Language of document : ECLI:EU:T:2023:845


Avis 2/13

Avis rendu en vertu de l’article 218, paragraphe 11, TFUE

«Avis rendu en vertu de l’article 218, paragraphe 11, TFUE – Projet d’accord international – Adhésion de l’Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – Compatibilité dudit projet avec les traités UE et FUE»

Sommaire – Avis de la Cour (assemblée plénière) du 18 décembre 2014

1.        Accords internationaux – Conclusion – Avis préalable de la Cour – Demande d’avis – Conditions de recevabilité – Accord envisagé – Notion – Règles internes – Exclusion – Appréciations relatives auxdites règles internes non pertinentes pour l’examen de la demande d’avis – Absence d’incidence sur la recevabilité de la demande

(Art. 218, § 11, TFUE)

2.        Accords internationaux – Conclusion – Avis préalable de la Cour – Objet – Adhésion de l’Union à la convention européenne des droits de l’homme – Conditions – Contrôle par la Cour de la conformité des modalités juridiques de ladite adhésion avec les prescriptions indiquées et avec les traités

(Art. 6, § 2, TUE et 19, § 1, TUE; protocole nº 8 et déclaration ad article 6, § 2, TUE annexés aux traités UE et FUE)

3.        Accords internationaux – Accord portant adhésion à la convention européenne des droits de l’homme – Absence de dispositions assurant une coordination entre l’article 53 de la convention européenne des droits de l’homme et l’article 53 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Union et États membres considérés comme Parties contractantes dans leurs relations réciproques – Méconnaissance des exigences du principe de la confiance mutuelle – Absence d’articulation entre le mécanisme d’avis consultatif du protocole nº 16 à la convention européenne des droits de l’homme et la procédure de renvoi préjudiciel – Accord susceptible de porter atteinte aux caractéristiques spécifiques et à l’autonomie du droit de l’Union

(Art. 267 TFUE; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 53)

4.        Accords internationaux – Accord portant adhésion à la convention européenne des droits de l’homme – Compétence de la Cour européenne des droits de l’homme pour des litiges entre les États membres ou entre ces derniers et l’Union dans le champ d’application matériel du droit de l’Union – Accord susceptible de porter atteinte à la compétence exclusive de la Cour

(Art. 344 TFUE; protocole nº 8 annexé aux traités UE et FUE)

5.        Accords internationaux – Accord portant adhésion à la convention européenne des droits de l’homme – Mécanisme du codéfendeur – Modalités de fonctionnement ne garantissant pas la préservation des caractéristiques spécifiques de l’Union et de son droit

(Protocole nº 8, art. 2, annexé aux traités UE et FUE)

6.        Accords internationaux – Accord portant adhésion à la convention européenne des droits de l’homme – Procédure d’implication préalable de la Cour – Modalités de fonctionnement ne permettant pas la préservation des caractéristiques spécifiques de l’Union et de son droit

(Protocole nº 8, art. 2, annexé aux traités UE et FUE)

7.        Accords internationaux – Accord portant adhésion à la convention européenne des droits de l’homme – Contrôle juridictionnel en matière de politique étrangère et de sécurité commune – Méconnaissance des caractéristiques spécifiques du droit de l’Union

(Art. 24, § 1, al. 2, TUE et 40 TUE; art. 263, al. 4, TFUE et 275, al. 2, TFUE)

8.        Accords internationaux – Accord portant adhésion à la convention européenne des droits de l’homme – Incompatibilité avec les dispositions du traité

(Art. 6, § 2, TUE; art. 267 TFUE et 344 TFUE; protocole nº 8 annexé aux traités UE et FUE; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 53)

1.        La vérification que la Cour est appelée à effectuer dans le cadre de la procédure d’avis est strictement encadrée par les traités, de sorte que, sauf à empiéter sur les compétences des autres institutions chargées d’établir les règles internes nécessaires pour rendre opérationnel un accord d’adhésion, la Cour doit se limiter à examiner la conformité de celui-ci avec les traités et s’assurer non seulement que cet accord n’enfreint aucune disposition du droit primaire, mais également qu’il contient toute disposition exigée, le cas échéant, par celui-ci. Il s’ensuit que les appréciations relatives auxdites règles internes ne sont pas pertinentes pour l’examen d’une demande d’avis et ne sont pas, dès lors, de nature à mettre en cause la recevabilité de celle-ci.

(cf. points 150, 151)

2.        La circonstance que l’Union est dotée d’un ordre juridique d’un genre nouveau, ayant une nature qui lui est spécifique, un cadre constitutionnel et des principes fondateurs qui lui sont propres, une structure institutionnelle particulièrement élaborée ainsi qu’un ensemble complet de règles juridiques qui en assurent le fonctionnement, entraîne des conséquences en ce qui concerne la procédure et les conditions d’une adhésion de l’Union à la convention européenne des droits de l’homme (CEDH). C’est précisément en considération de cette circonstance que les traités, notamment l’article 6, paragraphe 2, TUE, le protocole nº 8, relatif à l’article 6, paragraphe 2, TUE sur l’adhésion de l’Union à la CEDH, et la déclaration ad article 6, paragraphe 2, TUE, soumettent cette adhésion au respect de diverses conditions. À la lumière notamment de ces dispositions, il incombe à la Cour, dans le cadre de la mission qui lui est confiée par l’article 19, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, de contrôler que les modalités juridiques selon lesquelles l’adhésion de l’Union à la CEDH est envisagée soient en conformité avec les prescriptions indiquées et, de manière plus générale, avec la charte constitutionnelle de base de l’Union que sont les traités. Afin d’effectuer un tel contrôle, il importe de relever que les conditions auxquelles les traités subordonnent l’adhésion visent, tout particulièrement, à garantir que celle-ci n’affecte pas les caractéristiques spécifiques de l’Union et de son droit.

(cf. points 158-164)

3.        L’adhésion de l’Union à la convention européenne des droits de l’homme (CEDH), telle que prévue par le projet d’accord, est susceptible de porter atteinte aux caractéristiques spécifiques du droit de l’Union et à l’autonomie de ce dernier.

En premier lieu, dans la mesure où l’article 53 de la CEDH réserve, en substance, la faculté pour les Hautes Parties contractantes de prévoir des standards de protection des droits fondamentaux plus élevés que ceux garantis par cette convention, il convient d’assurer la coordination entre cette disposition et l’article 53 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tel qu’interprété par la Cour, afin que la faculté octroyée par l’article 53 de la CEDH aux États membres demeure limitée, en ce qui concerne les droits reconnus par la charte correspondant à des droits garantis par ladite convention, à ce qui est nécessaire pour éviter de compromettre le niveau de protection prévu par la charte ainsi que la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union. Toutefois, aucune disposition de l’accord envisagé n’a été prévue pour assurer une telle coordination.

En deuxième lieu, l’approche retenue dans le cadre de l’accord envisagé, consistant à assimiler l’Union à un État et à réserver à cette dernière un rôle en tout point identique à celui de toute autre Partie contractante, méconnaît la nature intrinsèque de l’Union. En effet, dans la mesure où la CEDH, en imposant de considérer l’Union et les États membres comme des Parties contractantes non seulement dans leurs relations avec celles qui ne sont pas des États membres de l’Union, mais également dans leurs relations réciproques, y compris lorsque ces relations sont régies par le droit de l’Union, exigerait d’un État membre la vérification du respect des droits fondamentaux par un autre État membre, alors même que le droit de l’Union impose la confiance mutuelle entre ces États membres, l’adhésion est susceptible de compromettre l’équilibre sur lequel l’Union est fondée ainsi que l’autonomie du droit de l’Union.

En troisième lieu, en ne prévoyant rien quant à l’articulation entre le mécanisme institué par le protocole nº 16 à la CEDH, qui autorise les plus hautes juridictions des États membres à adresser à la Cour européenne des droits de l’homme des demandes d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés garantis par la CEDH ou ses protocoles, et la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, l’accord envisagé est susceptible de porter atteinte à l’autonomie et à l’efficacité de cette dernière. En particulier, il n’est pas exclu qu’une demande d’avis consultatif introduite au titre du protocole nº 16 par une juridiction d’un État membre ayant adhéré à ce protocole puisse déclencher la procédure de l’implication préalable de la Cour, créant ainsi un risque de contournement de la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, qui constitue la clef de voûte du système juridictionnel institué par les traités.

(cf. points 189, 190, 193, 194, 196, 198-200)

4.        L’accord envisagé, portant adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme (CEDH), est susceptible d’affecter l’article 344 TFUE. En effet, la procédure de règlement des différends prévue à l’article 33 de la CEDH est susceptible de s’appliquer à toute Haute Partie contractante et, donc, également aux litiges entre les États membres ou entre ces derniers et l’Union alors qu’est en cause le droit de l’Union. La circonstance que l’article 5 du projet d’accord prévoit que les procédures devant la Cour ne doivent pas être considérées comme des modes de règlement des différends auxquels les Parties contractantes ont renoncé au sens de l’article 55 de la CEDH ne saurait suffire à préserver la compétence exclusive de la Cour, étant donné que l’article 5 du projet d’accord se limite à réduire la portée de l’obligation prévue audit article 55, mais laisse subsister la possibilité que l’Union ou les États membres saisissent la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), au titre de l’article 33 de la CEDH, d’une demande ayant pour objet une violation alléguée de celle-ci commise, respectivement, par un État membre ou par l’Union, en liaison avec le droit de l’Union. Ainsi, le fait que les États membres ou l’Union ont la possibilité d’introduire une requête devant la Cour EDH est susceptible en soi de porter atteinte à la finalité de l’article 344 TFUE et va, par ailleurs, à l’encontre de la nature même du droit de l’Union, qui exige que les relations entre les États membres soient régies par ce droit, à l’exclusion, si telle est l’exigence de celui-ci, de tout autre droit. Dans ces circonstances, seule une exclusion expresse de la compétence de la Cour EDH découlant de l’article 33 de la CEDH pour des litiges entre les États membres ou entre ces derniers et l’Union, relatifs à l’application de la CEDH dans le champ d’application matériel du droit de l’Union, serait compatible avec l’article 344 TFUE.

(cf. points 205-207, 212-214)

5.        Les modalités de fonctionnement du mécanisme du codéfendeur prévues par l’accord envisagé, portant adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme (CEDH), ne garantissent pas que les caractéristiques spécifiques de l’Union et de son droit soient préservées.

Premièrement, le projet d’accord prévoit, lorsque l’Union ou les États membres demandent à intervenir en tant que codéfendeurs dans une affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), qu’ils doivent présenter les arguments permettant d’établir que les conditions pour leur participation à la procédure sont remplies et que la Cour EDH statue sur cette demande au regard de la plausibilité de ces arguments. Par ce contrôle, la Cour EDH serait conduite à apprécier les règles du droit de l’Union qui régissent la répartition des compétences entre cette dernière et ses États membres ainsi que les critères d’imputation des actes ou des omissions de ceux-ci, afin d’adopter une décision définitive à cet égard qui s’imposerait tant aux États membres qu’à l’Union. Un tel contrôle serait susceptible d’interférer avec la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres.

Deuxièmement, le projet d’accord prévoit que, si la violation au titre de laquelle une Haute Partie contractante est codéfenderesse dans une procédure est constatée, le défendeur et le codéfendeur sont conjointement responsables de cette violation. Or, ladite disposition n’exclut pas qu’un État membre puisse être tenu pour responsable, conjointement avec l’Union, de la violation d’une disposition de la CEDH au regard de laquelle ce même État membre aurait formulé une réserve conformément à l’article 57 de cette convention. Une telle conséquence se heurte à l’article 2 du protocole nº 8, relatif à l’article 6, paragraphe 2, TUE sur l’adhésion de l’Union à la CEDH, selon lequel l’accord d’adhésion doit garantir qu’aucune de ses dispositions n’affecte la situation particulière des États membres à l’égard de la CEDH et, notamment, des réserves à celle-ci.

Troisièmement, le projet d’accord prévoit une exception à la règle générale selon laquelle le défendeur et le codéfendeur sont conjointement responsables d’une violation constatée, en vertu de laquelle la Cour EDH peut décider que seul l’un d’entre eux est tenu pour responsable de cette violation. Or, une décision relative à la répartition entre l’Union et ses États membres de la responsabilité au titre d’un acte ou d’une omission ayant constitué une violation de la CEDH constatée par la Cour EDH repose elle aussi sur une appréciation des règles du droit de l’Union régissant la répartition des compétences entre cette dernière et ses États membres ainsi que l’imputabilité de cet acte ou de cette omission. Par conséquent, permettre à la Cour EDH d’adopter une telle décision risquerait également de porter préjudice à la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres.

(cf. points 223-231, 235)

6.        Les modalités de fonctionnement de la procédure de l’implication préalable de la Cour prévues par l’accord envisagé, portant adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme (CEDH), ne permettent pas de préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et de son droit.

En effet, en premier lieu, il est nécessaire que la question de savoir si la Cour s’est déjà prononcée sur la même question de droit que celle faisant l’objet de la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) ne soit résolue que par l’institution compétente de l’Union, dont la décision devrait lier la Cour EDH. En effet, permettre à la Cour EDH de statuer sur une telle question reviendrait à lui attribuer la compétence pour interpréter la jurisprudence de la Cour. Or, le projet d’accord ne contient pas d’éléments permettant de conclure qu’une telle possibilité est exclue.

En second lieu, l’accord envisagé exclut la possibilité de saisir la Cour afin que celle-ci se prononce sur une question d’interprétation du droit dérivé au moyen de la procédure de l’implication préalable. Or, s’il n’était pas permis à la Cour de fournir l’interprétation définitive du droit dérivé et si la Cour EDH, dans son examen de la conformité de ce droit avec la CEDH, devait fournir elle-même une interprétation donnée parmi celles qui sont plausibles, le principe de la compétence exclusive de la Cour dans l’interprétation définitive du droit de l’Union serait assurément méconnu. Par conséquent, la limitation de la portée de la procédure de l’implication préalable, en ce qui concerne le droit dérivé, aux seules questions de validité porte atteinte aux compétences de l’Union et aux attributions de la Cour en ce qu’elle ne permet pas à celle-ci de fournir l’interprétation définitive du droit dérivé au regard des droits garantis par la CEDH.

(cf. points 238-240, 243, 246-248)

7.        L’accord envisagé, portant adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme (CEDH), méconnaît les caractéristiques spécifiques du droit de l’Union concernant le contrôle juridictionnel des actes, actions ou omissions de l’Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC). En effet, en l’état actuel du droit de l’Union, certains actes adoptés dans le cadre de la PESC échappent au contrôle juridictionnel de la Cour. Une telle situation est inhérente à l’aménagement des compétences de la Cour prévu par les traités et, en tant que telle, ne peut se justifier qu’au regard du seul droit de l’Union. Toutefois, en raison de l’adhésion telle que prévue par l’accord envisagé, la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) serait habilitée à se prononcer sur la conformité avec la CEDH de certains actes, actions ou omissions intervenus dans le cadre de la PESC et, notamment, de ceux pour lesquels la Cour n’est pas compétente pour contrôler leur légalité au regard des droits fondamentaux. Une telle situation reviendrait à confier le contrôle juridictionnel desdits actes, actions ou omissions de l’Union, fût-ce un contrôle limité au respect des seuls droits garantis par la CEDH, exclusivement à un organe externe à l’Union. Or, la compétence pour effectuer un contrôle juridictionnel d’actes, d’actions ou d’omissions de l’Union, y compris au regard des droits fondamentaux, ne saurait être attribuée exclusivement à une juridiction internationale qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l’Union.

(cf. points 252-257)

8.        L’accord portant adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme n’est pas compatible avec l’article 6, paragraphe 2, TUE ni avec le protocole nº 8 relatif à l’article 6, paragraphe 2, TUE sur l’adhésion de l’Union à la convention européenne des droits de l’homme.

(cf. point 258 et disp.)