Language of document : ECLI:EU:T:2021:664

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

6 octobre 2021 (*)

« Droit institutionnel – Parlement – Mesure adoptée par le président du Parlement interdisant les drapeaux nationaux sur les pupitres des députés − Règles de conduite des députés – Article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑88/20,

Jérôme Rivière, demeurant à Nice (France), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Me F. Wagner, avocat,

parties requérantes,

soutenus par

Gunnar Beck, demeurant à Neuss (Allemagne),

et

Philippe Olivier, demeurant à Draveil (France),

représentés par Me F. Wagner, avocat,

parties intervenantes,

contre

Parlement européen, représenté par MM. N. Lorenz et T. Lukácsi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la mesure adoptée par le président du Parlement le 13 janvier 2020 visant à interdire aux députés d’arborer le drapeau national sur leur pupitre,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. C. Iliopoulos et R. Norkus (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les requérants, M. Jérôme Rivière et les autres requérants dont les noms figurent en annexe, sont des députés élus au Parlement européen.

2        Le 13 janvier 2020, le président du Parlement a adopté oralement des mesures visant à assurer le respect de l’ordre dans l’hémicycle tant par le public que par les députés lors de la séance plénière du même jour.

3        La mesure adoptée dans ce cadre à l’égard des députés s’est traduite notamment par une interdiction d’arborer le drapeau national sur leur pupitre (ci-après la « mesure contestée ») sur le fondement de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement (ci-après le « règlement intérieur »). Ladite mesure a été réitérée lors des séances plénières des 29 et 30 janvier 2020.

 Procédure et conclusions des parties

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 février 2020, les requérants ont introduit le présent recours.

5        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 2020, le Parlement a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal.

6        Le 17 juillet 2020, les requérants ont déposé leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité.

7        Par ordonnance du Tribunal du 27 septembre 2020, l’exception a été jointe au fond au titre de l’article 130, paragraphe 7, du règlement de procédure.

8        Le 5 novembre 2020, le Parlement a déposé son mémoire en défense.

9        Par ordonnance de la présidente de chambre du 27 novembre 2020, MM. Gunard Beck et Philippe Olivier ont été admis à intervenir au soutien des conclusions des requérants. Ils ont déposé leur mémoire en intervention le 11 janvier 2021.

10      Le 25 janvier 2021, les requérants et le Parlement ont respectivement déposé leurs observations sur le mémoire en intervention.

11      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler la mesure contestée ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

12      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

13      À l’instar des requérants, les intervenants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la mesure contestée et de condamner le Parlement aux dépens.

 En droit

14      À l’appui de leurs recours, les requérants soulèvent quatre moyens. Le premier moyen se divise en deux branches tirées, la première, de la violation et de la dénaturation en droit et en fait de l’article 10 du règlement intérieur et, la seconde, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, TUE. Le deuxième moyen est tiré de la violation du principe de sécurité juridique. Le troisième moyen est tiré de l’abus de pouvoir. Enfin, le quatrième moyen est tiré de la violation des principes d’égalité de traitement, de légalité, de bonne administration, du fumus persecutionis et de la violation de la liberté d’expression des députés.

15      Le Parlement soulève, à titre principal, une exception d’irrecevabilité tirée, premièrement, de l’absence d’acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE, deuxièmement, de l’absence de qualité pour agir des requérants et, troisièmement, du défaut d’intérêt pour agir, et soutient, à titre subsidiaire, que le recours n’est pas fondé en droit.

16      Le Tribunal examinera, tout d’abord, la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.

17      Le Parlement fait valoir que la mesure contestée constitue un acte d’organisation interne visant à maintenir l’ordre lors de la séance plénière du 13 janvier 2020 compte tenu du contexte politique dans lequel ladite séance s’inscrivait et, en particulier, de la présence dans la salle d’une délégation du gouvernement et du parlement catalans ainsi que de plusieurs groupes de visiteurs catalans.

18      Selon le Parlement, cette mesure a consisté en une instruction donnée oralement, hors séance, aux services compétents en leur demandant d’assurer le strict respect de l’ordre dans l’hémicycle et de rappeler aux députés que, conformément à l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, il était interdit de déployer des banderoles ou des bannières. Elle se serait concrétisée, entre autres, par des rappels faits par les huissiers aux députés qui arboraient des drapeaux nationaux sur leur pupitre en leur indiquant que cela était contraire au règlement intérieur. Toutefois, lors de cette séance plénière, aucun député n’aurait été empêché de prendre la parole même s’il continuait à arborer le drapeau national refusant ainsi d’obtempérer.

19      S’agissant de la séance plénière du 30 janvier 2020, le Parlement indique que la présidente de séance a donné la parole à deux des requérants, MM. Rivière et Nicolaus Fest, en dépit du fait qu’ils arboraient un drapeau national. S’il est vrai que la présidente a coupé la parole à M. Fest, cela aurait été justifié par une violation du règlement intérieur en ce qu’il avait critiqué la manière dont elle exerçait la présidence et non par le fait qu’il arborait le drapeau national.

20      Le Parlement fait valoir que la mesure contestée avait donc pour but d’assurer le bon déroulement des travaux et le maintien de l’ordre dans l’hémicycle et s’inscrivait dans le cadre des prérogatives du président conformément aux articles 22 et 23 du règlement intérieur. Le fait qu’elle n’ait pas été annoncée aux députés en séance plénière le 13 janvier 2020 démontrerait son caractère interne et le fait qu’elle relève de la gestion courante confiée au président de l’institution.

21      Selon le Parlement, ladite mesure ne produit aucun effet juridique à l’égard des requérants, étant donné qu’aucun d’entre eux n’a été empêché de prendre la parole, même lorsqu’ils continuaient à garder le drapeau sur le pupitre. Elle n’apporterait aucun changement dans leur situation juridique, étant donné que l’interdiction de déployer des banderoles et des bannières, telle qu’elle figure à l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, existe depuis le 13 septembre 2016. En tout état de cause, même à supposer que la mesure contestée ait produit des effets juridiques, ces derniers seraient de nature purement interne.

22      En outre, le Parlement fait valoir que ni l’interprétation littérale ni celle historique, systématique ou téléologique de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur ne permettent d’étayer la première branche du premier moyen de la requête tirée d’une violation de ladite disposition.

23      S’agissant de l’interprétation littérale, le Parlement soutient qu’il convient de prendre en compte non seulement la version française du règlement intérieur, mais aussi les autres versions linguistiques. À cet égard, il soutient que tant le terme « banners » de la version anglaise que le terme « faixas » de la version portugaise incluent les drapeaux.

24      S’agissant de l’interprétation historique, le Parlement fait valoir que son règlement et sa pratique s’inspirent des traditions communes aux parlements des États membres. Or, dans les parlements nationaux, y compris dans les États fédéraux, les élus ne porteraient pas les symboles de ceux qu’ils représentent, le décor et la salle plénière restant toujours neutres pour concentrer le débat sur la parole. Le Parlement s’inspirerait de cette pratique nationale d’autant plus que, initialement, ses membres étaient des délégués des parlements nationaux des États membres.

25      En revanche, selon le Parlement, dans les salles plénières des parlements nationaux, il y a traditionnellement un endroit où sont regroupés les drapeaux ou armoiries des régions de provenance des représentants unis dans un parlement. Or, même à cet égard, le Parlement suit la tradition nationale, car les drapeaux des États membres sont regroupés, dans la salle plénière, derrière le fauteuil du président.

26      S’agissant de l’interprétation systématique, le Parlement fait valoir, en substance, que les membres des institutions de l’Union européenne ne représentent pas leur État membre d’origine et, partant, n’arborent jamais leur drapeau national devant eux. Cette logique s’appliquerait à plus forte raison au Parlement, dont les membres représentent tous les citoyens de l’Union et non seulement ceux de l’État membre où ils ont été élus.

27      Enfin, s’agissant de l’interprétation téléologique, le Parlement fait valoir qu’un parlement est le lieu où les élus débattent et échangent leurs vues oralement, l’expression orale étant la seule modalité d’expression réglementée et protégée par le règlement intérieur.

28      Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants contestent les arguments du Parlement.

29      Ils font valoir que la mesure contestée, laquelle aurait pour vocation d’être appliquée à toutes les séances plénières du Parlement, a été assortie d’une interdiction immédiate de prise de parole par les députés refusant de retirer les drapeaux en question. La sanction immédiate de retrait de la parole aurait été appliquée notamment à MM. Rivière, Fest et Nigel Farage, lors des séances plénières des 29 et 30 janvier 2020. Par conséquent, le président du Parlement aurait adopté une mesure qui dépasse la sphère de l’organisation interne de l’institution et produit des effets juridiques sur les conditions d’exercice des fonctions parlementaires des députés en les privant du droit d’intervenir dans le débat parlementaire.

30      Partant, selon les requérants, la mesure contestée constitue un acte dont l’annulation peut être demandée devant le Tribunal.

31      Il résulte d’une jurisprudence constante que l’Union est une communauté de droit en ce que ses institutions n’échappent pas au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle constituée par les traités et que ces derniers ont établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier au juge de l’Union le contrôle de la légalité des actes des institutions (voir, en ce sens, arrêts du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 23 ; du 23 mars 1993, Weber/Parlement, C‑314/91, EU:C:1993:109, point 8, et du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, EU:T:2001:242, point 48). La Cour a également dit pour droit que les actes du Parlement n’ont pas été soustraits par principe à un recours en annulation (arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 24).

32      En application de l’article 263 TFUE, le juge de l’Union contrôle la légalité des actes du Parlement destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers et distingue à cette fin deux catégories d’actes.

33      Les actes du Parlement qui ne peuvent faire l’objet d’un recours en annulation sont ceux ne touchant que l’organisation interne de ses travaux (ordonnances du 4 juin 1986, Groupe des droites européennes/Parlement, 78/85, EU:C:1986:227, point 11 ; du 22 mai 1990, Blot et Front national/Parlement, C‑68/90, EU:C:1990:222, point 11, et arrêt du 23 mars 1993, Weber/Parlement, C‑314/91, EU:C:1993:109, point 9). Relèvent de cette catégorie les actes du Parlement qui soit ne produisent pas d’effets juridiques, soit ne produisent des effets juridiques qu’à l’intérieur du Parlement en ce qui concerne l’organisation de ses travaux et sont soumis à des procédures de vérification fixées par son règlement intérieur (arrêts du 23 mars 1993, Weber/Parlement, C‑314/91, EU:C:1993:109, point 10, et du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, EU:T:2001:242, point 52).

34      En revanche, sont attaquables devant le juge de l’Union les actes du Parlement qui produisent ou sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard de tiers ou, en d’autres termes, les actes dont les effets juridiques dépassent le cadre de l’organisation interne des travaux de l’institution (arrêts du 23 mars 1993, Weber/Parlement, C‑314/91, EU:C:1993:109, point 11, et du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, EU:T:2001:242, point 53).

35      Le Tribunal a rappelé que les membres du Parlement, détenteurs d’un mandat de représentant des peuples des États membres de l’Union, doivent, à l’égard d’un acte émanant du Parlement et produisant des effets juridiques en ce qui concerne les conditions d’exercice de ce mandat, être considérés comme des tiers au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, EU:T:2001:242, point 61).

36      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la question de la recevabilité d’un recours en annulation s’apprécie en fonction de critères objectifs tenant à la substance même des actes attaqués. La forme dans laquelle une décision ou un acte est pris est, en principe, indifférente en ce qui concerne la possibilité d’attaquer cet acte ou cette décision par un recours en annulation (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, EU:T:2001:242, point 26 et jurisprudence citée).

37      En l’espèce, les requérants sont des députés élus au Parlement et la mesure contestée est un acte adopté oralement par le président du Parlement à l’occasion de la séance plénière du 13 janvier 2020. Il y a donc lieu de vérifier si cette mesure peut être considérée, sur le plan substantiel, comme produisant des effets juridiques de nature à affecter les conditions d’exercice de leur mandat, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique.

38      Il ressort des écrits des parties que la mesure contestée consiste en une interdiction, adressée aux membres du Parlement au titre de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, d’arborer des drapeaux nationaux sur leur pupitre. Bien que les requérants fassent également valoir une interdiction de prise de parole appliquée aux députés ne respectant pas ladite mesure, rien ne permet d’établir que cette dernière va au-delà de l’interdiction d’arborer des drapeaux nationaux.

39      Les requérants estiment que la mesure contestée ne peut pas être fondée sur l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur. À cet égard, ils font valoir qu’un petit drapeau national déposé par un député sur son pupitre n’est ni une banderole ni une bannière et ne rentre donc pas dans la sphère d’application dudit article. À l’appui de cet argument, les requérants citent les définitions des termes « banderole » et « bannière » du dictionnaire Grand Robert de la langue française et produisent une lettre du service du Dictionnaire de l’Académie française comportant des explications relatives aux différences de sens entre les termes « banderole », « bannière » et « drapeau ».

40      Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, pour interpréter une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [voir arrêt du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑122/18, EU:C:2020:41, point 39 et jurisprudence citée].

41      L’article 10 du règlement intérieur régit, comme son intitulé l’indique, les règles de conduite des députés et vise, notamment, à garantir le bon déroulement des travaux parlementaires dans le respect mutuel des orateurs. Aux termes du paragraphe 3 dudit article :

« Les députés ne perturbent pas le bon ordre dans la salle des séances et s’abstiennent de tout comportement déplacé. Ils ne déploient ni banderoles ni bannières ».

42      Il convient de relever que le terme « parlement » désigne historiquement une assemblée délibérante chargée de prendre des décisions ou d’adopter des lois par discussion et vote de ses membres. Cette tradition du débat oral a été perpétuée et se retrouve généralement inscrite, sous différents libellés, dans les actes réglementaires régissant le fonctionnement des assemblées législatives des États membres. Le règlement intérieur s’inspire de ces traditions parlementaires communes aux États membres, comme le Parlement lui-même le précise notamment aux points 17 et 21 du mémoire en défense.

43      Ainsi, il ressort de l’économie générale dudit règlement, en particulier de son article 171, que les députés, désignés également par le terme « orateurs », s’expriment en prenant la parole. Exceptionnellement, ils peuvent présenter une déclaration écrite une fois seulement par période de session parlementaire, et ce, à condition que ladite déclaration soit d’une longueur limitée à 200 mots. Le règlement intérieur ne prévoit aucun autre moyen d’expression dont disposeraient les participants aux débats.

44      Comme le Parlement le fait valoir à juste titre au point 34 de l’exception d’irrecevabilité et au point 24 du mémoire en défense, cette restriction concernant les moyens d’expression vise à garantir l’égalité des députés et, par conséquent, le bon déroulement des travaux parlementaires. C’est aussi dans la poursuite de ce double objectif que l’article 171, paragraphe 4, du règlement intérieur prévoit des critères précis de répartition du temps de parole entre les députés.

45      Or, une image ou un objet, par le symbole qu’il représente ou le message qu’il communique, peut incontestablement servir de moyen d’expression donnant ainsi aux députés qui l’utilisent la possibilité d’affirmer et de défendre leurs convictions politiques en dehors de leur temps de parole.

46      En l’espèce, il ressort des points 36 à 40 du mémoire en intervention, que les requérants reprennent expressément à leur compte, qu’un drapeau aux couleurs du pays d’un député, posé sur le pupitre de ce dernier, peut servir pour exprimer une opinion politique et qu’il constitue pour les membres de l’opposition eurosceptique une forme d’affirmation de leur identité et une expression de leur opinion dans l’exercice de leurs fonctions de députés au Parlement.

47      L’utilisation effective du drapeau national comme moyen d’expression en dehors du temps de parole durant les sessions plénières du Parlement ressort explicitement des éléments de preuve produits par les requérants eux-mêmes. Ainsi, il est précisé dans l’article produit en annexe 12‑2 de la requête que le fait d’apposer le drapeau national sur le pupitre constitue pour les députés du spectre politique dont font partie les requérants « une manière d’afficher ostensiblement leur attachement national et, dans le même temps, leurs différends à l’endroit de l’institution européenne ». L’emploi du drapeau comme vecteur d’opinion politique est également confirmé par M. Rivière dans l’entretien qu’il a accordé à un magazine produit en annexe 12‑3 de la requête.

48      Il apparaît donc avec évidence que le drapeau national, tel qu’il est exploité par les requérants sur leur pupitre de députés lors des séances plénières du Parlement, devient une sorte d’étendard d’un groupement politique et un symbole de la cause que celui-ci défend.

49      Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérants dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, il convient de rappeler que les membres du Parlement ne représentent ni les États membres de leur lieu d’élection ni même les électeurs de ces États, mais l’ensemble des citoyens de l’Union, conformément à l’article 14, paragraphe 2, TUE. De même, en vertu de l’article 22, paragraphe 2, TFUE, tous les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants ont le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement. Dans ces circonstances, le déploiement du drapeau d’un État membre en particulier sur le pupitre d’un député élu au Parlement est en discordance avec la fonction représentative dudit député telle qu’elle est définie par les traités.

50      Or, il ressort des versions de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur établies dans d’autres langues officielles de l’Union que les termes utilisés dans ces langues correspondant aux termes français « bannière » et « banderole » désignent généralement des objets souvent réalisés en tissus, fixés parfois sur des bâtons en bois et sur lesquels sont inscrits, notamment, des slogans politiques, une devise ou la déclaration d’un appel ou d’un objectif politique. En raison de la fonction que les requérants attribuent au drapeau arboré sur leur pupitre, ledit drapeau est réduit à un simple moyen d’expression ou de communication d’opinions et ne se distingue plus des objets désignés par les termes français « bannière » et « banderole » ou leurs équivalents dans les autres langues officielles.

51      Une telle conduite des requérants étant de nature à perturber le bon déroulement des travaux parlementaires, elle s’inscrit dans le champ d’application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur.

52      Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de constater que la mesure contestée s’inscrit dans le cadre de l’organisation interne des travaux du Parlement et ne produit pas d’effets juridiques de nature à affecter les conditions d’exercice du mandat de député des requérants en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique. Par conséquent, ladite mesure ne constitue pas un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.

53      Partant, il y a lieu de rejeter le recours comme étant irrecevable, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les requérants disposent de la qualité pour agir et d’un intérêt à agir.

 Sur les dépens

54      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Parlement, conformément aux conclusions de ce dernier.

55      En outre, en application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, il y a lieu de mettre à la charge des intervenants leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      M. Jérôme Rivière et les autres requérants dont les noms figurent en annexe sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen.

3)      MM. Gunnar Beck et Philippe Olivier supporteront leurs propres dépens.

Marcoulli

Iliopoulos

Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 octobre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

A. M. Collins


*      Langue de procédure : le français.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.