Language of document : ECLI:EU:C:2009:127

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

5 mars 2009 (*)

«Concurrence – Articles 81 CE, 82 CE et 86 CE – Affiliation obligatoire à un organisme d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles – Notion d’‘entreprise’ – Abus de position dominante – Libre prestation des services – Articles 49 CE et 50 CE – Restriction – Justification – Risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale»

Dans l’affaire C‑350/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Sächsisches Landessozialgericht (Allemagne), par décision du 25 juillet 2007, parvenue à la Cour le 30 juillet 2007, dans la procédure

Kattner Stahlbau GmbH

contre

Maschinenbau- und Metall- Berufsgenossenschaft,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Ó Caoimh (rapporteur), J. Klučka, U. Lõhmus et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Kattner Stahlbau GmbH, par Me R. Mauer, Rechtsanwalt,

–        pour Maschinenbau- und Metall- Berufsgenossenschaft, par Me H. Plagemann, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. V. Kreuschitz et O. Weber, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 novembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 CE et 50 CE ainsi que 81 CE, 82 CE et 86 CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Kattner Stahlbau GmbH (ci‑après «Kattner») à la Maschinenbau- und Metall- Berufsgenossenschaft (caisse professionnelle du secteur de la construction mécanique et de la métallerie, ci‑après la «MMB») au sujet de l’affiliation obligatoire de Kattner à cette dernière au titre de l’assurance légale contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 Le cadre juridique national

3        En Allemagne, le régime légal d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles est régi par le livre VII du code de la sécurité sociale (Sozialgesetzbuch VII), dans sa version issue de la loi du 7 août 1996 (BGBl 1998 I, p. 1254, ci‑après le «SGB VII»), entré en vigueur le 1er janvier 1997. L’article 1er du SGB VII prévoit que cette assurance a pour objectifs:

«1.      De prévenir par tous les moyens appropriés les accidents du travail et les maladies professionnelles ainsi que tous les dangers pour la santé liés au travail, et

2.      après la survenance d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, de rétablir par tous les moyens appropriés la santé et la capacité de travail des assurés et de dédommager ces derniers ou leurs ayants droit par des prestations en espèces.»

4        Il ressort de la décision de renvoi ainsi que des observations soumises à la Cour que ce régime repose, notamment, sur les éléments suivants.

 L’affiliation obligatoire

5        Dans le cadre dudit régime, toutes les entreprises ont l’obligation de s’affilier, au titre de l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, à la Berufsgenossenschaft (caisse professionnelle) dont elles relèvent sur le plan tant matériel que géographique. Les différentes caisses professionnelles ont le statut d’organismes de droit public ne poursuivant pas un but lucratif. Selon le gouvernement allemand et la Commission des Communautés européennes, il existe actuellement 25 caisses professionnelles. Chaque caisse professionnelle se subdivise en plusieurs branches selon les secteurs d’activités concernés.

 Les cotisations

6        L’article 152, paragraphe 1, du SGB VII, intitulé «Répartition», dispose:

«Les cotisations sont fixées par voie de répartition après l’expiration de l’année civile au cours de laquelle les droits à cotisation sont nés. La répartition doit couvrir les besoins de l’année écoulée, y compris les montants nécessaires à la constitution de provisions. Des cotisations ne peuvent être prélevées au surplus que pour alimenter le compte d’exploitation.»

7        L’article 153 du SGB VII, intitulé «Base de calcul», prévoit:

«1.      Les bases de calcul des cotisations sont fournies, pour autant que les dispositions ci‑après n’en disposent pas autrement, par les besoins financiers (montant à répartir), le salaire des assurés et les classes de risque.

2.      Le salaire des assurés est pris pour base à concurrence du montant du salaire annuel plafond.

3.      Le statut peut prévoir que le calcul des cotisations prend pour base au minimum le salaire correspondant au salaire annuel minimal pour les assurés ayant 18 ans révolus. Si les assurés n’ont pas été employés pendant toute l’année civile ou ne l’ont pas été à plein temps, un pourcentage correspondant de ce montant est pris pour base.

4.      On peut s’abstenir de tenir compte en totalité ou en partie, dans le calcul des cotisations, du degré de risque d’accident dans les entreprises, dans la mesure où les dépenses de pensions, d’allocations de décès et d’indemnités reposent

1)      sur des sinistres survenus dans des entreprises qui ont été fermées avant la quatrième année précédant l’année courante, ou

2)      sur des sinistres qui ont été établis pour la première fois avant la quatrième année précédant l’année courante.

Le montant total des dépenses qui sont réparties entre les entreprises sans tenir compte du degré de risque d’accident ne peut pas dépasser 30 % du total des dépenses pour les pensions, allocations de décès et indemnités. Les dispositions d’application sont fixées par le statut.»

8        L’article 157 du SGB VII, intitulé «Barème des risques», dispose:

«1.      L’organisme d’assurance contre les accidents établit de manière autonome un barème des risques. Il doit établir dans le barème des risques des classes de risque permettant la gradation des cotisations. […]

2.      Le barème de risques est divisé en rubriques, dans lesquelles des communautés de risque sont formées en fonction des risques encourus, en tenant compte d’une répartition des risques d’assurance. […]

3.      Les classes de risque sont calculées en fonction du rapport entre les prestations servies et les salaires.

[…]»

9        Selon Kattner, l’article 161 du SGB VII permet aux caisses professionnelles de fixer dans leurs statuts une cotisation minimale uniforme.

10      L’article 176 du SGB VII, intitulé «Obligation de péréquation», dispose à son paragraphe 1:

«Pour autant que

1)      la charge des pensions d’une caisse professionnelle soit plus de 4,5 fois supérieure à la charge des pensions moyenne des caisses professionnelles,

2)      la charge des pensions d’une caisse professionnelle qui répartit entre les entreprises au minimum 20 % et au maximum 30 % de ses dépenses pour les pensions, allocations de décès et indemnités sans tenir compte du degré de risque, en vertu de l’article 153, paragraphe 4, dépasse le triple de la charge moyenne des pensions des caisses professionnelles, ou

3)      le taux de la charge d’indemnisation d’une caisse professionnelle dépasse le quintuple du taux moyen de la charge d’indemnisation des caisses professionnelles,

les caisses professionnelles compensent entre elles la charge excédentaire. Si le montant à compenser au titre du point 2 ci‑dessus excède le montant que la caisse professionnelle répartit entre les entreprises sans tenir compte du degré de risque d’accidents, il est réduit de ce dernier montant.»

 Les prestations

11      Les travailleurs disposent d’un droit direct aux prestations envers leur caisse professionnelle sans devoir rechercher la responsabilité de l’employeur (articles 104 à 109 du SGB VII).

12      La liste des prestations et les conditions de leur octroi sont énoncées aux articles 26 à 103 du SGB VII. Le droit à ces prestations prend naissance indépendamment de la capacité de l’employeur à s’acquitter de sa cotisation. Selon l’article 85 du SGB VII, seuls les salaires situés entre un minimum et un maximum sont pris en considération pour le calcul des prestations.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Kattner est une société à responsabilité limitée de droit allemand qui a été fondée le 13 novembre 2003 et dont les activités, qui ont commencé le 1er janvier 2004, s’exercent dans le domaine de la construction métallique ainsi que de la fabrication d’escaliers et de balcons.

14      Le 27 janvier 2004, la MMB a notifié à Kattner qu’elle était, à l’égard de cette dernière, l’organisme d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles légalement compétent en vertu des dispositions du SGB VII et que, partant, cette entreprise avait été inscrite comme membre de ladite caisse professionnelle, des classes de risque lui ayant, par ailleurs, été attribuées.

15      Par lettre du 1er novembre 2004, Kattner, ayant l’intention de contracter une assurance privée contre les risques existants, a notifié à la MMB l’annulation de son affiliation obligatoire avec effet à l’expiration de l’année 2004.

16      Le 15 novembre 2004, la MMB a notifié à Kattner que, dès lors qu’elle était, à l’égard de cette dernière, l’organisme d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles légalement compétent, une désaffiliation ou une annulation de l’affiliation n’était pas légalement possible et que, partant, la demande de Kattner devait être rejetée. La MMB a confirmé cette décision, sur recours administratif, le 20 avril 2005.

17      Le 21 novembre 2005, le Sozialgericht Leipzig (tribunal du contentieux social de Leipzig) a rejeté le recours introduit par Kattner.

18      Ayant saisi en appel le Sächsisches Landessozialgericht (tribunal régional du contentieux social du Land de Saxe), Kattner allègue devant cette juridiction, tout d’abord, que l’affiliation obligatoire à la MMB restreint la libre prestation des services visée aux articles 49 CE et 50 CE. Elle produit à cet égard le devis d’une compagnie d’assurances danoise qui l’assure également contre les accidents du travail, les maladies professionnelles et les accidents sur le chemin du travail dans les mêmes conditions que la MMB. Les prestations fournies par cette compagnie correspondraient, en outre, aux prestations prévues par le régime légal allemand en cause au principal. Ensuite, Kattner fait valoir que l’exclusivité détenue par la MMB enfreint les articles 82 CE et 86 CE. Selon Kattner, aucun motif impératif d’intérêt public ne justifie une position de monopole des organismes allemands d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles dans leur domaine respectif.

19      Dans sa décision de renvoi, le Sächsisches Landessozialgericht expose qu’il existe des différences fondamentales entre le régime en cause au principal et le régime légal italien d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles visé dans l’arrêt du 22 janvier 2002, Cisal (C-218/00, Rec. p. I‑691), de sorte que les indications fournies par la Cour dans cet arrêt ne permettraient pas de répondre à toutes les questions qui se posent dans le litige dont il est saisi.

20      Selon la juridiction de renvoi, en effet, il serait tout d’abord douteux que la MMB constitue un organisme chargé par la loi de la gestion d’un régime d’assurance obligatoire contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. À cet égard, une différence essentielle entre le régime italien et le régime allemand tiendrait au fait que, alors que l’Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL) (Institut national d’assurance contre les accidents du travail) visé dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cisal, précité, détiendrait un monopole, le régime allemand reposerait sur une structure d’oligopole. De plus, la MMB ne serait pas chargée de la gestion d’un régime d’assurance obligatoire, mais fournirait elle‑même cette assurance. L’activité de gestion de la MMB correspondrait essentiellement à celle d’opérateurs économiques, en particulier à l’activité des compagnies d’assurances.

21      Par ailleurs, la juridiction de renvoi considère que l’affiliation obligatoire au régime allemand contre les accidents du travail et les maladies professionnelles n’est pas indispensable à l’équilibre financier ou à la mise en œuvre du principe de solidarité. En effet, dès lors que le montant de la cotisation résulterait de la réglementation adoptée de manière autonome par chaque caisse professionnelle et que le périmètre d’activité d’une telle caisse pourrait être modifié, la constitution de monopoles sectoriels ou géographiques sans rapport avec le risque ferait naître, au gré des catégories de risques arbitrairement formées, des tarifs différents pour un même risque. En outre, aucune disposition ne prévoirait que, en cas de risques élevés, la cotisation est plafonnée. De plus, le montant minimal de rémunération pouvant être pris en compte pour le calcul des cotisations en vertu de l’article 153, paragraphe 3, du SGB VII ne serait pas fixé de manière impérative, mais pourrait être prévu dans les statuts. Quant au montant maximal de rémunération visé au paragraphe 2 du même article, qui entre en ligne de compte pour le calcul tant des prestations que des cotisations, sa fixation serait également régie par les statuts, en vertu, respectivement, des articles 81 et suivants du SGB VII, ainsi que 153, paragraphe 2, de celui-ci. Enfin, les prestations dépendraient, du moins pour la plupart d’entre elles, du montant de la rémunération des assurés. Il en résulterait que le régime allemand en cause au principal ne connaîtrait pas de mécanisme de redistribution fondé sur un objectif de politique sociale.

22      Dans ces conditions, le Sächsisches Landessozialgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La [MMB] constitue‑t‑elle une entreprise au sens des articles 81 [CE] et 82 CE?

2)      L’obligation pour [Kattner] d’être membre de la [MMB] viole‑t‑elle des dispositions du droit communautaire?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

23      La MMB et la Commission soutiennent, s’agissant de la première question, que la juridiction de renvoi, d’une part, vise à obtenir une interprétation du droit national et, d’autre part, n’indique pas les circonstances dans lesquelles une caisse professionnelle pourrait constituer une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE. La Commission ajoute, s’agissant de la seconde question, que la juridiction de renvoi n’a pas identifié avec suffisamment de précision les règles de droit communautaire qui nécessitent une interprétation. Par ailleurs, la MMB fait valoir que les deux questions posées ne sont pas susceptibles de déboucher sur une réponse utile pour la juridiction de renvoi, car cette dernière ne pourrait pas mettre fin à l’affiliation obligatoire de Kattner, dès lors que la décision initiale d’affiliation du 27 janvier 2004 n’a pas été attaquée.

24      En ce qui concerne, en premier lieu, le libellé des questions préjudicielles, il convient tout d’abord de rappeler que, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de l’article 234 CE, la Cour n’a pas compétence pour appliquer les règles du droit communautaire à une espèce déterminée et, partant, pour qualifier des dispositions de droit national au regard d’une telle règle. Elle peut toutefois fournir à la juridiction nationale tous éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de ces dispositions (voir, en ce sens, arrêts du 24 septembre 1987, Coenen, 37/86, Rec. p. 3589, point 8, ainsi que du 5 juillet 2007, Fendt Italiana, C‑145/06 et C‑146/06, Rec. p. I‑5869, point 30). Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (voir, notamment, arrêts du 8 mars 2007, Campina, C‑45/06, Rec. p. I‑2089, point 30, et du 11 mars 2008, Jager, C‑420/06, Rec. p. I‑1315, point 46).

25      Or, en l’occurrence, s’il est certes exact que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’appliquer les articles 81 CE et 82 CE au litige au principal en décidant elle‑même si la MMB constitue une entreprise au sens de ces dispositions et qu’elle ne précise pas à cet égard les circonstances pertinentes aux fins d’une telle qualification, rien n’empêche la reformulation de cette question en vue de fournir à ladite juridiction une interprétation desdites dispositions qui lui soit utile pour trancher le litige dont elle est saisie.

26      Par ailleurs, il y a également lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, lorsqu’une question préjudicielle se borne à renvoyer au droit communautaire, sans mentionner les dispositions de ce droit auxquelles il est fait référence, il incombe à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction de renvoi, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les dispositions de droit communautaire qui nécessitent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir en ce sens, notamment, arrêt du 20 avril 1988, Bekaert, 204/87, Rec. p. 2029, points 6 et 7).

27      Or, en l’occurrence, bien que le libellé de la seconde question n’identifie pas les dispositions de droit communautaire à interpréter, il ressort clairement de la décision de renvoi que cette question vise à déterminer si, comme Kattner le soutient dans le litige au principal, l’affiliation obligatoire à une caisse professionnelle telle que la MMB est susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services interdite par les articles 49 CE et 50 CE ou un abus interdit par l’article 82 CE, lu, le cas échéant, en combinaison avec l’article 86 CE, de sorte que ladite question peut être reformulée en ce sens.

28      En ce qui concerne, en second lieu, le caractère utile des questions posées par la juridiction de renvoi, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions préjudicielles posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêt du 23 novembre 2006, Asnef‑Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, Rec. p. I‑11125, point 15 et jurisprudence citée).

29      Toutefois, dans des hypothèses exceptionnelles, il appartient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence. En effet, l’esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les États membres, et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques. Cependant, le rejet d’une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique ou que la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt Asnef‑Equifax et Administración del Estado, précité, points 16 et 17 ainsi que jurisprudence citée).

30      Or, en l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal porte sur la légalité de l’affiliation obligatoire de Kattner à la MMB au titre de l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Dans ce cadre, la juridiction de renvoi s’interroge, en particulier, sur la compatibilité de cette affiliation obligatoire avec les articles 49 CE et 50 CE, d’une part, ainsi qu’avec les articles 82 CE et 86 CE, d’autre part.

31      Dans ces conditions, il ne saurait être considéré qu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige dont est saisie la juridiction de renvoi, lequel n’est à l’évidence pas de nature hypothétique.

32      En conséquence, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.

 Sur le fond

 Sur la première question

33      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 81 CE et 82 CE doivent être interprétés en ce sens qu’un organisme tel que la MMB, auprès de laquelle les entreprises relevant d’une branche d’activité et d’un territoire déterminés ont l’obligation de s’affilier au titre de l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, constitue une entreprise au sens de ces dispositions.

34      Selon une jurisprudence constante, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir, notamment, arrêts du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C‑41/90, Rec. p. I‑1979, point 21, ainsi que du 11 décembre 2007, ETI e.a., C‑280/06, Rec. p. I‑10893, point 38).

35      En l’occurrence, il y a d’abord lieu de relever que les caisses professionnelles telles que la MMB concourent, en tant qu’organismes de droit public, à la gestion du système allemand de sécurité sociale et qu’elles exercent, à cet égard, une fonction à caractère social dépourvue de tout but lucratif (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2004, AOK Bundesverband e.a., C‑264/01, C‑306/01, C‑354/01 et C‑355/01, Rec. p. I‑2493, point 51).

36      En effet, ainsi que la Cour l’a jugé en ce qui concerne le régime légal italien d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, la couverture de ce risque relève, de longue date, de la protection sociale que les États membres garantissent à tout ou partie de leur population (arrêt Cisal, précité, point 32).

37      Or, conformément à une jurisprudence constante, le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale (voir, notamment, arrêts du 28 avril 1998, Kohll, C‑158/96, Rec. p. I‑1931, point 17; du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, C‑157/99, Rec. p. I‑5473, point 44, ainsi que du 16 mai 2006, Watts, C‑372/04, Rec. p. I‑4325, point 92).

38      Par ailleurs, un régime légal d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles tel que celui en cause au principal, en ce qu’il prévoit une protection sociale obligatoire pour tous les travailleurs, poursuit un objectif social (voir, par analogie, arrêt Cisal, précité, point 34).

39      En effet, selon l’article 1er du SGB VII, ce régime a pour objet, d’une part, de prévenir par tous les moyens appropriés les accidents du travail et les maladies professionnelles ainsi que tous les dangers pour la santé liés au travail et, d’autre part, de rétablir par tous les moyens appropriés la santé et la capacité de travail des assurés ainsi que de dédommager ces derniers ou leurs ayants droit par des prestations en espèces.

40      En outre, il ressort des observations présentées à la Cour que ledit régime vise à assurer à l’ensemble des personnes protégées une couverture des risques d’accident du travail et de maladies professionnelles indépendamment de toute faute qui aurait pu être commise par la victime ou par l’employeur, et donc sans qu’il soit nécessaire de rechercher la responsabilité civile de la personne retirant les bénéfices de l’activité comportant le risque (voir, par analogie, arrêt Cisal, précité, point 35).

41      De surcroît, la finalité sociale d’un tel régime est également révélée par la circonstance que, comme il résulte du dossier soumis à la Cour, les prestations sont versées même lorsque les cotisations dues n’ont pas été acquittées, ce qui contribue manifestement à la protection de tous les travailleurs contre les conséquences économiques d’accidents du travail (voir, par analogie, arrêt Cisal, précité, point 36).

42      Toutefois, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, la finalité sociale d’un régime d’assurance n’est pas en soi suffisante pour exclure que l’activité concernée soit qualifiée d’activité économique (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 1999, Albany, C‑67/96, Rec. p. I‑5751, point 86; du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C‑180/98 à C‑184/98, Rec. p. I‑6451, point 118, ainsi que Cisal, précité, point 37).

43      Il convient encore d’examiner en particulier, d’une part, si ce régime peut être considéré comme mettant en œuvre le principe de solidarité et, d’autre part, dans quelle mesure il est soumis au contrôle de l’État, éléments qui sont susceptibles d’exclure le caractère économique d’une activité donnée (voir, en ce sens, arrêt Cisal, précité, points 38 à 44).

–       Sur la mise en œuvre du principe de solidarité

44      En ce qui concerne, en premier lieu, la mise en œuvre du principe de solidarité, il ressort, premièrement, d’une appréciation globale du régime en cause au principal que celui-ci est, à l’instar du régime visé dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cisal, précité (point 39), financé par des cotisations dont le taux n’est pas systématiquement proportionnel au risque assuré.

45      En effet, le montant des cotisations dépend non seulement du risque assuré, mais également, ainsi qu’il ressort de l’article 153, paragraphes 1 à 3, du SGB VII, de la rémunération des assurés, dans les limites d’un montant maximal et, le cas échéant, d’un montant minimal (voir, par analogie, arrêt Cisal, précité, point 39).

46      En outre, en vertu des articles 152, paragraphe 1, et 153, paragraphe 1, du SGB VII, le montant des cotisations dépend également des besoins financiers résultant des prestations servies par la caisse professionnelle concernée pour l’année civile écoulée. Or, la prise en compte desdits besoins financiers permet de répartir les risques liés à l’activité des membres d’une caisse professionnelle sur l’ensemble de ceux‑ci au‑delà de la seule branche d’activité dont ils relèvent, établissant ainsi une communauté de risques à l’échelle de la caisse professionnelle.

47      Par ailleurs, les risques qui sont pris en compte pour le calcul des cotisations sont, sous réserve de certains ajustements possibles liés à l’activité d’entreprises individuelles, ceux qui sont afférents à la branche d’activité dont relèvent, au sein de chaque caisse professionnelle, les membres de celle‑ci au travers des classes de risques qui ont été déterminées conformément à l’article 157 du SGB VII, ces membres formant ainsi une communauté de risques en fonction des risques encourus par cette branche d’activité.

48      De surcroît, il apparaît que, selon l’article 176 du SGB VII, les caisses professionnelles sont soumises à une obligation de compensation entre elles lorsque les dépenses d’une caisse dépassent de manière significative les dépenses moyennes de toutes les caisses. Il en résulte que le principe de solidarité est ainsi également mis en œuvre à l’échelle du territoire national entre toutes les branches d’activité, les différentes caisses professionnelles étant à leur tour regroupées en une communauté de risques qui leur permet d’opérer entre elles une péréquation des coûts et des risques (voir, par analogie, arrêts du 17 février 1993, Poucet et Pistre, C‑159/91 et C‑160/91, Rec. p. I‑637, point 12, ainsi que AOK Bundesverband, précité, point 53).

49      Certes, la juridiction de renvoi relève que, à la différence du régime italien concerné dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cisal, précité, le régime allemand en cause au principal, d’une part, ne prévoit pas que les cotisations sont plafonnées à un montant maximal et, d’autre part, est mis en œuvre non par un seul organisme détenant une position de monopole, mais par un ensemble d’organismes qui, selon cette juridiction, sont dans une situation d’oligopole.

50      Ces deux éléments ne sont cependant pas de nature à remettre en cause le caractère solidaire du financement d’un régime tel que le régime en cause au principal, qui découle des constatations opérées aux points 44 à 48 du présent arrêt, dans le cadre d’une appréciation globale de ce régime.

51      S’agissant du premier élément, il y a lieu de relever que, si l’existence d’un plafond est certes de nature à contribuer à la mise en œuvre du principe de solidarité, notamment lorsque le solde du financement est supporté par toutes les entreprises relevant de la même classe (voir, en ce sens, arrêt Cisal, précité, point 39), son absence ne saurait, à elle seule, avoir pour effet de retirer à un régime présentant les caractéristiques susmentionnées son caractère solidaire.

52      Par ailleurs, et en tout état de cause, dès lors que l’article 153, paragraphe 2, du SGB VII prévoit expressément que «le salaire des assurés est pris pour base à concurrence du montant du salaire annuel plafond», il incombe à la juridiction de renvoi, dont la décision se réfère d’ailleurs explicitement à cette disposition, de vérifier si, comme l’a fait valoir le gouvernement allemand et ainsi qu’il ressort également des observations de Kattner, ladite disposition n’est pas de nature à renforcer le caractère solidaire du régime en cause au principal en limitant indirectement le montant des cotisations lorsque le risque assuré est élevé.

53      Quant au second élément relevé par la juridiction de renvoi, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 37 du présent arrêt, le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale. Or, lorsque, dans l’exercice de cette compétence, un État membre opte pour la répartition de la prise en charge d’un régime de sécurité sociale entre plusieurs organismes sur une base sectorielle et/ou géographique, il met effectivement en œuvre le principe de solidarité, même s’il restreint le cadre dans lequel celui-ci s’applique. Il en est d’autant plus ainsi lorsque, comme dans le régime en cause au principal, les caisses professionnelles opèrent entre elles, à l’échelle nationale, une péréquation des coûts et des risques.

54      Enfin, à l’inverse de ce que prétend Kattner, le caractère solidaire du financement d’un régime tel que celui en cause au principal ne saurait davantage être affecté par la circonstance que les caisses professionnelles pourraient, en vertu de l’article 161 du SGB VII, décider de fixer une cotisation minimale uniforme. Au contraire, le fait de fixer une cotisation de cette nature, à supposer même, comme le fait valoir Kattner, qu’il réduise les besoins financiers à répartir, apparaît lui-même susceptible de contribuer au caractère solidaire dudit régime. En effet, s’agissant des assurés dont la rémunération est inférieure à celle à laquelle correspond le montant de la cotisation minimale, l’existence de celle-ci revient à imposer une cotisation dont le montant est non seulement uniforme pour l’ensemble de ces assurés de la caisse professionnelle concernée, mais en outre indépendant du risque assuré et, partant, de la branche d’activité dont relèvent lesdits assurés.

55      Deuxièmement, il convient d’observer, également à l’instar de ce que la Cour a jugé dans l’arrêt Cisal, précité (point 40), que la valeur des prestations servies par les caisses professionnelles telles que la MMB n’est pas nécessairement proportionnelle à la rémunération de l’assuré.

56      En effet, bien que le montant de la rémunération soit pris en compte dans le calcul de la cotisation, il ressort de la décision de renvoi ainsi que des observations soumises à la Cour que les prestations en nature, telles que les prestations de prévention et de rééducation, sont totalement indépendantes de la rémunération. Or, ces prestations revêtent un caractère significatif, puisqu’elles correspondent, selon la juridiction de renvoi, à environ 12 % du total des dépenses engagées en 2002 par la MMB, voire même, selon cette dernière et le gouvernement allemand, à un montant oscillant entre 25 % et 30 % de ce total.

57      En outre, s’agissant des prestations en espèces qui ont pour objet de compenser en partie la perte de rémunération subie par suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, il ressort de la décision de renvoi ainsi que des observations présentées à la Cour que seuls les salaires situés entre un minimum et un maximum – respectivement, le «salaire annuel minimal» et le «salaire annuel plafond» – sont, en vertu de l’article 85 du SGB VII, pris en considération, ce qu’il appartient cependant à la juridiction de renvoi de confirmer. Par ailleurs, tant le gouvernement allemand que la Commission ont exposé que le montant de l’allocation de dépendance est totalement indépendant des cotisations versées, ce qu’il incombe également à la juridiction de renvoi de vérifier.

58      Dans ces conditions, il apparaît que, comme dans le cadre du régime en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cisal, précité, le versement de cotisations élevées peut ne donner lieu qu’à des prestations plafonnées et, inversement, le versement de cotisations relativement basses peut donner droit à des prestations calculées en fonction d’une rémunération supérieure, ainsi que Kattner l’a elle‑même relevé dans ses observations.

59      Or, l’absence de lien direct entre les cotisations acquittées et les prestations servies implique une solidarité entre les travailleurs les mieux rémunérés et ceux qui, compte tenu de leurs faibles revenus, seraient privés d’une couverture sociale adéquate si un tel lien existait (voir arrêt Cisal, précité, point 42).

–       Sur le contrôle exercé par l’État

60      En ce qui concerne, en second lieu, le contrôle exercé par l’État, il ressort de la décision de renvoi que, si la loi allemande a confié aux caisses professionnelles telles que la MMB la mise en œuvre de l’assurance légale contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, lesdites caisses peuvent, dans leurs statuts, décider, d’une part, de prendre le montant du salaire annuel minimal comme base minimale pour le calcul des cotisations, conformément à l’article 153, paragraphe 3, du SGB VII, et, d’autre part, ce que Kattner souligne avec force dans ses observations, d’augmenter le montant du salaire annuel plafond qui entre en ligne de compte pour le calcul tant des cotisations, en vertu du paragraphe 2 dudit article 153, que des prestations, en vertu de l’article 85 du SGB VII. Par ailleurs, il ressort des observations de Kattner, confirmées sur ce point par celles du gouvernement allemand, que, conformément à l’article 157, paragraphe 1, du SGB VII, les caisses professionnelles établissent de manière autonome le barème des risques et les classes de risques qui interviennent dans le calcul des cotisations.

61      Toutefois, le fait de conférer une telle marge de manœuvre à des caisses professionnelles comme la MMB, dans le cadre d’un régime d’autogestion, pour fixer des éléments qui déterminent le montant des cotisations et des prestations ne saurait, en tant que tel, être de nature à modifier la nature de l’activité exercée par lesdites caisses (voir, en ce sens, arrêt AOK Bundesverband e.a., précité, point 56).

62      En effet, il ressort du dossier soumis à la Cour que, comme l’a constaté M. l’avocat général au point 54 de ses conclusions, cette marge de manœuvre est prévue et strictement encadrée par la loi, le SGB VII indiquant, d’une part, les éléments qui doivent être pris en considération pour le calcul des cotisations dues au titre du régime légal en cause au principal et, d’autre part, la liste exhaustive des prestations servies au titre de ce régime ainsi que les modalités de leur octroi.

63      À cet égard, il ressort des observations déposées par Kattner, le gouvernement allemand et la Commission que les dispositions légales applicables, ce que doit toutefois vérifier la juridiction de renvoi, déterminent le montant minimal et le montant maximal de rémunération à prendre en compte pour le calcul, selon le cas, des cotisations et des prestations, seul le montant maximal pouvant, le cas échéant, être relevé par les statuts des caisses professionnelles.

64      En outre, il apparaît, ce qu’il appartient cependant encore à la juridiction de renvoi de vérifier, que les caisses professionnelles sont, en ce qui concerne l’élaboration de leurs statuts, et notamment la fixation du montant des cotisations et des prestations au titre du régime légal en cause au principal, soumises au contrôle de l’État fédéral, qui intervient à cet égard, selon les dispositions du SGB VII, comme autorité de tutelle.

65      Il résulte dès lors de ce qui précède que, dans un régime légal d’assurance tel que celui en cause au principal, le montant des cotisations et la valeur des prestations, qui constituent les deux éléments essentiels d’un tel régime, apparaissent, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, d’une part, mettre en œuvre le principe de solidarité, lequel implique que les prestations servies ne sont pas strictement proportionnelles aux cotisations acquittées, et, d’autre part, être soumis au contrôle de l’État (voir, par analogie, arrêt Cisal, précité, point 44).

66      Dans ces conditions, et sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi de ces deux éléments relatifs au principe de solidarité et au contrôle de l’État, il convient de constater que, en concourant à la gestion de l’une des branches traditionnelles de la sécurité sociale, en l’occurrence l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, un organisme tel que la MMB remplit une fonction à caractère exclusivement social, de sorte que son activité n’est pas une activité économique au sens du droit de la concurrence et que, dès lors, cet organisme ne constitue pas une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE (voir, en ce sens, arrêt Cisal, précité, point 45).

67      Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance, relevée par la juridiction de renvoi, que, à la différence de la situation prévalant dans le cadre du régime italien en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cisal, précité, une caisse professionnelle telle que la MMB n’assure pas la gestion du régime légal d’assurance concerné, mais fournit directement des services d’assurance. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a en substance observé au point 61 de ses conclusions, dès lors que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale, cette seule circonstance n’est pas, en tant que telle, de nature à affecter le caractère purement social de la fonction exercée par une telle caisse, dans la mesure où elle n’affecte ni le caractère solidaire dudit régime ni le contrôle qui est exercé par l’État sur celui‑ci, tels qu’ils ressortent de l’analyse qui précède.

68      En conséquence, il y a lieu de répondre à la première question posée que les articles 81 CE et 82 CE doivent être interprétés en ce sens qu’un organisme tel que la caisse professionnelle en cause au principal, auprès de laquelle les entreprises relevant d’une branche d’activité et d’un territoire déterminés ont l’obligation de s’affilier au titre de l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, ne constitue pas une entreprise au sens de ces dispositions, mais remplit une fonction à caractère exclusivement social dès lors qu’un tel organisme opère dans le cadre d’un régime qui met en œuvre le principe de solidarité et que ce régime est soumis au contrôle de l’État, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur la seconde question

69      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 CE et 50 CE, d’une part, ainsi que les articles 82 CE et 86 CE, d’autre part, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui prévoit que les entreprises d’une branche d’activité et d’un territoire déterminés ont l’obligation de s’affilier à un organisme tel que la MMB.

70      À cet égard, il convient d’observer d’emblée que, eu égard à la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question en ce que celle‑ci porte sur l’interprétation des articles 82 CE et 86 CE, l’applicabilité de ces dispositions dépendant de l’existence d’une entreprise.

71      En ce qui concerne l’interprétation des articles 49 CE et 50 CE, il convient de rappeler que, dès lors que le droit communautaire, comme il a déjà été relevé au point 37 du présent arrêt, ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur régime de sécurité sociale, il appartient, en l’absence d’une harmonisation au niveau communautaire, à la législation de chaque État membre concerné de déterminer les conditions du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale (voir, notamment, arrêts précités Kohll, point 18; Smits et Peerbooms, point 45, ainsi que Watts, point 92).

72      La Commission ainsi que, en substance, le gouvernement allemand considèrent qu’il découle de cette jurisprudence que l’instauration d’une obligation d’affiliation à un régime de sécurité sociale telle que celle prévue par la réglementation nationale en cause au principal relève de la seule compétence des États membres, de sorte que cette réglementation échapperait au champ d’application des articles 49 CE et 50 CE. Aucune restriction à la libre prestation des services allant au‑delà de l’affiliation obligatoire ne serait en effet constatée, dès lors que serait en cause uniquement le mode de financement d’un régime de sécurité sociale, et non la fourniture de prestations après la concrétisation du risque social assuré.

73      Cette thèse ne saurait être retenue.

74      En effet, s’il est vrai que, selon la jurisprudence constante citée au point 71 du présent arrêt, il appartient à la législation de chaque État membre, en l’absence d’une harmonisation communautaire, de déterminer, notamment, les conditions de l’obligation d’affiliation à un régime de sécurité sociale et, partant, le mode de financement de ce régime, les États membres doivent néanmoins, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit communautaire (voir, notamment, arrêts précités Kohll, point 19, ainsi que Smits et Peerbooms, point 46). Il s’ensuit que cette compétence des États membres n’est pas illimitée (arrêt du 3 avril 2008, Derouin, C‑103/06, non encore publié au Recueil, point 25).

75      En conséquence, le fait qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal concerne le seul financement d’une branche de la sécurité sociale, en l’occurrence l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, en prévoyant l’affiliation obligatoire des entreprises relevant du régime en cause aux caisses professionnelles auxquelles la loi a confié l’exercice de cette assurance n’est pas de nature à exclure l’application des règles du traité CE, et notamment de celles relatives à la libre prestation des services (voir arrêt du 26 janvier 1999, Terhoeve, C‑18/95, Rec. p. I‑345, point 35).

76      Partant, le régime d’affiliation obligatoire prévu par la réglementation nationale en cause au principal doit être compatible avec les dispositions des articles 49 CE et 50 CE.

77      Il convient dès lors d’examiner si, comme l’a fait valoir Kattner devant la juridiction de renvoi ainsi que dans ses observations soumises à la Cour, la mise en place par un État membre d’un régime légal d’assurance tel que celui en cause au principal, qui prévoit l’affiliation obligatoire des entreprises, au titre de l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, aux caisses professionnelles comme la MMB, est susceptible de constituer une entrave à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE. Il convient ainsi de vérifier, d’une part, si elle restreint la possibilité pour les compagnies d’assurances établies dans d’autres États membres de proposer, sur le marché du premier État membre, leurs services relatifs à l’assurance des risques concernés ou de certains de ceux‑ci et, d’autre part, si elle dissuade les entreprises établies dans ce premier État membre, en tant que destinataires de services, de s’assurer auprès de telles compagnies.

78      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, la libre prestation des services exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre où il fournit légalement des services analogues (voir en ce sens, notamment, arrêts du 20 février 2001, Analir e.a., C‑205/99, Rec. p. I‑1271, point 21; du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C‑202/04 et C‑94/04, Rec. p. I‑11421, point 56, ainsi que du 11 janvier 2007, ITC, C‑208/05, Rec. p. I‑181, point 55).

79      En outre, selon une jurisprudence constante, l’article 49 CE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêts précités Kohll, point 33, ainsi que Smits et Peerbooms, point 61).

80      En l’occurrence, il pourrait certes apparaître douteux que, comme M. l’avocat général l’a relevé en substance au point 72 de ses conclusions, les risques couverts par le régime légal d’assurance en cause au principal, à tout le moins certains d’entre eux, soient assurables auprès de sociétés d’assurances privées, dès lors que ces dernières n’opèrent pas, en principe, selon un régime incluant les éléments de solidarité énoncés aux points 44 à 59 du présent arrêt.

81      En outre, le régime légal d’assurance en cause au principal ne prévoyant, ainsi qu’il résulte des points 57 et 58 du présent arrêt, que des prestations plafonnées et, partant, une couverture minimale, il est loisible aux entreprises relevant de ce régime, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi et que l’admet Kattner, de conclure des contrats d’assurance complémentaires avec des sociétés d’assurances privées établies tant en Allemagne que dans d’autres États membres (voir, par analogie, arrêt du 22 mai 2003, Freskot, C‑355/00, Rec. p. I‑5263, point 62).

82      Toutefois, dès lors que, comme le démontrent les faits de l’affaire au principal, le régime légal d’assurance en cause au principal apparaît également destiné à couvrir des risques assurables auprès de compagnies d’assurances n’opérant pas selon le principe de solidarité, un tel régime est susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services par les compagnies d’assurances établies dans d’autres États membres qui souhaitent proposer des contrats d’assurance couvrant de tels risques dans l’État membre concerné, en ce qu’il gêne ou rend moins attrayant, voire empêche, directement ou indirectement, l’exercice de cette liberté (voir, en ce sens, arrêt Freskot, précité, point 63).

83      Par ailleurs, un tel régime est aussi susceptible de décourager, voire d’empêcher, les entreprises qui en relèvent de s’adresser à de tels prestataires de services d’assurance établis dans des États membres autres que l’État membre d’affiliation et constitue également pour lesdites entreprises un obstacle à la libre prestation des services (voir, par analogie, arrêts du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone, 286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 16; Kohll, précité, point 35, ainsi que Smits et Peerbooms, précité, point 69).

84      Toutefois, une telle restriction peut être justifiée dès lors qu’elle répond à des raisons impérieuses d’intérêt général, pour autant qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et n’aille pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, notamment, arrêts du 5 juin 1997, SETTG, C‑398/95, Rec. p. I‑3091, point 21; Cipolla e.a., précité, point 61, ainsi que du 13 décembre 2007, United Pan‑Europe Communications Belgium e.a., C‑250/06, Rec. p. I‑11135, point 39).

85      À cet égard, il y a lieu d’observer que, selon la jurisprudence de la Cour, un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale peut constituer, en lui‑même, une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une entrave au principe de la libre prestation des services (voir, notamment, arrêts Kohll, précité, point 41; Smits et Peerbooms, précité, point 72, ainsi que du 19 avril 2007, Stamatelaki, C‑444/05, Rec. p. I‑3185, point 30).

86      Or, ainsi qu’il ressort des observations soumises à la Cour, une obligation d’affiliation à un régime légal d’assurance telle que celle prévue par la réglementation nationale en cause au principal vise à assurer l’équilibre financier de l’une des branches traditionnelles de la sécurité sociale, en l’occurrence l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.

87      En effet, une telle obligation, en ce qu’elle assure le regroupement de toutes les entreprises relevant du régime concerné au sein de communautés de risques, permet à celui‑ci, qui poursuit, ainsi qu’il ressort du point 38 du présent arrêt, un objectif social, d’opérer selon un système mettant en œuvre le principe de solidarité, caractérisé, notamment, par le financement au moyen de cotisations dont le montant n’est pas strictement proportionnel aux risques assurés et par le service de prestations dont la valeur n’est pas strictement proportionnelle aux cotisations.

88      Dans ces conditions, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en ce qu’elle prévoit une obligation d’affiliation, est susceptible d’être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, à savoir l’objectif consistant à assurer l’équilibre financier d’une branche de la sécurité sociale, une telle obligation étant propre à garantir la réalisation de cet objectif.

89      Quant à la question de savoir si une telle réglementation ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que, comme il a déjà été constaté au point 81 du présent arrêt, le régime légal en cause au principal offre une couverture minimale, de sorte que, en dépit de l’obligation d’affiliation qu’il comporte, il est loisible aux entreprises qui en relèvent de compléter cette couverture en souscrivant des assurances supplémentaires, à supposer que celles‑ci soient disponibles sur le marché. Cette circonstance constitue un facteur militant en faveur de la proportionnalité d’un régime légal d’assurance tel que celui en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt Freskot, précité, point 70).

90      Par ailleurs, en ce qui concerne l’étendue d’une couverture telle que celle prévue par ce dernier régime, il ne saurait être exclu que, comme la MMB le soutient dans ses observations, si l’obligation d’affiliation devait être restreinte uniquement à certaines prestations, telles que celles découlant de l’objectif de prévention, ainsi que Kattner en évoque l’hypothèse dans ses observations, des entreprises employant, par exemple, un personnel jeune et en bonne santé exerçant des activités qui ne sont pas dangereuses rechercheraient des conditions d’assurance plus avantageuses auprès d’assureurs privés. Or, le départ progressif de ces «bons» risques pourrait laisser aux caisses professionnelles telles que la MMB une part croissante de «mauvais» risques, provoquant ainsi une hausse du coût des prestations, notamment pour les entreprises disposant d’un personnel âgé exerçant des activités dangereuses, entreprises auxquelles lesdites caisses ne pourraient plus proposer de prestations à un coût acceptable. Il en serait d’autant plus ainsi lorsque, comme dans l’affaire au principal, le régime légal d’assurance concerné, en ce qu’il met en œuvre le principe de solidarité, se caractérise notamment par l’absence de lien strictement proportionnel entre les cotisations et les risques assurés (voir, par analogie, arrêt Albany, précité, points 108 et 109).

91      Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier le caractère nécessaire du régime légal d’assurance en cause au principal au regard de l’objectif d’équilibre financier de la sécurité sociale visé par ce régime en tenant compte de l’ensemble des éléments du litige dont elle est saisie ainsi que des indications fournies aux points 89 et 90 du présent arrêt.

92      En conséquence, il y a lieu de répondre à la seconde question posée que les articles 49 CE et 50 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui prévoit que les entreprises d’une branche d’activité et d’un territoire déterminés ont l’obligation de s’affilier à un organisme tel que la caisse professionnelle en cause au principal, pour autant que ce régime n’aille pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à assurer l’équilibre financier d’une branche de la sécurité sociale, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur les dépens

93      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      Les articles 81 CE et 82 CE doivent être interprétés en ce sens qu’un organisme tel que la caisse professionnelle en cause au principal, auprès de laquelle les entreprises relevant d’une branche d’activité et d’un territoire déterminés ont l’obligation de s’affilier au titre de l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, ne constitue pas une entreprise au sens de ces dispositions, mais remplit une fonction à caractère exclusivement social dès lors qu’un tel organisme opère dans le cadre d’un régime qui met en œuvre le principe de solidarité et que ce régime est soumis au contrôle de l’État, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

2)      Les articles 49 CE et 50 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui prévoit que les entreprises d’une branche d’activité et d’un territoire déterminés ont l’obligation de s’affilier à un organisme tel que la caisse professionnelle en cause au principal, pour autant que ce régime n’aille pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à assurer l’équilibre financier d’une branche de la sécurité sociale, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.