Language of document : ECLI:EU:T:2015:774

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

13 octobre 2015 (*)

« Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Assistance technique à l’administration des douanes serbe dans le cadre de la modernisation du système douanier – Conflit d’intérêts – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire par la délégation de l’Union en République de Serbie – Rejet implicite de la réclamation présentée à l’encontre du rejet de l’offre »

Dans l’affaire T‑403/12,

Intrasoft International SA, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Me S. Pappas, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Erlbacher et Mme E. Georgieva, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la lettre du 10 août 2012 de la Commission, agissant par le biais de la délégation de l’Union européenne en République de Serbie, indiquant que le marché de services relatif à la procédure d’appel d’offres EuropeAid/131367/C/SER/RS, intitulée « Assistance technique à l’administration des douanes serbe dans le cadre de la modernisation du système douanier » (JO 2011/S 160‑262712), ne pouvait pas être attribué au consortium dont Intrasoft International SA faisait partie, d’autre part, une demande d’annulation d’une prétendue décision implicite rejetant la réclamation formée par la requérante à l’encontre de la lettre du 10 août 2012,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Gervasoni et L. Madise (rapporteur), juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 janvier 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Intrasoft International SA, est une société établie à Luxembourg (Luxembourg).

2        Le 23 août 2011, un avis de marché portant la référence EuropeAid/131367/C/SER/RS (ci-après « l’avis de marché ») a été publié dans le Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2011/S 160‑262712).

3        Cet avis avait pour objet la passation d’un marché public de services intitulé « Assistance technique à l’administration des douanes serbe dans le cadre de la modernisation du système douanier ». La période initialement prévue pour la mise en œuvre du marché était de 24 mois et le budget maximal s’élevait à 4 100 000 euros.

4        L’appel d’offres s’inscrivait dans le cadre de l’instrument d’aide de préadhésion, créé et régi par le règlement (CE) nº 1085/2006 du Conseil, du 17 juillet 2006, établissant un instrument d’aide de préadhésion (IAP) (JO L 210, p. 82). Cet instrument vise à fournir une assistance à plusieurs pays, dont la Serbie, afin qu’ils s’alignent progressivement sur les normes, les politiques et l’acquis de l’Union européenne, en vue de leur adhésion future. Cette assistance est fournie, notamment, par le biais du lancement et de l’attribution, par la Commission européenne, de marchés publics pour des prestations de services que les attributaires de ces marchés fournissent à un pays bénéficiaire, à savoir, en l’espèce, la Serbie.

5        Le pouvoir adjudicateur était l’Union, représentée par la Commission, agissant par le biais de sa délégation en République de Serbie (ci-après le « pouvoir adjudicateur »).

6        Aux termes de l’avis de marché, ce dernier devait être attribué à l’offre économiquement la plus avantageuse dans le cadre d’une procédure restreinte comportant deux étapes, à savoir la présélection et l’attribution.

7        Dans le cadre de l’étape de présélection, les personnes intéressées disposaient d’un délai allant jusqu’au 30 septembre 2011 pour soumettre leurs candidatures, accompagnées de certaines données établissant leurs capacités financière, technique et professionnelle à réaliser l’objet du marché. À l’issue de l’évaluation des candidatures, un comité d’évaluation devait dresser une liste restreinte des candidats éligibles, constituée de quatre à huit candidats, invités à participer à la seconde étape de la procédure, celle de l’attribution du marché.

8        Lors de cette procédure d’appel d’offres, la requérante a posé des questions écrites au pouvoir adjudicateur conformément au point 3.3.5, intitulé « Informations complémentaires pendant la procédure », du Guide pratique des procédures contractuelles dans le cadre des actions extérieures de la Commission, élaboré par les services de la Commission pour la mise en œuvre concrète des aides financières à des pays tiers (ci-après le « guide pratique »). Elle a notamment demandé si une société ou un expert, entendant participer à la procédure d’appel d’offres en cause, devait être considéré dans une situation de conflit d’intérêts en raison de sa participation à l’exécution, dans le cadre d’une précédente procédure d’appel d’offres, au projet EuropeAid/128180/C/SER/RS.

9        Par courriel du 26 avril 2012, le pouvoir adjudicateur a répondu à la requérante que « la société ou l’expert ayant participé à l’exécution du projet EuropeAid/128180/C/SER/RS et entendant participer à l’appel d’offres EuropeAid/131367/C/SER/RS n’est pas dans une situation de conflit d’intérêts, [étant donné que] l’appel d’offres EuropeAid/128180/C/SER/RS n’incluait pas la préparation de la documentation relative à l’appel d’offres EuropeAid/131367/C/SER/RS ».

10      La requérante a déposé son dossier en vue de participer à l’appel d’offres, au sein d’un consortium constitué avec Serbian Business Systems d.o.o. et Belit d.o.o.

11      Par lettre du 10 août 2012, le pouvoir adjudicateur a indiqué à la requérante que le marché ne pouvait pas être attribué au consortium dont elle faisait partie (ci‑après la « lettre du 10 août 2012 »). Cette lettre comportait les précisions suivantes :

–        la requérante a eu un accès privilégié à un certain nombre de documents faisant partie intégrante de la procédure d’appel d’offres en cours et qui constituaient le point de départ pour déterminer les activités visées par le marché en cause. L’accès privilégié dont elle a bénéficié était lié à sa participation à la rédaction desdits documents dans le cadre d’une précédente procédure d’appel d’offres, EuropeAid/128180/C/SER/RS ; dès lors, le pouvoir adjudicateur, en application de l’article 2.3.6 du guide pratique, considère la condition relative au conflit d’intérêts comme remplie ;

–        le pouvoir adjudicateur n’a été en mesure de vérifier dans les détails les circonstances du cas d’espèce qu’après avoir examiné attentivement toutes les candidatures au cas par cas ;

–        la requérante pouvait faire valoir son désaccord ou demander des informations complémentaires jusqu’au 17 août 2012, date à laquelle le pouvoir adjudicateur poursuivrait la procédure d’attribution.

12      Par courriel du 13 août 2012, la requérante a demandé au pouvoir adjudicateur de revenir sur sa décision, contenue dans la lettre du 10 août 2012, de rejet de l’offre du consortium dont elle faisait partie et lui a également demandé la suspension de la procédure d’appel d’offres dans l’attente de recevoir davantage d’informations sur les raisons dudit rejet.

13      Par lettre du 12 septembre 2012, le pouvoir adjudicateur a indiqué à la requérante qu’il ne pouvait pas attribuer le marché au consortium dont elle faisait partie, en raison du conflit d’intérêts mentionné dans la lettre du 10 août 2012, et lui a également communiqué le nom du consortium auquel le marché devait être attribué selon l’avis du comité d’évaluation (ci‑après la « lettre du 12 septembre 2012 »).

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 septembre 2012, la requérante a introduit le présent recours visant à l’annulation de la décision contenue dans la lettre du 10 août 2012 et de la prétendue décision implicite de rejet de sa réclamation.

15      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 21 septembre 2012, la requérante a introduit une demande de sursis à l’exécution de la décision contenue dans la lettre du 10 août 2012, de la prétendue décision implicite de rejet de sa réclamation ainsi que de la décision contenue dans la lettre du 12 septembre 2012, intervenue après l’introduction du recours en annulation devant le Tribunal.

16      Par ordonnance du 14 novembre 2012, Intrasoft International/Commission (T‑403/12 R, EU:T:2012:600), le juge des référés a rejeté la demande en référé pour défaut d’urgence.

17      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

18      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

19      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries ainsi qu’en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 27 janvier 2015.

20      La procédure orale a été clôturée le 12 février 2015.

21      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de la délégation de l’Union en République de Serbie contenue dans la lettre du 10 août 2012 ainsi que la décision implicite de rejet de sa réclamation contre cette décision, de manière à être autorisée à participer aux étapes ultérieures de l’appel d’offres ;

–        condamner la partie défenderesse aux dépens.

22      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–         rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante à supporter ses propres dépens et à payer les dépens exposés par la Commission dans la présente instance ainsi que dans la procédure de référé dans l’affaire T‑403/12 R.

23      En réponse à une question posée lors de l’audience et ainsi qu’il a été acté dans le procès-verbal d’audience, la requérante a précisé que la lettre du 12 septembre 2012, envoyée par le pouvoir adjudicateur le lendemain de l’introduction de son recours devant le Tribunal, ne faisait pas l’objet dudit recours ni d’une adaptation de ses conclusions. À cet égard, la requérante a expliqué que la lettre du 12 septembre 2012 n’était qu’un acte confirmatif de la lettre du 10 août 2012 et, par conséquent, qu’elle en suivait le sort.

 En droit

 Sur la recevabilité

24      Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que les actes faisant l’objet du présent recours (ci-après les « actes attaqués ») sont, premièrement, la lettre du 10 août 2012, indiquant que le marché de services en cause ne pouvait pas être attribué au consortium dont la requérante faisait partie au motif que cette dernière était en situation de conflit d’intérêts, et, deuxièmement, la prétendue décision implicite de rejet de la réclamation de la requérante à l’encontre de la lettre du 10 août 2012.

25      La Commission, sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, avance, dans le mémoire en défense, des arguments contestant la recevabilité du recours à l’égard des actes attaqués.

26      Elle fait valoir que la lettre du 10 août 2012 ne constitue pas un acte attaquable en ce qu’elle vise simplement à informer la requérante que sa candidature a été considérée comme représentant un cas de conflit d’intérêts et à fournir les raisons de cette appréciation. Le seul acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation serait la décision communiquée par lettre du 12 septembre 2012, laquelle, faute d’avoir été attaquée dans les délais prévus, serait devenue définitive à l’égard de la requérante.

27      S’agissant de la prétendue décision implicite de rejet de la réclamation, la Commission précise que le délai de quinze jours ouvrables pour répondre à une réclamation, mentionné au point 2.4.15.1 du guide pratique, ne constitue qu’une « règle d’effort maximal », fixée dans l’intérêt d’une bonne administration, et que, par conséquent, l’absence de réponse dans ce délai ne peut pas être considérée comme un rejet implicite de la réclamation de la requérante. En effet, le guide pratique ne pourrait pas fixer des règles obligatoires en ce qui concerne les délais applicables pour former un recours devant le Tribunal.

28      Il découle d’une jurisprudence constante concernant la recevabilité des recours en annulation que, pour qualifier les actes attaqués, il convient de s’attacher à leur substance même ainsi qu’à l’intention de leur auteur. À cet égard, constituent, en principe, des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position de la Commission au terme d’une procédure administrative et qui visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale, qui n’ont pas de tels effets (voir arrêt du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission, C‑521/06 P, Rec, EU:C:2008:422, point 42 et jurisprudence citée).

29      La forme dans laquelle un acte ou une décision sont pris est, en principe, indifférente pour la recevabilité d’un recours en annulation. Il est donc sans incidence sur la qualification de l’acte concerné que celui-ci satisfasse ou non certaines exigences formelles, à savoir s’il est dûment intitulé par son auteur, s’il est suffisamment motivé ou s’il mentionne les dispositions qui constituent sa base légale. Il est ainsi sans pertinence que cet acte ne soit pas désigné comme une « décision » ou qu’il ne contienne pas la référence aux dispositions du TFUE prévoyant les voies de recours disponibles à son endroit (voir, par analogie, arrêt Athinaïki Techniki/Commission, point 28 supra, EU:C:2008:422, points 43 et 44 et jurisprudence citée).

30      S’il en était autrement, la Commission pourrait se soustraire au contrôle du juge de l’Union par la simple méconnaissance de telles exigences formelles. En effet, il ressort de la jurisprudence que, l’Union étant une communauté de droit dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes avec le traité, les modalités procédurales applicables aux recours dont le juge de l’Union est saisi doivent être interprétées, dans toute la mesure du possible, d’une manière telle que ces modalités puissent recevoir une application qui contribue à la mise en œuvre de l’objectif de garantir une protection juridictionnelle effective des droits que tirent les justiciables du droit de l’Union (voir arrêt Athinaïki Techniki/Commission, point 28 supra, EU:C:2008:422, point 45 et jurisprudence citée).

31      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de déterminer, d’abord, si, ainsi que le soutient la requérante, les actes attaqués, mentionnés au point 24 ci-dessus, sont des actes lui faisant grief et pouvant ainsi faire l’objet d’un recours en annulation.

 Sur la recevabilité du recours dirigé contre la lettre du 10 août 2012

32      Les effets de droit obligatoires d’un acte doivent être appréciés en fonction de critères objectifs, tels que le contenu de cet acte (voir, par analogie, arrêt du 20 mars 1997, France/Commission, C‑57/95, Rec, EU:C:1997:164, point 9), en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier (voir, par analogie, ordonnance du 13 juin 1991, Sunzest/Commission, C‑50/90, Rec, EU:C:1991:253, point 13, et arrêt du 26 janvier 2010, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑362/08 P, Rec, EU:C:2010:40, point 58) ainsi que des pouvoirs de l’institution auteur de l’acte (voir, par analogie, arrêt du 1er décembre 2005, Italie/Commission, C‑301/03, Rec, EU:C:2005:727, point 28).

33      En l’espèce, il y a lieu d’examiner si la lettre du 10 août 2012, au regard de son contenu, du contexte factuel et juridique dans lequel elle s’inscrit ainsi que du pouvoir dont dispose l’autorité qui l’a adoptée, peut être qualifiée de décision faisant grief à la requérante.

34      À cet égard, à titre liminaire, il y a lieu d’indiquer, premièrement, qu’il n’est pas contesté en l’espèce que les actes attaqués, rédigés par la délégation de l’Union en République de Serbie, sont imputables à la Commission, laquelle est ainsi la partie défenderesse légitime dans le cadre du présent recours. En effet, ainsi que le fait valoir à juste titre la requérante, il ressort de la jurisprudence du Tribunal que les actes adoptés par ladite délégation, agissant en qualité d’ordonnateur subdélégué de la Commission, ne permettent pas de lui reconnaître la qualité de partie défenderesse et sont, en l’occurrence, imputables à la Commission (voir, en ce sens, ordonnance du 4 juin 2012, Elti/Délégation de l’Union au Monténégro, T‑395/11, Rec, EU:T:2012:274, point 64).

35      Deuxièmement, il n’est pas davantage contesté que la requérante, en tant que membre du consortium, est destinataire des actes qui lui sont adressés, en raison de la structure transparente dudit consortium au regard de ses membres (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2010, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑50/05, Rec, EU:T:2010:101, point 40).

36      S’agissant, en premier lieu, du contenu de la lettre du 10 août 2012, il convient de rappeler qu’elle est rédigée dans les termes suivants :

« J’ai le regret de vous informer […] qu’il a été jugé que votre candidature entraînait un conflit d’intérêts et [que le marché] ne pouvait donc être attribué à votre consortium. [L]e pouvoir adjudicateur est arrivé à la conclusion que le contrat ne pouvait pas être attribué au consortium [dont vous faites partie], car vous vous trouvez dans une situation de conflit d’intérêts. [L]e pouvoir adjudicateur, conformément au point 2.3.6 du [guide pratique], constate que les conditions [qui déterminent] l’existence d’un conflit d’intérêts sont remplies […] »

37      Dès lors, il découle des termes mêmes de cette lettre que son auteur n’a pas seulement informé la requérante, ainsi que le fait valoir la Commission, de son intention de l’exclure de l’attribution du marché, mais lui a aussi communiqué la décision de ne pas attribuer le marché au consortium dont elle faisait partie.

38      Cette conclusion n’est pas infirmée par la mention, dans la lettre du 10 août 2012, d’un délai pour manifester au pouvoir adjudicateur son désaccord ou lui demander des informations supplémentaires. Une telle mention, conforme aux dispositions du point 2.4.15.1 du guide pratique, vise, d’une part, notamment à reconnaître au destinataire de l’acte, par le biais d’une réclamation, la possibilité de protéger ses intérêts affectés par la décision en cause, sans avoir besoin d’agir en justice, et, d’autre part, à lui permettre d’obtenir davantage d’éclaircissements sur une décision déjà prise.

39      Par ailleurs, la possibilité de déposer une réclamation, ainsi qu’il est notamment indiqué au point 2.4.15.3 du guide pratique et à la note explicative en bas de page à laquelle il est renvoyé dans ce point, ne préjuge pas du droit du destinataire de l’acte de saisir le Tribunal, dans les délais expressément visés par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2011, CMB et Christof/Commission, T‑407/07, EU:T:2011:477, point 103). Il en découle qu’une telle possibilité n’affranchit pas la requérante de l’obligation de respecter lesdits délais pour introduire un recours en annulation devant le Tribunal.

40      En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel la lettre du 10 août 2012 s’inscrit, il convient de noter que cette dernière concerne l’évaluation des conditions d’exclusion des soumissionnaires sélectionnés pour l’attribution du marché, telles qu’elles sont visées au point 2.3.3 du guide pratique, conformément à l’indication figurant au paragraphe 15 de l’avis de marché. Une telle évaluation s’est achevée par l’indication que le marché ne pouvait pas être attribué au consortium dont la requérante faisait partie. En effet, il ne ressort pas des pièces du dossier que, postérieurement à la lettre du 10 août 2012, une évaluation de l’offre du consortium dont la requérante faisait partie a de nouveau été effectuée.

41      Il y a lieu d’ajouter que, dans la lettre du 10 août 2012, son auteur a indiqué que, en l’absence de contestations ou de demandes d’informations complémentaires, « [il] poursui[vai]t la procédure d’attribution du marché conformément aux règles du guide pratique ». Or, il convient d’observer que la lettre du 12 septembre 2012, envoyée à la requérante le lendemain de l’introduction du recours devant le Tribunal, contient le nom de l’attributaire du marché proposé par le comité d’évaluation. Il en résulte que, nonobstant la demande de la requérante, figurant dans sa réclamation du 13 août 2012, de suspendre la procédure d’appel d’offres en cours, le pouvoir adjudicateur a poursuivi celle-ci et a indiqué, parmi les candidats restants, le potentiel attributaire du marché.

42      À cet égard, il y a lieu d’ajouter que la mention, à la dernière ligne de la lettre du 12 septembre 2012, de la possibilité, conformément au point 2.4.15 du guide pratique, de recours pour contester la décision en question peut être interprétée comme faisant référence à la possibilité de contester la décision d’attribuer le marché à un autre soumissionnaire. Ainsi, l’indication en question n’est pas décisive pour qualifier la lettre du 12 septembre 2012 de décision finale d’exclusion de la requérante. En revanche, une telle indication démontre, une fois de plus, et ainsi que le fait valoir à juste titre la requérante, que la procédure d’appel d’offres n’a pas été suspendue et s’est achevée par l’indication du potentiel attributaire du marché par le comité d’évaluation.

43      Dès lors, force est de constater que, au regard du contexte dans lequel la lettre du 10 août 2012 s’inscrit, son auteur a pris position sur la capacité de la requérante à participer à la phase d’attribution du marché, a également indiqué que la requérante se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts et a, en conséquence, établi que le marché ne pouvait pas être attribué au consortium dont la requérante faisait partie.

44      En troisième et dernier lieu, s’agissant des pouvoirs dont l’auteur de la lettre attaquée disposait, à savoir la délégation de l’Union en République de Serbie, ainsi qu’il a été indiqué au point 5 ci-dessus, cette dernière opérait en qualité de pouvoir adjudicateur subdélégué de la Commission. Par conséquent, l’acte en question ne constitue pas un simple avis du comité d’évaluation sur les conditions d’exclusion d’un soumissionnaire pour des raisons de conflit d’intérêts, mais une décision du pouvoir adjudicateur susceptible en tant que telle de produire des effets juridiques obligatoires pour son destinataire.

45      Il résulte de l’ensemble des observations qui précèdent que, eu égard à son contenu, au contexte juridique et factuel dans lequel elle s’inscrit ainsi qu’aux pouvoirs de l’autorité l’ayant adoptée, la lettre du 10 août 2012 a été susceptible de produire des effets juridiques affectant les intérêts de la requérante, de sorte qu’il s’agit d’un acte lui faisant grief et pouvant faire l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal.

46      Contrairement à ce que soutient la Commission, la requérante, confrontée à un acte lui faisant grief, au sens de la jurisprudence citée aux points 28 à 30 et 32 ci-dessus, a correctement introduit le présent recours dans les délais calculés à partir de l’adoption dudit acte. Elle ne devait pas attendre une réponse à sa réclamation du 13 août 2012 pour introduire le présent recours, ce qui ressort de la jurisprudence mentionnée au point 39 ci-dessus et, au surplus, des points 2.4.15.1 et 2.4.15.3 du guide pratique.

47      Dès lors que la lettre du 10 août 2012 a été qualifiée d’acte attaquable, il convient de répondre aux arguments de la Commission, selon lesquels la lettre du 12 septembre 2012 contient une décision faisant grief à la requérante, qui, n’ayant pas été attaquée dans les délais du recours contentieux, aurait rendu définitive l’exclusion de la requérante de la procédure d’appel d’offres pour des raisons de conflit d’intérêts. Un tel argument impose de vérifier si l’intérêt à agir de la requérante perdure, à la suite de l’adoption par le pouvoir adjudicateur de la lettre du 12 septembre 2012, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, ordonnance du 25 juin 2014, Accorinti e.a./BCE, T‑224/12, EU:T:2014:611, point 68).

48      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que l’annulation d’un acte confirmatif se confond avec celle de l’acte antérieur, de sorte que l’annulation de l’acte antérieur implique automatiquement celle de l’acte confirmatif (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 1998, Royaume‑Uni/Commission, C‑180/96, Rec, EU:C:1998:192, point 28 et jurisprudence citée). Ainsi, dans le cas où la décision confirmée n’est pas devenue définitive, la personne intéressée est en droit d’attaquer soit la décision confirmée, soit la décision confirmative, soit l’une et l’autre de ces décisions (voir arrêt du 16 septembre 1998, Waterleiding Maatschappij/Commission, T‑188/95, Rec, EU:T:1998:217, point 108 et jurisprudence citée).

49      Premièrement, il y a lieu en l’espèce d’observer que la mention figurant dans la lettre du 12 septembre 2012 de l’avis du comité d’évaluation d’attribuer le marché à un autre consortium ne saurait conférer à la lettre en question la nature d’acte remplaçant la lettre du 10 août 2012 quant au rejet de l’offre du consortium dont la requérante faisait partie. En effet, cette mention ne modifie ni la motivation, ni le contenu, ni les effets de la décision contenue dans la lettre du 10 août 2012 en ce qui concerne, notamment, l’exclusion de la requérante de la procédure d’appel d’offres pour des raisons de conflit d’intérêts et le rejet subséquent de l’offre du consortium dont elle faisait partie.

50      Deuxièmement, s’agissant de l’indication selon laquelle le pouvoir adjudicateur a pris en compte les éléments invoqués par la requérante dans sa lettre du 13 août 2012, il convient de noter que, s’il est exact que la lettre du 12 septembre 2012 constitue une réponse à la réclamation de la requérante, les éléments invoqués par cette dernière dans cette lettre ne constituent nullement des faits nouveaux ou substantiels par rapport à ceux déjà connus par le pouvoir adjudicateur au moment de l’adoption de la lettre du 10 août 2012, ainsi que le retient la jurisprudence en ce qui concerne la qualification de faits comme étant « nouveaux et substantiels » (voir, en ce sens, arrêt du 7 février 2001, Inpesca/Commission, T‑186/98, Rec, EU:T:2001:42, points 50 et 51 et jurisprudence citée). En effet, les éléments présentés par la requérante se limitent à rappeler au pouvoir adjudicateur que ce dernier avait auparavant exclu l’existence d’un conflit d’intérêts en ce qui concernait la requérante en l’informant de cet élément par le biais du courriel du 26 avril 2012 (voir point 9 ci-dessus). De plus, la lettre du 12 septembre 2012 ne fournit pas d’informations quant à l’éventuel réexamen de la position de la requérante ou de l’évaluation de son offre effectuée postérieurement à l’envoi de la lettre du 10 août 2012.

51      En outre, si, selon l’article 149, paragraphe 3, quatrième alinéa, du règlement (CE, Euratom) nº 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 (JO L 357, p. 1), les soumissionnaires évincés ont la possibilité de demander, par écrit, au pouvoir adjudicateur de leur communiquer des « informations complémentaires sur les motifs du rejet », la communication de telles informations complémentaires n’a pas pour effet de remplacer la décision par laquelle l’offre du soumissionnaire en question est rejetée, la motivation d’une telle décision pouvant s’effectuer en plusieurs étapes (voir arrêt du 22 mai 2012, Sviluppo Globale/Commission, T‑6/10, EU:T:2012:245, point 29 et jurisprudence citée).

52      Il résulte de ce qui précède que le pouvoir adjudicateur, par sa lettre du 12 septembre 2012, ne fait, en substance, que réaffirmer la position déjà présentée dans sa lettre du 10 août 2012, en se fondant sur les mêmes éléments de fait et de droit. Aucune des informations figurant dans cette lettre ne saurait constituer un élément nouveau ou substantiel de nature à conférer à celle-ci le caractère d’une décision portant sur l’exclusion de la requérante, remplaçant ou se substituant à la lettre du 10 août 2012.

53      Par conséquent, la lettre du 12 septembre 2012 n’a pas privé le présent recours, formé à l’encontre de la décision contenue dans la lettre du 10 août 2012, de son objet, de sorte que l’intérêt à agir de la requérante, visant à remédier à son exclusion de la procédure d’appel d’offres et au rejet de l’offre du consortium dont elle faisait partie, persiste en l’espèce. Contrairement à ce que prétend la Commission, et ainsi qu’il a été déjà indiqué au point 46 ci-dessus, la requérante a introduit à juste titre un recours visant à obtenir l’annulation de la décision contenue dans la lettre du 10 août 2012, en tant que mesure comportant des effets juridiques affectant ses intérêts et s’imposant obligatoirement à elle. Dans le cas contraire, elle se serait exposée au risque de se voir opposer par la Commission la tardivité de son recours au motif que la lettre du 12 septembre 2012 n’est en substance, et ainsi que le fait valoir la requérante à juste titre, qu’un acte confirmatif de la lettre du 10 août 2012.

54      En effet, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lorsqu’un requérant laisse expirer le délai pour agir contre la décision qui a arrêté de manière non équivoque une mesure comportant des effets juridiques affectant ses intérêts et s’imposant obligatoirement à lui, il ne saurait faire renaître ce délai en demandant à l’institution de revenir sur sa décision et en formant un recours contre la décision de refus confirmant la décision antérieurement prise (voir ordonnance du 10 octobre 2006, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑106/05, EU:T:2006:299, point 55 et jurisprudence citée).

55      Il y a lieu, par conséquent, de déclarer recevable le recours visant à obtenir l’annulation de la décision contenue dans la lettre du 10 août 2012.

 Sur la décision implicite de rejet de la réclamation de la requérante

56      S’agissant de la demande d’annulation de la prétendue décision implicite de rejet de la réclamation de la requérante, il convient d’examiner si cette prétendue décision peut être qualifiée d’acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.

57      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le silence opposé par une institution lorsqu’elle a été invitée à prendre position ne peut, à lui seul et en tant que tel, produire des effets juridiques, sauf lorsque cette conséquence est expressément prévue par une disposition du droit de l’Union. En l’absence de dispositions expresses du droit de l’Union fixant un délai à l’expiration duquel une décision implicite est réputée intervenir et définissant le contenu de cette décision, l’inaction d’une institution ne saurait être assimilée à une décision, sauf à mettre en cause le système des voies de recours institué par le traité (arrêt du 13 décembre 1999, SGA/Commission, T‑189/95, T‑39/96 et T‑123/96, Rec, EU:T:1999:317, points 26 et 27).

58      Or, selon la jurisprudence du Tribunal, le guide pratique est un simple outil de travail qui explique les procédures applicables dans un certain domaine et ne peut pas, en tant que tel, constituer un fondement juridique pour l’introduction d’une réclamation administrative préalable obligatoire (arrêt du 8 octobre 2008, Sogelma/AER, T‑411/06, Rec, EU:T:2008:419, point 66). De même, en l’espèce, ledit guide ne peut pas davantage constituer le fondement juridique à l’introduction d’un délai de forclusion au bénéfice de l’autorité chargée de répondre à une réclamation. Par conséquent, l’inertie du pouvoir adjudicateur à l’expiration du délai fixé au point 2.4.15.1 du guide pratique n’est pas susceptible d’être qualifiée de décision implicite de rejet de la réclamation de la requérante. Par ailleurs, le guide pratique ne prévoit aucun effet découlant de l’écoulement du délai en cause.

59      Au vu des observations qui précèdent, le recours doit être déclaré irrecevable s’agissant de la demande d’annulation de la décision implicite de rejet de la réclamation de la requérante.

 Sur le fond

60      La requérante soulève deux moyens au soutien de son recours. Le premier moyen comprend deux griefs, l’un tiré de la violation du cahier des charges de l’appel d’offres en cause, l’autre tiré de la violation du principe de bonne administration. Par le biais du second moyen, la requérante allègue une violation de l’article 94 du règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (ci‑après « le règlement financier ») (JO L 248, p. 1).

61      Il convient d’examiner, d’abord, le second moyen du recours.

62      Dans le cadre du second moyen, tiré de la violation de l’article 94 du règlement financier, la requérante fait valoir, d’une part, en tant que premier grief, qu’elle n’a pas pu présenter ses observations avant d’être exclue définitivement de la procédure d’appel d’offres et, d’autre part, en tant que second grief, qu’aucune preuve effective au soutien de l’existence d’une situation de conflit d’intérêts en ce qui la concerne n’a été fournie. Elle se réfère à la jurisprudence du Tribunal ayant fait application de l’article 94 du règlement financier (arrêt du 18 avril 2007, Deloitte Business Advisory/Commission, T‑195/05, Rec, EU:T:2007:107, point 67) ainsi qu’au point 2.3.6 du guide pratique pour soutenir, en substance, que l’exclusion d’un soumissionnaire doit se fonder sur l’existence d’un risque réel de conflit d’intérêts, étayé par les circonstances spécifiques de l’espèce, tout en laissant à l’intéressé la possibilité de démontrer l’absence de conflit d’intérêts.

63      S’agissant, notamment, des éléments permettant d’exclure l’existence d’un conflit d’intérêts, la requérante souligne qu’elle n’a pas participé à l’élaboration du cahier des charges ou des conditions relatives au projet d’appel d’offres EuropeAid/131367/C/SER/RS. De plus, elle précise ne pas avoir eu en sa possession davantage d’éléments que ceux qui ont été mis à la disposition de tous les soumissionnaires. Par conséquent, selon la requérante, le fait d’avoir participé à l’élaboration de certains documents dans le cadre d’une autre procédure d’appel d’offres, sans que cette élaboration ne soit intervenue dans la perspective du nouveau marché, ne saurait constituer en soi un motif suffisant pour conclure à l’existence d’une situation de conflit d’intérêts en ce qui la concerne. En outre, elle considère qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 3 mars 2005, Fabricom, C‑21/03 et C‑34/03, Rec, EU:C:2005:127) que l’expérience acquise au titre d’un marché antérieur ne saurait être de nature à fausser la concurrence, car dans ce cas la plupart des soumissionnaires devraient être exclus des nouvelles procédures d’appel d’offres pour ce motif.

64      La Commission soutient que la lettre du 10 août 2012 reconnaissait expressément à la requérante la possibilité de clarifier sa situation avant que la décision contenue dans la lettre du 12 septembre 2012 ne soit adoptée. De plus, il ressortait de cette dernière lettre que le pouvoir adjudicataire aurait « dûment pris en compte les éléments que [la requérante a[vait] exposés dans [sa] lettre […] du 13 août [2012] » et se serait basée sur l’analyse des offres concrètes.

65      S’agissant des éléments de preuve du conflit d’intérêts en cause, la Commission fait valoir que, ainsi qu’il ressort de la lettre du 12 septembre 2012, un certain nombre de documents rédigés par la requérante dans le cadre d’un précédent marché avaient été joints au cahier des charges du nouvel appel d’offres. Ces documents « serv[aient] de base à une part importante des activités faisant l’objet de l’appel d’offres en cours ». La Commission ne conteste pas, ainsi que le relève la requérante, que les documents ont été mis à la disposition de tous les candidats potentiels. Elle rétorque toutefois que la requérante a eu accès auxdits documents avant les autres soumissionnaires, bénéficiant ainsi d’un avantage concurrentiel, notamment lors de la recherche des experts qualifiés. Par ailleurs, sans prétendre que tel soit le cas en l’espèce, la Commission suggère que, en ayant participé à leur rédaction, la requérante aurait été en mesure de rédiger les documents en question de façon à se procurer un avantage concurrentiel pour le marché en cause.

66      Enfin, la jurisprudence citée par la requérante (arrêt Fabricom, point 63 supra, EU:C:2005:127, points 29 et 36) ne soutiendrait pas la thèse de cette dernière, mais étayerait plutôt la position de la Commission, à savoir que la personne ayant participé à certains travaux préparatoires peut se trouver favorisée pour formuler son offre, en raison des informations qu’elle a pu obtenir au sujet du marché public en cause en effectuant lesdits travaux préparatoires. Or, tous les soumissionnaires doivent disposer des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres. Dès lors, la Commission estime suffisant le fait d’avoir établi l’existence d’un risque consistant en un avantage concurrentiel pour la requérante, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que ledit avantage a eu des conséquences concrètes en l’espèce.

67      Il convient de préciser que la passation des marchés publics de services de la Commission est régie par les dispositions du titre V de la première partie du règlement financier.

68      La base juridique de la lettre du 10 août 2012 se trouve à l’article 94 du règlement financier, repris au point 15 du cahier des charges. Le règlement en question s’applique, selon ses propres termes, à tous les marchés publics financés totalement ou partiellement par le budget des Communautés et désormais de l’Union.

69      L’article 94 du règlement financier comporte les dispositions suivantes :

« Sont exclus de l’attribution d’un marché, les candidats ou les soumissionnaires qui, à l’occasion de la procédure de passation de ce marché :

a)      se trouvent en situation de conflit d’intérêts […] »

70      Le paragraphe 15 du cahier des charges, intitulé « Motifs d’exclusion », dispose :

« Les soumissionnaires doivent soumettre ensemble avec l’offre, une déclaration signée, incluse dans le formulaire type, attestant qu’ils ne se trouvent pas dans l’une des situations d’exclusion énumérées au point 2.3.3 du [guide pratique]. »

71      Aux termes du point 2.3.3 du guide pratique :

« Sont exclus de l’attribution d’un marché, les candidats, les demandeurs ou les soumissionnaires qui, à l’occasion de la procédure de passation de ce marché :

a)      se trouvent en situation de conflit d’intérêts ;

[…]

Il convient de rappeler, avant de proposer (comité d’évaluation) et de décider (pouvoir adjudicateur) d’exclure un candidat/soumissionnaire/demandeur, que les principes tels que les droits de la défense et la proportionnalité doivent être respectés. À cette fin, sauf si les preuves sont telles qu’aucune autre question n’est nécessaire (par exemple, si le candidat/soumissionnaire/demandeur reconnaît explicitement les faits entraînant l’exclusion), l’exclusion sera fondée sur une procédure contradictoire avec le candidat/soumissionnaire/demandeur concerné. »

72      Au point 2.3.6 du guide pratique, mentionné dans la lettre du 10 août 2012, figure la notion de conflit d’intérêts, expliquée comme suit :

« Conflit d’intérêts : il y a conflit d’intérêts lorsque l’exercice impartial et objectif des fonctions du pouvoir adjudicateur ou lorsque l’égalité de traitement d’un candidat/soumissionnaire/demandeur à l’occasion d’une procédure d’attribution ou de l’exécution d’un contrat est compromis pour des motifs familiaux, affectifs, d’affinité politique ou nationale, d’intérêt économique ou pour tout autre motif de communauté d’intérêt avec le bénéficiaire de programmes financés par l’[Union]. Il y a un risque de conflit d’intérêts lorsque, par exemple, un individu participant à la procédure (comité d’évaluation, pouvoir adjudicateur, etc.) peut octroyer à lui-même ou à autrui des avantages directs ou indirects injustifiés en influant sur le résultat de la procédure ; ou lorsqu’un expert/une société [a] la possibilité d’obtenir des informations privilégiées donnant lieu à une concurrence déloyale lors des procédures ultérieures ou connexes.

Par exemple, toute société ou tout expert participant à la préparation d’un projet (par exemple, à la rédaction des termes de référence) doit, de manière générale, être exclu de la participation aux appels d’offres qui en découlent, sauf s’i[l] apport[e] la preuve au pouvoir adjudicateur que [son] implication dans les étapes précédant l’appel d’offres ne constitue pas une concurrence déloyale.

Les candidats/soumissionnaires/demandeurs qui se trouvent dans une situation de conflit d’intérêts dans le cadre d’une procédure d’attribution de marché/d’octroi de subvention doivent être exclus de ladite procédure. Les motifs d’exclusion doivent être analysés au cas par cas. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, l’exclusion doit se fonder sur l’existence d’un risque réel de conflit d’intérêts, étayé par les circonstances spécifiques de l’affaire en question. Une exclusion automatique prive le candidat/soumissionnaire/demandeur du droit de présenter des éléments de preuve susceptibles d’écarter toute suspicion de conflit d’intérêts.

[…] »

73      En l’espèce, il y a lieu d’examiner si le pouvoir adjudicateur pouvait considérer qu’il existait un risque de conflit d’intérêts en ce qui concernait la requérante, au regard de l’article 94, sous a), du règlement financier, tel qu’interprété par la jurisprudence, sur la base des éléments à sa disposition au moment de l’adoption de la décision contenue dans la lettre du 10 août 2012.

74      À cet égard, il importe de rappeler que l’article 94 du règlement financier ne permet d’exclure un soumissionnaire d’une procédure de passation d’un marché public que si la situation de conflit d’intérêts qu’il vise est réelle et non hypothétique. Cela ne signifie pas qu’un risque de conflit d’intérêts soit insuffisant pour exclure une offre. En effet, ce n’est en principe que lors de l’exécution du contrat qu’un conflit d’intérêts pourra trouver à se concrétiser. Avant la conclusion du contrat, un conflit d’intérêts ne peut être que potentiel et ladite disposition du règlement financier implique donc un raisonnement en termes de risque. Cependant, ce risque doit être effectivement constaté, à la suite d’une appréciation concrète de l’offre et de la situation du soumissionnaire, pour que celui‑ci puisse être exclu de la procédure. La simple éventualité d’un conflit d’intérêts ne saurait suffire à cette fin (arrêt Deloitte Business Advisory/Commission, point 62 supra, EU:T:2007:107, point 67).

75      La notion de conflit d’intérêts présente un caractère objectif et, pour la caractériser, il convient de faire abstraction des intentions des intéressés, en particulier de leur bonne foi (voir arrêt du 20 mars 2013, Nexans France/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑415/10, Rec, EU:T:2013:141, point 115 et jurisprudence citée).

76      Il n’existe pas d’obligation absolue qui incomberait aux pouvoirs adjudicateurs d’exclure systématiquement les soumissionnaires en situation de conflit d’intérêts, une telle exclusion n’étant pas justifiée dans les cas dans lesquels il est possible de démontrer que cette situation est demeurée sans incidence sur leur comportement dans le cadre de la procédure d’appel d’offres et qu’elle ne comporte pas de risque réel de survenance de pratiques susceptibles de fausser la concurrence entre les soumissionnaires. En revanche, l’exclusion d’un soumissionnaire en situation de conflit d’intérêts est indispensable lorsqu’il n’existe pas de remède plus adéquat pour éviter toute violation des principes d’égalité de traitement entre les soumissionnaires et de transparence (arrêt Nexans France/Entreprise commune Fusion for Energy, point 75 supra, EU:T:2013:141, points 116 et 117).

77      En effet, selon une jurisprudence constante, le pouvoir adjudicateur est tenu de veiller, à chaque phase d’une procédure d’appel d’offres, au respect du principe d’égalité de traitement et, par voie de conséquence, au respect de l’égalité des chances de tous les soumissionnaires (voir arrêt du 12 juillet 2007, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑250/05, EU:T:2007:225, point 45 et jurisprudence citée).

78      Plus précisément, le principe d’égalité des chances impose, selon la jurisprudence, que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que celles-ci soient soumises aux mêmes conditions pour tous ces soumissionnaires. Quant au principe de transparence, qui en constitue un corollaire, il a essentiellement pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Il implique que toutes les conditions et modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque, dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges (arrêt du 9 septembre 2009, Brink’s Security Luxembourg/Commission, T‑437/05, Rec, EU:T:2009:318, points 114 et 115). Le principe de transparence implique, en outre, que toutes les informations techniques pertinentes pour la bonne compréhension de l’avis de marché ou du cahier des charges soient mises, dès que possible, à la disposition de l’ensemble des entreprises participant à un marché public, de façon, d’une part, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, d’autre part, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier si effectivement les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause (voir arrêt du 29 janvier 2014, European Dynamics Belgium e.a./EMA, T‑158/12, EU:T:2014:36, point 60 et jurisprudence citée).

79      Il ressort de la jurisprudence mentionnée aux points 74 à 78 ci-dessus que le raisonnement en termes de risque de conflit d’intérêts impose une appréciation concrète, d’une part, de l’offre et, d’autre part, de la situation du soumissionnaire concerné, et que l’exclusion de ce soumissionnaire est un remède qui vise à garantir le respect des principes de transparence et d’égalité des chances des soumissionnaires.

80      Afin de déterminer si, en l’espèce, il y a eu violation de l’article 94 du règlement financier, il y a donc lieu d’examiner, dans le cadre d’une analyse objective faisant abstraction des intentions de la requérante, si le risque de conflit d’intérêts ressort de la situation de cette dernière et d’une appréciation concrète de son offre.

81      En premier lieu, il convient de rappeler que, selon la Commission, l’exclusion de la requérante pour des raisons de conflit d’intérêts poursuit l’objectif de garantir le respect du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires. À cet égard, elle fait valoir que la requérante avait eu accès avant les autres à certains documents utilisés comme base pour une partie des activités liées au projet d’appel d’offres en cause, au motif que la requérante avait fait partie du consortium ayant rédigé les documents en question dans le cadre d’une autre procédure d’appel d’offres. Il ressort de la lettre du 10 août 2012 que cet accès aurait fourni à la requérante la disponibilité d’« informations privilégiées » au sens du point 2.3.6 du guide pratique. La Commission estime ainsi, conformément à ce qui figure dans la lettre en question, que cet accès avant les autres soumissionnaires aurait procuré à la requérante un avantage concurrentiel par rapport à ces derniers.

82      Cependant, il ne saurait être accepté que le risque de conflit d’intérêts puisse être fondé sur le simple fait que la requérante a eu accès, avant les autres soumissionnaires, à des documents propres à une autre procédure d’appel d’offres en raison de son appartenance au consortium ayant rédigé ces documents qui, par la suite, ont été retenus afin d’être utilisés comme référence pour des activités liées à l’appel d’offres en cause en l’espèce.

83      En effet, l’argument de la Commission selon lequel la requérante, en faisant partie du consortium ayant rédigé les documents en question, aurait pu en influencer la rédaction de manière à s’accorder un avantage concurrentiel pour l’appel d’offres en cause en l’espèce ne saurait prospérer. À ce titre, il ressort clairement de la jurisprudence mentionnée aux points 74 et 75 ci-dessus que le conflit d’intérêts doit présenter un caractère objectif qui exige de faire abstraction des intentions de l’intéressé et que la simple éventualité d’un conflit d’intérêts ne saurait suffire, car ledit risque doit être effectivement constaté en l’espèce. Ainsi, le risque de conflit d’intérêts ne saurait être fondé sur la simple présomption que, au moment de la rédaction des documents en question dans le cadre d’une autre procédure d’appel d’offres, la requérante connaissait l’intention du pouvoir adjudicateur de publier un nouvel avis d’appel d’offres et son intention de choisir les documents rédigés par le consortium dont elle faisait partie comme base pour certaines activités concernées par le marché public visé par le nouvel appel d’offres.

84      Au sens de la jurisprudence mentionnée au point 66 ci‑dessus ainsi que du point 2.3.6 du guide pratique, le risque de conflit d’intérêts existe pour la personne qui, chargée des travaux préparatoires dans le cadre d’un marché public, participe à ce même marché. À cet égard, il y a lieu de souligner que, lorsque la Cour a utilisé, au point 29 de l’arrêt Fabricom, point 63 supra (EU:C:2005:127), l’expression « travaux préparatoires », elle faisait référence à ceux effectués dans le cadre d’une seule et même procédure d’appel d’offres.

85      Dès lors, la Commission n’était pas fondée à assimiler la rédaction de documents rédigés dans le cadre d’une autre procédure d’appel d’offres à l’hypothèse de travaux préparatoires relevant de la procédure d’appel d’offres en cause au sens de la jurisprudence mentionnée au point 63 ci-dessus, à moins de démontrer objectivement et concrètement, d’une part, que lesdits documents avaient été préparés en vue de la procédure d’appel d’offres en cause et, d’autre part, qu’ils avaient apporté un avantage réel à la requérante. En l’absence d’une telle démonstration, les documents rédigés dans le cadre d’une autre procédure d’appel d’offres et choisis ultérieurement par le pouvoir adjudicateur comme référence pour une partie des activités d’une procédure d’appel d’offres différente ne sauraient donc être considérés comme des « travaux préparatoires » au sens de la jurisprudence précitée, ni au sens du point 2.3.6 du guide pratique, lequel identifie notamment comme travaux préparatoires ceux concernant la « préparation du projet », tels que la rédaction du cahier des charges.

86      En l’espèce, force est de constater que l’exclusion de la requérante de l’attribution du marché a été fondée sur le simple fait qu’elle faisait partie d’un consortium ayant rédigé des documents relevant d’une précédente procédure d’appel d’offres, alors qu’il n’a pas été soutenu que les autres soumissionnaires n’auraient pas eu accès à ces mêmes documents en temps utile. En outre, la rédaction desdits documents n’impliquait pas la participation de la requérante à la rédaction du cahier des charges de l’appel d’offres en cause. Dès lors, il n’a pas été démontré que la requérante disposait de plus d’informations que les autres soumissionnaires, ce qui aurait constitué une atteinte aux principes d’égalité de traitement et de transparence.

87      Il s’ensuit que les documents en cause ne constituent pas des « informations privilégiées » au sens du point 2.3.6 du guide pratique. L’exclusion de la requérante, contrairement à ce que prétend la Commission, n’est donc pas visée par ledit point du guide pratique et n’est ainsi pas justifiée par une atteinte aux principes d’égalité de traitement et de transparence.

88      Par ailleurs, qualifier les documents rédigés dans le cadre d’une autre procédure d’appel d’offres de « travaux préparatoires », au motif qu’ils ont été retenus par le pouvoir adjudicateur comme référence pour les activités liées à une procédure d’appel d’offres ultérieure, reviendrait, ainsi que le fait valoir à juste titre la requérante, à considérer automatiquement que l’expérience acquise en raison de la participation à une procédure d’appel d’offres précédente est susceptible de fausser la concurrence.

89      En second lieu, il n’apparaît pas que la décision contenue dans la lettre du 10 août 2012 ait été adoptée à la suite d’une appréciation concrète de l’offre de la requérante. En effet, cette lettre se borne à indiquer, sans autre précision, que le risque de conflit d’intérêts imputé à la requérante, tel que visé au point 2.3.6 du guide pratique, n’a pu être valablement établi qu’à la suite d’un examen des candidatures des soumissionnaires au cas par cas.

90      Or, effectivement, la référence à un examen « au cas par cas », telle qu’elle figure dans la lettre du 10 août 2012, reprend le libellé du point 2.3.6 du guide pratique, lequel s’inspire de la jurisprudence mentionnée au point 74 ci-dessus. Toutefois, force est de constater qu’une telle référence n’est soutenue par aucun élément de preuve démontrant qu’un tel examen concret a eu lieu.

91      À cet égard, il importe de souligner que, pour la première fois dans le mémoire en défense, et sans que cela soit indiqué dans la lettre du 10 août 2012, la Commission a avancé l’hypothèse que la requérante, en raison de son prétendu « accès privilégié » à certains documents choisis pour servir de base à une partie importante des activités faisant l’objet du marché en cours, avait pu bénéficier d’un avantage concurrentiel dans le choix des experts qualifiés pour accomplir lesdites activités.

92      Cependant, d’une part, la Commission ne fournit aucun élément de preuve permettant de vérifier s’il ressort de la formulation de l’offre de la requérante qu’elle aurait disposé de plus d’informations par rapport aux autres soumissionnaires, dès lors que, ainsi qu’il a été précisé au point 86 ci-dessus, il est constant que les documents en question ont été rédigés dans le cadre d’une autre procédure d’appel d’offres, qu’ils n’impliquent pas la rédaction du cahier des charges de l’appel d’offres en cause et qu’ils ont été mis à la disposition de tous les soumissionnaires dans le cadre de la présente procédure d’appel d’offres.

93      D’autre part, s’agissant de l’argument de la Commission relatif au choix des experts qualifiés, force est de constater qu’aucun élément n’a été versé au dossier pouvant démontrer un lien entre les documents concernés et ledit choix effectué par la requérante, ni a fortiori que ledit choix aurait eu une incidence sur les chances de succès de l’offre de la requérante.

94      Il résulte de l’ensemble des observations qui précèdent que le pouvoir adjudicateur n’était pas fondé à estimer qu’un risque de conflit d’intérêts en ce qui concernait la requérante avait pu être établi à la suite d’une appréciation concrète de l’offre de cette dernière. En revanche, il y a lieu de considérer que le risque de conflit d’intérêts n’a pas été établi de manière objective et le rejet de l’offre du consortium dont la requérante faisait partie s’avère injustifié et contraire aux dispositions de l’article 94 du règlement financier.

95      Par conséquent, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le premier moyen ni le premier grief du second moyen soulevés par la requérante, il y a lieu d’accueillir le second moyen et d’annuler la décision contenue dans la lettre du 10 août 2012, en ce qu’elle a établi que le marché ne pouvait pas être attribué au consortium dont la requérante faisait partie. En revanche, ainsi qu’il résulte du point 59 ci-dessus, la demande ayant pour objet l’annulation de la prétendue décision implicite de rejet de la réclamation de la requérante est rejetée comme irrecevable.

 Sur les dépens

96      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions et la requérante ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante dans le cadre du présent recours et de la demande en référé introduite par cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de rejet de l’offre du consortium dont Intrasoft International SA faisait partie, contenue dans la lettre du 10 août 2012 rédigée par la délégation de l’Union européenne en République de Serbie en tant que pouvoir adjudicateur subdélégué de la Commission européenne et relative à la procédure d’appel d’offres EuropeAid/131367/C/SER/RS, intitulée « Assistance technique à l’administration des douanes serbe dans le cadre de la modernisation du système douanier », est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

Martins Ribeiro

Gervasoni

Madise

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 octobre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.