Language of document : ECLI:EU:T:1999:175

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

28 septembre 1999 (1)

«Fonctionnaires — Promotion — Arrêts d'annulation — Mesures d'exécution — Article 176 du traité CE (devenu article 233 CE) — Détournement de pouvoir — Préjudice matériel et moral — indemnisation»

Dans l'affaire T-48/97,

Erik Dan Frederiksen, ancien fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à Howald (Luxembourg), représenté par Me Georges Vandersanden, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. Manfred Peter, chef de division au service juridique, et Joao Sant'Anna, membre du service juridique, en qualité d'agents, assisté de Me Denis Waelbroeck, avocat au Barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg au secrétariat général du Parlement européen, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant à la réparation du préjudice matériel et moral que la partie requérante estime avoir subi du fait de l'attitude adoptée par le Parlement européen dans le cadre du pourvoi du poste de conseiller linguistique de grade LA 3 à la division de la traduction danoise, à la suite de la publication de l'avis de vacance d'emploi n° 5809,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 27 avril 1999,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le 9 janvier 1989, le Parlement européen a publié l'avis de vacance d'emploi n° 5809 (ci-après «avis de vacance n° 5809»), concernant un poste de conseiller linguistique de grade LA 3 à la division de la traduction danoise (ci-après «poste litigieux»).

2.
    Parmi les qualifications et connaissances requises énoncées par cet avis de vacance figurait la «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion».

3.
    A la suite de la publication de cet avis, le requérant, qui exerçait la fonction de traducteur principal à la division de la traduction danoise du Parlement, ainsi que deux autres fonctionnaires de cette division, Mme X et M. Y, ont présenté leur candidature.

4.
    Par note du 2 février 1989, adressée à Mme De Enterria, directeur général de la direction générale de la traduction et des services généraux (DG VII), M. Hargreaves, directeur de la traduction et de la terminologie, a proposé la nomination du requérant au poste litigieux. Il s'appuyait, notamment, sur les

compétences et l'expérience que, à la différence de Mme X, le requérant possédait dans les domaines de la documentation et de l'informatique.

5.
    Par note du 10 mars 1989, Mme De Enterria a proposé au directeur de l'administration, du personnel et des finances la nomination de Mme X au poste litigieux. Cette proposition a donné lieu à des protestations. Ainsi, par note du 14 mars 1989 à Mme De Enterria, M. Hargreaves a, notamment, fait remarquer que le profil de Mme X correspondait moins bien aux exigences du poste litigieux. De même, M. Drangsfeldt, chef de la division de la traduction danoise, a relevé, dans une note du 31 mai 1989 également adressée à Mme De Enterria, que Mme X ne possédait pas les connaissances en matière de techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion requises par l'avis de vacance n° 5809. Mme De Enterria a néanmoins maintenu sa proposition initiale.

6.
    Le 3 juillet 1989, le président du Parlement, en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN»), a nommé, par voie de promotion, Mme X au poste litigieux, avec effet à compter du 1er juin 1989.

7.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 décembre 1989, le requérant a introduit un recours visant à l'annulation de cette décision (affaire T-169/89).

8.
    Par arrêt du 11 décembre 1991, le Tribunal a annulé la décision de promotion de Mme X au poste litigieux après avoir constaté qu'elle ne remplissait pas la condition tenant à une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion» requise par l'avis de vacance n° 5809, que le Parlement n'avait pas apporté la preuve que l'appréciation des connaissances de Mme X avait été opérée par l'AIPN avec l'objectivité et l'exactitude nécessaires et que l'examen comparatif des mérites des candidats était entaché d'erreurs manifestes (Frederiksen/Parlement, T-169/89, Rec. p. II-1403, ci-après «arrêt Frederiksen I»).

9.
    En ce qui concerne les connaissances de Mme X en informatique, le Tribunal a rappelé, tout d'abord, que l'avis de vacance constitue le cadre de légalité que l'AIPN s'impose à elle-même (point 67 de l'arrêt). Il a, dès lors, estimé qu'il lui incombait de vérifier s'il existait bien une adéquation objective entre, d'une part, le texte de l'avis et, d'autre part, les qualifications de Mme X (point 68 de l'arrêt). Le Tribunal a observé que l'exigence d'une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion» correspondait à une nécessité, soulignée par l'administration elle-même, d'utiliser les nouvelles technologies afin de répondre aux problèmes de la direction de la traduction du Parlement. Il a ainsi estimé que l'inclusion de cette condition dans l'avis de vacance traduisait une exigence effective de l'AIPN quant à l'organisation de ses services et qu'elle ne pouvait être qualifiée d'accessoire (points 71 et 72 de l'arrêt). Ensuite, le Tribunal a constaté, sur la base d'une expertise à laquelle il avait fait procéder, que Mme X n'avait pas les connaissances en informatique requises dans l'avis de vacance, telles que celles-ci devaient objectivement être interprétées. Il a conclu que, dans la

mesure où l'AIPN a considéré que Mme X remplissait les conditions requises par l'avis de vacance, l'AIPN avait dépassé les limites qu'elle s'était elle-même fixées et que, compte tenu de ces conditions, elle ne pouvait qu'écarter la candidature de Mme X (point 75 de l'arrêt).

10.
    Par requête déposée au greffe de la Cour le 12 février 1992, le Parlement a formé un pourvoi contre l'arrêt Frederiksen I (affaire C-35/92 P).

11.
    Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le même jour, le Parlement a, en outre, introduit une demande en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution de l'arrêt attaqué (affaire C-35/92 P-R).

12.
    Cette demande a été rejetée par ordonnance du président de la Cour du 3 avril 1992, Parlement/Frederiksen (C-35/92 P-R, Rec. p. I-2399).

13.
    Par décision du 5 mai 1992, notifiée à l'intéressée le 2 juin 1992, le Parlement a annulé la nomination de Mme X au poste litigieux.

14.
    Par décision du 16 juin 1992, Mme X a été appelée à occuper, par interim, le poste litigieux pour une période d'un an à compter du 1er juin 1992.

15.
    Le 3 décembre 1992, le requérant a introduit un recours en annulation devant le Tribunal contre cette dernière décision (affaire T-106/92).

16.
    Par arrêt du 18 mars 1993, la Cour a rejeté comme non fondé le pourvoi formé par le Parlement contre l'arrêt Frederiksen I (arrêt de la Cour du 18 mars 1993, Parlement/Frederiksen, C-35/92 P, Rec. p. I-991).

17.
    Le Parlement a ouvert une nouvelle procédure aux fins de pourvoir au poste litigieux par la publication, le 5 juillet 1993, de l'avis de vacance n° 7346 (ci-après «avis de vacance n° 7346»).

18.
    Cet avis ne comportait plus l'exigence, contenue dans l'avis de vacance n° 5809, d'une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion», mais indiquait que «la connaissance des outils d'aide à la traduction serait appréciée».

19.
    A la suite de la publication de l'avis de vacance n° 7346, une dizaine de fonctionnaires, dont le requérant et Mme X, se sont portés candidats.

20.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 février 1994, le requérant a introduit un recours en annulation contre l'avis de vacance n° 7346 (affaire T-90/94).

21.
    Par décision du 13 juin 1994, le Parlement a nommé Mme X au poste litigieux. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 1995, le requérant a introduit un recours en annulation contre cette décision (affaire T-114/95).

22.
    Par arrêt du 2 février 1995, le Tribunal a annulé la décision du Parlement du 16 juin 1992, appelant Mme X à occuper, par intérim, le poste litigieux (arrêt du Tribunal du 2 février 1995, Frederiksen/Parlement, T-106/92, RecFP p. II-99, ci-après «arrêt Frederiksen II»).

23.
    Dans cet arrêt, le Tribunal a notamment constaté les points suivants:

—    en appelant Mme X à occuper, par interim, le poste litigieux, le Parlement a méconnu l'arrêt Frederiksen I en ce qu'il avait jugé qu'elle n'avait pas les qualifications nécessaires pour occuper ce poste dans l'intérêt du service (point 37 de l'arrêt);

—    le Parlement n'a pas recherché s'il pouvait pourvoir à la vacance d'emploi résultant de l'arrêt Frederiksen I par une autre solution que la nomination ad interim de Mme X et, en n'examinant pas la possibilité de pourvoir à cette vacance par la nomination du requérant, a méconnu l'arrêt Frederiksen I et violé en cela l'article 176 du traité CE (devenu article 233 CE) (point 45 de l'arrêt);

—    la décision portant nomination de Mme X ad interim au poste litigieux est entachée d'un détournement de pouvoir en ce qu'elle a été prise dans l'intérêt de Mme X et non dans celui du service (points 58 et 59 de l'arrêt).

24.
    Par décision du 15 juin 1995, le président du Parlement a retiré l'avis de vacance n° 7346 et chargé le secrétaire général de présenter une proposition actualisée quant aux fonctions et au rôle des conseillers linguistiques des différentes divisions linguistiques. Cette décision était motivée comme suit:

«[...]

—    vu l'arrêt du Tribunal de première instance de l'Union européenne en date du 11 décembre 1991 (aff. T-169/89), l'ordonnance de la Cour de justice du 3 avril 1992 (C-35/92 P-R) ainsi que son arrêt, sur le pourvoi formé contre ledit arrêt du tribunal, du 18 mars 1993 (aff. C-35/92 P), ainsi que l'arrêt du Tribunal du 2 février 1995 (T-106/92);

—    considérant les procédures actuellement pendantes devant le Tribunal dans les affaires T-90/94 et T-114/95;

—    considérant que le poste de conseiller linguistique à la division danoise de la traduction fait actuellement l'objet d'un contentieux devant le Tribunal de première instance encore pendant à l'heure actuelle;

—    considérant qu'il est donc dans l'intérêt du service de tirer toutes les conséquences des potentialités de l'arrêt du 2 février 1995 dans l'affaire T-106/92;

—    considérant qu'il y a lieu, par ailleurs, de prendre en compte les nouvelles exigences de la direction de la traduction découlant de l'élargissement de l'Union, ainsi que les nouvelles astreintes pour les secteurs linguistiques;

—    considérant que dès lors l'intérêt de l'institution impose de procéder à une révision globale des tâches confiées actuellement aux conseillers linguistiques de chaque division;

—    considérant que l'ensemble de ces circonstances constituent des faits nouveaux [...]»

25.
    A la suite du retrait de l'avis de vacance n° 7346, le président du Parlement a annulé la décision subséquente portant nomination de Mme X au poste litigieux, et ce avec effet rétroactif à la date de nomination.

26.
    Après avoir entendu les parties lors d'une réunion informelle le 21 juin 1995, le Tribunal a, par ordonnances du 29 juin 1995, suspendu la procédure dans les affaires T-90/94 et T-114/95 jusqu'au 29 septembre 1995, afin de permettre un règlement à l'amiable du litige.

27.
    Les parties n'étant pas parvenues à un accord dans le délai imparti, le Tribunal les a entendues lors d'une seconde réunion informelle, tenue le 19 octobre 1995.

28.
    Par ordonnances du 14 décembre 1995, après avoir constaté, d'une part, que les recours dans les affaires T-90/94 et T-114/95 étaient devenus sans objet à la suite du retrait des décisions dont l'annulation était poursuivie et, d'autre part, que les parties n'avaient pu aboutir à un règlement à l'amiable du litige, le Tribunal a déclaré qu'il n'y avait plus lieu de statuer dans ces affaires.

29.
    Le 8 janvier 1996, le Parlement a publié l'avis de vacance d'emploi n° 7893 visant à pourvoir cinq postes de chef de division adjoint de grade LA 3 à la direction générale de la traduction et des services généraux, dont un poste à la division de la traduction danoise. Cinq fonctionnaires, dont le requérant et Mme X, ont présenté leur candidature à ce dernier poste. L'AIPN a toutefois décidé de ne pas l'attribuer à l'un de ces candidats, mais d'organiser un concours interne sur titres et épreuves. Ni le requérant ni Mme X n'ont participé à ce concours.

30.
    Le 6 mars 1996, le requérant a introduit une demande au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») visant à obtenir soit un dédommagement de 11 000 000 BFR pour le préjudice matériel et moral qu'il estimait avoir subi du fait de l'attitude adoptée par le Parlement dans le cadre du pourvoi du poste litigieux, à la suite de la publication de l'avis de vacance n° 5809, soit sa nomination rétroactive à un emploi de grade LA 3 ou A 3.

31.
    Par lettre du 19 juillet 1996, le président du Parlement a rejeté cette demande.

32.
    Le requérant a introduit, le 6 septembre 1996, une réclamation à l'encontre de cette décision de rejet au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut.

33.
    Par décision du 10 décembre 1996, le président du Parlement a rejeté cette réclamation.

34.
    Le requérant a pris sa retraite le 1er janvier 1998, à l'âge de 58 ans. Il était alors classé au grade LA 4, échelon 8.

Procédure et conclusions des parties

35.
    C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mars 1997, le requérant a introduit le présent recours.

36.
    Le 10 juillet 1998, le Tribunal a tenu une réunion informelle avec les parties en vue de permettre un règlement amiable du litige.

37.
    Par lettre du 8 octobre 1998, les parties ont été invitées à informer le Tribunal des suites réservées à cette réunion informelle ainsi que des démarches entreprises aux fins de la conclusion et de l'exécution d'un éventuel accord à l'amiable.

38.
    Par lettres, respectivement des 19 et 27 octobre 1998, le Parlement et le requérant ont fait connaître au Tribunal leurs observations, desquelles il est ressorti qu'ils n'étaient pas parvenus à une solution.

39.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre), d'une part, a ouvert la procédure orale et, d'autre part, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, a demandé au Parlement de produire tout document et toute correspondance relatifs au retrait de l'avis de vacance n° 7346 et à l'annulation subséquente de la nomination de Mme X. En réponse à cette demande, le Parlement a versé au dossier, par lettre du 24 mars 1999, un certain nombre de documents.

40.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 27 avril 1999.

41.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    condamner le Parlement à lui verser la somme de 6 000 000 BFR à titre de réparation du préjudice matériel subi;

—    le condamner à lui verser la somme de 5 000 000 BFR à titre de réparation du préjudice moral subi;

—    le condamner aux dépens.

42.
    Le Parlement conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours comme non fondé;

—    statuer sur les dépens comme de droit.

43.
    Dans sa réplique, le requérant porte la somme qu'il réclame à titre de réparation du préjudice matériel subi à 6 802 192 BFR.

Sur le fond

Observations liminaires

44.
    Selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 42, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Lucaccioni/Commission, T-165/95, RecFP p. II-627, point 56).

Arguments des parties

Sur le comportement illégal du Parlement

45.
    Le requérant soutient que l'attitude adoptée par le Parlement dans le cadre du pourvoi du poste litigieux, à la suite de la publication de l'avis de vacance n° 5809, lui a causé un préjudice matériel et moral. Il fait, plus particulièrement, valoir quatre griefs à l'encontre du Parlement.

— Sur le premier grief

46.
    En premier lieu, le requérant reproche au Parlement d'avoir systématiquement nommé Mme X au poste litigieux en méconnaissance de l'intérêt du service. De la sorte, le Parlement, non seulement, se serait rendu coupable d'un détournement de pouvoir, mais en plus, aurait violé l'article 176 du traité. Le requérant fonde ce premier grief sur trois éléments.

47.
    Premièrement, dans l'arrêt Frederiksen I, le Tribunal aurait annulé la première décision nommant Mme X au poste litigieux, après avoir constaté que celle-ci ne remplissait pas la condition tenant à une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion» requise par l'avis de vacance n° 5809, que le Parlement n'avait pas apporté la preuve que l'appréciation des connaissances de Mme X avait été opérée par l'AIPN avec l'objectivité et l'exactitude nécessaires et que l'examen comparatif des mérites des candidats était entaché d'erreurs manifestes.

48.
    Deuxièmement, dans l'arrêt Frederiksen II, le Tribunal aurait considéré que la décision par laquelle Mme X avait été appelée à occuper, par intérim, le poste litigieux était entachée d'un détournement de pouvoir. Le requérant précise que le Parlement ne saurait se disculper en faisant valoir que la jurisprudence relative aux nominations par intérim n'était pas clairement établie à l'époque. De même, le fait que la Cour ne s'était pas encore prononcée sur le recours formé par le Parlement contre l'arrêt Frederiksen I serait sans pertinence puisque le pourvoi n'a pas d'effet suspensif. Le requérant ajoute que l'ordonnance du président de la Cour du 3 avril 1992, précitée, ne saurait être interprétée comme autorisant le Parlement à renommer Mme X par intérim au poste litigieux. Enfin, il souligne que tant le droit que la logique s'opposent à ce qu'un fonctionnaire dont la nomination à un emploi a été annulée par le Tribunal au motif qu'il ne possédait pas l'une des qualifications requises soit appelé à occuper ce même emploi par intérim, alors que d'autres candidats justifient remplir les conditions nécessaires pour exercer celui-ci.

49.
    Par ailleurs, le requérant observe que, dans l'arrêt Frederiksen II, le Tribunal a également constaté que le Parlement avait méconnu l'arrêt Frederiksen I et, partant, violé l'article 176 du traité. Se référant à l'arrêt de la Cour du 9 août 1994, Parlement/Meskens (C-412/92 P, Rec. p. I-3757), il soutient que la violation de cette disposition entraîne une obligation de réparation à la charge du Parlement, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'une faute nouvelle distincte de l'acte annulé.

50.
    Troisièmement, le Parlement n'aurait pas repris dans l'avis de vacance n° 7346 l'exigence d'une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion», alors même que les fonctions afférentes au poste litigieux nécessitaient une telle connaissance, dans le seul but de renommer Mme X audit poste. Le requérant invoque plusieurs éléments à l'appui de cette thèse.

51.
    D'une part, il ressortirait d'une note confidentielle du 24 juin 1993 de Mme De Enterria au secrétaire général que l'absence de toute exigence de connaissances en informatique dans cet avis de vacance visait à éviter que la décision renommant Mme X au poste litigieux puisse faire l'objet d'un recours sur cette base.

52.
    D'autre part, le processus de retrait de l'avis de vacance n° 5809 et d'élaboration de l'avis de vacance n° 7346 aurait comporté plusieurs irrégularités et se serait écarté de la pratique habituelle du Parlement. Ainsi, l'avis de vacance n° 7346 ne ferait pas mention de l'annulation de l'avis de vacance n° 5809, ne porterait pas de numéro «PE» et ne contiendrait pas de feuille de route. En outre, le Parlement n'aurait pas pu produire la version originale de l'avis de vacance n° 7346, à savoir celle approuvée par le président du Parlement, se contentant de communiquer la version destinée à la publication, signée par le chef de la division du personnel.

53.
    Par ailleurs, si le Parlement s'était réellement aperçu, à la suite de l'arrêt Frederiksen I, qu'il avait surévalué, dans l'avis de vacance n° 5809, les connaissances en informatique requises pour le poste litigieux, il aurait dû réduire le niveau de celles-ci dans l'avis de vacance n° 7346, plutôt que de supprimer toute exigence à ce titre. Ainsi, il ressortirait des commandes en matériel informatique effectuées par le Parlement, notamment pour Mme X après sa première nomination, que celui-ci entendait que les conseillers linguistiques sachent se servir d'un micro-ordinateur et possèdent une connaissance suffisante de MS-DOS et Open Access ou d'autres logiciels équivalents. Il ressortirait d'ailleurs de l'expertise réalisée aux fins de l'arrêt Frederiksen I qu'une connaissance de ces logiciels correspondait précisément au niveau de connaissance requis pour les fonctions afférentes au poste litigieux.

54.
    En outre, le fait que le Parlement ait finalement retiré l'avis de vacance n° 7346 et annulé la nomination subséquente de Mme X, et ce peu de temps avant l'audience au cours de laquelle la légalité de ces actes devait être débattue, démontrerait que ledit avis avait été pris dans des conditions illégales et que le Parlement a réalisé qu'il encourait de nouvelles condamnations.

55.
    Enfin, selon le requérant, le Parlement ne pouvait d'ailleurs procéder à la publication d'un nouvel avis de vacance puisque la jurisprudence n'autorise l'AIPN à recommencer une procédure de promotion sur la base d'un avis de vacance modifié que si ladite procédure n'a pas déjà été close. Or, en l'espèce, la procédure ouverte par l'avis de vacance n° 5809 aurait été close par la décision du 3 juillet 1989 portant nomination de Mme X au poste litigieux. En outre, aucune des trois conditions posées par la jurisprudence pour autoriser le retrait d'un acte administratif, tel l'avis de vacance n° 5809, n'aurait été remplie en l'espèce. En effet, d'une part, cet avis de vacance n'était pas entaché de la moindre illégalité. D'autre part, il n'a pas été retiré dans un délai raisonnable, mais seulement après que le Tribunal et la Cour aient rendu leurs arrêts. Enfin, le requérant, comme les autres candidats au poste litigieux, pouvait légitimement se fier au cadre juridique

défini par cet avis de vacance et, notamment, à l'exigence, essentielle, de connaissances en informatique qu'il contenait.

56.
    Le Parlement nie avoir méconnu les conséquences des arrêts rendus par le Tribunal et par la Cour. Il conteste également que le comportement que lui impute le requérant soit entaché d'un détournement de pouvoir.

57.
    Le Parlement soutient, premièrement, que, dès que sa demande de sursis à l'exécution de l'arrêt Frederiksen I a été rejetée, il a exécuté ledit arrêt en annulant, rétroactivement, la nomination de Mme X et en rétrogradant celle-ci en LA 4. Il n'aurait pas pris la décision de nommer Mme X ad interim au poste litigieux dans l'intention de nuire au requérant, mais parce qu'il pensait que, dans ce cadre, elle ne devait pas nécessairement présenter toutes les qualifications requises pour une nomination définitive. Son opinion aurait été d'autant plus justifiée que la question de savoir si Mme X était pleinement qualifiée pour occuper le poste litigieux à titre définitif faisait l'objet d'un pourvoi devant la Cour. De plus, à l'époque, cette pratique aurait été courante au sein des institutions communautaires. Le Parlement tire également argument du fait qu'il n'y avait pas encore de jurisprudence clairement établie quant aux conditions dans lesquelles les nominations ad interim pouvaient intervenir et qu'il avait donc, en toute bonne foi, procédé à une interprétation par analogie de l'arrêt de la Cour du 28 février 1989, Van der Stijl e.a./Commission (341/85, 251/86, 258/86, 259/86, 262/86, 266/86, 222/87 et 232/87, Rec. p. 511). Dans cet arrêt, la Cour avait considéré qu'il était loisible à l'AIPN, après annulation de la nomination d'un fonctionnaire à un poste pour violation de l'article 29 du statut, de procéder au recrutement de ce même fonctionnaire à titre d'agent temporaire sur ledit poste. Enfin, le Parlement aurait cru pouvoir agir en ce sens au vu du point 22 de l'ordonnance du président de la Cour du 3 avril 1992, précitée.

58.
    Deuxièmement, le Parlement fait remarquer qu'il a décidé de ne plus exiger une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion» dans l'avis de vacance n° 7346 parce qu'il avait réévalué cette condition requise par l'avis de vacance n° 5809 et constaté que sa portée telle qu'interprétée par le Tribunal et la Cour était excessive au regard des besoins du service. Il expose que, dans une telle hypothèse, l'AIPN est en droit de recommencer la procédure de promotion en retirant l'avis de vacance original et en le remplaçant par un avis corrigé (arrêt de la Cour du 30 octobre 1974, Grassi/Conseil, 188/73, Rec. p. 1099). Le Parlement observe également que l'AIPN n'est pas tenue de donner suite à une procédure de recrutement engagée en application de l'article 29 du statut et qu'elle peut ouvrir une nouvelle procédure (arrêts de la Cour du 8 juin 1988, Vlachou/Cour des comptes, 135/87, Rec. p. 2901, et du Tribunal du 14 février 1990, Hochbaum/Commission, T-38/89, Rec. p. II-43). Ce principe s'appliquerait aussi dans l'hypothèse où la nomination intervenue sur la base d'un premier avis de vacance a été annulée par le juge communautaire. Ensuite, le Parlement relève que la procédure de promotion intervenue sur la base de l'avis de vacance n° 5809

n'avait pas été close par la nomination de Mme X, puisque cette nomination avait été annulée par l'arrêt Frederiksen I.

59.
    Par ailleurs, le Parlement estime que la théorie du retrait des actes administratifs ne s'applique pas en l'espèce puisqu'il n'est pas question du remplacement d'un acte illégal, mais de la faculté, pour l'AIPN, de recommencer une procédure de promotion en publiant un nouvel avis de vacance lorsqu'il lui apparaît que les conditions requises par l'avis de vacance initial sont excessivement sévères au regard des besoins du service.

60.
    En ce qui concerne le retrait de l'avis de vacance n° 7346 et l'annulation de la nomination subséquente de Mme X, le Parlement expose qu'ils ont surtout été dictés par la nécessité de transformer les postes de conseillers linguistiques, toutes divisions linguistiques confondues, en postes de «chefs de division adjoints» et de leur donner un nouveau contenu fonctionnel. Cette nécessité se serait inscrite dans le cadre d'une restructuration plus large, qui faisait l'objet de discussions depuis 1993 et était devenue plus urgente à la suite de l'adhésion des nouveaux États membres et, par voie de conséquence, de l'introduction de nouvelles langues officielles. A l'appui de ses affirmations, le Parlement produit un extrait d'un rapport d'octobre 1994 sur «l'impact de l'élargissement sur le secrétariat général du Parlement européen» ainsi que des projets d'avis de vacance d'emploi type «pour chef de division adjoint d'une division de traduction» et des échanges de notes sur ces projets. Lors de l'audience, le Parlement a davantage souligné que la décision de retrait de l'avis de vacance n° 7346 et l'annulation de la nomination subséquente de Mme X étaient une conséquence directe de l'arrêt Frederiksen II et visaient à permettre au requérant, dans un souci de sollicitude, de postuler de nouveau au poste litigieux.

— Sur le deuxième grief

61.
    Le requérant fait grief au Parlement d'avoir formé un pourvoi contre l'arrêt Frederiksen I et introduit une demande en référé visant à obtenir un sursis à l'exécution de cet arrêt. Selon lui, le Parlement entendait de la sorte le décourager et maintenir Mme X au poste litigieux.

62.
    Le Parlement considère qu'il n'a fait que légitimement exercer les voies de droit qui lui étaient ouvertes. Il fait remarquer qu'il a, en outre, annulé, à titre rétroactif, la nomination de Mme X dès que sa demande de sursis a été rejetée, et donc sans attendre que la Cour se soit prononcée sur le pourvoi.

— Sur le troisième grief

63.
    Le requérant reproche au Parlement d'avoir adopté une attitude rigide lors des négociations menées en vue d'aboutir à un règlement amiable du litige, et d'avoir rejeté ses offres d'arrangement sans faire la moindre contre-proposition.

64.
    Le Parlement explique qu'il n'a pu accepter les propositions du requérant, dès lors que, d'une part, elles n'étaient conformes ni au statut ni aux dispositions internes réglant l'attribution de grades ad personam et, d'autre part, les conditions de l'engagement de la responsabilité de l'institution n'étaient pas réunies. Il relève que, ultérieurement, il a néanmoins pu obtenir de son bureau une dérogation exceptionnelle en vue d'octroyer au requérant une nomination ad personam au grade LA 3 au 1er janvier 1998 mais que celui-ci a refusé cette proposition.

— Sur le quatrième grief

65.
    Le requérant reproche au Parlement de ne pas l'avoir nommé au poste litigieux, et ce avec effet rétroactif au 1er juin 1989, à la suite de l'arrêt Frederiksen I. Le Parlement aurait, en effet, dû reprendre la procédure de recrutement ouverte sur la base de l'avis de vacance n° 5809. Or, le requérant aurait rempli toutes les conditions requises par cet avis de vacance, sa nomination au poste litigieux aurait été proposée par M. Hargreaves et le secrétaire général n'aurait écarté sa candidature qu'en raison de l'ancienneté de Mme X, supérieure à la sienne.

66.
    Le Parlement considère que ce grief est non fondé. Selon lui, en effet, à la suite de l'arrêt Frederiksen I, l'AIPN n'était nullement obligée de reprendre la procédure de recrutement ouverte sur la base de l'avis de vacance n° 5809, mais pouvait publier un nouvel avis de vacance répondant de façon plus adéquate aux besoins du service.

67.
    Le Parlement ajoute que, en tout état de cause, le requérant ne possédait pas un droit absolu et automatique à être nommé sur la base de l'avis de vacance n° 5809, même après l'annulation de la nomination de Mme X. En effet, si, à la suite de l'arrêt Frederiksen I, la procédure ouverte sur la base de cet avis de vacance avait été reprise, l'AIPN aurait recouvré son pouvoir d'appréciation. De plus, il est de jurisprudence constante que l'article 29, paragraphe 1, sous a), du statut ne reconnaît pas aux fonctionnaires qui réunissent les conditions pour pouvoir être promus un droit subjectif à la promotion (arrêts de la Cour du 25 novembre 1976, Küster/Parlement, 123/75, Rec. p. 1701, et du Tribunal du 19 octobre 1995, Obst/Commission, T-562/93 RecFP p. II-737).

Sur le préjudice matériel et moral

68.
    Le requérant soutient que le comportement illégal du Parlement lui a causé un préjudice matériel et un préjudice moral.

— Sur le préjudice matériel

69.
    Le requérant fait valoir qu'il aurait dû être nommé au poste litigieux le 3 juillet 1989, avec effet au 1er juin 1989. Il reprend les motifs exposés au point 65 ci-dessus.

70.
    Le requérant évalue son préjudice matériel à la somme de 6 802 192 BFR, correspondant à la différence entre, d'une part, la rémunération et les indemnités qu'il aurait perçues jusqu'à sa mise à la retraite s'il avait été nommé au grade LA 3 à compter du 1er juin 1989 et, d'autre part, la rémunération et les indemnités qu'il a perçues depuis cette dernière date, au grade LA 4, jusqu'à son départ à la retraite.

71.
    Le Parlement soutient que le requérant ne saurait prétendre à la réparation d'un quelconque préjudice matériel dès lors que l'annulation de la nomination de Mme X au poste litigieux n'aurait nullement dû entraîner sa propre nomination à ce poste. Par ailleurs, selon lui, le requérant n'avait pas un droit automatique à être promu.

72.
    Le Parlement fait remarquer que, en tout état de cause, le préjudice matériel allégué est largement surestimé et qu'il ne pourrait s'élever qu'à 1 869 737 BFR.

— Sur le préjudice moral

73.
    Le requérant relève que le Parlement a fait preuve de mépris à son égard et qu'il a dû introduire plusieurs actions en justice pour obtenir le simple respect de ses droits. Il expose que le comportement du Parlement a eu des répercussions néfastes, tant sur sa santé, ainsi qu'en attestent les certificats médicaux qu'il a versés au dossier, que sur sa vie de famille. De plus, il aurait été affecté par le fait qu'il a dû, pendant six années, travailler sous les ordres de Mme X, alors que celle-ci occupait le poste litigieux sans la moindre légitimité.

74.
    Le requérant évalue, ex aequo et bono, la réparation de son préjudice moral à lasomme de 5 000 000 BFR. Son évaluation tient compte de la gravité et de la multiplicité des fautes commises par le Parlement ainsi que du fait que, en raison de la détérioration de son état de santé, il n'a plus été en mesure de faire face aux responsabilités liées à un poste de grade LA 3 ni, dès lors, de postuler à un tel poste.

75.
    Il fait valoir que l'annulation des différentes décisions portant nomination de Mme X au poste litigieux ne saurait avoir constitué, en elle-même, une réparation adéquate dudit préjudice. Il n'y aurait pas lieu, à cet égard, de distinguer selon qu'il était, ou non, le destinataire des actes annulés. Il ajoute que, en tout état de cause, il demande réparation du préjudice causé, non pas par un acte particulier qui aurait été annulé, mais par l'attitude illicite du Parlement qui a persisté à nommer, et à maintenir, Mme X au poste litigieux.

76.
    Le Parlement souligne qu'il est de jurisprudence constante que l'annulation d'un acte de l'administration attaqué par un fonctionnaire constitue en elle-même une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que celui-ci peut avoir subi (arrêts de la Cour du 7 octobre 1985, van der Stijl/Commission, 128/84, Rec. p. 3281, du 9 juillet 1987, Hochbaum et Rawes/Commission, 44/85, 77/85, 294/85 et 295/85, Rec. p. 3259, du 7 février 1990, Culin/Commission, C-347/87, Rec. p. I-225, et du Tribunal du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement, T-37/89, Rec. p. II-463). Or, en l'espèce, les actes contestés par le requérant ont tous été annulés. Certes, dans certaines circonstances, il serait dérogé à ce principe (arrêt du Tribunal du 27 février 1992, Plug/Commission, T-165/89, Rec. p. II-367). Toutefois, une telle dérogation serait exclue lorsque, comme en l'espèce, le fonctionnaire n'est pas le destinataire des actes qu'il a attaqués (arrêts de la Cour du 28 février 1989, van der Stijl e.a./Commission, 341/85, 251/86, 258/86, 259/86, 262/86, 266/86, 222/87 et 232/87, Rec. p. 511, Hochbaum et Rawes/Commission, précité, et du Tribunal, Hanning/Parlement, précité, et du 19 mars 1997, Giannini/Commission, T-21/96, RecFP p. II-211). Dans cette dernière hypothèse, il ne serait possible d'octroyer des dommages-intérêts au requérant que s'il justifie avoir subi un préjudice moral distinct du fait d'un comportement de l'administration distinct de l'acte annulé (arrêt Culin/Commission, précité). En l'espèce, le requérant ne saurait soutenir que le préjudice moral allégué découle, non des différents actes annulés, mais de l'attitude du Parlement qui aurait consisté à maintenir Mme X au poste litigieux. En effet, même dans une telle hypothèse, le préjudice allégué continuerait de résulter des nominations successives de Mme X à ce poste.

77.
    En ce qui concerne, plus particulièrement, les problèmes de santé rencontrés par le requérant, celui-ci ne rapporterait pas la preuve qu'ils trouvent leur origine dans les diverses actions judiciaires qu'il a introduites ou dans le comportement qu'il impute au Parlement. En outre, une note du 8 novembre 1996 du médecin-conseil du Parlement démontrerait le contraire.

78.
    Enfin, le Parlement estime que le montant réclamé par le requérant à titre de réparation de son préjudice moral est, en tout état de cause, très excessif au regard de la jurisprudence.

Sur le lien de causalité

79.
    Selon le requérant, l'existence d'un lien de causalité entre le comportement illégal du Parlement, d'une part, et les préjudices matériel et moral qu'il a subis, d'autre part, est établie.

80.
    Le Parlement considère qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le comportement illégal qui lui est imputé et les préjudices allégués.

Appréciation du Tribunal

Sur le comportement illégal du Parlement

— Sur le premier grief

81.
    Il est de jurisprudence constante que les actes des institutions communautaires bénéficient, en l'absence de tout indice de nature à mettre en cause leur validité, d'une présomption de légalité (arrêts de la Cour du 26 février 1987, Consorzio Cooperative d'Abruzzo/Commission, 15/85, Rec. p. 1005, point 10, du Tribunal du 27 octobre 1994, Deere/Commission, T-35/92, Rec. p. II-957, point 31, et du 19 novembre 1996, Brulant/Parlement, T-272/94, RecFP p. II-1397, point 35). Un détournement de pouvoir n'est réputé exister que s'il est prouvé que, en adoptant l'acte litigieux, l'AIPN a poursuivi un but autre que celui visé par la réglementation en cause ou s'il apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, que les actes en question ont été pris pour atteindre des fins autres que celles excipées (arrêts du Tribunal du 18 mars 1997, Rasmussen/Commission, T-35/96, RecFP p. II-187, point 70, et du 25 février 1999, Giannini/Commission, T-282/97 et T-57/98, non encore publié au Recueil, point 28).

82.
    En l'espèce, il importe d'examiner si les différents actes adoptés par le Parlement dans le cadre du pourvoi du poste litigieux, à la suite de la publication de l'avis de vacance n° 5809, ne constituent pas la manifestation d'une volonté délibérée de l'institution défenderesse de favoriser l'un des candidats audit poste au détriment des autres et en méconnaissance de l'intérêt du service.

83.
    A cet égard, il convient d'observer, en premier lieu, que, dans l'arrêt Frederiksen I, le Tribunal a annulé la première nomination de Mme X au poste litigieux après avoir expressément constaté qu'elle ne satisfaisait pas à l'exigence de connaissance en informatique énoncée dans l'avis de vacance n° 5809, telle que celle-ci devait être objectivement interprétée, et que le Parlement n'avait pas apporté la preuve qu'une appréciation de l'adéquation des connaissances de Mme X à cette exigence avait été effectivement opérée par l'AIPN avec l'objectivité et l'exactitude nécessaires. Dans cet arrêt, le Tribunal a également conclu que l'AIPN n'avait pas procédé à l'examen comparatif des mérites des candidats, prévu par l'article 45 du statut, avec l'objectivité et l'exactitude requises.

84.
    Le pourvoi formé par le Parlement contre l'arrêt Frederiksen I a été rejeté par la Cour, par arrêt du 18 mars 1993.

85.
    Il y a lieu de noter, en second lieu, que, dans l'arrêt Frederiksen II, le Tribunal a expressément constaté que la décision de l'AIPN portant nomination ad interim de Mme X au poste litigieux avait été prise dans l'intérêt de cette dernière, et non dans celui du service, et qu'elle était donc entachée d'un détournement de pouvoir.

86.
    Le Parlement n'ayant pas formé de pourvoi contre l'arrêt Frederiksen II, le dispositif de cet arrêt et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire doivent être considérés comme définitifs. Dès lors, les arguments formulés par le Parlement tendant à les contester dans le cadre de la présente affaire se heurtent à l'autorité de chose jugée dudit arrêt.

87.
    En troisième lieu, il convient de constater que la décision par laquelle l'AIPN a adopté et publié l'avis de vacance n° 7346 et la décision de l'AIPN du 13 juin 1994 portant nomination de Mme X au poste litigieux ont, elles aussi, été prises, non dans l'intérêt du service, mais dans celui de Mme X. Plusieurs éléments appuient cette constatation.

88.
    Premièrement, il a été rappelé ci-dessus que les deux décisions antérieures portant nomination de Mme X au poste litigieux étaient illégales et dictées par des considérations subjectives.

89.
    Deuxièmement, l'avis de vacance n° 7346 a été élaboré par la même personne qui avait été à l'origine des décisions annulées par les arrêts Frederiksen I et Frederiksen II.

90.
    Troisièmement, l'abandon dans l'avis de vacance n° 7346 de toute exigence de connaissances en informatique, au profit de la condition imprécise d'avoir une «connaissance des outils d'aide à la traduction» n'apparaît pas justifié. Il y a lieu de rappeler, en effet, que, dans l'arrêt Frederiksen I, le Tribunal a expressément relevé que la condition, dans l'avis de vacance n° 5809, d'avoir une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion» traduisait une exigence effective de la part de l'AIPN quant à l'organisation de ses services qui ne pouvait être qualifiée d'accessoire (point 72 de l'arrêt). Le Tribunal a abouti à cette conclusion après avoir constaté, d'une part, que Mme De Enterria en personne, dans son «Bilan des activités de la DG VII au cours de l'exercice 1988» avait mis l'accent, quant à l'avenir, sur la nécessité d'utiliser les nouvelles technologies afin de répondre aux problèmes de la direction de la traduction et, d'autre part, que l'importance de l'informatique pour le travail de la division de la traduction danoise avait également été soulignée dans les notes de M. Hargreaves, du 2 février 1989, et de M. Drangsfeldt, du 31 mai 1989 (point 71 de l'arrêt). La suppression de l'exigence susvisée est d'autant plus douteuse qu'elle avait pour conséquence directe de placer Mme X dans une position manifestement favorable par rapport aux autres candidats pour être nommée au poste litigieux.

91.
    Quatrièmement, en retirant l'avis de vacance n° 7346 et en annulant la nomination subséquente de Mme X, le Parlement a, lui-même, fait l'aveu du caractère illégal de ces deux actes. Aucune des explications qu'il a fournies pour tenter de justifier leur adoption n'est, en effet, plausible. Or, une justification incontestable et appropriée était d'autant plus nécessaire que ces actes ont emporté la rétrogradation de Mme X au grade LA 4.

92.
    Ainsi, d'une part, si les documents produits par le Parlement établissent que des mesures de réorganisation du secrétariat général et une redéfinition du rôle et des fonctions des conseillers linguistiques étaient prévues, ils n'expliquent toutefois nullement pourquoi elles nécessitaient l'annulation de la nomination de Mme X au poste litigieux. L'annulation de ladite nomination pour ces motifs est d'autant plus

incompréhensible que, à la différence de Mme X, les autres conseillers linguistiques en fonction ont conservé leur emploi, après une simple modification de la dénomination de celui-ci et des fonctions y afférentes.

93.
    D'autre part, si la décision par laquelle l'AIPN a adopté et publié l'avis de vacance n° 7346 et la décision subséquente portant nomination de Mme X au poste litigieux n'étaient réellement entachées d'aucune illégalité, il n'apparaît pas en quoi les précédents arrêts rendus en la matière, et en particulier les «potentialités» de l'arrêt Frederiksen II, auraient pu les affecter. Quant à l'explication donnée par le Parlement, selon laquelle il aurait, de la sorte, entendu donner au requérant une nouvelle chance de postuler au poste litigieux, elle n'est nullement crédible.

94.
    Les éléments susvisés constituent des indices objectifs, concordants et pertinents de ce que le Parlement a systématiquement favorisé Mme X lors du pourvoi du poste litigieux, au détriment des autres candidats et en méconnaissance de l'intérêt du service.

95.
    Par ailleurs, il s'avère également que, en adoptant une telle attitude, le Parlement s'est complètement abstenu de donner suite aux motifs des arrêts Frederiksen I et Frederiksen II, selon lesquels, d'une part, Mme X ne remplissait pas l'une des conditions essentielles pour être nommée au poste litigieux (points 71 à 75 de l'arrêt Frederiksen I et points 36 et 37 de l'arrêt Frederiksen II), et, d'autre part, l'AIPN n'avait pas exercé son pouvoir d'appréciation avec l'objectivité et l'exactitude nécessaires (points 76 à 79 de l'arrêt Frederiksen I et points 39 à 44 et 48 à 59 de l'arrêt Frederiksen II). Compte tenu de ces motifs, qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de ces arrêts et devaient donc guider le Parlementdans la détermination des mesures à prendre (arrêt de la Cour du 26 avril 1988, Asteris e.a. et Grèce/Commission, 97/86, 193/86, 99/86 et 215/86, Rec. p. 2181, point 27, et arrêts du Tribunal du 27 novembre 1997, Tremblay e.a./Commission, T-224/95, Rec. p. II-2215, point 72, et du 25 février 1999, Giannini/Commission, précité, point 33), il apparaît que ce comportement du Parlement démontre sa volonté persistante de se soustraire à l'exécution desdits arrêts.

96.
    Il ressort de ce qui précède que le Parlement a commis un détournement de pouvoir et méconnu l'article 176 du traité. Le Parlement a, de la sorte, commis une faute de service susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté.

— Sur le deuxième grief

97.
    Le fait de pouvoir faire valoir ses droits par voie juridictionnelle et le contrôle juridictionnel qu'il implique est l'expression d'un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, points 17 et 18, et arrêt du Tribunal du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission, T-111/96,

Rec. p. II-2937, point 60). L'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait, pour une institution, d'intenter une action en justice est susceptible de constituer une faute de service.

98.
    En l'espèce, il n'est pas démontré que le Parlement ait formé un pourvoi contre l'arrêt Frederiksen I et introduit une demande en référé visant à obtenir un sursis à l'exécution de cet arrêt dans le but de décourager le requérant et de maintenir Mme X au poste litigieux.

99.
    Le deuxième grief doit, dès lors, être rejeté comme non fondé.

— Sur le troisième grief

100.
    Le fait pour une institution de rejeter des propositions d'arrangement formulées par une autre partie au litige et de ne pas faire elle-même de contre-proposition ne saurait constituer une faute de service de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

101.
    Le troisième grief doit, dès lors, être rejeté comme non fondé.

— Sur le quatrième grief

102.
    Pour que le quatrième grief puisse être accueilli, il faudrait établir qu'il découlait nécessairement de l'annulation de la première décision nommant Mme X au poste litigieux que le requérant aurait dû être promu audit poste.

103.
    Or, si en exécution de l'arrêt Frederiksen I, le Parlement avait repris la procédure de recrutement ouverte par la publication de l'avis de vacance n° 5809, il n'est pas totalement exclu que, à l'issue du nouvel examen comparatif des mérites opéré par l'AIPN, le troisième candidat, M. Y, ait pu être nommé au poste litigieux. Il ressort, en effet, de la note du 2 février 1989 de M. Hargreaves que les qualifications et connaissances de ce dernier candidat, en ce compris en informatique, satisfaisaient aux exigences de l'avis de vacance n° 5809 et qu'il n'avait été écarté qu'en raison de son ancienneté et de son âge, tous deux inférieurs à ceux du requérant. D'autre part, ni le Tribunal ni l'expert désigné dans l'affaire T-169/89 ne se sont prononcés sur les qualifications et connaissances de M. Y en comparaison avec celles du requérant.

104.
    En outre, à la suite de l'arrêt Frederiksen I, le Parlement aurait, en toute hypothèse, pu ouvrir une nouvelle procédure de recrutement. En effet, même s'il est vrai que l'illégalité dont était entachée la première décision de nomination de Mme X au poste litigieux ne s'est pas répercutée sur la validité de l'avis de vacance n° 5809, qui n'a jamais été mise en cause, le Parlement n'était pas pour autant tenu

de reprendre la procédure de recrutement dans l'état où elle se trouvait avant l'adoption de l'acte illégal (arrêt Hochbaum/Commission, précité, points 14 et 15).

105.
    Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le quatrième grief comme non fondé.

Sur le préjudice matériel et moral et sur le lien de causalité

106.
    Il est de jurisprudence constante que le préjudice dont il est demandé réparation doit être réel et certain (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Stott/Commission, T-99/95, RecFP p. II-1583, point 72).

107.
    En l'espèce, la réalité du préjudice matériel invoqué par le requérant suppose que soit établi qu'il avait un droit à être nommé au poste litigieux à compter du 1er juin 1989.

108.
    Or, il a été constaté aux points 103 et 104 ci-dessus que le requérant ne saurait prétendre à un tel droit.

1    

109.
    Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner s'il existe un lien de causalité entre la faute de service commise par le Parlement et le préjudice matériel allégué, la demande en réparation de ce préjudice doit être rejetée.

1    

110.
    En revanche, il est établi par les éléments du dossier que le comportement illégal du Parlement a incontestablement placé le requérant dans un état prolongé d'incertitude et d'inquiétude quant à l'évolution de sa carrière. En particulier, le Parlement a privé le requérant du droit d'obtenir une appréciation correcte et objective de ses mérites et une décision impartiale et motivée de façon appropriée sur les candidatures qu'il avait présentées pour le poste litigieux.

1    

111.
    Par ailleurs, il est démontré par les certificats médicaux produits par le requérant que la persistance de ce comportement illégal pendant de nombreuses années a eu des conséquences préjudiciables à sa santé physique et psychique, ce qui l'a obligé à mettre prématurément un terme à sa carrière, à l'âge de 58 ans.

1    

112.
    Les situations décrites ci-dessus sont constitutives d'un préjudice moral.

1    

113.
    En l'espèce, ce préjudice ne saurait avoir été suffisamment réparé par le fait que le requérant a obtenu l'annulation des nominations successives de Mme X au poste litigieux dans les arrêts Frederiksen I et Frederiksen II et par la confirmation par la Cour de l'arrêt Frederiksen I. En effet, l'illégalité commise à son égard a continué à produire ses effets en ce que, comme il a été retenu aux points 95 et 96 ci-dessus, le Parlement n'a pas pris les mesures que comportait l'exécution de ces arrêts. De même, l'annulation de la nomination de Mme X intervenue sur la base de l'avis de vacance n° 7346 n'ayant pas été effectuée pour des motifs légitimes, le requérant pouvait craindre que cette illégalité perdure.

1    

114.
    Au vu des circonstances particulières de l'espèce et compte tenu des manquements graves et persistants dont le Parlement s'est rendu coupable, il convient de considérer ex aequo et bono que l'allocation d'un montant de 3 000 000 BFR constitue une réparation appropriée du préjudice moral subi par le requérant.

Sur les dépens

115.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le requérant ayant conclu en ce sens et le Parlement ayant succombé pour l'essentiel, il y a lieu de condamner celui-ci à supporter l'ensemble des dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le Parlement est condamné à verser à la partie requérante la somme de 3 000 000 BFR à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)     Le Parlement est condamné aux dépens.

Cooke
García Valdecasas
Lindh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 septembre 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. D. Cooke


1: Langue de procédure: le français.