Language of document : ECLI:EU:T:2023:735

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

22 novembre 2023 (*)

« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Résolution de Banco Popular Español – Décision du CRU refusant d’accorder un dédommagement aux actionnaires et aux créanciers concernés par les mesures de résolution – Droit de propriété – Droit d’être entendu – Droit à un recours effectif – Valorisation de la différence de traitement – Indépendance de l’évaluateur »

Dans les affaires jointes T‑302/20, T‑303/20 et T‑307/20,

Antonio Del Valle Ruíz, demeurant à Mexico (Mexique), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Mes B. Fernández García, J. Álvarez González et P. Rubio Escobar, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T‑302/20,

soutenus par

Aeris Invest Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Mes R. Vallina Hoset et M. Varela Suárez, avocats,

partie intervenante dans l’affaire T‑302/20,

José María Arias Mosquera, demeurant à Madrid (Espagne), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (2), représentés par Mes Fernández García, Álvarez González et Rubio Escobar,

parties requérantes dans l’affaire T‑303/20,

Calatrava Real State 2015, SL, établie à Madrid, représentée par Mes Fernández García, Álvarez González et Rubio Escobar,

partie requérante dans l’affaire T‑307/20,

contre

Conseil de résolution unique (CRU), représenté par Mmes M. Fernández Rupérez, A. Lapresta Bienz, MM. L. Forestier et J. Rius Riu, en qualité d’agents, assistés de Mes H.-G. Kamann, F. Louis, V. Del Pozo Espinosa de los Monteros et L. Hesse, avocats,

partie défenderesse,

soutenu par

Royaume d’Espagne, représenté par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

partie intervenante dans les affaires jointes T‑302/20, T‑303/20 et T‑307/20,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de MM. M. van der Woude, président, G. De Baere (rapporteur), Mme G. Steinfatt, M. K. Kecsmár et Mme S. Kingston, juges,

greffier : Mme P. Nuñez Ruiz, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 7 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs recours fondés sur l’article 263 TFUE, les requérants, M. Antonio Del Valle Ruíz et 36 autres personnes physiques ou morales dont les noms figurent en annexe, M. José María Arias Mosquera et 28 autres personnes physiques ou morales dont les noms figurent en annexe ainsi que Calatrava Real State 2015, SL, demandent l’annulation de la décision SRB/EES/2020/52 du Conseil de résolution unique (CRU), du 17 mars 2020, visant à déterminer si un dédommagement doit être accordé aux actionnaires et aux créanciers concernés par les mesures de résolution effectuées à l’égard de Banco Popular Español, SA (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Les requérants sont des personnes physiques et morales qui étaient actionnaires de Banco Popular Español (ci-après « Banco Popular ») avant l’adoption d’un dispositif de résolution à l’égard de cette dernière.

3        Le 7 juin 2017, la session exécutive du CRU a adopté la décision SRB/EES/2017/08 concernant l’adoption d’un dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular (ci-après le « dispositif de résolution »), sur le fondement du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

4        Préalablement à l’adoption du dispositif de résolution, le 23 mai 2017, à la suite d’une procédure d’appel d’offres, le CRU a engagé le cabinet Deloitte Réviseurs d’Entreprises en tant qu’évaluateur (ci-après le « cabinet évaluateur ») dans le cadre de la préparation d’une éventuelle résolution de Banco Popular. Le cabinet évaluateur s’est vu attribuer un contrat spécifique à la suite d’une mise en concurrence dans le cadre d’un contrat-cadre multiple de services que le CRU avait signé avec six cabinets, dont le cabinet évaluateur. Conformément au contrat spécifique, la mission du cabinet évaluateur comprenait la réalisation d’une valorisation de Banco Popular préalablement à une éventuelle résolution ainsi que la valorisation de la différence de traitement prévue à l’article 20, paragraphes 16 à 18, du règlement n° 806/2014, postérieurement à une résolution potentielle.

5        Le 5 juin 2017, le CRU a adopté une première valorisation, en application de l’article 20, paragraphe 5, sous a), du règlement no 806/2014, qui avait pour objectif de fournir les éléments permettant de déterminer si les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution, telles que définies à l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, étaient remplies.

6        Le 6 juin 2017, le cabinet évaluateur a remis au CRU une deuxième valorisation (ci-après la « valorisation 2 »), rédigée en application de l’article 20, paragraphe 10, du règlement no 806/2014. La valorisation 2 avait pour but d’estimer la valeur de l’actif et du passif de Banco Popular, de fournir une estimation sur le traitement dont les actionnaires et créanciers auraient bénéficié si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité ainsi que de fournir les éléments permettant de prendre la décision concernant les actions et les titres de propriété à transférer et permettant au CRU de déterminer des conditions commerciales aux fins de l’instrument de cession des activités.

7        Dans le dispositif de résolution, le CRU, considérant que les conditions prévues par l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 étaient remplies, a décidé de soumettre Banco Popular à une procédure de résolution. Le CRU a décidé de déprécier et de convertir les instruments de fonds propres de Banco Popular en application de l’article 21 du règlement no 806/2014 et d’appliquer l’instrument de cession des activités en vertu de l’article 24 du règlement no 806/2014 par le transfert des actions à un acquéreur.

8        Le CRU a décidé d’annuler 100 % des actions de Banco Popular, de convertir et de déprécier la totalité du montant principal des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 émis par Banco Popular et de convertir la totalité du montant principal des instruments de fonds propres de catégorie 2 émis par Banco Popular en « nouvelles actions II ». Au terme d’un processus de vente transparent et ouvert réalisé par l’autorité de résolution espagnole, le Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria (FROB, Fonds de restructuration ordonnée des établissements bancaires, Espagne), les « nouvelles actions II » ont été transférées à Banco Santander SA, en contrepartie du paiement d’un prix d’achat d’un euro. Par la suite, Banco Santander a succédé à titre universel à Banco Popular le 28 septembre 2018, dans le cadre d’une fusion par absorption.

9        Le 7 juin 2017, la Commission européenne a adopté la décision (UE) 2017/1246, approuvant le dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular (JO 2017, L 178, p.15).

10      Le 14 juin 2018, le cabinet évaluateur a transmis au CRU la valorisation de la différence de traitement, prévue à l’article 20, paragraphes 16 à 18, du règlement no 806/2014, réalisée afin de déterminer si les actionnaires et créanciers auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement soumis à une procédure de résolution avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité (ci-après la « valorisation 3 »). Le 31 juillet 2018, le cabinet évaluateur a envoyé au CRU un addendum à cette valorisation corrigeant certaines erreurs formelles.

11      Le cabinet évaluateur a estimé, dans la valorisation 3, le traitement dont les actionnaires et créanciers affectés auraient bénéficié si Banco Popular avait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité au moment où le dispositif de résolution a été adopté. Il a procédé à cette évaluation dans le cadre d’un scénario de liquidation en appliquant la Ley 22/2003, Concursal (loi 22/2003 sur la faillite), du 9 juillet 2003 (BOE no 164, du 10 juillet 2003, p. 26905).

12      Le cabinet évaluateur a indiqué que le scénario de liquidation hypothétique avait été préparé en s’appuyant sur les informations financières non auditées du 6 juin 2017 ou, si elles n’étaient pas disponibles, sur celles du 31 mai 2017. Il a estimé que l’ouverture d’une procédure normale d’insolvabilité pour Banco Popular le 7 juin 2017 aurait abouti à une liquidation non planifiée. Afin d’apprécier les valeurs de réalisation des actifs, le cabinet évaluateur a pris en compte trois scénarios temporels de liquidation alternatifs, de 18 mois, de 3 ans et de 7 ans, comprenant chacun une meilleure et une pire hypothèse. Il a conclu que, dans chacune de ces hypothèses, pour les actionnaires affectés et les créanciers subordonnés, aucun recouvrement n’aurait été attendu dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité et qu’il n’existait donc pas de différence de traitement par rapport à celui résultant de la mesure de résolution.

13      Le 6 août 2018, le CRU a publié, sur son site Internet, son avis du 2 août 2018 relatif à sa décision préliminaire sur la nécessité d’accorder ou non un dédommagement aux actionnaires et aux créanciers qui ont fait l’objet des mesures de résolution concernant Banco Popular et au lancement de la procédure du droit d’être entendu (SRB/EES/2018/132) (ci-après la « décision préliminaire »), ainsi qu’une version non confidentielle de la valorisation 3. Le 7 août 2018, une communication concernant l’avis du CRU a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2018, C 277 I, p. 1).

14      Dans la décision préliminaire, le CRU a considéré qu’il ressortait de la valorisation 3 qu’il n’existait pas de différence entre le traitement dont avaient réellement fait l’objet les actionnaires et créanciers affectés du fait de la résolution de Banco Popular et celui dont ils auraient bénéficié si cette dernière avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité à la date de la résolution. Le CRU a décidé, à titre préliminaire, qu’il n’était pas tenu de verser un dédommagement aux actionnaires et aux créanciers affectés en application de l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014.

15      Pour lui permettre de prendre une décision finale sur la nécessité ou non d’accorder aux actionnaires et aux créanciers affectés un dédommagement, le CRU les a invités à lui faire part de leur intérêt à exercer leur droit d’être entendus au regard de la décision préliminaire, conformément à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

16      Le CRU a indiqué que la procédure relative au droit d’être entendu se déroulerait en deux phases.

17      Dans une première phase, la phase d’inscription, les actionnaires et créanciers affectés étaient invités à faire part de leur intérêt à exercer leur droit d’être entendus au moyen d’un formulaire d’inscription en ligne dédié ouvert jusqu’au 14 septembre 2018. Ensuite, le CRU devait vérifier si chaque partie ayant manifesté son intérêt avait le statut d’actionnaire ou de créancier affecté. Les actionnaires et créanciers affectés intéressés devaient apporter une preuve de leur identité et une preuve qu’ils détenaient, le 6 juin 2017, un ou des instruments de capital de Banco Popular qui ont été dépréciés ou convertis et transférés dans le cadre de la résolution.

18      Dans une seconde phase, la phase de consultation, les actionnaires et créanciers affectés qui avaient fait part de leur intérêt à exercer leur droit d’être entendus au cours de la première phase et dont le statut avait été vérifié par le CRU, pouvaient soumettre leurs commentaires sur la décision préliminaire à laquelle était annexée la valorisation 3.

19      Le 16 octobre 2018, le CRU a annoncé que les actionnaires et créanciers éligibles seraient invités à soumettre leurs commentaires écrits sur la décision préliminaire à partir du 6 novembre 2018. Le 6 novembre 2018, le CRU a envoyé aux actionnaires et aux créanciers éligibles un lien personnel unique donnant accès sur Internet à un formulaire leur permettant de présenter, jusqu’au 26 novembre 2018, des commentaires sur la décision préliminaire ainsi que sur la version non confidentielle de la valorisation 3.

20      À l’issue de la phase de consultation, le CRU a examiné les commentaires pertinents des actionnaires et des créanciers affectés relatifs à la décision préliminaire. Il a demandé au cabinet évaluateur de lui fournir un document contenant son évaluation des commentaires pertinents relatifs à la valorisation 3 et d’examiner si la valorisation 3 restait valable à la lumière de ces commentaires.

21      Le 18 décembre 2019, le cabinet évaluateur a fourni au CRU son évaluation intitulée « Document de clarification sur la valorisation de la différence de traitement » (ci-après le « document de clarification »). Dans le document de clarification, le cabinet évaluateur a confirmé que la stratégie et les différents scénarios de liquidation hypothétiques détaillés dans la valorisation 3 ainsi que les méthodologies suivies et les analyses menées restaient valables.

22      Le 17 mars 2020, le CRU a adopté la décision attaquée. Un communiqué concernant cette décision a été publié le 20 mars 2020 au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2020, C 91, p. 2).

23      Dans la décision attaquée, le CRU a considéré que le cabinet évaluateur était indépendant conformément aux exigences prévues à l’article 20, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 et au chapitre IV du règlement délégué (UE) 2016/1075 de la Commission, du 23 mars 2016, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation précisant le contenu des plans de redressement, des plans de résolution et des plans de résolution de groupe, les critères minimaux que l’autorité compétente doit prendre en compte pour évaluer les plans de redressement et les plans de redressement de groupe, les conditions préalables à un soutien financier de groupe, les exigences relatives à l’indépendance des évaluateurs, les conditions de la reconnaissance contractuelle des pouvoirs de dépréciation et de conversion, les exigences de procédure et de contenu concernant les notifications et l’avis de suspension ainsi que le fonctionnement des collèges d’autorités de résolution (JO 2016, L 184, p. 1).

24      Sous le titre 5 « valorisation 3 » de la décision attaquée, le CRU a résumé le contenu de la valorisation 3 et a estimé qu’elle était conforme au cadre légal applicable et était suffisamment motivée et complète pour constituer le fondement d’une décision prise au titre de l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014. Il a considéré que la valorisation 3 évaluait les éléments nécessaires prévus à l’article 20, paragraphe 17, du règlement no 806/2014 et dans le règlement délégué (UE) 2018/344 de la Commission, du 14 novembre 2017, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation précisant les critères relatifs aux méthodes de valorisation de la différence de traitement dans le cadre de la procédure de résolution (JO 2018, L 67, p. 3).

25      Sous le titre 6 de la décision attaquée, le CRU a présenté les « commentaires transmis par les actionnaires et créanciers affectés ainsi que leur évaluation ». Sous le titre 6.1 « évaluation de la pertinence » de la décision attaquée, le CRU a expliqué que certains de ces commentaires, qui n’étaient relatifs ni à sa décision préliminaire ni à la valorisation 3, n’étaient pas pertinents dans la mesure où ils ne relevaient pas de la procédure relative au droit d’être entendu. Sous le titre 6.2 de la décision attaquée, il a procédé à l’« examen des commentaires pertinents » transmis par les actionnaires et créanciers affectés, relatifs à l’indépendance du cabinet évaluateur et au contenu de la valorisation 3, regroupés par thème.

26      Le CRU a conclu qu’il ressortait de la valorisation 3, lue conjointement avec le document de clarification et les conclusions énoncées sous le titre 6.2 de la décision attaquée, qu’il n’existait pas de différence entre le traitement dont les actionnaires et créanciers affectés avaient réellement fait l’objet et celui dont ils auraient bénéficié si Banco Popular avait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité à la date de la résolution.

27      En conséquence, le CRU a décidé :

« Article 1

Valorisation

Dans le but de déterminer si un dédommagement doit être accordé aux actionnaires et aux créanciers affectés par les mesures de résolution effectuées à l’égard de Banco Popular […], la valorisation de la différence de traitement dans le cadre de la résolution, prévue à l’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014, est établie conformément à l’annexe I de la présente décision, en combinaison avec le document de clarification […] figurant en annexe II de la présente décision.

Article 2

Dédommagement

Les actionnaires et créanciers affectés par les mesures de résolution effectuées à l’égard de Banco Popular […] n’ont pas droit à un dédommagement du Fonds de résolution unique en application de l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014.

Article 3

Destinataire de la décision

Cette décision est adressée au FROB, en sa qualité d’autorité de résolution nationale, au sens de l’article 3, paragraphe 1, point 3), du règlement no 806/2014. »

 Conclusions des parties

28      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner le CRU et le Royaume d’Espagne aux dépens.

29      Le CRU conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

30      Dans l’affaire T‑302/20, l’intervenante, Aeris Invest Sàrl, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        accueillir le recours ;

–        condamner le CRU aux dépens.

31      Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

32      À l’appui de leurs recours, les requérants soulèvent cinq moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 15, paragraphe 1, sous g), du règlement no 806/2014. Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014. Le troisième moyen est tiré de la violation du droit d’être entendu consacré par l’article 41, paragraphe 2, de la Charte. Le quatrième moyen est tiré de la violation du droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte. Le cinquième moyen est tiré de la violation du droit de propriété consacré par l’article 17 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ainsi que par l’article 1er du protocole no 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

33      À titre liminaire, il y a lieu de relever que la jurisprudence a circonscrit l’étendue du contrôle exercé par le Tribunal aussi bien dans des situations dans lesquelles l’acte attaqué est fondé sur une appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes que lorsqu’il s’agit d’appréciations économiques complexes.

34      D’une part, s’agissant des situations dans lesquelles les autorités de l’Union européenne disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant à l’appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut, en effet, substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des autorités de l’Union à qui, seules, le traité FUE a conféré cette tâche [voir arrêts du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 60 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 105 et jurisprudence citée].

35      D’autre part, s’agissant du contrôle que les juridictions de l’Union exercent sur les appréciations économiques complexes faites par les autorités de l’Union, celui-ci est un contrôle restreint qui se limite nécessairement à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir. Dans le cadre de ce contrôle, il n’appartient donc pas non plus au juge de l’Union de substituer son appréciation économique à celle de l’autorité de l’Union compétente [voir arrêts du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 66 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 106 et jurisprudence citée].

36      Les décisions du CRU qui visent à déterminer si un dédommagement doit être accordé aux actionnaires et aux créanciers affectés par les mesures de résolution effectuées à l’égard d’une entité étant fondées sur des appréciations économiques et techniques hautement complexes, il y a lieu de considérer que les principes ressortant de la jurisprudence mentionnée aux points 34 et 35 ci-dessus s’appliquent au contrôle que le juge est appelé à exercer.

37      Or, s’il est reconnu au CRU une marge d’appréciation en matière économique et technique, cela n’implique pas que le juge de l’Union doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, faite par le CRU, des données de nature économique qui fondent sa décision. En effet, ainsi que la Cour l’a jugé, même dans le cas d’appréciations complexes, le juge de l’Union doit non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées [voir arrêts du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C‑933/19 P, EU:C:2021:905, point 117 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 108 et jurisprudence citée].

38      À cet égard, afin d’établir que le CRU a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits de nature à justifier l’annulation de la décision attaquée, les éléments de preuve apportés par la partie requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans cette décision [voir, par analogie, arrêts du 7 mai 2020, BTB Holding Investments et Duferco Participations Holding/Commission, C‑148/19 P, EU:C:2020:354, point 72, et du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 109 et jurisprudence citée].

39      Par conséquent, un moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation doit être rejeté si, en dépit des éléments avancés par la partie requérante, l’appréciation mise en cause peut être admise comme étant toujours vraie ou valable (voir arrêts du 27 septembre 2018, Spiegel-Verlag Rudolf Augstein et Sauga/BCE, T‑116/17, non publié, EU:T:2018:614, point 39 et jurisprudence citée, et du 25 novembre 2020, BMC/Entreprise commune Clean Sky 2, T‑71/19, non publié, EU:T:2020:567, point 76 et jurisprudence citée).

40      En outre, il résulte d’une jurisprudence constante que, lorsque les institutions disposent d’un pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives figure notamment le principe de bonne administration, consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, auquel se rattache l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce. C’est seulement ainsi que le juge de l’Union est en mesure de vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14).

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 15, paragraphe 1, sous g), du règlement no 806/2014

41      Les requérants font valoir que leur rapport d’expertise annexé aux requêtes montre que la valorisation 3 se fonde sur des prémisses inexactes et utilise des critères qui ne sont pas adaptés à la valorisation de Banco Popular. Ils indiquent que l’analyse contenue dans ce rapport justifie 19 critiques à l’encontre de la valorisation 3 qui sont énoncées dans les requêtes.

42      Les requérants affirment que le rapport d’expertise annexé aux requêtes a établi, en s’appuyant sur sa propre valorisation, que le capital social de Banco Popular s’élevait à environ 5,974 milliards d’euros à la date de la résolution et qu’ils auraient donc bénéficié d’un meilleur traitement dans le cadre de la procédure normale d’insolvabilité que dans le cadre de la résolution.

43      Le CRU fait valoir que ce moyen est irrecevable dans la mesure où les requérants font état de 19 erreurs figurant dans la valorisation 3, sous la forme de 19 allégations d’une seule phrase, lesquelles constituent des affirmations très générales, qui ne sont pas compréhensibles en elles-mêmes et ne peuvent être comprises qu’en s’appuyant sur le rapport d’expertise annexé aux requêtes. Les requêtes ne contiendraient ni arguments ni faits sous-jacents au soutien de ces affirmations.

44      En vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui.

45      Selon une jurisprudence constante, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Si le corps de celle-ci peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions ci-dessus rappelées, doivent figurer dans la requête. En outre, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale [voir arrêts du 3 mars 2022, WV/SEAE, C‑162/20 P, EU:C:2022:153, points 68 et 70 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 299 et jurisprudence citée].

46      Il y a lieu de relever que, dans le premier moyen, comme le relève le CRU, les requérants se contentent de formuler 19 affirmations très générales relatives à certaines appréciations du cabinet évaluateur dans la valorisation 3. Les six premières affirmations concernent le scénario de liquidation de Banco Popular et les autres ont trait à l’évaluation de différentes catégories d’actifs effectuée dans la valorisation 3.

47      Les requérants se limitent à indiquer que ces affirmations sont justifiées par l’analyse figurant dans le rapport d’expertise annexé aux requêtes. Ils renvoient ainsi de manière globale au rapport d’expertise annexé aux requêtes, lequel fait 87 pages et inclut 76 pages d’annexes et ne font aucune référence aux parties du rapport d’expertise qui sous-tendraient chacune de ces 19 affirmations.

48      Il en va de même de la conclusion des requérants selon laquelle il ressortirait de leur rapport d’expertise qu’ils auraient bénéficié d’un meilleur traitement dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité que dans le cadre de la résolution.

49      Or, conformément à la jurisprudence citée au point 45 ci-dessus, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher dans ce rapport d’expertise les éléments justifiant chacune de ces affirmations. Ainsi, il convient de relever que la formulation du présent moyen ne saurait permettre au Tribunal de se prononcer, le cas échéant, sans autres informations à l’appui et qu’il serait contraire à la fonction purement probatoire et instrumentale des annexes que celles-ci puissent servir à faire la démonstration détaillée d’une allégation présentée de manière insuffisamment claire et précise dans les requêtes. Partant, il convient d’écarter comme étant irrecevable l’argumentation renvoyant de manière globale au rapport d’expertise figurant en annexe des requêtes.

50      Il en ressort que le Tribunal n’est pas en mesure, sur le fondement du contenu des requêtes, d’identifier précisément les arguments qu’il pourrait considérer comme fondant ce moyen.

51      Il s’ensuit que ce moyen est simplement énoncé sans être étayé par une argumentation, contrairement à la règle prévue à l’article 76, sous d), du règlement de procédure, et qu’il doit être rejeté comme irrecevable.

52      Par ailleurs, il convient d’ajouter que cette conclusion ne préjuge pas de la recevabilité du rapport d’expertise annexé aux requêtes ni d’arguments soulevés par les requérants dans les autres moyens qui seraient fondés sur ce rapport et seraient suffisamment étayés.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014

53      Les requérants font valoir que le CRU a violé deux conditions prévues par l’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014.

54      L’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014 dispose :

« Afin de déterminer si les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement soumis à une procédure de résolution avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité, le CRU veille à ce qu’une valorisation soit réalisée par une personne indépendante visée au paragraphe 1 aussitôt que la ou les mesures de résolution ont été exécutées. »

55      Dans une première branche, les requérants soutiennent que la décision attaquée n’a pas déterminé si les anciens actionnaires de Banco Popular auraient bénéficié d’un meilleur traitement dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, étant donné que la procédure normale d’insolvabilité a été assimilée à une liquidation. Dans une seconde branche, ils soutiennent que la valorisation 3 n’a pas été réalisée par une personne indépendante.

 Sur la première branche, relative à la détermination du scénario contrefactuel

56      Les requérants contestent le scénario contrefactuel utilisé dans la valorisation 3 afin d’établir le traitement dont auraient bénéficié les actionnaires et créanciers affectés si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité, à savoir le scénario de liquidation. Par un premier grief, ils soutiennent que la législation applicable donnerait la priorité à une solution alternative à la liquidation. Par un second grief, soulevé à titre subsidiaire, ils soutiennent que, à supposer qu’un scénario de liquidation soit applicable, la législation espagnole n’imposerait pas une cession des actifs individuellement ou par portefeuille.

–       Sur le premier grief, visant à contester l’utilisation d’un scénario de liquidation

57      Les requérants, soutenus par Aeris Invest, font valoir que le CRU a commis une erreur de droit en considérant que le traitement hypothétique dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité impliquait la prise en compte d’un scénario de liquidation. Ils considèrent que, selon la législation espagnole, le concordat est l’issue prioritaire de la procédure de faillite.

58      Les requérants soutiennent que le concordat serait encouragé, dans la législation espagnole, par une série de mesures visant à obtenir la satisfaction des créanciers par le biais de l’accord contenu dans une transaction juridique. Ils estiment que le CRU a interprété cette législation de la manière la plus favorable à ses propres intérêts puisque la valorisation de Banco Popular dans un scénario de liquidation est inférieure à celle qui serait obtenue dans le cadre d’un concordat.

59      Dans la décision attaquée, le CRU a relevé que, selon l’article 15, paragraphe 1, sous g), du règlement no 806/2014, la valorisation 3 devait déterminer si les actionnaires et créanciers affectés avaient été moins bien traités dans le cadre de la résolution qu’ils ne l’auraient été si Banco Popular avait été « liquidée selon une procédure normale d’insolvabilité ». Il a relevé, à l’instar du cabinet évaluateur dans le document de clarification (point 5.1.5), que la Ley 11/2015 de recuperación y resolución de entidades de crédito y empresas de servicios de inversión (loi 11/2015 de redressement et de résolution des établissements de crédit et des entreprises de services d’investissement), du 18 juin 2015 (BOE no 146, du 19 juin 2015, p. 50797), qui transpose la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190), prévoit spécifiquement que la valorisation de la différence de traitement doit être effectuée en supposant que l’entité est entrée dans une procédure de liquidation.

60      En premier lieu, s’agissant des dispositions pertinentes du règlement no 806/2014, il convient de rappeler que la valorisation prévue à l’article 20, paragraphe 16, de ce règlement vise à déterminer si les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement soumis à une procédure de résolution avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité.

61      En application de l’article 20, paragraphe 17, du règlement no 806/2014, la valorisation visée au paragraphe 16 de ce même article établit la différence de traitement entre le traitement réel dont les actionnaires et les créanciers ont fait l’objet dans le cadre de la résolution et le traitement dont ils auraient bénéficié si l’entité avait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité au moment où la décision sur la mesure de résolution a été prise.

62      Cette valorisation vise à mettre en œuvre le principe selon lequel aucun créancier n’est plus mal traité, énoncé à l’article 15, paragraphe 1, sous g), du règlement no 806/2014 qui prévoit qu’« aucun créancier n’encourt des pertes plus importantes que celles qu’il aurait subies si une entité visée à l’article 2 avait été liquidée selon une procédure normale d’insolvabilité conformément aux mesures de sauvegarde prévues à l’article 29 ».

63      En application de ce principe, l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014 indique que le CRU peut recourir au Fonds de résolution unique (FRU) afin de « dédommager les actionnaires ou créanciers si, à la suite d’une valorisation réalisée en vertu de l’article 20, paragraphe 5, ils ont subi des pertes plus importantes que celles qu’ils auraient subies, à la suite d’une valorisation effectuée en vertu de l’article 20, paragraphe 16, lors d’une liquidation selon une procédure normale d’insolvabilité ».

64      Ainsi, il ressort clairement des dispositions précitées du règlement no 806/2014 que la référence, figurant à l’article 20, paragraphes 16 à 18, du règlement no 806/2014, au traitement dont les actionnaires et créanciers de l’entité auraient bénéficié si celle-ci avait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité renvoie à leur traitement hypothétique en cas de liquidation de l’entité.

65      En outre, selon l’article 4, paragraphe 1, du règlement délégué 2018/344, la méthode pour réaliser la valorisation du traitement dont auraient bénéficié les actionnaires et créanciers à l’égard desquels des mesures de résolution ont été exécutées, si l’entité avait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité à la date de la décision de résolution, consiste uniquement à déterminer le montant actualisé des flux de trésorerie attendus dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité. Les facteurs à prendre en considération pour évaluer ces flux de trésorerie, énoncés à l’article 4, paragraphes 4 et 5, du règlement délégué 2018/344, visent à déterminer la valeur des actifs, selon qu’ils sont négociés ou non sur un marché actif, dans le cadre d’une cession hypothétique. L’article 4, paragraphe 8, du règlement délégué 2018/344 prévoit également que le produit hypothétique résultant de la valorisation est réparti entre les actionnaires et les créanciers en fonction de leur rang de priorité en vertu du droit applicable en matière d’insolvabilité.

66      Il en ressort que la méthode de valorisation du traitement dont les actionnaires et créanciers auraient bénéficié dans le cadre d’une hypothétique procédure normale d’insolvabilité définie dans le règlement délégué 2018/344 correspond à la réalisation des actifs de l’établissement et donc à une liquidation telle qu’elle est définie à l’article 3, paragraphe 1, point 42, du règlement no 806/2014.

67      S’agissant du mécanisme de dédommagement des actionnaires et des créanciers d’une entité soumise à une mesure de résolution mis en place par le règlement no 806/2014, le considérant 62 de ce règlement indique :

« Les atteintes aux droits de propriété ne devraient pas être disproportionnées. Les actionnaires et les créanciers affectés ne devraient donc pas subir de pertes plus importantes que celles qu’ils auraient subies si l’entité avait été liquidée au moment où la résolution a été décidée. Si une partie des actifs d’un établissement soumis à une procédure de résolution est transférée à un acheteur privé ou à un établissement-relais, la partie restante de l’établissement soumis à une procédure de résolution devrait être liquidée selon une procédure normale d’insolvabilité. Afin de protéger les actionnaires existants et les créanciers de l’entité lors de la procédure de liquidation, il convient de leur reconnaître le droit à un remboursement de leurs créances qui ne soit pas inférieur à ce qu’ils auraient recouvré si l’entité dans son ensemble avait été liquidée selon une procédure normale d’insolvabilité. »

68      Selon l’article 20, paragraphe 18, sous a) et b), du règlement no 806/2014, la valorisation de la différence de traitement prévue à l’article 20, paragraphe 16, du même règlement part de l’hypothèse qu’un établissement soumis à une procédure de résolution à l’égard duquel une ou plusieurs mesures de résolution ont été exécutées aurait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité au moment où la décision sur la mesure de résolution a été prise ainsi que de l’hypothèse que la ou les mesures de résolution n’ont pas été exécutées.

69      Il convient également de rappeler que l’adoption d’une mesure de résolution à l’égard d’une entité suppose que les conditions prévues à l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 sont remplies, à savoir que l’entité est en situation de défaillance avérée ou prévisible, qu’il n’existe pas d’autres mesures de nature privée ou de mesures prudentielles susceptibles d’empêcher sa défaillance dans un délai raisonnable et que la mesure de résolution est nécessaire dans l’intérêt public. Selon l’article 18, paragraphe 5, du règlement no 806/2014, une mesure de résolution est considérée comme étant dans l’intérêt public si elle est nécessaire pour atteindre, par des moyens proportionnés, un ou plusieurs des objectifs de la résolution, alors qu’une liquidation de l’entité selon les procédures normales d’insolvabilité ne le permettrait pas dans la même mesure.

70      Ainsi, une mesure de résolution constitue une alternative à la liquidation d’une entité lorsque l’intérêt public l’exige.

71      Aux termes de l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014, visant à mettre en œuvre le principe visé à l’article 15, paragraphe 1, sous g), du même règlement, les actionnaires et les créanciers se voient reconnaître le droit, lors de la procédure de résolution, à un remboursement ou à une indemnisation de leurs créances qui ne soit pas inférieur à l’estimation de ce qu’ils auraient récupéré si l’ensemble de l’établissement ou de l’entreprise en cause avait été liquidé dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité [voir, par analogie, arrêt du 5 mai 2022, Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), C‑410/20, EU:C:2022:351, point 48].

72      Il s’ensuit que, pour établir la différence de traitement, la comparaison porte sur le traitement réel dont les actionnaires et les créanciers affectés ont fait l’objet du fait de la résolution et sur l’évaluation de leur situation dans l’hypothèse où la mesure de résolution n’aurait pas été adoptée, à savoir l’hypothèse où l’entité aurait été liquidée.

73      En second lieu, s’agissant de la législation nationale applicable, la comparaison avec le traitement dont les actionnaires et créanciers affectés auraient bénéficié si l’établissement avait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité renvoie à la procédure nationale à laquelle l’établissement aurait été soumis s’il n’avait pas fait l’objet d’une mesure de résolution.

74      À cet égard, l’article 4, paragraphe 3, du règlement délégué 2018/344 indique :

« Pour déterminer le montant actualisé des flux de trésorerie attendus dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, l’évaluateur prend en compte :

a)      le droit applicable et les pratiques en vigueur en matière d’insolvabilité dans la juridiction concernée, qui peuvent influer sur des facteurs tels que le délai de cession ou les taux de recouvrement ;

[…] »

75      Dès lors, Aeris Invest ne saurait valablement soutenir que le droit espagnol n’était pas applicable s’agissant de la détermination du scénario contrefactuel pour Banco Popular.

76      Or, comme l’indique le Royaume d’Espagne, le législateur espagnol, lorsqu’il a réglementé l’évaluation de la différence de traitement, n’a pas envisagé d’autre hypothèse que celle de la liquidation selon la procédure normale d’insolvabilité.

77      À cet égard, le Real Decreto 1012/2015 por el que se desarrolla la Ley 11/2015, y por el que se modifica el Real Decreto 2606/1996, de 20 de diciembre, sobre fondos de garantía de depósitos de entidades de crédito (décret royal 1012/2015 portant application de la loi 11/2015 et portant modification du décret royal 2606/1996, du 20 décembre 1996, relatif aux fonds de garantie de dépôts d’établissements de crédit), du 6 novembre 2015 (BOE no 267, du 7 novembre 2015, p. 105911), qui transpose la directive 2014/59, contient des dispositions spécifiques à l’évaluation de la différence de traitement.

78      L’article 10, paragraphe 2, du décret royal 1012/2015 prévoit que la valorisation doit déterminer le traitement que les actionnaires et créanciers auraient reçu si l’entité ayant fait l’objet d’une résolution avait été soumise à une procédure de liquidation au moment de l’adoption de la décision de résolution.

79      À cet égard, l’article 10, paragraphe 3, sous a), du décret royal 1012/2015 indique que l’évaluation part de l’hypothèse que l’entité à laquelle les mesures de résolution ont été appliquées aurait été liquidée dans le cadre de la procédure d’insolvabilité au moment où la décision de résolution a été prise.

80      Ainsi, dans le cadre de l’appréciation de la différence de traitement à la suite d’une résolution décidée par le FROB, le droit espagnol prévoit que le scénario contrefactuel est un scénario de liquidation de l’entité prenant en compte les dispositions de la loi 22/2003 relatives à la liquidation.

81      À cet égard, comme le relève le Royaume d’Espagne, la notion de « liquidation », visée aux articles 148 et 149 de la loi 22/2003, consiste en la réalisation des biens et des droits de l’entreprise faillie afin de satisfaire les créanciers avec ce qui a été obtenu et correspond à la définition figurant à l’article 3, paragraphe 1, point 42, du règlement no 806/2014.

82      En outre, l’article 100 de la loi 22/2003 relatif au concordat est inclus dans le titre V de cette loi intitulé « Des phases de liquidation ou de concordat ». Il en ressort que la loi 22/2003, qui est la loi générale sur la faillite, prévoit qu’un concordat avec les créanciers constitue une solution alternative à la liquidation à l’issue de la phase commune de la procédure de faillite. À cet égard, les requérants admettent que, selon les dispositions de la loi 22/2003, le concordat et la liquidation constituent deux solutions qui s’excluent mutuellement.

83      Dès lors, le décret royal 1012/2015, en prévoyant expressément que la différence de traitement doit être appréciée en prenant en compte l’hypothèse selon laquelle l’entité est entrée en phase de liquidation, a exclu la possibilité de l’application de la solution alternative consistant dans un concordat avec les créanciers.

84      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions de la législation espagnole applicables prévoient que la détermination de la différence de traitement doit s’appuyer sur un scénario de liquidation. Dès lors, c’est à tort que les requérants et Aeris Invest soutiennent que le cadre juridique applicable permettait d’envisager un scénario contrefactuel prenant en compte une solution de concordat avec les créanciers.

85      Partant, l’affirmation des requérants et d’Aeris Invest selon laquelle la solution du concordat avec les créanciers serait favorisée dans la procédure normale d’insolvabilité en Espagne n’est pas pertinente.

86      Il s’ensuit que les requérants et Aeris Invest soutiennent à tort que le CRU aurait commis une erreur de droit en considérant que le traitement hypothétique dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité impliquait la prise en compte d’un scénario de liquidation.

87      Partant, le premier grief doit être rejeté.

–       Sur le second grief, visant à contester la cession des actifs individuellement ou par portefeuille

88      Les requérants font valoir que, à supposer même qu’il était nécessaire d’envisager un scénario de liquidation, le CRU aurait violé la législation applicable dans la mesure où l’application d’une procédure de liquidation n’implique pas nécessairement la vente des actifs individuellement ou par portefeuille, ce qui est la méthodologie utilisée par le cabinet évaluateur dans la valorisation 3. La loi 22/2003 donnerait la priorité à la préservation et à la continuité des entreprises et donc à la cession dans leur totalité ou par unité de production.

89      Les requérants et Aeris Invest soutiennent que Banco Popular aurait pu poursuivre son activité, compte tenu de sa position de liquidité et du fait que son agrément bancaire ne lui aurait pas été retiré.

90      Les requérants renvoient au rapport d’expertise annexé aux requêtes, selon lequel le résultat de la liquidation de Banco Popular par la vente de l’établissement dans sa totalité ou par unité de production aurait abouti à ce que le capital social de celui-ci soit plus important que celui qui figure dans la valorisation 3  et dont il ressortirait qu’ils auraient bénéficié d’un meilleur traitement dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité que celui dont ils ont fait l’objet dans le cadre de la résolution.

91      En l’espèce, il y a lieu de rappeler que, dans l’hypothèse où le dispositif de résolution n’aurait pas été adopté, l’alternative consistait en la liquidation de Banco Popular selon une procédure normale d’insolvabilité [arrêt du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 421].

92      À cet égard, dans la décision attaquée, le CRU a relevé que, conformément à la valorisation 3, au regard des circonstances de l’espèce et, en particulier, de l’incapacité de Banco Popular de s’acquitter de ses dettes à l’échéance, l’ouverture d’une procédure normale d’insolvabilité à la date de la résolution aurait conduit à une liquidation de Banco Popular, qui aurait impliqué une réalisation accélérée des actifs, sans prix minimum contraignant, et le paiement de la réalisation nette aux créanciers conformément à la hiérarchie établie par la loi 22/2003.

93      Il convient également de mentionner que l’argument des requérants selon lequel le scénario contrefactuel à la mesure de résolution n’impliquait pas nécessairement l’hypothèse d’une liquidation de Banco Popular avait déjà été soulevé par certains actionnaires et créanciers affectés dans le cadre de la procédure relative au droit d’être entendu.

94      Dans la décision attaquée, le CRU a relevé qu’ils avaient prétendu soit qu’une solution issue du secteur privé aurait pu être trouvée soit que le scénario contrefactuel aurait dû s’appuyer sur la vente de Banco Popular en tant qu’entreprise en activité, puisque celle-ci était toujours en activité sur le marché à la date de l’adoption du dispositif de résolution. En particulier, le CRU a indiqué que certains actionnaires et créanciers affectés soutenaient que les créanciers auraient pu conclure un accord (un concordat) qui aurait empêché la liquidation de Banco Popular. D’autres avaient noté que la procédure d’insolvabilité espagnole prévoyait la possibilité d’une insolvabilité préétablie, par laquelle les actifs viables de l’entité étaient séparés et vendus en tant qu’entreprise en activité. Ils ont affirmé que cette solution aurait dû être envisagée par le cabinet évaluateur, lors de la définition de la stratégie de liquidation, puisqu’elle aurait permis de mieux préserver la valeur de franchise de Banco Popular.

95      Le CRU a relevé que, sans préjudice des exigences prévues par le règlement no 806/2014 et par le droit national applicable, le cabinet évaluateur avait expliqué, dans le document de clarification, les raisons pour lesquelles il n’était pas possible, dans le cas de Banco Popular, de réaliser une vente en tant qu’entreprise en activité (par le biais d’une procédure d’insolvabilité préétablie ou autrement), ni d’organiser un concordat. À cet égard, d’une part, le cabinet évaluateur avait indiqué que, eu égard à la situation de liquidité de Banco Popular à la date de la résolution et à l’évaluation de la Banque centrale européenne (BCE) sur la situation de défaillance avérée ou prévisible de Banco Popular, cette dernière ne pourrait pas continuer à fonctionner pendant que des négociations seraient entreprises, entraînant une destruction de valeur significative. Le CRU a ajouté qu’une lettre du directeur général de Banco Popular, du 6 juin 2017, corroborait la conclusion selon laquelle la situation de liquidité de Banco Popular ne lui permettait pas de poursuivre ses activités. D’autre part, le cabinet évaluateur avait considéré que l’agrément bancaire de Banco Popular aurait été révoqué, dans la mesure où les conditions de son retrait prévues par la législation espagnole auraient été remplies. Il avait indiqué que l’agrément bancaire était nécessaire pour accepter les dépôts des clients, qui étaient essentiels à la poursuite des activités de Banco Popular ou à sa vente en tant qu’entreprise en activité.

96      Le CRU a ajouté que le cabinet évaluateur avait mentionné, dans le document de clarification, que la création d’une « bonne banque » et d’une « mauvaise banque » n’était pas prévue par la loi 22/2003 et que, en tout état de cause, sa mise en œuvre aurait nécessité du temps qui n’était alors pas disponible.

97      Le CRU a conclu que le cabinet évaluateur avait procédé à une évaluation appropriée concernant le scénario de liquidation utilisé dans la valorisation 3.

98      Les requérants et Aeris Invest font valoir que le scénario contrefactuel de liquidation aurait dû s’appuyer sur l’hypothèse selon laquelle Banco Popular était en mesure de poursuivre ses activités.

99      À cet égard, il convient de rappeler que, en application de l’article 20, paragraphes 17 et 18, du règlement n° 806/2014, le traitement dont auraient bénéficié les actionnaires et créanciers affectés si Banco Popular avait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité doit être déterminé au moment où le dispositif de résolution a été adopté.

100    Ainsi, le scénario contrefactuel de liquidation envisagé dans la valorisation 3 devait être défini au regard de la situation de Banco Popular à la date de la résolution, à savoir une situation de défaillance avérée ou prévisible.

101    En effet, il convient de rappeler que le CRU a considéré, dans le dispositif de résolution, que les conditions prévues à l’article 18, paragraphe 1, du règlement n° 806/2014 étaient remplies et que la Commission, dans la décision 2017/1246, ayant estimé que le dispositif de résolution était conforme aux dispositions du règlement no 806/2014, a approuvé celui-ci. Dès lors, à la date d’adoption du dispositif de résolution, premièrement, Banco Popular était en situation de défaillance avérée ou prévisible, deuxièmement, il n’existait pas d’autres mesures qui auraient pu empêcher la défaillance de Banco Popular dans un délai raisonnable et, troisièmement, une mesure de résolution sous la forme d’un instrument de cession des activités de Banco Popular était nécessaire dans l’intérêt public.

102    Or, il y a lieu de relever que les arguments des requérants et d’Aeris Invest selon lesquels le cabinet évaluateur aurait dû envisager un scénario de liquidation prenant en compte l’hypothèse dans laquelle Banco Popular aurait été en mesure de poursuivre ses activités sont en contradiction avec les éléments factuels établis à la date de la résolution ainsi qu’avec la décision de soumettre Banco Popular à une procédure de résolution.

103    En effet, considérer que Banco Popular aurait été en mesure de poursuivre ses activités à la date de la résolution aurait pour conséquence de remettre en cause le fait que les conditions prévues à l’article 18, paragraphe 1, du règlement n° 806/2014 étaient remplies à la date de l’adoption du dispositif de résolution et, partant, reviendrait à contester la légalité de celui-ci. Or, il suffit de relever que le dispositif de résolution ne fait pas l’objet du présent recours.

104    Il s’ensuit que les requérants ne sauraient valablement soutenir que le CRU aurait commis une erreur manifeste en approuvant l’appréciation du cabinet évaluateur selon laquelle, à la date de la résolution, Banco Popular n’étant pas en mesure de poursuivre ses activités, un scénario contrefactuel prenant l’hypothèse d’une entreprise en continuité d’exploitation n’était pas possible.

105    En tout état de cause, les arguments des requérants et de Aeris Invest visant à établir que Banco Popular aurait pu poursuivre ses activités à la date de la résolution, compte tenu de sa position de liquidités et du fait que son agrément bancaire ne lui aurait pas été retiré, ne sauraient prospérer.

106    En premier lieu, les requérants et Aeris Invest soutiennent que Banco Popular aurait pu poursuivre son activité compte tenu de sa position de liquidité.

107    À cet égard, premièrement, Aeris Invest fait valoir que le CRU a violé son obligation d’examiner les informations disponibles sur l’apport urgent de liquidités qui avait été autorisé par la BCE et qui aurait permis à Banco Popular de disposer de liquidités suffisantes.

108    Il convient de rappeler que, conformément à l’article 20, paragraphe 18, du règlement no 806/2014, la valorisation 3, afin d’établir le scénario contrefactuel, part de l’hypothèse que Banco Popular aurait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité au moment où le dispositif de résolution a été adopté et que la mesure de résolution n’a pas été exécutée et ne tient pas compte de l’apport éventuel d’un soutien financier public exceptionnel.

109    Or, il suffit de constater que, à la date de l’adoption du dispositif de résolution, l’apport urgent de liquidités autorisé par la BCE, mentionné par Aeris Invest, n’avait pas été octroyé à Banco Popular par la Banque d’Espagne. Partant, cet apport urgent de liquidités ne pouvait pas être pris en considération dans la valorisation 3 aux fins d’évaluer la situation de Banco Popular dans l’hypothèse où elle aurait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité à cette même date.

110    Deuxièmement, les requérants et Aeris Invest estiment que le CRU, pour soutenir que Banco Popular n’aurait pas pu poursuivre son activité, s’est appuyé à tort sur l’évaluation sur la situation de défaillance avérée ou prévisible de Banco Popular effectuée par la BCE, dans la mesure où cette évaluation n’avait pas d’effets contraignants et où elle ne prévoyait pas que Banco Popular devait cesser son activité.

111    Il convient de rappeler que, le 6 juin 2017, à savoir la veille de l’adoption du dispositif de résolution, la BCE a adopté son évaluation sur la situation de défaillance avérée ou prévisible de Banco Popular. Dans cette évaluation, la BCE a considéré, prenant en compte, en particulier, les sorties excessives de dépôts, la rapidité à laquelle la trésorerie avait été perdue par la banque et l’incapacité de celle-ci à générer d’autres liquidités, qu’il existait des éléments objectifs indiquant que Banco Popular ne serait probablement pas en mesure, dans un proche avenir, de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance. La BCE a conclu que la défaillance de Banco Popular était réputée avérée ou, en tout état de cause, prévisible dans un proche avenir, conformément à l’article 18, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 4, sous c), du règlement no 806/2014.

112    Il suffit de relever que le constat de la situation de défaillance avérée ou prévisible de Banco Popular effectué par la BCE constitue un élément factuel que le cabinet évaluateur et le CRU pouvaient prendre en compte pour apprécier la situation de Banco Popular à la date de la résolution. En outre, comme l’a indiqué le cabinet évaluateur dans la valorisation 3, ce constat avait par ailleurs été confirmé par le conseil d’administration de Banco Popular qui, le 6 juin 2017, a informé la BCE qu’il était arrivé à la conclusion que la banque était en situation de défaillance prévisible.

113    Enfin, ni le cabinet évaluateur ni le CRU n’ont affirmé que l’évaluation de la BCE obligeait Banco Popular à cesser son activité.

114    Troisièmement, Aeris Invest soutient que la crise de liquidité de Banco Popular n’était pas telle qu’elle aurait débouché sur une liquidation dans la mesure où aucun dossier d’enquête n’a été ouvert pour non-respect des exigences prudentielles.

115    À cet égard, d’une part, il y a lieu de rappeler que, dans le dispositif de résolution, le CRU avait constaté que, le 12 mai 2017, l’exigence de couverture des besoins de liquidité (Liquidity Coverage Requirement, LCR) de Banco Popular était passée au-dessous du seuil minimal de 80 % fixé par l’article 460, paragraphe 2, sous c), du règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1). Or, Aeris Invest ne conteste pas ce fait.

116    D’autre part, le constat selon lequel Banco Popular, compte tenu de sa position de liquidité et du fait qu’elle ne pouvait faire face à ses engagements à l’échéance, n’était plus en mesure de poursuivre ses activités à la date de la résolution, n’exigeait pas que des mesures concrètes aient été adoptées par les autorités nationales pour non-respect des exigences de couverture des besoins de liquidité.

117    Partant, cet argument est inopérant.

118    En second lieu, les requérants et Aeris Invest affirment que l’agrément bancaire de Banco Popular ne lui aurait pas été retiré.

119    À cet égard, il y a lieu de relever que le cabinet évaluateur, dans la valorisation 3 et dans le document de clarification, a indiqué que l’agrément bancaire de Banco Popular aurait été révoqué en application de l’article 8 de la Ley 10/2014 de ordenación, supervisión y solvencia de entidades de crédito (loi 10/2014 relative à l’organisation, à la surveillance et à la solvabilité des établissements de crédit), du 26 juin 2014 (BOE no 156, du 27 juin 2014, p. 49412). Cette disposition prévoit, notamment, parmi les cas dans lesquels l’agrément accordé à un établissement de crédit peut être retiré, premièrement, le fait que ce dernier compromet la capacité de rembourser les fonds qui lui ont été confiés par les déposants ou ne fournit pas la garantie qu’il peut faire face à ses obligations envers les créanciers et, deuxièmement, le fait qu’une décision judiciaire a été prise d’ouvrir la phase de liquidation de la procédure d’insolvabilité. Le cabinet évaluateur a indiqué que, même dans le cas peu probable où la Banque d’Espagne n’aurait pris aucune mesure pour retirer l’agrément bancaire de Banco Popular, le risque d’une fuite des dépôts et une décision du CRU de ne pas appliquer ses pouvoirs de résolution auraient contraint ses dirigeants à déposer une demande de liquidation qui aurait entrainé un tel retrait.

120    Il suffit de rappeler que, à la date de la résolution, tant la BCE que le conseil d’administration de Banco Popular avaient estimé que cette dernière était dans une situation de défaillance avérée ou prévisible, ce qui, en application de l’article 18, paragraphe 4, sous c), du règlement no 806/2014, impliquait que Banco Popular n’était pas en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance, ou qu’il existait des éléments objectifs permettant de conclure que cela se produirait dans un proche avenir.

121    Les requérantes se contentent d’affirmer que la situation de Banco Popular lui permettait de faire face au paiement de ses dettes, sans apporter aucun élément à l’appui de cette affirmation. En outre, pour les motifs visés au point 109 ci-dessus, Aeris Invest ne saurait s’appuyer sur l’apport urgent de liquidités autorisé par la BCE pour soutenir que Banco Popular pouvait faire face à ses engagements.

122    Il en ressort que les requérants et Aeris Invest ne sauraient valablement soutenir que la situation de Banco Popular à la date de la résolution ne correspondait pas au premier cas prévu par l’article 8 de la loi 10/2014, mentionné au point 119 ci-dessus, et que le CRU aurait commis une erreur manifeste en estimant que l’agrément bancaire de Banco Popular lui aurait été retiré.

123    Dès lors, il convient également de rejeter comme inopérant l’argument d’Aeris Invest selon lequel, Banco Popular n’étant pas entré dans une phase de liquidation en vertu du droit espagnol, sa situation ne correspondait pas au second cas prévu à l’article 8 de la loi 10/2014 relatif à l’ouverture d’une phase de liquidation.

124    Il s’ensuit que les requérants ne sauraient affirmer que le cabinet évaluateur aurait dû effectuer une valorisation de Banco Popular en envisageant la vente de l’établissement dans sa totalité ou par unité de production, laquelle implique une poursuite des activités de l’entreprise.

125    Partant, les requérants n’ont pas établi que le cabinet évaluateur aurait commis une erreur en utilisant une méthodologie fondée sur un scénario de liquidation et sur la vente des actifs individuellement ou par portefeuille.

126    Par ailleurs, les requérants soutiennent qu’une stratégie « bonne banque/mauvaise banque » était autorisée par la législation nationale applicable et que, selon le rapport d’expertise annexé aux requêtes, il s’agissait de la meilleure stratégie pour l’application du principe selon lequel aucun créancier n’est plus mal traité. Ils indiquent que, dans ce rapport, leur expert a envisagé une liquidation de la banque par unité de production, selon un scénario similaire à une séparation d’actifs moyennant la création de deux nouvelles sociétés, une société vers laquelle l’activité principale est transférée avec l’agrément bancaire et une société de gestion des actifs vers laquelle les actifs non productifs sont transférés. La liquidation de la société par unité de production impliquerait qu’elle est effectuée en tant qu’entreprise en continuité d’exploitation, avec transfert de l’agrément bancaire qui, selon le rapport d’expertise, ne devrait pas être retiré et elle permettrait une période de liquidation plus courte et donc une réduction des coûts.

127    Il suffit de constater que cet argument ainsi que le rapport d’expertise annexé aux requêtes en ce qu’il contient une valorisation de Banco Popular en tant qu’entreprise en continuité d’exploitation n’est pas pertinent dans la mesure où il s’appuie sur l’hypothèse erronée selon laquelle Banco Popular aurait pu poursuivre ses activités.

128    En tout état de cause, la circonstance que le résultat de l’estimation de la valeur des actifs de Banco Popular dans le cas d’une hypothétique procédure normale d’insolvabilité figurant dans le rapport d’expertise des requérants soit en désaccord avec les appréciations figurant dans la valorisation 3, en dehors de l’hypothèse où les requérants allèguent que ces appréciations sont dépourvues de plausibilité, relève d’une contestation qui va au-delà du contrôle restreint du Tribunal prévu dans la jurisprudence mentionnée aux points 34 et 35 ci-dessus (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 novembre 2020, BMC/Entreprise commune Clean Sky 2, T‑71/19, non publié, EU:T:2020:567, point 78).

129    En effet, le rapport d’expertise annexé aux requêtes, en ce qu’il contient une valorisation de Banco Popular s’appuyant sur l’hypothèse d’une entreprise en continuité d’exploitation distincte de celle retenue dans la valorisation 3, n’est pas susceptible de priver de plausibilité les hypothèses retenues par le cabinet évaluateur dans celle-ci.

130    Il s’ensuit que le second grief doit être rejeté et, partant, la première branche.

 Sur la seconde branche, relative à l’indépendance du cabinet évaluateur

131    Dans les requêtes, les requérants font valoir que le CRU a violé l’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014 en ce qu’il n’a pas suffisamment veillé à l’indépendance du cabinet évaluateur. Ils soutiennent que, étant donné que le cabinet évaluateur avait été chargé de la valorisation 2, il est légitime de douter qu’il aurait pu s’écarter, dans la valorisation 3, des critères et des conclusions de la valorisation 2 concernant l’analyse de la différence de traitement. Ils relèvent qu’une grande partie de la valorisation 3 suit la valorisation 2.

132    Lors de l’audience, en réponse à des questions du Tribunal, les requérants ont précisé la portée de leur argumentation. Les requérants ont admis que la valorisation 3 et la simulation d’un scénario de liquidation figurant dans la valorisation 2 s’appuyaient sur des données différentes, mais ils ont relevé que la conclusion à laquelle aboutissait le cabinet évaluateur était la même, à savoir que les actionnaires et créanciers affectés n’avaient pas droit à un dédommagement. Ils ont indiqué que, dans la valorisation 3, le cabinet évaluateur avait utilisé la même méthodologie que dans la seconde partie de la valorisation 2 contenant une simulation d’un scénario de liquidation, à savoir qu’il avait procédé à une valorisation des actifs par portefeuille et non pas comme pour une entreprise en continuité d’exploitation. Ils ont considéré que Banco Popular aurait eu une valeur très élevée si elle avait été valorisée en tant qu’entreprise en activité.

133    Il ressort ainsi des explications fournies par les requérants lors de l’audience qu’ils soutiennent qu’il est possible de douter de l’indépendance du cabinet évaluateur dans la mesure où ce dernier, dans la valorisation 3, a évalué les actifs de Banco Popular selon la même méthode que celle utilisée dans la simulation du scénario de liquidation figurant dans la valorisation 2, à savoir selon un scénario contrefactuel de liquidation.

134    Or, il ressort de l’analyse de la première branche que, compte tenu des dispositions applicables et de la situation de Banco Popular à la date de la résolution, l’estimation du traitement dont auraient bénéficié les actionnaires et créanciers affectés si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité ne pouvait être effectuée que selon un scénario de liquidation et qu’une valorisation en tant qu’entreprise en continuité d’exploitation n’était pas possible.

135    Il s’ensuit que tout autre évaluateur qui aurait été désigné par le CRU pour effectuer la valorisation 3 n’aurait pu qu’utiliser la même méthode.

136    Partant, les requérants ne sauraient valablement soutenir que le fait que le cabinet évaluateur a utilisé la même méthode dans les valorisations 2 et 3, à savoir une valorisation de Banco Popular selon un scénario hypothétique de liquidation, serait de nature à établir un manque d’indépendance de celui-ci.

137    Dès lors, la seconde branche doit être rejetée et, partant, le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu consacré par l’article 41, paragraphe 2, de la Charte

138    Les requérants font valoir que, si le CRU a effectivement permis aux actionnaires et aux créanciers affectés de formuler des commentaires avant l’adoption de la décision attaquée, il a limité leur droit d’être entendus en imposant un formulaire comportant sept questions restrictives avec des espaces de réponse limités. Ils soutiennent que le CRU n’a respecté qu’en apparence son obligation d’entendre les actionnaires et créanciers affectés avant l’adoption de la décision attaquée, dans la mesure où le fait de devoir répondre à un formulaire préparé par le CRU et adapté à ses intérêts faisait obstacle à l’exercice utile du droit d’être entendu.

139    Ils estiment que le formulaire établi par le CRU ne permettait pas d’aborder de nombreuses questions et que le fait qu’ils avaient la possibilité de présenter toute observation supplémentaire en rapport avec la décision préliminaire en 5 000 caractères maximum ne permettait pas une analyse critique de la valorisation 3 et de la décision préliminaire, d’autant plus qu’il était impossible de joindre des documents.

140    Il convient de rappeler que l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte prévoit que le droit à une bonne administration comporte le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.

141    Le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts. En outre, il est de jurisprudence constante que le droit d’être entendu poursuit un double objectif. D’une part, il sert à l’instruction du dossier et à l’établissement des faits le plus précisément et correctement possible et, d’autre part, il permet d’assurer une protection effective de l’intéressé. Le droit d’être entendu vise en particulier à garantir que toute décision faisant grief soit adoptée en pleine connaissance de cause et a notamment pour objectif de permettre à l’autorité compétente de corriger une erreur ou à la personne concernée de faire valoir les éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu [voir arrêts du 21 octobre 2021, Parlement/UZ, C‑894/19 P, EU:C:2021:863, points 89 et 90 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 325 et jurisprudence citée].

142    Ainsi qu’il résulte de son libellé même, cette disposition est d’application générale. Il s’ensuit que le droit d’être entendu doit être respecté dans toute procédure susceptible d’aboutir à un acte faisant grief, même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité [voir arrêts du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 67 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 326 et jurisprudence citée].

143    Eu égard à son caractère de principe fondamental et général de droit de l’Union, l’application du principe des droits de la défense, qui incluent le droit d’être entendu, ne peut être ni exclue ni restreinte par une disposition réglementaire et son respect doit dès lors être assuré tant en l’absence totale d’une réglementation spécifique qu’en présence d’une réglementation qui ne tiendrait pas elle-même compte dudit principe [voir arrêt du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 327 et jurisprudence citée].

144    Tout d’abord, il convient de relever que le règlement no 806/2014 ne prévoit pas de procédure spécifique visant à ce que les actionnaires et créanciers affectés par une mesure de résolution soient entendus avant l’adoption de la décision de leur accorder ou non un dédommagement en application de l’article 76, paragraphe 1, sous e), de ce règlement.

145    Or, en l’espèce, le CRU a organisé une procédure relative au droit d’être entendu, en application de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, ouverte à tous les actionnaires et créanciers affectés par la résolution de Banco Popular et visant à leur permettre de présenter des commentaires sur la valorisation 3 et la décision préliminaire avant l’adoption de la décision attaquée.

146    À cet égard, si, ainsi que cela est rappelé au point 143 ci-dessus, le respect du droit d’être entendu doit être assuré même en absence d’une réglementation prévoyant expressément l’exercice de ce droit, il n’en demeure pas moins que ni le règlement no 806/2014 ni l’article 41 de la Charte ne prévoient de procédure spécifique pour mettre en œuvre le droit d’être entendu. Le CRU disposait donc d’une marge d’appréciation afin d’organiser la procédure qu’il estimait appropriée pour permettre aux actionnaires et aux créanciers affectés d’exercer leur droit d’être entendus, sous réserve que ces derniers puissent exercer leur droit de manière effective et utile.

147    Ainsi, en l’absence de dispositions spécifiques concernant la procédure relative au droit d’être entendu, le choix du CRU d’utiliser un formulaire pour recueillir les commentaires des actionnaires et des créanciers affectés relevait de sa marge d’appréciation dans l’organisation de cette procédure.

148    Les requérants ne contestent pas que cette procédure visait à garantir un droit d’être entendu aux actionnaires et aux créanciers affectés avant l’adoption de la décision attaquée. Ils ne remettent pas en cause le choix de l’utilisation d’un formulaire comme méthode de consultation. Ainsi qu’il ressort des points 17 et 100 de la requête dans l’affaire T‑302/20 et des points 18 et 101 des requêtes dans les affaires T‑303/20 et T‑307/20, ils reprochent au CRU d’avoir restreint l’exercice de leur droit d’être entendu dans la mesure où ce formulaire limitait le contenu et la longueur des commentaires pouvant être présentés sur la valorisation 3 et la décision préliminaire et où ils ne disposaient donc pas d’une « liberté totale » dans l’exercice de ce droit.

149    Or, l’exercice du droit d’être entendu peut être soumis à des limitations, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, selon lequel :

« Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »

150    À cet égard, il est de jurisprudence constante que les droits fondamentaux, tels que le respect des droits de la défense, en ce compris le droit d’être entendu, n’apparaissent pas comme des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions, à condition que celles‑ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis [voir arrêts du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 207 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 337 et jurisprudence citée].

151    En outre, selon une jurisprudence constante, une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de l’irrégularité commise, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent (voir arrêts du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 105 et jurisprudence citée, et du 16 juin 2021, CE/Comité des régions, T‑355/19, EU:T:2021:369, point 101 et jurisprudence citée).

152    Certes, il ne saurait être imposé à la partie requérante de démontrer que la décision en cause aurait été différente, mais uniquement qu’une telle hypothèse n’est pas entièrement exclue dès lors que cette partie aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de l’irrégularité procédurale (voir arrêt du 4 mai 2022, CRIA et CCCMC/Commission, T‑30/19 et T‑72/19, EU:T:2022:266, point 242 et jurisprudence citée).

153    Toutefois, l’existence d’une irrégularité se rapportant aux droits de la défense ne saurait conduire à l’annulation de l’acte attaqué que dans la mesure où il existe une possibilité que, en raison de cette irrégularité, la procédure administrative ait abouti à un résultat différent, affectant ainsi concrètement les droits de la défense de la partie requérante (voir arrêts du 16 février 2012, Conseil et Commission/Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C‑191/09 P et C‑200/09 P, EU:C:2012:78, point 79 et jurisprudence citée, et du 4 mai 2022, CRIA et CCCMC/Commission, T‑30/19 et T‑72/19, EU:T:2022:266, point 243 et jurisprudence citée).

154    Dans le cadre de la procédure relative au droit d’être entendu, décrite aux points 15 à 20 ci-dessus, les actionnaires et créanciers affectés qui remplissaient les critères de la phase d’inscription ont été invités à remplir un formulaire disponible sur le site Internet du CRU et qui comportait neuf questions générales, à savoir sept questions principales dont une divisée en trois sous-questions, leur permettant de présenter des commentaires sur la décision préliminaire ainsi que sur la version non-confidentielle de la valorisation 3. En particulier, la dernière question était une question ouverte leur permettant de présenter des commentaires sur tout sujet relatif à la décision préliminaire qui ne figurait pas déjà dans le formulaire.

155    En premier lieu, les requérants et Aeris Invest reprochent au CRU de ne pas avoir examiné certains commentaires au motif qu’ils « ne relevaient pas de la procédure ».

156    À cet égard, sous le titre 6.1 « évaluation de la pertinence » de la décision attaquée, le CRU a indiqué que, étant donné que les actionnaires et créanciers affectés avaient soulevé un certain nombre d’éléments qui n’avaient pas de rapport avec la décision préliminaire ou son raisonnement sous-jacent contenu dans la valorisation 3, il avait tout d’abord examiné la pertinence de ces commentaires. Il a considéré que de tels commentaires n’étaient pas susceptibles d’influer sur la question de savoir si les actionnaires et créanciers affectés auraient reçu un meilleur traitement si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité, qu’ils sortaient du cadre de la procédure relative au droit d’être entendu et qu’ils ne seraient pas pris en considération.

157    Le CRU a ainsi énuméré les commentaires qu’il considérait comme non pertinents, parmi lesquels ceux relatifs à la situation de Banco Popular avant l’adoption du dispositif de résolution et au fait qu’elle ne remplissait pas les conditions de la résolution, ceux relatifs à d’autres éléments du dispositif de résolution et à la valorisation 2, ceux relatifs au manque d’information concernant le dispositif de résolution et l’évaluation de la BCE sur la situation de défaillance avérée ou prévisible de Banco Popular et ceux relatifs à la mise en œuvre de la procédure relative au droit d’être entendu, et notamment sur les caractéristiques du formulaire.

158    Il en ressort que, contrairement à ce que soutiennent les requérants et Aeris Invest, le CRU a examiné tous les commentaires reçus et a expliqué, dans la décision attaquée, pour quel motif certains de ces commentaires n’étaient pas pertinents aux fins de l’adoption de la décision attaquée.

159    Or, il y a lieu de constater que ni les requérants ni Aeris Invest n’indiquent lesquels des commentaires rejetés par le CRU comme étant non pertinents auraient dû être examinés. Ils n’expliquent pas dans quelle mesure ces commentaires, en ce qu’ils ne portaient ni sur la valorisation 3, ni sur la décision préliminaire, auraient pu avoir une influence sur le contenu de la décision attaquée.

160    En tout état de cause, il convient de rappeler que la procédure relative au droit d’être entendu visait à obtenir des commentaires sur la décision préliminaire et la valorisation 3 en vue de permettre au CRU d’adopter une décision sur un éventuel dédommagement des actionnaires et des créanciers affectés. Conformément à l’article 20, paragraphe 17, du règlement n° 806/2014, rappelé au point 61 ci-dessus, cette décision se fonde sur une comparaison entre le traitement réel dont les actionnaires et créanciers affectés ont fait l’objet du fait de la résolution et le traitement dont ils auraient bénéficié dans le cadre d’une hypothétique liquidation de Banco Popular à la date de la résolution.

161    Ainsi que cela ressort des points 99 à 103 ci-dessus, la situation de Banco Popular à la date de la résolution constitue un élément factuel qui ne saurait être remis en cause au stade de la détermination du droit à un éventuel dédommagement au titre de l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement n° 806/2014. Dès lors, les commentaires concernant la situation de Banco Popular antérieure à la résolution n’étaient pas pertinents aux fins de l’adoption de la décision attaquée.

162    Partant, il ne saurait être reproché au CRU d’avoir violé le droit d’être entendu des requérants au motif qu’il a écarté des commentaires non pertinents.

163    En deuxième lieu, les requérants soutiennent que le formulaire élaboré par le CRU ne permettait pas d’aborder de nombreux thèmes, tels que l’approche méthodologique, l’indépendance de l’évaluateur, les hypothèses formulées par le cabinet évaluateur, le contexte macroéconomique, l’incidence de la liquidation de Banco Popular sur les autres sociétés du groupe et la portée des provisions pour risques juridiques.

164    Or, d’une part, il y a lieu de constater que les thèmes mentionnés par les requérants étaient couverts par les questions figurant dans le formulaire. En effet, la question no 1 renvoyait aux points de la décision préliminaire qui concernent la méthodologie utilisée dans la valorisation 3 ; la question no 3 renvoyait au point 3.2 de la décision préliminaire qui concerne l’engagement du cabinet évaluateur et notamment son indépendance ; la question no 4 concernait explicitement les hypothèses formulées par le cabinet évaluateur ; la question no 6 concernait les provisions pour risques juridiques. La question no 7 était une question ouverte permettant aux requérants d’aborder le contexte macroéconomique et l’incidence de la liquidation de Banco Popular sur les autres sociétés du groupe.

165    D’autre part, il ressort de la décision attaquée et du document de clarification que le CRU et le cabinet évaluateur ont analysé des commentaires des actionnaires et des créanciers affectés relatifs aux thèmes mentionnés par les requérants. Ces derniers ne sauraient donc prétendre que le formulaire ne permettait pas de les aborder.

166    À cet égard, s’agissant du document de clarification, le point 5.1 répond aux commentaires relatifs à la méthodologie utilisée par le cabinet évaluateur et notamment à ceux concernant les hypothèses retenues dans la valorisation 3, le point 5.2 répond aux commentaires relatifs au contexte macroéconomique, le point 5.3 répond aux commentaires relatifs à la stratégie de liquidation hypothétique utilisée dans la valorisation 3 et, notamment, concernant les différents scénarios hypothétiques retenus, le point 5.11 répond aux commentaires relatifs aux provisions pour risques juridiques et le point 5.3.4 répond aux commentaires relatifs à l’impact de la liquidation de Banco Popular sur ses filiales. S’agissant de la décision attaquée, le titre 6.2.1 répond aux « commentaires relatifs à l’indépendance du cabinet évaluateur » et le titre 6.2.2 répond aux « commentaires relatifs au contenu de la valorisation 3 », en particulier aux commentaires relatifs à la méthodologie utilisée par le cabinet évaluateur et aux différentes hypothèses formulées dans la valorisation 3, notamment concernant les scénarios de liquidation. Par exemple, sous ce titre, le CRU répond à des commentaires relatifs au scénario macroéconomique, à l’impact de la liquidation de Banco Popular sur les autres entités du groupe et aux provisions pour risques juridiques.

167    Il s’ensuit que les requérants n’ont pas établi qu’ils n’avaient pas été en mesure de présenter des commentaires sur des thèmes qui n’étaient prévus par aucune des questions contenues dans le formulaire et qui auraient eu un impact sur la décision attaquée.

168    En troisième lieu, les requérants soutiennent que le formulaire aurait été rédigé par le CRU d’une manière adaptée à ses intérêts ou qu’il visait à conforter les critères et les conclusions de la valorisation 3.

169    À cet égard, le Tribunal ne peut que constater que, dans le formulaire, les questions étaient rédigées de manière neutre sous la forme d’une présentation succincte du thème concerné et d’un renvoi aux parties de la décision préliminaire ou de la valorisation 3 visées, suivie d’une invitation aux actionnaires et aux créanciers affectés à présenter leurs commentaires ou leurs avis sur ce thème.

170    En quatrième lieu, les requérants et Aeris Invest soutiennent que le CRU a violé leur droit d’être entendu en limitant la longueur de leurs commentaires à 5 000 caractères par question et en ne permettant pas de joindre des documents.

171    À cet égard, dans la décision attaquée, le CRU a indiqué que 2 855 actionnaires et créanciers affectés avaient répondu au formulaire, ce qui correspondait à environ 23 822 commentaires.

172    Or, les commentaires présentés par les actionnaires et créanciers affectés durant la procédure relative au droit d’être entendu en réponse au formulaire ont fait l’objet d’une analyse détaillée sous le titre 6 de la décision attaquée et ont conduit le cabinet évaluateur à adopter le document de clarification. Ainsi, quand bien même la longueur des commentaires était limitée par le formulaire, le CRU et le cabinet évaluateur y ont répondu de manière circonstanciée.

173    En outre, il y a lieu de relever que les requérants n’indiquent pas quels seraient les commentaires, autres que ceux qui avaient été soulevés par les actionnaires et créanciers affectés lors de la procédure relative au droit d’être entendu et auxquels le CRU et le cabinet évaluateur avaient répondu, qu’ils auraient été empêchés de faire valoir en raison de la taille du formulaire. Ils ne précisent pas non plus quels seraient les documents qu’ils auraient souhaité pouvoir joindre au formulaire.

174    Il en ressort que l’argument des requérants relatif à la limitation de la longueur des réponses au formulaire est purement théorique et n’est pas susceptible d’établir à suffisance de droit que, à défaut d’une telle limite, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent.

175    Quant à l’argument d’Aeris Invest selon lequel il n’était pas possible de proposer, en réponse au formulaire, une méthode alternative de valorisation, il convient de constater qu’il est inopérant. En effet, l’objectif de la procédure relative au droit d’être entendu était de recueillir des commentaires sur la décision préliminaire et la valorisation 3 susceptibles d’affecter la décision qui allait être adoptée par le CRU. Or, la simple présentation d’une méthode de valorisation différente de celle figurant dans la valorisation 3 n’est pas, en soi, de nature à remettre en cause la validité de cette dernière ni, partant, à affecter la légalité de la décision attaquée.

176    Partant, le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte

177    Les requérants font valoir que le CRU a violé le droit à un recours effectif, consacré par l’article 47 de la Charte, en ce qu’il a déclaré confidentielles des parties essentielles de la valorisation 3, ce qui les a empêchés de former le présent recours avec les garanties nécessaires et a porté atteinte à leurs droits de la défense. Ils reprochent au CRU d’avoir omis les informations relatives aux provisions pour risques juridiques figurant dans la valorisation 3.

178    Les requérants soutiennent que les circonstances ayant conduit le CRU à adopter le dispositif de résolution demeurent inconnues et que le CRU continue d’omettre des informations essentielles à leur défense, ce qui les aurait obligés à faire réaliser un rapport d’expertise dans une situation désavantageuse par rapport au cabinet évaluateur, lequel aurait pu obtenir des informations qui n’ont pas été rendues publiques. Le CRU serait ainsi dans une position privilégiée par rapport aux requérants et aurait violé le principe d’égalité des armes.

179    Le CRU et le Royaume d’Espagne font valoir que ce moyen est irrecevable. Le CRU considère que les requérants mettent en cause des décisions distinctes de la décision attaquée et qui sont dénuées de pertinence aux fins de la présente procédure. Le Royaume d’Espagne estime que ce moyen s’appuie sur une allégation générale dépourvue de justification.

180    En premier lieu, s’agissant du principe de protection juridictionnelle effective, l’article 47, premier alinéa, de la Charte énonce que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article. Il découle de la jurisprudence de la Cour que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par cette disposition exige, notamment, que l’intéressé puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider, en pleine connaissance de cause, s’il est utile de saisir le juge compétent d’une action dirigée contre une entité donnée (voir arrêt du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a., C‑504/19, EU:C:2021:335, point 57 et jurisprudence citée).

181    Toutefois, ainsi qu’il est mentionné au point 150 ci-dessus, il ressort d’une jurisprudence constante que les droits fondamentaux ne constituent pas des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et n’impliquent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a., C‑358/16, EU:C:2018:715, point 62 et jurisprudence citée).

182    De telles restrictions peuvent notamment viser à protéger les exigences de confidentialité ou de secret professionnel, auxquels l’accès à certaines informations et à certains documents est susceptible de porter atteinte (voir arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a., C‑358/16, EU:C:2018:715, point 63 et jurisprudence citée).

183    En cas de conflit entre, d’une part, l’intérêt de la personne visée par un acte lui faisant grief à disposer des informations nécessaires aux fins d’être en mesure d’exercer pleinement ses droits de la défense et, d’autre part, les intérêts liés au maintien de la confidentialité des informations couvertes par l’obligation de secret professionnel, il incombe aux autorités ou aux juridictions compétentes de rechercher, au regard des circonstances de chaque espèce, un équilibre entre ces intérêts opposés (voir arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a., C‑358/16, EU:C:2018:715, point 69 et jurisprudence citée).

184    Il y a lieu de relever que l’article 88, paragraphe 5, du règlement no 806/2014 dispose :

« Avant que des informations ne soient divulguées, le CRU s’assure qu’elles ne contiennent pas d’informations confidentielles, notamment en évaluant les effets que leur divulgation pourrait avoir sur l’intérêt public en ce qui concerne la politique financière, monétaire ou économique, sur les intérêts commerciaux des personnes physiques ou morales, sur les objectifs des inspections, sur les enquêtes et les audits. La procédure visant à examiner les effets liés à la publication d’informations comprend les effets liés à la publication du contenu et du détail des plans de résolution visés aux articles 8 et 9 [du règlement no 806/2014], des résultats de toute évaluation effectuée en vertu de l’article 10 [de ce règlement] ou du dispositif de résolution visé à l’article 18 [du même règlement]. »

185    Premièrement, s’agissant de la non-divulgation de certaines informations relatives aux provisions pour risques juridiques figurant dans la valorisation 3, le CRU, dans la décision attaquée, a exposé que, aux fins de publier une version non confidentielle de la valorisation 3, cette dernière avait fait l’objet d’expurgations en vertu de l’article 88, paragraphe 5, du règlement no 806/2014, afin de protéger des informations confidentielles concernant Banco Popular couvertes par le secret professionnel. Il a relevé que l’expurgation d’informations s’était limitée à des estimations et des affirmations individuelles spécifiques du point 4.9 de la valorisation 3, relatif aux provisions pour risques juridiques, mais que les informations portant sur la nature et la source de réclamations spécifiques et sur les réalisations estimées agrégées n’avaient pas été expurgées. Le CRU a précisé que les informations expurgées étaient loin d’être des informations publiques et étaient, dans une certaine mesure, prospectives et que leur divulgation pourrait porter atteinte aux droits de la défense de Banco Popular dans le cadre de procédures judiciaires en cours. Le CRU a indiqué que, sur la base de la consultation avec Banco Popular et en mettant en balance les intérêts des actionnaires et des créanciers affectés et son obligation de ne pas divulguer des informations couvertes par le secret professionnel, il avait expurgé certaines informations limitées figurant au point 4.9 de la valorisation 3.

186    Or, il convient de relever que les requérants ne contestent pas l’appréciation du CRU selon laquelle les données expurgées relatives aux provisions pour risques juridiques figurant dans la valorisation 3 étaient couvertes par le secret professionnel et étaient confidentielles. Ils ne remettent pas en cause l’obligation du CRU de protéger les données confidentielles découlant de l’article 88, paragraphe 5, du règlement no 806/2014.

187    En outre, les requérants ne soulèvent aucun argument de nature à établir que leur intérêt à disposer de ces informations devrait primer sur le respect du secret professionnel et que les données occultées dans la valorisation 3 relatives aux provisions pour risques juridiques seraient nécessaires à la compréhension de la décision attaquée ou à l’exercice de leur droit à un recours juridictionnel effectif.

188    Deuxièmement, s’agissant de l’argument relatif à la non-divulgation de certaines informations relatives au dispositif de résolution, il suffit de relever que les requérants n’établissent pas quelles seraient les informations qu’ils qualifient d’« essentielles ».

189    De plus, les requérants n’expliquent pas dans quelle mesure des informations relatives au dispositif de résolution, au dossier afférent à celui-ci ou aux circonstances ayant conduit à son adoption seraient pertinentes aux fins de la contestation de la décision attaquée.

190    Il s’ensuit que l’argument des requérants relatif à la violation du droit à un recours effectif doit être rejeté.

191    En second lieu, selon la jurisprudence, le principe d’égalité des armes, qui fait partie intégrante du principe de la protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, consacré par l’article 47 de la Charte, en ce qu’il est un corollaire, comme, notamment, le principe du contradictoire, de la notion même de procès équitable, implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir arrêts du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 61 et jurisprudence citée, et du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 128 et jurisprudence citée).

192    Ce principe a pour but d’assurer l’équilibre procédural entre les parties à une procédure judiciaire, en garantissant l’égalité des droits et des obligations de ces parties en ce qui concerne, notamment, les règles régissant l’administration des preuves et le débat contradictoire devant le juge ainsi que les droits de recours de ces parties. Pour satisfaire aux exigences liées au droit à un procès équitable, il importe que les parties aient connaissance et puissent débattre contradictoirement tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure (voir arrêt du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 62 et jurisprudence citée).

193    Or, il suffit de relever que la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée n’étant pas une procédure juridictionnelle, mais administrative, et le CRU ne constituant pas un tribunal au sens de l’article 47 de la Charte, cette disposition n’est pas d’application en l’espèce et les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir d’une violation du principe d’égalité des armes (voir, par analogie, arrêt du 11 mai 2017, Deza/ECHA, T‑115/15, EU:T:2017:329, point 213).

194    En tout état de cause, les requérants ne sauraient prétendre qu’ils devaient disposer des mêmes informations que le cabinet évaluateur afin de faire réaliser une valorisation par un expert. En effet, une valorisation effectuée par un expert désigné par les requérants n’est pas prévue par le règlement no 806/2014 et son résultat ne saurait s’imposer au CRU. Les requérants ne sauraient donc revendiquer une égalité de traitement entre le cabinet évaluateur et leurs experts quant à l’accès aux informations confidentielles et ne sauraient en tirer la conclusion que le CRU est dans une situation privilégiée par rapport à eux dans la présente procédure.

195    Il ressort de ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété consacré par larticle 17 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ainsi que par l’article 1er du protocole no 1 de la CEDH

196    Les requérants font valoir que la décision attaquée viole le droit de propriété des anciens actionnaires de Banco Popular dans la mesure où ils n’ont pas perçu de juste indemnité pour leur perte. Ils soutiennent que l’atteinte à leur droit de propriété ne respectait pas les exigences prévues à l’article 17 de la Charte, en ce qu’elle n’a pas été prévue dans les « cas et conditions prévus par une loi ». Ils considèrent que, bien que la loi prévoit le droit de percevoir une juste indemnité, ils ne l’ont pas perçue, alors que le rapport d’expertise annexé aux requêtes démontrerait que les anciens actionnaires de Banco Popular auraient bénéficié d’un meilleur traitement dans une procédure normale d’insolvabilité que celui dont ils ont fait l’objet dans le cadre de la résolution. Les requérants estiment que, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, la privation de propriété constituerait une atteinte au droit de propriété consacré par l’article 1er du protocole no 1 de la CEDH.

197    Il convient de rappeler que l’article 17, paragraphe 1, de la Charte prévoit :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

198    Le principe selon lequel aucun créancier n’est plus mal traité, prévu à l’article 15, paragraphe 1, sous g), du règlement no 806/2014, prévoit qu’aucun créancier n’encourt des pertes plus importantes que celles qu’il aurait subies si l’entité qui a fait l’objet d’une mesure de résolution avait été liquidée selon une procédure normale d’insolvabilité.

199    Si, à la suite de la valorisation effectuée en vertu de l’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014, il est établi que les actionnaires ou créanciers ont subi des pertes plus importantes dans le cadre de la résolution que celles qu’ils auraient subies lors d’une liquidation selon une procédure normale d’insolvabilité, l’article 76, paragraphe 1, sous e), du même règlement prévoit que le CRU peut recourir au FRU pour les dédommager.

200    Il s’ensuit que le règlement no 806/2014 met en place un mécanisme visant à garantir aux actionnaires ou aux créanciers de l’entité soumise à une résolution une juste indemnité conformément aux exigences de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte [arrêt du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 415].

201    En l’espèce, afin d’établir une éventuelle violation de leur droit de propriété résultant de la décision attaquée, les requérants doivent démontrer que le CRU a commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant, sur le fondement de la valorisation 3, que les actionnaires et créanciers affectés de Banco Popular n’auraient pas été mieux traités dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité que dans le cadre de la résolution.

202    Or, il ressort du rejet des quatre premiers moyens que les requérants n’ont pas établi l’existence d’une telle erreur.

203    Aeris Invest ne saurait valablement soutenir que le CRU a violé l’article 17 de la Charte dans la mesure où la valeur du dédommagement au titre du principe selon lequel aucun créancier n’est plus mal traité a été calculée sur le fondement du pire scénario possible pour les actionnaires, à savoir une procédure de liquidation de Banco Popular. En effet, il suffit de rappeler qu’il ressort de l’analyse de la première branche du premier moyen que l’application d’un scénario contrefactuel de liquidation est conforme aux dispositions applicables.

204    En outre, dans le cadre du cinquième moyen, les requérants se contentent de soutenir que le rapport d’expertise annexé aux requêtes établirait que les actionnaires et créanciers affectés auraient bénéficié d’un meilleur traitement dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité que celui dont ils ont fait l’objet dans le cadre de la résolution.

205    Or, à cet égard, il suffit de rappeler que le rapport d’expertise annexé aux requêtes, en ce qu’il contient une valorisation de Banco Popular en tant qu’entreprise en continuité d’exploitation, n’est pas pertinent dans la mesure où il s’appuie sur l’hypothèse erronée selon laquelle Banco Popular aurait pu poursuivre ses activités. Ce rapport ne saurait donc, en toute hypothèse, établir que, dans le scénario contrefactuel d’une liquidation selon une procédure normale d’insolvabilité, les créanciers de Banco Popular auraient bénéficié d’un meilleur traitement que dans le cadre de la résolution et qu’il en aurait résulté une différence de traitement nécessitant un dédommagement.

206    Par ailleurs, Aeris Invest fait valoir que, pour déterminer si un dédommagement est suffisant au sens de l’article 17 de la Charte, il convient d’examiner le système d’indemnisation tel qu’il est prévu par le règlement no 806/2014 dans son ensemble. D’une part, l’article 20, paragraphes 11 et 12, du règlement no 806/2014 prévoirait une indemnisation calculée sur le fondement de la valeur de l’actif net, après une valorisation définitive. D’autre part, l’article 20, paragraphe 16, et l’article 76, paragraphe 1, sous e), du même règlement prévoiraient un dédommagement au titre du principe selon lequel aucun créancier n’est plus mal traité. Il s’agirait de deux étapes complémentaires et l’indemnisation au titre du principe selon lequel aucun créancier n’est plus mal traité ne serait pas complète sans une indemnisation calculée sur le fondement de la valeur de l’actif net. Or, en l’espèce, le CRU aurait écarté la possibilité d’une telle indemnisation, compte tenu de l’instrument de résolution utilisé.

207    Comme le relève le CRU, cet argument d’Aeris Invest s’appuie sur une compréhension erronée du règlement no 806/2014. L’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014 n’établit pas un mécanisme de dédommagement, mais envisage une modification des mesures de résolution si la valorisation ex post effectuée sur le fondement de l’article 20, paragraphe 11, du même règlement aboutit à un résultat différent de celui de la valorisation provisoire. Le dédommagement en application de l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014 et les mesures prévues à l’article 20, paragraphe 12, du même règlement ont des finalités différentes et ne constituent pas des mesures complémentaires.

208    En outre, la Cour a jugé que l’application de l’instrument de cession des activités, qui est l’instrument de résolution qui a été adopté à l’égard de Banco Popular, ne fait pas partie des cas visés à l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014 dans lesquels une compensation peut être versée à la suite d’une valorisation définitive ex post [arrêts du 21 décembre 2021, Aeris Invest/CRU, C‑874/19 P, EU:C:2021:1040, point 81, et du 21 décembre 2021, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/CRU, C‑934/19 P, EU:C:2021:1042, point 92].

209    En tout état de cause, il convient de constater qu’Aeris Invest n’explique pas dans quelle mesure l’absence de valorisation définitive ex post au titre de l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014 aurait été de nature à modifier l’appréciation figurant dans la décision attaquée concernant l’absence de dédommagement au titre de la différence de traitement prévu par l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014.

210    Par conséquent, cet argument ne saurait affecter la validité de la décision attaquée et est inopérant.

211    Enfin, contrairement à ce que soutient Aeris Invest, le calcul d’un éventuel dédommagement n’a pas été effectué à une date postérieure très éloignée de l’expropriation. En effet, en application de l’article 20, paragraphe 18, du règlement no 806/2014, le cabinet évaluateur, dans la valorisation 3, est parti de l’hypothèse que Banco Popular aurait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité au moment où le dispositif de résolution a été adopté, si celui-ci n’avait pas été exécuté. Le cabinet évaluateur ne s’est donc pas fondé sur une valeur de Banco Popular postérieure à la résolution.

212    Partant, les requérants et Aeris Invest n’ont pas démontré que la décision du CRU de ne pas leur accorder de dédommagement en application de l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014 constituerait une violation de leur droit de propriété.

213    Il ressort de ce qui précède que le cinquième moyen doit être rejeté.

 Sur la demande de mesures d’instruction

214    Les requérants, dans leurs requêtes et en réponse à une mesure d’organisation de la procédure, ont demandé au Tribunal d’adopter une mesure d’instruction, au titre de l’article 88, paragraphe 1, du règlement de procédure, visant à l’audition de l’auteur du rapport d’expertise joint en annexe des requêtes.

215    S’agissant des demandes de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction soumises par une partie à un litige, il y a lieu de rappeler que le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi [voir arrêts du 4 mars 2021, Liaño Reig/CRU, C‑947/19 P, EU:C:2021:172, point 98 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 435 et jurisprudence citée].

216    Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, même si une demande d’audition de témoins, formulée dans la requête, indique avec précision les faits sur lesquels il y a lieu d’entendre le ou les témoins et les motifs de nature à justifier leur audition, il appartient au Tribunal d’apprécier la pertinence de la demande par rapport à l’objet du litige et à la nécessité de procéder à l’audition des témoins cités (voir arrêt du 26 janvier 2017, Mamoli Robinetteria/Commission, C‑619/13 P, EU:C:2017:50, point 118 et jurisprudence citée ; arrêt du 22 octobre 2020, Silver Plastics et Johannes Reifenhäuser/Commission, C‑702/19 P, EU:C:2020:857, point 29).

217    En l’espèce, il y a lieu de relever que les éléments contenus dans le dossier ainsi que les explications données lors de l’audience sont suffisants pour permettre au Tribunal de se prononcer, celui-ci ayant pu utilement statuer sur la base des conclusions, des moyens et des arguments développés en cours d’instance et au vu des documents déposés par les parties.

218    Il s’ensuit que la demande de mesures d’instruction des requérants doit être rejetée ainsi que le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

219    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il convient de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le CRU, conformément aux conclusions de ce dernier.

220    En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le Royaume d’Espagne supportera donc ses propres dépens.

221    En vertu de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider qu’un intervenant autre que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2 de cet article supporte ses propres dépens. En l’espèce, Aeris Invest, qui est intervenue au soutien des requérants dans l’affaire T‑302/20, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      Dans l’affaire T302/20, M. Antonio Del Valle Ruíz et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, dans l’affaire T303/20, M. José María Arias Mosquera et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe et, dans l’affaire T307/20, Calatrava Real State 2015, SL, sont condamnés à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de résolution unique (CRU).

3)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

4)      Aeris Invest Sàrl supportera ses propres dépens.

van der Woude

De Baere

Steinfatt

Kecsmár

 

      Kingston

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 novembre 2023.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 15, paragraphe 1, sous g), du règlement n o 806/2014

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 20, paragraphe 16, du règlement n o 806/2014

Sur la première branche, relative à la détermination du scénario contrefactuel

– Sur le premier grief, visant à contester l’utilisation d’un scénario de liquidation

– Sur le second grief, visant à contester la cession des actifs individuellement ou par portefeuille

Sur la seconde branche, relative à l’indépendance du cabinet évaluateur

Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu consacré par l’article 41, paragraphe 2, de la Charte

Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété consacré par l’article 17 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ainsi que par l’article 1 er du protocole no 1 de la CEDH

Sur la demande de mesures d’instruction

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’espagnol.


1 La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.


2      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.