les présents recours ne visent que l'article 3, sous v), de la décision, en vertu duquel les requérantes sont solidairement responsables avec Finnboard du paiement de l'amende de 20 millions d'écus infligée à celle-ci, respectivement à concurrence de 7 millions d'écus (Metsä-Serla Oy), de 5 millions d'écus (United Paper Mills Ltd), de 5 millions d'écus (Tampella Corporation) et de 3 millions d'écus (Oy Kyro AB.

Sur la demande d'annulation de la décision

Sur le moyen unique tiré d'une violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 85, paragraphe 1, du traité

Arguments des parties

21.
    Les requérantes font valoir que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'habilite pas la Commission à adopter une décision imposant à une entreprise la responsabilité du paiement d'une amende à laquelle une autre entreprise a été condamnée. Cette disposition permettrait seulement d'infliger des amendes aux entreprises ayant elles-mêmes commis l'infraction aux règles de concurrence. Or, la Commission constaterait de manière définitive, à l'article 1er de la décision, que les requérantes n'ont pas enfreint l'article 85 du traité. De plus, l'infraction à cet article prétendument commise par Finnboard ne leur serait pas imputée dans la décision.

22.
    En l'espèce, la Commission aurait retenu une responsabilité du fait d'autrui, notion distincte de la responsabilité du fait personnel. En effet, contrairement à celle-ci, la responsabilité du fait d'autrui ne serait qu'une responsabilité dérivée.

23.
    La Commission aurait tort de prétendre qu'il n'est pas indispensable de constater que les requérantes ont commis une infraction aux règles de concurrence pour être tenues pour solidairement responsables avec Finnboard du paiement de l'amende. En effet, les principes de légalité de l'action administrative (voir arrêt de la Cour du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité, 42/59 et 49/59, Rec. p. 99) et de sécurité juridique exigeraient que la Commission prenne sa décision sur le fondement d'une base d'habilitation. L'affirmation de la Commission selon laquelle elle aurait pu également choisir d'infliger une amende aux requérantes serait d'ailleurs contredite par sa propre constatation contenue au point 174 des considérants de la décision.

24.
    Les requérantes contestent aussi que la Commission ait pu les tenir pour solidairement responsables du paiement de l'amende en établissant l'existence d'une unité économique.

25.
    En premier lieu, contrairement à ce qu'affirme la Commission dans la décision, l'arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission (6/73 et 7/73, Rec. p. 223), ne serait pas transposable en l'espèce. Dans cette affaire, la Cour aurait reconnu que la société mère et sa filiale avaient enfreint ensemble les règles de concurrence et que, de ce fait, elles étaient solidairement responsables de l'infraction. Une amende aurait dès lors été infligée à chacune des entreprises (voir, également, arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619). Or, en l'espèce, la Commission n'aurait pas considéré que Finnboard constituait une unité économique, avec l'une ou l'autre société membre ou même avec toutes les sociétés membres, au sens de l'article 85,

paragraphe 1, du traité. La jurisprudence pertinente en matière de groupes de sociétés concernerait d'ailleurs l'imputabilité des comportements de marché au sein du groupe, celui-ci étant caractérisé par une structure «hiérarchisée» et par la poursuite du même but économique.

26.
    En second lieu, la thèse selon laquelle chacune des sociétés requérantes formerait avec Finnboard une unité économique serait dénuée de fondement. Les requérantes ne contrôleraient pas et ne pourraient d'ailleurs contrôler Finnboard. A cet égard, elles affirment que les sociétés membres ne participent pas au capital de Finnboard, qu'elles ne sont pas représentées en tant que sociétés au conseil d'administration, les membres de celui-ci étant choisis par toutes les sociétés membres, et, enfin, que le conseil d'administration, bien qu'il établisse les directives générales, n'est pas habilité à donner des instructions spécifiques au directeur général de Finnboard. Les requérantes rappellent que l'absence de pouvoir de contrôle ou d'instruction est considérée comme significative par la jurisprudence (voir arrêt ICI/Commission, précité).

27.
    En réponse aux arguments avancés par la Commission, elles ajoutent que Finnboard règle elle-même ses frais de fonctionnement grâce aux revenus que lui procurent les contrats de commission, et que ces frais ne sont pas couverts par les sociétés membres, contrairement à ce qu'affirme la Commission.

28.
    Enfin, elles contestent que la Commission puisse justifier sa décision en soutenant que Finnboard a agi «comme alter ego et dans l'intérêt» des requérantes. Invoquant l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm (170/83, Rec. p. 2999), elles font valoir qu'une identité d'intérêt, à supposer qu'elle existe — quod non —, ne suffit pas pour conclure à l'existence d'une unité économique entre elles et Finnboard (arrêt Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, précité, et arrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T-102/92, Rec. p. II-17, notamment points 48 à 50). Chacune des sociétés membres de Finnboard poursuivrait son objectif économique propre, qui ne saurait être assimilé à celui poursuivi par Finnboard.

29.
    Dans la mesure où leur responsabilité aurait été retenue pour une gestion de fait, elles rétorquent que cette notion ne suffit pas pour satisfaire aux conditions énoncées par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, puisque cette dernière disposition exigerait que les destinataires de la décision aient perpétré l'infraction en tant qu'auteur ou coauteur. Même si Finnboard avait participé à une entente dans le prétendu intérêt des sociétés membres, celles-ci ne seraient pas ipso facto elles-mêmes membres de l'entente.

30.
    Enfin, ni la crainte d'un non-paiement de l'amende de la part de Finnboard ni des raisons d'opportunité (voir point 174 des considérants de la décision) ne justifieraient que la Commission tienne des entreprises pour solidairement responsables.

31.
    La Commission estime que l'amende est correctement fondée sur l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, cette disposition constituant une base juridique suffisante pour établir une responsabilité solidaire des requérantes pour le paiement de l'amende infligée à Finnboard.

32.
    Les requérantes n'auraient pas disposé de départements des ventes pour assurer la commercialisation de leurs produits. Celle-ci aurait donc été assurée exclusivement par l'intermédiaire de Finnboard. Les contrats de vente portant sur les produits concernés auraient été conclus entre les acquéreurs et Finnboard, la facturation au client aurait été effectuée au nom du fabricant concerné et le droit de propriété aurait été transmis directement de la société membre de Finnboard au client. Pour chaque produit, la politique en matière de prix aurait été définie par les sociétés membres au sein de Finnboard.

33.
    Finnboard aurait, de plus, été tenue de suivre les instructions données par les requérantes en ce qui concerne les volumes et les prix de leurs produits qu'elle écoulait. Bien qu'elle disposât d'une certaine latitude pour négocier les prix et les conditions de vente, la situation en cause aurait correspondu à la répartition des tâches entre le département des ventes et la direction commerciale d'une seule et même entreprise. Les requérantes ayant confié la vente de l'ensemble de leur production à Finnboard, celle-ci pourrait être considérée comme un organisme auxiliaire de chacune des requérantes (voir, à cet égard, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a/Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73, 55/73, 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663).

34.
    Les sociétés membres auraient été en mesure de contrôler les activités de Finnboard, de sorte que celle-ci n'aurait pas pu déterminer de manière autonome son comportement sur le marché. Outre des instructions émanant des sociétés membres concernant la commercialisation de leurs produits, celles-ci auraient également délégué leur propre représentant au conseil d'administration de Finnboard. Il serait d'ailleurs tout à fait impensable que les requérantes aient remis leur production à une organisation qu'elles n'auraient pas contrôlée et qui aurait pu fixer à son gré les prix et les conditions de vente sans devoir prendre en compte leurs instructions. En outre, le paiement des frais de fonctionnement de Finnboard aurait été assuré par les sociétés membres.

35.
    Dans ces circonstances, et compte tenu du fait qu'elle agissait pour le compte des requérantes, Finnboard aurait constitué avec chacune des sociétés requérantes une unité économique en ce qui concerne leurs ventes respectives.

36.
    Cette appréciation serait corroborée par l'unité de comportement sur le marché de Finnboard et des requérantes (voir arrêt Viho/Commission, précité, point 50). On ne pourrait imaginer que, en commercialisant les produits des requérantes, Finnboard n'agissait pas dans l'intérêt de celles-ci. En effet, elle aurait agi, comme cela est constaté dans la décision, comme leur alter ego.

37.
    Bien que les requérantes et Finnboard possèdent des personnalités juridiques distinctes, le comportement reproché à Finnboard pourrait, conformément à la jurisprudence, être imputé à chacune des requérantes respectives (voir arrêts précités ICI/Commission, point 132 et suivants, et Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, point 36 et suivants, et arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission, T-68/89, T-77/89 et T-78/89, Rec. p. II-1403, point 357, et Viho/Commission, précité, point 47).

38.
    Puisqu'il aurait été permis, en présence d'une unité économique, au sens de la jurisprudence, d'adopter une décision spécifique infligeant une amende à chacune des requérantes, à tout le moins la disposition relative à la responsabilité solidaire pourrait également être appliquée. La constatation expresse, dans l'article 1er de la décision, de la commission d'une infraction par les requérantes n'aurait pas été nécessaire, le comportement de Finnboard ayant pu être imputé aux requérantes. Il serait donc inexact de faire valoir que la Commission a retenu une responsabilité du fait d'autrui.

39.
    Les principes découlant de la jurisprudence développée dans le cadre des groupements de sociétés et concernant des sociétés mères et leurs filiales devraient s'appliquer en l'espèce, puisque, dans le cas contraire, les entreprises en question pourraient se soustraire aux règles de concurrence en créant simplement des organismes de vente indépendants sur le plan juridique et dont elles ne supporteraient pas la responsabilité du comportement, alors que ces organismes agiraient selon leurs instructions.

40.
    Enfin, la solution adoptée par la Commission ne priverait d'aucun droit les requérantes, qui auraient reçu une communication des griefs dans laquelle la Commission annonçait son intention de les rendre solidairement responsables de l'amende.

Appréciation du Tribunal

41.
    L'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 dispose:

«La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d'un milliond'unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a) elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1 [...]»

42.
    Cette disposition ne précise pas expressément si une entreprise qui n'est pas directement et formellement tenue pour responsable du comportement

infractionnel constaté par la Commission peut être déclarée solidairement responsable avec une autre entreprise, auteur du comportement infractionnel constaté et sanctionnée à ce titre, du paiement d'une amende infligée à cette dernière.

43.
    Toutefois, il y a lieu de considérer que ladite disposition doit être interprétée en ce sens qu'une entreprise peut être déclarée solidairement responsable avec une autre entreprise du paiement d'une amende infligée à celle-ci, qui a commis une infraction de propos délibéré ou par négligence, à condition que la Commission démontre, dans le même acte, que cette infraction aurait pu être également constatée dans le chef de l'entreprise devant répondre solidairement de l'amende.

44.
    En l'espèce, si Finnboard est l'entreprise directement et formellement tenue pour responsable de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité (article 1er de la décision), et si l'amende prévue par l'article 3, sous v), de la décision lui est dès lors infligée, chacune des requérantes est cependant déclarée solidairement responsable avec Finnboard du paiement d'une partie de cette amende, la Commission ayant estimé que Finnboard avait agi comme leur «alter ego» et dans leur intérêt (point 174, deuxième alinéa, des considérants de la décision).

45.
    Il convient donc d'examiner s'il existait entre Finnboard et les requérantes des liens économiques et juridiques tels que la Commission aurait pu tenir chacune de ces dernières pour directement et formellement responsable de l'infraction.

46.
    A cet égard, il ressort de la décision que la Commission a estimé que les requérantes étaient responsables des actes de Finnboard (point 174, deuxième alinéa, susvisé).

47.
    Pour apprécier le bien-fondé de cette affirmation, il convient de prendre en considération les principaux renseignements, tels qu'ils ressortent du dossier et, notamment, de la réponse des requérantes aux questions écrites du Tribunal, relatifs aux modalités de fonctionnement de Finnboard et aux relations juridiques et factuelles que Finnboard entretenait avec ses sociétés membres, et notamment les requérantes.

48.
    Selon ses statuts du 1er janvier 1987 (paragraphe 2), Finnboard est une association qui commercialise le carton produit par les requérantes, ainsi que des produits du secteur papetier produits par d'autres membres.

49.
    Selon les paragraphes 10 et 11 desdits statuts, chacun des membres nomme un représentant au sein du «Board of Directors», chargé notamment d'adopter les règles de conduite des opérations de l'association, de confirmer le budget, le plan de financement et les principes de la répartition des dépenses entre les sociétés membres et de nommer le «Managing Director».

50.
    Le paragraphe 20 des statuts précise:

«Les membres sont conjointement et solidairement responsables des engagements pris au nom de l'association comme s'ils les avaient contractés à titre personnel.

L'obligation aux dettes et aux engagements est répartie au prorata des facturations nettes des membres pour l'exercice en cours et les deux exercices précédents.»

51.
    S'agissant de la vente des produits de carton, il ressort de la réponse des requérantes aux questions écrites du Tribunal qu'elles avaient, à l'époque des faits, donné mandat à Finnboard pour effectuer l'ensemble de leurs ventes de carton, à l'unique exception des ventes internes au groupe de chaque société requérante et des ventes de faibles volumes à des clients occasionnels en Finlande (voir également paragraphe 14 des statuts de Finnboard). De plus, Finnboard fixait et annonçait des tarifs identiques pour les requérantes.

52.
    Les requérantes expliquent également que, lors des ventes individuelles, les clients passaient leurs ordres auprès de Finnboard en indiquant généralement l'usine préférée, de telles préférences s'expliquant, notamment, par des différences de qualité entre les produits de chacune des requérantes. Dans l'hypothèse où aucune préférence n'était exprimée, les ordres étaient répartis entre les membres de Finnboard, conformément au paragraphe 15 de ses statuts, aux termes duquel:

«Les entrées de commandes doivent être réparties de manière juste et égale aux fins de la production par les membres, compte tenu de la capacité de production de chacun d'eux ainsi que des principes de répartition fixés par le conseil d'administration.»

53.
    Finnboard était autorisée à négocier les conditions de vente, y compris le prix, avec chaque client potentiel, les requérantes ayant établi des lignes directrices générales relatives à ces négociations individuelles. Chaque commande devait toutefois être soumise à la société requérante concernée qui décidait de l'accepter ou non.

54.
    Le déroulement des ventes individuelles et les principes comptables appliqués pour lesdites ventes sont décrits dans une déclaration du 4 juin 1997 de l'expert-comptable de Finnboard:

«Finnboard agit en tant que commissionnaire pour ses commettants, en facturant 'en son nom propre pour le compte de chaque commettant‘.

1.    Chaque commande est confirmée par l'usine du commettant.

2.    Au moment de l'expédition, l'usine envoie une facture initiale à Finnboard ('Mill invoice‘). La facture est inscrite dans le compte commettants en tant que créance et dans le registre des achats de Finnboard en tant que dette envers l'usine.

3.    La facture émise par l'usine (déduction faite des coûts estimés de transport, de stockage, de livraison et de financement) est prépayée par Finnboard dans le délai convenu (10 jours en 1990/1991). Finnboard finance ainsi les stocks étrangers et les créances clients de l'usine sans devenir propriétaire des marchandises expédiées.

4.    Lors de la livraison au client, Finnboard émet une facture client pour le compte de l'usine. La facture est enregistrée en tant que vente dans le compte commettants, et en tant que créance dans le registre des ventes de Finnboard.

5.    Les paiements effectués par les clients sont inscrits dans les comptes commettants, et les écarts éventuels entre les prix et les coûts estimés et les prix et les coûts réels (voir point 3) sont soldés par le compte commettants.»

55.
    Il apparaît ainsi en premier lieu que, même si Finnboard a été autorisée à négocier, avec les clients finals et dans le respect des lignes directrices fixées par les requérantes, les prix et les autres conditions de vente, aucune vente ne pouvait avoir lieu sans l'approbation préalable du prix et des autres conditions de vente par la société requérante concernée.

56.
    En second lieu, il est constant que le droit de propriété passait directement de la société requérante concernée au client final.

57.
    Enfin, le Tribunal constate que les commissions perçues par Finnboard, qui figurent en tant que chiffre d'affaires dans ses rapports annuels, ne couvrent que les frais liés aux ventes qu'elle a effectuées pour le compte de ses sociétés membres, tels que les frais de transport ou de financement. Il s'ensuit que Finnboard n'a eu aucun intérêt économique propre à prendre part à la collusion sur les prix, car les augmentations de prix annoncées et mises en oeuvre par les entreprises réunies au sein des organes du GEP Carton n'ont pu engendrer aucun profit pour elle. En revanche, la participation de Finnboard à cette collusion revêtait un intérêt économique direct pour les requérantes.

58.
    Dans les circonstances de l'espèce, les liens économiques et juridiques entre Finnboard et chacune des requérantes étaient donc tels que, en commercialisant le carton au profit des requérantes, Finnboard n'a agi qu'en tant qu'organe auxiliaire de chacune de ces sociétés. Au regard de ces liens et du fait qu'elle était tenue de suivre les directives émises par chacune des requérantes et ne pouvait pas adopter sur le marché un comportement indépendant de chacune d'elles, Finnboard constituait en réalité une unité économique avec chacune de ses sociétés membres produisant du carton (voir, par analogie, arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 538 à 540).

59.
    Dès lors, la Commission a considéré à juste titre, dans les motifs de la décision, que les requérantes étaient responsables des agissements anticoncurrentiels de Finnboard, de sorte qu'il aurait été possible de constater, dans le chef de chacune d'elles, une violation, commise de propos délibéré, de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle a donc pu, au lieu d'infliger une amende directement à chacune des sociétés requérantes, choisir de retenir la responsabilité solidaire de chacune de celles-ci avec Finnboard pour le paiement d'une partie de l'amende infligée à cette association professionnelle.

60.
    Au vu des considérations qui précèdent, le moyen doit être rejeté.

Sur la demande de réduction du montant de l'amende

61.
    Selon l'article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure, la requête introductive d'instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. La fin de non-recevoir résultant d'une violation de cette disposition peut être soulevée d'office (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64/89, Rec. p. II-367, points 73 et 74).

62.
    Les requérantes n'ayant invoqué aucun moyen au soutien de leurs demandes de réduction du montant de l'amende, lesdites demandes doivent être déclarées irrecevables.

63.
    Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les recours doivent être rejetés.

Sur les dépens

64.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Les recours sont rejetés comme non fondés pour autant qu'ils visent à l'annulation de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton).

2)    Les recours sont rejetés comme irrecevables pour autant qu'ils visent à la réduction de l'amende infligée par l'article 3 de cette décision.

3)    Les requérantes sont condamnées aux dépens.

Vesterdorf             Briët     Lindh

     Potocki      Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'allemand.