Language of document : ECLI:EU:T:2022:530

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

7 septembre 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale MONSOON – Cause de nullité absolue – Article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001  ‑ Article 94 du règlement 2017/1001  ‑ Article 34 du règlement 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑627/21,

Segimerus Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Me G. Donath, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Hanf, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Karsten Manufacturing Corp., établie à Phoenix, Arizona (États-Unis), représentée par Me M. Körner, avocat,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de MM. A. Kornezov, président, E. Buttigieg (rapporteur) et D. Petrlík, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Segimerus Ltd, demande l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 16 juillet 2021 (affaire R 1125/2020-4) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 5 décembre 2011, Copernicus EOOD, prédécesseur en droit de la requérante (ci-après le « demandeur de la marque contestée »), a présenté une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

3        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal MONSOON.

4        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent notamment des classes 12, 28 et 36 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 12 : « Véhicules » compris dans la classe 12 ;

–        classe 28 : « Jeux, articles de gymnastique et de sport » ;

–        classe 36 : « Assurances ; affaires financières ; affaires monétaires ; affaires immobilières ».

5        Copernicus EOOD a revendiqué une priorité pour la marque contestée, qui était fondée sur la demande d’enregistrement de la marque allemande MONSOON, portant le numéro 3020110311080, déposée auprès du Deutsche Patent- und Markenamt (Office des brevets et des marques allemand) le 3 juin 2011 pour les mêmes produits que ceux visés au point 4 ci-dessus et pour des produits et services relevant des classes 14 et 18.

6        La demande d’enregistrement de la marque a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 2012/097, du 25 mai 2012.

7        La marque a été enregistrée le 7 octobre 2017, sous le numéro 010469906, pour les produits visés au point 4 ci-dessus. La date de priorité de cette marque, inscrite au registre, est celle du 3 juin 2011.

8        La marque contestée a fait l’objet depuis 2012 de plusieurs transferts successifs, à savoir le 10 juillet 2012 à la société Verus EOOD, le 27 août 2012 à la société Copernicus Trademarks Ltd, le 10 janvier 2014 à la société Ivo-Kermartin GmbH, et le 22 février 2019 en faveur de la requérante. Mais les titulaires successifs de cette marque ont toujours été représentés par M. E. Auer.

9        Les 10 novembre 2015, 6 février et 24 juillet 2018, l’intervenante, Karsten Manufacturing Corp., a présenté des demandes d’enregistrement des signes verbaux Hoofer Monsoon, Monsoon et Pioneer Monsoon, pour des sacs de golf et des housses pour sac de golf, compris dans la classe 28. Ceux-ci ont été enregistrés respectivement le 22 février 2016, le 28 mai et le 23 novembre 2018, sous les numéros 14775373, 17779828, et 17934178.

10      Le 16 juillet 2018, un partenaire commercial de l’un des prédécesseurs en droit de la requérante, à savoir la société Ivo-Kermartin GmbH, représentée également par M. E. Auer, a contacté, par courriers électroniques, les distributeurs de l’intervenante afin qu’ils justifient, dans le délai d’une semaine, l’utilisation du signe verbal identique MONSOON pour la commercialisation des sacs de golf. Sans réponse de leur part, la requérante a demandé au Landgericht Erfurt (Tribunal régional d’Erfurt, Allemagne) que des ordonnances de référé leur soient adressées afin qu’ils s’abstiennent de faire usage du signe contesté. Ces ordonnances, rendues le 20 août 2018, ont ensuite été annulées les 11 octobre et 13 décembre 2018, par cette même juridiction, au motif que la procédure lancée par la requérante était abusive.

11      Le 11 octobre 2018, l’intervenante a introduit une demande de nullité de la marque contestée sur le fondement de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

12      Par décision du 7 avril 2020, la division d’annulation de l’EUIPO a accueilli la demande en nullité, au motif que le comportement du demandeur de la marque contestée, au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de ladite marque, était contraire à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 et devait être, partant, qualifié de mauvaise foi.

13      Le 4 juin 2020, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation.

14      Par la décision attaquée, la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a confirmé la conclusion de la division d’annulation selon laquelle le demandeur de la marque contestée avait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de ladite marque au sens de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 et a rejeté le recours en se fondant notamment sur l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO) (T‑82/14, EU:T:2016:396).

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

16      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      À l’appui de son recours, la requérante invoque, en substance, trois moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, le deuxième, de la violation de l’article 34 de ce règlement, et le troisième, de la violation de l’article 94 dudit règlement. Il convient d’examiner les premier et deuxième moyens ensemble, puis le troisième moyen.

 Sur les premier et deuxième moyens, tirés de la violation de l’article 59, paragraphe 1, sous b), et de l’article 34 du règlement 2017/1001

18      Par les premier et deuxième moyens, la requérante soutient que la chambre de recours a violé l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 en concluant erronément à la mauvaise foi de son prédécesseur en droit et de son représentant lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. Premièrement, la requérante estime que son modèle commercial ne s’inscrit pas dans une stratégie de dépôts abusifs de demandes de marque. Deuxièmement, ces demandes n’auraient pas visé à contourner le délai de grâce prévu par l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 et n’auraient pas violé le droit de priorité prévu par l’article 34, paragraphe 1, de ce règlement. Troisièmement, par la décision attaquée, la chambre de recours n’aurait pas respecté le système autonome de protection de la marque de l’Union européenne. Quatrièmement, la chambre de recours n’aurait pas effectué une appréciation globale des circonstances de l’affaire qui lui aurait permis de conclure à la mauvaise foi de l’intervenante. Cinquièmement, la requérante conteste les conséquences à tirer de l’arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO (T‑82/14, EU:T:2016:396).

19      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

20      À titre liminaire, il convient tout d’abord de rappeler que, selon l’article 8, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, le régime de la marque de l’Union européenne repose sur le principe selon lequel un droit exclusif est conféré au premier déposant.

21      En vertu de ce principe, un signe ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union européenne que pour autant qu’une marque antérieure n’y fasse pas obstacle, qu’il s’agisse, notamment, d’une marque de l’Union européenne, d’une marque enregistrée dans un État membre ou par l’Office Benelux de la propriété intellectuelle (OBPI), d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans un État membre ou encore d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans l’Union européenne [voir arrêt du 30 avril 2019, Kuota International/EUIPO – Sintema Sport (K), T‑136/18, non publié, EU:T:2019:265, point 35 et jurisprudence citée].

22      En revanche, sans préjudice d’une éventuelle application de l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001, le seul fait de l’utilisation, par un tiers, d’une marque non enregistrée ne fait pas obstacle à ce qu’une marque identique ou similaire soit enregistrée en tant que marque de l’Union européenne, pour des produits ou des services identiques ou similaires (voir arrêt du 30 avril 2019, K, T‑136/18, non publié, EU:T:2019:265, point 36 et jurisprudence citée).

23      L’application du « principe du premier déposant » est nuancée, notamment, par l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, selon lequel la nullité d’une marque de l’Union européenne doit être déclarée, sur demande présentée devant l’EUIPO, ou sur demande reconventionnelle introduite dans le cadre d’une action en contrefaçon, lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque (voir arrêt du 30 avril 2019, K, T‑136/18, non publié, EU:T:2019:265, point 38 et jurisprudence citée).

24      La notion de mauvaise foi n’est ni définie, ni délimitée, ni même décrite d’une quelconque manière dans la législation (voir arrêt du 30 avril 2019, K, T‑136/18, non publié, EU:T:2019:265, point 40 et jurisprudence citée).

25      Alors que, conformément à son sens habituel dans le langage courant, la notion de « mauvaise foi » suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête, cette notion doit être en outre comprise dans le contexte du droit des marques, qui est celui de la vie des affaires. À cet égard, le règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO 2009, L 78, p. 1), et le règlement 2017/1001, adoptés successivement, s’inscrivent dans un même objectif, à savoir l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Les règles sur la marque de l’Union européenne visent, en particulier, à contribuer au système de la concurrence non faussée dans l’Union, dans lequel chaque entreprise doit, afin de s’attacher la clientèle par la qualité de ses produits ou de ses services, être en mesure de faire enregistrer en tant que marques des signes permettant au consommateur de distinguer sans confusion possible ces produits ou ces services de ceux qui ont une autre provenance [arrêt du 21 avril 2021, Hasbro/EUIPO – Kreativni Dogadaji (MONOPOLY), T‑663/19, EU:T:2021:211, point 32]. Par conséquent, la notion de « mauvaise foi » implique un comportement s’écartant des principes reconnus comme étant ceux entourant un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale (arrêts du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 28, et du 21 avril 2021, MONOPOLY, T‑663/19, EU:T:2021:211, point 41).

26      Afin d’apprécier si un déposant est de mauvaise foi, il convient notamment d’examiner s’il envisage d’utiliser la marque demandée. Dans ce contexte, il convient de rappeler que la fonction essentielle d’une marque consiste à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service concerné, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 45).

27      L’intention d’empêcher la commercialisation d’un produit peut, dans certaines circonstances, caractériser la mauvaise foi du demandeur. Tel est notamment le cas lorsqu’il s’avère, ultérieurement, que ce dernier a fait enregistrer un signe en tant que marque de l’Union européenne sans avoir l’intention d’en faire usage, uniquement en vue d’empêcher l’entrée d’un tiers sur le marché (arrêts du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 43 et 44, et du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 30).

28      L’intention du demandeur au moment pertinent est un élément subjectif qui doit être apprécié en prenant en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne. Cette motivation sera normalement établie par référence à des critères objectifs, dont fait partie, notamment, la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement (arrêts du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 37, 42 et 53, et du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 31).

29      Dans le cadre de l’analyse globale opérée au titre de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, il peut également être tenu compte de l’origine du signe contesté et de son usage depuis sa création, de la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement du signe en tant que marque de l’Union européenne ainsi que la chronologie des évènements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt (voir arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 33 et jurisprudence citée).

30      À cet égard, il importe de souligner que, au point 60 de ses conclusions dans l’affaire Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:148), Mme l’avocate générale Sharpston a relevé que la notion de mauvaise foi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001], ne peut pas être cantonnée à une catégorie limitée de faits particuliers. En effet, l’objectif d’intérêt général de cette disposition, qui consiste à faire échec aux enregistrements de marque abusifs ou contraires aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale, serait compromis si la mauvaise foi ne pouvait être démontrée que par les circonstances limitativement énumérées dans l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361) (arrêt du 21 avril 2021, MONOPOLY, T‑663/19, EU:T:2021:211, point 37).

31      Par ailleurs, il incombe au demandeur qui entend se fonder sur ce motif de nullité absolue d’établir les circonstances qui permettent de conclure que le titulaire d’une marque de l’Union européenne était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de cette dernière (voir arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 33 et jurisprudence citée), la bonne foi du déposant étant présumée jusqu’à preuve du contraire (voir arrêt du 21 avril 2021, MONOPOLY, T‑663/19, EU:T:2021:211, point 42 et jurisprudence citée).

32      Toutefois, lorsque l’EUIPO constate que les circonstances objectives du cas d’espèce invoquées par le demandeur en nullité sont susceptibles de conduire au renversement de la présomption de bonne foi dont bénéficie le titulaire de la marque en cause lors du dépôt de la demande d’enregistrement de celle-ci, il appartient à ce dernier de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement de ladite marque (arrêt du 21 avril 2021, MONOPOLY, T‑663/19, EU:T:2021:211, point 43).

33      En effet, le titulaire de la marque en cause est le mieux placé pour éclairer l’EUIPO sur les intentions qui l’animaient lors de la demande d’enregistrement de cette marque et pour lui fournir des éléments susceptibles de le convaincre que, en dépit de l’existence de circonstances objectives, ces intentions étaient légitimes (voir arrêt du 21 avril 2021, MONOPOLY, T‑663/19, EU:T:2021:211, point 44 et jurisprudence citée).

34      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments de la requérante afin de déterminer si elle était de mauvaise foi au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

35      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la demande d’enregistrement de la marque contestée ne s’inscrivait pas dans une stratégie de dépôt de demandes d’enregistrement abusive, mais visait au contraire à étendre la protection du signe MONSOON, il y a tout d’abord lieu de relever que la demande de la marque contestée a été présentée le 5 décembre 2011 auprès de l’EUIPO avec comme date de priorité, le 3 juin 2011, et qu’elle était fondée sur la demande de la marque allemande MONSOON, numéro 3020110311080, déposée auprès du Deutsches Patent- und Markenamt. De plus, ainsi qu’il ressort, notamment, des points 38 et 39 de la décision attaquée et des éléments de preuve produits devant le Tribunal, la demande de marque allemande, sur laquelle est fondée la date de priorité de la marque contestée, est le dernier maillon d’une chaîne de demandes d’enregistrement de marques nationales, qui ont été déposées, tous les six mois depuis 2006, en alternance en Allemagne et en Autriche, pour le même signe que la marque contestée, pour des produits et des services relevant de classes au moins partiellement identiques à celles revendiquées par cette dernière marque, par le représentant de la requérante ou par une société liée à ce dernier. Par ailleurs, il convient également de relever que ces demandes ont été successivement considérées comme non avenues en raison du non-paiement des taxes de dépôt et n’ont pas été examinées par les offices de marques nationaux. À cet égard, il y a également lieu de souligner que la demande de marque allemande, sur laquelle est fondée la date de priorité, a été retirée du registre national des marques.

36      Or, force est de constater qu’un tel comportement ne saurait être considéré, dans les circonstances de la présente espèce, comme un comportement commercial légitime, mais comme un comportement contraire aux objectifs du règlement 2017/1001 (arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 49). En outre, c’est à juste titre que la chambre de recours a constaté qu’un tel comportement, de la part du demandeur de la marque contestée, visait à lui conférer une position de blocage en monopolisant le signe MONSOON et en contournant la période de six mois prévue à l’article 34, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 (arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, points 51 et 88). En effet, la requérante, en déposant avant l’expiration de ce délai des demandes successives d’enregistrement de marques nationales, lesquelles ont été considérées comme non avenues pour défaut de paiement des taxes de dépôt, a prolongé de manière artificielle la période de six mois durant laquelle elle pouvait prétendre revendiquer la priorité de la marque contestée.

37      C’est donc à juste titre que la chambre de recours a pu conclure que le comportement adopté par le demandeur de la marque contestée relevait d’une stratégie de dépôt abusive, laquelle n’est pas sans rappeler la figure de l’« abus de droit », qui est caractérisée par les circonstances selon lesquelles, premièrement, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par celle-ci n’est pas atteint et, deuxièmement, il existe une volonté d’obtenir un avantage résultant de ladite réglementation en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (voir arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 52 et jurisprudence citée). Partant, les démarches du représentant de la requérante ne peuvent pas être considérés comme un développement de la marque contestée (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 88). La chambre de recours a donc pu conclure, à juste titre, que de telles démarches, qui sont contraires aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale conformément à la jurisprudence rappelée au point 30 ci-dessus, étaient constitutives de mauvaise foi.

38      En ce qui concerne l’argument de la requérante visant l’absence de signe identique au registre des marques de l’Union européenne antérieurement au dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, il y a lieu de relever qu’une société tierce avait déjà présenté, le 27 septembre 2011, une demande d’enregistrement de la marque de l’Union européenne pour le signe verbal MONSOON, lequel a été enregistré le 1er mars 2012, sous le numéro 010294551, pour des services relevant de la classe 36. Il convient également d’observer que c’est à la suite de ce dépôt que le demandeur de la marque contestée a présenté, le 5 décembre 2011, la demande d’enregistrement de la marque contestée en fondant son droit de priorité sur la demande d’enregistrement de la marque allemande MONSOON en date du 3 juin 2011. Or, ainsi que la chambre de recours l’a constaté, celle-ci est le dernier maillon d’un enchaînement de demandes successives d’enregistrement de marques nationales, pour le même signe et, pour des produits et des services identiques, qui a commencé en 2006 en Autriche et en 2007 en Allemagne. Aussi, si la requérante souhaitait étendre la protection du signe MONSOON en l’enregistrant en tant que marque de l’Union européenne comme elle le prétend, elle aurait eu la possibilité de le faire bien avant le dépôt de la demande d’enregistrement par la société tierce et la période de trois mois suivant ce dépôt. Par conséquent, c’est à bon droit que la chambre de recours a pu conclure que la demande d’enregistrement de la marque contestée avait été présentée en réaction à celle de la société tierce et qu’elle s’insérait dans une stratégie de dépôt abusive.

39      De plus, il convient de rejeter l’argument de la requérante tiré de l’absence de relation contractuelle avec ladite société tierce aux fins de prouver l’absence de sa mauvaise foi au moment du dépôt litigieux. En effet, il y a lieu de rappeler que, si l’existence de relations commerciales entre les parties peut également fournir des indices aux fins d’apprécier la mauvaise foi [voir arrêt du 12 mai 2021, Tornado Boats International/EUIPO – Haygreen (TORNADO), T‑167/20, non publié, EU:T:2021:257, point 51 et jurisprudence citée], il n’en demeure pas moins que cet élément n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres à prendre en considération dans le cadre de l’appréciation globale de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 [voir arrêt du 31 mai 2018, Flatworld Solutions/EUIPO – Outsource Professional Services (Outsource 2 India), T‑340/16, non publié, EU:T:2018:314, point 24 et jurisprudence citée] et que la notion de mauvaise foi ne peut pas être cantonnée à une catégorie limitée de faits particuliers, conformément à la jurisprudence citée au point 36 ci-dessus.

40      À cet égard, il y a également lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours, en prenant en compte les différentes demandes de marques nationales antérieures, aurait violé le système autonome de protection de la marque de l’Union européenne. En effet, la chambre de recours a pris en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existants au moment du dépôt litigieux, conformément à la jurisprudence citée au point 33 ci-dessus, afin d’apprécier globalement la mauvaise foi du déposant.

41      S’agissant de l’argument de la requérante par lequel elle conteste le manque de transparence de ses démarches, constaté par la chambre de recours au point 43 de la décision attaquée, il y a lieu de relever qu’il ressort du registre des marques l’Union européenne que plusieurs transferts ou changements du nom et de l’adresse des sociétés titulaires de la marque contestée ont été opérés, dont le dernier a été effectué le 22 février 2019 en faveur de la requérante. Seul le nom du représentant, à savoir M. Auer, reste inchangé, comme le souligne à juste titre la requérante, de sorte que l’ensemble des titulaires de la marque contestée était représenté par cette même personne. Or, force est de constater, à l’instar de la chambre de recours, que les transferts successifs de la marque contestée à différentes sociétés avaient pour effet de rendre moins apparent le fait qu’une seule et même personne, à savoir le représentant de la requérante et de ses prédécesseurs en droit, orchestrait une multitude de demandes de marques par le biais de différentes sociétés et qu’une situation comme celle qui s’était produite dans la présente affaire n’était pas le fruit du hasard, mais la conséquence d’une stratégie de dépôt abusive, qui reposait sur un enchaînement de demandes d’enregistrement de marques autrichiennes et allemandes (arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 135).

42      Par ailleurs, cette considération ne saurait être remise en cause par le fait que le nom du représentant de ces sociétés ait toujours été le même dans les banques de données des offices des marques, dans la mesure où il résulte que les transferts successivement opérés avaient comme effet de rendre moins évident, du moins à première vue, la stratégie de dépôt abusive poursuivie par le représentant de la requérante (arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 136). Par conséquent, c’est à bon droit que la chambre de recours a pu conclure que cette stratégie de dépôt abusive était moins perceptible pour les tiers.

43      En ce qui concerne l’argument de la requérante visant l’absence de prise en compte par la chambre de recours de l’éventuelle mauvaise foi de l’intervenante, il suffit de constater que celui-ci est dénué de pertinence. En effet, comme l’a relevé à juste titre la chambre de recours, au point 45 de la décision attaquée, la cause de nullité pour mauvaise foi est une cause de nullité absolue et ne saurait donc dépendre de la mauvaise foi de la personne qui demande l’annulation de la marque requérante (arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 159).

44      En outre, il convient de rejeter l’argument de la requérante visant la « partialité » de l’arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO (T‑82/14, EU:T:2016:396), lequel a acquis force de chose jugée. À cet égard, il y a lieu de souligner que, contrairement à ce que soutient la requérante, aucune dénaturation n’a été constatée par la Cour, ni dans l’ordonnance du 10 novembre 2015 (C‑477/15 AJ, non publiée, EU:C:2015:747), ni dans l’ordonnance du 14 décembre 2017, Verus/EUIPO (C‑101/17 P, non publiée, EU:C:2017:979), par laquelle la Cour a rejeté, comme étant manifestement irrecevable, le pourvoi formé par la requérante à l’encontre de l’arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO (T‑82/14, EU:T:2016:396).

45      Par conséquent, c’est à bon droit que la chambre de recours a conclu que le demandeur de la marque contestée était de mauvaise foi au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

46      Il s’ensuit que les premier et deuxième moyens doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 94 du règlement 2017/1001

47      La requérante soutient que, en ne prenant pas en compte la mauvaise foi de l’intervenante, ni les allégations contenues dans les documents produits devant la chambre de recours aux fins de son appréciation globale, la chambre de recours aurait violé son droit d’être entendu. De plus, la requérante considère que, alors même que les circonstances factuelles étaient identiques, la chambre de recours n’a pas conclu à la mauvaise foi s’agissant du dépôt d’une marque dans sa décision du 18 mars 2020 dans l’affaire R 0010/2019-4, impliquant le représentant de la requérante, et qu’elle s’est donc contredite dans la présente affaire.

48      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

49      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties ont pu prendre position.

50      Cette disposition consacre, dans le cadre du droit des marques de l’Union européenne, le principe général de protection des droits de la défense. En vertu de ce principe, les destinataires des décisions des autorités publiques qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue. Le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais non à la position finale que l’administration entend adopter [voir arrêt du 13 mai 2020, Clatronic International/EUIPO (PROFI CARE), T‑5/19, non publié, EU:T:2020:191, point 102 et jurisprudence citée].

51      Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que l’argument visant l’absence de prise en compte par la chambre de recours de la prétendue mauvaise foi de l’intervenante a déjà été examiné au point 43 ci-dessus, dans le cadre du premier moyen, et a été rejeté comme étant non fondé.

52      Ensuite, il y a lieu de relever que, dans le cadre de la procédure administrative, la requérante a produit, devant les instances de l’EUIPO, différents documents parmi lesquels figuraient des articles, portant sur le « vol » des marques, rédigés par le représentant de la requérante. En effet, la requérante a présenté devant la division d’annulation, en annexe C1 de son mémoire du 13 novembre 2019, un article intitulé « Markenraub, Aufklärungen über neue Formen der Wirtschaftskriminalität und atypische Markenpiraterie » (« Le vol de marques, la sensibilisation aux nouvelles formes de criminalité économique et la contrefaçon atypique de marques »). Puis, elle a produit ce même document en annexe A 1 de son mémoire du 10 août 2020 devant la chambre de recours.

53      S’agissant du document contenu dans l’annexe A 1 de la requête, à savoir un article scientifique intitulé « Atypische Markenpiraterie – Von Markenraub und neuen Formen der Wirtschaftskriminalität » (« La contrefaçon de marque atypique – Le vol de marque et les nouvelles formes de criminalité économique »), également rédigé par le représentant de la requérante, il convient de relever que ce document n’a pas été produit, au cours de la procédure administrative, devant les instances de l’EUIPO.

54      À cet égard, il convient de rappeler que le recours porté devant le Tribunal vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO au sens de l’article 72 du règlement 2017/1001. Dès lors, la fonction du Tribunal n’est pas celle de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des preuves présentées pour la première fois devant lui. Il s’ensuit que des faits non invoqués par les parties devant les instances de l’EUIPO ne peuvent plus l’être au stade du recours introduit devant le Tribunal [voir arrêt du 11 octobre 2018, M&T Emporia Ilektrikon-Ilektronikon Eidon/EUIPO (fluo.), T‑120/17, non publié, EU:T:2018:672, point 16 et jurisprudence citée]. Il convient donc de déclarer irrecevable l’annexe A 1 de la requête, mentionnée au point 53 ci-dessus, dans la mesure où elle n’a pas été produite par la requérante dans le cadre de la procédure devant l’EUIPO.

55      Ensuite, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, la chambre de recours a examiné les éléments de preuve mentionnés au point 52 ci-dessus, mais a considéré à juste titre, aux points 15 et 47 de la décision attaquée, que ceux-ci ne constituaient pas, de par leur contenu, des éléments suffisamment concrets et objectifs aux fins de prouver l’absence de mauvaise foi du demandeur de la marque contestée, au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de ladite marque.

56      Enfin, en ce qui concerne le fait que la quatrième chambre de recours ne serait pas parvenue à la même conclusion dans la décision attaquée que celle à laquelle elle était parvenue dans la décision du 18 mars 2020, dans l’affaire R 10/2019-4, il suffit de rappeler que l’EUIPO n’est pas tenu par sa pratique décisionnelle et l’application des principes d’égalité de traitement et de bonne administration doit se concilier avec le principe de légalité, chaque cas concret devant faire l’objet d’un examen rigoureux [arrêt du 10 novembre 2021, VF International/EUIPO – National Geographic Society (NATIONAL GEOGRAPHIC), T‑517/20, non publié, EU:T:2021:783, point 45].

57      Il s’ensuit que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

58      Au vu de tout ce qui précède, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Segimerus Ltd supportera ses propres dépens ainsi que ceux de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et de Karsten Manufacturing Corp.

Kornezov

Buttigieg

Petrlík

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 septembre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.