Language of document : ECLI:EU:T:2015:899

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

26 novembre 2015 (*)

« Aides d’État – Télévision numérique – Aide au déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées en Espagne – Décision déclarant les aides pour partie compatibles et pour partie incompatibles avec le marché intérieur – Ressources d’État – Activité économique – Avantage – Affectation des échanges entre États membres et distorsion de la concurrence – Service d’intérêt économique général – Article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE – Détournement de pouvoir »

Dans l’affaire T‑487/13,

Navarra de Servicios y Tecnologías, SA, établie à Pampelune (Espagne), représentée par Me A. Andérez González, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier, B. Stromsky et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

SES Astra, établie à Betzdorf (Luxembourg), représentée par Mes F. González Díaz, F. Salerno et V. Romero Algarra, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2014/489/UE de la Commission, du 19 juin 2013, relative à l’aide d’État SA.28599 [(C 23/2010) (ex NN 36/2010, ex CP 163/2009)] accordée par le Royaume d’Espagne en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées (excepté en Castille-La-Manche) (JO L 217, p. 52),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. A. Dittrich (rapporteur), président, J. Schwarcz et Mme V. Tomljenović, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 mars 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire concerne des mesures mises en exécution par les autorités espagnoles dans le cadre du passage de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique en Espagne en ce qui concerne l’ensemble du territoire espagnol, à l’exception de la communauté autonome de Castille-La-Manche (Espagne). Cette numérisation, qui peut techniquement être effectuée par le biais des plates-formes terrestre, satellitaire, câblée ou par le biais des accès à haut débit sur Internet, permet une utilisation plus efficace du spectre de fréquences radio. Dans la radiodiffusion numérique, le signal de télévision résiste mieux aux interférences et peut être accompagné d’une série de services complémentaires qui donnent une valeur ajoutée à la programmation. En outre, le processus de numérisation permet d’obtenir le soi-disant « dividende numérique », c’est-à-dire des fréquences libérées, puisque les technologies de la télévision numérique occupent un spectre bien moins large que les technologies analogiques. C’est en raison de ces avantages que la Commission européenne a encouragé, dès 2002, la numérisation dans l’Union européenne.

2        Le Royaume d’Espagne a instauré le cadre réglementaire nécessaire pour promouvoir le processus de transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique, en promulguant notamment la Ley 10/2005 de Medidas Urgentes para el Impulso de la Televisión Digital Terrestre, de Liberalización de la Televisión por Cable y de Fomento del Pluralismo (loi 10/2005 établissant des mesures urgentes en vue du développement de la télévision numérique terrestre, de la libéralisation de la télévision par câble et encourageant au pluralisme) du 14 juin 2005 (BOE n° 142, du 15 juin 2005, p. 20562, ci-après la « loi 10/2005 ») et le Real Decreto 944 /2005 por el que se aprueba el Plan técnico nacional de la televisión digital terrestre (décret royal 944/2005 portant approbation du programme technique national en faveur de la télévision numérique terrestre) du 29 juillet 2005 (BOE n° 181, du 30 juillet 2005, p. 27006, ci-après le « décret royal 944/2005 »). Ce décret royal a imposé aux radiodiffuseurs nationaux de couvrir 96 % de la population dans le cas du secteur privé et 98 % de la population dans le cas du secteur public sur leur territoire respectif.

3        Afin de gérer le passage de la télévision analogique à la télévision numérique, les autorités espagnoles ont divisé le territoire espagnol en trois zones distinctes :

–        dans la zone I, qui comprend 96 % de la population espagnole et qui a été considérée comme commercialement rentable, le coût du passage au numérique a été supporté par les radiodiffuseurs publics et privés ;

–        dans la zone II, qui comprend des régions moins urbanisées et éloignées représentant 2,5 % de la population espagnole, les radiodiffuseurs, à défaut d’intérêt commercial, n’ont pas investi dans la numérisation, ce qui a amené les autorités espagnoles à mettre en place un financement public ;

–        dans la zone III, englobant 1,5 % de la population espagnole, la topographie exclut la transmission numérique terrestre, de sorte que le choix s’est porté sur la plate-forme satellitaire.

4        Par décision du 7 septembre 2007, le Conseil des ministres espagnol a adopté le programme national en faveur du passage à la télévision numérique terrestre (ci-après la « TNT ») portant mise en œuvre du programme technique national prévu par le décret royal 944/2005. Ledit programme a divisé le territoire espagnol en 90 projets techniques de passage et a fixé une date limite pour la fin de la radiodiffusion analogique pour chacun de ces projets. L’objectif fixé dans ce programme était d’atteindre une couverture de la population espagnole par le service de TNT analogue à la couverture de ladite population par la télévision analogique en 2007, à savoir plus de 98 % de cette population et plus de 99,95 % de la population dans la communauté autonome de Navarre (Espagne).

5        Dès lors que les obligations de couverture fixées pour la TNT (voir point 2 ci-dessus) risquaient de conduire à une couverture de la population espagnole moindre que la couverture de ladite population par la radiodiffusion analogique préexistante, il était nécessaire de garantir la couverture télévisuelle dans la zone II. La présente affaire ne porte que sur le financement public accordé par les autorités espagnoles pour soutenir le processus de numérisation terrestre dans ladite zone, et plus particulièrement sur le financement de ce processus à l’intérieur des régions de la communauté autonome de Navarre qui sont situées dans cette zone.

6        Le 29 février 2008, le ministère de l’Industrie, du Tourisme et du Commerce espagnol (ci-après le « MITC ») a adopté une décision destinée à améliorer les infrastructures de télécommunication et à fixer les critères et la répartition du financement des actions menées en faveur du développement de la société de l’information dans le cadre d’un plan intitulé « Plan Avanza ». Le budget approuvé en vertu de cette décision a été alloué en partie à la numérisation de la télévision dans la zone II.

7        Entre juillet et novembre 2008, la numérisation dans la zone II a été conduite au moyen de différents addenda aux conventions-cadres de 2006 en vigueur signés par le MITC et les communautés autonomes du Royaume d’Espagne dans le cadre du Plan Avanza. À la suite de ces addenda, le MITC a transféré des fonds aux communautés autonomes, qui se sont engagées à couvrir les autres dépenses liées à l’opération avec leurs propres ressources budgétaires.

8        Le 17 octobre 2008, le Conseil des ministres espagnol a décidé d’assigner des fonds supplémentaires pour étendre et compléter la couverture de la TNT dans le cadre des projets de passage qui devaient être mis en œuvre au cours du premier semestre de 2009. Les fonds ont été accordés après la signature de nouvelles conventions-cadres entre le MITC et les communautés autonomes en décembre 2008 relatives à la mise en œuvre du programme national en faveur du passage à la TNT. Le 29 mai 2009, ledit Conseil des ministres a approuvé les critères de répartition des fonds alloués au financement des initiatives en faveur du passage à la TNT.

9        Après la signature des addenda aux conventions-cadres de 2008 relatifs à l’extension de couverture de la TNT et la publication de ces conventions-cadres et de ces addenda au Boletín oficial del Estado, les communautés autonomes ont engagé le processus d’extension. À cet effet, elles se sont occupées de l’organisation d’appels d’offres ou ont confié cette organisation à des entreprises privées. Dans certains cas, les communautés autonomes ont demandé aux communes de se charger de l’extension.

10      En règle générale, deux types d’appels d’offres ont été lancés en Espagne. Premièrement, il y a eu les appels d’offres pour l’extension de la couverture qui impliquaient de confier à l’attributaire la mission de fournir un réseau de TNT opérationnel. À cet effet, la conception et l’exploitation du réseau, le transport du signal, le déploiement du réseau et la fourniture de l’équipement nécessaire figuraient parmi les tâches à effectuer. Les autres appels d’offres portaient sur la fourniture d’équipements de télécommunication.

11      Au total, entre 2008 et 2009, près de 163 millions d’euros prélevés sur le budget central, en partie des prêts à des conditions préférentielles accordés par le MITC aux communautés autonomes, et environ 60 millions d’euros prélevés sur les budgets des seize communautés autonomes concernées ont été investis pour l’extension de la couverture dans la zone II. Par ailleurs, les communes ont financé l’extension à hauteur d’environ 3,5 millions d’euros.

12      À partir de 2009, la deuxième étape après l’extension de la TNT dans la zone II consistait, pour certaines communautés autonomes, à organiser d’autres appels d’offres ou à conclure, sans appels d’offres, les contrats d’exploitation et de maintenance de l’équipement numérisé et déployé pendant l’extension. Le montant total des fonds alloués au moyen d’appels d’offres pour l’exploitation et la maintenance pour les années allant de 2009 à 2011 s’élevait à au moins 32,7 millions d’euros.

13      En Navarre, la requérante, Navarra de Servicios y Tecnologías, SA, a succédé à Obras Públicas y Telecomunicaciones de Navarra, S.A.U. (Opnatel) dans tous ses droits et obligations à la suite d’une fusion par absorption le 1er juillet 2011. Opnatel avait été chargée par la communauté autonome de Navarre des missions de gestion et d’exploitation de l’infrastructure et de l’équipement de télécommunications en Navarre et, notamment, des centres de télécommunication et des systèmes de télédistribution. L’extension de la TNT à la zone II avait été confiée par le gouvernement de Navarre à Opnatel en collaboration avec une filiale à 100 % d’un exploitant d’infrastructures de télécommunications et fournisseur d’équipements de réseaux. Opnatel et, par la suite, la requérante constituaient des entreprises publiques appartenant à 100 % à ladite communauté autonome, cette dernière leur ayant octroyé des fonds pour soutenir le processus de numérisation.

14      Le 18 mai 2009, la Commission a reçu une plainte émanant d’un opérateur européen de satellites, à savoir l’intervenante, SES Astra, qui portait sur un régime d’aides présumé des autorités espagnoles en faveur du passage de la télévision analogique à la télévision numérique dans la zone II. Selon ledit opérateur, cette mesure comportait une aide non notifiée qui aurait créé une distorsion de concurrence entre la plate-forme de radiodiffusion terrestre et celle de radiodiffusion satellitaire.

15      Par lettre du 29 septembre 2010, la Commission a informé le Royaume d’Espagne de sa décision d’ouvrir la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE concernant l’aide en question sur l’ensemble du territoire espagnol, à l’exception de la communauté autonome de Castille-La-Manche, région dans laquelle une procédure indépendante a été ouverte (ci-après la « décision d’ouverture »). Par la publication de la décision d’ouverture, le 14 décembre 2010, au Journal officiel de l’Union européenne (JO C 337, p. 17), la Commission a invité les intéressés à présenter leurs observations.

16      Après avoir reçu des observations des autorités espagnoles et d’autres parties intéressées, la Commission a adopté, le 19 juin 2013, la décision 2014/489/UE relative à l’aide d’État SA.28599 [(C 23/2010) (ex NN 36/2010, ex CP 163/2009)] accordée par le Royaume d’Espagne en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées (excepté en Castille-La-Manche) (JO L 217, p. 52, ci-après la « décision attaquée »), dont le dispositif prévoit ce qui suit :

« Article premier

L’aide d’État accordée aux opérateurs de la plate-forme de télévision terrestre pour le déploiement, la maintenance et l’exploitation du réseau de télévision numérique terrestre dans la zone II, exécutée illégalement par [le Royaume d’]Espagne, en violation des dispositions de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, est incompatible avec le marché intérieur, à l’exception de l’aide qui aurait été accordée conformément au principe de neutralité technologique.

Article 2

L’aide individuelle octroyée au titre du régime visé à l’article 1er n’est pas constitutive d’une aide d’État si, au moment de son octroi, elle remplit les conditions établies dans le règlement adopté en vertu de l’article 2 du règlement (CE) n° 994/98 du Conseil, applicable au moment où l’aide est octroyée.

Article 3

1. [Le Royaume d’]Espagne devra récupérer, auprès des opérateurs de télévision numérique terrestre, l’aide incompatible accordée en vertu du régime visé à l’article 1er, qu’ils aient reçu l’aide directement ou indirectement.

2. Les sommes à récupérer produiront des intérêts à compter de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires, jusqu’à leur récupération effective.

3. Les intérêts seront calculés sur une base composée conformément au chapitre V du règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission.

4. [Le Royaume d’]Espagne annulera tous les paiements en suspens de l’aide visée à l’article 1er, à compter de la date de la notification de la présente décision.

Article 4

1. La récupération de l’aide octroyée dans le cadre du régime visé à l’article 1er sera immédiate et effective.

2. [Le Royaume d’]Espagne veillera à ce que la présente décision soit mise en œuvre dans un délai de quatre mois à compter de sa notification.

3. Dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, [le Royaume d’]Espagne communiquera les informations suivantes à la Commission :

a)      la liste des bénéficiaires qui ont reçu l’aide en vertu du régime cité à l’article 1er et le montant total de l’aide reçue par chacun d’entre eux, conformément audit régime, ventilé en fonction des catégories qui figurent à la section 6.2 ;

b)      le montant total (principal et intérêts) à recouvrer auprès de chaque bénéficiaire ;

[…]

Article 5

Le Royaume d’Espagne est destinataire de la présente décision. »

17      Aux fins de motiver la décision attaquée, en premier lieu, la Commission a considéré que les différents instruments adoptés au niveau central et les conventions qui avaient été conclues et modifiées entre le MITC et les communautés autonomes constituaient la base du régime d’aides pour l’extension de la TNT dans la zone II. Dans la pratique, les communautés autonomes auraient appliqué les directives du gouvernement espagnol sur l’extension de la TNT (considérant 91 de ladite décision).

18      En deuxième lieu, la Commission a constaté que la mesure en cause devait être considérée comme une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Étant donné que ladite mesure aurait été financée à partir du budget de l’État et des budgets de certaines communautés autonomes et communes, il s’agirait d’une intervention au moyen de ressources d’État. Selon la Commission, l’extension des réseaux d’émission de télévision était une activité économique et ne relevait pas de l’exercice de prérogatives de puissance publique. Les opérateurs de la plate-forme de TNT seraient les bénéficiaires directs de l’aide, tandis que les opérateurs de réseau qui auraient participé aux appels d’offres portant sur l’extension de la couverture seraient les bénéficiaires indirects de l’aide. L’avantage de cette mesure pour ces derniers opérateurs serait sélectif, car une telle mesure ne bénéficierait qu’au secteur de la radiodiffusion et, dans ce secteur, la même mesure ne concernerait que les entreprises qui intervenaient sur le marché de la plate-forme terrestre. Selon la décision attaquée, les autorités espagnoles ont présenté, comme le meilleur et l’unique exemple, le cas de la communauté autonome du Pays basque (Espagne) pour invoquer l’absence d’aide d’État conformément aux critères posés par la Cour dans l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, Rec, EU:C:2003:415). Toutefois, le premier critère de cet arrêt, selon lequel l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public et selon lequel ces obligations doivent être clairement définies, n’était, selon la Commission, pas satisfait. En outre, en l’absence de garantie du moindre coût dans l’intérêt général de ladite communauté autonome, le quatrième critère dudit arrêt n’aurait pas été satisfait. Selon la Commission, compte tenu du fait que les plates-formes de radiodiffusion satellitaire et terrestre étaient concurrentes, la mesure destinée au déploiement, à l’exploitation et à la maintenance de la TNT dans la zone II faussait le jeu de la concurrence entre les deux plates-formes. La mesure en question aurait également eu une incidence sur les échanges au sein de l’Union (considérants 94 à 141 de ladite décision).

19      En troisième lieu, la Commission a constaté que la mesure en cause ne pouvait être considérée comme une aide d’État compatible avec le marché intérieur, en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, en dépit du fait que cette mesure était destinée à atteindre un objectif d’intérêt commun bien défini et qu’elle avait reconnu l’existence d’une défaillance du marché. Selon elle, dès lors que ladite mesure ne respectait pas le principe de neutralité technologique, cette mesure n’était pas proportionnée et ne constituait pas un instrument approprié pour garantir la couverture des chaînes en clair aux résidents de la zone II (considérants 148 à 171 de la décision attaquée).

20      En quatrième lieu, la Commission a considéré que, en l’absence de définition avec précision de l’exploitation d’une plate-forme terrestre en tant que service public, la mesure en cause ne pouvait être justifiée au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE (considérant 172 de la décision attaquée).

21      En cinquième lieu, la Commission a relevé que la mesure en cause n’était pas une aide existante, parce que ladite mesure devait être considérée comme une modification ayant eu une influence sur la substance même du régime initial. Les autorités espagnoles auraient donc dû notifier cette mesure (considérants 173 à 175 de la décision attaquée).

22      En sixième lieu, la Commission a précisé les différents cas dans lesquels les autorités espagnoles devaient récupérer l’aide en cause auprès des bénéficiaires directs et indirects (considérants 179 à 197 de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 septembre 2013, la requérante a introduit le présent recours.

24      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 septembre 2013, l’intervenante a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du 10 février 2014.

25      L’intervenante a déposé son mémoire en intervention le 24 mars 2014. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 avril 2014, la requérante a présenté ses observations sur ce mémoire. La Commission n’a pas présenté d’observations sur le mémoire de l’intervenante.

26      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

27      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure du 2 mai 1991, le Tribunal a invité la Commission à produire des documents. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

28      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 17 mars 2015.

29      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où elle la concerne ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

31      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        faire droit aux conclusions de la Commission ;

–        condamner la requérante aux dépens découlant de son intervention.

 En droit

 Sur la recevabilité

32      La Commission conteste la recevabilité du recours et, plus précisément, la qualité pour agir de la requérante qui ne serait pas le destinataire de la décision attaquée. Elle ne disposerait pas d’informations suffisantes pour pouvoir s’assurer que la requérante est le bénéficiaire effectif de l’aide en cause et aurait, à cet égard, qualité pour agir.

33      Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas de cet article, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

34      En l’espèce, il est constant que la décision attaquée a pour unique destinataire le Royaume d’Espagne. Dans ces conditions, le recours en annulation n’est recevable, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que si la requérante est directement et individuellement concernée par la décision attaquée ou si la requérante est directement concernée par la décision attaquée et cette dernière constitue un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, Rec, EU:C:2013:852, point 19).

35      Selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec, EU:C:1963:17, p. 197, 223, et du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C‑525/04 P, Rec, EU:C:2007:698, point 30).

36      En outre, il ressort de la jurisprudence qu’une entreprise ne saurait, en principe, attaquer une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l’égard de l’entreprise requérante, comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec, EU:C:2004:240, point 37 et jurisprudence citée). Toutefois, les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides dont la Commission a ordonné la récupération sont, de ce fait, individuellement concernés au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, Rec, EU:C:2011:368, point 53 et jurisprudence citée).

37      En l’espèce, en vertu de l’article 1er de la décision attaquée, l’aide en cause a été octroyée aux opérateurs de réseau de TNT qui constituent donc les bénéficiaires de la mesure en cause. Il y a lieu de relever, ainsi que l’affirme la requérante, que, au considérant 193 de ladite décision, la Commission a expressément constaté que, dans le cas des communautés autonomes dans lesquelles l’extension de la couverture du réseau est mise en œuvre par une entreprise publique agissant en qualité d’opérateur de réseau, c’est cette entreprise qui est considérée comme étant le bénéficiaire directe de la mesure en cause et qui est donc concernée par sa récupération. Selon ledit considérant, Opnatel était une telle entreprise. Au considérant 194 de cette décision, la Commission a indiqué que, lorsqu’une entreprise publique avait attribué un marché public à un opérateur de réseau, il était possible que tous les deux soient concernés par la récupération de l’aide en cause. En outre, dans le tableau figurant au considérant 194 de la décision attaquée, la Commission a estimé à sept millions d’euros le montant approximatif accordé à Opnatel par la communauté autonome de Navarre pour l’extension de la couverture. De plus, selon le considérant 195 de la même décision, les opérateurs des réseaux de TNT sont les bénéficiaires de l’aide en cours pour la maintenance et l’exploitation de ces réseaux qui devrait être récupérée auprès d’eux. Enfin, il convient de rappeler que la requérante a succédé à Opnatel dans ses droits et obligations à la suite d’une fusion par absorption le 1er juillet 2011 (voir point 13 ci-dessus).

38      S’il est vrai que la détermination définitive des bénéficiaires effectifs de la mesure en cause n’a pas été effectuée dans la décision attaquée, mais sera faite dans le cadre de la phase de récupération de l’aide en cause, conformément à l’article 4 de la décision attaquée, il n’en demeure pas moins que, selon les constatations de la Commission figurant aux considérants 193 à 195 de ladite décision, Opnatel et la requérante ont effectivement reçu un certain montant de la communauté autonome de Navarre aux fins de l’extension de la couverture du réseau dans la zone II. Par conséquent, cette décision concerne la requérante en raison d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait. Il s’ensuit que la requérante a qualité pour agir.

39      Par conséquent, le recours est recevable.

 Sur le fond

40      Au soutien du recours, la requérante soulève quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en ce que la Commission a erronément constaté l’existence d’une aide d’État. Les autres moyens sont soulevés à titre subsidiaire. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’article 106, paragraphe 2, TFUE et du protocole n° 29 sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres complétant les traités UE et FUE (ci-après le « protocole n° 29 »). Le troisième moyen concerne la question de la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure en cause et est tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Par le quatrième moyen, la requérante fait valoir que la Commission a commis un détournement de pouvoir.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

41      Ce moyen est composé, en substance, de trois branches. Par la première branche, la requérante fait valoir qu’elle n’a pas bénéficié de l’utilisation de ressources d’État. La deuxième branche est tirée de l’absence d’avantage accordé à des entités exerçant une activité économique. Dans le cadre de la troisième branche, la requérante affirme qu’aucune distorsion de concurrence affectant les échanges entre les États membres n’a eu lieu.

–       Sur la première branche, tirée de l’absence de ressources d’État

42      La requérante fait valoir que la Commission a erronément considéré que l’aide présumée en cause avait été accordée au moyen de ressources d’État. Selon elle, son intervention et celle d’Opnatel se sont bornées à la fourniture et à l’équipement, à la demande et pour le compte de la communauté autonome de Navarre, du matériel nécessaire au passage à la TNT, qui devait être installé et mis en service dans les centres de télécommunication appartenant à cette communauté autonome. Ni Opnatel ni elle ne seraient donc destinataires des fonds publics affectés à la fourniture du matériel mais elles auraient simplement géré l’acquisition et l’installation de ce matériel pour le compte de ladite communauté autonome. Il en irait de même de l’aide présumée en cours.

43      À titre liminaire, il convient de rappeler que la qualification d’aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions visées par cette disposition soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt du 17 décembre 2008, Ryanair/Commission, T‑196/04, Rec, EU:T:2008:585, point 36 et jurisprudence citée).

44      La présente branche concerne plus particulièrement la première de ces conditions, aux termes de laquelle, pour que des mesures puissent être qualifiées d’aide d’État, elles doivent, d’une part, être accordées, directement ou indirectement, au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État (voir arrêts du 22 octobre 2008, TV2/Danmark e.a./Commission, T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, Rec, EU:T:2008:457, point 157 et jurisprudence citée, et du 6 octobre 2009, FAB/Commission, T‑8/06, EU:T:2009:386, point 49 et jurisprudence citée).

45      En l’espèce, il ressort des considérants 95 et 96 de la décision attaquée, ce que la requérante ne conteste d’ailleurs pas, que le déploiement, la maintenance et l’exploitation du réseau de TNT dans la zone II ont été financés à partir du budget de l’État espagnol et des budgets de certaines communautés autonomes et organismes locaux, et que l’aide en cours a été financée directement sur le budget des communautés autonomes. Il découle de ce qui précède que les ressources utilisées pour la mesure en cause constituaient des ressources d’État. À cet égard, étant donné que la décision attaquée se borne à examiner les caractéristiques d’un régime d’aides, la question de savoir si la requérante a reçu des ressources d’État n’est pas pertinente.

46      La première branche doit donc être rejetée.

–       Sur la deuxième branche, tirée de l’absence d’avantage accordé à des entités exerçant une activité économique

47      La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur en ce qu’elle a constaté l’existence d’un avantage accordé à une entité exerçant une activité économique. À cet égard, elle affirme que le cas d’espèce ne relève pas du champ d’application des règles relatives aux aides d’État. Selon elle, l’activité d’un État membre consistant à mettre en place une infrastructure ou un réseau public pour la fourniture de certains services, doté et financé au moyen de ressources publiques et destiné à l’ensemble de la population par sa vocation d’universalité et gratuité, conformément à un objectif de cohésion social et d’égalité de citoyens dans l’accès aux services de télévision, ne doit pas être qualifiée d’activité économique. Il n’existerait aucun marché pour la fourniture du service en cause dans la zone II. Le critère appliqué par la Commission conduirait à refuser l’intervention publique directe dans tout secteur ou domaine dans lequel il pourrait y avoir un opérateur privé intéressé à agir.

48      La présente branche concerne plus particulièrement la troisième des conditions prévues à l’article 107, paragraphe 1, TFUE et visées au point 43 ci-dessus, aux termes de laquelle sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises, ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (voir arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, Rec, EU:C:2010:481, point 40 et jurisprudence citée).

49      Il résulte d’une jurisprudence constante que, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, Rec, EU:C:2006:8, points 107 et 108 et jurisprudence citée). Le caractère économique ou non d’une activité ne dépend pas du statut privé ou public de l’entité qui l’exerce, ni de la rentabilité de cette activité (voir arrêt du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission, C‑288/11 P, Rec, EU:C:2012:821, point 50 et jurisprudence citée).

50      Selon la jurisprudence, ne présentent pas un caractère économique, justifiant l’application des règles de concurrence du traité FUE, les activités qui relèvent de l’exercice des prérogatives de puissance publique (voir, en ce sens, arrêts du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft, C‑364/92, Rec, EU:C:1994:7, points 30 et 31, et du 16 décembre 2010, Pays-Bas et NOS/Commission, T‑231/06 et T‑237/06, Rec, EU:T:2010:525, point 93).

51      En ce qui concerne l’éventuelle incidence de l’exercice des prérogatives de puissance publique sur la qualification d’une personne morale d’entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union, il convient de relever que la circonstance qu’une entité dispose, pour l’exercice d’une partie de ses activités, de prérogatives de puissance publique n’empêche pas, à elle seule, de la qualifier d’entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union pour le reste de ses activités économiques. La qualification d’activité relevant de l’exercice des prérogatives de puissance publique ou d’activité économique doit être faite à part pour chaque activité exercée par une entité donnée (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, Rec, EU:C:2008:376, point 25 et jurisprudence citée).

52      Il convient donc d’examiner si l’activité en cause relevait de l’exercice des prérogatives de puissance publique, ainsi que l’allègue la requérante, ou de l’exercice d’une activité économique.

53      À titre liminaire, s’agissant de la définition de l’activité en cause, il convient de constater que, en vertu de l’article 1er de la décision attaquée, l’activité en cause consistait dans le déploiement, la maintenance et l’exploitation du réseau de TNT dans la zone II par les communautés autonomes, les entreprises publiques et les communes. Dans la mesure où la requérante met en exergue le fait que l’activité en cause consistait à répondre aux besoins de l’ensemble de la population d’accéder aux services de télévision, il convient de rappeler que, en matière d’aides d’État, la finalité poursuivie par des interventions étatiques ne suffit pas à les faire échapper à la qualification d’« aides » au sens de l’article 107 TFUE. En effet, cet article ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, Rec, EU:C:2008:757, points 84 et 85 et jurisprudence citée). La Commission n’a donc pas commis d’erreur relative à la définition de l’activité en cause.

54      Afin de trancher la question de savoir si l’activité en cause en Navarre telle que définie dans la décision attaquée relevait de l’exercice des prérogatives de puissance publique ou de l’exercice d’activités économiques, il y a lieu de vérifier si cette activité, par sa nature, son objet et les règles auxquelles elle est soumise, se rattache à l’exercice des prérogatives de puissance publique ou si elle présente un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du droit de l’Union (voir arrêts du 18 mars 1997, Diego Calì & Figli, C‑343/95, Rec, EU:C:1997:160, points 16, 18 et 23 et jurisprudence citée, et du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C‑1/12, Rec, EU:C:2013:127, point 40 et jurisprudence citée).

55      Aux considérants 97 à 99 de la décision attaquée, la Commission a constaté que l’activité en cause constituait une activité économique au même titre que d’autres cas qui impliquaient la gestion d’infrastructures par les autorités régionales. Selon elle, le marché existait si, comme dans le cas d’espèce, d’autres opérateurs étaient disposés à offrir le service en cause ou étaient en mesure de le faire. Elle a considéré que l’exploitation du réseau de radiodiffusion terrestre ne relevait pas des prérogatives de l’État et qu’elle n’était pas une activité que seul l’État pouvait exercer. Les services concernés ne seraient pas ceux généralement exercés par une autorité publique et ils seraient de nature économique, ce qui serait démontré par le fait que plusieurs entreprises intervenaient sur le marché de la zone I. En outre, elle a considéré que l’intervenante souhaitait proposer ces services dans la zone II dans le cadre d’un appel d’offres et que l’activité en cause ne concernait que la transmission des chaînes nationales et régionales privées.

56      À la lumière des critères dégagés par la jurisprudence relatifs à la notion d’entreprise citée au point 54 ci-dessus, ces considérations démontrent à suffisance de droit que l’activité en cause, par sa nature, son objet et les règles auxquelles elle est soumise, ne se rattache pas à l’exercice des prérogatives de puissance publique mais qu’elle présente un caractère économique. Aucun argument avancé par la requérante ne permet de démontrer que la Commission a commis une erreur en qualifiant l’activité en cause d’activité économique.

57      En effet, premièrement, dans la mesure où la requérante souligne que l’activité en cause a été réalisée par l’intermédiaire d’Opnatel et elle-même agissant en tant que « moyen instrumental » propre à la communauté autonome de Navarre, il y a lieu de relever que, en ce qui concerne l’application éventuelle des règles de concurrence, il convient de distinguer entre l’hypothèse dans laquelle l’État agit en exerçant l’autorité publique et celle dans laquelle il exerce des activités économiques de caractère industriel ou commercial consistant à offrir des biens ou des services sur le marché. À cet égard, il n’importe pas que l’État agisse directement par le biais d’un organe faisant partie de l’administration publique ou par le biais d’une entité qu’il a investie de droits spéciaux ou exclusifs (voir arrêts Diego Calì & Figli, point 54 supra, EU:C:1997:160, points 16 et 17 et jurisprudence citée, et du 12 juillet 2012, Compass-Datenbank, C‑138/11, Rec, EU:C:2012:449, point 35 et jurisprudence citée). Le fait que, en l’espèce, le service en cause est fourni suite à une coopération entre une communauté autonome agissant par l’intermédiaire de son entreprise publique et des communes ne saurait donc permettre d’exclure l’existence d’une activité économique. Les obligations découlant du droit de l’Union s’appliquent à toutes les autorités des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 1989, Costanzo, 103/88, Rec, EU:C:1989:256, points 30 et 31). En outre, il convient de rappeler que le fait qu’une activité puisse être exercée par une entreprise privée constitue un indice supplémentaire permettant de qualifier l’activité en cause d’activité économique (arrêt du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C‑82/01 P, Rec, EU:C:2002:617, point 82).

58      Deuxièmement, s’agissant de l’argumentation de la requérante relative à l’absence de marché concernant le service de télévision numérique dans la zone II, il convient de relever, ainsi que l’a constaté la Commission aux considérants 97 et 99 de la décision attaquée, qu’il existait bien un marché pour le service de déploiement du réseau numérique en Espagne. D’une part, il est constant que l’intervenante souhaitait proposer le service en cause dans ladite zone dans le cadre de l’appel d’offres lancé en 2008 en Cantabrie (Espagne). Aucun élément fourni par la requérante ne permet de considérer que l’intervenante avait exclu de proposer un tel service dans ladite zone dans le cadre d’un appel d’offres en Navarre. En outre, force est de constater que, afin d’examiner l’existence d’un marché en l’espèce, il n’y a pas lieu de se limiter au seul territoire de la communauté autonome de Navarre. D’autre part, l’existence d’un marché pour le déploiement du réseau numérique en Espagne découle du fait que, dans la zone I, cette activité était effectuée par des entreprises privées. Contrairement à ce qu’allègue la requérante, la situation dans la zone I est donc pertinente, puisqu’elle présente un élément permettant de dégager la nature de l’activité en cause.

59      À cet égard, il convient également de rappeler que la question de savoir si l’activité en cause avait un caractère économique ne dépend pas du fait qu’un investisseur privé était prêt à l’exercer sous les mêmes conditions ni de la rentabilité de cette activité (voir, en ce sens, arrêt Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission, point 49 supra, EU:C:2012:821, point 50). Le caractère économique de l’activité en cause n’est donc pas exclu du fait que la Commission a constaté, aux considérants 151 et 152 de la décision attaquée, l’existence d’une défaillance du marché, parce que les radiodiffuseurs n’étaient pas disposés à supporter de coûts additionnels pour une extension de la couverture qui dépassait leurs obligations légales. En outre, la gratuité des prestations n’empêche pas la qualification d’une activité comme économique (arrêt du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C‑41/90, Rec, EU:C:1991:161, points 19 à 23). Le fait que, ainsi que l’affirme la requérante, ses activités et celles d’Opnatel en Navarre n’ont pas eu pour conséquence qu’elle ou Opnatel soient devenues propriétaire du matériel acheté, lequel aurait été acquis par les centres émetteurs relevant du gouvernement de Navarre, ne joue aucun rôle pour la qualification de l’activité en cause. De même, l’argument de la requérante relatif à la taille modeste du marché dans la zone II ne saurait remettre en cause les considérations de la Commission dans ladite décision.

60      Troisièmement, la requérante fait valoir que l’activité en cause est exercée directement par les autorités publiques dans des conditions d’universalité et de gratuité et qu’elle répond à la réalisation d’intérêts ou d’objectifs à caractère général, tels que la cohésion sociale et des droits fondamentaux. Cette argumentation ne démontre pas que l’activité en cause relève de l’exercice des prérogatives de puissance publique. En effet, s’il est vrai que la Commission a reconnu, dans la décision attaquée, l’importance et les avantages de la transmission numérique pour la société, il n’en demeure pas moins que ces éléments ne permettent pas de conclure que l’activité en cause est rattachée à l’exercice des prérogatives de puissance publique, étant donné que les critères pertinents pour qualifier une activité sont sa nature, son objet et les règles auxquelles elle est soumise.

61      Quatrièmement, il convient de rejeter l’argumentation de la requérante selon laquelle le critère appliqué par la Commission conduit à refuser l’intervention publique directe dans tout secteur ou domaine dans lequel il pourrait y avoir un opérateur privé intéressé à agir. En effet, il y a lieu de rappeler que, au point 87 de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415), la Cour a relevé que, dans la mesure où une intervention étatique devait être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de sorte que ces entreprises ne profitaient pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’avait donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur faisaient concurrence, une telle intervention ne tombait pas sous le coup de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

62      Cinquièmement, la requérante fait valoir que la Commission n’aurait pas dû se contenter d’effectuer une analyse générale de la situation en Espagne, mais qu’elle était tenue d’apprécier sa situation en Navarre.

63      Cette argumentation doit être rejetée. En effet, il y a lieu de relever que la Commission a, aux considérants 90 à 93 de la décision attaquée, qui font référence aux considérants 23 à 31 de cette décision, décrit la base juridique de l’aide en cause. Elle a constaté que le cadre légal pour le passage au numérique en Espagne était un ensemble complexe formé de plusieurs instruments promulgués aussi bien par le gouvernement espagnol et les communautés autonomes que par les autorités locales pendant une période de quatre ans. Selon elle, bien que le programme technique national en faveur de la TNT de 2005 et le programme national en faveur du passage à la TNT de 2007 ont régi en grande partie le passage à la TNT dans la zone I, ils avaient également posé les bases des mesures d’extension additionnelles dans la zone II. Le programme technique national en faveur de la TNT aurait également autorisé les autorités locales à établir, en partenariat avec les communautés autonomes, des centres émetteurs supplémentaires, nécessaires pour garantir la réception de la TNT dans cette dernière zone. Ces mesures d’extension auraient été mises en œuvre par les autorités régionales après la conclusion de plusieurs conventions-cadres avec ledit gouvernement et d’addenda à ces conventions-cadres. Selon la Commission, dans la pratique, les communautés autonomes avaient appliqué les directives de ce gouvernement sur l’extension de la TNT. Le déblocage de l’aide d’État pour le déploiement de la TNT dans la zone II aurait été marqué par le transfert de fonds des autorités nationales et régionales aux bénéficiaires.

64      Il résulte de différents actes législatifs et administratifs des autorités espagnoles que le plan de transition vers la télévision numérique dans l’ensemble du territoire du Royaume d’Espagne par un recours prédominant à la technologie terrestre obéissait à une initiative lancée et coordonnée par l’administration centrale. Il est constant, ainsi qu’il ressort du considérant 24 de la décision attaquée, que la loi 10/2005, qui a marqué le début de la réglementation du passage à la TNT, a précisé la nécessité d’encourager un passage de la technologie analogique vers la TNT. Ainsi qu’il ressort du considérant 26 de ladite décision, les autorités espagnoles prévoyaient, dans une disposition additionnelle du programme technique national en faveur de la TNT, la possibilité d’une extension de couverture au moyen de la technologie terrestre dans les zones à faible densité de population à la condition que l’installation locale soit conforme à ce programme. Les considérants 28 à 32 de cette décision, dont le contenu n’est pas contesté par la requérante, décrivent la collaboration entre le MITC et les communautés autonomes au moyen de conventions-cadres et d’addenda à des conventions-cadres afin de procéder à la numérisation dans la zone II. Ces actes avaient notamment trait au cofinancement par le gouvernement espagnol de l’extension de la couverture de la TNT dans ladite zone. S’agissant en particulier de la Navarre, il ressort de la convention-cadre de collaboration conclue entre ledit gouvernement et la communauté autonome de Navarre pour le développement du programme national en faveur du passage à la TNT du 22 décembre 2008, que ladite communauté s’est engagée à entreprendre les actions nécessaires pour se conformer à ce programme.

65      Au vu des éléments qui précèdent, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir analysé les mesures espagnoles en faveur du déploiement de la TNT dans un seul et même contexte. En effet, les différentes interventions étatiques aux niveaux national, régional et communal devant être analysées en fonction de leurs effets, elles présentaient, en l’espèce, des liens tellement étroits entre elles qu’elles pouvaient être considérées par la Commission comme un seul régime d’aides accordé par les autorités publiques en Espagne. Tel est le cas notamment parce que les interventions consécutives en Espagne présentaient, au regard notamment de leur chronologie, de leur finalité et de la situation dans ladite zone, des liens tellement étroits entre elles qu’il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas les avoir dissociées (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2013, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑399/10 P et C‑401/10 P, Rec, EU:C:2013:175, points 103 et 104).

66      En outre, dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de la décision, si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres. Ainsi, dans une décision qui porte sur un tel régime, elle n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (arrêts du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, Rec, EU:C:2002:143, points 89 et 91 ; Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, point 36 supra, EU:C:2011:368, point 63, et du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, Rec, EU:C:2013:387, point 114).

67      Sixièmement, la requérante fait valoir que l’absence d’activité économique est confirmée par le fait qu’il n’existerait aucun avantage concurrentiel résultant de la prétendue mesure d’aide en faveur de ceux que la Commission considérerait comme les bénéficiaires directs et indirects de cette mesure. Elle ne serait pas en mesure d’exploiter le réseau de TNT dans la zone II grâce à la prétendue subvention publique, mais serait chargée de gérer, pour le compte de la communauté autonome de Navarre, un réseau de télécommunications public qui existait avant le passage à la numérisation. Selon elle, la fourniture additionnelle de services existait également déjà avant la mesure en cause et n’entraînait aucun avantage concurrentiel, dans la mesure où ces services ne correspondraient pas à des activités exercées dans un cadre concurrentiel. S’il était vrai que l’entreprise publique exploitant le réseau de TNT pourrait percevoir des montants correspondant à l’utilisation d’infrastructures publiques pour héberger du matériel et des installations de télécommunication différentes, il s’agirait là d’une simple répartition des dépenses en application d’une obligation légale. L’analyse du prétendu avantage pour les autres bénéficiaires directs et indirects visés par la décision attaquée conduirait à la même conclusion.

68      À cet égard, il convient de relever que cette argumentation ne remet pas en cause les constatations de la Commission, relatives à l’existence d’une activité économique, figurant aux considérants 97 à 99 de la décision attaquée, mais concerne les constatations de la Commission relatives aux bénéficiaires de la mesure en cause, figurant aux considérants 100 à 112 de ladite décision.

69      Au considérant 100 de la décision attaquée, la Commission a estimé que les opérateurs de la plate-forme TNT étaient les bénéficiaires directs des mesures en cause, étant donné qu’ils avaient reçu les fonds destinés à l’amélioration et à l’extension de leur réseau dans la zone II. Aux considérants 101 à 108 de ladite décision, elle a indiqué plusieurs types de bénéficiaires directs. Ainsi, selon le considérant 101 de cette décision, le premier type de bénéficiaire concernait le cas où une communauté autonome aurait confiait l’extension de la couverture à une entreprise publique. Il ressort de la note en bas de page n° 51 de la même décision que, selon la Commission, Opnatel a été chargée de réaliser l’extension et a acquis l’équipement nécessaire, sans appel d’offres. Au considérant 102 de la décision en cause, la Commission a constaté que ces entreprises publiques étaient capables d’exploiter le réseau de TNT dans ladite zone grâce à la subvention publique. En outre, elle a estimé que celles-ci pouvaient également utiliser la nouvelle infrastructure pour la fourniture d’autres services et que, grâce à ces économies d’échelles, les opérateurs du réseau de TNT avaient la possibilité de tirer des revenus de l’infrastructure financée par des fonds publics. Selon le considérant 103 de la décision en question, l’avantage quantifiable accordé aux entreprises publiques correspondait au montant des fonds reçus pour l’extension de la couverture.

70      Ainsi qu’il a déjà été constaté (voir points 65 et 66 ci-dessus), la Commission pouvait se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause. Dans ce contexte, il ne saurait être considéré que la Commission a commis une erreur en appréciant la situation en Navarre, puisque la communauté autonome de Navarre avait confié à Opnatel l’extension de la couverture. En outre, le fait que la requérante a été chargée de gérer le réseau de TNT pour le compte de ladite communauté autonome ne remet pas en cause le fait que ce sont les fonds de cette dernière qui ont permis à Opnatel et à la requérante d’exploiter ce réseau de sorte que la Commission pouvait constater à juste titre que les entreprises publiques concernées avaient reçu un avantage économique correspondant au montant des fonds reçus pour l’extension de la couverture. La décision attaquée ne portant que sur les caractéristiques d’un régime d’aides, il importe peu de savoir si la requérante elle-même a reçu cet avantage. En tout état de cause, un tel avantage au moyen des fonds du gouvernement espagnol a été reçu soit par la requérante soit par cette communauté autonome en tant qu’entreprise soit par une société à laquelle l’extension de la TNT à la zone II avait été confiée par le gouvernement de Navarre en collaboration avec Opnatel (voir point 13 ci-dessus).

71      En ce qui concerne la constatation de la Commission selon laquelle les entreprises publiques pouvaient également utiliser la nouvelle infrastructure pour la fourniture d’autres services, celle-ci n’a qu’un caractère illustratif par rapport à la constatation relative à l’avantage, figurant au considérant 103 de la décision attaquée. En outre, elle ne paraît pas erronée, puisque le financement du réseau de TNT constitue un élément susceptible d’assurer le maintien du réseau prévu pour la télévision terrestre après l’abandon de la technologie analogique. Comme l’admet la requérante, cette dernière reçoit une rémunération des tiers pour les services d’hébergement et de colocation. De plus, dans la mesure où, selon ladite décision, la situation dans cette communauté autonome ne concerne pas un autre type de bénéficiaire, l’argumentation relative aux constatations concernant les autres types de bénéficiaires figurant dans cette décision doit être rejetée.

72      Septièmement, dans la mesure où la requérante affirme qu’il ressort de l’arrêt Höfner et Elser, point 59 supra (EU:C:1991:161) que la prestation de services par des entreprises ou des organismes publics relève non du régime des aides d’État, en vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais de celui de l’interdiction de l’abus de position dominante, en vertu de l’article 102 TFUE, son argumentation doit également être rejetée. En effet, d’une part, aucun élément figurant dans l’arrêt Höfner et Elser, point 59 supra (EU:C:1991:161) ne permet d’étayer cette affirmation. D’autre part, il convient de relever qu’une situation dans laquelle des mesures sont financées à partir du budget de l’État relève des dispositions relatives aux aides d’État prévues aux articles 107 et 108 TFUE.

73      Enfin, dans la mesure où la requérante fait valoir que la prétendue absence d’avantage concurrentiel exclut le caractère sélectif de la mesure en cause, sans pour autant contester les constatations de la Commission relatives à l’existence d’un tel caractère sélectif, figurant au considérant 113 de la décision attaquée, selon lesquelles l’avantage de ladite mesure était sélectif pour les opérateurs de réseau, car une telle mesure ne bénéficiait qu’au secteur de la radiodiffusion et, dans ce secteur même, la même mesure ne concernait que les entreprises intervenant sur le marché de la plate-forme terrestre, son argumentation doit être rejetée.

74      La deuxième branche doit donc être rejetée.

–       Sur la troisième branche, tirée de l’absence d’affectation des échanges entre États membres et de distorsion de la concurrence

75      La requérante fait valoir que, outre l’appartenance des opérateurs de réseau à des groupes internationaux, aucun des arguments avancés par la Commission ne démontre qu’une distorsion de concurrence a réellement eu lieu ou qu’il existait une menace certaine en ce sens. Eu égard à l’absence de marché dans la zone II, une telle distorsion serait exclue. En outre, compte tenu de la portée très réduite de l’intervention publique litigieuse dans ladite zone par rapport à la taille du marché sur lequel les opérateurs privés soient librement en concurrence, une modification des parts de marché respectives des différents opérateurs de plate-forme dans la zone I n’aurait pas été établie. Enfin, selon la requérante, les considérations de la Commission sont insuffisantes dans la mesure où celles-ci viseraient toutes à affirmer que les plates-formes terrestre et satellitaire opèrent sur le même marché et qu’aucune d’entre elles ne démontrerait la mesure dans laquelle ce marché a effectivement été affecté ou faussé en conséquence directe de la mesure en cause.

76      Il convient de constater que, au considérant 130 de la décision attaquée, la Commission a conclu que les plates-formes terrestre et satellitaire étaient présentes sur le même marché. Elle a étayé cette conclusion, aux considérants 131 à 137 de ladite décision, par sept éléments différents. Enfin, au considérant 138 de cette décision, elle a conclu que, compte tenu du fait que les plates-formes de radiodiffusion satellitaire et terrestre étaient concurrentes, la mesure destinée au déploiement, à l’exploitation et à la maintenance de la TNT dans la zone II faussait le jeu de la concurrence entre les deux plates-formes. Selon elle, d’autres plates-formes et notamment la télévision sur Internet seraient désavantagées par la mesure en cause. Aux considérants 139 et 140 de la même décision, elle a constaté que ladite mesure avait une incidence sur les échanges au sein de l’Union. Selon elle, les opérateurs de réseau intervenaient dans un secteur où des échanges entre États membres existaient. L’exploitant d’infrastructures de télécommunications et fournisseur d’équipements de réseaux visé au point 13 ci-dessus ferait partie d’un groupe international d’entreprises, de même que l’intervenante de sorte que la mesure en cause affecterait les échanges entre États membres.

77      Ces considérations ne sont pas remises en cause par l’argumentation de la requérante.

78      En effet, il y a lieu de rappeler que la Commission est tenue non d’établir une incidence réelle des aides sur les échanges entre États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si ces aides sont susceptibles d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (voir arrêts du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C‑148/04, Rec, EU:C:2005:774, point 54 et jurisprudence citée ; Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, point 36 supra, EU:C:2011:368, point 134 et jurisprudence citée, et du 8 mai 2013, Libert e.a., C‑197/11 et C‑203/11, Rec, EU:C:2013:288, point 76 et jurisprudence citée).

79      En particulier, lorsqu’une aide accordée par un État renforce la position d’une entreprise par rapport à celles d’autres entreprises concurrentes dans les échanges dans l’Union, ces derniers doivent être considérés comme influencés (voir arrêts Unicredito Italiano, point 78 supra, EU:C:2005:774, point 56 et jurisprudence citée, et Libert e.a., point 78 supra, EU:C:2013:288, point 77 et jurisprudence citée).

80      S’agissant de l’argument relatif à l’absence de concurrence dans la zone II, celui-ci doit être rejeté. En effet, l’existence d’une concurrence dans ladite zone est notamment démontrée par le fait que l’intervenante en tant qu’opérateur de plate-forme satellitaire a participé à un appel d’offres portant sur l’extension de la couverture de télévision numérique en Cantabrie, ainsi que l’a constaté la Commission au considérant 131 de la décision attaquée au soutien de sa conclusion relative à l’existence d’un même marché. Par ailleurs, il a déjà été jugé qu’il existe une concurrence entre les plates-formes terrestre et satellitaire (arrêts FAB/Commission, point 44 supra, EU:T:2009:386, point 55, et du 15 juin 2010, Mediaset/Commission, T‑177/07, Rec, EU:T:2010:233, point 97).

81      Enfin, dans la mesure où, au considérant 140 de la décision attaquée, la Commission a, d’une part, constaté que les opérateurs de réseau intervenaient dans un secteur où des échanges entre États membres existaient et, d’autre part, mentionné que l’exploitant d’infrastructures de télécommunications et fournisseur d’équipements de réseaux visé au point 13 ci-dessus et l’intervenante faisaient partie d’un groupe international d’entreprises, elle a à suffisance de droit établi que la mesure en cause était susceptible d’affecter ces échanges, contrairement à ce qu’allègue la requérante. En effet, il est constant que tant ledit exploitant que l’intervenante constituent des entreprises internationales et que, en particulier, cet exploitant était actif en Navarre au moyen d’une de ses filiales. S’il est vrai que la zone II constitue, par rapport à la zone I, une petite partie du territoire espagnol, il n’en demeure pas moins que le régime d’aides constaté dans la décision attaquée couvrait la zone II dans l’ensemble du territoire espagnol.

82      La troisième branche du présent moyen et, par conséquent, ce moyen dans son intégralité doivent donc être rejetés.

 Sur le deuxième moyen, tiré à titre subsidiaire d’une violation de l’article 106, paragraphe 2, TFUE et du protocole n° 29

83      La requérante fait valoir en substance, à titre subsidiaire, que la Commission a violé l’article 106, paragraphe 2, TFUE et le protocole n° 29 en ce qu’elle aurait rejeté la qualification de son intervention dans la numérisation du réseau terrestre appartenant au gouvernement de Navarre de service d’intérêt économique général (ci-après le « SIEG »). Selon elle, cette erreur a eu pour conséquence que la Commission a erronément constaté l’existence d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Les critères posés par la Cour dans l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) seraient satisfaits.

84      Il s’ensuit que, par le présent moyen, la requérante affirme en substance que la Commission a erronément considéré, dans la décision attaquée, que la mesure en cause constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE qui n’était pas compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

85      Étant donné qu’il ressort du considérant 172 de la décision attaquée que la Commission a refusé de considérer que la mesure en cause était compatible avec le marché intérieur, conformément à l’article 106, paragraphe 2, TFUE, du seul fait de l’absence de définition précise du service en cause en tant que SIEG, ce qui correspond au premier critère de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415), il convient par la suite d’examiner si la Commission pouvait à bon droit considérer que les critères posés par cet arrêt n’étaient pas satisfaits en l’espèce.

86      Il convient de rappeler que, dans l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415), la Cour a relevé que, dans la mesure où une intervention étatique devait être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de sorte que ces entreprises ne profitaient pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’avait donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur faisaient concurrence, une telle intervention ne tombait pas sous le coup de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Cependant, pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’État, quatre critères doivent être satisfaits cumulativement (arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra, EU:C:2003:415, points 87 et 88).

87      Selon la jurisprudence, la question de savoir si une mesure constitue une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être résolue à la lumière de la situation existant au moment où cette mesure a été prise. Si la Commission tenait compte d’éléments postérieurs, elle avantagerait, en effet, les États membres qui manquent à leur obligation de notifier les aides à l’état de projet qu’ils envisagent d’octroyer (voir arrêt du 12 mai 2011, Région Nord-Pas-de-Calais et Communauté d’Agglomération du Douaisis/Commission, T‑267/08 et T‑279/08, Rec, EU:T:2011:209, point 143 et jurisprudence citée).

88      Il ressort des considérants 114 à 128 de la décision attaquée que, selon la Commission, les premier et quatrième critères posés par l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) n’étaient pas satisfaits en l’espèce.

–       Sur le premier critère posé par l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415), relatif à l’exécution d’obligations de service public

89      Selon ce critère, l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies (arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra, EU:C:2003:415, point 89).

90      Il convient de relever que la Commission a estimé aux considérants 119 à 126 et au considérant 172 de la décision attaquée que le service en cause ne constituait pas un service public au sens de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415).

91      Selon le considérant 119 de la décision attaquée, la loi espagnole ne précisait pas que l’exploitation d’un réseau terrestre était un service public. La Ley 11/1998, General de Telecomunicaciones (loi générale 11/1998 relative aux télécommunications), du 24 avril 1998 (BOE nº 99, du 25 avril 1998, p. 13909, ci-après la « loi 11/1998 »), établirait que les services de télécommunications, y compris l’exploitation des réseaux de diffusion radio et télévisuelle, sont des SIEG, bien qu’ils n’aient pas le rang de services publics, un rang qui ne serait réservé qu’à quelques rares services de télécommunications, notamment ceux en rapport avec la défense publique et la protection civile ainsi que l’exploitation du réseau téléphonique. La Ley 32/2003, General de Telecomunicaciones (loi générale 32/2003 relative aux télécommunications), du 3 novembre 2003 (BOE n° 264, du 4 novembre 2003, p. 38890, ci-après la « loi 32/2003 »), conserverait la même définition. Les services émetteurs pour la radiodiffusion télévisuelle, c’est-à-dire l’acheminement des signaux à travers les réseaux de télécommunications, seraient considérés comme des services de télécommunications et seraient, en tant que tels, des SIEG qui ne constituent pas un service public.

92      Selon le considérant 120 de la décision attaquée, en tout état de cause, les dispositions de la loi espagnole se caractérisaient par leur neutralité technologique. Ladite loi définirait les télécommunications comme l’exploitation des réseaux et la prestation des services de communications électroniques et les ressources associées. Les télécommunications seraient la transmission de signaux à travers tout réseau de diffusion et non à travers le réseau terrestre en particulier. De plus, cette loi préciserait que l’un de ses objectifs est d’encourager, dans la mesure du possible, la neutralité technologique dans la réglementation.

93      En vertu du considérant 121 de la décision attaquée, même si la norme en vigueur et applicable au moment du transfert de fonds définissait la radiodiffusion publique comme étant un service public, il ne serait pas possible d’étendre cette définition à l’exploitation d’une plate-forme de support déterminée. En outre, lorsqu’il existerait plusieurs plates-formes de transmission, il ne serait pas possible de considérer que l’une d’elles en particulier serait essentielle à la transmission des signaux de radiodiffusion. Par conséquent, selon la Commission, le fait, pour la loi espagnole, d’établir que l’utilisation d’une certaine plate-forme pour la transmission des signaux de radiodiffusion constituait un service public, aurait constitué une erreur manifeste.

94      En outre, la Commission a rejeté, aux considérants 123 et 124 de la décision attaquée, l’argumentation selon laquelle l’exploitation des réseaux terrestres avait été définie comme étant un service public dans les conventions interinstitutionnelles conclues entre le gouvernement basque, l’association des communes basques et les trois gouvernements provinciaux basques.

95      Au considérant 172 de la décision attaquée, la Commission a constaté, en faisant référence aux considérants 119 à 122 de cette décision, que ni le Royaume d’Espagne ni les autorités basques n’avaient défini avec précision l’exploitation d’une plate-forme terrestre en tant que service public.

96      Il convient de relever que, s’agissant de la notion de service public au sens de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415), les parties ne contestent pas que celle-ci correspond à celle de SIEG au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T‑289/03, Rec, EU:T:2008:29, point 162, et du 16 juillet 2014, Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission, T‑309/12, EU:T:2014:676, point 132).

97      Selon une jurisprudence constante, les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation quant à la définition de ce qu’ils considèrent comme un SIEG et, par conséquent, la définition de ces services par un État membre ne peut être remise en cause par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste (voir arrêts du 15 juin 2005, Olsen/Commission, T‑17/02, Rec, EU:T:2005:218, point 216 ; TV2/Danmark e.a./Commission, point 44 supra, EU:T:2008:457, point 101, et FAB/Commission, point 44 supra, EU:T:2009:386, point 63). En effet, en l’absence d’une réglementation de l’Union harmonisée en la matière, la Commission n’est pas habilitée à se prononcer sur l’étendue des missions de service public incombant à l’exploitant public, à savoir le niveau des coûts liés à ce service, ni sur l’opportunité des choix politiques pris, à cet égard, par les autorités nationales, ni sur l’efficacité économique de l’exploitant public (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission, T‑106/95, Rec, EU:T:1997:23, point 108, et du 1er juillet 2010, M6/Commission, T‑568/08 et T‑573/08, Rec, EU:T:2010:272, point 139 et jurisprudence citée). Il ressort de l’article 1er, premier tiret, du protocole n° 26 sur les services d’intérêt général complétant les traités UE et FUE que les valeurs communes de l’Union concernant les SIEG au sens de l’article 14 TFUE comprennent notamment le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les SIEG d’une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs.

98      Pour autant, le pouvoir de définition des SIEG par l’État membre n’est pas illimité et ne peut être exercé de manière arbitraire aux seules fins de faire échapper un secteur particulier à l’application des règles de concurrence (arrêt BUPA e.a./Commission, point 96 supra, EU:T:2008:29, point 168). Pour pouvoir être qualifié de SIEG, le service en cause doit revêtir un intérêt économique général qui présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d’autres activités de la vie économique (arrêts du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C‑179/90, Rec, EU:C:1991:464, point 27, et du 17 juillet 1997, GT-Link, C‑242/95, Rec, EU:C:1997:376, point 53).

99      L’étendue du contrôle effectué par le Tribunal sur les appréciations de la Commission tient nécessairement compte du fait que la définition d’un service par un État membre en tant que SIEG ne peut être remise en cause par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste. Ce contrôle doit néanmoins s’assurer du respect de certains critères minimaux tenant, notamment, à la présence d’un acte de puissance publique investissant les opérateurs en cause d’une mission de SIEG, ainsi qu’au caractère universel et obligatoire de cette mission (voir arrêt du 7 novembre 2012, CBI/Commission, T‑137/10, Rec, EU:T:2012:584, points 100 et 101 et jurisprudence citée). Par ailleurs, en vertu de l’article 4 de la décision 2005/842/CE, du 28 novembre 2005, concernant l’application des dispositions de l’article [106, paragraphe 2, TFUE] aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de SIEG (JO L 312, p. 67), la responsabilité de la gestion du SIEG doit être confiée à l’entreprise concernée au moyen d’un ou de plusieurs actes officiels, dont la forme peut être déterminée par chaque État membre, ces actes devant notamment indiquer la nature et la durée des obligations de service public et les entreprises et le territoire concernés. Le point 12 de l’encadrement communautaire des aides d’État sous forme de compensations de service public (JO 2005, C 297, p. 4) contient les mêmes exigences.

100    La requérante affirme que la Commission a erronément considéré que la mesure en cause ne constituait pas un SIEG. La mission confiée à Opnatel et à elle-même de numériser, par la fourniture et l’équipement du matériel nécessaire, le réseau de centres appartenant au gouvernement de Navarre ne leur aurait pas conféré une position concurrentielle favorable sur le marché. Selon la requérante, ni Opnatel ni elle n’ont agi en tant qu’opérateur de réseau sur le marché de la zone I. Elle affirme être le seul opérateur de réseau pour la fourniture du service de télévision numérique, expressément qualifié de service public, dans la zone II. En sa qualité d’« instrument » dudit gouvernement, son action serait limitée à la gestion de l’infrastructure de centres appartenant à ce gouvernement, en vue de la prestation de services d’entreprise ou internes destinés aux administrations publiques ainsi que de la prestation d’autres services destinés à la population en général, pris en charge et financés par le même gouvernement. Elle soutient également ne pas tirer de revenus de la fourniture de biens et de services sur le marché. Ses revenus seraient limités aux sommes allouées par le gouvernement en cause pour l’accomplissement des missions publiques ainsi que, le cas échéant, aux paiements effectués par des opérateurs de télécommunication pour l’utilisation du réseau de centres de télécommunication dans le cadre de la colocation ou de l’hébergement. Selon la requérante, l’absence de position concurrentielle plus favorable sur le marché écarte la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Une définition claire des obligations de service public serait contenue dans la législation en vigueur et aurait été formulée par le gouvernement en question dans sa décision du 28 juillet 2008.

101    Cette argumentation ne démontre pas que la Commission a à tort considéré que, en l’absence de définition claire du service d’exploitation d’un réseau terrestre en tant que service public, le premier critère de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) n’était pas satisfait.

102    En effet, premièrement, l’exploitation d’un réseau de TNT dans la zone II n’a pas été définie par l’État espagnol en tant que SIEG au sens du droit de l’Union au niveau national.

103    Certes, ainsi qu’il ressort du considérant 119 de la décision attaquée, que le service d’exploitation des réseaux de diffusion radio et télévisuelle a été qualifié par l’État espagnol de service d’intérêt général, en vertu de l’article 2 des lois 11/1998 et 32/2003, produites par la Commission à la suite des mesures d’organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal (voir point 27 ci-dessus), lu en combinaison avec leur article 1er.

104    Cependant, il ressort de l’article 2 des lois 11/1998 et 32/2003 que cette qualification concerne tous les services de télécommunications, y compris les réseaux de diffusion radio et télévisuelle. Or, le seul fait qu’un service est désigné comme étant d’intérêt général en droit national n’implique pas que tout opérateur qui l’effectue est chargé de l’exécution d’obligations de service public clairement définies au sens de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415). Si tel était le cas, tous les services de télécommunications en Espagne revêtiraient le caractère de SIEG au sens de cet arrêt, ce qui ne ressort aucunement de ces lois. À cet égard, il convient également de constater que l’article 2, paragraphe 1, de la loi 32/2003 dispose expressément que les services d’intérêt général au sens de cette loi doivent être fournis dans le cadre d’un régime de libre concurrence. Or, la qualification d’un service en tant que SIEG au sens de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) exige que la responsabilité de sa gestion soit confiée à certaines entreprises.

105    En outre, il y a lieu de constater que la Commission n’a commis aucune erreur en examinant, aux considérants 119 à 125 de la décision attaquée, si le premier critère de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) était satisfait en ce qui concerne le service d’exploitation des réseaux terrestres et non en ce qui concerne le service d’exploitation des réseaux de diffusion radio et télévisuelle, comme le soutient la requérante. À cet égard, il ressort du considérant 120 de ladite décision que les dispositions de la loi 32/2003 se caractérisaient par leur neutralité technologique et que les télécommunications étaient la transmission de signaux à travers tout réseau de diffusion et non à travers le réseau terrestre en particulier, ce que la requérante n’a pas contesté. À la lumière de ces précisions de la loi espagnole, il ne saurait être conclu que la Commission a erronément estimé aux considérants 119 et 122 de cette décision que, dans ladite loi, l’exploitation d’un réseau terrestre n’était pas définie comme un service public au sens de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415).

106    S’agissant de la prétendue détermination d’un SIEG dans la loi 10/2005, produite par la Commission à la suite des mesures d’organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal (voir point 27 ci-dessus), la requérante affirme que celle-ci prévoit que les services de radiodiffusion sonore et de télévision par ondes terrestres sont de services publics. À cet égard, il convient de constater que ladite loi se réfère à l’activité des organismes de radiodiffusion, ainsi qu’il ressort de l’article 1er de cette loi, selon lequel la prestation de ces services en régime de gestion indirecte nécessitera une concession administrative préalable. Or, ce sont les organismes de radiodiffusion et non les opérateurs de réseau qui sont titulaires de telles concessions.

107    À cet égard, il convient de relever que, certes, la transmission est indispensable à la radiodiffusion. En effet, bien que, selon la jurisprudence, la technique de transmission ne soit pas un élément déterminant dans l’appréciation de la notion de radiodiffusion (arrêts du 2 juin 2005, Mediakabel, C‑89/04, Rec, EU:C:2005:348, point 33, et du 22 décembre 2008, Kabel Deutschland Vertrieb und Service, C‑336/07, Rec, EU:C:2008:765, point 64), il n’en demeure pas moins qu’il existe entre les deux services un lien de dépendance.

108    Toutefois, ainsi que l’affirme la Commission, le service de radiodiffusion doit être distingué de celui d’exploitation des réseaux de diffusion. En effet, il s’agit de deux activités distinctes qui sont réalisées par des entreprises différentes opérant sur des marchés différents. Tandis que le service de radiodiffusion est assuré par des radiodiffuseurs, à savoir des opérateurs de télévision, le service d’exploitation des réseaux de diffusion est assuré par des opérateurs de plates-formes d’émission de signaux, à savoir des plates-formes terrestre, satellitaire, câblée ou par le biais des accès à haut débit sur Internet.

109    Ainsi que l’affirme l’intervenante, une telle distinction est également établie dans le secteur de la communication. Il ressort du considérant 5 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO L 108, p. 33), qu’il est nécessaire de séparer la réglementation de la transmission de celle des contenus.

110    La requérante fait également référence au fait que le protocole n° 29 souligne le pouvoir des États membres concernant la mission de service public de radiodiffusion telle qu’elle a été conférée, définie et organisée par chaque État membre. À cet égard, il convient de constater que ce protocole s’applique au secteur de la radiodiffusion (arrêt du 10 juillet 2012, TF1 e.a./Commission, T‑520/09, EU:T:2012:352, point 94) et, plus précisément, au financement du service public de radiodiffusion accordé aux organismes de radiodiffusion, à savoir en l’espèce les opérateurs de télévision. En revanche, le financement des opérateurs de plates-formes d’émission de signaux n’est pas concerné par ledit protocole.

111    Par ailleurs, lorsque, dans le protocole n° 29, les États membres ont énoncé que la radiodiffusion de service public dans les États membres était directement liée aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ainsi qu’à la nécessité de préserver le pluralisme dans les médias, ils ont fait directement référence aux systèmes de radiodiffusion de service public institués par eux et chargés de la diffusion, au profit de l’ensemble de la population de ces États, de programmes télévisés généralistes (arrêt du 26 juin 2008, SIC/Commission, T‑442/03, Rec, EU:T:2008:228, point 198). Or, en l’espèce, dès lors que le décret royal 944/2005 a imposé aux radiodiffuseurs nationaux de couvrir 96 % de la population dans le cas du secteur privé et 98 % de la population dans le cas du secteur public sur leur territoire respectif (voir point 2 ci-dessus) et que, pour la quasi-totalité de la zone II, une telle obligation de couverture garantissait l’accès aux chaînes publiques, la topographie de la zone III excluant la transmission numérique terrestre (voir point 3 ci-dessus), la mesure en cause visait en substance à financer l’extension de la couverture de la population par des opérateurs de télévision du secteur privé. En outre, il convient de relever que les objectifs dudit protocole visant à garantir les besoins démocratiques, sociaux et culturels d’une société et à préserver le pluralisme dans les médias ne présentent aucun lien avec le choix de la technologie de diffusion.

112    Deuxièmement, en ce qui concerne la prétendue détermination d’un SIEG au niveau de la communauté autonome de Navarre, la requérante fait référence à la décision du gouvernement de Navarre du 28 juillet 2008 approuvant un deuxième addendum à la convention du 22 septembre 1995 entre ce gouvernement et une filiale à 100 % d’un exploitant d’infrastructures de télécommunications et fournisseur d’équipements de réseaux datant du 30 juillet 2008. Dans ledit addendum, il serait indiqué que ledit gouvernement visait l’universalité du service public de TNT et qu’il souhaitait permettre l’accès à ce service à tous les habitants dans des conditions d’égalité.

113    À cet égard, d’une part, il convient de constater que la décision du 28 juillet 2008 n’a pas été produite durant la procédure administrative en tant qu’exemple d’acte officiel d’assignation d’une mission de service public. Par conséquent, étant donné que la légalité d’une décision en matière d’aides doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (voir arrêt du 26 septembre 1996, France/Commission, C‑241/94, Rec, EU:C:1996:353, point 33 et jurisprudence citée), et que la requérante, interrogée à cet égard lors de l’audience, n’a pas été en mesure de démontrer que la Commission disposait de cette décision, l’argumentation de la requérante doit être rejetée (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T‑109/01, Rec, EU:T:2004:4, point 50).

114    D’autre part, il convient de relever que la décision du 28 juillet 2008 concernait certes le service de transport et de diffusion du signal de télévision par la plate-forme terrestre en Navarre. Cependant, ni la description figurant dans cette décision ni le contenu de l’addendum à la convention datant du 30 juillet 2008 ne permettent de considérer que, par ladite décision, la communauté autonome de Navarre a confié une mesure de service public à une filiale à 100 % d’un exploitant d’infrastructures de télécommunications et fournisseur d’équipements de réseaux. Rien dans ces documents ne permet de conclure que le service concerné par ce contrat constituait, selon le gouvernement de Navarre, un SIEG. Il ressort plutôt de ces documents que, selon ledit gouvernement, c’est le service de télévision numérique et non celui de transport et de diffusion du signal de télévision par la plate-forme terrestre qui est qualifié en tant que service public en raison de son caractère universel.

115    Par ailleurs, il convient de constater que, à aucun moment, la requérante n’a été en mesure de déterminer quelles obligations de service public auraient été mises à la charge des exploitants de réseaux de TNT, soit par la loi espagnole, soit par les conventions d’exploitation, et encore moins d’en avoir apporté la preuve.

116    La Commission pouvait donc, à bon droit, constater, au considérant 114 de la décision attaquée, qu’aucune autre communauté autonome que celle du Pays basque, qui a été présentée par les autorités espagnoles comme le meilleur et l’unique exemple pour invoquer l’absence d’aide d’État conformément aux critères posés par la Cour dans l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415), n’a présenté une argumentation qui justifierait le fait que l’exploitation du réseau terrestre était un service public.

117    Par ailleurs, s’agissant de l’argument de la requérante relatif à l’existence d’une défaillance du marché concernant le service de déploiement de la télévision numérique dans la zone II, il suffit de relever qu’une telle défaillance a été constatée par la Commission, ainsi qu’il ressort des considérants 151 et 152 de la décision attaquée, mais qu’elle est insuffisante pour pouvoir constater l’existence d’un service public.

118    Troisièmement, il y a lieu de constater qu’il ressort du considérant 121 de la décision attaquée que, selon la Commission, la définition en tant que service public de l’exploitation d’une plate-forme de support déterminée, en l’occurrence celle de la plate-forme terrestre, aurait constitué une erreur manifeste des autorités espagnoles, parce que, lorsqu’il existe plusieurs plates-formes de transmission, il ne serait pas possible de considérer que l’une d’elles en particulier est essentielle à la transmission des signaux de radiodiffusion (voir point 93 ci-dessus), ce que la requérante n’a pas contesté.

119    Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que, en l’absence d’une définition claire et précise du service en cause en tant que service public, le premier critère de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) n’était pas satisfait.

–       Sur le quatrième critère posé par l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415), relatif à la garantie de moindre coût pour la collectivité

120    Selon ce critère, lorsque le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’obligations de service public, dans un cas concret, n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes s’y rapportant ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations (arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra, EU:C:2003:415, point 93).

121    Au considérant 114 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les autorités espagnoles avaient présenté le cas du Pays basque comme le meilleur et l’unique exemple pour invoquer l’absence d’aide d’État conformément à l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415). Selon le considérant 128 de ladite décision, elle a relevé que, compte tenu du fait qu’aucun appel d’offres n’avait été lancé, les autorités basques soutenaient que ce critère était satisfait, parce que l’entreprise publique du gouvernement basque qui fournissait les services d’acheminement et de couverture de diffusion radio et télévisuelle, était une entreprise bien gérée et adéquatement équipée pour exécuter les obligations requises. En se fondant sur une étude comparant les coûts, qui ne lui aurait pas été communiquée, les autorités basques auraient estimé que l’infrastructure satellitaire aurait coûté plus cher qu’une modernisation du réseau terrestre de l’entreprise publique en cause. Nonobstant, selon la Commission, aux fins de satisfaire au critère en cause, une comparaison avec la technologie satellitaire ne suffisait pas pour démontrer que cette entreprise publique était une entreprise efficiente, étant donné que d’autres opérateurs terrestres auraient également pu fournir ce service à un moindre coût. Elle a donc conclu que le quatrième critère de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) n’était pas satisfait dans le cas de la communauté autonome du Pays basque.

122    La requérante fait valoir qu’Opnatel et elle-même se sont bornées à acquérir et à installer le matériel nécessaire dont le coût serait indiqué dans le deuxième addendum à la convention de 22 septembre 1995 entre le gouvernement de Navarre et une filiale à 100 % d’un exploitant d’infrastructures de télécommunications et fournisseur d’équipements de réseaux datant du 30 juillet 2008, approuvé par la décision de ce gouvernement du 28 juillet 2008. Cette activité n’aurait pas entraîné la perception de fonds à caractère public pour la prestation d’un service dont les conditions auraient dû faire l’objet d’une comparaison avec celles qu’auraient pu proposer d’autres opérateurs privés mais le seul transfert des fonds nécessaires pour financer les coûts réels et effectifs.

123    Cette argumentation ne démontre pas que la Commission a violé l’article 106, paragraphe 2, TFUE ou le protocole n° 29. D’une part, il y a lieu de rappeler que ni l’article 106, paragraphe 2, TFUE ni ledit protocole n’exigent que le quatrième critère de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) doit être satisfait. D’autre part, l’argumentation de la requérante ne saurait être accueillie.

124    En effet, il ressort des considérants 127 et 128 de la décision attaquée que la Commission s’est limitée à examiner le seul cas de la communauté autonome du Pays basque. En outre, au considérant 114 de ladite décision, elle a indiqué que, selon les autorités espagnoles, il incombait aux communautés autonomes d’invoquer l’absence d’aide d’État conformément à l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) et que, comme le meilleur et l’unique exemple, lesdites autorités avaient présenté ledit cas. Selon ce considérant, aucune autre communauté autonome n’a présenté une argumentation qui démontrerait le fait que l’exploitation du réseau terrestre était un service public.

125    Compte tenu du fait qu’aucun appel d’offres n’a été lancé en Navarre, tout comme également au Pays basque selon le considérant 128 de la décision attaquée, la requérante aurait dû démontrer, ainsi que l’a estimé la Commission en ce qui concerne le Pays basque, que le niveau de la compensation nécessaire avait été déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes s’y rapportant ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations. Or, en l’espèce, l’existence d’une telle analyse n’est même pas invoquée par la requérante qui se borne à indiquer que le montant des coûts a été déterminé par le gouvernement de Navarre dans sa décision du 28 juillet 2008.

126    Au vu de ce qui précède, les critères posés par l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415) étant cumulatifs, la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant l’existence d’une aide d’État, en vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En outre, en l’absence de définition valable d’un SIEG, la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que la mesure en cause n’était compatible avec le marché intérieur, en vertu de l’article 106, paragraphe 2, TFUE. De plus, le service en cause n’étant pas concerné par le protocole n° 29, la Commission n’a pas violé ce protocole.

127    Par conséquent, le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré à titre subsidiaire d’une violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE

128    La requérante fait valoir, à titre subsidiaire, que la Commission a violé l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE en ce qu’elle a constaté que la mesure en cause n’était pas compatible avec le marché intérieur en vertu de cette disposition. Selon elle, le principe de neutralité technologique n’était pas applicable en l’espèce, étant donné qu’un réseau terrestre public, exclusivement géré par un opérateur public agissant en tant que simple « organisme instrumental » du gouvernement de Navarre qui ne se trouvait donc en concurrence avec aucun opérateur de la même plate-forme ni aucune autre plate-forme, existait déjà. Dans une telle situation, il ne serait pas nécessaire de démontrer la supériorité d’une plate-forme par rapport à une autre. Selon la requérante, toute incidence sur la concurrence entre les différents opérateurs sur le marché des télécommunications étant écartée, même en l’absence d’études spécifiques, la décision dudit gouvernement de se servir d’un réseau de centres dont il est propriétaire et de l’utiliser pour garantir la continuité de la fourniture du service en cause serait raisonnable. Selon elle, la mesure était proportionnelle dès lors que la numérisation dans la zone II n’aurait eu aucune incidence sur la concurrence entre les différents opérateurs privés. La mesure en cause n’aurait donc provoqué aucune distorsion inutile de concurrence.

129    Il ressort des considérants 153 à 169 de la décision attaquée que la Commission a estimé que l’aide en cause ne pouvait être considérée comme compatible avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, parce que, selon elle, la mesure en cause ne respectait pas le principe de neutralité technologique, n’était pas proportionnée et ne constituait pas un instrument approprié pour garantir la couverture des chaînes en clair aux résidents de la zone II.

130    À cet égard, la Commission a constaté, au considérant 154 de la décision attaquée, que le choix de la technologie doit être opéré, en règle générale, à la suite d’un appel d’offres technologiquement neutre. L’appel d’offres n’ayant pas été lancé en l’espèce, le choix d’une technologie donnée pourrait avoir été accepté, selon elle, s’il avait été justifié par les conclusions d’une étude préliminaire établissant que, en termes de qualité et de coût, il n’était pas possible d’opter que pour une seule solution technologique. Selon le considérant 155 de ladite décision, la plupart des appels d’offres ne se caractérisaient pas par leur neutralité technologique, étant donné qu’ils feraient référence à la technologie terrestre et à la TNT. Aux considérants 156 à 157 de cette décision, la Commission a constaté qu’aucune étude n’apportait une preuve suffisante de la supériorité de la plate-forme terrestre par rapport à la plate-forme satellitaire.

131    En ce qui concerne la proportionnalité de la mesure en cause, la Commission a estimé, au considérant 166 de la décision attaquée, que, lors de la conception de l’intervention pour la zone II, il aurait été judicieux que le gouvernement espagnol procède à une comparaison des coûts ou lance un appel d’offres au niveau national. Elle a précisé que, bien qu’il incombait aux autorités espagnoles de décider de leur organisation administrative, en accordant un financement provenant dudit gouvernement, au lieu d’insister sur l’utilisation de la TNT, ce gouvernement aurait au moins pu inciter les communautés autonomes à lancer des appels d’offres en tentant compte des éventuelles économies susceptibles d’être réalisées avec certaines plates-formes.

132    Au considérant 170 de la décision attaquée, la Commission a estimé que, bien que l’intervention publique puisse être justifiée en raison de l’existence de certaines défaillances du marché et d’éventuels problèmes de cohésion, la manière dont la mesure avait été conçue créait des distorsions inutiles de la concurrence.

133    Il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, les dérogations au principe général d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (voir arrêts du 29 avril 2004, Allemagne/Commission, C‑277/00, Rec, EU:C:2004:238, point 20 et jurisprudence citée, et du 14 octobre 2010, Nuova Agricast et Cofra/Commission, C‑67/09 P, Rec, EU:C:2010:607, point 74 et jurisprudence citée).

134    En outre, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Commission jouit, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social. Le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’au contrôle de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ou de détournement de pouvoir (arrêts du 26 septembre 2002, Espagne/Commission, C‑351/98, Rec, EU:C:2002:530, point 74, et du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, Rec, EU:C:2004:234, point 83).

135    L’argumentation de la requérante ne démontre pas que la Commission a commis une erreur manifeste en considérant que la mesure en cause ne pouvait être justifiée en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

136    En effet, premièrement, l’importance du principe de neutralité technologique en la matière a été soulignée par la Commission au point 2.1.3 de sa communication au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 17 septembre 2003, concernant la transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique (du passage au numérique à l’abandon de l’analogique) [COM (2003) 541 final], ainsi qu’il ressort du considérant 144 de la décision attaquée. La condition de neutralité technologique au sens de cette communication prévoit, en particulier, que l’abandon de la diffusion analogique sur un territoire donné ne peut avoir lieu que si la quasi-totalité des ménages reçoivent les services numériques et que, pour atteindre cet objectif, tous les modes de transmission doivent être pris en compte (arrêt du 6 octobre 2009, Allemagne/Commission, T‑21/06, EU:T:2009:387, point 69). Lorsque la Commission adopte de tels actes destinés à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui incombe de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées (arrêt du 28 novembre 2008, Hotel Cipriani e.a./Commission, T‑254/00, T‑270/00 et T‑277/00, Rec, EU:T:2008:537, point 292).

137    Deuxièmement, contrairement à ce qu’allègue la requérante, le déploiement de la TNT dans la zone II ne peut être considéré comme une simple adaptation du réseau analogique déjà existant. S’il est vrai qu’il ne s’agissait pas d’une extension territoriale du réseau terrestre déjà existant, il n’en demeure pas moins que la transmission du signal de télévision numérique constitue une technologie différente de celle de la transmission du signal de télévision analogique et que l’extension de couverture a nécessité la mise en place d’équipements numériques et la construction de nouveaux centres d’émission dans ladite zone.

138    Troisièmement, il convient de rappeler que le fait qu’un opérateur public a agi en tant qu’organisme instrumental d’une entité étatique ne saurait écarter l’application des règles de la concurrence du droit de l’Union. Ainsi qu’il résulte de l’article 106, paragraphe 1, TFUE, les États membres, en ce qui concerne en particulier les entreprises publiques, sont tenues de n’édicter ni de maintenir aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 101 à 109 TFUE.

139    Quatrièmement, tandis que l’existence d’une défaillance du marché dans la zone II n’est pas contestée par la Commission, ainsi qu’il ressort des considérants 151 et 152 de la décision attaquée, il a déjà été constaté que la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant l’existence d’une distorsion de la concurrence dans ladite zone (voir les points 75 à 82 ci-dessus). La requérante n’ayant pas contesté les autres considérations de la Commission relatives à l’absence de proportionnalité de la mesure en cause figurant au considérant 166 de ladite décision, elle n’a pas établi que celle-ci avait commis une erreur manifeste à cet égard. En outre, étant donné que la Commission a constaté, dans la décision attaquée, que le principe de neutralité technologique n’avait pas été respecté, elle pouvait, sans commettre d’erreur manifeste, conclure, au considérant 170 de cette décision, à l’existence de distorsions inutiles de la concurrence.

140    Le troisième moyen doit donc être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré à titre subsidiaire d’un détournement de pouvoir

141    La requérante fait valoir, à titre subsidiaire, que la Commission a commis un détournement de pouvoir en ce qu’elle a envisagé, en réalité, de remettre en question le système ou modèle général en vigueur sur le marché de l’audiovisuel et des télécommunications en Espagne mis en œuvre dans le cadre de la zone I. Selon elle, la Commission aurait dû se borner à examiner l’application des règles du droit de l’Union de la concurrence dans la zone II. En outre, elle affirme que les effets de la décision attaquée sont manifestement disproportionnés en raison du fait qu’ils entraîneraient directement la suppression immédiate du service d’accès à la télévision pour une partie de la population qui serait caractérisée par des circonstances défavorables d’un point de vue social et économique, contrairement aux principes fondamentaux de cohésion social et d’égalité. La décision attaquée envisagerait donc de faciliter l’entrée dans cette dernière zone de certains opérateurs privés dont l’unique intérêt découlerait de l’obtention d’une compensation pour la prestation de services dans des conditions économiques plus onéreuses soit pour l’administration publique soit pour les usagers du service.

142    Selon la jurisprudence, la notion de détournement de pouvoir se réfère au fait, pour une autorité administrative, d’avoir usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise à une telle fin (voir arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec, EU:C:1990:391, point 24 ; du 10 mai 2005, Italie/Commission, C‑400/99, Rec, EU:C:2005:275, point 38, et du 12 novembre 2008, Cantieri Navali Termoli/Commission, T‑70/07, EU:T:2008:486, point 93).

143    En l’espèce, la requérante n’a présenté aucun élément susceptible de démontrer que la Commission avait abusé de son pouvoir en adoptant la décision attaquée à d’autres fins que celles de statuer sur le respect des règles d’aides d’État par les autorités espagnoles en déployant la TNT dans la zone II. Ainsi qu’il a déjà été relevé (voir points 75 à 82 et 139 ci-dessus), la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant l’existence d’une distorsion inutile de la concurrence dans ladite zone en raison du non-respect du principe de neutralité technologique. Les considérations de la Commission dans la décision attaquée visant clairement la mesure en cause concernant cette zone, rien ne permet de considérer que la Commission envisageait, en réalité, de remettre en question le système général en vigueur dans la zone I.

144    Pour ce qui est de l’argumentation selon laquelle l’objectif de réparer une distorsion de la concurrence dans la zone II serait manifestement disproportionné par rapport aux conséquences découlant de la décision attaquée, il y a lieu de relever que celle-ci n’est pas pertinente dans le cadre de l’examen d’un détournement de pouvoir. En outre, selon la jurisprudence, la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité, de sorte que la récupération de cette aide, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité en matière d’aides d’État (voir arrêt du 28 juillet 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑471/09 P à C‑473/09 P, EU:C:2011:521, point 100 et jurisprudence citée).

145    Enfin, aucun élément présenté par la requérante ne démontre que la décision attaquée, en ce qu’elle ordonne la récupération de l’aide d’État en cause et l’annulation des paiements en cours, conduira à une interruption effective du service de TNT dans l’ensemble de la zone II, ce qui n’est d’ailleurs aucunement pertinent dans le cadre de l’examen d’un détournement de pouvoir. De plus, ladite décision n’oblige pas le Royaume d’Espagne à récupérer tous les moyens accordés ou à annuler tous les paiements à cet égard, mais il incombe uniquement à cet État membre de récupérer l’aide en cause et d’annuler tous les paiements en cause, dans la mesure où le principe de neutralité technologique n’aurait pas été respecté. Dans ces circonstances, les allégations de la requérante relatives à la survenance d’une interruption du service de télévision dans ladite zone en cas de récupération de l’aide en cause doivent être qualifiées de suppositions non étayées. Par ailleurs, il convient de rappeler que cette décision ne concerne pas l’obligation de couverture de la quasi-totalité de cette zone en ce qui concerne les chaînes publiques (voir points 2 et 111 ci-dessus) et qu’il incombe aux autorités espagnoles d’organiser l’extension du réseau de télévision numérique conformément au droit de l’Union relatif aux aides d’État. En ce qui concerne l’argumentation selon laquelle la décision attaquée aurait pour conséquence une compensation pour la prestation de services dans des conditions économiques plus onéreuses, il suffit de relever qu’une telle conséquence est purement hypothétique.

146    Il s’ensuit que le quatrième moyen et, par conséquent, le recours dans son intégralité doivent être rejetés.

 Sur les dépens

147    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission et par l’intervenante, conformément aux conclusions de ces dernières.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Navarra de Servicios y Tecnologías, SA supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et par SES Astra.

Dittrich

Schwarcz

Tomljenović

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 novembre 2015.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur la recevabilité

Sur le fond

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

– Sur la première branche, tirée de l’absence de ressources d’État

– Sur la deuxième branche, tirée de l’absence d’avantage accordé à des entités exerçant une activité économique

– Sur la troisième branche, tirée de l’absence d’affectation des échanges entre États membres et de distorsion de la concurrence

Sur le deuxième moyen, tiré à titre subsidiaire d’une violation de l’article 106, paragraphe 2, TFUE et du protocole n° 29

– Sur le premier critère posé par l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415), relatif à l’exécution d’obligations de service public

– Sur le quatrième critère posé par l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, point 18 supra (EU:C:2003:415), relatif à la garantie de moindre coût pour la collectivité

Sur le troisième moyen, tiré à titre subsidiaire d’une violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE

Sur le quatrième moyen, tiré à titre subsidiaire d’un détournement de pouvoir

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’espagnol.