Language of document : ECLI:EU:T:2012:155

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

27 mars 2012 (*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Défaut d’affectation individuelle – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑327/09,

Philippe Connefroy, demeurant au Rozel (France),

Jean-Guy Gueguen, demeurant à Carantec (France),

EARL de Cavagnan, établie à Grézet-Cavagnan (France),

représentés par MC. Galvez, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. B. Stromsky, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2009/402/CE de la Commission, du 28 janvier 2009, concernant les « plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France (JO L 127, p. 11),

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, N. Wahl et S. Soldevila Fragoso (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1        L’Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l’horticulture (Oniflhor »), établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l’État français, a notamment pour mission de renforcer l’efficacité économique de la filière fruits et légumes en France.

2        Les comités économiques agricoles rassemblent au niveau régional les organisations de producteurs agricoles, intitulées « groupements de producteurs agricoles » jusqu’en 1999, d’un secteur donné et visent à édicter des règles communes à leurs membres afin d’harmoniser les disciplines de production, de commercialisation, de prix et de mise sur le marché des produits agricoles récoltés en France.

3        À la suite d’une plainte anonyme, la Commission des Communautés européennes a adressé, le 31 juillet 2002, à la République française une demande de renseignements relative à des aides non notifiées dans le secteur des fruits et légumes versées, dans le cadre de plans de campagne, aux organisations de producteurs agricoles par un fonds opérationnel géré par les comités économiques agricoles et alimenté par l’Oniflhor et par des contributions des organisations de producteurs agricoles (ci-après les « parts professionnelles »). Ces plans de campagne avaient pour objet d’atténuer les excédents temporaires de l’offre de fruits et légumes, de réguler les cours des marchés par une approche collective coordonnée et de financer des actions structurelles destinées à permettre l’adaptation d’un secteur au marché.

4        Une réunion a eu lieu le 21 octobre 2002 entre la Commission et les autorité françaises, à la suite de laquelle ces dernières ont fourni, le 26 décembre 2002, des informations confirmant que de telles aides avaient été octroyées au titre des plans de campagne à partir de 1992 et jusqu’en 2002. La Commission a sollicité des autorités françaises un inventaire complet desdites aides le 16 avril 2003. Les autorités françaises ont répondu à cette demande le 22 juillet 2003.

5        Par lettre du 20 juillet 2005, la Commission a informé la République française de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE.

6        La décision d’ouverture a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 22 septembre 2005 (JO C 233, p. 21). La Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur les mesures réalisées dans le cadre des plans de campagne (ci-après les « mesures litigieuses »).

7        La Commission a reçu les observations des autorités françaises par lettre du 4 octobre 2005.

8        Elle a par ailleurs reçu un courrier du 22 octobre 2005 de la Fédération des comités économiques agricoles rattachés à la filière de production des fruits et légumes (Fedecom), tiers intéressé, décrivant notamment la composition, les modalités de financement ainsi que le rôle des comités économiques agricoles agréés dans l’attribution des aides en cause. La Fedecom a ainsi indiqué que, en cas de non-paiement des parts professionnelles par les producteurs, les aides allouées par l’Oniflhor n’étaient pas versées aux producteurs et restaient bloquées au niveau des comités économiques agricoles agréés, qui étaient tenus de les rembourser à l’Oniflhor.

9        Ce courrier a été transmis le 1er décembre 2005 aux autorités françaises, qui n’ont pas contesté ces informations dans leur lettre du 28 décembre 2005, par laquelle elles ont par ailleurs autorisé la transmission à la Fedecom de leurs lettres des 26 décembre 2002 et 22 juillet 2003 et apporté une correction relative au montant des aides versées en 2002.

10      Les requérants n’ont pas participé à la procédure formelle d’examen.

11      Au terme de cette procédure formelle d’examen, la Commission a adopté la décision 2009/402/CE, du 28 janvier 2009, concernant les « plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France (JO L 127, p. 11, ci-après la « décision attaquée »).

12      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les aides attribuées par la République française dans le cadre des plans de campagne, versées aux organisations de producteurs agricoles, étaient constitutives d’une aide d’État, et que ces aides étaient illégales et incompatibles avec le marché commun. Elle a donc ordonné leur récupération par la République française, avec intérêts, auprès de leurs bénéficiaires.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 août 2009, les requérants, MM. Philippe Connefroy et Jean-Guy Gueguen et l’EARL de Cavagnan, ont introduit le présent recours.

14      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        subsidiairement, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

16      Aux termes de l’article 113 de son règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non-recevoir d’ordre public. Cette décision est prise dans les conditions prévues à l’article 114, paragraphes 3 et 4, du même règlement.

17      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, la Commission soutient que le recours est irrecevable, dès lors que les requérants n’auraient pas démontré dans leur requête être individuellement concernés par la décision attaquée, ni avoir intérêt à agir contre cette dernière. Les requérants ont répondu, dans leur réplique, à la fin de non-recevoir soulevée par la Commission.

18      Conformément à l’article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, la suite de la procédure prévue à l’article 113 du même règlement est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

19      Les requérants, qui sont des producteurs de fruits et légumes en France, soutiennent avoir été adhérents d’organisations de producteurs membres de comités économiques agricoles agréés pendant la période en cause et être dès lors exposés à des ordres de récupération, ce qui leur conférerait une qualité et un intérêt à agir contre la décision attaquée. Ils précisent, dans leur réplique, avoir versé les parts professionnelles au cours de la période allant de 1992 à 2002 et avoir en conséquence bénéficié des actions menées dans le cadre des plans de campagne. Les requérants ne seraient cependant pas en mesure de fournir une preuve détaillée des montants et des mesures dont ils ont été bénéficiaires.

20      Conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

21      Selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737, point 33).

22      À cet égard, la Cour a précisé que les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides dont la Commission a ordonné la récupération sont, de ce fait, individuellement concernés au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (arrêts de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, points 33 à 37 ; du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 39 ; du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere e.a. »/Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, non encore publié au Recueil, point 53, et du 21 décembre 2011, A2A/Commission, C‑318/09 P, non publié au Recueil, point 57).

23      En effet, il ressort de la jurisprudence que l’obligation de récupération imposée par une décision de la Commission concernant un régime d’aides individualise suffisamment tous les bénéficiaires du régime en question en ce qu’ils sont exposés, dès le moment de l’adoption de cette décision, au risque que les avantages qu’ils ont perçus soient récupérés, et se trouvent ainsi affectés dans leur situation juridique. En particulier, l’éventualité que, ultérieurement, les avantages déclarés illégaux ne soient pas récupérés auprès de leurs bénéficiaires n’exclut pas que ceux-ci soient considérés comme individuellement concernés (arrêt A2A/Commission, précité, point 58).

24      En l’espèce, il convient de constater que, en principe, la décision attaquée affecte les intérêts de toute personne physique ou morale ayant bénéficié des mesures litigieuses. La décision attaquée mentionne en effet que les bénéficiaires finaux de l’aide sont les producteurs membres des huit comités économiques agricoles agréés qui ont participé aux plans de campagne (considérants 15 et 84 de la décision attaquée).

25      Il y a dès lors lieu d’examiner si les requérants ont établi avoir bénéficié des mesures litigieuses.

26      À titre préalable, la Commission reproche aux requérants de ne pas avoir expressément indiqué, dans leur requête, avoir bénéficié des mesures litigieuses. En effet, en vertu des dispositions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête introductive d’instance doit contenir l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. L’indication requise doit ainsi être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle. Il en résulte que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle‑même (arrêts de la Cour du 9 janvier 2003, Italie/Commission, C‑178/00, Rec. p. I‑303, point 6, et du 15 septembre 2005, Irlande/Commission, C‑199/03, Rec. p. I‑8027, point 50).

27      Il ressort des pièces du dossier que les requérants ont fait valoir dans leur requête qu’ils étaient des producteurs de fruits ou de légumes pendant toute la période en cause, qu’ils étaient adhérents d’organisations de producteurs qui étaient membres de comités économiques agricoles agréés et que c’étaient les producteurs et les organisations de producteurs qui étaient concernés par la procédure de récupération des aides en cause. S’ils n’ont pas expressément indiqué avoir bénéficié des mesures litigieuses, cet argument ressort cependant assez clairement de leurs écritures.

28      Les requérants ont par ailleurs indiqué, au stade de la réplique, s’être acquittés du paiement des parts professionnelles et avoir, à ce titre, pu bénéficier de ces mesures.

29      À titre principal, il convient d’examiner si les requérants ont établi avoir bénéficié des mesures litigieuses. La Commission estime à cet égard qu’ils n’ont fourni aucune indication circonstanciée sur le montant, la date et l’objet des mesures dont ils auraient bénéficiées.

30      Il y a lieu de rappeler que la seule appartenance d’un producteur à une organisation relevant d’un comité économique agricole agréé ne signifiait pas qu’il avait nécessairement bénéficié des mesures litigieuses, seuls les producteurs ayant procédé au versement de leur part professionnelle bénéficiant desdites mesures.

31      Premièrement, il est constant que les écritures des requérants ne comprennent aucune précision relative au montant, à la date et à l’objet des mesures dont ils auraient bénéficié. Les requérants n’ont par ailleurs apporté aucun élément permettant d’expliquer l’impossibilité dans laquelle ils se seraient trouvés d’apporter de telles informations. Ils se sont en effet bornés à affirmer dans leur réplique que, dès lors que les actions adoptées dans le cadre des mesures litigieuses avaient par nature un caractère collectif et qu’elles étaient menées par les organisations de producteurs et non par les producteurs eux-mêmes, le calcul précis de l’avantage individuel tiré par les producteurs de ces actions était difficile et qu’il était en cours d’examen par les autorités françaises. Il est vrai que, dans la décision attaquée, la Commission a reconnu le caractère confidentiel des aides en cause (considérant 23 de la décision attaquée), le fait que certaines archives détaillées ne soient plus disponibles pour les années 1992 et 1993 (considérant 29 de la décision attaquée) et la circonstance selon laquelle certaines aides pouvaient avoir été versées directement aux producteurs sans être passées par l’intermédiaire des organisations de producteurs. Si ces circonstances peuvent expliquer la difficulté pour le bénéficiaire individuel d’un régime d’aides à chiffrer de manière précise l’ensemble des mesures dont il a pu bénéficier, elles ne rendent cependant pas impossible la production de documents permettant d’établir qu’il a bénéficié de certaines de ces mesures.

32      Deuxièmement, les documents fournis par deux des trois requérants afin d’établir qu’ils avaient versé leur part professionnelle ne suffisent pas, en tout état de cause, à déterminer avec certitude qu’ils ont bénéficié des mesures litigieuses. En effet, l’EARL de Cavagnan a produit à l’annexe de la réplique trois factures en date d’avril et de mai 2002 portant la mention d’une « Retenue ‘CEAFL BGSO’ » et d’une « Retenue STRUCTUREL », sans aucune indication complémentaire quant à la nature et à l’objet de ces retenues. De même, M. Gueguen a soumis au Tribunal une attestation émanant d’une organisation de producteurs certifiant qu’il était adhérent pour la période allant de 2000 à 2002 et qu’il « [était] à jour de ses cotisations », sans aucune autre précision quant à la nature de ces cotisations. Or, il y a lieu de rappeler que, aux termes des dispositions des articles R*553-2 et R*553-6 du code rural français, les membres des organisations de producteurs sont tenus au versement de cotisations de fonctionnement. Enfin, M. Connefroy n’a présenté aucun document relatif au versement de sa part professionnelle.

33      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que les requérants n’ont pas établi à suffisance de droit avoir bénéficié des aides individuelles octroyées dans le cadre des mesures litigieuses et dont la Commission a ordonné la récupération. Partant, ils ne peuvent être considérés comme individuellement concernés par la décision attaquée et leur recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

34      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

35      Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      MM. Philippe Connefroy et Jean-Guy Gueguen et l’EARL de Cavagnan sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 27 mars 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       H. Kanninen


* Langue de procédure : le français.